Sexualité, J. Weeks. Presses universitaires de Lyon, Lyon (2014

Comptes
rendus
/
Sociologie
du
travail
58
(2016)
80–114
111
Référence
Masullo,
A.,
Reigner,
F.,
2009.
Obésité,
goûts
et
consommation.
Intégration
des
normes
d’alimentation
et
appartenance
sociale.
Revue
franc¸aise
de
sociologie
50
(4),
747–773.
Diane
Rodet
Centre
Max
Weber,
UMR
5283
Université
Lumière
Lyon
2
CNRS,
14,
avenue
Berthelot,
69007
Lyon,
France
Adresse
e-mail
:
Disponible
sur
Internet
le
27
janvier
2016
http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2015.12.015
Sexualité,
J.
Weeks.
Presses
universitaires
de
Lyon,
Lyon
(2014).
310
pp.
D’abord
paru
en
1986,
ce
livre
de
Jeffrey
Weeks
est
un
classique
de
la
sociologie
de
la
sexualité,
dont
la
troisième
édition
est
aujourd’hui
traduite
en
franc¸ais
et
accompagnée
d’une
préface
inédite
de
l’auteur,
ainsi
que
d’une
longue
postface
de
Rommel
Mendès-Leite
qui,
au-
delà
de
l’«
introduction
à
l’œuvre
de
Jeffrey
Weeks
»
qu’annonce
son
titre,
analyse
les
enjeux
épistémologiques
et
politiques
de
son
travail.
Comment
aborder
la
sexualité
en
sociologue
?
Si
les
études
se
sont
multipliées
depuis
lors,
la
question
n’avait
rien
d’évident
au
milieu
des
années
1980.
J.
Weeks
définit
son
projet
comme
une
tentative
de
«
problématiser
l’idée
de
sexualité
et
de
montrer
son
émergence
à
partir
d’une
histoire
complexe,
ses
liens
étroits
avec
les
relations
de
pouvoir,
la
manière
dont
son
déploiement
a
consisté
à
soutenir
et
à
normaliser
certaines
formes
d’activités
érotiques
et
à
en
marginaliser
d’autres,
enfin
la
crise
des
significations
qui
a
résulté
des
diverses
remises
en
cause
qu’elle
a
générées
»
(p.
213).
Si
constituer
la
sexualité
en
objet
pour
les
sciences
humaines
était
un
geste
minoritaire,
il
n’était
pas
sans
précédent,
et
on
peut
comparer
le
projet
de
J.
Weeks
aux
entreprises
qui
le
précèdent
:
celle
de
William
Simon
et
John
Gagnon
qui
élaborent
au
début
des
années
1970
une
théorie
des
scripts
sexuels
dans
laquelle
ils
analysent
la
sexualité
comme
un
ensemble
de
pratiques
et
de
significations
permettant
aux
individus
de
donner
une
interprétation
sexuelle
à
une
situation
;
celle
de
Michel
Foucault
qui
montre
à
partir
de
1976
comment
l’émergence
de
la
sexualité
comme
dispositif
sous-tend
des
pratiques,
des
institutions
favorisant
des
processus
de
pathologisation,
et
un
nouveau
rapport
à
soi.
Comme
J.
Simon
et
W.
Gagnon,
J.
Weeks
constitue
la
sociologie
de
la
sexualité
contre
la
sexologie,
insistant
en
particulier
sur
l’irréductibilité
de
la
sexualité
à
des
processus
corporels
ou
naturels.
Cependant,
il
n’aborde
pas
tout
à
fait
la
sexualité
comme
un
ensemble
de
conduites,
mais
plutôt
comme
un
assemblage
de
significations
:
son
ouvrage
comporte
peu
d’informations
sur
les
pratiques
sexuelles
majoritaires
ou
minoritaires,
mais
beaucoup
d’analyses
portant
sur
les
discours
savants,
politiques
et
moraux
qui
constituent
ce
que
nous
appelons
«
sexualité
».
Aborder
la
sexualité
comme
un
langage
permet
de
la
définir
comme
une
pratique
sociale
«
dont
nous
nous
faisons
les
interprètes
»
(p.
104)
;
la
diversité
de
ces
langages
en
fait
«
un
concept
intrinsèquement
problématique
»
(p.
24),
enjeu
d’une
lutte
entre
des
discours
pathologisants
ou
moralisants,
des
mouvements
sociaux,
et
des
travaux
scientifiques
dont
la
sociologie
fait
partie.
Contrairement
aux
démarches
psychanalytiques,
l’approche
proposée
ici
n’aborde
pas
la
sexualité
comme
un
principe
présocial,
mais
comme
le
résultat
de
luttes
pour
donner
une
signification
à
certaines
pratiques,
qui
aboutissent
à
la
formation
de
cultures
sexuelles
historiquement
contingentes.
Si
ces
cultures
sont
relativement
autonomes,
elles
s’articulent
avec
des
rapports
d’âge,
de
parenté,
112
Comptes
rendus
/
Sociologie
du
travail
58
(2016)
80–114
de
«
race
»,
et
peut-être
plus
que
tout
de
genre
:
le
sexuel
renvoie
toujours
à
du
non-sexuel,
et
en
particulier
à
des
rapports
de
domination.
Comme
M.
Foucault,
J.
Weeks
écarte
l’idée
d’une
répression
de
la
sexualité
pour
analyser
l’importance
que
l’Occident
lui
donne,
en
particulier
en
cherchant
«
la
vérité
de
la
subjectivité
dans
l’organisation
des
désirs
sexuels
»
(p.
55).
Il
fait
cependant
l’hypothèse,
à
la
suite
d’Anthony
Giddens,
d’une
«
grande
transition
»
affectant
la
sexualité
et
les
rapports
de
genre,
impulsée
par
les
critiques
du
patriarcat,
conduisant
à
une
politisation
de
l’intimité,
à
une
individualisation
des
choix
érotiques,
et
à
la
circulation
de
«
flux
globaux
»
(p.
203),
d’hommes,
d’images,
de
récits
et
d’affects.
En
outre,
plus
que
Foucault,
Weeks
valorise
la
psychanalyse
comme
discipline
qui
a
mis
en
évidence
l’absence
de
normes
sexuelles,
questionné
de
manière
radicale
la
différence
des
sexes
et
sa
biologisation,
et
saisi
finalement,
mieux
que
d’autres
approches
de
la
sexualité,
une
«
subjectivité
fissurée
»
(p.
110).
Reconnaître
ces
ambivalences
permet
de
penser
la
contingence
de
l’hétéronormativité,
ceci
malgré
la
naturalisation
de
l’hétérosexualité
souvent
à
l’œuvre
dans
les
discours
post-freudiens.
La
volonté
de
tirer
les
conséquences
normatives
de
son
approche
sociologique
est
un
autre
trait
qui
distingue
J.
Weeks
de
M.
Foucault.
La
dénonciation
de
la
constitution
de
certaines
pra-
tiques
sexuelles
en
pratiques
perverses
ne
le
conduit
pas
à
faire
l’éloge
de
la
diversité,
elle-même
appréhendée
comme
un
langage
contemporain
de
la
sexualité,
mais
à
tenter
de
distinguer
«
ce
qui
est
moral
de
ce
qui
est
immoral
»
(p.
139).
Poser
cette
question
en
sociologue,
cela
signifie,
selon
J.
Weeks,
refuser
l’évaluation
de
la
moralité
des
actes
eux-mêmes
et
prendre
en
compte
les
relations
sociales
qui
donnent
sens
à
la
sexualité.
Tout
en
défendant
une
position
libérale,
J.
Weeks
ne
s’appuie
ni
sur
le
critère
du
consentement,
ni
sur
une
politique
foucaldienne
des
plaisirs,
mais
s’attache
à
tirer
les
conséquences
morales
de
l’existence
d’une
diversité
érotique
et
de
l’intrication
de
la
sexualité
avec
les
relations
de
pouvoir.
Cela
conduit
à
la
dénonciation
des
effets
négatifs
de
la
grande
transition,
lorsque
les
flux
libérateurs
deviennent
des
trafics
favorisant
l’exploitation
et
la
marchandisation
des
individus
(p.
164),
mais
également
à
la
valorisation
d’une
réflexivité
à
l’égard
d’une
sexualité
qui
implique
toujours
plus
qu’elle-même.
Si
la
sociologie
de
la
sexualité
s’est
constituée
en
laissant
de
côté
toute
ambition
normative,
ce
n’est
pas
sur
ce
point
que
l’ouvrage
suscite
quelques
réserves,
mais
sur
son
analyse
des
évolutions
des
conduites
sexuelles,
rabattues
sur
l’idée
d’une
«
grande
transition
».
Alors
qu’en
1986
les
enquêtes
sur
les
comportements
sexuels
faisaient
largement
défaut,
l’épidémie
de
sida
a
favorisé
la
production
de
savoirs
sur
la
sexualité,
ethnographiques
comme
quantitatifs
:
ceux-ci
sont
intégrés
à
cette
troisième
édition,
qui
date
de
2010.
Le
sens
de
ces
évolutions
est
une
question
ouverte.
Pour
J.
Weeks,
«
dans
un
monde
de
plus
en
plus
globalisé,
médiatisé
et
connecté,
de
nouveaux
réseaux
et
de
nouvelles
communautés
sont
apparus
dans
le
champ
des
questions
sexuelles
»
(p.
136),
et
cet
«
hypermarché
du
choix
»
érotique
(p.
224)
produit
des
souffrances,
ou
du
moins
une
individualisation
de
la
sexualité.
Cependant,
la
sociologie
de
la
sexualité
a
également
mis
en
évidence
une
certaine
stabilité
du
répertoire
sexuel,
le
maintien
de
conceptions
relativement
traditionnelles
de
la
sexualité
et,
finalement,
les
contraintes
qui
délimitent
l’espace
des
possibles
sexuels.
Les
ethnographies
du
travail
sexuel
soulignent
également
les
limites
d’une
approche
de
la
sexualité
en
termes
de
marché
ou
de
marchandisation,
qui
tend
à
occulter
les
arrangements
intimes
opérés
par
les
individus
pour
justifier
leurs
pratiques,
et
à
opposer
une
sexualité
vénale
et
une
autre
pure
de
tout
échange.
La
prolifération
de
flux
sexuels
(flux
de
populations,
d’images,
de
savoirs)
et
la
marchandisation
soulignées
par
J.
Weeks
coexistent
avec
le
maintien
d’une
hiérarchie
sexuelle
:
les
évolutions
des
conduites
sexuelles
ont
peut-être
un
sens
moins
univoque
et
plus
contradictoire
que
ne
le
laisse
penser
l’idée
d’une
«
grande
transition
».
Comptes
rendus
/
Sociologie
du
travail
58
(2016)
80–114
113
Mathieu
Trachman
Institut
national
d’études
démographiques
(Ined),
133,
boulevard
Davout,
75980
Paris
cedex
20,
France
Adresse
e-mail
:
Disponible
sur
Internet
le
20
janvier
2016
http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2015.12.018
Militant
Lactivism?
Attachment
Parenting
and
Intensive
Motherhood
in
the
UK
and
France,
C.
Faircloth.
Berghahn
Books,
New
York
(2013).
278
pp.
Issu
d’une
recherche
doctorale
et
postdoctorale,
ce
livre
s’inscrit
dans
le
courant
de
l’anthropologie
de
la
parenté.
Il
analyse
le
rapport
entre
l’alimentation
infantile
et
le
travail
de
construction
de
l’identité
maternelle
à
partir
du
cas
de
La
Leche
League
(LLL)
à
Londres
et
à
Paris.
Fondée
en
1956,
LLL
est
une
organisation
non
gouvernementale
présente
dans
soixante-
dix
pays,
qui
développe
un
réseau
de
groupes
de
soutien
aux
mères
souhaitant
allaiter.
Charlotte
Faircloth
identifie
la
construction
d’un
réseau
d’aide
entre
pairs
qui
encourage
la
pratique
de
la
«
maternité
intensive
»
et
montre
comment
celle-ci
participe
à
l’accomplissement
personnel
des
mères.
Partant
d’une
analyse
de
la
manière
dont
les
mères
participant
à
ces
groupes
défendent
la
pratique
des
allaitements
longs
(au-delà
d’un
an),
l’auteur
reconnaît
la
formation
d’un
«
militant
lactivism
».
Cette
activité
militante
est
propre
aux
mères
qui
pratiquent
l’attachement
«
maternel
intensif
»
et
promeuvent
les
bienfaits
de
l’allaitement
au
sein.
D’une
grande
richesse
empirique,
cette
recherche
a
nécessité
un
travail
de
terrain
mêlant
des
entretiens,
des
observations
dans
différents
espaces
(groupes
de
soutien
de
LLL,
réunions
thématiques,
conférences,
ateliers
et
séminaires
organisés
par
LLL,
maternités)
ainsi
qu’une
enquête
par
internet.
L’ouvrage
comprend
quatre
parties
proposant
une
réflexion
sur
la
pratique
de
la
«
maternité
intensive
»
au
Royaume-Uni,
au
miroir
du
cas
franc¸ais.
L’analyse
de
ce
type
de
pratique
parentale
révèle
des
différences
de
conception
selon
les
contextes
nationaux.
En
revanche,
d’éventuelles
différences
au
sein
de
chaque
pays
selon
le
lieu
de
résidence
ou
l’appartenance
sociale
n’y
sont
pas
discutées.
La
première
partie
présente
des
éléments
historiques
et
conceptuels
sur
l’allaitement
maternel
au
Royaume-Uni
durant
les
dernières
décennies
du
xxesiècle.
La
lutte
pour
la
«
maternité
inten-
sive
»
prend
une
place
importante
dans
l’histoire
récente
de
ce
pays
dans
un
contexte
d’intégration
accrue
des
femmes
au
marché
du
travail.
Celles-ci
sont
partagées
entre
le
souhait
de
maintenir
«
une
efficacité
rationnelle
au
travail
»
et
«
une
maternité
intensive
à
la
maison
».
C.
Faircloth
avance
qu’indépendamment
du
mode
choisi
par
une
femme
pour
éduquer
son
enfant,
celle-ci
devra
le
faire
d’une
manière
intensive.
La
maternité
intensive
est
une
«
idéologie
»
qui
posi-
tionne
la
mère
comme
une
«
figure
amoureuse
et
responsable
»,
essentielle
pour
la
santé
mentale
de
l’enfant.
Dans
une
telle
perspective,
l’attachement
mère-enfant
est
le
facteur
central
à
partir
duquel
se
construit
le
rôle
maternel,
et
le
mode
d’alimentation
d’un
enfant
constitue
un
«
devoir
moral
»
fondé
sur
l’information
et
la
réflexivité
des
mères
(responsables).
La
deuxième
partie
de
l’ouvrage
analyse
la
structure,
la
philosophie
et
les
actions
de
LLL.
L’idée
du
partage
de
valeurs
est
centrale
pour
expliquer
comment
se
créent
des
liens
d’appartenance
à
une
«
communauté
»
qui
permet
à
cette
association
de
se
maintenir
au
fil
des
années.
Parmi
ces
valeurs
figurent
le
droit
de
l’enfant
à
décider
de
la
fréquence
des
tétées
et
de
la
durée
de
l’allaitement,
la
nécessité
de
la
proximité
de
la
mère
avec
l’enfant,
la
famille
comme
fondement
de
la
société
et
une
alimentation
«
naturelle
et
efficace
».
C.
Faircloth
affirme
que
c’est
par
le
partage
de
ces
1 / 3 100%

Sexualité, J. Weeks. Presses universitaires de Lyon, Lyon (2014

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