Chapitre sixième ....................................................................................................... 549
Les translations grammaticales ............................................................................... 549
§ 1 La translation lexicale ...................................................................................... 549
a) Dans les noms ............................................................................................. 549
b) Dans l’adjectif ............................................................................................. 552
c) Dans les verbes ............................................................................................ 554
d) La périphrase .............................................................................................. 557
§ 2 La translation syntaxique ............................................................................... 559
a) Dans le groupe de mots ............................................................................. 559
b) Dans la proposition .................................................................................... 561
c) Dans la phrase ............................................................................................. 570
549
Chapitre sixième
Les translations grammaticales
§ 1 La translation lexicale
La première forme de translation grammaticale est la translation lexicale : elle
consiste à modier dans la traduction, par nécessité, la structure morphologique des mots de
la langue originale.
La translation lexicale, même si aucune dénomination particulière ne lui a, à ma
connaissance, jamais été donnée, est une chose connue depuis longtemps par les
traducteurs.
On lit, par exemple, dans la préface des Epîtres familières de Cicéron (1549) traduites par
Étienne Dolet : Je te veulx advertir, que si quelquefois j’use de circonlocutions commodes, tu ne le trouves
estrange, puis qu’autrement ne se peult faire. Ce qui advient pour la diversité des langues: car ce, que l’une
exprime en un mot, l’autre l’exprime en plusieurs. Et ce qui celle ha en plusieurs, l’autre l’ha en un. En quoy il
fault avoir raison de la phrase et proprieté de chasque langue, pour se trouver excellent interpreteur et parfait.”
1
a) Dans les noms
Dans les noms, la translation lexicale peut consister en passage du nom composé
ou complexe au nom simple, du nom simple au nom composé ou au complexe, ou en une
inversion des termes du mot composé lors de sa traduction par un nom composé ou
complexe.
On passe du nom composé de la langue allemande au nom simple de la langue
française quand on traduit die Anlegebrücke par le débarcadère, die Arbeitsstelle par le
chantier, die Aschenkraut par la cinéraire, die Blutarmut par l’anémie, das
Blutgeschwür par le furoncle, der Bocksbart par le salsis, das Bühneneber par le trac,
der Bürgersteig par le trooir, die Daueramme par la veilleuse, die Eintriskarte par le
billet, die Feuerglocke par le tocsin, das Fingerglied par la phalange, der Fliegenbaum
par l’orme, die Flügelhaube par la cornee, der Gerichtschreiber par le greer, der
Goesacker par le cimetière, die Grasmücke par la fauvee, die Halskrause par la
colleree, der Hauslehrer par le précepteur, das Jahrbuch par l’annuaire, die
Judenkirsche par la cornouille, das Kartenpapier par le bristol, die Klangfarbe par le
timbre, das Leichenhemd par le suaire, der Marktecken par la bourgade, die Mundart
par le dialecte, das Mundstück par l’embouchure, der Notsi par le strapontin, der
Obstgarten par le verger, die Pferdebremse par le taon, der Ruhestand par la retraite,
die Salzgrube par la saline, der Seekrebs par le homard, der Weihrauch par l’encens et
das Wörterbuch par le dictionnaire.
1
Les Épistres familiaires de Marc Tulle Cicero, Traduites en françois par Estienne Dolet, À Lyon, Par Thibauld
Payan, 1549, p. 3.
550
Dans ses Observations sur les principales langues de l’Europe (1779), Jacob-Rodrigue
Péreire donne cet exemple : “Feder messer, Couteau de plume, c’est-à-dire canif. Les Anglois ont pris la
même tournure pour l’exprimer: ils disent Pen-Knife, couteau de plume.”
2
Dans Das Buch Le Grand (1826), Heinrich Heine écrit : Der Kutscher Paensen brummt bei
jeder Gelegenheit: das ist eine Idee ! das ist eine Idee ! Gestern aber wurde er ordentlich verdrieszlich, als ich ihn
frug, was er sich unter einer Idee vorstelle. Und verdrieszlich brummte er: Nu, nu, eine Idee ist eine Idee ! eine
Idee ist alles dumme Zeug, was man sich einbildet.”
3
Dans les Tableaux de Voyage (1856), le traducteur
anonyme écrit : Le cocher Paensen grommèle en toute occasion ces mots: C’est une idée, c’est une idée !
Mais hier, il s’est fâché bien fort quand je lui ai demandé ce qu’il se gurait par une idée. Et dans sa mauvaise
humeur, il grommelait: Eh bien, eh bien, une idée est une idée ! Une idée, c’est une bêtise qu’on se fourre dans
sa tête.”
4
La traduction du nom complexe dummes Zeug par le nom simple bêtise est une translation
lexicale.
On lit dans Jugend ohne Go (1937) de Oedön von Horvath : Ursprünglich ein geachteter
Kollege, ein Alphilologe, geriet er in eine böse Sache. (...) Man sah ihn lange nicht, dann hörte ich, er würde mit
allerhand Schlund hausieren, von Tür zu Tür. Er trug eine auallend grosze Kraweennadel, einen
Miniaturtotenkopf, in welchem eine winzige Glühbirne stak, die mit einer Baerie in seiner Tasche verbunden
war. Drückte er auf einen Knopf, leuchteten die Augenhöhlen seines Totenknopfes rot auf. Das waren seine
Scherze. Eine gestrandete Existenz.”
5
Dans Jeunesse sans Dieu (1939), Arnaud Pierhal
traduit : Autrefois, un collègue considéré, professeur de philologie au lycée de jeunes lles, il avait été mêlé à
une vilaine aaire. On ne le vit point pendant longtemps. Puis j’appris qu’il orait de la pacotille de porte en
porte. Il portait une très grosse épingle de cravate, une tête de mort qui cachait une minuscule ampoule, reliée à
une pile électrique dissimulée dans sa poche. Quand il pressait sur un bouton, les orbites de la tête de mort
s’éclairaient en rouge. Telles étaient ses plaisanteries. Une épave.”
6
La traduction du nom complexe
gestrandete Existenz par le nom simple épave est une translation lexicale.
2
Observations sur treize des principales langues de l’Europe, À Paris, Chez rigot le Jeune, Le Jay, Les
Auteurs, Dorez, 1779, p. 44.
3
Henri Heine, Werke und Briefe, Hrsg. von Hans Kaufmann, Band III, Auau Verlag, Berlin, 1961, p. 167.
4
Tableaux de voyage, Par H. Heine, Nouv. éd., Tome 1er, Michel Lévy Frères, Éditeurs, Paris, 1865, p. 210.
5
Oedön von Horvath, Jugend ohne Go, Suhrkamp Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, 1980, p. 24.
6
Odon de Horvath, Jeunesse sans Dieu, Tr. par Armand Pierhal, Librairie Plon, Paris, 1939, pp. 29-30.
551
On passe du nom composé de la langue allemande au nom complexe, constitué
d’un nom simple et d’une épithète, de la langue française lorsqu’on traduit die
Atombombe par la bombe atomique, die Beweiskraft par la force démonstrative, die
Blutbuche par le hêtre pourpre, das Braube par le lit nuptial, das Bürgerhaus par la
maison bourgeoise, der Ehrentitel par le titre honorique, die Erdkugel par le globe
terrestre, die Felswand par la paroi rocheuse, der Goldfasan par le faisan doré, der
Grabstein par la pierre tombale, das Grundeigentum par la propriété foncière,das
Hakenkreuz par la croix gammée, die Handarbeit par le travail manuel, der Hauptmast
par le grand mât, der Hausaltar par l’autel domestique, das Himmelsgewölbe par la
voûte céleste, die Holzbiene par l’abeille charpentière, die Kaiserkrone par la couronne
impériale,die Kernphysik par la physique nucléaire, der Kirchendienst par l’oce
religieux, die Lochkarte par la carte perforée, die Luftoe par la oe rienne, die
Morgensonne par le soleil levant, der Niethammer par le marteau riveur, die Orts-
behörde par l’autorité locale, die Postanweisung par le mandat postal, das Reichsheer
par l’armée impériale, das Straszenne par le réseau routier, die Tagespresse par la
presse quotidienne, der Weltkrieg par la guerre mondiale et der Wunder-baum par le
faux acacia.
De très nombreux noms rivés, de signication négative, comme die
Taktlosigkeit, die Charakterlosigkeit, die Kontaktlosigkeit, die Arbeitslosigkeit, die
Kontaktlosigkeit, die Aussichtslosigkeit, die Auswegslosigkeit, die Honungslosigkeit
ou die Teilnahmslosigkeit, ne peuvent être rendus que par des noms complexes comme
le manque de tact, le manque de caractère, le défaut de contacts, le manque de travail,
l’absence de perspective, l’absence d’issue, l’absence d’espoir, l’absence d’intérêt; les
mots die Arbeitslosigkeit et die Teilnahmslosigkeit peuvent toutefois aussi être traduits
par des mots simples comme le chômage et l’indiérence.
Certaines translations lexicales dans les noms, bien que la signication générale
de ces derniers ne soit pas changée, s‘accompagnent d’une légère modication de leur
signication particulière.
C’est ainsi, par exemple, que le mot der Galgenvogel signie à la lere l’oiseau
de potence et non le charognard, das Gartenhaus la maison de jardin et non le pavillon,
der Goldsch le poisson rouge et non le poisson d’or, die Heckenrose la rose des haies
et non l’aubépine, der Hosenträger le porte-pantalon et non les bretelles, die Laurücke
le pont de course et non la passerelle, der Schaäse le fromage de mouton et non le
fromage de brebis, die Silberpappel le peuplier blanc et non le peuplier argenté et die
Vieharznei le remède de bétail et non le remède de cheval.
Le même phénomène, du reste, s’observe au sein d’une même langue, puisque
des noms composés formés avec des termes diérents peuvent y désigner exactement les
mêmes objets.
552
Ainsi, dans Der Mann ohne Eigenschaften (1952), Musil écrit : Da sagen hier die Leute zu
einem Eichhörnchen Eichkal, el ihm ein; aber es sollte blosz einmal einer versuchen, mit dem richtigen
Ernst auf der Zunge und im Gesicht die Eichenkae zu sagen ! Alle würden aufschauen, wie wenn mien im
furzenden Plänklerfeuer eines Manöverangris ein scharfer Schusz fällt ! In Hessen sagen sie dagegen
Baumfuchs. Ein weitgewanderter Mensch weisz so etwas.”
7
Dans L’homme sans qualités (1956), Philippe
Jaccoet traduit : Par ici, les gens disent à l’écureuil Eichenkal, pensa-t-il, mais allez essayer de dire, avec
tout le sérieux qu’il faut sur la langue et sur la gure: die Eichenkae ! Tous écarquilleraient les yeux, comme
quand éclate brusquement, dans la pétarade d’un feu de tirailleurs à banc, un vrai coup ! Dans la Hesse, en
revanche, ils disent Baumfuchs. C’est des choses qu’on apprend quand a beaucoup roulé.”
8
Le traducteur
ajoute au bas de la page cee note : L’auteur, dans ce passage (...) joue sur les mots composés dont le sens
étymologique est oublié : Eichenkae signierait chat des chênes, Baumfuchs renard des arbres.”
9
En passant du nom composé de la langue allemande au nom complexe de la
langue française, on inverse l’ordre des termes quand on traduit die Angrisäche par la
surface d’aaque, die Anklagekammer par la chambre d’accusation, der
Berührungspunkt par le point de contact, die Denkart par la façon de penser, die
Essiggurke par le cornichon au vinaigre, die Friedenspfeife par le calumet de la paix,
das Glaubensbekenntnis par la profession de foi, die Handgranate par la grenade à
main, der Himbeersaft par le jus de framboise, die Honigwabe par le rayon de miel, die
Jauchegrube par la fosse à purin, die Kartoelzucht par la sélection de la pomme de
terre, das Kaugummi par la gomme à mâcher, der Lederhandschuh par le gant de peau,
die Meinungsfreiheit par la liberté d’opinion, die Nasenspie par le bout du nez, das
Prachtbe par le lit de parade, das Radiergummi par la gomme à eacer, die
Sprachwissenschaft par la science du langage, der Sonnenaufgang par le lever du soleil,
das Treppenhaus par la cage d’escalier,das Wohnhaus par la maison d’habitation, das
Wagenpferd par le cheval de trait, die Wasserlinse par la lentille d’eau et die
Zuchtkartoel par la pomme de terre de sélection.
b) Dans l’adjectif
La translation lexicale dans l’adjectif composé de la langue allemande ne
présente de diculté que pour le traducteur qui n’a pas une idée juste du rapport de
détermination entre les deux éléments qui composent l’adjectif.
L’erreur apparaît fréquemment dans la traduction des adjectifs composés
désignant des couleurs, le rapport de détermination étant alors inversé par les
traducteurs, comme si, sur ce point précis, la langue allemande était comprise par eux
comme de la langue française.
7
Robert Musil, Der Mann ohne Eigenschaften, Roman, Rowohlt Verlag, Hamburg, 1967, p. 240.
8
Robert Musil, L’homme sans qualités, Tr. de l’all. par P. Jacoet, Tome 1er, Éds du Seuil, Paris, 1982, p. 288.
9
Robert Musil, L’homme sans qualités, Traduit de l’allemand par Philippe Jacoet, Tome premier, Éditions du
Seuil, Paris, 1982, p. 288.
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