Les intentions de mise en scène
Les intentions de mise en scèneLes intentions de mise en scène
Les intentions de mise en scène
« Un tremblement de terre, c’est l’ouverture d’une faille ;
il faut qu’il y ait l’espace, qu’il y ait cet écartement. Peut-être est-ce d’ailleurs
cela qui va mettre au bord de la parole. La danse, justement, ne parle pas
mais porte au bord de la parole. En même temps, elle partage cela avec tous les arts,
y compris la poésie parce que la poésie consiste justement à travailler
le langage comme une matière, une matière et une manière
qui ne soit pas de l’ordre du sens, du moins discursif. »
Jean-Luc Nancy, philosophe
« L’adaptation que nous faisons de ces Cahiers veut rendre compte de cette extraordinaire
condensation où l’auteur veut tout dire dans un temps très court. Notre souhait est de relater
cette vitesse, cette incandescence, cette urgence de l’étoile Nijinski qui finit de se
consumer: « Je veux tout dire, tout. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi taire. Je
veux dire dire je veux écrire et dormir j'écris écris écris. Tu écris écris ».
Dans le récit de ses promenades apparaît une équivalence entre la marche et l’écriture,
comme si Nijinski marchait dans sa prose, moments charnières où l’écriture prend le relais
du corps. Les poèmes, issus d’un cahier à part, sont dans l’adaptation, comme des appels
réguliers au sommeil, à la berceuse. Leur langue est tendue entre les sonorités de
l’enfance, celles russes de la langue maternelle et l’inventivité, l’énonciation folle, proche de
celle du schizophrène. Le refrain « tu te tu le lemps passera je ne suis je que un homme
homme un home » pourrait être la musique de sa dernière danse, son équivalent…une
implosion du corps.
Créer un spectacle avec ces écrits, c’est une nouvelle fois l’occasion, pour l’Atelier
hors champ de creuser le rapport du corps et de la langue ainsi que le travail
polyphonique au plateau.
Quatre acteurs, trois hommes et une femme sont à eux tous Nijinski, la femme de
Nijinski, son médecin, Diaghilev mais aussi une poule, un chat-femme ou encore un
arbre, un corps, une voix proliférante qui déjoue l’identification à la figure de Nijinski.
Nous cherchons à restituer ce passage du mouvement du corps à celui de l'écriture
en travaillant au plateau cet état d’être au bord… du mot, du geste, du saut, de la
chute, de l'endormissement, du cri, du « devenir toujours quelque chose pour ne
jamais troquer la vie contre la mort ». Et dans un même élan de trouver une égalité
entre mots et gestes. Nijinski veut tout dire et se cogne aux limites de l’écriture. L’acteur
entendra ces endroits butoirs, sans cesse renvoyé à l’écho de sa propre voix. Il cherchera à
faire entendre tout, de la même façon que Nijinski voulait qu’on ressente tout de lui.
L’espace du plateau est le reflet de ce va-et-vient, dans l’écriture des Cahiers, entre
l’infiniment petit, le corps et l’infiniment grand, le cosmos. Une petite maquette de maison,
fragile, que l’acteur peut porter dans ses bras, pourra donner au plateau l’échelle d’une
campagne, d’un champ de bataille, paysage que Nijinski regarde du haut de sa folie. Une
balançoire pulsera doucement et aléatoirement alors que le corps qu’elle portait a disparu.
Au bord de la scène, des présences masquées viennent interroger le choix de monter un
texte qui côtoie la folie. Que voulons-nous montrer et qu’est-ce que le spectateur veut-il
voir? Le masque intervient au coeur de ce rapport exhibitionnisme/voyeurisme et pose cette
question : qui regarde qui ? De quel rivage l’acteur nous interpelle-t-il ? Est-ce celui de la
mort ou celui de la vie ?