Doude van Troostwijk, CH - University of Amsterdam

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UvA-DARE (Digital Academic Repository)
Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard)
Doude van Troostwijk, C.H.
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Doude van Troostwijk, C. H. (2003). Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard) Straatsburg: in
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Chapitree 12
ORIENTATIONN ET TROUVAILLE
RechercheRecherche pré-heurisüque et transfer* analogique
AA la fin de la deuxième partie, concernant la recherche sur la 'postmodernité
pré-critique'' - et en ce sens pré-moderne - de Kant, nous avons rencontre la
tensionn de 1'ame et de la raison, inherente a la subjectivité. Cette tension a un
intérêtt pour la question de trouvaille, comme nous voulons Ie montrer en nous
concentrantt sur un texte relativement inconnu de Kant : Was heifit sich im
DenkenDenken orientieren ? (1786).1 Malgré son caractère de texte de circonstance,
nouss Ie croyons, historiquement parlant, décisif pour Ie développement de la
penseee kantienne, en ceci que ce texte préparé la troisième critique. Décisif, il
Testt aussi du point de vue systématique pour notre question de la possibilité de
laa trouvaille de !a critique transcendantale. Dans 1'opuscule qui date d'après la
trouvaillee de la critique transcendantale, Kant fait reference au texte pré-critique
VonVon dem ersten Grimde des Unterschiedes der Gegenden im Raume. Vu que
Kantt fait plus que simplement s'y référer, en y prenant appui, nous pensons
pouvoirr y trouver Ie lien entre Ie thème recurrent pré-critique concernant
1'inaccessibilitéé de Pexistence et la trouvaille de la critique. Pour qu'un tel lien
puissee se faire, il faut faire jouer Ie fait que, dans Orientieren, c'est de la tension
danss 1'ame vers laquelle Kant s'oriente pour trouver la réponse a la question de
savoirr comment s'orienter dans la pensee qu'il s'agit. La facuhé d'orientation se
mesuree è 1'aune de l'ambiguïté qui reside, dans la raison, entre désir de
speculationn illimitée et devoir d'auto-limitation en fonction de la réalité. Or, ce
quee nous avons 1'intention de montrer, c'est que, en respect de cela, Ie texte
OrientierenOrientieren se prête a une interpretation qui vise la trouvaille de la critique
11
Selon Cassirer la dissertation sur l'orientatioii est « einen kurzen, aber fur seine Denkweise
höchstt bezeichnenden Aufsatz », parce qu'il montre comment Ie concept d'orientation ne re$oit sa
significationn abstraite qu'après 1'expérience concrete et corporelle (Ernst Cassirer Philosophie der
syrnbolischensyrnbolischen Formen. Teil 2: Das mythische Denken. Darmstadt: WBG, 1994, p. 116). Il
considèree Ie texte comme un tournant, qui a donné è Kant la renommée qui lui a longtemps fait
défautt <cf. Alexis Philonenko L'ctuvre de Kant. La philosophie critique (Tome 2 ) Paris: Vrin,
1993,, p. 13). Il remarque encore que Ie texte date de Pannée de la mort de Friedrich Ie Grand et
qu'ill rêflète Ie souci de Kant face a t'avènement d'un régime répressif, d'oü l'accent mis sur la
libertéé de pensee (Cassirer Kants Leben undUhre. Darmstadt: WBG, 1994, p. 393).
377 7
transcendentalee comme étant Taffaire d'une heuristique reflexive, c'est-a-dire
d'unee heuristique 'd'avant 1'heuristique', orientée par les idees presentees dans
laa dialectique de la première critique.
Bienn qu'il soit indéniable que Orientieren traite du rapport entre réalité et idéé
(dee la liberté) et que 1'on a Ie droit de Ie lire comme une sorte de popularisation
dee Tentreprise critique, 1'ouverture du texte contient, de facon assez dense, une
indicationn sur la maniere (plutöt que de la methode) de trouver des notions
heuristiquess et, par conséquent, transcendantales.2 Cette maniere repose tout de
mêmee sur un principe, a savoir sur Ie principe de 1'analogie tel qu'il est expliqué
danss Ie fameux paragraphe 59 de la troisième critique. Soulignons qu'ici il ne
s'agitt pas d'une analogie logique, ni d'une analogie sémantique. Kant donne
1'esquissee d'une « maniere pré-heuristique » avec laquelle trouver des notions
heuristiques,, par Ie biais de 1'imagination concrete et reproductive, c'est-a-dire
parr Ie biais de Tempirique. C'est en ce sens que, dans ce chapitre, nous allons
élaborerr la these de Lyotard dans ses Legons sur Vanalytique du sublime, these
offertee de facon marginale mais qui n'en reste pas moins importante, selon
laquellee « Ie transcendantal peut être constitué a partir de 1'empirique » (LAS,
54).33 La faculté d'orientation dans la pensee s'insère dans la faculté critique, qui
aa son tour repose sur la trouvaille de la bonne direction de penser. Evidemment,
pourr Kant, toute pensee qui négligé la réalité concrete soutenue par 1'existence
nee mérite pas le nom de philosophic critique.
22
La difference entre maniere {Manier) et methode {Methode) dans la conception kantienne
correspondd respectivement aux modus aesteticus et modus logicus (KdU, §49, 174) ou plus
simplementt a Manier {modus) et a Lehrart {methodus; KdU, §60, 261). Dans la Logik la
differencee est appliquée directement a la pensee rationnelle, étant plus ou moins synonyme avec
laa difference entre le jugement réflexif et le jugement determinant « Alle Erkenntnis undI em
Ganzess derselben muB einer Regel gemaB sein. (Regellosigkeit ist zugleich Unvernunft) - Aber
diesee Regel ist entweder die der Manier (frei) oder die der Methode (Zwang). »(Log, §94,^ 5:571).
Lyotardd met souvent 1'accent sur Ia difference, qui correspond grosso modo avec celle de 1 ame et
dee la raison(cf. LAS, pass/m ;AppeL 32-39).
33
Lyotard mentionne le texte quelques fois dans son livre. Il souligne 1 importance ncunsüque du
conceptt d'orientation, et il croit que ses consequences systématiques sont aisément pennies de
vuee a cause du contexte de la querelle pantheïste. Le thème d'orientation, Lyotard11e reconnait
danss la problématique de 1'amphibologie. Dans cette problématique il s'agit d hebergement Lyotardd parle de domiciliation - correct des representations ou bien sous 1'intuition, ou men sous
1'entendementt Le sentiment d'orientation découvert par Kant aurait amsi une fonchon
topologiquee dans la pensee abstraite (LAS, 20). Dans ce que Kant appelle la « reflexion
transcendantalee », Lyotard reconnatt rindispensable sentiment d'orientation. L usage de Kant des
métaphoress géographiques est done moins contingent qu'il ne peut le paraitre et Lyotard a un bon
ceill pour cela (è comparer a la discussion sur la terminologie géographique dans la troisième
critiquee (D 190; E, 33). Le sentiment a une fonction fondamentale en philosophic, non seulement
commee sentiment psychologique, mais comme sentiment qui renseigne 1'iine sur son propre état^
commee sentiment 'tautégorique' (LAS, 47). Le terme du tautégorique, emprunté a Schelling et
utilisee par Lyotard déja auparavant (D, 190), indique la source pré-réflexive de la reflexion
transcendantalee et de Porientation.
378 8
Danss ce qui va suivre, nous présenterons d'abord Ie contexte historique qui a
donnéé lieu a la publication du texte. Cela montrera Ie souci qu'avait Kant de la
retombéee de la philosophie dans la Schwarmerei. Ensuite nous allons
commenterr Ie texte, dont la structure interne est éclairante dans la mesure oü il
estt 'performatif. Tout Ie texte est en effet une illustration et une mise en oeuvre
dee ce qu'il explique dans son début. Il s'agit d'un art pré-heuristique, d'une
manieree de procéder sans regie sur la voie de la recherche philosophique,
procéderr avec pour seul guide F analogie et la tendance qui fait pencher la raison
verss Ie concret.
LesLes esprits en conflit: Mendelssohn, Jacobi et enfin Kant
WasWas heifit sich im Denken orientieren est un laboratoire. En étudiant Ie texte, Ie
lecteurr est témoin de la constitution de la notion philosophique 'd'orientation'.
Avecc ce terme, Kant fait irruption dans une querelle qui ébranle les esprits de
1'époque,, connue sous Ie nom de « querelle du panthéisme ». Cette dernière est
enn vérité bien plus une querelle de 1'athéisme4,1'enjeu du conflit étant Ie souci
d'unee philosophie complètement autarcique et autonome, une philosophie
commee système autosuffisant et ferme. C'est alors surtout Mendelssohn (17291786)) et Jacobi (1743-1819) qui sont touches par ce conflit5 Le premier defend
FF importance de faire confiance a la raison saine et au sens commun. Jacobi, lui,
prendd la defense d'une philosophie révélatrice et « geniale », d'une philosophie
pourr laquelle le sentiment a valeur d'argument. Jacobi dénonce chez
Mendelssohnn ce qu'il prend pour du rationalisme pur, comme étant une
invitationn philosophique a Fathéisme.
Aprèss hesitation, Kant decide d'y intervenir avec son texte Orientieren.
Sonn intervention n'est pas directe, ce qui, a première vue, pourrait étonner.
Pourquoii en effet ne pas avancer directement ses propres idees métaphysiques si
Fonn désire trancher dans un debat métaphysique ? Or, selon Kant, beaucoup des
problèmess métaphysiques sont dus è une confusion dans F usage de concepts et
dee maximes. Dans le conflit opposant Mendelssohn è Jacobi, la confusion reside
d'unee part dans F idéé, répandue è Fépoque, de sensm communis (gemeine
Menschenverstand)Menschenverstand) et son usage dans la speculation métaphysique, et d
44
Gerard Rmlel AufklOrung. Les lumières allemandes. Paris: Flammarion, 1995, p. 179.
Julius H. Schoeps Moses Mendelssohn. Frankfurt am Main: JOdischcr Verlag bei Athenaum,
1989,, pp. 150-163; Alexis Philonenko 'Introduction', in : Qu 'est-ce que s 'orienter dans la pensee
?? Paris: Vrin,1988, pp. 15-74; Raulet, o.c, pp. 179-186; Bernard Delfgaauw, Bernard 'Inleiding',
in:: Wat is Verlichting?. Kampen : Kok Agora, 1988, pp. 30-57 ; Goulyga, Emmanuel Kant, une
vie,vie, pp. 154-158; Goetschel, Constituting critique, pp. 155-157 ; Alain Renaut Kant aujourd'hui.
Paris:: Flammarion, 1997, pp. 80-89.
55
379 9
partt dans le role de Pintuition sentimentale dans la philosophie. Ce que fera
Kantt est de développer un concept, qui est lie, mais seulement indirectement,
aussii bien k Pidée de « sens commun » qu'a celle de sentiment. En instaurant le
conceptt d'orientation, il propose une solution rationnelle. Ainsi avance-t-il que
sii Ton perd son chemin dans la pensee, il faut impérativement obéir a Pappel de
chercherr des moyens de le retrouver. Par le concept d'orientation, Kant parvient
danss une certaine mesure a faire se rejoindre les opposants tout en les
surmontant.. L'orientation n*est ni réductible au sentiment, ni a Pentendement
seul.. Dans le phénomène, il y a cooperation de Phétérogène. L'ame et la raison
puree y sont impliquées, dans leur incongruence.
Enn janvier de Pannée 1786, Moses Mendelssohn, penseur respecté par Kant et
surnommé,, déja a son époque, le Platon des Lumières, décède.6 La rumeur court
quee sa mort a été précipitée par la précitée querelle de Pathéisme qui Pénervait.
Lee conflit avait en effet pris la forme d'une accusation ad hominem. Il touchait a
laa renommée de Lessing, ami de Mendelssohn, que Pon croit - d'ailleurs
probablementt è tort - avoir été immortalise par Lessing dans le personnage
célèbree de Nathan le Sage. Après la mort de Lessing en 1781, dans une
correspondancee privée avec Mendelssohn, Jacobi, un de ses élèves, provoque
unee discussion en soutenant la these que malgré ses dénégations, Lessing était
enn vérité spinoziste. Or le spinozisme est, pour Jacobi, comme pour le monde
politico-ecclésiastiquee de Pépoque, un pêche grave. Spinozisme équivaut è
atheïsme,, ce qui explique le ton vehement de Jacobi dans son attaque de
Lessing. .
Laa foi (Glaubé) occupe la place centrale de la philosophie de Jacobi,
étantt pour lui toute disposition subjective qui se refuse a la preuve rationnelle et
pourr laquelle on ne peut que s'appuyer sur le sentiment {Gejuhl). Jacobi defend
laa position que toute preuve presuppose quelque chose d'improuvable relevant
dee la foi et révélé par le sentiment. Par cette position philosophique, Jacobi vise
kk ouvrir un trou dans le système de la métaphysique, un trou pour la foi
chrétiennee et pour Péthique : Dieu et liberté sont des 'choses' improuvables,
affairess de foi. Or pour Jacobi, c*est Spinoza par excellence qui représente la
66
II faut d'ailleurs noter que Testime que portait Kant a Mendelssohn était ambigue. D'un cöté il
respectaitt le rationalisme philosophique du penseur et son enjeu pour son emancipation, d'un
autree cóté il était severe quant a sa naivete. Philonenko souligne que cette ambiguïté devient
évidentee dans le fait que Kant, en prenant la defense de Mendelssohn, écrit lors de la publication
d'Orientierend'Orientieren (octobre 1786) - précisément le jour du 4 aoüt 1786 - également dans le livre d'un
certainn Ludwig Heinrich Jakob (Prüfimg der mendelssohnschen Morgenstonden oder otter
spekulativenspekulativen Beweise flir das Dasein Gottes) une introduction critique è Mendelssohn, dans
laquellee il lui reproche de manquer de courage de suivre ia raison dans ses désirs (Begierde) et de
nee pas vouloir obéir a son vrai Bedürfnisse. Or, la critique n'est pas accomplie au moment oü le
penseurr s'arrete devant rinaccessibilité de la chose en soi. C'est tout au contraire la oü le
philosophee a Fobligation de commencer a penser (au lieu de connaitre). Le nouménal est 1'enjeu
principall de la philosophie critique (Bemerkungen, 5:289).
380 0
philosophicc qui se veut entièrement deductive et autarcique, et qui a la
pretentionn de s'achever en, et par, elle-même.7
Enn attaquant Lessing, Jacobi s'attaque également au prétendu
spinozismee de Mendelssohn. Il Ie lui reproche dans leur correspondance privée.
Selonn lui, Mendelssohn lui aussi tend, peut-être a son propre insu, a 1'athéisme.
Luii aussi defend 1'autosuffisance de la raison et 1'idéal de son autosatisfaction.
Or,, Jacobi, suivant en ceci Pexemple de Lavater, 1'incite è se convertir au
christianisme.8 8
Auu début du conflit, la réponse de Mendelssohn reste distanciée. Dans son livre
MorgenstundenMorgenstunden oder Vorlesimgen über das Daseyn Gottes (1785), il présente
propree refutation de Spinoza, qu'il croit être pantheïste plutöt qu'athée. En lieu
ett place de ce panthéisme, il propose une preuve ontologique assez classique de
Fexistencee de Dieu, introduisant la nécessité, pour la pensee, de s'orienter. Kant
vaa reprendre ce concept.9 Pour Ie reste, quant a la discussion avec Jacobi,
Mendelssohnn la réserve discrètement a leur correspondance intime.
Celaa change au moment oü Jacobi publie leur correspondance privée et
yy ajoute ses propres commentaires. Mendelssohn en est gravement offense. Sa
réponsee consiste dans une lettre ouverte aux amis de Lessing {An die Freunde
Lessings.Lessings. Ein Anhang zu Herrn Jacobis Briejwechsel über die Lehre Spinozas),
publiéee posthumément en 1786, dans laquelle il se plaint de la publication par
Jacobi.. Dans Ie sillage de Pattaque ad hominem, déclenchée par Jacobi, il
declaree que, pour celui qui la comprend dans son essence, la philosophie de
Spinozaa est en effet respectable. Ensuite il rejette la critique de Jacobi selon
laquellee Spinoza serait athée. Cette association de Spinoza a 1'athéisme ne fait
quee prouver Pincapacité philosophique de Jacobi, écrit-il. Par voie de
consequence,, Mendelssohn rejette Pappel de Jacobi a la conversion, c'est-a-dire
aussii bien k la conversion philosophique qui consisterait dans Paffirmation de la
nécessitéé de la foi comme base indispensable de toute pensee, qu'è la
conversionn chrétienne. A cette occasion Mendelssohn exprime de même sa
propree foi dans la rationalité de sa religion juive qu'il croyait pouvoir
réconcilierr avec la religiosité naturelle de Phomme en general. « La raison a par
naturee la capacité de s'auto-légitimer, avance-t-il, sans devoir faire appel a une
quelconquee revelation comme Ie voulait Jacobi ». L'homme est créé avec son
entendementt sain qui lui sert de guide dans ses reflexions.
77
C'est en ceci qu'on dirait que Jacobi, soulignant 1'impossibilité d'auto-constitution systématique
dee la pensee, prélude a la theorie de types de Russell qui présent la separation du système et du
méta-niveau,, a partir duquel Ie système est stabilise, et qui interdit 1'autoréférence inclusive. La
penseee ne peut se tirer par ses prorpes cheveux du marais. Voir ci-dessous notre lecture
jyotardienne-sophistiquee de la conversion augustinienne.
** Schoeps, o.c, pp. 95-112.
99
Moses Mendelssohn Schriften zur Philosophie, Aesthetik und Apologetik l Hildesheim: Olms,
1968,pp.370-372. .
381 1
KantKant entre foi sentimentale et raison saine
Laa mort inattendue de Mendelssohn termine brusquement la discussion, laissant
unn silence douloureux et une atmosphere intellectuelle tres tendue. Raison pour
Biester,, éditeur du Berliner Monatschrift - revue dans laquelle Mendelssohn et
Kantt avaient déjè publié leurs visions respectives sur les Lumières -, de
demanderr è Kant de donner son opinion sur Ie conflit resté apparemment sans
conclusion.100 Par respect pour Ie décédé, Kant prend la plume, et Ie résultat est
cee texte que nous prenons ici en consideration. On a dit que Kant, décu que ses
grandss livres critiques n'aient pas rencontre de reel echo, avait voulu ayec ce
textee s'adresser au grand public. Qu'il y parvienne en démontre Ie fait que,
selonn Cassirer et Philonenko, c'est par Orientieren que Kant avait été reconnu
commee Ie grand penseur qu'il était.
Danss ce texte, Kant critique tout autant les deux philosophes pour leurs
dogmatismess respectifs. La raison ne peut s'auto-instituer de telle maniere
qu'ellee recouvrirait la foi en son entier. La raison a ses limites. Cependant eet
étatt limité n'implique pas du tout Ie besoin d'un fondement supplementaire dans
laa revelation et Ie sentiment. Les concepts religieux ne se résument pas è la
rationalité,, ni ne proviennent d'une extériorité inconnaissable. En fait, ce que
Kantt essaie dans Orientieren, est de tenir 1'équilibre critique, exprimé dans la
secondee introduction a la Kritik der reinen Vernunft (1787), dans la célèbre
formulee sur Ie savoir qui doit faire place a la foi (« Ich muöte also das Wissen
aufheben,, um zum Glauben Platz zu bekommen », KRV, BXXX, 28). Trouver
less limites de la raison, cela ne signifie pas nécessairement ouvrir ses portes è la
Schwarmerei.Schwarmerei. Ainsi Kant s'est positionné entre les deux opposants : d
Mendelssohnn il adapte 1'exigence de ne pas sortir de la raison, de Jacobi
PP intuition que la raison a ses limites.
Laa position qu'occupe Kant dans la querelle peut être résumée par la question «
qu'est-cee que s'orienter dans la pensee ? »Il y aurait beaucoup è dire è ce sujet.
Relevonss pour Ie moment seulement quelques points. D'abord il faut souligner
100
Norbert Hinske montre a quel point la question des Lumières était jjf 0 ™ P ™ b l * ^ J *
SchwarmereiSchwarmerei dans son florilège commenté de Berlinischen Monatsschrjft. (Norbert Hinske Jed )
WasWas ist Aufkldrung ? Beitrdge aus der Berlinischen Monatschrift. Darmstadt : WBU, IV»i
''' Cassirer cité par Renaut a c , p. 88. (A comparer a Alexis Philonenko L 'antvre de Kant (11), pp.
13-14)) Plus tard dans une lettre è Jacobi du 30 aoüt 1789, Kant avouera être amené a pubher Ie
textee « contre son inclination ». Philonenko reconstruit cette reluctance a partir de rimpasse dans
laquellee Kant se trouvait: d'un cóté il voulah bien défendre les Lumières et, pw waitit,
Mendelssohn;; d'un autre cóté il ne pouvait pas, selon ses propres principes critiques, délendre
VAufidaruneVAufidarune sans attaquer Ie dogmatisme mendelssohnien naFvement montré dans sa preuve
ontologiquee de 1'existence de Dieu (Philonenko, ac. 1988, pp. 20 et 26). Kant ne respecte aussi
pass plus la Schwarmerei de Jacobi dont il écrivait Ie 7 avril 1786 a Marcus Herz qu elle n était
qu'affectéee en vue de se faire un nom et qu'elle était par conséquent è peine digne d une
refutationn sérieuse (Philonenko L 'oeuvre de Kant (11), p. 13).
382 2
aa la suite de Philonenko qu'il s'agit de la pensee et non pas seulement de la
connaissance.. Le texte répond è la querelle métaphysique en introduisant 1'acte
rationnell de penser, qui est è différencier de celui de connaitre. Dans leur
differencee reside le centre de la critique. C'est d'elle que relève toute question
duu dogmatisme, du rationalisme a la maniere de Mendelssohn ou de
révélationnismee de Jacobi.
Ensuite,, il est a remarquer que Kant enchaine sur le debat métaphysique
parr une recherche qu'on dirait plutot méthodique. Cette maniere de procéder est
parfaitementt en accord avec 1'enjeu du projet critique, qui, on vient de le noter,
see définissait comme une methode. Traite de methode, la critique veut briser
1'enn ferme ment dogmatique de la pensee métaphysique. Au lieu de se placer au
niveauu des theses philosophiques concernant le spinozisme, au lieu de prendre
directementt position face a 1'ceuvre de Spinoza, Kant avance sa propre
découvertee critique, et cela sous 1'égide d'une question.12
Relevonss enfin que la question sur la methode se distingue
profondémentt de 1'approche critique, élaborée en 1781. Kant ne demande pas, a
laa suite de Mendelssohn, « comment s'orienter » (wie\ mais bien « qu'est-ce
quee s'orienter » {was heifit). Le comment évoque une réponse déterminée et
déterminante,, réponse formulée du point de vue épistémologique dans
Panalytiquee de la première critique. La réponse a la question « comment
s'orienterr dans la connaissance » se résumé au respect des conditions de
possibilitéé de toute connaissance, è Ia ftdélité au principe « principal » de tous
less jugement synthétiques {obersten Grundsatz alles synthetischen Urteil). «
Diee Bedingungen der Möglichkeit der Erfahrung überhaupt sind zugleich
Bedingungenn der Möglichkeit der Gegenstande der Erfahrung » (KRV, BI97,
212-213).133 La question was heifit par contre, surtout si on la prend, comme le
faisaitt Heidegger, dans son sens étymologique de « mettre en mouvement » (in
BewegungBewegung \ersetzten\ vise une reflexion libre, une heuristique d'avant la
réglementationn et en quête de rindéterminé qu'est la liberté. Question
désirologiquedésirologique done, qui signifie premièrement : « comment P orientation de
FF esprit dans la pensee est possible », et deuxièmement : « qu'est-ce que nous
procuree cette orientation ? » Or, c'est a cette double question, impliquée dans le e
titre,, que Kant veut répondre. Avant de rapporter une réponse, sur la base d'une
lecturee du texte, nous retournons encore brièvement au contexte historique.
12
«« Kant refusa de prendre connaissance du spinozisme, objet du litige, et fit savoir froidement è
Hamannn qu'il avait bien assezftfaire avec son système pour s'occuper encore de celui des autres.
Aussii bien quand on refuse de lire Spinoza, on n'est pas honune ft se plonger dans tout ce qui
parait»» (Philonenko, Qu 'est-ce que la philosophic ? 1991, pp. 107-108).
133
Cf. Heidegger, 1987, pp. 142-144.
383 3
LaLa question kantienne d'orientation par rapport a celle de Mendelssohn
Lee mot orientieren, Kant 1'emprunte a Mendelssohn, qui ne Putilise que deux
ouu trois fois.14 Chose rare pour Kant, il indique clairement les pages
correspondantess dans les textes mendelssohniens. La première reference nous
renvoiee aux Morgenstonden. Mendelssohn y raconte un rêve atlégorique. Sous
laa direction d'un homme suisse de peu d'intelligence (nicht vom feinsten
Verstande)Verstande) et d'une dame visiblement exaltée (von schwdrmerischer
Physiognomie)Physiognomie) puisqu'elle portait a sa tête des sortes d'ailes (Flügeln dhnlich
lee rêveur en compagnie d'un groupe de marcheurs fait une promenade dans les
montagnes.. A un moment donné, les voyageurs tombent sur une bifurcation. Un
désaccordd nait entre les guides sur la direction a prendre et chacun suit un autre
chemin.. L'homme choisit le chemin a gauche, la femme préféré la direction
opposée.. Les membres du groupe restent comme figés sur place, jusqu'è ce
qu'unee voix derrière eux les fasse se retourner. Ils discernent une matrone, qui
s'adressee è eux en ces termes :
Seidd getrosten Muthes, Wanderer! Ihr werdet nicht lange ohne Führer
bleiben.. Die Personen, die euch zu Führeren gegeben worden, nennen
sichh Gemeinsinn (sensus communis), und Beschauung (contemplatie);
siee entzweien sich zuweilen auf eine kurze Zeit, nicht selten aus
geringfÜgigenn Ursachen. Wenn dann die Reisenden standhaft genug
sind,, am Scheidewege zu warten, und keinem von beiden zu folgen, so
kommenn sie zurück, um ihren Zwist von mir entscheiden zu lassen.
Laa dame explique que tres souvent c'est Phomme, symbole de la vie pratique et
attachéé a la réalité concrete, qui mérite d'etre suivi. Mais de temps en temps, il
vautt mieux suivre la femme, malgré son exaltation et son imagination trop
élevée.. Dans le cas présent, le sensus communis s'entête dans son jugement
faux,, exigeant des voyageurs de n'entendre que son appel. Après cette
explication,, la matrone-déesse est reconnue comme étant la raison (Vernunfi).
Ellee a aussi nom céleste, mais étant sur le point de le reveler, la conversation est
brusquementt interrompue par un bruit. Madame Beschauung et monsieur
GemeinsinnGemeinsinn reviennent, en se bagarrant, de telle sorte qu'ils réveillent le rêveur.
Pourr Mendelssohn la question de 1'orientation se pose done au moment
oüü la pensee se contredit entre deux directions a prendre.
144
Le vocabulaire géographique est d'ailleurs tout è fait kantien. Kant s'est toujours intéresse è la
geographicc Dans ia Logik il donne le conseil au penseur de faire une recherche des horizons
(logique,, esthétique et pratique) de la pensee. «[Weil] der Horizont betrifift die Beurteilung und
Bestimmungg dessen, was der Mensch wissen kam, was er wissen darfi und was er wissen soil»
(Log,, 5:466). Ainsi 1'horizon est un mot clé, exprimant 1'enjeu de toute la critique kantienne
(HWPh,3:1198). .
Mendelssohn,, o.c, pp. 370-372.
384 4
Soo oft mich meine Spekulation zu weit von der HeerstraBe des
Gemeinsinnss abzufiihren scheint, so stehe ich still, und suche mich zu
orientiren.. Ich sehe auf den Punkt zuriick, von welchem wir
ausgegangen,, und suche meine beiden Wegweiser zu vergleichen. Die
Erfahrungg hat mich gelehrt, dafi in den meisten Fallen das Recht auf
Seitenn des Gemeinsinns zu sein pflegt, und die Vernunft mufi sehr
entscheidendd für die Spekulation sprechen, wenn ich jenen verlassen
undd dieser folgen soil.16
L'orientationn devient nécessaire dans une divergence directionnelle, lorsque
gauchee et droite se manifestent dans leur opposition et leur incongruence. Dans
lee cas normal, c'est le sensus communis qui est a suivre. La speculation n'est a
obéirr que si la raison Taffirme.
L'autree source de Kant a été An die Freunde Lessings. Mendelssohn y écrit sur
unn ton plus défensif. Jacobi 1'avait attaque de maniere frontale en publiant leur
correspondancee privée. Il avertit Mendelssohn de ne pas tomber dans le piège
dee 1'athéisme comme Lessing: la revelation religieuse n'est pas irrationnelle.
Toutt au contraire, sans 1'abri de la foi en Dieu, la pensee métaphysique ne
pourraitt que tomber dans 1'abïme de la regression infinie. Toute demonstration
presupposee une evidence qui en soi ne se prouve pas. « Jeder Erweis setzt etwas
schonn erwiesenes voraus, wovon das Principium Offenbarung ist». Pour Jacobi,
ill n'y a pas de pensee pour laquelle le milieu indispensable n'est pas la foi. Et
pourr soutenir son propos, il fait reference notamment a un passage dans 1'oeuvre
dee Lavater, le théologien exalté suisse qui, a 1'occasion d'un scandale precedent,
avaitt voulu pousser le juif Mendelssohn k Ia conversion au christianisme.
Mendelssohnn se defend. Il n'a pas besoin d'une cure thérapeutique. Il
n'estt pas le penseur sèchement rationnel pour lequel le tient Jacobi. Mais la foi
dee ce dernier ne peut entrer en conflit avec la raison et elle n'a pas besoin d'une
quelconquee revelation. Mendelssohn ensuite admet son appartenance au
judaïsme,, cette religion qui ne demande que la foi en des faits historiques et en
l'autoritéé éthique et rituelle de la loi.
Wennn ich [...] von vernunftmaBiger Überzeugung rede, und solche im
Judenthumee als unbezweifelt voraussetzen will, so ist die Rede nicht
vonn metaphysischer Argumentation, [...] nicht von schulgerechten
Demonstrationen,, die alle Proben des substilsten Zweifelmuths
bestandenn sind, sondern von den Ansprüchen und Urtheilen eines
schlichtenn gesunden Menschenverstandes, der die Dinge gerade ins
Augee fafit und ruhig überlegt.17
166
177
Mendelssohn, o.c, pp. 371-372.
Mendelssohn An die Freunde Lessings, in: o.c, p. 476.
385 5
Seull Ie judaïsme est rationnel, dans la mesure oü il relie Pautorité divine a
Pobéissancee de la loi morale. Il est naturel, puisqu'il n'exige que Ie
comportementt éthique et il ne dépend pas d'une quelconque preuve
dogmatique.. La vraie religion naturelle est accessible è 1'homme Ie plus simple,
c'est-a-diree è Pentendement sain et commun. Indépendante de toute deduction
métaphysique,, Ia foi est affaire d'un unverdorbenen, nicht mifileiteten
Menschenverstand,Menschenverstand, puisque Pentendement sain est aussi fiable
propositionn géométrique.
Clairement,, Mendelssohn avance encore la concordance de
Pentendementt sain ou sensus communis et de la speculation comme Pidéal de la
reflexionn métaphysique, aussi en matière de foi. C'est seulement en cas de
déstabilisationn de eet équilibre qu'on a besoin de s'orienter.
Meinerr Speculation weise ich bloB das Geschaft an, die Aussprüche des
gesundenn Menschenverstandes zu berichtigen, und so viel als möglich
inn Vernunfterkenntniss zu verwandeln. So lange sie beide, gesunde
Vernunftt und Spekulation, noch im gutem Veraehmen sind, so folge ich
ihnen,, wohin sie mich leiten. Sobald sie sich entzweien, so suche ich
michh zu orientieren, uns sie beide wo möglich, auf den Punkt
Ift t
zurückzufuhren,, von welchem wir ausgegangen sind.
C'estt ici que Mendelssohn, de maniere plus sévère que dans Morgenstunden,
mett Paccent sur Pentendement sain, qui délivre Phomme de ses confusions
sophistiquess et exaltées. « Der Mensch, dessen Vernunft durch Sophisterei noch
nichtt verdorben ist, darf nur seinem geraden Sinne folgen, und seine
Glückseligkeitt steht fest.»19 Il n'y a pas de vérité métaphysique qui contredise Ie
senss sain de Phomme Ie plus simple. Pour trouver la vérité, Ie penseur doit
chercherr è équilibrer sa speculation avec son entendement sain. Ainsi, pour
Mendelssohn,, orientation implique reorientation qui se nourrit a la source de la
raisonn saine, c'est-è-dire è ce que Phomme en general possede.
Danss Was heifit sich im Denken orientieren, Kant simplifie Ie rêve de
Mendelssohn. .
[Mendelssohnn fragt Orientation] im spekulativen Gebrauche der
Vernunftt (welchem er sonst in Ansehung der Erkenntnis übersinnlicher
Gegenstandee sehr viel, so gar bis zur Evidenz der Demonstration,
zutraute)) durch ein gewisses Leitungsmittel, welches er bald den
"Ibid,"Ibid, p.
"Ibid. "Ibid.
386 6
GemeinsmnGemeinsmn (Morgenstonden), bald die gesimde Vernunft, bald den
schlichtenschlichten Menschenverstcmd (an Lessings Freunde) nannte (O, 5:267).
Cee n'est pas tout è fait ce que Mendelssohn avait écrit, même pas dans Freunde
(bienn que lè 1'accent soit plus fortement sur la raison saine). En fait, pour
Mendelssohn,, Porientation se fait par la comparaison et la mise en concordance
dee deux options sous la direction de la raison.20 Que dans son résumé, Kant
réduisee néanmoins Pargumentation de Mendelssohn a un plaidoyer pour Ie
Gemeinsmn,Gemeinsmn, cela s'explique peut-être par son désir de pouvoir parier d'une
manieree positive de son collègue récemment décédé. Il esti me, il veut estimer
Peffortt de Mendelssohn de ne pas vouer toute la pensee métaphysique a la
speculationn libre. En fait, en réduisant Ie principe mendelssohnnien au sensus
communis,communis, Kant, qui n'accepte pas de demonstration rationnelle ou de
deductionn mathématique dans les questions métaphysiques (KRV, B762-763,
674-675),, arrive a éviter de devoir Ie critiquer de maniere trop véhémente pour
Pextremee dogmatisme de sa preuve de Pexistence de Dieu. ! Sa presentation
s'insèree done dans sa strategie de parier positivement du défunt. «
[Mendelssohn]] fehlte hierin allerdmgs, dafi er die Spekulation dennoch so viel
Vermogenn zutraute, fÜr sich allein auf dem Wege der Demonstration alles
auszurichtenn » ( 0 , 5 : 275).
Laa faute de Mendelssohn reside dans sa confiance dans la capacité
logiquee de la speculation, malgré Paccent qu'ü met sur la nécessité de se fier a
Pentendementt sain et au sensus communis lors les moments de con flits
réflexifs.. Cependant, puisqu'il considère la comprehension (Einsicht) comme
Penjeuu de la raison, Mendelssohn a Ie mérite de ne chercher Ie dernier critère de
Pacceptabilitéé d'un jugement que dans cette compréhensibilité raisonnable. «
Indessenn bleibt ihm doch das Verdienst, dafi er darauf bestand: den letzten
Probiersteinn der Zulassigkeit eines Urteils hier, wie allerwërts, nirgends als
alleinallein in der Vernunft zu suchen » (O, 5 : 275). La speculation dogmatique par
contree est trop aisément irrationnelle. Elle perd de vue son propre intérêt et se
perdd conséquemment dans ses propres raisonnements. Mendelssohn n'a pas ce
travers. .
[Mendelssohn]] nannte die Vernunft in ihrem letzteren Gebrauche die
gemeinee Menschenvernunft; denn dieser ist ihr eigenes Interesse
Enn effet, cette orientation mendelssohnienne ne satisferait pas Kant. La faute principale de
Mendelssohnn est de ne pas avoir vu que Porientation est un principe subjectif de Ia raison, qui en
estt seulement un supplément dans son usage objectif. Etant subjectify ce principe ne peut rien
ajouterr è Fobjectivité rationnelle, ce qui revient a dire que la raison saine n'a pas de role pour
Pobjectivitéé de jugements métaphysiques.
211
Pour la perte de 1'ideal de demonstration philosophique, cf. O., 5: 268, a comparer a : « Ein
BeweiBB welcher der Grund mathematischer Gewifiheit ist, heifit Demonstration und der der Grand
philosophischerr Gewifiheit ist, ein akroamatischer Beweis »(Log, 5:501).
387 7
jederzeitt vor Augen, indes man aus dem natürlichen Geleise schon mufl
getretenn sein, um jenes zu vergessen, und müBig unter Begriffen in
objektiverr Rücksicht zu spMhen, um bloB sein Wissen, es mag nötig sein
oderr nicht, zu erweiteren (O, 5 : 275).
Lee mérite de Mendelssohn est done d'avoir cherché la correction de la raison
speculativee par la raison saine, qui est moins orientée par cette dernière qu'elle
nee Test par 1*ideal d'une cooperation harmonieuse entre speculation et raison
22 2
saine. .
Quoiqu'ill en soit, le respect que Kant porte a Mendelssohn est pour son
attentionn a Pintérêt propre de la raison, qui reside, selon la critique, dans la
decisionn sur la question de ce qui est objectivement connaissable et de ce qui est
aa aspirer subjectivement. Corriger la speculation par Pentendement sain n'est
pass encore faire une critique de la raison. Cela témoigne néanmoins d'un besoin
senti,, besoin (Bediirfniss) dont la raison est impregnée selon Kant. La faute de
Mendelssohnn est done d'avoir cru que la raison se résumait è la logique
épistémologiquee et de ne pas avoir vu combien la raison est tendue entre le désir
dee tout savoir (désir infini) et sa limitation par Pexpérience. Tension entre
restrictionn et élargissement.
CompteCompte rendu
Nouss ne pouvons pas poursuivre dans tous ses détails la dispute métaphysique
ett la solution qu'en propose Kant. Quelques mots sont cependant nécessaires
pourr établir le cadre dans lequel nous allons tenter d'établir la question de la
trouvaillee dans la pré-heuristique kantienne. Malgré la raison urgente de sa
parutionn dont derive son ton relativement populaire, le texte de Kant est
extrêmementt dense. En quelques pages, il livre un résumé de la première
critiquee è laquelle il ajoute encore des nouvelles reflexions.
Nouss le voyons dans cinq parties, qui traite chacune d'une notion
spécifiquee concernant Porientation. Après une introduction méthodique et
historique,, que Pon vient de citer et sur laquelle nous allons revenir parce
qu'ellee cache Pheuristique qui est Pobjet de notre enquête, Kant élabore, selon
lee principe méthodique indiqué dans ses notes introductives, son concept
d'orientation.. II le situe sur trois niveaux d'abstraction, correspondant è trois
usagess respectifs du terme : Porientation géographique, Porientation
mathématiquee et Porientation logique. L'orientation géographique concerne la
recherchee du levant pour se savoir situer dans Pespace. L'orientation
222
La limitation de cc mérite a été montré dans la première critique, on il réjète la refuge de la
dogmatiquee dans rentendement saine, « eine Zuflucht, die jederzeit beweist, daB die sache der
Vernunftt verzweifelt ist»(KRV, B811-812, 712).
388 8
mathématique,, Kant 1'explique par 1'exemple d'une chambre obscure, dans
laquellee on ne discerne rien maïs dont la disposition nous est connue par Ie
souvenir.. En touchant un objet connu, je suis capable de m'orienter a 1'aide de
cee seul objet. L'orientation est done une affaire d'intériorité (de mémoire), et
n'estt pas dépendante de la visibilité de 1'horizon. Ce genre d'orientation est
mathématique,, puisque Ie sujet se situe dans 1'espace a 1'aide de la forme pure
ett intérieure de 1'espace et de son sentiment subjectif de différenciation des
regions.. L'orientation logique concerne Ie titre de 1'article, l'orientation dans Ia
pensee.23 3
233
Heidegger critique ce passage dans Ie contexte der 'Raumlichkeit des In-der-Welt-seins', dont
ill traite de deux traits Ent-fernung et Aus-richtung. L'orientation est un aspect d'Aus-richtung,
termee allemand avec la double connotation de 'mirer' et de 'réaliser quelque chose ou de
s'accorderr a une chose'. La chose par laquelle Ie Dasein s'oriente n'est pas premièrement, selon
Heidegger,, un sentiment subjectif, mais bien la structure ontologique-existentiale d'etre au
monde,, c'est-a-dire une structure pré-réflexive. Or, Ie fait que Kant, dans la chambre obscure,
s'orientee sur la base des données de sa mémoire, c'est-a-dire psychologiquement, est interprété
parr Heidegger dans un sens existential : au lieu de la mémoire il faudrait lire « die existentiale
Verfassungg des In-der-Welt-seins ». Bien que Kant ait voulu éviter une constitution thématique
(psychologique)) de l'orientation en utilisant 1'exemple de Ia chambre obscure comme indice de
VaprioriVapriori subjective de la forme spatiale pure de 1'intuition (Return), eet a priori n'est pas encore
assezz fundamental. « Das Apriori der Ausgerichtetheit auf rechts und links gründet jedoch un
'subjektiven'' Apriori des In-der-Welt-seins, das mit einer vorgSngig auf ein weltlose Subjekt
beschrSnktenn Bestimmtheit nichts zu tun hat » (Heidegger Sein und Zeit, p. 110). Or i! est clair
quee dans la confrontation de Kant par la critique de Heidegger, on a affaire è un conflit des deux
paradigmess métaphysiques. Le paradigme kantien est modeste par rapport a 1'utilisation « der
stolzee Name einer Ontologie » (KRV, B303, 296), qu'il associe a la métaphysique dogmatique.
Heideggerr s'approprie 1'ontologie d'une maniere sécularisante, 1'ontologie s'enracinant dans Vinder-Welt-seinder-Welt-sein qui a en soi une coherence significative. Toute confrontation paradigmatique risque
d'etree un dialogue de sourds ou même un différend dans Ie sens lyotardien. Heidegger reproche è
Kantt de défendre « ein weltloses Subjekt » et souligne ainsi 1'aspect idéaliste-rationnaliste de la
critiquee transcendantale. Il aurait raison si son texte de lecture était Gegend, oü l'orientation et Va
prioripriori sentimental se referent a 1'espace absolu. Dans Orientieren par contre, le sentiment est
indicee de la forme spatiale subjectivement a priori - et en cela weltlos -, mais il est en même
tempss indice de 1'indissohibilité du mondial et de Va priori dont témoigne la première phrase
d1'Orientieren.. La maniere kantienne d*être-dans-le-monde consiste dans une sorte de coimplicationn qui prescrit que le pur ne peut être trouvé que dans et a sur laj>ase de 1'impur. La
conditionn apriori ne peut se manifester qu'è partir de 1'application concrete de la forme et de Ia
categorie.. On se demande alors si la refutation heideggerienne selon laquelle « das Dasein mit
dicsemm 'btoBen GefÜhl* [de Kant] je schon in einer Welt ist und sein mufi, urn sich orientieren zu
könnenn » est vraiment une critique. (Heidegger, o.c, p. 109).
D'ailleurs,, cette critique est répétée par Philonenko, qui n'est pas toujours d'accord avec
Heideggerr : « L'analyse kantienne renferme une absurdité : elle cherche a donner un sens a
l'orientationn abstraction faite du monde et a rendre possible une orientation dans le monde sans le
mondee » (Alexis Philonenko La theorie kantienne de Vhistoire. Paris: Vrin, 1998, p.69).
L'absurditéé est trop absurde pour être vraiment kantienne. Il vaudrait mieux prendre l'orientation
ett le sentiment adjacent dans son ambiguïté d'etre pur et impur & la fois et prendre ainsi
l'orientationn qui selon Kant est un aspect de l'entendement commun et sain - comme le point oü
see touchent 1' a priori etV a posteriorly de telle maniere qu'il faut dire que Va priori precede
logiquementt Va posteriori et que Va posteriori precede réellement Vapriori. Si la critique est la
misee i jour des conditions de la réalité, il est 'logique' qu'au moment de la question de la
389 9
Laa troisième partie du textee traite d'un sentiment {Geföhï) inherent a la raison,
celuii de besoin (Bedürfhis). La raison connaït un besoin qui est insatiable par
aucunee connaissance, mais qui doit être respecté dans son droit. Déjè la
premièree critique 1'avait noté.
Platoo bemerkte sehr wohl, daB unsere Erkenntniskraft ein weit hoheres
Bedürmiss ftihle, als bloB Erscheinungen nach synthetischer Einheit
buchstabieren,, um sie als Erfahrung lesen zu können, und daB unsere
Vernunftt natürlicherweise sich zu Erkenntnissen aufschwinge, die viel
weiterr gehen, als das irgendein Gegenstand, den Erfahrung geben kann,
jemalss mit ihnen kongruieren könne (KRV, B370-371,350).
possibilitéé de Ia critique elle-même, 1'ordre logique se renverse en faveur de 1'ordre reel. C'est ce
quii se passé dans Porientation.
Orr Heidegger a bien vu que Kant fait consciemment usage de la structure significative
ett ontologique de Dasein, en ce quMl se fie è Pévidence de cette structure, de sa
selbstverstündlichkeit,selbstverstündlichkeit, c'est-a-dire au fait qu'elle se fait entendre par elle-même. Mais P
continuu de cette structure significative et évidente (das stündige Gebrauchmachen vort dieser
Verfassung)Verfassung) ne lui donne pas Ie droit de sauter sur la nécessité d'une explication ontologique
d'orientation.. Le conflit paradigmatique se manifeste alors comme une difference concernant la
questionn si Pusage fonde la signification (Kant : il n'y a pas de Bedeutung sans application
concretee des concepts) ou, inversement, si la signification fonde Pusage (Heidegger: la possibilité
d'usagee presuppose un monde significatif). Il s'agit en fait de la question de Pextériorité
existentielle,, thème resistant pour Lyotard qui critique Heidegger,, au début de sa pensee, pour sa
conceptionn trop anthropologique, parce que trop ontologique de Pêtre, et qui critique Kant dans la
mesuree oü il n'a pas toujours voulu tirer les consequences du tournant copemicien, qui sont la
presencee de 1'insensé et du brut dans Pexistence nue. En fait, la question de la trouvaille de
('existencee comme point de depart pour la trouvaille (secondaire) de la critique et de la modernité,
tellee que nous la dégageons de Ia pensee de Lyotard, disparaft probablement dans la description
tropp herméneutique de Heidegger. « Das Wahrsein als Entdeckend-sein ist [...] ontologisch nur
möglichmöglich auf dem grunde des in-der-Weltseins »(Heidegger ibid., 219).
244
Dans le premier livre de la dialectique transcendantale, d'oü vient la citation, Kant nous
présentee un Platon a vénérer, un Platon véritablement philosophe dont le Geistesschwung, le
*swing'' de Pesprit, son élan d'outrepasser, mérite respect et imitation. « Wenn man das
Übeitriebenee des Ausdrucks [Idee] absondert, so ist der Geistesschwung des Philosophen, von der
copeilichenn Betrachtung des Physischen der Weltordnung zu der architektonischen VerknOpfung
derselbenn nach Zwecken, d.i. nach Ideen, hinaufzusteigen, eine BemOhung, die Achtung und
Nachfolgee verdient, in Ansehung desjenigen aber, was die Prinzipien der Sittlichkeit, der
Gesetzgebungg und der Religion betrifft wo die Ideen die Erfahrung selbst (des Guten) allererst
möglichmöglich machen, obzwar niemals darin völlig ausgedrückt werden können, ein ganz
eigentümlichess Verdienst, welches man nur darum nicht erkennt, wei! man es durch eben die
empirischenn Regeln beurteilt, deren Gültigkeit, als Prinzipien, eben durch sie hat aufgehoben
werdenn sollen »(KRV, B375,353, cf. KRV, B796,700)).
Bienn que respectable, il faut éviter le swing de se distancer par une exagération
(Übertriebenheit),(Übertriebenheit), d'en arriver a ce que Kant appelle aussi Überschwenglichkeit (Cf. Appel, 6
AA ce respect, Kant dénonce clairement Platon quant a la determination speculative et réaliste des
idees.. (KRV, B371 note, 350). Le besoin de la raison, c'est son Geistesschwung, swing de Pesprit,
SchwungSchwung sans Überschwenglichkeit. Or Ia question est de savoir oü trouver la rarJonnalité de ce
Schwung,Schwung, s'il ne s'achève pas dans la speculation. Dans la troisième critique, le beau est
Pindicationn de la possibilité de faire le passage de Pêtre au devoir, de la nature a la liberté. C'est
enn ceci que la beauté est symbole du bien (KdU, §59). Kant explique encore plus précisément le
conceptt Geistesschwung dans §49. Geist, selon lui, est le principe dans Patne {Un Gemüte) qui fait
390 0
Ill s'agit du besoin rationnel de liberté, oü selon 1'interpretation kantienne de
Platonn la raison puise ses critères purs pour juger moralement ou pour
comprendree la nature comme système organise. Dans les idees, qui sont les
objetss de ce désir rationnel pour ce qui dépasse Ie connaissable, reside même la
veritablee valeur de Ia philosophie (KRV, B375, 353). Penser, au contraire de
connaïtre,, implique de s'orienter è 1'écoute de ce besoin, c'est-a-dire de se
dingerr rationnellement vers les idees. De cette obéissance, dans laquelle la
raisonn se prend elle-même au sérieux malgré son incapacité a connaïtre, résulte
laa légitimité des idees théoriques et pratiques dont la raison a subjectivement
besoinn si el Ie veut et doit juger lorsqu'il n'y a pas des concepts réalisables dans
1'intuition. .
Danss une quatrième partie de son article, Kant introduit Ie terme de 'foi
dee la raison' (Vernwifiglauben). Avec ce terme, il place les adversaires
Mendelssohnn et Jacobi dos a dos. Mendelssohn a trop cru au pouvoir rationnel
dee la speculation, il a voulu trouver la preuve de 1'existence de Dieu dans Ie
raisonnementt seul. Jacobi par contre ne veut qu'enraciner la foi dans
Pinspirationn révélatrice. Ainsi la raison sans foi et la foi sans raison,
respectivementt Vernunfteinsicht et Vernunfteingebung sont mises en opposition.
L'orientationn dans la pensee ne peut s'appuyer sur la logique de la preuve
speculative,, ni sur 1'inspiration révélatrice. Son principe, sa boussole (Kompafi),
estt la foi pure de la raison. Dans la conclusion è 1'article, Kant fait appel a la
libertéé de pensee {Freiheit zu denken). Il prévient de la libre-pensée, de
1'exaltationn et de la génialité dans la pensee, qui sont loin d'etre libératrices
puisqu'elless résultent dans 1'incoherence de la raison avec elle-même et qu'etles
attirentt inévitablement la discipline nécessaire de la part de P autorité civile.
«« Orientation », « besoin de raison », « foi de la raison » et« liberté de
penserr » sont les quatre termes par lesquels se résumé 1'argumentation de Kant
ett par lesquels il dénonce a la fois Mendelssohn et Jacobi. La réponse de Kant a
laa question « qu'est-ce que s'orienter dans la pensee » est de suivre Ie besoin
inherentt a la raison en utilisant les idees théoriques et pratiques comme
boussole. .
vivree (belebend). Il Ie fait vivre au moven d'une matière (Stqff) qui déclenche Pélan (in Schwung
versetzt)versetzt) dans les pouvoirs de Tame (Gemütskrüfté) et cela d'une maniere orientée par la fin
(zweckmdfiigX(zweckmdfiigX c'est-a-dire dans Ie jeu esthétique qui se maintient de lui-même. En effet, Ie
principee Geist n'est rien d'autre que la faculté de présenter des idees esthétiques, ce genre de
representationss qui donne beaucoup è penser (yiei zu denken veranlqfit). Ayant la fonction de «
lieuu de passage » entre Ie jugement esthétique et Ie Geist, Ie texte Orientieren est préparatoire,
commee il Test en son entier de la troisième critique. La découverte de Pesthétique philosophjque
ett la secularisation de Pesprit (et de Ia speculation) vont ensembles (Cf. Doude van Troostwijk,
1999). .
391 1
LL 'histoire de la trouvaille de la critique reflétée dans Orientieren
Danss sa biographie célèbre, Cassirer a souligné que Orientieren marque un
passagee fondamental dans Ie développement de la reflexion kantienne. Le texte
présente,, dit-il, une sorte de compte rendu de la voie suivie par Kant jusqu'è la
découvertee de la critique. « Die Unterscheidung und Stufenfolge, die Kant hier
angibt,, laöt sich auf sein eigene gedankliche Entwicklung anwenden. »M
Commee on vient de le dire, Kant distingue sur une échelle d'abstraction trois
niveauxx que sont la géographie, la mathématique et la logique. Or la recherche
kantiennee prend source dans la question du commencement cosmologique
(Allgemeinen(Allgemeinen Naturgeschichte und Theorie des Himmels, 1755), d'oü résulte l
désirr d'explorer les principes primordiaux de la nature en tant que telle. Cette
recherchee Pamène vers la mathématique, par exemple vers les recherches dans
NegativenNegativen Gröfie (1763).
Soulignonss encore, avec Philonenko, que Phistoire de la pensee
kantiennee a suivi trois étapes, celle du dogmatisme, de P empirisme sceptique et
dee la philosophic critique. Comme Kant Pavait expliqué lui-même, ce
développementt est plus que contingent. Il s'agit de la voie tripartite vers sa
propree vérité, de la voie qui est propre a la raison, qui est reflexive et qui
conduiraa au système fondé sur la critique (au lieu de la censure ; KRV, B789,
694-695).. Ainsi, selon Philonenko, dans les années quatre-vingts, la querelle
dogmatiquee entre Mendelssohn et Jacobi avait eu pour consequence le
scepticismee de Winzenmann, Pauteur penetrant (scharfsinnige Verfasser) du
textee Die Resultate des Jacobischen und Mendelssohnschen Philosophic
untersuchtuntersucht von einem Freiwilligen, brièvement et anonymement mentionné par
Kantt (O, 5:268 note). Or ce déroulement est décrit par Kant comme la marche
naturellee des choses (Gang der Dinge; O, 5:281), comme Pinevitable faute de
Porientationn critique. Orientieren présente dans une certaine mesure la critique
commee Ia troisième phase dans ce développement réflexif, c'est-a-dire comme
tribunall rationnel favorable è la liberté de penser au lieu de la censure repressive
autrementt inevitable par Pautorité civile.2
LL 'ouverture pré-heuristique
Cess interpretations, peut-être quelque peu abstraites, de Cassirer et de
Philonenko,, soulignent 1'importance reflexive de Pouverrure de Partiele. En
fait,, Palinéa d'ouverture peut être pris comme une theorie succincte de
2525
Cassirer, o.c. 1994 (1918), p. 43.
Voir 1c chapitre 'La Marche des Choses*, dans Alexis Philonenko, Qu'est-ce que s'orienter
dansdans la pensee ? Paris: Vrin, 1988, pp.28-32; a comparer a Philonenko, La theorie kantienne de
ïhistoire.ïhistoire. Paris: Vrin, 1998, p. 213.
266
392 2
1'inventionn transcendantale. Après avoir décrit en quelques phrases une
procéduree d'abstraction, Kant avance la these suivante :
Auff solche Weise ist selbst die allgemeine Logik zu Stande gekommen ;
undd manche heuristische Methode zu denken liegt in dem
Erfahrungsgebrauchee unseres Verstandes und der Vemunft vielleicht
nochh verborgen, welche, wenn wir sie behutsam aus jener Erfahrung
herausziehenn verstanden, die Philosophic wohl mit mancher nützlichen
Maxime,, selbst im abstrakten Denken, bereichern könnte (0,5:267).
Laa pretention n'est pas modeste. L'ouverture d'Orientieren contient une
descriptionn de la trouvaille, non seulement de la logique générale, mais aussi
dess methodes heuristiques. Ainsi Kant ouvre-t-il son article concemant
Porientationn par une description du chemin a suivre pour trouver des régies de
penserr et des régies heuristiques (des maximes). Il montre la direction a la
recherchee a Pheuristique, Ie chemin pré-heuristique qui mènera vers
Theuristique,, la trouvaille des methodes de trouver, c'est-a-dire la trouvaille des
manièress de procéder selon des principes, Verfahren nach Grundscitze (KRV,
B883,, 765). Il s'agit done de la trouvaille qui precede la pensee trouvant et qui,
selonn la citation, ne se reduit pas a la logique générale, puisque même la logique
aa été trouvée et constituée de cette maniere. D'ailleurs, c'est probablement
mêmee la trouvaille de la critique qui s'y inscrit, puisqu'elle est caractérisée par
Kantt comme traite de la methode a trouver des vérités épistémologiques et
métaphysiques. .
Notonss bien par ailleurs que Kant traite d'une chose différente de
Pabstractionn conceptuelle, décrite dans la Logik, qui explique les trois étapes de
laa construction des concepts (expliquée ci-dessous chapitre 14). Ici, il n'est pas
questionn de la procédure de comparaison, de reflexion et d'abstraction des
representationss conscientes (Log, §5-6, 5:523-526). Il ne s'agit pas d'une voie
pourr trouver ou créer des concepts. Néanmoins, nous avons affaire a une
abstractionn de quelque sorte. Une abstraction qui ne vise pas Ie concept comme
sonn résultat, mais qui Ie prend comme son point de depart:
Wirr mogen unsre Begriffe noch so noch anlegen, und dabei noch so
sehrr von der Sinnlichkeit abstrahieren, so hingen ihnen doch noch
immerr bildliche Vorstellungen an, deren eigentliche Bestimmung es ist,
sie,, die sonst nicht von der Erfahrung abgeleitet sind, zum
ErfahrungsgebraucheErfahrungsgebrauche tauglich zu machen (O, 5:267).
Laa suggestion méthodologique de Kant est que les régies de pensee {Regel des
Denkens)Denkens) se trouvent a partir de P usage empirique des concepts
(Erfahrungsgebrauch),(Erfahrungsgebrauch), dans lequel sont probablement encore caches
393 3
dee methodes heuristiques. Et eet usage est possible, ou mieux est inevitable,
puisquee tout concept, aussi abstrait qu'il soit, pour être utilisable, garde des
'traces'' de Pintuition, conserve Pimaginaire.
Enn fait, ce que Kant présente ici est une étrange combinaison de la
methodee expérimentale des sciences positives et d'une notion élémentaire de la
premièree critique. Arrêtons-nous d'abord brièvement sur un premier aspect,
pourr ensuite approfondir, sur la base de la première critique, Ie rapport entre
conceptt et usage empirique caractérisé comme son eigentliche Bestimmung.
UsusUsus dat methodum (De mundi sensibilis atque intelligibilis)
Sii YOientieren reflète Pordre historique des sciences (géographie,
mathématiquee et logique) dans Ie développement intellectuel de Kant comme Ie
voulaitt Cassirer, ou encore Pordre historique des positions philosophiques
(dogmatique,, sceptique, critique) dans Ie déroulement nécessaire de Phistoire de
laa philosophie comme Ie souligne Philonenko, il faut encore ajouter è cela une
troisièmee reflexion, pas moins historique, mais également d'une importance
systématiquee quant è la possibilité de 1'invention de la critique même. Kant luimêmee placait, dans I*introduction a la KRV de 1787, la découverte de la
critiquee comme base pour une métaphysique scientifique, dans la série
historiquee des inventions (Einfalle) scientifiques. Dans Pordre de la logique, de
laa mathématique et du physique, la science s'était établie dans sa certitude. Or
Péclatt de ces découvertes scientifiques était Ie résultat d'un toumant dans la
pensee,, fait par la mathématique, la physique et la logique. C'est dans cette
sériee historique des tournants analogues Pun a Pautre que la critique s'inscrit.
Enn 1786 Kant présente eet ordre historique d'une maniere inverse. La
trouvaillee du concept d'orientation comme concept heuristique presuppose
Pabstractionn en trois étapes, nommées géographique, mathématique et logique.
Cett ordre est en soi du genre systématique, c'est-a-dire qu'il énumère les phases
d'abstractionn réalisées par la raison pour arriver au niveau de son autoillumination,, de la manifestation de ses concepts. Ainsi Pordre historique et
Pordree systématique se trouvent-ils dans un rapport symétrique de reflexion,
similairee au rapport de la main gauche è la main droite. Leur rapport est done
incongruent. .
Lee progrès dans les sciences suit Pévolution des tournants qui ne rend
possiblee pour la science spécifique de trouver des vérités que si elle cherche en
respectantt les conditions heuristiques. La pensee ne peut trouver de vérité que si
ellee découvre la logique comme Pensemble des régies auxquelles elle doit
obéir.. La mathématique sera dans Perrance aussi longtemps qu'elle ne connaitra
ett n'obéira pas a ses propres lois, et la même chose vaut pour la physique.
Analogiquement,, la critique est cette tournure par laquelle la métaphysique
394 4
trouvee les conditions de sa propre possibility k savoir son existence comme
sciencee des choses (et non pas comme pensee seule comme Ie voulait la
dogmatiquee rationaliste). Dans leur développement historique, les sciences
suiventt 1'exemple de la logique pour trouver leurs propres conditions. Pour Ie
pouvoir,, il faut que les sciences sachent les articuler et les manifester, ce qui
relèvee d'un processus inverse. L'usage empirique de régies (de concepts) est Ie
pointt de depart a Pélargissement de leur sphere d'application et P« exemple »
analogiquee n'est pas des lors un exemple a suivre ou a generalise^ mais elle est
enn soi transformation et transfert. Pour que la logique puisse trouver sa tournure
decisivee qui servira 1'exemple a la physique et done è 1'usage empirique des
conceptss (physiques), il lui faut déja être constituée analogiquement et de
manieree élargie a la base de eet usage empirique. La condition de possibilité
historiquee de la vérité en physique a done la physique (1'usage empirique des
concepts)) comme sa propre condition.
Danss ce cercle de co-implication, dans 1*imbrication de deux cercles duu systématique et de Phistorique -, la trouvaille de la critique fait irruption en
less recouvrant tous les deux. La critique décrit les conditions de possibilité de
toutess les sciences (logique, mathématique et physique), en suivant P exemple
dee ces sciences et en élargissant leurs concepts respectifs. Elle décrit leur
conditionss en determinant les limites de 1'usage des facultés sur lesquelles elles
see fondent (intuition pour la mathématique, entendement pour la logique,
intuitionn et entendement pour la physique). Elle suit 1'exemple historique du
tournantt dans la logique en 'inventant' une logique transcendantale. Pour
pouvoirr arriver a cette autre conception de la logique, elle a du retourner de la
logiquee è 1'usage empirique des concepts, a ce qui est la destination naturelle
(eigentliche(eigentliche Bestimmung; O, 5: 267) de tout concept, ce que 1'on déduit de
1'impossibilitéé de les abstraire entièrement des representations imaginaires.
C'estt done dans 1'usage empirique que Kant découvre que tout concept a eet
usagee comme but et que cette destination procure a la philosophie son critère
décisif. .
Danss la dissertation de 1'année 1770 De mimdi sensibilis atque
intelligibilisintelligibilis forma et principiis se trouve une formule révélatrice a ce respect.
Auu paragraphe 23, concernant la methode touchant au sensible et a Pintellectuel
danss Ie champ de la métaphysique, il est dit (dans la traduction allemande de
Hinske): :
Inn allen Wissenschaften, deren Grundsatze anschaulich gegeben werden
-- entweder durch Sinnesanschaung (Erfahrung) oder durch sinnliche,
aberr doch reine Anschauung (die Begriffe des Raumes, der Zeit und der
Zahl)) -, d.i. in der Naturwissenschaft und Mathematik, gibt der
Gebrauchh die Methode (usus dat methodum), und nachdem die
Wissenschaftt zu einigem Umfang und Zusammenhang fortgeschritten
395 5
ist,, leuchtet durch Versuche und Entdeckungen auf: welche Weg und
welchess Verfahren man einschlagen müsse, damit sie zur Vollendung
kommm (MSI, 5:81).
Enn essayant par experimentation, on peut trouver le chemin scientifique correct
:: usus dat methodum. La certitude pré-critique des sciences quant è leur capacité
dee trouver les vérités se fonde sur la foi de Kant, peut-être naïve, en Pautoévidencee de Pintuition. Cela veut dire que, a Pépoque, il fait confiance k
Pévidencee mathématique pour Pintuition, et è Pexigence rationnelle de devoir
présenterr è Pintuition des exemples pour affirmer toute pretention è la vérité
physique. .
Enn métaphysique, qui est une science pure, cette evidence intuitionelle,
parr definition, ne se donne pas et c'est la que la methode doit précéder la
sciencee (methodus antevertit omnem scientiam ; MSI, 5:82). Pour cette raison la
métaphysiquee peut être considérée comme la science rationnelle qui consiste
danss Pauto-exposition de la raison dans sa disposition naturelle et Pexposition
dess lois qui lui servent de fondements. Le critère de la methode métaphysique
estt done e trouver dans sa pureté, et même si Kant ne sait pas encore comment
laa trouver, une chose est claire pour lui: la methode en métaphysique exige la
strictee separation du sensible et de Pintellectuel, et defend toute espèce de
contagionn de Pintellectuel par le sensible (sensitivae cognitionis cum
intellectualiintellectuali contagium ; MSI, 5:84).
Orr ce que Pouverture d'Orientieren suggère, c'est que la trouvaille des
conceptss purs (logiques et heuristiques) se fait bien au moyen de Pusage concret
dess concepts. Kant a done trouvé un usage qui n'est pas contagieux, et eet usage
estt celui que nous allons découvrir comme un procédé analogique et élargissant.
Laa critique fournit la pureté méthodique de la métaphysique par « analogisation
»» : usus dat methodum aussi dans la métaphysique si Pon ne se concentre pas
surr les données de eet usage, mais sur P abstraction faite de Pusage même. De
eett autre usus, Pouverture d'Orientieren en parle sous le titre de
ErfahrungsgebraucheErfahrungsgebrauche et le texte Passocie a la faculté empirique d'or
dontt Pusus donne la methode de s'orienter dans la pensee.2
277
Dans la première critique (A), Kant fait une autocritique sur ce point « Nun sollt man denken,
daBB der durch die transz. Asthetik eingeschrankte Begriff der Erscheinungen schon von selbst die
objektivee Realitat der Noumenorum an die Hand gebe [...] und die Einteilung der GegenstSnde in
Phaenomenaa und Noumena, mithin auch der Welt, in eine Sinnen- und eine Verstandesweh
(munduss sensibilis et intelligibilis) berechtigte » (KRV, A249, 298). Mais Kant rejette cette
suggestion,, qui veut conclure a la chose intelligible a partir du phénomène qui en est la
consequencee secondaire. Cette chose n'est qu'un objet transcendental, est 1'objet 'überhaupt' dont
less categories sont les determinations au moyen de données sensibles. (« [Die Kategorien] dienen
nurr dazu, das transzendentale Objekt (den Begrifif von etwas überhaupt) durch das, was in der
Sinnlichkeitt gegeben ist, zu bestimmen, urn dadurch Erscheinungen unter Begriffen von
Gegenstflndenn empirisch zu erkennen » (KRV, A250, 299-300). Autrement dit, la pureté - les
categoriess - n'est pas isolable dans un monde intelligible, mais elle est provoquée par et en
396 6
«« Eigentliche Bestimmung » des concepts dans ia première critique
Quell que soit son dégré d'abstraction, tout concept» selon Orientieren, conserve
dess traces de sa provenance concrete. L'abstraction n'est jamais complètement
achevée.. Un aspect imaginatif perdure dans les concepts, des images {bildliche
Vorstellungen)Vorstellungen) y adherent toujours. Il nous faut penser a des termes comm
substance,, causalité ou totalité, qui fonctionnent sur un niveau abstrait, mais
auxquelss sont attachées des images concretes, si Ton les regarde de plus prés.
Laa substance se réfère en effet a Facte porteur {sub-stare), la causalité a une
chosee bien délimitée {causa) et la totalité a la collection complete des elements.
Commee Ie montrent ces exemples, 1'étymologie peut aider a trouver les images
originairess {totus derive d'une racine signifiante 'gonfler').
Maiss pour Kant, le rapport de 1'image au concept n'est pas simplement
dee 1'ordre de 1'étymologie sémantique.28 L'enjeu est justement de sortir du
réseauu purement sémantique, oü - pour le dire dans le langage structuraliste - le
senss est 1'effet des rapports entre les signifiants dans un champ partagé. L'enjeu
dee la philosophie transcendantale est précisément de montrer que la
significationn ne se reduit pas a la logique horizontale des rapports conceptuels,
maiss qu'elle ne se constitue qu'è partir de la profondeur « verticale » de
1'intuitionn évoquée par VEmpfindung. II n'y a pas de signification sans rapport a
1'extérioritéé du langage et de la pensee. Toute pensee est une pensee sur quelque
chose,, tout d'abord sur une chose telle qu'elle se présente dans 1'intuition. La
phénoménologiee kantienne implique, avant tout, la mise en discours de
1'intuition,, de la figure, a laquelle le discours doit faire reference directement ou
indirectement.. Fondamentale a la pensee transcendantale de Kant et a la critique
estt la these qu'il n'y a pas de sens et de signification {Sinn und Bedeutung) pour
less concepts sans cette reference a une intuition {Anschauung). Le terme Sinn
signifiee « avoir le sens pour...» ; Bedeuten est« pointer vers quelque chose ».
Orr c'est seulement dans ce sens qu'on peut parler d'une etymologie
kantienne.. Il ne s'intéresse a la découverte de Yétumos logos, a la découverte du
vraii sens d'un mot, que dans la mesure oü la vérité est celle d'une experience.
Laa sémantique kantienne est complètement englobée dans la philosophie
critiquee de Pexpérience.29
cooperationn avec les données sensibles pour en constituer des objets empiriques. Les concepts
purss ne sont que des fonctions de la pensee. « Die Kategorie ist doch eine bloöe Funktion des
Denkens,, wodurch mir kein Gegenstand gegeben, sondern nur, was in der Anschauung gegeben
werdenn mag, gedacht wird »(KRV, A253,301).
299
Ainsi Formigari qui remarque que la question du signe et de la signification repose sur le
schematismee comme rapport entre concept et intuition (Lia Formigari La sémiotique empiriste
faceface au kantisme. Liège: Pierre Mardaga, 1994).
299
Pour une discussion de la sémiotique de Kant, comparée a celle de Peirce, nous référons le
lecteurr a Umberto Eco Kant et Vornithorynque. Paris: Grasset, 1999 (1997), pp. 8Iff.
397 7
Sii Ton se rend compte de ceci, on ne peut que découvrir combien Ie texte
OrientierenOrientieren fait echo au chapitre Vort dem Grimde der Unterscheidung aller
GegenstandeGegenstande überhaupt in Phaenomena und Noumena, qui, dans la première
critique,, fait Ie lien entre la partie analytique et la partie dialectique. L'ouverture
commencee par la fameuse comparaison de la raison avec un océan, dans lequel
1'entendementt pur est comme une ïle. L'océan donne occasion è Fillusion et è
laa SchwarmereU 1'ïle en revanche est comme Ie sol fiable et stable de la pensee,
ellee représente 1'analytique critique. D'un cöté eet océan est la limite (Grenze)
imposéee par la nature a 1'entendement, d'un autre cöté l'océan incite
inlassablementt et tout naturellement Ie penseur a 1'aventure, une aventure « von
denenn er niemals ablassen und sie doch auch niemals zu Ende bringen kann »
(KRV,, B295, 287). Seduction permanente, désir de transgression naturel,
impossiblee accomplissement de ce désir. L'analytique critique est cette
recherchee profonde (Untersuchung) dont Ie but est de montrer clairement au
penseurr les limites de 1'usage de son entendement, pour qu'il ne s'égare
(yerirrt)(yerirrt) pas continuellement sur l'océan sans orientation (KRV, B298, 289). «
Wirr haben namlich gesehen : daB alles, was der Verstand aus sich selbst
schöpft,, ohne es von der Erfahrung zu borgen, das habe er dennoch zu keinem
anderenn Behuf, als lediglich zum Erfahrungsgebrauch » (KRV, B295, 288). La
fonctionn critique de l'analytique est ainsi a réduire a un simple point de
convergence. .
Cettee these préparé 1'implication de rimaginaire dans tout concept, au
débutt d'Orientieren. Kant souligne que 1'entendement n'a qu'un seul usage
legitime,, a savoir 1'usage empirique, et qu'il n'y a pas d'usage transcendantal
dess categories (KRV, B303, 296). Les concepts purs de l»entendement ne
recoiventt leur signification que dans leur application a des phénomènes
{Erschemungen){Erschemungen) comme les seuls objets de toute experience possible (K
B298,289). .
Zuu jedem Begriff wird erstlich die logische Form eines Begriffs (des
Denkens)) überhaupt, und dann zweitens auch die Möglichkeit, ihm
einenn Gegenstand zu geben, darauf er sich beziehe, erfordert. Ohne
diesenn letzteren hat er keinen Sinn, und ist völlig leer an Inhalt, ob er
gleichh noch immer die logische Funktion enthalten mag, aus etwaigen
datiss einen Begriff zu machen (KRV, B298,289-290).
Lee raisonnement concernant Ie sens reprend la formule célèbre selon laquelle
less intuitions sans concepts sont aveugles et les concepts sans intuitions sont
videss (par exemple KRV, B75,95).
Nunn kann der Gegenstand einem Begriff nicht anders gegeben werden,
alss in der Anschauung, und, wenn eine reine Anschauung noch vor dem
398 8
Gegenstandee a priori möglich ist, so kann doch auch diese selbst ihren
Gegenstand,, mithin die objektivc GUltigkeit, nur durch die empirische
Anschauungg bekommen, wovon sie die blofie Form ist. Also beziehen
sichh alle Begriffe und mit ihnen alle Grundsatze, so seht sie auch a
priorii möglich sein mogen, dennoch auf empirische Anschauungen, d.i.
auff data zur möglichen Erfahrung (KRV, B298,289-290).
Less concepts logiques comme les concepts mathématiques, indéniablement a
priori,priori, ne recoivent leurs significations que par Ie biais de la demonstration, de
YexpositionYexposition selon la terminologie technique de la métaphysique.30 « [Man]
erfordert,, einen abgesonderten [c.-è.-d. abstraité] Begriff sinnlich zu machen,
d.i.. das ihm korrespondierende Objekt in der Anschauung darzulegen, weil ohne
diese,, der Begriff (wie man sagt) ohne Sinn, d.i. ohne Bedeutung bleiben würde
»» (KRV, B299, 290). Le sens des chiffres, aussi abstrait qu'il soit, ne s'explique
quee par i'intuition (Versinnlichung) qu'on peut en avoir avec les doigts ou un
boulierr (le chififre 5 dans le chapitre sur le schematisme ; KRV, BI79, 199). La
mêmee chose vaut pour les categories. Même si un concept est généré de
manieree a priori, son usage significatif ne se trouve fïnalement que dans
1'experience.. Ainsi Kant veut montrer qu'il n'y a pas de definition réelle des
categoriess sans recours aux conditions de la sensibilité, sans recours aux formes
aa priori du temps et de Pespace.31 C'est-a-dire que, même si le concept est
généréé d'une maniere a priori, il recoit sa signification de son usage concret
danss 1'experience.
Parr la suite, Kant explique a 1'aide d'exemples ce qui est presuppose
danss Tintroduction a Orientieren. Le concept de grandeur, par exemple, a beau
êtree abstrait, pour 1'expliquer, on doit s'appuyer sur 1*intuition. Une description,
quii n'est pas une definition du concept, le pose comme un ensemble dans lequel
existee une pluralité d'unites (vielmal Eines in ihm gesetzt ist; KRV, B300,292).
Cettee multitude de fois oü Pélément unitaire est ajouté dans la chose, se fonde,
implicitement,, sur un geste (poser), sur 1'usage pratique d'une repetition
successivee {sukzessive Wiederholimg) et par conséquent sur le temps et la
synthesee d'une pluralité d'unités dans 1'intuition temporelle. Le concept de
ExpositionExposition peut être ainsi prise au pied de la lettre: 'poser-en-dehors'. Selon Kant
rentendementt ne peut rien prescrire quant aux choses-mêmes, mais il ne peut qu'anticiper la
formeforme de I'expérience possible. Ainsi, explique Kant, les principes de Fentendement sont des
principess de I 'exposition des phénomènes (Èrscheinungenj, c'est-a-dire de la maniere dont le
sujett s'imagine 1'existence des choses en dehors de lui-même. Cette trouvaille de la fonction
d'expositionn de rentendement est tellement fondamentale, qu'elle remplace selon Kant
1'ontologie.. « Der stolze Name einer Ontologie, welche sich anmaBt, von Dingen überhaupt
synthetischee Erkenntnisse a priori in einer systematischen Doktrin zu geben [...] mufi dem
bescheidenen,, einer bloBen Analytik des reinen Verstandes, Platz machen » (KRV, B303, 296).
Pourr une interpretation du terme exposition par rapport a Vexhibition, voir chapitre 5.
311
Kant explique en outre qu'une definition pure, sans ce recours, n'existe pas (KRV, A241-242,
293-294,, cf. KRV, A 245).
399 9
réalitéé ne re9oit sa signification dans 1' imagination concrete que comme un
tempss rempli de queïque chose; la substance ne signifïerait rien sans la
'connaissance'' experimental de la permanence d'une chose a travers Ie flux
temporei;; la causalité serait sans signification si on ne la comprenait pas comme
laa regie selon laquelle on conclut a 1'existence d'une chose a partir d'une autre
etc.. (KRV, B300-301,293-294).
Mitt einem Worte, alle diese Begriffe lassen sich durch nichts belegen,
undd dadurch ihre reale Möglichkeit dartun, wenn alle sinnliche
Anschauungg (die einzige, die wir haben), weggenommen wird, und es
bleibtt dann nur noch die logische Möglichkeit übrig, d.i. daB der BegrifF
(Gedanke)) möglich sei, wovon aber nicht die Rede ist, sondern ob er
sichh auf ein Objekt beziehe, und also irgend was bedeute (KRV, B302303,294). .
Laa suggestion de Kant est que, si Ton utilise des concepts abstraits, on
presupposee qu'ils ont du sens. Or ce sens ne se découvre que par Ie biais de
Fexpériencee concrete, c'est-a-dire de la temporalité. Pour Kant, penser, selon Ie
modee humain, n'est possible que dans Ie temps, même si 1'homme a cette
capacitéé miraculeuse de penser comme si Ie temps ne jouait pas de role. Ce qui
doitt être tacitement supprimé dans tout raisonnement abstrait et pur, dans la
mathématiquee et dans la logique, c'est 1'adhérence du sens a 1'usage concret. La
logiquee ne traite que de la forme du concept, de sa fonction concernant Ie
rassemblementt du pluriel sous une unité. De la formalité conceptuelle, on ne
peutt rien conclure en ce qui concerne robjet. La fonction abstraite des concepts
presupposee la fonction schématique pour que Ie concept revive sa signification
(KRV,A245,295). .
Danss cette perspective, la critique transcendantale est une maniere de
repérerr Poblitération du schematisme dans '1« usage » pur des concepts dont il
estt question dans la logique et la mathématique.32 Ainsi elle apprend au penseur
less limites des concepts et elle rempêche de conclure a la possibilité
transcendantalee des choses è partir de leur possibilité logique (KRV, B302,
294),, cela pour la raison que, comme Ie souligne Kant, 1'usage des concept purs
nee peut être qu'empirique et ne sera jamais transcendantal, c'est-a-dire qu'il
concernee les choses comme elles sont données dans 1'intuition sensible et non
pass les choses-en-soi (Dinge überhaupt, ohne Rücksicht auf die Art zu nehmen,
wiewie wir sie anschauen mogen ; KRV, B303,296).
322
Obliteration qui est en plus comprehensible dans la mesure oü Kant caractérise Ie schematisme
lui-mêmee comme un art cache (yerborgene Kunst; KRV, BI 80,200).
333
Un peu plus loin d'ailleurs, Kant parte tout de même de 1'usage transcendantal du concept, sous
lequell il entend la determination de Ia pensee d'un objet en general, et non pas la determination
d'unn objet Or, dit il, cette expression « usage transcendantal » n'a pas de sens, puis que 1'usage
Gebrauch)Gebrauch) implique la faculté de jugement (Urteilskraft) et Ie jugement implique la subsomption
400 0
LaLa crux critica de la critique
Laa these de Pindissolubilité du schema et du concept se traduit dans Ie début
ÜOrientierenÜOrientieren par la position selon laquelle même les concepts places (anlegen,
étant:: 'viser' comme Ie chasseur vise sa proie, a comparer k la fonction des
motss selon Lyotard dans Discours, figure) au niveau Ie plus élevé et Ie plus
abstraitt sont encore imprégnés d'images, qui ont pour fonction de rendre
possiblee 1'usage empirique (Erfahrungsgebrauche) des concepts (O, 5:267).
Remarquonss bien : Kant ne fait pas provenir Ie concept pur de F experience. Il
presupposee 1'existence des concepts purs et a priori. Il affïrme seulement que
cess concepts resteraient inconnus et inutiles, si Phomme ne les « incarnait» pas
danss des termes, dans des métaphores - a condition que Ton comprenne que la
puretéé absolue ne s'exprime que métaphoriquement - et que F entendement
humainn a construit de tels concepts, désormais aptes a Fusage empirique, usage
quii est, selon le paragraphe introducteur a Orientieren, leur destination
essentiellee {eigentliche Bestimmung).
L'indépendancee de 1'experience des categories, quant a leur
provenance,, est fondamentale pour la possibility de la philosophic critique ellemême.. « Die Kategorien griinden sich ihrem Ursprunge nach nicht auf
Sinnlichkeitt [...]; scheinen also eine über alle GegenstMnde der Sinne erweiterte
Anwendungg zu verstatten » (KRV, B305, 299-300). Comme les categories ne
sontt que des formes (Gedankenformen) de la pluralité de F intuition et des
manièress de lier le pluriel {Verbindungsart des Mannigfdltigen), sans sensibilité
elless n'ont aucune signification. Ainsi toute pretention a la connaissance des
choses-en-soi,, choses de Fentendement (Verstandeswesen) ou noumena est
fausse.. L'entendement ne fournit que des categories, des formes de la pensee, et
ill aurait besoin d'une intuition intellectuelle pour avoir des choses è disposition
dee son usage. Or il faut discerner, selon la critique, le noumenon positif et le
noumenonnoumenon négatif. Le premier est un objet presuppose par F intuition insensible,
parr 1'intuition intellectuelle; F autre est un non-objet de Fmtuition sensible. La
critiquee est comme un Janus bifrons: F analyse de la sensibilité positive
impliquee nécessairement une theorie du noumenon dans le sens négatif (KRV,
B306-307,301-302). .
(Subsumtion).(Subsumtion). Le schema est la condition formelle qui rend possible la soumission de ce qui est
donnéé dans Fintuhion au concept Sans qu'on presuppose même tacitement 1'adhérence
empiriquee du concept pur, dans une categorie pure done qui fait abstraction de toute condition de
Fintuhionn sensible et humaine (von aller Bedingung der sinnlichen Anschauung, als der einzigen,
diedie wis moglich ist, abstrahiert wird \ le complément schématique de la fonction conceptuelle
disparaitra,, et il n*y aurait pas question de subsomption, ni par conséquent d'un usage des
concepts.. Ainsi « der bloB transcendentale Gebrauch der Kategorien ist in der Tat gar kein
Gebrauchh [...]». Bref: les concepts purs (categories) sans lews conditions formelles de sensibilité
n'ontt pas d'usage transcendantaL puis que tout usage est impossible quand aucune des conditions
dee Fusage est remplie. Le schema est la trace indispensable de Fempirique dans Fabstrait, qui
garantitt la possibilité de Fusage des categories (KRV, B304,297).
401 1
Cettee structure « bifrontique » découverte par la critique, est fondamentale pour
laa dynamique de la pensee. C'est dans cette dynamique que s'insère la solution
aa la question de F orientation dans la pensee. L'argument qu'est peut-être Ie plus
'crucial'' de la première critique, puisqu'il s'agit du crux de la critique, se
formulee ainsi:
Wennn ich alles Denken (durch Kategorien) aus einer empirischen
Erkenntniss wegnehme, so bleibt gar keine Erkenntnis irgendeines
Gegenstandess übrig ; denn durch blofie Anschauung wird gar nichts
gedacht,, und, dafi diese Affektion der Sinnlichkeit in mir ist, macht gar
keinee Beziehung von dergleichen Vorstellung auf irgend ein Objekt aus.
Lassee ich aber hingegen alle Anschauung weg, so bleibt doch noch die
Formm des Denkens, d.i. die Art, dem Mannigfaltigen einer möglichen
Anschauungg einen Gegenstand zu bestimmen. Daher erstrecken sich die
Kategorienn sofern weiter, als die sinnliche Anschauung, weil sie Objekt
überhauptt denken, ohne noch auf die besondere Art (der Sinnlichkeit)
zuu sehen, in der sie gegeben werden mogen. Sie bestimmen aber
dadurchh nicht eine gröBere Sphere (KRV, B309,303-304).
Lee crux critica consiste dans une incongruence essentielle pour la connaissance
dee la vérité. Du point de vue empirique, une connaissance peut bien être
adequationn du concept et de 1' intuition et par consequent vraie ; du point de vue
théoriquee cette adequation cache une non-adéquation oü le concept déborde de
1'intuitionnable.344 A la fois adequate et non-adéquate, rincongruence du crux
criticacritica se traduit par une tension entre « restriction empirique du concept »
{begrenzen),{begrenzen), présupposée a sa fonction de determination, et « élargissement »
{weiter{weiter erstrecken), donné avec son caractère disproportionné par rapport a
1'intuition.. Cette extension est negative, en ce qu'elle ne couvre pas une sphere
réellementt occupée par des intuitions sensibles {negative Erweiterung; KRV,
B312,305). .
Incongruentt est ainsi le concept pur puisqu'il se laisse restreindre par
Pintuitionn sensible pour produire de la connaissance, et a la fois il suggère,
d'unee maniere negative, un autre « objet », propre a une autre intuition,
inhumainee et done imaginaire. Cet objet, le noumenon, est problématique, en ce
quee premièrement il ne contient pas de contradiction interne, deuxièmement il
344
On trouve une formule chez Eric Weil qui explique cette incongruence :« Ce que nous savons,
maiss ne connaissons pas fonde ce que nous connaissons, mais ne comprenons pas parce que son
contenuu est, pour notre passivité, pur donné» dans toute la mesure oü nous le connaissons. ». Et il
enchainee en soulignant que cette structure chiasmatique que nous avons nominee avec la
terminologiee kantienne « incongruence » presuppose la déconstruction de Vintellectus intuitu*. «
Seull un intellect intuitiX une intuition intellectuelle, un entendement originaire, un intellectus
archetypusarchetypus connahrait pas la pensee, étant pure activity pur acte, pure presence a lui-méme »
(Ericc Weil Problèmes kantiens. Paris: Vrin, 1990, p.30).
402 2
n'aa pas de réalité objective et ainsi il est vide, et troisièmement il est» en dépit
dee tout, nécessaire puisqu'il montre, dans sa vacuité, la limite de 1'adequation
épistémologiquee et done de la connaissance humaine et qu'il est ainsi un
GrenzbegriffGrenzbegriff (KRV, B310, 305).35 Le concept pur est a la fois la condition
positivee de 1'expérience adequate et la condition negative de sa delimitation. Le
mêmee concept a deux fonctions incommensurables, il est done incongruent.36
Connaissancee et auto-1 imitation vont de pair, 1'application constitutive du
conceptt a Pexperience par le schema a pour contrepartie nécessaire la
determinationn de la limite du connaissable par la probléma. Le problème est
Aufgabe.Aufgabe. Ou bien le schema en fournit la solution - comme dans Ia geometrie
antiquee -, ou bien on doit arrêter (aufgebeh) de chercher une solution
quelconquee (HWPh, 7:1402). \J incongruence dans le crux critique est celle
qu'exprimee le doublet schéma-probléma, et encore, comme nous allons le voir
danss un instant, celui de schéma-symbole.31
Cettcc argumentation revient impliritement dans 0,5:271.
Kant en tire encore la conclusion que non seulement le concept pur dans son Erweiterung est
problématiquee (logiquement non-contradictoire, réellement sans contenu, indispensable selon la
critique),, mais que le concept d'un entendement intuitif (intellectus intuitus) Test également «
Derr Begriff eines Noumeni, bloB problematisch genommen, bleibt dem ungeachtet nicht allein
zul&sig,, sondern, auch als ein die Sinnlichkeit in Schranken setzender Begriff, unvermeidlich.
Aberr alsdann ist das nicht ein besonderer intelligibeler Gegenstand für unseren verstand, sondern
einn Verstand, für den est gehorte, ist selbst ein Probléma, namlich, nicht diskursiv durch
Kategorien,, sondern intuitiv in einer nichtsinnlichen Anschauung seinen Gegenstand zu erkennen
»» (KRV, B311-312, 305). L'intuition intellectuelle est done pour la critique un Grenzbegriff qui
estt nécessairement posé par la pensee.
377
Ce que nous avons élaboré comme Fincongruence du concept peut être approfondi dans un
autree vocabulaire comme un conflit dans 1'entendement Kant suggere quelque part que tous les
conceptss philosophiques soient issus de rentendement, et que la raison n'est que cette 'force'
(Vermogen)(Vermogen) qui libere des concepts purs de rentendement de leur restriction empiriques. Dans
cettee esquisse 1'incongruence de la crux critica est concue comme resultant de la bataille entre
deuxx forces, Tune restreignant (intuition), l'autre élargissant (raison). « Wir mussen bemerken,
daBB nur der Verstand es sci, aus welchem reine und transzendentale Begriffe entspringen können,
daBB die Vemunft eigentlich gar keinen Begriff erzeuge, sondern allenfalls nur den
Verstandesbegriff,Verstandesbegriff, vond den unvermeidlichen Einschrankungen einer möglichen Erfahrung,
mache,mache, und ihn also Ober die Grenzen des Empirischen, doch aber in Verknnpfung mit demselben
zuu erweitern suche » (KRV, B435,439). L'opposition des forces, et done toute la thématique de
NegativenNegativen Gröfie revient également dans Introduction è Ia dialectique transcendantale, oü Kant
expliquee 1'apparence transcendantale (transzendentale Scheiri) k partir de et par analogie k la
faussee apparence sensible, qui est due k la confusion des representations sensibles et des concepts
d'entendementt Cette subreption facultaire est causee par « den unbemerkten EinfluB der
Sinnlichkeitt auf den verstand [...] wodurch es geschieht, das die subjektiven gründe des Urteils
mitt den objektiven zusammenflieBen, und diese von ihrer Bestimmung abweichend machen, so
wiee ein bewegter Körper zwar fur sich jederzeit die gerade Linie in derselben Richtung hahen
wttrde,, die aber, wenn eine andere Kraft nach einer anderen Richtung zugleich auf ihn einflieBt, in
krummlinigee Bewegung ausschlSgt [...] Es wird daher nöüg sein, das irrige urteil als die
Diagonalee zwischen zwei Krflften anzusehen »(KRV, B350-351,335).
366
403 3
OrientationOrientation grace a /'incongruence dans le concept pur
Lee terme incongruence nous est suggéré par Kant dans le texte concernant les
GegendenGegenden que nous avons présenté comme étant une étape préparatoire è la
trouvaillee de la critique. L'argumentation de Gegenden est reprise dans
Orientieren,Orientieren, dans le texte done qui suggère dans son ouverture une maniere de
trouverr des notions pures, logiques ou heuristiques, a la base de Pusage
experimentall de Pentendement.
Auff solche Weise ist selbst die allgemeine Logik zu Stande gekommen ;
undd manche heuristische Methode zu denken liegt in dem
Erfahrungsgebrauchee unseres Verstandes und der Vernunft vielleicht
nochh verborgen, welche [...] die Philosophic wohl mit mancher
nützlichenn Maxime, selbst im abstrakten Denken, bereichern könnte (O,
5:267). .
Danss Gegenden Kant avait montré des faits spatiaux qui invalidaient la doctrine
dee Leibniz et rendaient plausible celle de Newton, concernant Pespace absolu.
L'espacee absolu a été avance comme le fondement nécessaire a la possibilité de
VV incongruence géométrique. Une reduction a la geometrie situationniste
n'expliquaitt en effet pas des differences entre des regions, qui se manifestaient
toutt de même durch eine klare Empfindung (Gegend, 2:997). Cette Empfindung
estt corporelle, relève du sentiment distinctif de la gauche et de la droite, et est
ainsii comme Pindice du fondement intérieur {innere Grund der
VerschiedenheitVerschiedenheit;; Gegend, 2:999) des choses, nécessitant le concept de Pes
absolu.. Bref, Vincongruence dans Pespace renvoie au phénomène de la
régionalitéé et exige une faculté d'orientation, intimement liée au sentiment du
corps. .
Nouss Pavons déja dit, dans Orientieren Kant traite de la faculté d'orientation
surr trois niveaux successifs : géographique, mathématique et logique.
L'augmentationn en abstraction est générée par le processus de Panalogie, qui
trouvee son point de depart dans Porientation géographique et corporelle.
Sichh orientieren heiBt, in der eigentlichen Bedeutung des Worts aus
einerr gegebenen Weltgegend (in deren vier wir den Horizont einteilen)
diee übrigen, namentlich den Au/gang zu finden (O, 5:269).
Danss le mot orientieren se trouve un trait empirique, une image : celle de
Porientt ou de levant, direction oü se léve le soleil. L'orientation géographique
équivautt done a Porientation empirique, comme le suggère le complément in
derder eigentliche Bedeutung (a comparer a le passage sur Yeigentliche
404 4
BestimmungBestimmung der Begriffe (O,5:267) et au sens du terme Bedeutung ci-dessus).
Laa recherche géographique a besoin d*un sentiment subjectif, différenciant la
droitee de la gauche (Geföhl eines Unterschiedes an meinem eigenen Subjekt,
namlichnamlich der rechten un linken Hand; O, 5:269). Kant spécifie son usage du
termee Gefiïhl, en Ie rendant équivalent è Findice intérieur et done pas Hé è une
differencee visible. « Ich nenne es ein Gefiïhl; weil diese zwei Seiten auBerlich
inn der Anschauung keinen merk lichen Unterschied zeigen » (O, 5:269). Geföhl,
sentiment,, est ce qui signalise de Ia difference, la oü elle ne se montre pas dans
Iee monde extérieur.39
Orr comme Fincongruence dans F espace qui presuppose la régionalité se
signalee par un sentiment, c'est aussi un sentiment qui se fait signal de ce qu'on
vientt de caractériser comme 1'incongruence subjective, F incongruence de la
categoriee a la fois adequate et inadequate a F intuition, incongruente puisqu'il
s'agitt de deux points de vue sur Ie concept pur, deux perspectives
incommensurables.. Ce crux critica est la tension dans Fesprit entre la tendance
naturellee vers Fintuitionnable {eigentliche Bestimmung; O, 5:267) et Ie désir de
laa raison de s'élargir au-dela de F experience (erweitern will; 0,5:270).
Rienn d'étonnant alors a ce que Kant ne caractérise cette tension è
nouveauu comme un sentiment (Gefiihl), puisque c'est par elle qu'on découvre
unee difference la oü elle ne se montre pas a première vue, a savoir la difference
entree eigentliche Bestimmung et Ie besoin inherent a Ia raison. L'orientation
danss la pensee exige que Ie sujet fasse la difference entre ce qui est realisable et
cee qui ne Fest pas, entre schema et problema, entre Ie besoin auquel peut
répondree F intuition expérimentale et Ie besoin que F experience objective ne
peutt satisfaire mais auquel peut répondre une idéé subjectivement
indispensable,, comme par exemple F idéé de Dieu. De même que dans
FF orientation géographique Ie sentiment inherent au corps montre la region du
levant,, de même, dans F orientation logique, c'est-a-dire dans F orientation de la
388
En 1775 Kant a défini la géographie comme une science pragmatique, préparatoire pour
1'applicationn de connaissance scolaire a la vie. « Die physische Géographie [...] gehort zu einer
Idee,, welche ich mir von einem nutzlichen akademisenen Unterricht mache, den ich: die
Vorübungg in der Kenntnis der Welt nennen kann. Diese Weltkenntnis ist es, welche dazu dient,
allenn sonst erworbenen Wissenschaften und Geschicklichkeiten das Pragmatische zu verschaffen,
dadurchh sie nicht blofi vor die Schule, sondem vor das Leben brauchbar werden, und wodurch der
fertigg gewordene Lehrling auf den Schauplatz seiner Bestimmung namlich in der Welt eingeführt
wird.»» (Von den verschiedenen Rassen der Mensenen, 9:26, è compare a Antr,. 6). La géographie
estt pour Kant la description rhapsodique des faits divers, concemant 1'histoire naturelle et
culturelle,, c'est-a-dire des phénomènes qui, relativement a 1'espace, se produisent dans Ie même
temps.. Hans (Eisler Kant-Lexikon. Paris: Gallimard, 1994, pp. 456-457).
399
Cette definition formelle du sentiment rend facile pour Kant a faire des saujs d'abstraction et
d'introduiree les termes, a première vue paradoxaux, de Geföhl des der Vernunft eigenen
BedQrfhissesBedQrfhisses (O, 5:270) et Geistesgefühl (KdU, XLV1IL 29). La position de Kant vis-a-vis du
sentimentt est d'ailleurs souvent ambigu. D'un cóté c'est Ie sentiment qui signale Ie besoin, de
1'autree c'est Ie besoin qui crée Ie sentiment« Die Vernunft fühlt nicht; sie sieht ihren Mangel ein,
undd wirkt durch den Erkenntnistrieb das GefÜhl des Bedflrfhisses »(0,5:274).
405 5
pensee,, Ie sentiment inherent a la pensee montre oü et comment trouver Pidée
indispensable.. Kant dit clairement que Ie sentiment fonctionne parrapportaux
ideess comme fondement subjectif de la différenciation et qu'il determine la
facultéé de juger. « Dies subjektive Mittel [...] ist kein anderes, als das Gefühl
dess der Vermmft eigenen Bedürfiiisses » (O, 5:270). Le sentiment d'un besoin,
inherentt a la raison, nous guidera dans la pensee qui ne peut plus s'appuyer sur
dess repères empiriques ou mathématiques.
UU incongruence de la crux critica est la tension entre restriction par
1'intuitionn et désir d'élargissement, tension qui se manifeste dans un sentiment
qui,, de maniere analogique au sentiment géographique, oriente la pensee. La
manieree dont la tension se montre rend évident qu'elle est inherente a la raison,
qu'ellee en est un aspect naturel puisque la raison veut plus que vivre dans la
réalitéé expérimentale. Le sentiment de la crux critica est en même temps
sentimentt d'un besoin que définit la tension elle-même. Le concept est la pour
Pusagee empirique, d'oü la tendance restrictive. La restriction ne peut être
réaliséee que par Papplication a 1'intuition sensible adequate. Cependant le
conceptt est plus large que 1'intuition, il pretend è une sphere übersinnlich. Cette
pretentionn en soi n'est pas une faute, elle est un besoin naturel, pourvu qu'elle
obéissee a certaines conditions, a savoir précisément a la tension critique, au fait
quee le concept demande la realisation. Cette exigence impossible a sat is faire si
lee concept déborde de Pintuition, la pretention de la raison doit tout de même se
plierr a 1'intuitionabilité, ce qui pour les idees signifie qu'elles ne sont
acceptabless rationnellement que dans la mesure oü elles sont au moins utiles è
1'usagee empirique de la raison (wenigstens tauglich zum Erfahrungsgebrauche
unsererunserer Vernunft; O, 5 : 271). Inutiles sont les concepts purs sans
correspondancee adequate dans Pintuition (idees), pour autant qu'on les
considèree comme reels ; utiles sont les concepts dans leur fonction régulatrice,
sii on les utilise par exemple théoriquement pour ordonner téléologiquement
400
Avcc cette fonction d'orientation du sentiment d'un besoin véridique de la raison (a savoir la
foii de la raison), Kant arrive a sa fin. « Der erweiterte und genauer bestimmte BegrifF des Sichorientierensorientierens kann uns bebfllflich sein, die Maxime der gesunden Vernunft, in Diren Bearbeitungen
zurr Erkenntnis übersinnlicher Gegenstande deutlich darzustellen » ( 0 , 5 :268-269). Le sentiment
estt done un fit conducteur indispensable a la raison, non pas directement en étant révélateur
(commee le voulait Jacobi), mais indirectement puisqu'il oriente la raison saine vers la foi
rationnellee comme la réponse & son besoin naturel. II est done clair que Kant ne rejette pas la
defensee par Mendelssohn de la raison saine, il rejette son rationalisme dogmatique. En feit, si
nouss prenons la Logik comme texte autorisé par Kant, le philosophe avait même une grande
estimee pour la faveur apportée è la raison commune. « Der gemeine Menschenverstand (sensus
communis)communis) ist auch an sich ein Probierstein, um die Fehler des künstlichen Verstandesgebrauchs
zuu entdecken. Das heiBt: sich im Denken, oder im spekulativen Vernunftgebrauche durch den
gemeinenn Verstand orientieren, wenn man den gemeinen Verstand als Probe zu Beurteihmg der
Richtigkeitt des spekulativen gebraucht » (Log, 5:484-485). Dans Orientieren, la correction ou la
précisionn de la raison commune de Mendelssohn prepare - nous semble-t-il - la critique esthétique
dee cette raison dans la troisième critique.
406 6
1'amalgamee des experiences ou pratiquement pour pouvoir les poser comme
souverainn bien, comme Idee des höchsten Gutes (O, 5 :274).
Lee crux critica s'enracine dans 1'incongruence du concept
simultanémentt adéquat et inadéquat. Cette incongruence se signale par le
sentimentt de la difference et dans le besoin inherent de la raison. Elle est la
sourcee de la dynamique de la raison et de son aspiration a ce qui dépasse
FF intuition. Or Kant cherche la solution è cette aspiration insatiable dans la
contre-forcee de la tendance è 1'empirique, - non pas, done, dans la tendence a la
SchwarmereiSchwarmerei -, en exigeant des idees qu'elles soient d'une certaine utilité
théoriquee ou pratique pour le monde empirique. On a done deux plans sur
lesquelss le crux critica fonctionne, premièrement celui de Padéquation du
conceptt et de 1'intuition, deuxièmement celui de Pin adequation du concept et de
FF intuition. Sur le premier plan c'est le surplus conceptuel par rapport a
1'intuitionn qui instaure la dynamique de la raison et ainsi Ie désir typiquement
humain.. Sur le deuxième plan c'est le manque d'intuition qui corrige ce désir et
lee transforme en besoin, utile è Pexpérience d'une maniere régulatrice.
PerformativitéPerformativité du texte Orientieren
Enn suivant les trois points de vue, géographique, mathématique et logique, la
notionn ^orientation elle-même spnt élargis. Dans cette procédure, 1'analogie
jouee un róle important. La procédure qui puise son 'énergie' dans
FF incongruence a mené ainsi vers une sorte de « logiftcation » de la notion
empirique.. Par conséquent Kant considère Porientation logique comme « ein
Geschaftt der reinen Vernunft [...] ihren Gebrauch zu lenken, wenn sie von
bekanntenn Gegenstanden (der Erfahrung) ausgehend sich über alle Grenzen der
Erfahrungg erweitern will» (O, 5:270). L'orientation est une activité (Geschdft),
unn geste de Ia raison pour s'élargir è partir de 1'usage empirique des concepts
au-delèè de 1'expérimentable. Or, exprimée juste avant 1'articulation de
l'orientationn logique comme étant enracinée dans le sentiment d'un besoin
rationnel,, la proposition se réfère è la procédure dont elle fait partie, c'est-a-dire
qu'ellee est performative. L'orientation logique est Pélargissement d'un concept
dontt 1'usage est empirique k son usage abstrait. Au moment de la proposition,
eett élargissement de la notion tf orientation est en acte. D'ailleurs, la
performativitéé est valable pour toute la première partie du texte. L'introduction
donnee une sorte de theorie succincte de la trouvaille de notions logiques et
heuristiques,, dans laquelle le développement de la notion $ orientation logique
estt è la fois un exemple et la condition même de possibilité : en effet, «
commentt trouver l'orientation logique ? - au moyen de l'orientation logique ».
407 7
L'opusculee Orientieren est done fortement performatif, en ce qu'il explique ce
qu'ill met en même temps en oeuvre. Citons dans son entier l'introduction de
cettee 'methodologie'.
Wirr mogen unsre Begriffe noch so hoch anlegen, und dabei noch so
sehrr von der Sinnlichkeit abstrahieren, so hangen ihnen doch noch
immerr bildliche Vorstelhmgen an, deren eigentliche Bestimmung es ist,
sie,, die sonst nicht von der Erfahrung abgeleitet sind, zum
ErfahrungsgebraucheErfahrungsgebrauche tauglich zu machen. [...] Wenn wir her
dieserr konkreten Verstandeshandlung die Beimischung des Bildes,
zuerstt der zufalligen Wahraehmung durch Sinne, dann so gar die reine
sinnlichee Anschauung überhaupt, weglassen : so bleibt jener reine
Verstandesbegrifff übrig, dessen Umfang nun erweitert ist, und eine
Regell des Denkens überhaupt enthalt. Auf solche Weise ist selbst die
allgemeinee Logik zu Stande gekommen ; und manche heuristische
Methodee zu denken liegt in dem Erfahnmgsgebrauche unseres
Verstandess und der Vernunft vielleicht noch verborgen, welche, wenn
wirr sie behutsam aus jener Erfahrung herausziehen verstanden, die
Philosophicc wohl mit mancher nützlichen Maxime, selbst im abstrakten
Denken,, bereichern könnte (O, 5:267).
Commee nous 1'avons déja mentionné, la methode - s'il en existe une ressemblee mais n'est pas pareille è la procédure de creation des concepts décrite
danss la Logik (Log, §6, 5:525). La difference est que la procédure logique se
concentree sur 1'abstraction du concept de sa 'couche' concrete et contingente,
tandiss que la procédure dont il est question ici concerne une abstraction au
niveauu de 1'usage de la raison.41 La construction logique de concepts se fait par
unn acte de comparaison des données concretes, par la reflexion sur leurs traits
communss et par rabstraction de ces traits et par leur denomination générale.
C'estt un chemin au cours duquel on perd rimaginaire concret. Dans Ie cas
présent,, nous n'avons pas affaire a une construction, mais a la découverte et a la
trouvaillee d'une maniere abstraite d'utiliser des concepts empiriques. On a done
raisonn de nommer cette procédure abstraction transcendentale, en ce qu'elle
concernee 1'usage rationnel des concepts, pour la distinguer ainsi de Vabstraction
logique,logique, abstraction faite par la raison dans Ie champ de ses representations en
vuee de la construction des concepts.
411
On trouve une indice de cette difference dans la Logik.« Man abstrahiert von einer Erkenntnis,
wennn man die Anwendung derselben ignoriert, wodurch man sie in abstracto bekommt und un
allgemeinenn als Prinzip sodann besser betrachten kann »(Log, 5:471).
422
Une reflexion, a dater entre 1768 et 1770, explique d'abord la difference entre des concepts
derivess de rexpérience et des concepts dont la source est dans 1'entendement, et il explique
ensuitee que les derniers ne peuvent être trouvés que par Ie biais de 1'usage empirique de la raison.
«« Einige Begriffe sind von den Empfindungen abstrahiert; andere bloB von dem Gesetzte des
408 8
Lee point de depart est 1'usage empirique {Erfarungsgebrauch et konkrete
Verstandeshandlung)Verstandeshandlung) d'un concept, qui aboutit a sa purification en
concernee ramalgame des images {Beimischung des Bildes) impliqué dans
1'usagee empirique. Le démêlage se fait en deux étapes.43 D'abord il y a
1'' elimination dans 1'usage empirique de tout ce qui est image concrete et
contingente,, c'est-a-dire qu'il faut nettoyer 1'usage de la Wahrnehumg durch
Sinne.Sinne. Ensuite il faut éliminer de 1'usage des concepts la reine sinnliche
AnschautmgAnschautmg überhaupt.** Trouver un concept pur ou une idee heuristique,
demandee done qu'on le prenne tout d'abord dans son usage empirique pour
ensuitee Ie débarrasser de toute phénoménalité, ainsi que de toute formalité
intuitive.. Ces deux couches qui enveloppent le concept dans son usage
empiriquee sont apparemment aussi des cadres qui le restreignent et dont
('eliminationn a pour consequence Pélargissement de la sphere du concept
{dessen{dessen Umfang nun erweitert is/).
ManiereManiere plutot que methode
Immédiatement,, on constate que le double 'démantèlement' de 1'usage
empiriquee et son élargissement final correspondent aux trois niveaux sur
lesquelss la notion d'orientation est reconsidérée. L'élimination des images
(1'imagee du levant) correspond au plan géographique; Pélimination des formes
puress de 1'intuition correspond au plan mathématique et le concept pur de
FF entendement è la logique. Ainsi Pintroduction au texte ne fait que décrire
Pélargissementt du concept d'orientation mis en oeuvre par Kant, et il est justifié
dee dire que le texte est pour ainsi dire Patelier experimental du philosophe, oü il
décritt et montre simultanément la maniere - plutöt que la methode - de
procéderpourprocéderpour trouver des regies (concepts) a trouver.
Laa question qui se pose est de savoir pourquoi le double démantèlement
dee Pusage empirique d'un concept a pour résultat son élargissement. Comment
Verstandcs,, die abstrahierten Begriffe zu vergleichen, zu verbinden oder zu trennen. Der letzteren
Ursprungg ist im Verstande; der ersteren in den Sinnen. Alle Begriffe von solcher Art heiBen reine
Verstandesbegriffe:: conceptus intellectus puri. Zwar können wir nur bei Gelegenheit der
sinnlicbenn Empfindungen diese Tatigkeiten [!] des Verstandcs in Bewegung setzen, und uns
gewisserr Begriffe von den allgenteinen VerbJUtnissen abstrahierter Ideen nach Gesetzen des
Verstandesbewufitt werden; und so gilt audi hier Lockes Regel, dafi ohne sinnliche Empfindungen
keinee Idee in uns klar wird [...]. ». (Reflektion 513, citee par Cassirer, Das Erkermtnisproblem in
derder Philosophic und Wissenschaft der neueren Zeit (Zweiter Band), p. 622).
433
Curieusement, le caractere verbal du terme Beimischung dtsparait dans la traduction de
Philonenko.. (Phitonenko, 1988, p.75).
44
III est clair que Kant fait reference ici aux formes pures de 1'espace et du temps. Neanmoins, ces
formess ne sont pas des images ni des enveloppes, comme il le suggère ici, mais elles sont plutöt
dess regies synthétiques pour la construction des images a partir des données sensibles (cf. la
deductionn transcendantale). La forme spatiale est une coordination de simultanéité, et presuppose
donee la forme du temps qui est une coordination successive.
409 9
«« laisser de cöté la Beimischung des Bildes » peut signifier «trouver des régies
logiquess et heuristiques » ? L'élargissement ne se ferait pas s'il était seulement
questionn de débarrasser Ie concept de ses associations imaginaires. La definition
empiriquee de Porientation nous aide. « Orientieren heiBt [...] aus einer
gegebenenn Weltgegend [...] den Au/gang zu finden » (O, 5:269). La definition
provisoiree relie Pacte de trouver a celui de s'orienter. L'orientation est une
recherche,, dont Ie levant est la trouvaille. En soi, elle est done une procédure
heuristique,, d'ailleurs plutot préheuristique que heuristique, qui s'achève par la
découvertee d'une chose inconnue {den Aufang), a partir d'une chose connue
{aus{aus einer gegeben Weltgegend). Pour Kant Porientation n'est pas la recherche
d'unn chemin a Paide d'un plan. Elle n'est pas méthodique. Elle n'est pas non
plus,, a la difference de ce que suggère Mendelssohn, Part de choisir entre deux
voiess données. Elle est reflexive, c'est-a-dire qu'elle est la recherche d'une
regiee inconnue a partir de ce qui est donné. Comme Ie voyageur qui, dans la
premièree critique, se sent tenté d'aller traverser Pocéan a partir de son ile bien
connue.. Cette recherche réflexive,_nous la considérons plutöt comme une
manieree que comme une methode (cf. LAS, 58-60,67-68 ; Appel, 32-39).
SymbolisationSymbolisation comme procédure d'élargissement de concepts (KdU, §59)
Lee paragraphe qui introduit Orientieren décrit la reflexion inventive qui mène è
Pamplificationn d'un concept sur la base de son usage empirique. Dans cette
reflexion,, Panalogie joue un role important. Nous croyons pouvoir porter au
jourr ce röle è Paide d'une analyse du fameux paragraphe 59 de la troisième
critique,, intitule Von der Schönheit als Symbol der Sittlichkeit, analyse inspirée
parr celle que fait Lyotard dans la notice Kant-3 (D, pp. 191-193). Nous allons
repérerr dans ce texte ce que nous croyons être la symbolisation, qui consiste a
transfererr une maniere empirique de réflechir sur un autre plan. L'orientation
reflexivee dans la géographie peut être transferee par analogie vers la
mathématiquee et vers Ia logique. La symbolisation explique comment la
procéduree analogique peut mener è Pélargissement de Pusage des concepts a
partirr de leur usage empirique.
Enn fait, la première phrase du §59 fait echo a celle tf Orientieren. « Die
Realitaii unserer Begriffe darzutun, werden immer Anschauungen erfordert »
(KdU,, §59, 211). On demande done des concepts qu'ils se rendent
intuitionnables,, un processus nommé Hypotypose : « Darstellung, subiectio sub
adspectumadspectum », qui se déroule sur trois niveaux. Il y a Phypotypose 'empirique',
quii exige des Beispiele, exemples dans P intuition, c'est le niveau des images
concretess {Bilder); puis Phypotypose 'schématique' concernant 1'intuition
attachéee de maniere a priori aux concepts de Pentendement, et enfin
Phypotyposee 'symbolique' qui porte sur les concepts de la raison pour lesquels
410 0
ill n'y a pas d'intuition directe et qui fait usage d'une intuition provisoire. Or
cettee intuition demande de la faculté de juger un traitement non pas a la maniere
duu schematisme, mais un traitement analogique è cette maniere.
Laa fonction du schematisme explique ce qui est posé pour évident dans
Orientieren,Orientieren, è savoir que tous nos concepts, aussi abstraits qu'ils seraient,
comportentt des büdliche Vorstellitngen, et que cela les destine a Pusage
empirique.455 Les concepts ne sont jamais donnés comme venant d'un autre
monde,, d'un monde purement intelligible. La pensee pure est plutöt a
représenterr comme 1'ensemble de quelques lignes auxiliaires, destinées a
constituerr 1'expérience concrete (et la possible realisation de la liberté). C'est de
1'empiriquee que les concepts purs sont derives et la 'trace' de cette provenance
temporeii Ie est discernable dans Ie schema. Le schema est ainsi une regie de
transfertt et de déploiement du concept dans 1'espace et le temps, une regie de
constructionn (en mathématique) ou même une methode de representation
imaginative.466 Si la categorie est la regie de constitution d'un objet
transcendantall überhaupt, le schema est la fonction qui rend possible
1'applicationn de ces categories aux données de 1'intuition, ce que Kant désigne
parr le schema transcendantal, a savoir une regie concernant le temps. Puisque
toutt concept est schématique, tout concept est apte et est même destine a Pusage
empirique.. Or les concepts abstraits, comme les categories et les idees
heuristiques,, ont pour destination une tendance naturelle de s'articuter dans
1'intuitt ion, parce qu'ils ne peuvent réaliser leur fonction de regie qu'a 1'aide du
schematisme.. Ce schema est comme un art caché de la nature (KRV, Bi80,
200). .
Lee schematisme ne fonctionne pas, s'il s'agit des idees de la raison qui
n'ontt pas, par definition, des intuitions correspondantes. L'hypotypose
symboliquee s'instaure alors, « da einem BegrifTe, den nur die Vernunft denken,
undd dem keine sinnliche Anschauung angemessen sein kann, eine solche
untergelegtt werd, mit welcher das verfahren der Urteilskraft demjenigen, was
siee im Schematisieren beobachtet, bloB analogisch ist, d.i. mit ihm blofi der
Regell dieses Verfahrens, nicht der Anschauung selbst, mithin bloB der Form der
Reflexion,, nicht dem Inhalte nach Obereinkommt » (KdU, §59, 211). Tous les
deuxx des formes d'hypotypose, la symbolisation ressemble è la schématisation,
maiss cette ressemblance ne porte pas sur le contenu effectif, mais sur la
reflexionn qui mène è eet effet. Il s'agit dans la symbolisation d'un transfert
(Übertragung;(Übertragung; KdU, §59, 213) a un concept sans intuition, d'une certaine
manieree de réfléchir sur un objet intuitionnable. Le symbolisme est ainsi une
transpositionn d'une regie et non pas une presentation méthodique directe.
455
466
Nous référons, en ce qui concerne la problématique du schematisme, au chapitre 11.
Philonenko L'auvre de Kara. La philosophie critique (Tome 1), 1993, pp. 164-190.
411 1
Lee symbole représente une 'chose' qui ne Test pas puisqu'elle n'a pas de
representationn dans 1' intuition. La representation n'est done pas la realisation
d'unee connaissance empirique, mais plutot une reference è partir du connu vers
Pinsensiblee et Pinconnaissable. Kant 1'explique è 1'aide du symbole de Pétat
monarchique.. Son symbole peut être un corps vivant dans le cas oü il s'agit
d'unee collectivité politique a la base des lois du peuple, ou il peut être une
machine,, par exemple un moulin a bras, s'il est question d'un état despotique.
Corpss et moulin sont des symboles, parce qu'ils représentent chacun une
*chose'' qui n'est pas représentable dans 1'intuition, a savoir un certain ordre
politique.. Cette representation est analogique. Il n'y a pas de ressemblance
immediatee entre la machine ou le corps d'un cöté, et la monarchie despotique
ouu populaire de 1'autre. Une ressemblance indirecte s'est pourtant enracinée
danss la maniere de réfléchir sur le corps ou la machine, et ces reflexions se sont
transposéess sur 1'objet inintuitionnable de la monarchie. La reflexion sur un
corpss suit la regie qui dit : cette chose-ci est un organisme vivant et doit être
compriss selon les lois spécifiques de la vie ; la reflexion sur le moulin suit la
regiee de causalité mécanique. Par le transfert de ces régies respectives, la
monarchiee populaire est concue comme étant dirigée par la volonté vivante du
peuple,, et la monarchie despotique comme 1'effet d'une causalité mécanique qui
enn est souveraine.
Lee transfert est analogique-symbolique dans 1'exemple puisqu'il
consistee dans Ie principe suivant : la maniere dont on réfléchit sur 1'objet
intuitionnablee vaut aussi pour 1'objet X qui n'est pas intuitionnable. L'exemple
estt classiquement analogique dans le sens qu'on conclut a un certain rapport
entree une chose connue (reflexion) et une chose inconnue (1'objet nouménale X)
enn fonction d'un rapport entre deux choses connues (reflexion et objet x). Le
symbolee ne doit pas être observe, mais demande la reflexion, comme le formule
Ricceur,, s'inspirant directement de Kant,« le symbole donne a penser ».
TransfertTransfert analogique et transformation selon les contextes pragmatiques
Cependantt la structure classique de P analogie ne suffit pas pour comprendre la
suitee du texte.48 Kant remarque que la question de la symbolisation mériterait
unee étude plus approfondie, parce qu'elle n'est pas encore tres bien exposée.
477
Cf. Paul Ricoeur La métaphore vfve. Paris: Seuil, 1975, pp. 383-384; a comparer a la
conclusionn de: idem La symbolique du Mal. Paris : Montaigne, 1960 oü, d'ailleurs, le terme
scbellingienn de *tautégorie\ emprunté par Lyotard, est également discuté.
488
C'est ce que Annemarie Pieper ne tbématise pas. Elle admet le röle central de 1'analogk pour la
constitutionn de la critique, mais elle ne probématise pas son röle pour Pinvention des articulations
dee Pinarticulable (Annemarie Pieper 'Kant und die Methode der Analogie', in : Schonrich,
Gerhardd und Kato, Yasushi (hrsg.) Kant in der Diskussion der Moderne. Frankfort am Main :
Suhrkamp,, 1996).
412 2
Sanss 1'élaborer, il indique implicitement la raison qui rend nécessaire une telle
étudee approfondie.
Unseree Sprache ist voll von dergleichen indirekten Darstellungen
[symboles]] nach einer Analogie, wodurch der Ausdruck nicht das
eigenlichtee Schema fur den Begriff, sondern bloB ein Symbol für die
Reflexionn enthalt. So sind die Wörter Grund (Stütze, Basis), abhangen
(vonn oben gehalten werden), woraus Jliefien (staat folgen), Substanz
(wiee Locke sich ausdrQckt: der Trager der Akzidenzen) und unzahlige
anderee nicht schematische, sondern symbolische Hypotyposen und
Ausdrückee fÜr Begriffe nicht vermittelst einer direkten Anschauung,
sondernn nur nach einer Analogie mit derselben, d.i. der Übertragung der
Reflexionn ttber einen Gegenstand der Anschauung auf einen ganz
anderenn Begriff, dem vielleicht nie eine Anschauung direkt
korrespondierenn kann (KdU, §59,212-213).
Laa langue dont parle Kant, notre langue (unsere Sprache), est la langue
philosophique,, et c'est la raison qui justifie une étude approfondie de la
procéduree symbolique. Les concepts de la philosophic kantienne concernent Ia
penseee pure et sont des concepts dépourvus par definition de representations
intuitionnables.. Et cela pose des problèmes profonds pour la comprehension de
laa possibilité de leur manifestation. Le transfert analogique, expliqué a ï'aide de
Pexemplee de la monarchie, ne fonctionne pas de la même maniere pour les
conceptss purs de la philosophie. V analogie est ici plus qu'un simple transfert
d'unn rapport connu vers un rapport inconnu. En effet dans le rapport connu, les
deuxx termes sont a notre disposition, è savoir 1'objet intuitionnable et la maniere
dee réfléchir, alors que dans le rapport inconnu nous ne disposons que d'un seul
terme,, a savoir la maniere de réfléchir. Kant donne par exemple le terme
(Grund),(Grund), et entre guillemets la maniere de réfléchir. Il faut apparemment
réfléchirr sur le terme philosophique Grund de la même maniere que sur son
homonymee empirique, è savoir comme sur une chose qui est support ou base
(Stütze,(Stütze, Basis). Le concept Grund a des sens différents en fonction de son
usage:: le même terme peut prendre soit un sens schématique (intuitionnable)
soitt une signification symbolique (nouménale). La symbolisation analogique
n'estt ici pas seulement un transfert d'une maniere de réfléchir è partir d'un
conceptt intuitionnable (corps, moulin) vers un concept non-sensible (état
monarchique),, le transfert est en outre et en même temps un changement de la
spheree d'usage du concept intuitionnable, un changement done du 'sens'
empiriquee du terme en une signification philosophique. Ce transfert est plus
qu'analogique,, il est transformation, élargissement de Phorizon d'usage du
conceptt de depart, et en cela il est une maniere, la seule maniere en fait, de
mettree è jour le concept pur. Pour trouver des concepts purs, e'est-a-dire pour
413 3
less faire surgir de la raison, il faut done élargir symboliquement 1'usage
empiriquee d'un concept. La symbolisation est la condition de la possibilité de
manifestationn de concepts philosophiques et done de la philosophie en
general.49 9
Dee ce surgissement des concepts purs, du surgissement done de la philosophie,
ravant-propos'' d'Orientieren nous en donne la procédure, que nous pouvons
comprendree comme 1'élargissement de 1'usage empirique des concepts au
moyenn d'un transfert symbolique de la maniere de réfléchir sur ces concepts.
Trouverr la signification philosophique du terme d''orientation implique Ie
transfertt de la maniere de réfléchir sur 1'orientation empirique è des spheres
'pragmatiques'' élargies, respectivement celle de 1'usage mathématique et celle
dee 1'usage logique du terme. Ce transfert est en quelque sorte une
décontextualisationn de la reflexion d'origine et une reinsertion de cette reflexion
danss un autre contexte d'usage. La question de savoir si Ie concept Grund est è
comprendree schématiquement ou symboliquement dépend complètement de son
contextee d'usage. Sans ce contexte pragmatique, une explication fondamentale
dess concepts purs ne serait que tautologique : Ie Grund est Ie Grund. C'est ici,
commee toujours dans la critique, que 1'usage (la pragmatique) des concepts
precedee leur signification, d'oü d'ailleurs 1'accent mis au début d'Orientieren
surr la konkreten Verstandeshandlung (O, 5: 267).
Or,, Ie paragraphe 59 s'insère è sa maniere dans ce que nous venons de
nommerr la crux critica. L'analogie dans Phypotypose symbolique exige deux
étapes.. D'abord il faut prendre un concept dans son usage empirique, c'est-adiree Ie 'restreindre' schématiquement pour trouver la maniere de réfléchir sur ce
conceptt {Grund est un support). Ensuite il faut élargir 1'usage de ce concept én
transférantt la reflexion a un contexte d'usage plus abstrait, c'est-a-dire 1'élargir
symboliquementt pour ainsi tirer de la raison des concepts autrement
inarticulables.. L'analogie s'insère ainsi dans une tension dynamique, une
incongruencee qui s'exprime dans la possibilité d'un double (ou triple) usage
d'unn même concept. Or, chose fondamentale, 1'élargissement ne se fait par que
parr Ie détour par 1'empirique, et done en passant par Ie schematisme. Bien que
less directions de la schématisation et de la symbolisation soient opposées, cette
dernièree exige une sorte de recul schématique pour pouvoir mieux sauter par la
suite.50 0
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Un rdle comparable pour rarticulation philosophique est destine a 1'hypotypose symbolique
parr Eliane Escoubas' ('L'invention de la langue*) in: Imago MunM. pp. 345-361.
** Ainsi la fonction anaJogique par Ie transfert de la reflexion doit court-circuiter tout effort de
fonderr la philosophie sur la seule Dichtung. Les concepts purs ne sont pas 'inventés', ils sont
'trouvés** au moyen de 1'analogisation symbolique et Ie transfert de la reflexion concrete vers
d'autress contextes d'utilisation. La base de la philosophie n*est pas 'poétique' (littéraire), elle est
'figurale'. .
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