15-a-Revault-Allonnes_Mise en page 1 21/02/12 14:52 Page108 Comment la crise vient à la philosophie Myriam Revault d’Allonnes* M ICHEL Foucault suggérait – à propos du texte de Kant sur les Lumières – qu’une certaine manière d’aborder la question du présent et de l’actualité était propre à la modernité, au discours philosophique de (et sur) la modernité. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Quelle différence y a-t-il entre aujourd’hui et hier ? Qu’estce que ce présent auquel nous appartenons et que sommes-nous en ce temps qui est le nôtre ? En s’interrogeant sur son actualité, sur son mode d’être au temps, le texte de Kant fait ainsi émerger une nouvelle manière d’aborder la modernité : non plus comme « période » mais comme question1. À suivre cette perspective, on peut difficilement faire l’impasse sur la façon dont un certain présent – celui de la « crise » – vient aujourd’hui à la philosophie. On remarquera d’ailleurs que la question avait été abordée frontalement par Kant. La Révolution française, crise majeure s’il en est, a été un élément décisif dans sa pensée : qu’est-ce qui, dans l’événement révolutionnaire, fait sens et peut être tenu pour le signe d’un progrès de l’humanité ? Or la crise excède aujourd’hui la signification et la portée de l’événement que Kant qualifiait de « signe d’histoire » pour l’humanité tout entière. Encore moins répond-elle à ce qu’anticipait Rousseau lorsqu’il écrivait en 1768 dans l’Émile : « Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. » * Philosophe, professeur des universités à l’École pratique des hautes études (EPHE). Elle a récemment publié Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie (Paris, Le Seuil, 2010) et prépare un ouvrage sur la crise à paraître au Seuil en septembre 2012. 1. Je renvoie à mon article « Qu’est-ce qu’une philosophie de l’actualité ? », Esprit, aoûtseptembre 2009, p. 213-224. Mars-avril 2012 108