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La quasi totalité des œuvres de Heidegger revendique presque ouvertement
un retour aux « sources ». Ces sources, dans le projet phénoménologique,
renvoient à ce qu’il appelle l’autre commencement (andere Anfang) c’est-à-dire,
le moment où la parole inaugure la pensée comme philosophie. On ne peut donc
lire Heidegger qu’en interprétant ce qui dans sa pensée, comprend ce retour aux
sources comme commencement originel. Or ce commencement, du point de vue
même de l’ontologie, quoi qu’en dise Heidegger, ne peut-il pas être considéré
comme théologique ?
En effet, on peut considérer comme point de départ de la pensée de
Heidegger le problème de l’oubli de l’être ; à partir de la pensée de l’être et la
quête du fondement1 de l’étant, sa démarche n’a cessé de s’affronter à la
métaphysique entendue comme onto-théo-logie c’est-à-dire le lieu du logos, de
la raison et du fondement du divin. Il paraît donc légitime de penser que ce
retour aux sources ou mieux ce qu’il a appelé lui-même Ein Rückblick auf der
Weg ne serait certainement pas étranger au problème théologique. Or, ce
problème théologique n’est pas apparent dans ses œuvres ; c’est donc en
envisageant cette inapparence comme silence que l’on peut mettre à l’épreuve le
lien immanent avec la quête du divin. Le problème de l’oubli de l’être est donc
plus large que l’unique question de l’être. La première page de Etre et Temps
rappelle l’aporie de l’étant ; celle de la Lettre sur l’humanisme annonce la
nécessité de repenser la question de l’être : car « penser, c’est l’engagement par
et pour l’Etre 2 ».
Etre et penser sont donc chez Heidegger une question primordiale. Pour
cette question primordiale, Heidegger remonte volontiers à Platon et à Aristote
et même davantage. Le contexte est donc métaphysique, métaphysique qu’il se
propose de détruire3 avec l’ontologie fondamentale ou mieux, l’analytique
existentiale. Et comme l’attesteront plus tard certaines publications notamment
1 Entendu comme άρχή (fondement, principe) chez Aristote.
2 Martin Heidegger, Lettre sur l’humanisme, trad. Roger Munier, éd Aubier, Paris, 1964, p. 29.
3 « Détruire » dans les textes de Heidegger signifie dépassement.