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Sa sœur, il ne lui voue pas non plus un amour particulier, c’est l‘éternelle pleurnicharde,
même lorsqu’elle sera adulte, mais néanmoins la gardienne de la mémoire familiale.
Quant à Gaston et sa femme Nicole, ces deux niais, ces deux balourds qui passent leur
temps à roucouler, il les méprise aussi. Voilà une famille dont aucun adolescent ne
souhaiterait partager le quotidien. Franchement, les débuts dans la vie de ce jeune garçon
ne sont guère enviables.
L’adolescent se rend tout de même compte que les pitreries de son père ne sont peut-être
pas tout à fait innocentes et il soupçonne un mystère non révélé.
« Je lui soupçonnais des envies de destin christique, l’imbécile idée fixe qu’il pouvait
racheter par la douleur et le sacrifice je ne sais quoi de sombre, la face inavouable de
l’humanité ».
« Passé l’école primaire, il me fut confusément sensible qu’il accomplissait ses tours de
piste par devoir, rituel expiatoire… »
DEUXIÈME PARTIE : LA RÉVÉLATION
Elle arrive assez tard dans le récit et prend un caractère solennel, on part endimanché,
comme on irait à la messe, dans l’horrible Dyna Panhard. La séance de cinéma en famille,
ce n’est pas par hasard, tout est calculé, prévu d’avance. Un regard furtif entre Gaston et
André annonce que le moment est arrivé, que tout est convenu, que Gaston est bien en
« service commandé ». C’est en quelque sorte un rite initiatique : « Quand il (mon père) a
jugé qu’il était temps de m’affranchir ». Gaston et André pourraient, eux aussi, se
débarrasser du lourd secret et de la malédiction de l’auguste comme ils en délivreraient le
jeune garçon.
Le choix du film, on le comprend plus tard, ce n’est pas un hasard.
Pourquoi le père n’a-t-il pas eu le courage de parler à son fils ? Par pudeur peut-être.
Cette longue partie du livre est remarquable par sa délicatesse, la tendresse qui en émane
et toute la beauté du sacrifice des principaux personnages qui, aux yeux de l’enfant, ne
sont que des « minables ».
Gaston prend plaisir à donner le maximum de détails au jeune qui l’écoute sans
l’interrompre une seule fois. On a l’impression qu’il en « rajoute » même un peu pour qu’on
le croie. Par moments, son récit a des accents pathétiques, même si les termes employés
sont ceux d’un ouvrier, d’un homme qui n’a pas fait d’études, qui parle patois et fait des
fautes de grammaire. C’est une confession au sens premier du terme.
En 41 ou en 42… André et Gaston n’étaient que des gamins. Ils sont entrés dans la
Résistance sans savoir ce qu’ils faisaient, par hasard, même pas des héros. Et en plus, ils
meurent souvent de trouille, comme des mômes. Où est l’image traditionnelle du résistant
stoïque et fier ? Eux, ils sont des êtres humains, des « mômes » avant tout, avec leurs
faiblesses. Chaque fois qu’ils pensent leur dernière heure arrivée, ils se prennent par la
main comme des écoliers, Gaston n’a pas honte de ces moments de doute. « L’héroïsme,
le cœur à l’échancrure de la chemise, la Marseillaise que tu leur chantes à la gueule
jusqu’au souffle dernier, tu peux toujours rêver, mon garçon, c’est du roman. »
La scène de la captivité dans le trou est à la fois tragique et comique. Tragique car elle les
met en face de la réalité : ils vont crever comme des bêtes, et ne savent pas pourquoi ils
sont pris en otage avec leurs deux autres compagnons. Otages coupables, otages
innocents ? La véritable raison de la prise en otage est en parfait décalage avec la réalité,
mais témoigne de l’absurdité et de l’horreur des lois promulguées par le régime de Vichy.