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E F F R O Y A B L E S J A R D I N S
D O S S I E R P É D A G O G I Q U E
réalisé par Michèle Sauffroy-Paret
Théâtre Carpe Diem
extrait vidéo sur Youtube
http://www.youtube.com/user/DOMINIQUELAFONT#p/a/u/1/oOh-D4_p1Es
site de la compagnie
http://theatre.carpediem.free.fr/
Contact Théâtre Carpe Diem - 12 rue des Chasseurs 95100 Argenteuil
direction André Salzet, metteur en scène Márcia de Castro
tél : 01 34 10 21 21 // 06 86 91 55 62
Association loi 1901- siret 482 867 025 00025 - licence Drac N° 2-1035973
cie subventionnée par la Ville d’Argenteuil et le Conseil Général du Val d’Oise
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Dossier pédagogique Effroyables Jardins
réalisé par Michèle Sauffroy-Paret
PRÉSENTATION ET RÉSUMÉ DE L’ŒUVRE
« Effroyables Jardins » est une œuvre de Michel Quint, parue en 2OOO qui a connu très
vite le succès. Elle a été adaptée pour le cinéma par Jean Becker en 2OO3 et mise en
scène une première fois par Gérard Gelas avec Jean-Paul Farré comme interprète.
Márcia de Castro en a fait une nouvelle adaptation théâtrale en 2OO9 pour André Salzet
qui l’a créée au théâtre de Muret (31) et présentée entre autres au festival d’Avignon en
juillet 2OO9.
Un haut fonctionnaire européen de la commission des finances se rend en TGV de
Bruxelles à Bordeaux via Lille. Il a pour tout bagage une vieille valise éraflée contenant un
harnachement de clown : curieux viatique pour un homme de ce rang.
Il fait le point sur sa vie, ses relations avec son père qu’il a tant méprisé, voire haï pendant
toute son enfance et son adolescence. Celui-ci, « instituteur de son état », mauvais clown
à ses heures, mais par devoir semble-t-il, lui a fait détester les augustes. Ce père que la
Dame Noire est venue faucher sur le quai de la gare de Lille, comme par erreur, il aurait
dû l’aimer, le vénérer de son vivant. C’est le cousin Gaston, personnage falot, un peu niais
en apparence qui lui révèle le lourd secret à l’origine de cette curieuse vocation de clown.
Sur un fond de seconde guerre mondiale, à l’époque de Vichy, c’est une petite histoire de
Résistance, comme il y en eut tant et dont on ne parle pas toujours… de celles qui ont fait
la grande Résistance et ont écrit l’Histoire, une petite histoire dans la grande Histoire qui a
tout de même un caractère universel… C’est une simple anecdote qui met en scène des
gens du peuple, des gens du nord, mais un récit plein de tendresse, d’amour, d’humour et
de tragédie, un récit court, mais percutant. Ce texte contient des éléments biographiques,
mais reste néanmoins une fiction.
A propos de cette œuvre et de l’adaptation pour le théâtre, Michel Quint a écrit : « Je ne
sais pas si j’ai bien fait de tout déballer cette vieille affaire de famille. Une anecdote de la
seconde guerre mondiale comme il y en a mille, et même pas héroïque… Avant d’écrire
ce bazar, j’avais ma tranquillité, c’était plus confortable d’ignorer, d’avoir oublié
complètement. Je veux dire : de ne plus faire le lien entre les effroyables jardins de nos
mémoires et les autres qui continuent à fleurir sauvage partout et sans cesse. Parce que
la barbarie, c’est pas que de l’autrefois, une vieille maladie circonscrite dans l’Histoire et
vaccinable à coup de dépôt de gerbes et de commémorations. C’est du passé vivant.
Evidemment, malgré tout, vécue, racontée par un clown à trois ronds, cette histoire prend
une tournure officielle ! D’ailleurs au fond, le problème est là : est-ce que vous pouvez,
vous spectateurs, nous faire confiance ? Croire que le pire n’arrête pas de survenir et
qu’on peut encore croire en l’humanité ? C’est donc à cela qu’on vous convie : mettez un
nez rouge, ce soir, et sûrement que le monde ne sera pas moins cruel mais peut-être
qu’on sera un peu plus des hommes qui n’en détournent pas le regard. »
« EFFROYABLES JARDINS » voilà un titre bien énigmatique qui constitue un oxymore,
c’est-à-dire qu’il met côte à côte deux termes contradictoires. Généralement le jardin est
associé à une image positive, une vision de l’Eden, en quelque sorte un petit coin de
paradis, un endroit où on se sent bien. Comment d’un seul coup un jardin peut-il devenir
effrayant, menaçant, susciter la peur et l’effroi ?
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Au début de son œuvre, l’auteur cite ces deux vers de Guillaume Apollinaire :
« Et que la grenade est touchante
Dans nos effroyables jardins »
La grenade, c’est l’arme, celle qui tue et là, ce sont les mots qui explosent et nous
pénètrent comme des grenades.
La dédicace du texte contient les mots clefs qui permettent de l’aborder. Michel Quint l’a
écrit à la « mémoire » de son père et de son grand-père tous deux anciens combattants et
victimes de la barbarie, de guerres inhumaines. Il l’a écrit aussi à la « mémoire » de
Bernhard Wicki, le clown soldat allemand opposé au nazisme.
Bernhard Wicki a vraiment existé (le re de Michel Quint le connaissait) : il est le metteur
en scène du film « le Pont » qui servira d’élément déclencheur à la révélation du secret de
famille.
Michel Quint parle aussi de la « mémoire » de l’horreur perpétrée par les guerres.
N’existe-t-elle pas encore de nos jours ?
Le manichéisme dans l’histoire est une sottise. Le mal est-il toujours incarné par les
mêmes ? Bernd, sous son habit vert-de-gris n’a pas perdu son humanité, il demande
d’ailleurs pardon d’être du côté du Mal. Quant au haut dignitaire de Vichy jugé à Bordeaux
dans une mascarade de procès, on pensait qu’il était du côté du Bien.
Ce roman se présente comme une suite d’énigmes à résoudre.
Pourquoi y a-t-il un clown présent au procès de Maurice Papon ?
Pourquoi le fils déteste-t-il les clowns ?
Pourquoi déteste-t-il les augustes ?
Pourquoi le père se déguise-t-il régulièrement en clown ?
Pourquoi les relations entre le père et le fils sont-elles aussi mauvaises ?
Pourquoi le père attend-il que son fils ait atteint l’âge de raison pour lui révéler la vérité ?
Pourquoi confie-t-il cette mission à Gaston ?
Pourquoi avoir choisi la fin de la séance de cinéma pour lui parler ?
Pas à pas, on avance dans le récit et à chaque fois une nouvelle question se pose. La
vérité éclate très tard, comme dans un roman policier. Le lecteur est tenu en haleine
jusqu’à la fin.
PREMIÈRE PARTIE : LES RELATIONS PÈRE-FILS
Dans toute la première partie, c’est le narrateur qui parle, il nous raconte son histoire à la
première personne. Il nous confesse sa haine des clowns depuis sa plus tendre enfance.
Cela peut sembler curieux, car généralement, les enfants aiment le cirque, les clowns les
font rire. Mais ce père, c’est « le plus triste des clowns tristes ». Les augustes représentent
pour celui qui parle le pire des souvenirs. Pourquoi ? Son père était pourtant un
personnage respectable : dans les années 5O-6O, l’instituteur faisait partie des notables
de la ville… et lui, il ne méritait même pas le respect de son fils. Il osait s’affubler des pires
attributs de clown : des objets de récupération, même pas des « vrais ».
Devant les autres, le gamin n’éprouvait que de la honte. Son père, il le haïssait à tel point
qu’il l’aurait volontiers cédé à un orphelin : pensée sacrilège ! A ses yeux, son père était
anormal.
Comment un jeune garçon peut-il s’identifier à ce modèle masculin, si tant est qu’il en soit
un ? Son père a tout faux, la voiture qu’il a choisie est elle aussi le comble du mauvais
goût. De quoi faire fuir le premier gamin venu. Comment ne pas avoir honte devant ses
camarades de classe ?
Sa mère est un personnage assez transparent, elle ne joue pas un grand rôle dans le
récit, à part celui de la vertueuse femme de clown que le jeune homme n’admire pas
beaucoup. Elle est un peu en dehors de l’histoire.
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Sa sœur, il ne lui voue pas non plus un amour particulier, c’est l‘éternelle pleurnicharde,
même lorsqu’elle sera adulte, mais néanmoins la gardienne de la mémoire familiale.
Quant à Gaston et sa femme Nicole, ces deux niais, ces deux balourds qui passent leur
temps à roucouler, il les méprise aussi. Voilà une famille dont aucun adolescent ne
souhaiterait partager le quotidien. Franchement, les débuts dans la vie de ce jeune garçon
ne sont guère enviables.
L’adolescent se rend tout de même compte que les pitreries de son père ne sont peut-être
pas tout à fait innocentes et il soupçonne un mystère non révélé.
« Je lui soupçonnais des envies de destin christique, l’imbécile idée fixe qu’il pouvait
racheter par la douleur et le sacrifice je ne sais quoi de sombre, la face inavouable de
l’humanité ».
« Passé l’école primaire, il me fut confusément sensible qu’il accomplissait ses tours de
piste par devoir, rituel expiatoire… »
DEUXIÈME PARTIE : LA RÉVÉLATION
Elle arrive assez tard dans le récit et prend un caractère solennel, on part endimanché,
comme on irait à la messe, dans l’horrible Dyna Panhard. La séance de cinéma en famille,
ce n’est pas par hasard, tout est calculé, prévu d’avance. Un regard furtif entre Gaston et
André annonce que le moment est arrivé, que tout est convenu, que Gaston est bien en
« service commandé ». C’est en quelque sorte un rite initiatique : « Quand il (mon père) a
jugé qu’il était temps de m’affranchir ». Gaston et André pourraient, eux aussi, se
débarrasser du lourd secret et de la malédiction de l’auguste comme ils en délivreraient le
jeune garçon.
Le choix du film, on le comprend plus tard, ce n’est pas un hasard.
Pourquoi le père n’a-t-il pas eu le courage de parler à son fils ? Par pudeur peut-être.
Cette longue partie du livre est remarquable par sa délicatesse, la tendresse qui en émane
et toute la beauté du sacrifice des principaux personnages qui, aux yeux de l’enfant, ne
sont que des « minables ».
Gaston prend plaisir à donner le maximum de détails au jeune qui l’écoute sans
l’interrompre une seule fois. On a l’impression qu’il en « rajoute » même un peu pour qu’on
le croie. Par moments, son récit a des accents pathétiques, même si les termes employés
sont ceux d’un ouvrier, d’un homme qui n’a pas fait d’études, qui parle patois et fait des
fautes de grammaire. C’est une confession au sens premier du terme.
En 41 ou en 42… André et Gaston n’étaient que des gamins. Ils sont entrés dans la
Résistance sans savoir ce qu’ils faisaient, par hasard, même pas des héros. Et en plus, ils
meurent souvent de trouille, comme des mômes. Où est l’image traditionnelle du résistant
stoïque et fier ? Eux, ils sont des êtres humains, des « mômes » avant tout, avec leurs
faiblesses. Chaque fois qu’ils pensent leur dernière heure arrivée, ils se prennent par la
main comme des écoliers, Gaston n’a pas honte de ces moments de doute. « L’héroïsme,
le cœur à l’échancrure de la chemise, la Marseillaise que tu leur chantes à la gueule
jusqu’au souffle dernier, tu peux toujours rêver, mon garçon, c’est du roman. »
La scène de la captivité dans le trou est à la fois tragique et comique. Tragique car elle les
met en face de la réalité : ils vont crever comme des bêtes, et ne savent pas pourquoi ils
sont pris en otage avec leurs deux autres compagnons. Otages coupables, otages
innocents ? La véritable raison de la prise en otage est en parfait décalage avec la réalité,
mais témoigne de l’absurdité et de l’horreur des lois promulguées par le régime de Vichy.
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Dramatique aussi le moment on leur demande de dénoncer les coupables de l’acte de
sabotage. A-t-on le droit de dénoncer l’autre pour sauver sa peau ou doit-on se taire ?
Comique dans la situation : au moment de mourir, André, instituteur de son état, trouve le
moyen de calculer l’aire du…trou ! Quelle importance ! Ridicules aussi les aboiements du
colonel « culotte de cheval » et de ses acolytes. Ils prêtent à rire, car ils sont la caricature
des soldats nazis tels qu’on nous les montre souvent dans les films. Bernd lui-même à sa
première apparition est caricatural dans sa capote vert-de-gris.
La personnalité de Bernd, ses grimaces et ses pitreries sont tellement comiques qu’elles
détendent l’atmosphère au fond du trou. Le rire n’est pas exclu du récit et de la situation,
aussi dramatique soit-elle. Mais très vite, les quatre prisonniers se méfient de leur gardien,
même s’il leur fournit de la nourriture.
C’est avec la bouteille de schnaps que le véritable contact s’établit : un symbole d’union,
un pacte conclu entre eux.
Bernd est un être exceptionnel, prononce des paroles inattendues dans la bouche d’un
ennemi. Il est un des ros de l’histoire, il les sauve et sait leur insuffler le courage de
résister. Il a gardé sa dignité d’Homme, même s’il est du côté du Mal. Bernd est pour ces
quatre hommes sespérés une sorte de messie : « tous ces mots, tellement beaux,
recherchés, que je m’en souviens comme des étoiles…» avoue Gaston.
Peu à peu, le mystère du clown s’éclaircit.
La faute à expier, c’est le mensonge à propos du sabotage du transformateur. Un homme
innocent, victime expiatoire, a été exécuté à la place des deux coupables, dénoncé par sa
femme. C’est un sacrifice remarquable, preuve que même en temps de guerre il y a
encore des hommes dignes de ce nom.
La fin du récit de Gaston est d’une extrême beauté par sa simplicité, un aveu qui vient
presque comme une excuse. Elle est comme un murmure, voilà ce qui en fait la force.
C’est là que le jeune garçon comprend et que maintenant, il se « foutrait des baffes de les
avoir méprisés ». A ce moment-là, sa vie a basculé. Un jour… Nicole, Gaston, André et les
autres seront oubliés, on ne mettra même plus un nom sur leurs photos et pourtant, ils
étaient de véritables héros.
TROISIÈME PARTIE : LA RECONNAISSANCE
La boucle se referme, nous revenons dans le présent, la réalité, nous ne sommes plus
dans le souvenir. C’est maintenant un homme, un adulte, qui rend un hommage poignant
à son père disparu bêtement comme s’il avait achevé son dernier tour de piste.
Le père tant détesté est maintenant le symbole de ces martyrs exécutés gratuitement par
des monstres qui détenaient l’autorité politique. Le fils prend la succession du père, il ira
assister au procès de Maurice Papon, « un type honorable à en croire certains
emmédaillés, bien qu'il ait commis, çà et quelques crimes » pour reprendre les termes
de Michel Quint.
Le clown porte en lui le souvenir de tous les portés, les fantômes des morts, inutiles
victimes de la barbarie. Il n’y a pas de parenthèse dans l’histoire.
Une petite remarque : on parle de forêts de bouleaux et de taillis de hêtres, c’est la
traduction des noms : Buchenwald et Birkenau… ce n’est pas un hasard !
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