spectacle du Théâtre Carpe Diem Argenteuil, direction artistique André Salzet – site http://theatre.carpediem.free.fr/
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et toute la beauté du sacrifice des principaux personnages qui, aux yeux de l’enfant, ne
sont que des « minables ».
Gaston prend plaisir à donner le maximum de détails au jeune qui l’écoute sans
l’interrompre une seule fois. On a l’impression qu’il en « rajoute » même un peu pour qu’on
le croie. Par moments, son récit a des accents pathétiques, même si les termes employés
sont ceux d’un ouvrier, d’un homme qui n’a pas fait d’études, qui parle patois et fait des
fautes de grammaire. C’est une confession au sens premier du terme.
En 41 ou en 42… André et Gaston n’étaient que des gamins. Ils sont entrés dans la
Résistance sans savoir ce qu’ils faisaient, par hasard, même pas des héros. Et en plus, ils
meurent souvent de trouille, comme des mômes. Où est l’image traditionnelle du résistant
stoïque et fier ? Eux, ils sont des êtres humains, des « mômes » avant tout, avec leurs
faiblesses. Chaque fois qu’ils pensent leur dernière heure arrivée, ils se prennent par la
main comme des écoliers, Gaston n’a pas honte de ces moments de doute. « L’héroïsme,
le cœur à l’échancrure de la chemise, la Marseillaise que tu leur chantes à la gueule
jusqu’au souffle dernier, tu peux toujours rêver, mon garçon, c’est du roman. »
La scène de la captivité dans le trou est à la fois tragique et comique. Tragique car elle les
met en face de la réalité : ils vont crever comme des bêtes, et ne savent pas pourquoi ils
sont pris en otage avec leurs deux autres compagnons. Otages coupables, otages
innocents ? La véritable raison de la prise en otage est en parfait décalage avec la réalité,
mais témoigne de l’absurdité et de l’horreur des lois promulguées par le régime de Vichy.
Dramatique aussi le moment où on leur demande de dénoncer les coupables de l’acte de
sabotage. A-t-on le droit de dénoncer l’autre pour sauver sa peau ou doit-on se taire ?
Comique dans la situation : au moment de mourir, André, instituteur de son état, trouve le
moyen de calculer l’aire du…trou ! Quelle importance ! Ridicules aussi les aboiements du
colonel « culotte de cheval » et de ses acolytes. Ils prêtent à rire, car ils sont la caricature
des soldats nazis tels qu’on nous les montre souvent dans les films. Bernd lui-même à sa
première apparition est caricatural dans sa capote vert-de-gris.
La personnalité de Bernd, ses grimaces et ses pitreries sont tellement comiques qu’elles
détendent l’atmosphère au fond du trou. Le rire n’est pas exclu du récit et de la situation,
aussi dramatique soit-elle. Mais très vite, les quatre prisonniers se méfient de leur gardien,
même s’il leur fournit de la nourriture.
C’est avec la bouteille de schnaps que le véritable contact s’établit : un symbole d’union,
un pacte conclu entre eux.
Bernd est un être exceptionnel, prononce des paroles inattendues dans la bouche d’un
ennemi. Il est un des héros de l’histoire, il les sauve et sait leur insuffler le courage de
résister. Il a gardé sa dignité d’Homme, même s’il est du côté du Mal. Bernd est pour ces
quatre hommes désespérés une sorte de messie : « tous ces mots, tellement beaux,
recherchés, que je m’en souviens comme des étoiles…» avoue Gaston.
Peu à peu, le mystère du clown s’éclaircit.
La faute à expier, c’est le mensonge à propos du sabotage du transformateur. Un homme
innocent, victime expiatoire, a été exécuté à la place des deux coupables, dénoncé par sa
femme. C’est un sacrifice remarquable, preuve que même en temps de guerre il y a
encore des hommes dignes de ce nom.
La fin du récit de Gaston est d’une extrême beauté par sa simplicité, un aveu qui vient
presque comme une excuse. Elle est comme un murmure, voilà ce qui en fait la force.