note d’intention
Q
uand André Salzet m’a proposé de mettre en scène le texte de Michel Quint, je me
suis demandé en quoi ce récit pourrait avoir un écho suffisamment profond en moi pour
que je puisse l’offrir au public.
D
’origine brésilienne, j’ai vécu, quand j’étais adolescente dans les années 70, la
dictature militaire au Brésil. L’interdit, là-bas non plus, n’avait pas de limites comme la
violence d’ailleurs : interdits de se réunir, de parler, d’écrire, de lire certains ouvrages. La
censure et le silence étaient la règle ; la peur était vécue au quotidien par tous, peur la
nuit d’entendre les pas des paramilitaires venir vous enlever, peur le jour du regard du
policier ou du voisin, de l’autre qui pouvait, aussi, être du côté du mal...
E
ffroyables Jardins
fait surgir en moi tout d’abord, les bribes de la mémoire oubliée, les
réminiscences de l’adolescence, ce « réveil fortuit de traces anciennes dont l'esprit n'a
pas la conscience nette et distincte » dont parle Sainte-Beuve.
Le narrateur, haut fonctionnaire à la Commission Européenne des finances se souvient
et « conte » son histoire : le rendez-vous manqué avec son père sur le quai de la gare de
Lille en partance vers Bordeaux où doit se dérouler le procès Papon. La mort sur ce quai
de ce père instituteur, pitre, clown triste et ridicule déclenche cet insoutenable besoin de
raconter et de susciter l’image de celui qui fut la cause de toutes ses douleurs et de toutes
ses hontes. Il comprend enfin la bravoure et la fraternité que son père, Résistant,
dissimulait derrière son humilité.
Ce fils qui, à la mort du père tellement rejeté, est capable de faire cet effort de résurgence
de la compassion, rejoint notre histoire à tous.
O
mbres et lumières !
U
n couloir de lumière dans la vie étriquée de ce haut fonctionnaire où les ombres
surgissent et s’imposent dans son présent, si soudaines et si réelles. Il lui est impératif de
se souvenir et de se raconter. Une mémoire oubliée qui se veut perdue dans le trop plein
de sentiments contradictoires, la mesquinerie de l’adolescent face à la présence de ce
père au passé dérisoire de Résistant.
Comme un mannequin, peut être une marionnette qui, tour à tour, représente le père,
l’oncle Gaston, Emile, Henri, Berndt, le « « conteur » peut, enfin se livrer sans retenue :
« J’ai tout ressorti, tout épousseté » avoue-t-il.
O
mbres et lumières !
U
n brouhaha de hall de gare, celle aussi d’une salle des pas perdus de palais de
justice.
Des images fugitives et subliminales d’une foule traversant l’espace.
Autant de fantômes évoqués par le souvenir de l’homme conteur …
Autant de fantômes surgissant dans les plaidoiries du procès Papon …
Autant de fantômes enfouis dans nos vies…
Márcia de Castro