Troisi`eme topique Benoit Virole
sectorielle. Ces intelligibilit´es sectorielles, par exemple
la description des substrats neuronaux aux diff´erentes
fonctions mentales ou celle de l’impl´ementation des
repr´esentations dans les r´eseaux de neurones, sont
n´ecessaires, l´egitimes dans leur m´ethodes, dans leurs
buts. Mais elles sont insuffisantes, en tant qu’intelligi-
bilit´es locales, pour comprendre la complexit´e du psy-
chisme.
Le paradigme de la complexit´e
La seule voie de progression vers l’intelligibilit´e de
la complexit´e psychique consiste `a se donner un es-
pace conceptuel le plus vaste possible. La th´eorie des
syst`emes dynamiques complexes est cet espace virtuel,
m´etaphorique certes, mais qui offre l’avantage de nous
fournir un nouveau lexique. Un syst`eme dynamique
complexe est un syst`eme de nforces en interaction
constitu´ees chacune de plusieurs facteurs interagissant
dont l’identit´e n’est pas connue a priori et dont les
valeurs peuvent changer continuellement alors que les
param`etres du syst`eme global (par exemple, l’esprit,
la conscience, l’activit´e psychique. . .) restent globale-
ment constants1. Ce syst`eme se manifeste par des ´etats
apparents2. On suppose qu’il existe `a l’int´erieur de ce
syst`eme une dynamique interne, ´egalement inconnue,
inobservable, qui d´efinit les ´etats que ce syst`eme peut
occuper de fa¸con stable. Ces ´etats sont en nombre fini.
Ils sont consid´er´es comme les attracteurs du syst`eme.
Ces ´etats se virtualisent mutuellement. Ils n’existent
pas de fa¸con isol´ee. Ils sont li´es par des rapports de
d´etermination r´eciproque et remplissent ainsi les condi-
1. Pour une introduction aux syst`emes dynamiques, Abra-
ham F. A., A Visual Introduction to Dynamical Systems
Theory for psychology, The Science Frontier Express Se-
ries, 1989. Pour les questions de mod´elisation, Le Moigne
J.L., La Mod´elisation des syst`emes complexes, Dunod,
1999, pour une approche philosophique, Edgar Morin,
Introduction `a la pens´ee complexe, ESF ´ed., Paris, 1990.
2. Pour une pr´esentation plus d´etaill´ee, voir La complexit´e
de soi, p. 309,et l’article Forme de Jean Petitot dans
Encyclopaedia Universalis, (2002).
tions d’un syst`eme structural au sens de Deleuze3. Ce
syst`eme est contrˆol´e par des facteurs de contrˆole qui va-
rient de fa¸con continue dans un espace dit externe, ou
encore espace substrat du syst`eme dans lequel se mani-
festent les qualit´es observables (par exemple, les obser-
vables neurophysiologiques, taux de neuro-m´ediateurs,
cin´etiques des neuro-modulateurs4, etc.). Pour cer-
taines valeurs critiques de ces facteurs de contrˆole,
le syst`eme bifurque vers un autre attracteur (donc
un autre ´etat du syst`eme). Cette transition d’´etats se
manifeste par une discontinuit´e de certaines des qua-
lit´es observables (´etats mentaux). En psychopatholo-
gie, nous observons des stabilisations anormales dans
certains types d’´etat (par exemple la d´epression), des
transitions brutales, parfois des cycles, des trajectoires
´evolutives, des ph´enom`enes anxieux, d´elirants, etc.
Nous pouvons nous contenter d’une d´efinition relation-
nelle de ce type de syst`eme qui permet de pr´evoir qua-
litativement son ´evolution et la structure d’´equilibre
vers laquelle il tend, dans un environnement variable
comportant du hasard et susceptible de le modifier.
C’est le cas du psychisme en interaction avec d’une
part la r´ealit´e biologique et d’autre part la r´ealit´e so-
ciale, et qui est influenc´e par elles, tout en maintenant
une stabilit´e structurelle (≪nous restons nous-mˆemes,
dans une certaine proportion, malgr´e les variations du
3. Rappelons les sept crit`eres du structuralisme propos´es
par Gilles Deleuze : (1) ; existence du symbolique s’oppo-
sant `a l’imaginaire et au r´eel ; (2) le sens d´ecoule des po-
sitions r´eciproques ; (3) les relations sont diff´erentielles ;
(4) tendance `a la diff´erenciation des structures ; (5) exis-
tence de s´eries ; (6) existence d’une case vide permettant
le fonctionnement de la structure (par exemple, objet
a chez Lacan ; plus-value dans l’interpr´etation de Marx
par Althusser) ; (7) g´en´erativit´e (par exemple question-
nement subjectif chez Lacan). Cf. Deleuze G., ≪`
A quoi
reconnaˆıt-on le structuralisme ? ≫, dans Histoire de la
philosophie, sous la direction de Fran¸cois Chatelet, Le
XX`eme si`ecle, Hachette litt´erature, 1973.
4. Les neuro-modulateurs, dopamine, s´erotonine, no-
radr´enaline, permettent d’initier, d’inhiber ou de re-
hausser ≪l’information ≫en modifiant les contrastes
entre les zones neuronales activ´ees. Les trois syst`emes
de neuro-modulation pr´esentant des cin´etiques distinctes
(rapide et lente) g´en`erent des dynamiques de couplage
(r´esonance, d´ephasage) dont la mod´elisation impose le
recours aux mod`eles math´ematiques de la complexit´e
(attracteurs, diagramme des phases.).
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Charielleditions
2 Janvier 2017