A la découverte de L’Histoire
Cours d’histoire 2011/2012. G. Durand
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HISTOIRE DE FRANCE
« QUELLES PLACES POUR LA MEDITERRANEE DANS
L’HISTOIRE MEDIEVALE ET MODERNE DE LA
FRANCE ? »
Cours 4 : La Méditerranée des croisades : zone de conflit
et lieu d’échanges interculturels
INTRODUCTION :
L’affrontement fut une dimension essentielle des relations entre latins et musulmans, qui
caractérise très fortement l’étendue de la méconnaissance entre ces civilisations. Néanmoins,
cette dimension antagoniste dans les rapports ne définit pas l’unique moyen d’échanges entre
les deux mondes : alors que jusque dans les premières années du XIe siècle, la supériorité
militaire musulmane est écrasante, les décennies suivantes sont marquées par une série
d'offensives chrétiennes en Espagne (Reconquista), en Sicile (conquête normande) et au
Proche-Orient (Croisades) qui bouleversent l'équilibre précédent et inaugurent de nouvelles
frontières.
La Méditerranée est, actuellement, à la fois une zone de conflits et d’échanges ;
peut-on en dire la même chose au Moyen Âge et plus particulièrement pour les 12e
et 13e siècles, époque des plus importantes expéditions guerrières menées par
l’Occident chrétien contre l’Orient musulman et byzantin ? Les réponses sont
complexes mais il est certain que les relations inter-méditerranéennes ne se
limitèrent pas au choc militaire des croisades comme on pourrait le penser. Il y eut
aussi et à égalité avec les conflits, de fructueux échanges intellectuels, des relations
commerciales et parfois une véritable osmose sociale.
Le mot de « croisade » est un terme galvaudé dans lequel on voit souvent
exclusivement un choc de l’Occident contre l’Orient, donc des chrétiens contre les
musulmans. Cette vision est très réductrice. Ni les Occidentaux, ni les Orientaux ne
sont des groupes homogènes, monolithiques et unis quant aux croyances. La
situation de la Méditerranée médiévale est beaucoup subtile.
GEOPOLITIQUE DE LA MEDITERRANEE :
Les Occidentaux sont certes largement chrétiens, mais ils se divisent entre
Catholiques latins, fidèles au Pape, et qui avancent l’universalité de leur dogme
romain, et Orthodoxes grecs qui proclament que la juste doctrine est celle de
Byzance et refusent l’obédience pontificale, depuis le schisme gréco-latin au temps
du patriarche Michel Cérulaire en 1054. Leurs relations sont rien moins que
fraternelles. Par ailleurs, l’Occident (Maghreb en arabe), c’est aussi l’Espagne et la
Sicile notamment, où résident massivement d’importants groupes musulmans.
Le monde musulman n’est pas plus uni que le monde chrétien : on y relève
plusieurs obédiences politico-religieuses ;
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- Sunnites : (de sunna / ligne de conduite de Mahomet) courant majoritaire
musulman ; Coran (livre révélé par Dieu au prophète de l’Islam) comme
source du droit musulman. Conception souple de la religion.
o Sous divisé : malikisme (imam Malik ibn Anas 711-795) ; hanafisme
(imam Abu Hanifa 699-767 => Turcs / Ottomans) ; chaféisme (Al-
Châfii 767-820) ; hanbalisme (imam Ahmed bin Hanbal 780-855).
- Chiites (duodécimains) : (Irak - Iran / perse) : Partisans d’Ali, gendre de
Mahomet (époux de Fatima).
o Suivent après 765, Mûsâ al-Kâzim, frère cadet d’Ismail.
o Le 12e successeur de Mahomet al-Mahdi disparaît en 874 : c’est
l’occultation. Met un terme au lien entre temporel et spirituel.
- Ismaéliens : courant minoritaire de l’Islam chiite. Apparaît après 765 avec la
mort de Ja’far as-Sadiq. L’aîné, Ismail, est désigné pour lui succéder.
(autres Kharidjisme ou ibadisme, clan rebelle qui refuse l’arbitrage d’Ali et
Mu’awiya de 657)
- Fatimides (ismaéliens) et seldjoukides (sunnites) se combattent
farouchement.
Politiquement le monde musulman est divisé en trois califats, Cordoue, Le Caire et
Bagdad dans lesquels vivent des minorités chrétiennes, mozarabes, arméniennes,
syriaques, coptes souvent mal cernées par l’Occident latin. En outre, un nouveau
peuple apparaît au 11e siècle au Proche-Orient, les Turcs Seldjoukides (d’Alp
Arslan), venus d’Asie centrale et récemment convertis à l’Islam sunnite, qui
conservent leurs mœurs ancestrales, accordant une grande place à la valeur
guerrière mise au service de la guerre sainte. C’est leur victoire sur les Byzantins de
Romain Diogène à Manzikert en 1071, qui rompt le fragile équilibre politique de la
région, multipliant, entre autres, pour les pèlerins chrétiens, les difficultés d’accès
aux Lieux Saints de Palestine. La progression inexorable des Turcs en Anatolie et
leurs victoires répétées sur les Byzantins auraient conduit l’empereur Alexis Ier
Comnène à adresser, vers 1088-1089, une lettre au Pape réclamant à l’Occident des
mercenaires.
LES CROISADES EN TANT QUE CONFLIT :
La réponse fut d’une toute autre nature qui ne laissa pas d’étonner les témoins
contemporains : c’est la Première Croisade, véritable migration de peuples, avec,
outre les armées officielles, son cortège d’exaltés, de fanatiques et de pauvres gens.
Longeant le Danube, traversant les Balkans, s’inquiétant en vue de chaque ville
d’importance de savoir si on arrivait enfin à Jérusalem, les pèlerins pillent et
massacrent, notamment les communautés juives d’Europe centrale. Désireux de se
débarrasser rapidement de ces encombrants alliés, l’empereur byzantin leur fait
traverser le Bosphore, les livrant aux Turcs qui exterminent les premiers
contingents populaires mal armés avant d’être eux-mêmes vaincus par le croisade
mieux organisée des Barons, qui aboutira à la prise d’Antioche en 1098 puis à la
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réalisation du but de leur marche, Jérusalem, conquise le 15 juillet 1099, après un
long siège et dans des conditions particulièrement sanglantes, ainsi que le rapporte
un témoin normand de l’occupation de la ville sainte :
« Le vendredi (15 juillet), de grand matin, nous donnâmes un assaut général à la
ville sans pouvoir lui nuire ; et nous étions dans la stupéfaction et dans une grande
crainte. Puis, à l’approche de l’heure à laquelle Notre Seigneur Jésus-Christ
consentit à souffrir pour nous le supplice de la croix, l’un de nos chevaliers, du
nom de Liétaud, escalada le mur de la ville. Bientôt, dès qu’il fut monté, tous les
défenseurs de la ville s’enfuirent des murs à travers la cité, et les nôtres les
suivirent et les pourchassèrent en les tuant, en les sabrant jusqu’au temple de
Salomon, où il y eut un tel carnage que les nôtres marchaient dans le sang
jusqu’au chevilles ».
Godefroy de Bouillon, refusant le titre de roi par humilité, sera proclamé « avoué
du Saint-Sépulcre » en attendant que son frère et successeur Baudouin de Boulogne
devienne le premier roi en titre de Jérusalem en 1100. Trois autres principautés
devaient voir le jour, la principauté d’Antioche dévolue aux Normands d’Italie, le
comté d’Edesse aux Flamando-Lorrains et le comté de Tripoli aux Provençaux.
Ainsi étaient constitués les Etats latins d’Orient, et la présence franque au cœur de
la région syro-palestiniennes, devait, avec bien des aléas, perdurer jusqu’à la chute
de Saint-Jean d’Acre en 1291.
Ce qui frappa beaucoup le monde musulman, ce fut la violence aveugle des croisés,
tuant sans distinction ni code de guerre. Mais, plus grave encore, s’installant dans
les nids d’aigles du désert du Négueb, les nouveaux venus contrôlaient les voies
commerciales d’Egypte vers la Syrie et perturbaient les routes du pèlerinage vers la
Mecque.
Au 12e siècle, l’idée de croisade a un poids idéologique très mobilisateur ; mais dès
les débuts du 13e siècle, on peut dire que beaucoup n’y croient plus. Il est probable
que le détournement de la 4e Croisade vers Constantinople (1204) et le sac de la
grande métropole chrétienne est, au moins en partie, responsable de cette
désaffection.
Les deux expéditions de Louis IX, en 1248 et en 1270, sonnent comme des
anachronismes ; en témoigne Rutebeuf dans sa « Disputation du Croisé et du
Décroisé » en 1270, le poète fustige ceux qui partent outre-mer poussés par une
soif d’entreprise déraisonnable : « Il vaut mieux rester chez soi que d’aller disputer
à autrui des biens qui ne donneront que de l’inquiétude », fait dire Rutebeuf aux
adversaires de la croisade.
LES CROISADES EN TANT QU’ECHANGE :
De plus, duite l’histoire de la Méditerranée au 12e siècle à un exclusif « choc des
civilisations » laisserait de côté un aspect relationnel essentiel. Le facteur échange
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est en effet un phénomène majeur des sociétés musulmanes, chrétiennes et juives
au Moyen Âge.
De façon générale, et si paradoxal que cela paraisse, la guerre constitue un truchement, un
pont, un moyen de contact, autant qu'un affrontement; et ce contact qu'elle entraîne avec
la réalité concrète est source de différenciation et de nuances, dont la juste appréciation se
révèle, sur le terrain, indispensable à la conduite de toute politique efficace (fût-elle sanglante
par certains de ses aspects). Si les premiers Croisés sont tout feu tout flamme, leur ardeur
combative s'atténue et leurs moeurs subissent l'influence de la civilisation plus raffinée à
laquelle ils se frottent. C'est vrai surtout de ceux qui décident de s'établir en Palestine. Qui ne
connaît ce célèbre passage de Foucher de Chartre : « Nous qui avons été des Occidentaux,
nous sommes devenus des Orientaux; (...) » ? Et cette anecdote, encore, d'Ousamâ dans
laquelle il relate non sans ironie comment « les Templiers, mes amis » doivent « éduquer
» les Francs nouveaux venus et les sensibiliser aux us et coutumes des musulmans ?
1. LA COLONISATION FRANQUE :
Des Occidentaux se sont installés rapidement au Proche Orient et y ont même fait
souche. Dès le lendemain de la Première croisade, le chapelain du contingent
français, Foucher de Chartres, auteur des Gesta Dei per Francos appelle ses
compatriotes d’Europe à rejoindre la Terre Sainte en un véritable mouvement de
colonisation.
Ces colons se métisseront largement ; ils se marieront sur place, apprendrons les
langues et assimileront les cultures locales. Issus de cette première vague, les
Francs de la génération suivante, nés sur place de parents franco-syriens, seront
appelés « Poulains ».
2. LA DIPLOMATIE :
On sait par ailleurs que les Templiers avaient à l’occasion de bonnes relations avec
tel ou tel groupe musulman, et un ambassadeur de Damas à Jérusalem n’hésite pas
à les considérer comme ses amis. Frédéric II de Hohenstaufen, prince philosophe,
épris de culture arabo-musulmane, en froid avec la Papauté, négociera avec les
descendants de Saladin la restitution des Lieux Saints en 1229 et sera couronné roi
de Jérusalem sans combattre !
Aux échanges économiques, les croisades ajoutent donc des contacts et une certaine
curiosité politiques (sans même parler ici de la curiosité scientifique). Contacts politiques
dont l'aspect diplomatique et pacifique atteindra son apogée en 1229 avec la sixième «
croisade », à la tête de laquelle Frédéric II obtient par la négociation et sans combattre
Jérusalem, Bethléem et Nazareth du sultan d'Egypte Mohammad El-Kamil…. Second à
reconquérir les villes après Godefroy de Bouillon. (traité de Jaffa il fut couronroi de
Jérusalem en 1229).
Polyglotte (au moins 6 langues) : latin, grec, sicilien, arabe, normand, allemand (hébreu ?).
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Obtention éphémère il est vrai, mais procédé significatif. Significatif d'un certain type
d'hommes et de relations, sur lesquelles nous reviendrons plus loin.
Exemple que l'Église ne peut évidemment que condamner. Pour Rome, la cohabitation
avec l'islam est impensable, impie, et le pape s'emploie vainement à torpiller l'entente
conclue en Palestine. Le succès momentané de la diplomatie impériale n'empêche pas l'Église
catholique de dominer le champ idéologique d'une grande partie de la chrétienté occidentale.
Pour les masses qui n'ont aucune expérience directe de l'Islam (au Nord-Ouest surtout), le
verbe de l'Église est autrement plus présent et pesant que les vues cosmopolites d'une élite
éclairée.
D’autant que Frédéric rassemble les Gibelins contre les guelfes du Pape.
Déposé lors du Concile de Lyon en 1244 par Innocent IV : accorde à ceux qui partiraient en
guerre contre lui le statut de croisés.
Frédéric II promulgua un édit en 1241 autorisant la dissection de cadavres humains,
s’opposant ainsi à l’Eglise. La levée de cet interdit permit à l’italien Mondino de Liuzzi à
Bologne de perfectionner certaines notions de l’anatomie humaine.
Correspondance soutenue à la fin de son règne avec Ibn Sab’in, théologien et mystique soufi
de l’Andalousie.
3. LA CURIOSITE OCCIDENTALE POUR L’ORIENT :
Peut-on dire que l’Occident latin s’est mis, au Moyen Âge, à l’école du monde
musulman ? Oui, si l’on en croit Roger Bacon, au 12e siècle : « Des savants arabes,
nous avons hérité toute la philosophie et tout le savoir scientifique que nous latins
n’avons pas ». Un siècle plus tôt, Adélard de Bath ou Daniel de Morley
(philosophe anglais, 1140-1210) opposent l’enseignement de leurs maîtres arabes
guidés par la raison (ratio), à l’obscurantisme des cours dispensés dans les écoles
latines dont le seul souci est d’affirmer sans discussion l’autorité (autoritas) des
auteurs antiques. Il est indéniable que l’Islam classique est à l’opposé d’une culture
obscurantiste ; de nombreux hadiths (paroles du Prophète), de même que certains
passages du Coran encouragent la quête scientifique et le cosmopolitisme savant :
« Va chercher la science, fût-elle en Chine », « l’encre du savant est préférable au
sang du martyr »
On connaît les importateurs de la pensée arabe :
- Gerbert d’Aurillac, le futur pape Sylvestre II (mort en 1003), traduit en latin
Aristote dont il découvre les manuscrits en Espagne (en 967). Il s’initie à la science
musulmane (mathématiques numération décimale / la division certes en chiffre
romain et sans le 0 - et astronomie). En 984, il réclame dans une lettre à Lupitus de
Barcelone un liber de astrologia, qui aurait pu lui procurer les connaissance sur
l’astrolabe.
- Platon de Tivoli, traducteur italien, installé à Barcelone puis Tolède où il collabore
ave le mathématicien Abraham bar Hiyya, du 12e siècle. Astronome et mathématicien.
Il est connu pour sa traduction depuis l’arabe de l’astrologie (le Tetrabiblos) de
Ptolémée, terminée vers 1138.
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