L e s f i c h e s d e j u r i s p r u d e n c e d ’ e J u r i s . b e : Im m o b i l i e r – F i s c a l i t é – U r b a n i s m e - C o p r o p r i é t é – C o n s t r u c t i o n Troubles de voisinage Travaux publics n° 113 Les fiches de Jurisprudence de www.eJuris.be Cour de cassation (1ère ch.), Arrêt du 23 novembre 2000 Si l'article 544 du Code civil oblige l'auteur d'un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage à compenser la rupture d'équilibre causée par ce trouble, encore faut-il, lorsque l'auteur est un pouvoir public, que le juge tienne compte dans son appréciation des charges qu'un particulier doit supporter dans l'intérêt collectif. Les dommages qui dépassent les inconvénients normaux du voisinage ne doivent être compensés que dans la mesure où ils dépassent ces inconvénients; que le juge doit tenir compte, à cet égard, des charges que tout particulier doit supporter dans l'intérêt collectif; La condamnation à une somme représentant, au-delà du rétablissement de l'équilibre rompu par les troubles anormaux, l'intégralité du préjudice subi par le défendeur n'est pas légalement justifié (Revue du Notariat 2001, p.113 et RGDC 2001, p. 380) Arrêt du 23 novembre 2000 La Cour, (…) Vu l'arrêt attaqué, rendu le 5 novembre 1998 par la cour d'appel de Bruxelles; Sur le moyen pris de la violation des articles 544, 1315 du Code civil, 5, 702, spécialement 3°, 807, 870, 1042 du Code judiciaire, du principe général du droit, exprimé dans les règles Da mihi factum, dabo tibi jus et Jus novit curia (consacrées par l'article 1315 du Code civil et les articles susvisés du Code judiciaire), selon lequel les parties ne doivent prouver que les éléments de fait sur lesquels elles se fondent, par opposition à la norme juridique que le juge doit appliquer; et 149 de la Constitution coordonnée, en ce que l'arrêt déclare l'action originaire fondée à l'encontre de la demanderesse et confirme le jugement du 15 juillet 1992 en ce qu'il a condamné celle-ci au paiement de la somme de 2.600.687 francs, cette somme devant être actualisée, et la condamne en outre aux intérêts compensatoires au taux légal sur la somme ainsi actualisée ainsi qu'aux dépens des deux instances et ce aux motifs: «que (Jérôme Van Hooren) a subi des troubles excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage; Que, sans doute, lorsque l'auteur du trouble est un pouvoir public, le juge doit tenir compte, dans son appréciation de l'importance du trouble, des charges qu'un particulier doit supporter dans l'intérêt collectif; qu'on ne saurait cependant admettre qu'un particulier; tel que (Jérôme Van Hooren), puisse avoir à supporter sans compensation, dans l'intérêt collectif, des troubles de l'importance de ceux qui se sont effectivement produits pendant la durée des travaux, soit de début 1974 à septembre 1976; Que l'expert désigné par le premier juge a relevé, notamment, les difficultés de circulation aux environs de la place de Brouckère et les difficultés de se parquer dans les environs, le bruit et la poussière résultant des travaux, ainsi que la réduction de la largeur des trottoirs, les fréquents travaux d'ouverture et fermeture des trottoirs, et le manque d'attrait pour les clients éventuels de se rendre dans un magasin environné de chantiers; Que c'est en vain que la (demanderesse) a cru pouvoir contester la gravité des nuisances (subies par Jérôme Van Hooren), d'abord de manière globale, puis en soutenant, dans ses conclusions additionnelles déposées le 24 juin - où elle se réfère à des documents et à des photographies qu'elle venait, dit-elle, de découvrir- que les travaux ayant été exécutés principalement de l'autre côté de la place de Brouckère, (Jérôme V. H.) n'aurait pas eu à en souffrir, sauf pendant une durée d'un mois au plus, en raison de travaux au trottoir devant le magasin, et que, sauf pendant cette courte période le vacarme et la poussière provoqués par le chantier de la place n'auraient pas été plus gênants, pour lui, que ceux qu'on rencontre habituellement dans une grande ville; Qu'il est en effet constant que l'entreprise de construction du métro a provoqué un vacarme énorme résultant notamment du travail des excavatrices et du battage de pal planches, ainsi que les vibrations causées par les différents ouvrages de terrassement, le tout créant un niveau sonore insupportable de jour comme de nuit, la poussière alternant avec la boue; Que ces nuisances ont affecté la place de Brouckère dans son ensemble, et que l'ampleur des travaux et les embarras de circulation ont entraîné les conséquences relevées par l'expert, en particulier sur la clientéle; Qu'une rupture d'équilibre entre les fonds voisins est ainsi établie, et que la (demanderesse) succédant à l'État, en doit réparation, sous la forme d'une juste et adéquate compensation, rétablissant l'égalité rompue; L e s f i c h e s d e j u r i s p r u d e n c e d ’ e J u r i s . b e : Im m o b i l i e r – F i s c a l i t é – U r b a n i s m e - C o p r o p r i é t é – C o n s t r u c t i o n Troubles de voisinage Les fiches de Jurisprudence de www.eJuris.be Travaux publics n° 113 Qu'il existe en effet une relation causale entre les troubles dus aux travaux - qui excédent les inconvénients normaux du voisinage, même en tenant compte des charges qu'un particulier doit supporter dans l'intérêt collectif - et le dommage subi par le demandeur originaire; Que l'expert a noté dans son rapport qu'il est ( ... ) évident que la chute des ventes est la conséquence directe des travaux réalisés pour la construction du prémétro'; Que 'l'emplacement (du) commerce ( ... ) à la place de Brouckère était excellent et que tout semblait donc destiner M. V. H. à un avenir prometteur'; Que la (demanderesse) conteste le montant des condamnations prononcées par le premier juge, et qu'elle fait grief à celui-ci d'avoir envisagé une indemnisation intégrale du préjudice, plutôt qu'une compensation rétablissant l'égalité rompue, d'avoir omis de prendre en considération la plus-value apportée au fonds par le réaménagement de la place de Brouckère, d'avoir accepté une pondération non justifiée du chiffre d'affaires, et d'avoir cumulé l'actualisation de l'indemnité à la date du jugement avec les intérêts judiciaires calculés sur cette indemnité réactualisée; Que le premier juge a relevé, dans son jugement du 15 juillet 1992, que le montant du préjudice subi se situe entre la perte nette et la perte pondérée du chiffre d'affaires, puisque M. V. H. a non seulement perdu le bénéfice sur ce qu'il n'a pas vendu (perte nette), mais également le prix de revient des stocks qu'il a inutilement constitués en prévision de ventes normales; Que le demandeur a accepté de s'en tenir au chiffre le plus bas (perte nette)'; que le calcul qu'effectue l'expert, pour la détermination de la perte nette, en tenant compte, légitimement, des variations de l'index, et en retenant un bénéfice brut moyen de 36,42%, donne après rectification opérée au cours de sa comparution devant le tribunal, le 14 mai 1990 - un montant de 2.600.687 P.; Que cette méthode d'évaluer le préjudice doit être approuvée; que la (demanderesse) soutient qu'il aurait fallu tenir compte de la crise économique qui a particulièrement sévi dans le secteur du textile, du manque de fonds propres au moment de la reprise du commerce, de la baisse de bénéfice brut déjà constatée avant le début des travaux et de la concurrence sévère des grands magasins de la rue Neuve; Qu'elle ne démontre cependant pas quelle influence aurait pu avoir la crise de l'industrie belge du textile sur un commerce de détail tel que celui du demandeur originaire, ni en quoi la concurrence des grands magasins se serait fait sentir plus particulièrement pendant la période où les travaux ont été exécutés; que la baisse de bénéfice brut avant les travaux n'est pas du tout significative, et que le manque de fonds propres ne saurait expliquer les pertes relevées par l'expert; qu'il est d'ailleurs à noter que celui-ci ne souligne le manque de fonds propres qu'en rapport avec la faillite survenue après la fin des travaux, en y voyant une :cause de celle-ci -ce qui est une tout autre question à propos de laquelle il convient au reste de donner acte (au défendeur), qualitate qua, des réserves qu'il fait; Que, d'autre part, il n'est nullement démontré qu'au moment de la reprise du fonds de commerce par (Jérôme V. H.), en mai 1972, celui-ci aurait, comme l'a pensé l'expert, escompté les difficultés devant résulter des grands travaux; Qu'en toute hypothèse, on n'aperçoit pas, encore une fois, en quoi les conditions favorables qui ont pu lui être consenties par le cédant, en raison semble-t-il des liens personnels existant entre eux, pourraient entrer dans le calcul de la perte de chiffre d'affaires due aux travaux; que c'est donc très normalement que l'expert n'en a pas tenu compte dans ce calcul; que la plus-value prétendument réalisée, par rapport au prix d'acquisition, lors de la cession du fonds de commerce, le 31 janvier 1977, à un restaurateur chinois, est, de même, étrangère à la question; que cette plus-value n'est d'ailleurs pas démontrée; Que, selon la (demanderesse), (Jérôme V. H.) aurait tiré avantage du réaménagement de la place de Brouckère, et une plus-value de son fonds en aurait résulté; mais ( ... ) que les travaux n'ayant pris lin qu'en septembre 1976, et quel qu'ait pu être l'impact dans le public de l'inauguration des nouveaux ouvrages el des festivités qui l'ont accompagnée, on n'aperçoit pas comment (Jérôme V. H.) aurait pu en tirer personnellement profit dans ses activités pendant la très courte période qui s'est écoulée avant la cession; Qu'une clientèle perdue ne retrouve pas du jour au lendemain le chemin d'un commerce délaissé depuis longtemps; qu'en outre, les parties à la convention de cession ne pouvaient ignorer que leurs clientèles respectives n'étaient pas du tout les mêmes; L e s f i c h e s d e j u r i s p r u d e n c e d ’ e J u r i s . b e : Im m o b i l i e r – F i s c a l i t é – U r b a n i s m e - C o p r o p r i é t é – C o n s t r u c t i o n Troubles de voisinage Les fiches de Jurisprudence de www.eJuris.be Travaux publics n° 113 Que la (demanderesse) va jusqu'à soutenir que le rapport de l'expert ne lui serait pas opposable, au motif quelle n'était pas à la cause à l'époque de l'expertise que cette prétention ne saurait être retenue, puisque la (demanderesse) a succédé à l'Etat belge, qui était à la cause à l'époque; Que la reprise d'instance place celui qui l'effectue dans une situation identique à celle de la partie dont il prend la place; Que la (demanderesse) semble à vrai dire ne tirer de sa contestation d'autre conclusion que la nécessité qu'il y aurait selon elle à ordonner une nouvelle expertise qu'elle demande - tendant à déterminer l'incidence de la crise du textile sur l'évolution du chiffre d'affaires théorique à réaliser par M. V. H. durant les travaux de construction du métro, à évaluer la plus-value apportée au fonds ensuite du réaménagement de la place de Brouckère et celle réalisée sur le prix de vente du fonds de commerce, et, tenant compte de ces éléments, à recalculer le montant en principal dû (au défendeur); Que les considérations qui précèdent démontent l'inutilité de la mesure sollicitée, et qu'il y donc lieu de rejeter cette demande; Que la (demanderesse) ne démontre pas pourquoi la compensation, due par application de l'article 544 du Code civil, devrait, en l'espèce, être moins élevée qu'une indemnisation calculée selon le droit commun de la responsabilité; Qu'elle s'abstient d'indiquer comment la compensation, en la supposant inférieure à cette indemnisation, devrait se calculer en l'espèce; Que la prise en compte des charges qu'un particulier doit supporter dans l'intérêt collectif influe sur l'appréciation de l'importance du trouble afin de déterminer s'il est excessif ou non, mais non sur sa réparation, dès le moment où, compte tenu de cet élément d'appréciation, son caractère excessif est établi, qu'en l'espèce, la compensation due pour rétablir l'équilibre rompu doit être fixée au montant du dommage, tel qu'il a été évalué; Qu'en outre, ce montant doit être actualisé, pour tenir compte de la diminution du pouvoir d'achat de la monnaie, depuis le 1er avril 1977; Que lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'une dette de valeur - par opposition aux dettes de somme -, c'est la décision du juge qui transforme l'obligation de réparation en obligation monétaire; que le juge peut tenir compte, au moment où il statue, des fluctuations monétaires qui ont pu se produire depuis la survenance du dommage; que le juge d'appel peut augmenter l'indemnité, en raison de la dépréciation monétaire survenue depuis la décision du premier juge; Qu'il y a lieu de faire droit à l'appel incident formé en conclusions par (le défendeur), qualitate qua, et tendant à obtenir l'actualisation du montant de 2.600.687 F. à la date du présent arrêt; que (le défendeur) a également droit, en principe, aux intérêts compensatoires, sur le montant ainsi actualisé", Alors que (…) troisième branche, les dommages qui dépassent les inconvénients normaux du voisinage ne doivent être compensés que dans la mesure où ils dépassent ces inconvénients; que le juge doit tenir compte, à cet égard, des charges que tout particulier doit supporter dans l'intérêt collectif; que cependant l'arrêt prononce à charge de la demanderesse, pour les motifs reproduits au moyen (et notamment pour le motif illégal que les charges qu'un particulier doit supporter dans l'intérêt collectif ne peuvent influer sur le montant de la réparation à laquelle il a droit), la condamnation à une somme représentant, au-delà du rétablissement de l'équilibre rompu par les troubles anormaux, l'intégralité du préjudice subi par le défendeur qualitate qua en raison de ces troubles; d'où il suit que l'arrêt n'est pas légalement justifié (violation de l'art. 544 du Code civil); Quant à la troisième branche: Attendu que si l'article 544 du Code civil oblige "auteur d'un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage, fut-il un pouvoir public, à compenser la rupture d'équilibre causée par ce trouble, encore faut-il, lorsque l'auteur est un pouvoir public, que le juge tienne compte, dans son appréciation de l'importance du trouble, des charges qu'un particulier doit supporter dans l'intérêt collectif; Que s'agissant de compenser une rupture d'équilibre, cette disposition légale ne permet d'indemniser que ce qui excède la limite des inconvénients normaux de sorte que le juge doit également prendre en considération lesdites charges pour évaluer le montant de la compensation due par l'auteur du trouble; Attendu qu'en énonçant "que la prise en compte des charges qu'un particulier doit supporter dans l'intérêt collectif influe sur l'appréciation de l'importance du trouble afin de déterminer s'il est excessif ou non, mais non sur sa réparation, dès le moment où, compte tenu 'dl cet élément d'appréciation, son caractère excessif est établi", la cour d'appel a violé la disposition légale invoqué ; Qu'en cette branche, le moyen est fondé;