NOTE DE CONSULTATION

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JUGE DE PAIX : JUGE NATUREL DES TROUBLES DE VOISINAGE : SUITE MAIS PAS
FIN…
Pierre ROUSSEAUX/S.N.P. ARTICLES
De Pierre ROUSSEAUX, avocat, Président S.N.P. CHARLEROI
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Nos juridictions et leurs Juges doivent se spécialiser.
Aussi, nos règles de compétences matérielles, il nous apparaît que leur interprétation doit être dictée
par cette optique de spécialisation.
Mais ce n’est pas toujours le cas et nous ne pouvons que le déplorer…
Dans un article intitulé « Juge de Paix, Juge naturel de la copropriété ? » (LE CRI, janvier 2014, n° 380,
p. 22), nous précisions notamment :
« Le regroupement de l’habitat lié à la limitation des surfaces constructibles et, aussi, la
difficulté de vivre ensemble, génèrent des litiges de plus en plus nombreux en matière de
copropriété…
Les magistrats cantonaux ne connaissant pas, dans la grande majorité, un retard judiciaire,
grâce à leur structure plus souple, ne pourraient-ils pas absorber une compétence plus large
pour connaître « des contestations en matière de copropriété » ? Cette formulation nouvelle (il
faudrait sans doute réfléchir à une formulation encore plus adaptée) permettrait en tout cas
d’englober une grande partie des litiges liés à l’exercice d’un droit de copropriété et permettrait
ainsi d’éviter de nombreuses questions de compétence. ».
Nous pensions notamment aux questions liées à la responsabilité des syndics.
Ultérieurement, dans un autre article, cette fois intitulé « Juge de Paix : aussi Juge naturel des troubles
de voisinage » (LE CRI, février 2014, n° 381, p. 15), nous nous étions réjouis en commentant une
décision du Tribunal d’Arrondissement de Nivelles du 15 novembre 2011 qui relevait :
« La compétence spéciale du Juge de Paix prévue par l’article 591, 3° du Code Judiciaire
s’étend à toute contestation ayant pour objet un trouble de voisinage visé par l’art. 544 du
Code Civil concernant des fonds contigus et opposant des titulaires de droit réel ou personnel
et disposant d’un des attributs du droit de propriété de chacun de ces fonds ».
Dans cette décision, il était notamment relevé :
« … Aucun motif, ni de fait, ni de droit, ne justifie d’écarter à priori des obligations que la loi
impose aux propriétaires de fonds contigus qui font l’objet de la compétence spéciale établie
par l’article 591, 3° précité du Code Judiciaire, les obligations qui sont établies article 544 du
Code Civil ».
Relevons toutefois, dans le résumé de cette décision, une incohérence puisqu’il est question de
troubles de voisinage fautifs visés par l’article 544 du Code Civil. Or, le trouble de voisinage est un
trouble qui ne doit pas être associé au concept de faute.
Il n’est pas inutile d’en revenir aux deux Arrêts de principe du 6 avril 1960 qui ont reconnu cette théorie
de troubles de voisinage.
« L’article 544 du Code Civil reconnaît à tout propriétaire le droit de jouir normalement de sa
chose; que les propriétaires voisins ayant ainsi un droit égal à la jouissance de leur propriété, il
en résulte qu’une fois fixé les rapports entre les propriétés compte-tenu des charges normales
résultant du voisinage, l’équilibre ainsi établi doit être maintenu entre les droits respectifs des
propriétaires ;… que le propriétaire d’un immeuble qui, par un fait non fautif (c’est nous qui
soulignons), rompt cet équilibre en imposant à un propriétaire voisin un trouble excédant la
mesure des inconvénients ordinaires du voisinage, lui doit une juste et adéquate
compensation, rétablissant l’égalité rompue ».
Que dit expressément l’article 591,3° du Code Judiciaire ?
Il rend compétent le Juge de Paix pour :
« Des contestations ayant pour objet des servitudes, ainsi que les obligations que la loi impose
aux propriétaires de fonds contigus ».
Et voilà que le Tribunal d’Arrondissement de Liège (24.09.2015, JLMB 2016/3, p. 133) parce que les
troubles de voisinage ne sont pas repris dans une disposition légale mais sont uniquement une théorie
développée à partir dette disposition légale, considère que l’article 591,3° du Code Judiciaire, ne
s’applique pas…Voilà donc un revirement de jurisprudence fort inconfortable.
Il est en tout cas incontestable que rompre l’équilibre entre fonds voisins (objet de la théorie des
troubles de voisinage) constitue un non-respect des obligations à charges des propriétaires des fonds
contigus.
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Mais ce n’est pas la loi qui l’impose et là est la difficulté.
Toutefois, il nous apparaît, pour reprendre ce que des auteurs imminents rappellent, que la théorie de
troubles de voisinage qui, il est vrai, n’est pas repris dans « une loi » est plus qu’une simple création
jurisprudentielle.
Il s’agit d’un véritable principe général de droit, ayant de ce fait valeur de droit positif (voir JT,
19.03.2011, « Les troubles de voisinage, Marie-Amélie GARNY).
Il faut rappeler que le principe général de droit est une norme qui est reconnue comme source de droit
notamment par la Cour de Cassation, le Conseil d’Etat et la Cour Constitutionnelle (Répertoire
Pratique du Droit Belge, Législation, Doctrine et Jurisprudence, Principes généraux de droit, de Pierre
MARCHAL).
Ne pourrait-on dès lors pas considérer que le terme « loi » signifie toute norme de droit, ce qui inclut les
principes généraux de droit, et permettre ainsi, même dans l’état actuel des textes, une possible
compétence du Juge de Paix pour cette matière ?
Le bon sens nous apparaît justifier une telle interprétation.
Est-ce normal, alors qu’en ces matières, une vue sur les lieux est souvent un préalable à la décision du
Tribunal et que le Juge de Paix a davantage de facilité pour s’y rendre plus promptement et sans trop
de formalités (éventuellement accompagné par un expert) de voir un tel litige partir vers le Tribunal de
Première Instance à la compétence générale et à la difficulté plus grande de prendre des mesures
rapides pour instruire utilement une cause ?
La question reste ouverte et nous lirons avec attention d’autres décisions rendues sur cette matière
controversée, comme l’attestent les deux décisions contradictoires citées supra.
Faudra-t-il un Arrêt de principe de la Cour de Cassation pour que cette question soit vidée ?
N’est-il pas possible d’espérer de nos juridictions une approche « plus pratique » tout en ne violant pas
la disposition légale applicable ?
Le débat reste entier.
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