Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.

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UNIVERSITE LUMIERE LYON 2
Institut d’Etudes Politiques de Lyon
Permanences et évolutions des figures de
Jacques Chirac.
Les discours médiatiques des derniers mois de
présidence.
Cécile Rémusat
Date de soutenance : 31 août 2007
Directrice de mémoire : Mme Isabelle GARCINMARROU, maître de conférences en Communication
jury: M. Max SANIER, maître de conférences en Communication
Table des matières
Remerciement . .
Introduction . .
La figure de l’homme . .
Figure du vieil homme . .
Figure du vieil homme dépassé . .
L’anniversaire de Jacques Chirac . .
Figure du père et du mari . .
Le mari . .
Le père et le grand-père . .
Figure de l’homme sympathique . .
Une idée communément admise, une figure médiatique persistante . .
L’exemple du Salon de l’agriculture : la figure « populiste » de Jacques Chirac . .
Conclusion partielle . .
La figure du politique . .
Le candidat ? . .
Le Figaro . .
Le Monde . .
Libération . .
Comparaison . .
Le politique qui existe en opposition à un autre . .
Dans la presse, une figure récurrente . .
Dans la presse satirique . .
Conclusion partielle . .
La figure du président . .
Le Président en exercice . .
Le Monde . .
Le Figaro . .
Libération . .
Comparaison . .
Le Président coupable . .
Le Monde . .
Le Figaro . .
Libération . .
Comparaison . .
Le Président en fin de règne . .
Le Monde . .
Le Figaro . .
Libération . .
Comparaison . .
Conclusion partielle . .
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Conclusion . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Revues . .
Documentaires . .
Bande dessinée . .
Emission télévisée . .
Hebdomadaire . .
Interviews . .
Corpus . .
Le Monde . .
Le Figaro . .
Libération . .
Annexes . .
Annexe 1 . .
Annexe 2 . .
Annexe 3 . .
Annexe 4 . .
Annexe 5 . .
Annexe 6 . .
Annexe 7 . .
Annexe 8 . .
Annexe 9 . .
Annexe 10 . .
Annexe 11 . .
Annexe 12 . .
Annexe 13 . .
Annexe 14 . .
Annexe 15 . .
Annexe 16 . .
Annexe 17 . .
Annexe 18 . .
Annexe 19 . .
Chirac profite des ses vœux pour mettre en garde Sarkozy . .
Annexe 20 . .
Annexe 21 . .
Annexe 22 . .
Annexe 23 . .
Annexe 24 . .
Annexe 25 . .
Annexe 26 . .
Annexe 27 . .
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Annexe 28 . .
Annexe 29 . .
Annexe 30 . .
Annexe 31 . .
Annexe 32 . .
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Remerciement
Je tiens à remercier Madame Isabelle Garcin-Marrou qui a toujours trouvé le temps de répondre à
mes questions, et qui a su me guider dans ce travail.
Je voudrais aussi remercier Monsieur Max Sanier qui a accepté de faire partie de ce jury.
Un grand merci à ces deux professeurs pour leur aide et leurs précieux conseils tout au long
de mon parcours à l’Institut d’Etudes Politiques.
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Introduction
Introduction
Cette année 2007 marque la fin de la présidence de Jacques Chirac, débutée en 1995.
Cette grande figure politique a déjà fait couler beaucoup d’encre en quarante années de
carrière, dont douze années passées au pouvoir (annexe1). Les ouvrages consacrés à ce
personnage incontournable dans l’histoire contemporaine française ne manquent pas, tout
comme les commentaires sur son bilan en tant que président.
La personnalité de Jacques Chirac recouvre ainsi de multiples identités évoquées dans
les médias. Il s’agit ici d’étudier les permanences et les évolutions de ces figures durant les
derniers mois de son mandat.
Car Jacques Chirac est un homme politique, un président, mais aussi un homme dont la
longue carrière s’achève à soixante-quatorze ans. Ce départ annoncé rythme l’information
au cours des derniers mois de sa présidence, dans un contexte de lutte pour sa succession.
Cette lutte politique, engagée notamment entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal débute
officiellement dès la fin de l’année 2006, période où débute ce travail d’analyse. L’investiture
de Ségolène Royal par le parti socialiste, le 16 novembre 2006 marque le point de départ
précis de recueil des données.
Dans le contexte préélectoral, Jacques Chirac laisse planer le doute sur ses intentions
pour 2007, se plaçant ainsi comme un candidat potentiel, même si cette candidature semble
finalement improbable pour les observateurs politiques. La présidence de Jacques Chirac
semble en effet toucher à sa fin depuis la succession d’échecs politiques et de crises: l’échec
électoral massif de la droite aux élections régionales, en mars 2004, le non au référendum
sur le projet de constitution européenne, en mai 2005, la crise des banlieues, entre octobre
et novembre 2005, et celle du CPE en mars 2006.
Autant de remises en cause du gouvernement et du président de la République,
qui apparaît dépassé et en décalage avec les inquiétudes d’une partie de la population,
notamment les jeunes. C’est ainsi que les rétrospectives sur sa carrière, nombreuses durant
la période étudiée, ne manquent pas de rappeler sa rencontre avec des jeunes avant
le référendum sur la constitution européenne. Dans cet exercice d’un nouveau genre, le
1
président, apparu en « décalage », disait alors « ne pas comprendre » leur peur de l’avenir .
Malgré ces échecs, malgré les critiques et les doutes, Jacques Chirac choisit de garder
pour lui ses intentions jusqu’au tout dernier instant. Il ne se prononcera qu’en mars 2007,
soit quelques semaines avant le premier tour. Cette ambiguïté dans la parole se retrouve
dans les figures évoquées par les médias quand ils évoquent le président de la République.
Les interrogations demeurent à chaque visite officielle, avec la même remarque : est-ce la
dernière ? Il en va ainsi de ses « derniers » vœux à la presse ou de « sa dernière rencontre
France-Afrique ».
C’est aussi à cette période que resurgissent des figures apparues dans le passé,
ou qu’émergent de nouvelles. Il s’agit de s’interroger sur l’apparition de ces identités,
permanentes ou en évolution, et leur explication dans le contexte politique.
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Patrick ROTMAN,Chirac, le vieux lion, documentaire, octobre 2006
REMUSAT Cécile_2007
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Ces identités sont inhérentes au statut de Jacques Chirac, à la fois homme et chef de
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l’Etat. Par sa fonction, il représente symboliquement la France. Ernst Kantorowicz évoque
la dualité de l’homme et du dirigeant en l’appliquant aux souverains. Dans « Les Deux Corps
du Roi », il distingue un corps naturel et un corps politique. L’objet de cette étude repose en
partie sur cette vision de Jacques Chirac, à la fois homme et homme d’Etat. Une nuance
est cependant apportée avec une distinction entre la figure de l’homme politique et celle
du président. Car le statut d’homme politique apparaît comme un point intermédiaire entre
celui de président de la République et celui de simple citoyen. En effet, l’homme politique
est sujet à des luttes, des oppositions, ainsi qu’à des doutes et des remises en question.
Le président, se doit, en théorie, d’incarner un peuple dans son ensemble, et se place au
dessus des luttes pour le pouvoir, puisqu’il possède ce pouvoir. Quant à l’homme, il est celui
qui se définit comme simple être humain, mû par des passions, et qui n’existe pas par ce
qu’il représente mais par ce qu’il est en essence. Il s’agit ainsi de se pencher sur le corps
naturel de Jacques Chirac, évoqué dans les médias, puis sur son corps politique.
L’émergence de la figure de l’homme dans les discours médiatiques sur un dirigeant
politique existe depuis quelques années, ce qui motive aussi l’analyse de cette identité.
3
Dominique Mehl évoque ainsi une « psychologisation du discours public, du jeu social
et politique et de l’homme publique. » Il s’agit ainsi de comprendre comment les médias
abordent la vie privée d’un homme public, et dans quel but. Il s’agit aussi de savoir si
cette intrusion d’une figure plus personnelle se fait en contradiction avec les autres, plus
professionnelles, et si cette figure profite ou non à l’homme public. Il est important d’analyser
dans quel contexte émerge cette identité nouvelle, inhabituelle, qui place Jacques Chirac
dans un autre registre que celui du président ou de l’homme politique : il apparaît comme
un mari, un père, un grand-père, avec des traits de caractère reconnus.
Jacques Chirac apparaît dans la posture du chef de famille de façon assez rare. La
médiatisation de sa femme, Bernadette, lors notamment de l’opération « pièces jaunes »,
qui se tient chaque année, rend présente, de façon implicite, la figure du mari. Cette figure
s’affirme surtout quand le président Chirac est évoqué par sa femme. Et c’est ce qui se
produit à la fin de son mandat. Par les paroles de Bernadette Chirac, la figure du mari devient
de plus en plus présente.
La figure du père est un aspect très mystérieux de Jacques Chirac, qui ne se montre
jamais avec ses deux filles. Sa cadette, Claude, le suit dans ses déplacements et s’occupe
de toute la communication du président, mais leurs relations apparaissent alors très
professionnelles, d’autant plus que Claude, pourtant la plus exposée des deux filles de
Jacques Chirac, demeure elle-même loin des médias. Quant à sa fille aînée, Laurence,
de santé fragile, elle n’apparaît jamais en public. La figure du père concernant Jacques
Chirac, quand elle resurgit, apparaît alors comme douloureuse ; une certaine pudeur et un
grand silence entourent donc cette figure. Pourtant, là encore, Jacques Chirac parle de sa
paternité et d’une certaine culpabilité avant de quitter l’Elysée.
La situation est à peine différente pour la figure du grand-père. Jacques Chirac a un
seul petit-fils, Martin. Même si celui-ci a toujours, comme le reste de la famille, été éloigné
des médias, Jacques Chirac n’hésite pas, là non plus, à le présenter en public, à ses côtés.
Les deux autres identités apparaissent incontournables de fait.
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Ernst KANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, 1957
Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996
REMUSAT Cécile_2007
Introduction
Celle de l’homme politique se distingue par deux figures récurrentes dans les médias
durant ces derniers mois de présidence : une opposition constante à Nicolas Sarkozy,
ministre de l’Intérieur, et un doute permanent sur l’annonce officielle de son départ, ou, de
façon très peu probable, de sa candidature. Cette opposition politique, voire personnelle à
un autre acteur ainsi que ce statut de candidat potentiel ne peuvent pas être traités dans
le cadre de la figure du président.
La figure du candidat potentiel s’impose peu à peu par le silence du président. A
de nombreuses reprises, Jacques Chirac aurait eu l’occasion de préciser ses intentions
pour 2007 mais s’en est abstenu, multipliant les sous-entendus et suscitant le doute. Par
exemple, lors du dernier sommet France-Afrique, Jacques Chirac déclare : « c’est mon
dernier sommet…pour cette année ! »
Malgré ou à cause de ces incertitudes, les médias ne manquent pas de le décrire en
opposition à Nicolas Sarkozy. Ce dernier apparaît comme le double de Jacques Chirac,
en plus jeune. Leurs carrières, leurs ambitions respectives, leurs parcours sont, pour les
observateurs, des plus comparables.
La dernière identité, la figure du président, fait partie des figures permanentes en
douze ans de magistrature suprême. Elle recouvre ainsi de multiples réalités pendant la
période étudiée : un président en exercice, qui demeure à la tête de l’Etat même dans un
contexte préélectoral, et doit remplir ses fonctions de représentant de la France lors de
voyages officiels.
La figure du président en fin de règne apparaît elle aussi : Jacques Chirac, même s’il est
toujours le chef de l’Etat, ne semble plus détenir le pouvoir pour longtemps. Une nouvelle
génération d’hommes et de femmes politiques entend prendre la relève.
A ces deux identités se joint une troisième, déjà préexistante depuis plusieurs années,
mais qui resurgit peu avant la fin de son mandat: celle du président coupable. En effet,
pendant la présidence de Jacques Chirac, des « affaires » retiennent l’attention des médias.
Depuis les années 1990, le nom de Jacques Chirac est régulièrement évoqué dans huit
affaires judiciaires impliquant notamment la Mairie de Paris. La plupart de ces affaires sont
déjà jugées (certains de ses proches collaborateurs comme Michel Roussin, Yvonne Caseta
ou Alain Juppé ont été condamnés), classées sans suite ou sont en cours. Durant son
mandat de Président de la République, Jacques Chirac refuse de témoigner devant la justice
et de se rendre aux convocations des juges, invoquant le statut pénal de sa fonction et
l’immunité présidentielle qui en découle. Le 16 juin 2007 (un mois après la fin de son mandat)
celle-ci arrive à son terme et ce retour au statut de simple citoyen fait resurgir dans la presse
la figure du politicien malhonnête qui va enfin devoir rendre des comptes.
Méthode d’analyse
L’objectif est de confronter trois quotidiens : Le Monde, le Figaro et Libération et de
s’interroger sur les permanences dans leur traitement d’une information, leurs similitudes,
leurs différences. Ces trois quotidiens nationaux reflètent trois lignes éditoriales distinctes,
ainsi que trois positionnements politiques. Le Monde serait plutôt de centre gauche, le
Figaro, de centre-droit, et Libération serait le journal le plus à gauche des trois.
Il s’agit de vérifier si ces positionnements politiques connus influent sur la manière de
traiter l’actualité de Jacques Chirac : les figures abordées sont-elles les mêmes pour un
sujet identique ? Sont-elles variées ? Les qualificatifs pour désigner Jacques Chirac sontils propres à un quotidien ?
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Il s’agit d’étudier trois articles par thème et de les comparer. Issus des trois quotidiens
étudiés, les trois papiers choisis traitent toujours du même événement, afin de faire ressortir
les différences entre leur traitement de l’information. L’objectif consiste à observer comment
le Monde, le Figaro et Libération couvrent un même événement, afin de mettre en exergue
leurs similitudes, et leurs différences.
Après l’étude de chaque article, l’analyse se concentre sur leur comparaison, en
développant notamment quelles autres figures sont présentes hormis celle initialement
étudiée.
Avant de procéder à une comparaison des trois quotidien, qui peut faire apparaître de
nouvelles figures, chaque article est analysé. Dans cette analyse préliminaire, il s’agit de
se concentrer sur la figure premièrement évoquée, afin de voir de quelle façon cette figure
apparaît dans chacun des trois quotidiens. Il s’agit ainsi d’étudier de façon particulière les
qualificatifs, les attributions de paroles, les citations choisies et leur recontextualisation par
le média. L’angle de l’article demeure capital, ainsi que la volonté ou non du médias de faire
ressortir la figure supposée.
Les événements sur lesquels portent les articles étudiés sont sélectionnés selon leur
pertinence en rapport avec le thème étudié.
La figure de l’homme :
Pour évoquer la figure du vieil homme, il s’agit de privilégier une étude des articles
concernant le soixante-quatorzième anniversaire de Jacques Chirac, qui a lieu le 29
novembre 2006.
Pour la figure du mari, l’étude porte sur l’écho médiatique de l’émission « Vivement
Dimanche », consacrée à Bernadette Chirac, diffusée le 11 février 2007.
La figure du grand-père, assez rare, transparaît de façon évidente avec l’apparition
publique du petit-fils du président, lors d’une visite officielle, le 3 avril 2007.
Dans le cadre de l’identité plus « populiste » et « sympathique » de Jacques Chirac,
aucun événement ne relève objectivement de ce registre, soumis à la subjectivité de chacun.
Mais une manifestation annuelle permet d’aborder cette dimension de l’identité de Jacques
Chirac : la Salon de l’Agriculture, qui se tient le 5 mars 2007. Il s’agit donc de se concentrer
sur le côté « populaire » de l’homme d’Etat, relayé ou non par les médias, et sa façon
d’aborder les hommes.
La figure de l’homme politique :
Elle recoupe deux dimensions : le candidat potentiel aux élections présidentielles et le
politique qui existe en opposition à Nicolas Sarkozy.
La presse évoque pendant cette période la possibilité d’une candidature de Jacques
Chirac. Même très peu probables, celle-ci doit rester envisageable du fait du silence du
principal intéressé, jusqu’au tout dernier instant. Pour étudier cette figure du candidat
potentiel, il s’agit d’étudier le traitement médiatique de ses vœux aux Français, le 31
décembre 2006, pendant lesquels il donne des orientations d’avenir, tel un futur candidat,
sans annoncer son retrait de la vie politique.
La figure de Jacques Chirac en opposition à un autre homme politique aurait pu
recouvrir de multiples facettes, Jacques Chirac ne manquant pas d’opposants. Mais de
façon très claire, durant la période étudiée, les médias se concentrent sur les tensions qui
existeraient entre lui et une personne précise : Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur.
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Introduction
Cette opposition pourrait prendre trois dimensions car elle concerne à la fois deux hommes
qui se connaissent depuis des années, ainsi qu’un président et son ministre.
La juste mesure entre les deux étant une opposition entre deux hommes politiques.
Tout comme d’autres figures de Jacques Chirac énoncées dans les médias, celle-ci semble
difficile à concentrer autour d’un unique événement. Car cette figure ressort dans la majorité
des articles consacrés à Jacques Chirac durant les derniers mois de son mandat. Mais
le discours médiatique semble avoir stigmatisé cette opposition de façon accentuée après
les vœux de Jacques Chirac à son gouvernement, le 3 janvier 2007. Ce discours à
son équipe gouvernementale lui aurait permis, selon la presse, d’adresser directement
des avertissements à Nicolas Sarkozy. D’un discours apparemment destiné à plusieurs
destinataires, les trois quotidiens étudiés retiennent ainsi surtout un message à l’attention
d’un seul homme.
La figure du président :
Elle se distingue en trois catégories : le président en exercice, le président coupable,
et le président en fin de règne.
La figure du président en exercice demeure le point de base de chacun des
articles consacrés à Jacques Chirac lors de déplacements officiels. L’un d’entre eux retient
particulièrement l’attention : son hommage aux Justes de France, le 18 janvier 2007. Cet
événement sert de base à l’étude de cette figure car il se produit au moment même où
les médias n’hésitent pas à présenter jacques Chirac sous les traits de l’homme politique,
candidat ou s’opposant à un autre. Mais dans cette période de trouble des identités, la figure
du président demeure présente.
Le président coupable est une figure qui ressort le 11 avril 2007 dans les médias, à la
sortie d’un article du Canard Enchaîné, selon lequel Jacques Chirac aurait passé un accord
secret avec Nicolas Sarkozy afin d’échapper à la justice à la fin de son mandat.
Le président en fin de règne est une figure récurrente durant les derniers mois du
mandat de Jacques Chirac, mais trouve un large échos dans la presse le 11 mars 2007,
lorsque le président annonce finalement ses intentions pour les prochaines élections. Les
derniers doutes sur sa candidature disparus, Jacques Chirac disparaît peu à peu de la scène
médiatique, avec un dernier adieu peu avant la passation de pouvoir au nouveau président
Sarkozy.
Une conclusion partielle vient clore chacune des trois parties. Ces conclusions ne visent
pas à reprendre les analyses précédentes en les confrontant une nouvelle fois. Il s’agit plutôt
d’une ouverture à partir d’un ou plusieurs ouvrages pour aborder sous un angle différent la
figure choisie. Il s’agit alors parfois de sortir de l’analyse purement médiatique.
Pour la figure de l’homme, cette conclusion porte sur la construction d’une identité
4
personnelle du politique par les médias. Brigitte le Grignou et Erik Neveu évoquent un
dévoilement des affects dans « Emettre la réception, préméditations et réceptions de la
politique télévisée » . Mais il s’agit aussi de démontrer que l’homme politique maîtrise la
construction de ces identités, comme le montre Dominique Mehl, dans « La télévision de
l’intimité »
4
5
5
.
Brigitte LE GRIGNOU et Erik NEVEU, Emettre la réception, préméditations et réceptions de la politique télévisée
Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Pour la figure du politique, l’ouverture s’effectue grâce à une étude d’ Annie Collovald
6
dans la revue « Actes de la recherche en sciences sociales » portant sur les outils
biographiques du politique. On voit ainsi comment se construit l’identité de l’homme
politique, entre parcours professionnel et données plus personnelles.
Pour la figure du président, la conclusion partielle se base sur une comparaison de trois
7
fins de règne présidentiel. Le point de vue de l’historien Henri Amouroux permet d’aborder
de façon plus critique celui du journaliste, remettant en perspective les figures évoquées
par les médias.
6
7
12
Annie COLLOVALD, Actes de la recherche en sciences sociales , numéro 73,1988
Henri AMOUROUX, Trois fins de règne, éditions Jean-Claude Lattès, collection Essais et documents , 2007
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La figure de l’homme
La figure de l’homme
Jacques Chirac est certes le cinquième président de la cinquième République, mais il n’est
plus réduit à sa seule fonction politique depuis de nombreuses années. Un recadrage
identitaire s’opère en effet lors de sa première élection au poste de président, en 1995. Ce
recadrage s’effectue précisément durant la campagne de 1995 qui l’opposait à Edouard
Balladur, présenté comme favori. La personnalité de Jacques Chirac est alors mise en
avant dans certains médias, pour expliquer d’une façon plus psychologique son parcours
politique. Si ce type d’analyse débute de façon parodique dans les « Guignols de L’info », il
est ensuite repris dans certains papiers comme ceux de Ghislaine Ottenheimer au « Nouvel
Economiste », ou de Pascale Nivelle à « Libération ». Dès lors, la personnalisation de ce
politique se répand, comme le soulignent Annie Collovald et Erik Neveu : « l’intimité de
Jacques Chirac va être exploitée alors qu’auparavant il n’était qu’un personnage public sans
vie privée »
8
.
Cette figure de Jacques Chirac en tant qu’« homme » est peut-être plus que jamais
présente dans les discours médiatiques durant ses derniers mois de présidence. Jacques
Chirac fait ainsi figure de vieil homme, mais aussi figure de père, de mari, et de grandpère. Le nom de Jacques Chirac est en outre associé depuis ses premières années
de présidence à un adjectif laudatif employé autant par ses amis que par ses ennemis
9
politiques (notamment les ministres socialistes durant la cohabitation de 1997-2002) :
Jacques Chirac serait un homme « sympathique ». Une sympathie qui se traduit par l’image
devenue commune depuis 1995 de Jacques Chirac proche du peuple. L’émergence de
10
cette figure « populiste », expliquée par Annie Collovald et Erik Neveu serait alors née
de la représentation purement fictive qu’en auraient fait les Guignols de l’Info pendant la
campagne présidentielle de 1995.
Figure du vieil homme
Ernst Kantorowicz formule, à partir du cas de Frédéric II de Hohenstaufen, sa théorie des
11
« deux corps du roi » : le corps mortel, sujet aux vicissitudes et aux injures de la vie, et le
corps immortel, corps glorieux qui survit à l’enveloppe charnelle. Il s’agit ici de s’intéresser au
corps mortel de Jacques Chirac, aujourd’hui âgé de soixante-quatorze ans, et au traitement
médiatique de sa personne autour d’une identité apparue avec le temps, celle du vieil
homme. Les médias font-ils état de cette figure identitaire, et dans quelle mesure ?
8
Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue Mots, numéro 48, septembre 1996, p-110.
9
10
11
Patrick ROTMAN,Chirac, le vieux lion, documentaire, octobre 2006
Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue Mots, numéro 48, 1996, p-104
Ernst KANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, 1957
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13
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Figure du vieil homme dépassé
Jacques Chirac a traversé plus de quarante années de vie politique française. Déjà durant la
campagne de 1995, Lionel Jospin le qualifiait de « vieilli, usé, fatigué ». Jacques Chirac fait
maintenant figure d’ancien, ou de « vieux lion », comme l’évoque le titre du documentaire
de Patrick Rotman, en octobre 2006, consacré à celui qui était encore le président de la
République. Un président en fin de règne. Un homme qui fait partie de ce que l’on appelle
le troisième âge, ce que n’hésitent pas à souligner certains médias au moment où apparaît
une nouvelle génération de politiques.
Ainsi, Franz-Olivier Giesbert n’hésite pas à décrire le vieil homme qu’est devenu
Jacques Chirac : « avec tous ses kilos perdus, il ressemble de nouveau au jeune homme
qu’il était, le grand échalas à lunettes aux airs d’oiseau de proie. Sauf qu’il a une moitié
de siècle en plus sur ses épaules et que des lambeaux de peau pendent sous son
menton comme du linge à sécher. Sauf, surtout, qu’il ne cesse de se ménager. Il quitte
précipitamment les déjeuners pour aller « piquer un roupillon » et même s’il a encore de
12
l’allant, marche souvent à pas comptés, comme un futur petit vieux » . Précisons encore
que le récit se fait au présent, ou au passé, mais le futur de Jacques Chirac n’est évoqué
qu’à travers l’éventualité de sa mort et du souvenir qu’il laissera de lui.
De même, l’émission satirique « Les Guignols de l’info » met en scène le vieux
président, proche de la retraite. Qu’il soit en pantoufles, devant sa télévision, en compagnie
de sa femme, Bernadette, ou qu’il dise à celle-ci « non, pas cette année », quand elle ôte son
peignoir. Il n’est ainsi pas épargné par la figure du vieil homme aux habitudes tranquilles,
ayant perdu sa vitalité de jeune homme. La marionnette même a évolué avec le temps :
sont apparus verrues, poches sous les yeux, double menton, ainsi que de profondes et
13
inévitables rides.
14
Pierre Péan lutte contre ces représentations dans son livre « L’inconnu de l’Elysée »
: « Chirac a été, est de son temps […] Malgré sa longévité politique, ce sentiment viscéral
sur l’égalité des cultures a fait de lui un président parfaitement adapté à son temps».Cette
défense farouche du président Chirac, présente tout au long du livre, s’étend à l’homme: «
Jacques Chirac n’a certes pas vingt ans, mais il est en pleine forme, physique et mentale ».
Pourtant, Pierre Péan semble seul à vouloir atténuer une figure qui s’impose avec le temps.
Car ces insistances sur l’âge de Jacques Chirac se font alors que celui-ci laisse encore
planer le doute sur une éventuelle candidature à l’élection présidentielle de 2007. Tandis
que les principaux prétendants sont tous quinquagénaires, Jacques Chirac fait figure de
vieil homme dépassé. Jacques Chirac ne peut pas maîtriser les commentaires sur une
vérité aussi indiscutable que son âge. Selon les observateurs, ses soixante-quatorze ans
pèsent lourd dans ses chances de remporter un troisième scrutin présidentiel consécutif.
L’insistance des médias sur la figure du vieil homme ne va donc pas dans le sens d’une
nouvelle candidature probable de Jacques Chirac. La figure du vieil homme renvoie à
l’image de la retraite, de la fin de l’action, même en politique. L’ancien doit ainsi laisser la
place aux plus jeunes. C’est pourquoi la figure de l’homme, tout simplement, semble prendre
une part importante dans le traitement médiatique du président de la République. Car une
12
13
14
14
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-401.
Les Guignols de l’info, Canal +, 2006
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007.
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
fois cette fonction symbolique disparue, il ne restera que Jacques Chirac le simple citoyen.
Le corps naturel survivra ainsi au corps symbolique.
Malgré tout, cette mise en évidence de son âge avancé se fait moins dans la presse
écrite que dans la presse télévisuelle. Cet état de fait se confirme dans les discours
médiatiques sur le soixante-quatorzième anniversaire de Jacques Chirac.
L’anniversaire de Jacques Chirac
Jacques Chirac fête ses soixante-quatorze ans le 29 novembre 2006. Il s’agit alors de
son dernier anniversaire en tant que président en fonction. Du côté médiatique, il s’agit de
s’interroger sur la façon dont les trois journaux étudiés abordent cet événement : vont-ils
insister sur l’âge avancé du président ? L’information aurait pu être minime, personnalisée,
et faire l’objet d’un court article, comme l’annonce celui que le Monde fait paraître la veille
du jour J, intitulé « 74, l’âge du président ». Ce papier, assez court pour être cité dans
son intégralité, donne un aperçu de ce qu’aurait pu être la couverture médiatique de cet
anniversaire.
« Mercredi 29 novembre, Jacques Chirac fêtera ses 74 ans, après plus de onze
années passées à l'Elysée. Ce jour-là, le chef de l'Etat sera à Riga, en Lettonie,
pour un sommet de l'OTAN. Le traditionnel pot amical avec ses collaborateurs
aura donc lieu le lendemain. Le cadeau : lié aux arts premiers, comme chaque
année ? "Ce sera comme d'habitude", confirme-t-on à l'Elysée. Cette fois-là est
pourtant particulière. Elle sera sans doute la dernière du genre. Et puis les temps
changent : dans la campagne présidentielle qui vient, les principaux candidats, à
droite, à gauche ou au centre, sont quinquagénaires. Et l'investiture triomphale
de Ségolène Royal, au PS, a donné un coup de vieux à tout le monde. Mais, pour
une fois, Nicolas Sarkozy n'en a pas rajouté : il a promis qu'il n'annoncerait pas
sa candidature le 29. »
L’originalité de cette date réside selon ce papier dans le fait qu’il s’agit du dernier
anniversaire du président Chirac pendant ses fonctions : «Cette fois-là est pourtant
particulière. Elle sera sans doute la dernière du genre ». Le journaliste ne manque pas
de rappeler les informations habituelles, telles que le cadeau d’anniversaire ou la tenue
du « pot amical », sans toutefois omettre de rappeler, comme l’indique le titre, le nouvel
âge du président, « 74 ans ». Un âge qui semble faire de Jacques Chirac un homme d’un
autre temps (« les temps changent » ) par opposition à celui des nouveaux acteurs de la
vie politique, pour la plupart, « quinquagénaires ». Comme tout le monde, Jacques Chirac
prend alors « un coup de vieux » à travers ces quelques lignes, qui renforcent la figure du
vieil homme désormais applicable au président français.
Mais celui-ci va finalement bénéficier d’une couverture médiatique quelque peu
différente le jour même de son anniversaire ou le lendemain (Le Monde publie le 30
novembre un long papier au ton très différent). En effet, la presse a de quoi rebondir sur du
nouveau, grâce à la crise diplomatique que cet anniversaire aurait pu provoquer. Une crise
qui déplace l’attention (du moins pour le Monde et le Figaro) depuis « l’âge du président »
jusqu’à « l’anniversaire du président ».
REMUSAT Cécile_2007
15
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Car Jacques Chirac se trouve alors au sommet de l’OTAN, à Riga, en Lettonie. Or, son
15
« ami » Vladimir Poutine, le président russe, entend venir lui présenter ses vœux, ce qui
n’est pas du goût de certains dirigeants est-européens ou de George W. Bush. Car d’une
part cette visite imprévue serait la première d’un président russe dans l’un des trois pays
baltes, avec lesquels les relations ne sont pas des plus amicales, depuis leur indépendance
en 1991. Et d’autre part, elle risquerait d’éclipser le véritable événement, le sommet de
l’OTAN, dont la Russie ne fait pas partie.
Par conséquent, l’anniversaire de Jacques Chirac se retrouve au cœur de l’actualité
du jour, mais cette fois, dans les pages internationales. Pour autant, chaque quotidien traite
l’événement à sa manière, notamment le Monde et le Figaro, qu’il semble opportun de
comparer puisque les deux quotidiens choisissent de traiter cet anniversaire sous l’angle de
la crise diplomatique. Libération, en revanche, se distingue, évoquant davantage le « faux
suspense »
16
sur les intentions de Jacques Chirac pour les présidentielles de 2007.
C’est donc ainsi que titrent le Monde , le Figaro et Libération, le 29 novembre 2006 (et
le 30 novembre 2006 pour Le Monde ):
Le Monde, le 30 novembre 2006 : « Vladimir Poutine voulait fêter à Riga l’anniversaire
de Jacques Chirac » (annexe 2)
Le Figaro, le 29 novembre 2006 : « un anniversaire très diplomatique pour Chirac »
(annexe 3)
Libération, le 29 novembre 2006
: « 74 ans aujourd'hui, et après? » (annexe 4)
Le Monde
Le Monde revient sur l’anniversaire de Jacques Chirac et garde une certaine distance tout
au long de l’article, traitant l’information sous l’angle des interrogations qu’elle suscite chez
les délégations, comme un point de vue extérieur, en quelque sorte depuis les « coulisses ».
Ont ainsi la parole :
« Les délégations » qui s’interrogent.
« Les représentants des pays est-européens » qui s’indignent.
« Des représentants de nouveaux pays adhérant à l’OTAN », qui « soupçonnent »
Jacques Chirac de « russophilie ».
« La présidence française » qui offre« la réponse officielle ».
« Le Kremlin » qui regrette que la rencontre n’ait pu avoir lieu.
Une « source américaine » selon laquelle l’affaire est minimisée.
« George Bush » qui a fait une déclaration, peu applaudie du côté français, à l’intention
de l’Ukraine et de la Géorgie, concernant leur éventuelle entrée dans l’OTAN.
« Les diplomates français », sur la portée « diplomatique et symbolique » de la visite.
Ces intervenants, en majorité critiques ou en opposition envers Jacques Chirac, sont
directement cités, exceptés « les délégations » qui s’interrogent et « Les représentants des
15
Expression employée dans les articles du Figaro, « un anniversaire très diplomatique pour Chirac », paru le 29 novembre
2006, et de Libération, paru le même jour, « 74 ans aujourd’hui, et après ? ».
16
16
Expression employée dans l’article de Libération.
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
pays est-européens » qui s’indignent. Pourtant, ils sont les premiers évoqués, juste avant les
« représentants de nouveaux pays adhérant à l’OTAN », qui soupçonnent Jacques Chirac de
« russophilie ».Dès les premiers paragraphes la critique s’impose par la parole donnée aux
détracteurs qui « s'indignaient » , ou soupçonnaient (« Jacques Chirac était soupçonné »
de « complaisance » et de « faire cavalier seul » .)
« Le président russe, s'indignaient en coulisses des représentants de pays
est-européens, aurait trouvé là le moyen de s'inviter en terre balte dans le but
de voler la vedette à un sommet de l'OTAN, au moment où le Kremlin est mis
en cause pour sa politique énergétique agressive, et pour son rôle éventuel
dans l'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, ou encore dans
l'empoisonnement de l'opposant Alexandre Litvinenko, à Londres. Jacques
Chirac était soupçonné par des représentants de nouveaux pays adhérant à
l'OTAN de se prêter avec complaisance à un acte de « russophilie » malvenu, et
de faire cavalier seul au sein de l'Alliance. »
La seconde partie de l’article donne certes la parole aux défenseurs de cette visite, mais
d’une façon plus prudente. Les citations directes sont ainsi plus nombreuses, plaçant le
journal comme simple messager et le tenant à distance des propos tenus.
« La réponse officielle est tombée mardi, dans la soirée. La présidence française
annonçait qu'un « projet de dîner » informel, qui aurait réuni mercredi à Riga
M. Chirac, M. Poutine et la présidente lettonne, Vaira Vike-Freiberga, n'avait «
pas pu se concrétiser, pour des raisons pratiques et logistiques ». Le Kremlin
commentait de son côté que la rencontre n'aurait « malheureusement » pas lieu. »
Et le journal insiste sur le mystère qui entoure l’annulation de la visite, laissant entendre
que les excuses diplomatiques ne peuvent laisser dupe : « Les raisons de l'annulation
restaient, mercredi, assez mystérieuses, ni l'Elysée ni le Kremlin ne souhaitant s'étendre
sur les causes de cette confusion » .
Mais finalement, même si les présidents français et russe sont mis en parallèle dans
leurs explications et leurs motivations, les critiques ne sont pas tant dirigées contre Jacques
Chirac que contre Vladimir Poutine, sur lequel débute et se termine l’article. Sont ainsi
tout d’abord rappelés « sa politique énergétique agressive, […] son rôle éventuel dans
l'assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, ou encore dans l'empoisonnement
de l'opposant Alexandre Litvinenko, à Londres ». Tandis que la chute de l’article concerne
sur un ton apparemment dubitatif (cf. les points de suspension) l’intention du président russe
de lever l’embargo sur les vins moldaves.
Paradoxalement, Jacques Chirac ne constitue donc pas le point central de l’article du
Monde consacré à son dîner d’anniversaire. Il ne semble exister ici qu’en duo avec Vladimir
Poutine, comme en témoignent le titre ou même l’interrogation qui sert de point de départ :
« Jacques Chirac allait-il marquer, mercredi 29 novembre, son 74e anniversaire en dînant
à Riga en compagnie de Vladimir Poutine ? » C’est donc bel et bien le président russe et
son hypothétique visite qui semblent faire de l’anniversaire de Jacques Chirac un véritable
événement. Un tel article personnalise peu Jacques Chirac (d’où une moindre insistance
sur son âge)et donne davantage de relief à sa fonction présidentielle.
Le Figaro
Il en va de même pour le Figaro, mais avec d’une part une personnalisation plus présente.
Les expressions pour évoquer Jacques Chirac sont ainsi plus nombreuses et diversifiées
REMUSAT Cécile_2007
17
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Tandis que le Monde évoque « Jacques Chirac » à deux reprises, ou « M.Chirac », ou
encore, d’une façon plus distanciée, « la présidence française »-soit trois expressions en
tout pour quatre utilisations- le Figaro en emploie quatre différentes, pour huit évocations.
« Jacques Chirac » revient ainsi quatre fois, « le président français », deux fois, tandis
que se font plus exceptionnels des termes plus familiers, comme « Chirac », ou plus
conventionnels, comme « le président de la République ».
On note ainsi que seule une expression se retrouve commune aux deux papiers :
« Jacques Chirac », pourtant deux fois plus employée dans le Figaro, qui a tendance à
davantage personnaliser cet article.
D’autre part, le Figaro se concentre davantage sur le déroulement de la crise, mettant
en scène les différents acteurs. La parole est ainsi donnée aux intervenants suivants :
De façon directe (citation):
« Le Kremlin » « Le porte-parole adjoint du Kremlin, Dimitri Peskov » « Vaira
Kike-Freiberga », la présidente lettone « L’Elysée » « Jacques Chirac » « Des
responsables de l’Alliance atlantique » « Le porte-parole de l’Elysée, Jérôme
Bonnafont »
De façon indirecte (discours indirect) :
« Vladimir Poutine »
« Des responsables de l’alliance »
La répartition de la parole apparaît plus en faveur de Jacques Chirac que dans l’article
précédemment analysé, à la fois dans sa répartition et dans son ordonnancement. Les
critiques opérées par certains responsables de l’Alliance sont ainsi reléguées en toute fin
d’article. Dès lors, même si certains termes retenus sont semblables à ceux de l’article du
Monde ( « cavalier seul » ), ils sont ici cités entre guillemets. Ces citations, nombreuses,
mettent ainsi la même distance entre le Figaro et les détracteurs de Jacques Chirac qu’entre
le Monde et les explications officielles de l’Elysée, comme vu précédemment.
Ainsi, quand le Monde incorpore à son article des arguments critiques de la visite de
Vladimir Poutine, il le fait le plus souvent en ses propres termes, faisant siens les arguments
évoqués par des responsables de l’Alliance. A l’inverse, le Figaro place ces arguments à
distance en les faisant apparaître comme une pensée individuelle :
Le Monde : « Le président russe, s'indignaient en coulisses des représentants
de pays est-européens, aurait trouvé là le moyen de s'inviter en terre balte dans
le but de voler la vedette à un sommet de l'OTAN » Le Figaro : « « On ne va
parler que de ça. Tout le reste va passer au second plan », s'inquiétaient des
responsables de l'Alliance atlantique […]» Le Monde : « Jacques Chirac était
soupçonné par des représentants de nouveaux pays adhérant à l'OTAN de
se prêter avec complaisance à un acte de « russophilie » malvenu, et de faire
cavalier seul au sein de l'Alliance. » Le Figaro : « […] en reprochant à la France
de faire « cavalier seul et d'avoir « fait beaucoup d'obstruction sur les dossiers à
l'ordre du jour ». Certains y voyaient même « une véritable provocation », tant visà-vis des autres pays baltes, tenus à l'écart, que des nouveaux pays membres de
l'Otan et de l'Union européenne. »
18
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
Ces paragraphes consacrés aux critiques concernant la visite de Vladimir Poutine à Jacques
Chirac ne sont pas placés de la même façon dans les deux articles : le Monde les place en
tête tandis que le Figaro les cite en dernière partie d’article.
Le Figaro ouvre quant à lui son papier sur la fidélité de Jacques Chirac en amitié,
qualifiant Vladimir Poutine d’ « ami bien encombrant » . La hiérarchisation diffère donc entre
les deux journaux.
Cette dimension «amicale » de la rencontre entre Jacques Chirac et Vladimir Poutine
(présente avec la photo des deux chefs d’Etat illustrant l’article) est absente dans l’article du
Monde, alors que le Figaro, par des termes comme « ami » ou « amitié», confère une portée
plus humaine à cet événement. Il en va de même avec la personnalisation des intervenants
cités dans l’article. La présidente lettone devient ainsi « Vaira Kike-Freiberga »,le porteparole du Kremlin, « Dimitri Peskov » et le porte-parole de l’Elysée, « Jérôme Bonnafont ».
Comme vu plus haut, Jacques Chirac, lui non plus, n’est pas réduit à sa fonction, puisque
son nom est cité cinq fois, quand sa fonction présidentielle n’est évoquée que trois fois.
En outre, si le Monde met en valeur les critiques envers cet hypothétique dîner et envers
la visite de Vladimir Poutine, le Figaro établit plutôt les rebondissements dont celle-ci a
fait l’objet, comme en témoigne l’accumulation des indices temporels dans la narration de
l’article : « hier soir », « dès dimanche », « ensuite », « initialement », « dans un premier
temps », « hier, en définitive ». Cette narration des faits aboutit à la mise au second plan
de toute critique, ainsi que du personnage contesté de Vladimir Poutine, point central de
l’article du Monde. En effet, quand ce dernier titre «Vladimir Poutine voulait fêter à Riga
l’anniversaire de Jacques Chirac », le Figaro, lui, n’évoque que le président français : « Un
anniversaire très diplomatique pour Chirac ».
Ces détails semblent confirmer l’hypothèse selon laquelle le Figaro, journal plus axé à
droite que le Monde, montre un peu plus d’indulgence à l’égard du président Chirac. Cette
indulgence apparaît à travers la hiérarchisation des paroles et des informations concernant
un événement délicat pour le président français.
Et pourtant, cette « indulgence » passe aussi par une plus grande personnalisation,
au risque de mentionner de façon plus appuyée la vieillesse de l’homme. Car le statut de
« doyen » de Jacques Chirac n’est pas oublié, contrairement au Monde, qui se contente
de citer son âge sans le commenter (du moins dans l’article du 30 novembre). Le Figaro
consacre ainsi le dernier paragraphe de son papier à la seule personne de Jacques Chirac,
en rappelant une fois encore sa fidélité en amitié (qui encadre l’article puisqu’elle est citée
en première et dernière ligne) :
« Né le 29 novembre 1932, le président français est l'un des doyens des
dirigeants de ce monde et, avec le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, l'un
des plus anciens en exercice. À cinq mois seulement de la fin de son mandat,
c'eût été prendre un risque que de s'afficher avec le maître du Kremlin. Mais
Jacques Chirac n'en a cure. Il répète depuis toujours qu'« il ne faut pas humilier
la Russie ». « À ma connaissance, la Russie est un pays ami », fait valoir le porteparole de l'Élysée, Jérôme Bonnafont. Et d'ailleurs, ajoute-t-il, « le président de la
République parle de tout avec le président Poutine ». »
Libération
REMUSAT Cécile_2007
19
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Le journal Libération se distingue de ses deux concurrents en adoptant un point de vue
décentré pour traiter l’anniversaire du président. La visite de Vladimir Poutine n’est ainsi
placée qu’au rang d’anecdote, de façon presque insignifiante.
Le journal peut dès lors se concentrer sur les intentions de Jacques Chirac pour les
présidentielles de 2007. Deux figures sont intimement liées dans cet article, celles de
l’homme, étudiée ici, et celle du politique, analysée plus tard. Car son âge (qui relève de
la dimension humaine) et ses mandats successifs (qui relèvent de la dimension politique)
font douter d’une nouvelle candidature.
Dans un premier temps, l’article de Libération traite de la contestée visite de Vladimir
Poutine, pour mieux l’ignorer ensuite. Cet épisode, point central des deux précédents
articles étudiés, est ainsi relégué au rang d’anecdote, évoqué en seulement quelques lignes.
Avec un ton nettement plus décalé que le Monde et le Figaro, Libération donne rapidement
les principaux faits avant de recentrer son papier sur la personne du président.
« Persuadé qu'il s'agit de la der de ders pour son «ami Jacques», le Russe
Poutine a même tenté de s'inviter aux agapes, alors que son pays n'est pas
membre de l'Otan et qu'un leader russe n'est jamais bienvenu dans un Etat balte.
Embarrassé, l'Elysée avait expliqué que Poutine avait «exprimé le souhait de
venir rencontrer le Président pour lui présenter ses vœux». Finalement, le
Kremlin a annoncé hier soir que Poutine ne se rendrait «malheureusement»
pas à Riga, «compte tenu de l'impossibilité de coordonner les emplois du
temps» ».
Dans un second temps, le journal se concentre donc sur les intentions de Jacques Chirac
pour les élections présidentielles de 2007, recentrant l’attention de son public sur les affaires
intérieures et sur les échéances électorales de 2007. Car celles-ci s’invitent dans le titre,
qui s’interroge sur l’avenir, « 74 ans aujourd’hui, et après ? », ainsi que dans le chapô, qui
donne d’emblée le ton de l’article.
« Alors qu'il fête son anniversaire au sommet de l'Otan, à Riga, Chirac feint
toujours de s'interroger sur sa présence à la présidentielle »
Le papier de Libération va ainsi à l’essentiel et se focalise sur la personne du président
Chirac qui vit ses derniers mois de mandat, comme s’il vivait aussi avec cet anniversaire
ses derniers mois d’existence. Certaines expressions témoignent de cette ambiance de fin
de vie : « la der de ders », « tournée d'adieux », « derniers mois de mandat », « bilan ».
Dans le même temps, Jacques Chirac est présenté comme un homme qui, malgré son
âge et la fin proche de son mandat, n’a pas fini de faire parler de lui. L’article se base sur
les propos qu’il suscite de toute part. Interviennent ainsi des personnalités de l’entourage
de Jacques Chirac:
« Les très rares fidèles »
« Des proches, comme François Baroin ou Philippe Douste-Blazy » « Nicolas
Sarkozy »par les propos de « l’un de ses bras droit » « Bernadette Chirac »
« Patrick Devedjian, conseiller politique de Sarkozy et ex-avocat du chef de
l'Etat »
Par ces interventions, notamment celle de Bernadette Chirac et de proches, la figure de
l’homme s’impose à l’esprit, et se confond avec celle du politique qui souhaite exister jusqu’à
la fin. Comme si Jacques Chirac refusait de disparaître, au sens propre et figuré.
20
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
Ici, la figure du vieil homme n’est pas synonyme de déchéance, bien au contraire.
Jacques Chirac apparaît comme celui, « très offensif » qui a « des malices plein son
sac » , « a occupé le terrain » et « cherché à peser sur les débats de la présidentielle »
en « tourmentant » Nicolas Sarkozy. La confirmation étant donnée par Bernadette : « mon
mari n'est pas gâteux». En effet, si l’âge du président est rappelé à titre d’information en
ouverture, il n’est pas commenté, comme dans l’article du Figaro rappelant que son âge
faisait de Jacques Chirac un « doyen ». Libération , au contraire, met l’accent sur les
« malices » de Jacques Chirac. La figure du vieil homme ressemble ici davantage à celle
du « vieux singe » que du vieux sage ou du vieillard grabataire.
Comparaison
L’anniversaire de Jacques Chirac pourrait marquer un tournant dans le traitement
médiatique du président, à l’approche de la fin de son mandat. Il est certain que ce pas de
plus dans le troisième âge ne passe pas inaperçu dans un contexte de lutte préélectorale.
Mais seul Libération aborde l’avenir à partir de cet épisode. Le Figaro et le Monde ont une
approche plus factuelle. Le passé composé et l’imparfait, temps du récit, sont ainsi plus
présents dans ces deux derniers quotidiens, quand Libération emploie aussi beaucoup le
présent, dans une démarche plus analytique, ainsi que le futur à travers certaines citations
sur l’avenir de Jacques Chirac.
La figure du vieil homme n’est finalement pas la plus avancée à l’occasion de
l’anniversaire de Jacques Chirac. Elle est parfois supplantée par celle du président qui doit
éviter une crise diplomatique.
Les trois titres étudiés traitent de différentes façons les diverses figures identitaires de
Jacques Chirac. Ainsi apparaît-il davantage comme le président dans l’article du Monde,
la figure de l’homme étant plus présente dans l’article du Figaro, mais surtout, dans celui
de Libération.
Et pourtant, cette figure ne transparaît pas de la même manière dans ces deux
quotidiens puisque le Figaro, même s’il met l’accent sur l’âge avancé du président, semble
aussi plus indulgent vis à vis de ce dernier. Le journal n’évoque d’ailleurs à aucun moment
la fin de son mandat.
Le Figaro et le Monde se rejoignent sur ce point : les deux quotidiens évoquent
l’anniversaire de Jacques Chirac comme un épisode du présent, alors que cet anniversaire
est un prétexte pour aborder l’avenir dans l’article de Libération.
Libération, qui ne dresse en rien le portrait d’un homme en déclin. Le journal insiste en
effet sur la malice du président plus que sur son âge. Et la photo illustrant l’article montre un
Jacques Chirac souriant devant son gâteau d’anniversaire (légende : « Jacques Chirac et
son gâteau, mercredi à Riga »). L’homme n’apparaît donc pas vieux, mais simplement sur
le départ, prêt à livrer sa dernière bataille. Cette mise à l’écart de la figure du vieil homme au
profit d’une identité plus politique permet peut-être à ce journal de gauche de susciter peu
de sentiments chez ses lecteurs à l’égard de Jacques Chirac. En le représentant comme
celui qui entend bel et bien exister jusqu’au bout, « comme un général sans armée, prêt
à un baroud d’honneur », l’article de Libération suscite l’amusement du lecteur, au mieux,
son respect, mais pas sa compassion.
REMUSAT Cécile_2007
21
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Figure du père et du mari
Jacques Chirac a toujours évité d’exposer sa vie personnelle, comme il l’explique à Pierre
17
Péan dans « l’inconnu de l’Elysée »
. Cette discrétion, à l’opposé de la nouvelle
« peopolisation » du politique, se traduit par une figure du père et du mari plutôt absente des
médias. Les seules images de Jacques Chirac avec sa fille Claude demeurent ainsi celles du
président en action, puisque Claude Rey Chirac est la conseillère en communication de son
père. Et même ces instants sont assez rares, Claude Chirac désirant rester dans l’ombre. Le
mystère est encore plus grand autour de la fille aînée de Jacques Chirac, Laurence. Jacques
Chirac est aussi le père adoptif d’une vietnamienne, Anh Dao Traxel. Mais là encore la vie
privée du président demeure plutôt secrète. Bernadette Chirac, quand à elle, fait partie de
la scène publique, en tant que première dame de France, et connaît une forte médiatisation
lors de l’opération annuelle « Pièces Jaunes ».
Pour autant, les médias font assez rarement référence à la figure du mari pour définir
Jacques Chirac. Certes, la vie personnelle du président est évoquée à partir de 1995, dans
18
une « psychologisation […] de l’homme publique » , mais cette identité du président estelle permanente d’un média à un autre, ou diffère-t-elle selon le type de presse ? Les articles
étudiés dans lesquels se retrouvent la figure du père ou du mari sont issus de différents
supports, mais très peu de la presse quotidienne nationale.
Le mari
L’exemple le plus probant de cette figure durant les derniers mois de présidence de Jacques
Chirac est l’émission de Michel Drucker du 11 février 2007, consacrée à Bernadette Chirac.
Dans « Vivement dimanche » et « Vivement dimanche prochain », le président Chirac est
évoqué et présenté comme le mari de Bernadette, ce qui constitue une grande première.
Bernadette Chirac tient donc la vedette et révèle quelques éléments de sa vie avec le
président. Ce dernier ne prend finalement la parole que dans un entretien d’une vingtaine
de minutes avec Michel Drucker, durant lequel il s’exprime en tant que mari, et non en tant
qu’homme public. Le calendrier joue pour beaucoup dans cette intervention télévisée non
officielle, puisque la fin du mandat approche avec les élections présidentielles. Jusqu’à ce
jour, Jacques Chirac ne s’est pas prononcé sur ses intentions. Et c’est dans « Vivement
dimanche » qu’il évoque pour la première fois « l’après »
le souligner la presse avant même la diffusion.
20
19
, comme ne manque pas de
L’émission de Michel Drucker fait écho au livre de Pierre Péan, « L’inconnu de l’Elysée »
, paru le 14 février 2007, soit presque au même moment. Cet ouvrage se base sur
des entretiens de l’auteur avec le président de la République, entre l’été 2006 et le début
de l’année 2007. Il s’agit pour Pierre Péan de mettre l’accent sur d’autres aspects de
Jacques Chirac, des aspects inconnus. D’où le titre. L’auteur évoque ainsi de façon tout à
fait subjective le côté « humain » du Président et entend répondre aux précédents ouvrages,
plus critiques, envers Jacques Chirac. Sont ainsi cités puis contrés les arguments ou les
17
Pierre PEAN, « L’inconnu du l’Elysée », Fayard, 2007
18
19
Cf. le titre du Figaro du 9 février 2007, « Jacques Chirac commence à évoquer l’après »
20
22
Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
dénonciations parus dans « Le Résident de la République », de Jean-Marie Colombani, « La
Tragédie du Président », de Franz-Olivier Giesbert, ou encore « L’Homme qui ne s’aimait
pas », du même auteur. Il semble opportun de signaler la proximité entre « L’inconnu de
l’Elysée » et « Vivement dimanche », qui se complètent dans le temps et leur support, en
donnant une même image de Jacques Chirac. Ainsi, Pierre Péan, lui aussi, laisse la parole
à Bernadette Chirac (les interventions de cet ouvrage étant uniquement celles de proches
du président ou du président lui-même, contrairement au livre de Frantz-Olivier Giesbert).
Les courtes interventions de Bernadette Chirac contribuent à susciter une certaine émotion.
Par exemple, lorsqu’elle évoque la mort de la mère de son époux : « il était alors Ministre
de l’Agriculture. A la fin de l’été 1973, ma belle-mère, très malade, était à Bity. Mon mari
est venu passer 24 heures avec nous. Puis il repart pour Paris, mais, peu après, sa mère
meurt. Je réussis à le joindre et lui dis : « c’est fini ! - Déjà ! » me répond-il. Ce «déjà »je
l’entendrai jusqu’à la fin de mes jours… »
A l’évocation de ce décès, le lecteur ne peut s’empêcher de ressentir de la peine pour
le Président, pour ce fils qui vient de perdre sa mère, pour cet homme qui apprend la terrible
nouvelle de la bouche de sa femme.
Pleine d’empathie, l’émission de Michel Drucker va dans le même sens. Elle n’a aucune
portée critique et évite les sujets qui dérangent : par exemple, la rencontre entre Jacques
et Bernadette Chirac à Sciences Po est longuement évoquée, ainsi que leurs études, mais
il n’est pas précisé que Bernadette Chirac n’a pas obtenu son diplôme, comme le rappelle
le Monde.
L’émission, plus encore que l’ouvrage de Pierre Péan du fait de l’image, permet de
rendre visible une figure jusque là peu exploitée de Jacques Chirac, notamment dans la
presse quotidienne nationale. Et ces confidences présidentielles ne passent pas inaperçues
dans le contexte pré-électoral. Le Monde, le Figaro et Libération se font l’écho de cet
événement médiatique inhabituel. Pour autant, les trois quotidiens, bien qu’ils traitent le
sujet sous trois angles bien différents, ont un point commun : ils ne s’attardent pas sur une
figure ultra personnalisée de Jacques Chirac, si ce n’est pour en démontrer « la mise en
scène »
21
. Sont ainsi étudiés les trois articles suivants :
Le Monde du 13 février 2007 :« Les confidences très encadrées du couple Chirac »
(annexe 6)
7)
Le Figaro du 9 février 2007 :« Jacques Chirac commence à évoquer l’après » (annexe
Libération du 8 février 2007 :« Chirac fait un pas vers la non-candidature » (annexe 8)
Le Monde
Le Monde est celui des trois quotidiens qui accorde le plus de place à cette figure « maritale »
de Jacques Chirac. Bernadette se voit qualifiée en fonction de Jacques Chirac (« son
épouse ») et, plus inhabituel, la réciproque s’applique au président, qui devient « son
époux » ou « son mari ». Mais si le quotidien, reprend la rhétorique de l’émission de Michel
Drucker, c’est pour mieux la mettre à distance. Ainsi, le journal ne manque pas de faire le
parallèle avec le livre de Pierre Péan, pour cette « mise en scène du mandat de Jacques
Chirac » où « le hasard n’avait aucune place », avec « beaucoup de non- dits ». Le Monde
met alors un brin d’ironie dans son affirmation « du solide les Chirac : cinquante et un an
de mariage».
21
Cf. l’article du Monde, paru le 13 février 2007, intitulé « Les confidences très encadrées du couple Chirac ».
REMUSAT Cécile_2007
23
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Le quotidien ne manque pas de retranscrire les propos du couple Chirac, de façon plus
détaillée que le Figaro et Libération, mais tout en les mettant à distance par le discours
indirect et les citations. Ce procédé rappelle celui employé dans l’article sur l’anniversaire
de Jacques Chirac à Riga. Chaque propos fait ainsi l’objet d’une construction critique. Par
exemple, le journal ne manque pas de rappeler les détails omis par les Chirac sur certains
points.
« Alors qu'il « n'est pas un spécialiste de la félicitation conjugale », comme le
dit Mme Chirac, le président a raconté combien il avait été « impressionné », à
Sciences Po, par cette jeune fille qui avait pris d'emblée deux exposés. « Elle
m'a beaucoup aidé à préparer le concours de sortie », a-t-il souligné. BREVET
DE PERSÉVÉRANCE Ce qu'il n'a évidemment pas révélé et que Bernadette
Chirac cache soigneusement, c'est qu'elle n'a pas obtenu son diplôme. ». [..] « Le
président s'est beaucoup émerveillé, à la télévision, du fait que son épouse lui ait
prédit la présence du Front national au second tour, en 2002. Ignorait-il vraiment
que c'est Laurence Parisot, alors simplement patronne de l'IFOP, qui avait averti
son épouse, dont elle est une protégée ? »
Et le journal enchaîne sur « d'autres non-dits » , comme la façon dont Jacques Chirac a
vécu l’anorexie de sa fille aînée.
Le quotidien entend ainsi interpeller le téléspectateur, devenu le lecteur « invité à
comparer ». Pour cela, le Monde semble finalement orienter son lectorat vers le livre de
Pierre Péan, à qui Jacques Chirac «en dit bien davantage ». Sont ainsi cités les passages
de l’ouvrage consacrés aux infidélités du président, qu’il « fait mine de « découvrir » ».
Le Monde termine donc avec une ironie cinglante par déconstruire la figure du gentil mari
présente dans « Vivement dimanche ».
Le Figaro
Le Figaro accorde moins de place à l’analyse de l’émission de Michel Drucker, évoquée en
trois paragraphes en tout début d’article. Le terme « analyse » n’est d’ailleurs pas approprié
puisque le quotidien se contente de retranscrire certains passages de l’émission en se
concentrant sur l’information politique : « pour la première fois, Jacques Chirac évoque le
moment où il ne sera plu au pouvoir ».
Le président apparaît alors comme celui qui « se confie » à Michel Drucker, tandis que
Bernadette parle « avec émotion ».Le registre émotionnel est donc activé ici, et renforcé par
les nombreux extraits choisis du dialogue. Contrairement au Monde, le Figaro se contente
de citer Jacques et Bernadette Chirac sans ajouter de commentaire critique. A peine estil précisé que l’émission est « préenregistrée ». Les citations sont en outre choisies avec
soin, apparemment pour illustrer :
Soit la figure paternelle d’un homme qui a le sentiment d’avoir été fidèle à ses
convictions pour la France et les Français :
« Je me suis investi totalement dans ma mission que je m'étais assignée au
service des Français. Alors on peut l'approuver, la critiquer, peu importe, mais
j'ai toujours essayé d'agir pour les Français et pour l'idée que je me faisais de la
France »
Soit l’émotion d’une femme qui doit quitter la maison dans laquelle elle a vécu durant douze
ans :
24
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
« Bernadette Chirac reconnaît, avec émotion, que l'Élysée lui « manquera
beaucoup ». « Mais je m'adapterai. Il faut bien accepter ce que le destin
décide. » »
Cette évocation du destin s’ajoute à la désormais célèbre phrase de Jacques Chirac qui
ouvre l’article : « il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu’à la mort ». Par
conséquent, la mort et le destin ouvrent et ferment cette parenthèse du Figaro consacrée à la
prestation des Chirac dans « Vivement dimanche ». Le journal confère ainsi une dimension
presque spirituelle à la figure de Jacques Chirac, contrairement à la vision plus terre à terre
du Monde où Jacques Chirac apparaît comme le mari trompeur, l’homme qui a eu des
faiblesses.
A l’opposé, le Figaro le présente, par les extraits choisis, comme le vieux sage,
retranscrivant parfaitement l’ambiance du plateau de « Vivement dimanche ». En effet, c’est
exactement cette image qu’a mise en scène Jacques Chirac lors de son entretien avec
Michel Drucker. Comme dans le livre de Pierre Péan, il est apparu calme, serein, portant
un regard plein de bienveillance sur ses proches et admettant ses erreurs passées. Loin du
discours politique habituel, comme s’il ne cherchait à convaincre personne. Bernadette, de
son côté, vante les qualités de son mari, excuse ses défauts et verse presque une larme
devant sa reconnaissance affichée.
Mais comme le souligne le Monde, cette mise en scène n’a pas lieu à n’importe quel
moment, au hasard du calendrier. Il aura fallu attendre la fin de son mandat présidentiel
pour que Jacques Chirac s’exprime ainsi. Une personnalisation qui pose les bases de son
retour à la vie civile comme simple citoyen, et un moyen de faire parler de lui quand les
médias se concentrent sur les figures émergentes de la politique française, Nicolas Sarkozy
et Ségolène Royal.
Libération
Libération ne dénonce pas. Le journal préfère ignorer la dimension très personnelle de
l’émission pour se concentrer, comme le Figaro, sur l’information politique. Le quotidien
s’interroge : « Jacques Chirac est-il sur le point de jeter l'éponge? »
Les papiers du Figaro et de Libération sont à mettre en parallèle puisque les deux
quotidiens ne consacrent que quelques lignes à cette émission, choisissent le même angle
d’approche (l’évocation de l’après par Jacques Chirac) et les mêmes extraits principaux,
notamment les deux précédemment cités, repris à l’identique dans Libération :
Il avoue ne pas être « quelqu’un qui vit dans le culte d’un passé». «Je me suis
investi totalement dans la mission que je m’étais assigné au service des Français. On peut
l’approuver, la critiquer, peu importe. J’ai toujours essayé d’agir pour les Français. Si je n’ai
plus de responsabilités de cette nature, eh bien, j’essaierais de servir la France d’une autre
manière », dit-il.
Michel Drucker poursuit l’entretien et lui demande s’il y a une vie après la politique.
Chirac répond sans détour. « Il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu’à
la mort .»
Libération semble alors jouer sur le registre de l’émotion, au même titre que le Figaro.
Par exemple, le Figaro précise que « Bernadette Chirac reconnaît, avec émotion, que
l'Élysée lui « manquera beaucoup ».
REMUSAT Cécile_2007
25
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Et Libération déclare que « Bernadette Chirac revient alors au bord des larmes et avoue
que « cette maison [l'Elysée] me manquera beaucoup, mais je m’adapterai, il faut bien
accepter ce que le destin décide ». » L’expression « au bord des larmes » va encore
plus loin que la simple « émotion » dont parle le Figaro. Mais le ton de Libération peut
alors paraître empreint d’ironie, contrairement au papier de son concurrent. L’information
politique est ainsi traitée avec distance et humour par Libération, qui s’interroge en tout
début d’article :" Jacques Chirac est-il sur le point de jeter l'éponge? » , contrairement au
Figaro, où le ton employé s’avère plus précautionneux et dramatique : « LE JOUR où...
Pour la première fois, Jacques Chirac évoque le moment où il ne sera plus au pouvoir. »
Comparaison
La figure de l’homme est présente dans les trois papiers qui concernent cette émission.
Le Monde se penche sur le couple et la vie de famille du président, tout comme le Figaro
et Libération, qui ne peuvent que rebondir sur les confidences de Bernadette Chirac. Mais
l’analyse démontre que le registre de l’émotion semble plus présent dans le papier du Figaro,
quand la critique et l’analyse prédominent dans le papier du Monde et l’ironie, dans celui
de Libération.
Mais l’émergence d’autres figures par le Figaro et Libération nuancent quelque peu ce
constat : le Figaro développe ainsi celle du politique en opposition à un autre et du président
en fin de règne, cette dernière figure étant reprise par Libération.
Le Figaro évoque ainsi les derniers déplacements du chef de l’Etat, comme son
« ultime sommet France-Afrique » , tandis que Libération cherche dans les propos
de Jacques Chirac la réponse à la question : « Jacques Chirac est-il sur le point de jeter
l'éponge? »
Cette remise en perspective du sujet par deux quotidiens opposés dans leur ligne
politique surprend. Ils exploitent ainsi les mêmes informations, pour se poser la même
question : qu’en est-il de l’avenir de Jacques Chirac ?
Or, cet avenir semble dépendre d’un autre homme politique pour le Figaro, qui est
le seul des trois quotidiens à relever, par de multiples allusion, l’opposition entre Jacques
Chirac et Nicolas Sarkozy :
« A droite, Nicolas Sarkozy occupe tout l'espace » « le sarkozyste François Fillon
veut « tourner la page » des années Chirac » « Le chef de l'État soutiendra-t-il
formellement le président de l'UMP, alors que leurs relations restent tendues ? »
Cette figure procure une dimension différente à l’article du Figaro en comparaison de
celui de Libération. Le Figaro transforme ainsi la succession de Jacques Chirac en lutte,
soulignant que « Jacques Chirac n'est pas homme à renoncer facilement au pouvoir ». La
figure de l’homme ne prend pas alors la seule dimension familiale, mais semble influencer la
figure du politique. L’opposition à Nicolas Sarkozy et le goût du pouvoir apparaissent comme
faisant partie intégrante du personnage.
C’est pourquoi des trois quotidiens, le Figaro est celui qui développe le plus cette
identité personnalisée de Jacques Chirac.
Le père et le grand-père
La figure paternelle de Jacques Chirac est peu mise en avant dans les médias en général,
Jacques Chirac protégeant beaucoup sa vie privée. Mais à quelques semaines de la fin
26
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
de son mandat, c’est le président lui même qui s’affiche aux côté de son petit fils, Martin.
Une mise en scène familiale reprise par les quotidiens, notamment avec le cliché, rare, du
petit garçon.
Mais l’identité de Jacques Chirac en tant que père et grand-père transparaît davantage,
et de façon plus ponctuelle, dans un autre type de presse, plus orientée « people ». Quatre
couvertures de Paris Match lui ont ainsi été consacrées : en 1996, « Chirac, grand-père
heureux », 1997, « Chirac, vacances au bout du monde avec son petit-fils Martin, un an
et demi », 2000, « Le président grand-père » et 2007, « Chirac, l’adieu à l’Elysée ». Dans
ce dernier numéro, Jacques Chirac a choisi de mettre en scène sa vie privée, comme le
souligne le Monde, le 19 novembre 2006, dans un article intitulé « Chirac intime »:
« RARES sont les apparitions photographiques de Martin Rey-Chirac, fils de
Claude Chirac et de l'ancien judoka Thierry Rey, avec son très célèbre grandpère. Pourquoi maintenant ? A cinq mois de la fin de son second mandat,
Jacques Chirac a accepté pour le 3 000e numéro de Paris Match, sorti le 16
novembre, la présence d'un photographe, Benoît Gysemberg, pendant une
semaine, à l'Elysée. Montrer le président au travail, raconter à quel point il est
encore dans l'action, tel est l'angle de ce reportage qui n'a pu que ravir l'Elysée.
Avis à ceux qui l'avaient, voilà quelques mois, jugé absent. Et puis, comme le dit
la comptine, « Dimanche matin, l'empereur et le petit prince... » se sont promenés
dans les jardins. »
22
En effet, Paris-Match lui consacre sa « une » du 15 mars 2007 (et non en novembre),
un cliché le représentant de dos avec son petit fils dans les jardins de l’Elysée. Les deux
silhouettes semblent ainsi s’éloigner ensemble vers une nouvelle vie pour Jacques Chirac
(« Avec son petit-fils Martin, en route vers l’avenir » titre le journal). Le ton de l’article va dans
ce sens : « grâce à son petit-fils, qui aura bientôt 11 ans, Jacques Chirac redécouvre le plaisir
de regarder le monde à hauteur d’enfant. Dans quelques mois, il pourra savourer pleinement
le fait d’être grand-père. » L’article évoque ainsi les derniers instants d’une famille.
« Bernadette se prépare désormais à affronter l’avenir avec panache. Pour
le première fois depuis 1974, loin des lambris dorés, elle va s’installer dans
un appartement qu’elle décorera entièrement à son goût.. Certes, le couple
présidentiel en possède déjà un rue de Seine, mais depuis plusieurs années,
c’est Claude qui vit là avec leur petit-fils, Martin. »
Le fait de nommer les proches du président Chirac par leurs prénoms (Bernadette, Claude,
Martin), ainsi que l’utilisation du présent, leur confère immédiatement une dimension plus
humaine. L’utilisation du temps présent fait naître une certaine proximité entre le lecteur et
les personages évoqués,tout en rendant le récit plus percutant, plus vrai. Cet article met
ainsi l’accent sur le lien véridique et sincère qui unit Jacques Chirac à sa famille, notamment
à son petit-fils : « quand Martin est là, le président s’efface devant le grand-père ». Et bien
ème
que les photos aient été prises en novembre 2006, le papier ne sort pas pour le 3000
numéro de Paris-Match, comme le prédit le Monde, mais pour le numéro 3017, en mars.
Cette parution a lieu à peine trois semaines avant que le petit-fils de Jacques Chirac
ne fasse la « une » du Parisien, le 4 avril, alors que son grand-père l’avait emmené à sa
visite du premier régiment de parachutistes d'infanterie de marine, à Bayonne. Ces deux
événements où Jacques Chirac se montre en compagnie de son petit-fils ne sont pas le
fruit du hasard, à quelques semaines de son départ de l’Elysée. Comme dans l’émission
22
Paris-Match, numéro 3017 du 15 mars 2007
REMUSAT Cécile_2007
27
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
de Michel Drucker, Jacques Chirac cultive ainsi l’image d’un homme sage, presque d’un
« ancien » au sens noble du terme.
Cette apparition du président accompagné de son petit fils à Bayonne est citée dans
le Monde Libération et le Figaro , mais de façon diverse, dans les trois articles suivants :
Le Monde du 8 avril 2007 : «Dans la famille Chirac, le petit-fils » (annexe 9)
Le Figaro du 4 avril 2007 : «Le grand-père Chirac et le petit fils Martin » (annexe 10)
11)
Libération du 4 avril 2007 : « A Bayonne, la dernière revue du soldat Chirac » (annexe
Le Figaro
Le Figaro choisit ainsi de faire paraître la photo de Martin Rey Chirac, avec son grand-père
en arrière plan. Mais seule une légende complète le cliché :« Fait exceptionnel : pour sa
dernière visite aux Armées, Jacques Chirac était accompagné de son petit-fils, Martin. » La
visite est quant à elle relatée dans un papier sans évoquer la présence du petit garçon. Le
quotidien ne s’attarde donc pas sur la dimension familiale de cette visite, même s’il reconnaît
son caractère « exceptionnel » ,en faisant une information à part.
Le Monde
Il n’en va pas de même pour le Monde, qui mêle dans son court papier la visite présidentielle
et la présence de Martin Rey Chirac :
« À UN MOIS ET DEMI de la fin de son mandat, Jacques Chirac a invité son petitfils Martin à l'accompagner, mardi 3 avril, au premier régiment de parachutistes
d'infanterie de marine, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Cet exercice fréquent,
qu'il affectionne, s'est transformé en événement : Martin Rey-Chirac a été
abondamment photographié et Le Parisien a choisi de mettre son portrait en «
une » dans son édition du 4 avril. Une photo où le jeune garçon, qui a eu 11 ans
le 22 mars, est très reconnaissable, pour les rares journalistes qui ont déjà eu
l'occasion de l'apercevoir. »
Selon cet extrait, c’est bel et bien la présence du petit-fils de Jacques Chirac qui fait
« événement », du fait de son caractère inhabituel. Il est ainsi précisé que « rares [sont
les] journalistes qui ont déjà eu l'occasion de l'apercevoir.», ou encore, qu’il s’agit d’une «
première ».
Le quotidien revient ainsi sur un épisode du passé où le petit garçon avait là aussi été
photographié, rappelant que cette démarche avait alors été qualifiée « d’utilisation politique
et de communication ». Une critique qui pourrait s’appliquer une fois encore.
Pourtant, le journal n’aborde pas cette visite de façon critique, puisque selon le
journaliste, « le contexte n'est, aujourd'hui, plus le même. Jacques Chirac s'est fait plaisir
et Martin aussi. » Cette allusion au « plaisir » de Jacques Chirac et de son petit-fils rend
la figure de l‘homme prédominante sur celle du président en exercice, pourtant développée
ensuite. Mais c’est toujours sur le registre de l’émotion que joue le Monde. Le quotidien
évoque ainsi la visite à travers les yeux de l’enfant : « Un souvenir sûrement exceptionnel
pour un garçon de 11 ans »
28
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
Cependant, l’ironie et l’analyse refont surface en toute fin d’article, soulignant qu’ « outre
le simple plaisir qu'ont pu éprouver le grand-père et le petit-fils, il s'agissait de montrer qu'il
y avait vraiment « une vie après la politique » pour Jacques Chirac ».
Et l’ironie, teinté d’humour, a le dernier mot, évoquant Claude Chirac, la mère de Martin
et conseillère en communication de son père : « Comme sa mère, Claude Chirac ne peut
que mesurer le poids que représente une vie cachée et surprotégée pour un enfant de cet
âge. Cette contrainte s'allège. Les journalistes politiques peuvent bien penser qu'avoir choisi
le département de François Bayrou, les Pyrénées-Atlantiques, n'est pas un hasard. Elle va
encore les trouver tordus ! »
Cette exclamation finale évoque les significations politiques que pourrait avoir cette
visite : la présence de Jacques Chirac sur les terres d’un candidat aux élections
présidentielles, autre que Nicolas Sarkozy, marque la figure du politique en opposition à
un autre.
Libération
Quant à Libération, le journal ne fait qu’évoquer rapidement et sobrement la présence du
petit-fils Chirac, pour mieux centrer son article sur la visite présidentielle : « Pour la première
fois dans un déplacement officiel, le président de la République avait emmené avec lui son
petit-fils. Le jeune Martin, fils de Claude, n'a pas perdu une miette du spectacle mis en
scène par le commandement des opérations spéciales (COS) ». Le reste de l’article est
consacré à la description de la manifestation, insistant sur le « « passage de témoin » de
Jacques Chirac à son successeur ». Libération semble ainsi refuser toute personnalisation
du président, pour ne s’en tenir qu’à ses seules fonctions présidentielles.
Comparaison
La figure du grand-père se fond ainsi avec celle du président en exercice puisque Jacques
Chirac fait d’une visite officielle une visite familiale.
Il est intéressant de noter que le Figaro ne s’attarde pas sur cette figure, préférant
seulement illustrer une photo par une simple légende.
Ce n’est pas le cas du Monde, qui évoque cette visite familiale comme le début d’une
nouvelle vie pour Jacques Chirac. Par cette visite, la figure du président laisserait la place à
celle du grand-père, avec un message : il y aurait « une vie après la politique ».Ces termes
font échos à l’émission de Michel Drucker consacrée à Bernadette Chirac.
Cependant, Libération choisit de ne pas développer cette figure paternelle, mais plutôt
celle du président en fin de règne. Cette visite prend alors des allures de « testament
militaire » et de «Passage de témoin».
Cette démarche confirme une tendance,
déjà observée lors de l’anniversaire de Jacques Chirac, selon laquelle
Libération
n’entend pas traiter l’information telle qu’elle se présente. La présence de Martin
Chirac n’occupe ainsi que quelques lignes, et le journaliste détache de cette figure
familiale la figure du président, sur laquelle porte son travail.
La figure de Jacques Chirac « grand-père » n’est pas fréquente. Il est néanmoins
saisissant de voir que cette identité resurgit en toute fin de son mandat, provoquée par le
président lui-même : il accepte de se faire photographier en compagnie de son petit-fils
et emmène ce dernier en voyage officiel. Une telle personnalisation ressemble fort à une
redéfinition de l’identité de Jacques Chirac par lui même au moment où il va changer de
statut.
REMUSAT Cécile_2007
29
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Figure de l’homme sympathique
Une figure plutôt positive poursuit Jacques Chirac :celle d’un président sympathique. De
façon très subjective, le président Chirac a la réputation d’être « humain », « sympathique »,
et « proche des gens ». Ces qualificatifs reviennent dans tous les ouvrages qui lui sont
consacrés, y compris les plus critiques. Car si une qualité est reconnue à Jacques Chirac,
c’est bien sa sociabilité, sa façon de serrer des centaines de mains en une journée, et
finalement, une sorte de simplicité.
Cette figure de Jacques Chirac se retrouve chaque année dans une manifestation à
laquelle il aura laissé son emprunte : le Salon de l’agriculture.
Une idée communément admise, une figure médiatique persistante
Dans son ouvrage, Franz-Olivier Giesbert reconnaît, anecdotes à l’appui, les qualités
23
humaines de Jacques Chirac, qu’il n’épargne pourtant en rien tout au long du livre : « si
son chemin a souvent croisé celui des Français, c’est parce qu’il ne se la joue pas et aime
les gens, surtout quand ils sont de peu ou de rien ».
Sur ce point, Franz-Olivier Giesbert et pierre Péan se retrouvent. Ce dernier explique
le phénomène de façon presque scientifique. La chaleur que dégagerait Jacques Chirac
serait le signe de ses talents de guérisseur. Talents que reconnaît en partie Jacques Chirac
24
durant l’un de ses entretiens avec l’auteur .
« J’ai des ancêtres dont on prétendait un peu qu’ils étaient guérisseurs. Enfin,
ce qui est sûr, c’est que mon grand-père, mon père et moi sommes doués
d’une sorte de sensibilité à l’état de santé des gens, sans plus. Je tente de leur
remonter le moral…notamment à ceux qui sont atteints d’un cancer. En usant
simplement de ma voix… »
Pierre Péan creuse ainsi la piste de l’homme qui aime les autres, au point de pouvoir les
guérir :
« De lui même il m’a parlé de l’amour qu’il recherchait et de l’importance du
contact par les mains […] Vous savez, on apprend toujours quelque chose quand
on serre la main des gens. On n’apprend pas toujours quelque chose quand on
les écoute, mais on apprend toujours quelque chose en lisant dans leur regard ou
en leur serrant la main ».
Avec ou sans le point de vue de Jacques Chirac sur sa passion des autres, cette figure
de l’homme sympathique souffre ainsi de peu de contradiction. Lionel Jospin, durant la
cohabitation, se plaint même des éloges de ses ministres socialistes à l’égard du président.
25
Un article du Figaro qui retrace la carrière de Jacques Chirac, revient sur ce point .
« "Il nous serrait la main avec un grand sourire, comme si nous étions l'équipe de
France qui venait de gagner la Coupe du monde de foot", se souvient un ministre
socialiste. Never explain, never complain, c'est le côté reine d'Angleterre de
Chirac. Et il n'est pas exclu que, sur le lot, il en trouve certains sympathiques,
23
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-10.
24
25
30
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-105
Article du Figaro, « Une présidence sans cesse perdue et reconquise », paru le 12 mars 2007
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
ou animés d'idées qui ne sont pas pour lui déplaire. Ceux-là, il les emmène en
voyage, comme Bernard Kouchner, Claude Allègre ou Jean-Pierre Chevènement.
A tel point que l'austère Jospin s'agace : "Arrêtez de dire que Chirac est
sympa." »
Dans son documentaire, Patrick Rotman interroge l’un de ces anciens ministres socialistes,
qui affirme avoir été « séduit » dès sa première rencontre avec le chef de l’Etat. Les gens
qui l’ont côtoyé témoignent tous de son attention à leur égard, de son souci de se tenir
informé du moindre événement comme un mariage, un décès, une naissance, sur lequel il
leur adresse « un petit mot gentil ».
26
Dans un entretien sur son documentaire , Patrick Rotman s’exprime sur cet aspect de
Jacques Chirac :
« Je crois que Chirac n’est pas quelqu’un qu’on déteste vraiment. Même ceux à qui il a
fait des tours pendables reconnaissent en lui un homme chaleureux, sympathique, généreux
[…]Au fond, Chirac est un bon bougre, il est populaire, au sens qu’il vient du peuple, il a
un contact simple, il est près des gens. Bien sûr, c’est parfois factice, automatique, un peu
calculé, mais enfin il a le goût des autres. On est loin de Balladur faisant campagne avec
des gants. »
Cette référence à la campagne de 1995, opposant les deux hommes, permet de
comprendre l’émergence de cette figure « populiste », expliquée par Annie Collovald et Erik
27
Neveu. Cette identité de Jacques Chirac désormais présente dans les médias serait née
de la représentation purement fictive qu’en auraient faite les Guignols de l’Info pendant la
campagne présidentielle de 1995.
« on est passé d’un travail de projection sur les acteurs politiques des
représentations que s’en font les scénaristes à un travail d’intégration dans les
personnages des enjeux politiques du moment. La truculence de la marionnette
Chirac à la fin 1994 relevait de l’imagination propre des réalisateurs, sommés
de faire rire avec des caricatures. […] Mais avec le retour vers la réalité de
la campagne, cette identité chiraquienne prend une toute autre résonance.
Elle devient la marque assumée du candidat gaulliste dont la stratégie de
communication se fonde, une fois la campagne lancée, sur la proximité affichée
avec les gens ordinaires sur les lieux mêmes de leur vie. Dès lors, cette identité
« populiste » devient, que les réalisateurs des « Guignols » le veuillent ou
non, un enjeu politique dans la concurrence qui lie Jacques Chirac à ses
adversaires. »
Dès lors, Jacques Chirac semble proche du peuple, y compris par son côté « bon vivant ».
Il est ainsi représenté comme un homme de la terre, appréciant le bon vin, et la caricaturale
tête de veau (en couverture de la BD de Bruno Gaccio).
Annie Collovald et Erik Neveu évoquent ainsi un exercice dans lequel Jacques Chirac
est passé maître, la visite du salon de l’agriculture. Déjà en 1995, il se distingue de son
concurrent, beaucoup moins à l’aise sur le terrain agricole.
er
« La visite au Salon de l’agriculture le 1 mars en est une illustration exemplaire.
Comme le commente PPD, il y a « ceux qui connaissent », tel J.Chirac très à l’aise
26
27
Entretien avec Patrick Rotman, réalisé par Christophe Kechroud-Gibassier pour France 2, octobre 2006
Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue Mots, numéro 48, 1996, p-104
REMUSAT Cécile_2007
31
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
au milieu des animaux de ferme, et « ceux qui découvrent », tel E.Balladur qui,
l’air dégoûté et invoquant Dieu, cède aux injonctions de toucher le cochon et
caresse…une poule. »
L’exemple du Salon de l’agriculture : la figure « populiste » de
Jacques Chirac
Le Monde du 6 mars 2007 : «Adieu, veaux, vaches cochons ! » (annexe 12)
13 )
Le Figaro du 5 mars 2007 : «Les adieux de Chirac au Salon de l’agriculture» (annexe
Libération du 5 mars 2007 : « Chirac passe hors-champ» (annexe 14)
Le Monde
Le Monde revient sur un « rituel maintenu [et] immuable » alors que Jacques Chirac est sur
le point de terminer son mandat. Le titre « Adieu veaux, vaches, cochon ! » annonce donc
sur un ton humoristique la figure du président en fin de règne, figure reprise par les deux
autres articles. Les exclamations et notes d’humour ne manquent pas, comme l’association
entre le retour de Jacques Chirac au Salon de l’agriculture, et des volailles, absentes l’année
précédente pour cause de grippe aviaire.
Le Monde éclaire d’emblée le lecteur sur la dimension médiatique de cette visite,
« moment obligé dans tous les journaux télévisés » , puisqu’elle reflète un rendez-vous
annuel qui risque fort de connaître sa dernière édition pour le président Chirac.
Un grand nombre de citations permettent de cerner l’ambiance, entre les remarques
des agriculteurs et les réponses complices de Jacques Chirac, ou ses silences concernant
sa carrière politique.
« « C'est mon dernier Salon et, pour vous, en tant que président, probablement
aussi », lui a lancé un agriculteur de la Mayenne, bientôt retraité. Jacques Chirac
n'a pas relevé l'allusion. « Comment ça va ? », a-t-il demandé à un autre. « Pas
trop bien, j'ai eu un petit accident vasculaire cérébral. C'est l'âge », a répondu
l'intéressé. « Et tu me dis ça à moi ! », a commenté le président en souriant. »
Par la juxtaposition de ces deux courts échanges avec des agriculteurs, le journaliste met
en évidence un double jeu de Jacques Chirac : le silence répond aux remarques politiques,
et un mot complice, avec le tutoiement, fait échos aux autres. La phrase de Jacques Chirac
évoquant implicitement son propre accident vasculaire cérébral, sur le ton de l’humour, et
avec la familiarité du tutoiement (« Et tu me dis ça à moi ! ») donne le ton de cet article.
Le président apparaît à la fois comme un homme dépassé, âgé, sur le départ, mais aussi
comme celui qui marque « une volonté obstinée de faire comme si » : faire comme s’il
était intime avec cette personne, faire comme si cet accident n’était pas si grave. Il évoque
donc cet épisode sur le ton de l’humour à un moment où son âge fait l’objet de nombreux
commentaires.
Le journaliste entreprend alors, comme ses concurrents, de décrire la visite
présidentielle. La figure de l’homme sympathique prend le dessus, sous plusieurs aspects.
Tout d’abord, la chaleur humaine de Jacques Chirac et sa disponibilité, sa proximité
avec le public :
32
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
« Jacques Chirac multiplie les « Bonjour ! » à la cantonade au milieu d'une cohue
indescriptible. Il est toujours prêt à serrer une main, embrasser un enfant, poser
pour une photo. »
Puis son côté plus « terrien », proche des bêtes :
« On l'a vu aux côtés de Titine, la vache limousine, et d'Aladin, le taureau
gascon. Il a fait l'éloge des vaches du Limousin, « la meilleure race », a-t-il dit. Il
a caressé un mouton des Pyrénées au front orné d'un superbe pompon, pris un
chevreau dans ses bras. »
Enfin, la figure de l’homme réside aussi dans la capacité du président à paraître plus terre à
terre que d’autres, plus humain dans ses faiblesses. En l’occurrence, les plaisirs de la table.
« Et puis surtout, il mange. De la charcuterie, de préférence. Foin du régime ! Et
il boit aussi. Une succession invraisemblable. Un verre de cidre suivi d'un lait
fraise, d'un vin blanc et d'une bière. Cela a quelque chose de l'antique cérémonial
au cours duquel le roi de France mangeait et buvait en public. Si le souverain a
bon appétit, c'est que tout va bien. Les Bourbons étaient réputés pour leur coup
de fourchette. »
Cet aspect de Jacques Chirac fait de lui un homme comme les autres, mû par les plaisirs
de la bonne chair, contrairement à Ségolène Royal, « qui a interdit qu'on la filme ou la
photographie quand elle mange » Elle aurait donc « encore quelques leçons à prendre »,
commente le journaliste, plaçant Jacques Chirac comme l’expert en communication et
simplicité. Mais dans le même temps, cette propension à s’adonner aux plaisirs de la table
fait de lui l’incarnation du « souverain » qui mange et boit plus que de raison par opposition
au peuple. Aussi cette figure de l’homme populaire et populiste, l’homme simple jusque
dans ses habitudes alimentaires, ne sert pas obligatoirement celle de l’homme sympathique,
notamment si l’on se réfère à l’une des « affaires » dans lesqelles serait impliqué Jacques
Chirac : « les frais de bouche ».
Le Figaro
Le Figaro résume la longue visite du chef de l’Etat au salon de l’agriculture dans un papier
d’ambiance destiné à rendre compte des faits et gestes de Jacques Chirac pendant le
dernier Salon de son mandat. Le récit se fait au présent, dans l’ordre chronologique, avec
des détails, comme l’heure précise de son arrivée ( «8h45 ») , le calme qui règne encore à
cette heure matinale (« quelques familles sont déjà là mais les allées du Salon sont encore
largement praticables »), ou encore « la chaleur suffocante ». Le lecteur apprend même
les petits noms des vaches flattées par le président_« le voilà en train de flatter Titine, la
vache représentée sur l'affiche du salon, ou encore Sucrette, Tisane ou Erika »_ ainsi que
le détail du menu du jour, composé de « cidre »et de « mimolette » et des cadeaux reçus
(« les corbeilles de fruits, les bouteilles et les livres de photo »).
Ces détails semblent concourir à l’image d’un homme à l’aise dans l’exercice, dans
un emploi du temps bien rôdé, fait de petites habitudes, contrairement à son ministre,
Dominique Busserau, « qui a souffert et piétiné pendant toute la matinée aux côtés de
Chirac ».
Car Jacques Chirac a l’habitude de ce grand Salon, qu’il fréquente « comme chaque
année depuis trente ans ». Et toujours sous l’angle des habitudes et des gestes répétés
depuis des années, le Figaro décrit l’exercice obligé auquel se livre le chef de l’Etat.
REMUSAT Cécile_2007
33
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
« Il a rempli son contrat avec un plaisir visible : serrage de mains, déclarations de
soutien au monde agricole, plaidoyer pour l'environnement, innombrables poses
de photos, signature d'autographes, commentaires avisés sur les bêtes, sans
oublier la dégustation à la chaîne de produits régionaux. »
L’énumération a valeur de répétition, comme si chacun de ces gestes était devenu commun
et ne méritait plus de commentaires. Seule une remarque sur ce « contrat » : il aurait était
rempli « avec un plaisir visible ». La figure de l’homme sympathique ne souffre donc ici
d’aucune restriction puisque Jacques Chirac prendrait « plaisir » à se mêler à la foule.
Libération
Le papier de Libération se déroule dans le même sens que celui du Figaro : la visite de
Jacques Chirac y apparaît dans ses moindres détails, heures comprises là aussi, et au
temps présent. Mais cet article se divise aussi en trois parties dont les intertitres donnent le
ton : « Poids des ans », « Traite du matin », « Noisettes et gigot ». L’angle choisi évoque
la figure du président en fin de règne qui effectue sa dernière visite officielle au Salon de
l’agriculture. Le titre, « Chirac passe hors champs » ainsi que le premier intertitre « poids
des ans », font référence au prochain départ de Jacques Chirac, dont l’âge commencerait à
constituer un handicap pour de nouvelles ambition présidentielles. Mais comme le précise
l’article, « le président est là pour causer bestiaux […], pas pour parler de son avenir
personnel. » C’est ainsi que les verbes d’esquive se multiplient : tandis que le président
passe de stand en stand, il « ne répond pas et s’en va », « ne dit mot », n’hésitant pas à
« filer » pour fuir les questions insistantes.
C’est ainsi, qu’après avoir éclairé le lecteur sur les non-dits de cette visite, l’article se
penche plus explicitement sur la façon dont Jacques Chirac a su se faire apprécier, et même
aimer, des agriculteurs.
Contrairement au Figaro, Libération n’évoque pas un « plaisir évident » à aller au devant
des autres,mais plutôt « des gestes incertains de vieux comédien fatigué » . Ainsi retrouvet-on le champ lexical de la comédie : Jacques Chirac veut « jouer jusqu’au bout [un] rôle»,
« déclame », possède « son répertoire » et « ses admirateurs ».
Pour cela, « sa geste […] est réglée comme la traite du matin », précise le journaliste,
éclairant le lecteur sur son second intertitre. Là encore la spontanéité ou le plaisir n’ont pas
leur place dans ce qui est décrit comme un rituel bien précis avec des actions préparées et
ordonnées : « s’approcher », « saluer », « jauger », sans oublier la « Chirac Touch, cette
façon inimitable de poser par petits mouvements brefs de la main bien à plat sur les naseaux
du bovin ». Toute l’ironie du papier, ajoutée à un certain humour trouvent leur point culminant
dans cette expression.
Le dernier intertitre fait référence à la grande quantité de nourriture offerte au président
pendant sa visite. Des cadeaux en hommage à celui qui se retrouve « en terrain conquis ».
Le journaliste traite la même information que son homologue du Figaro, mais d’une
façon tout à fait opposée. Ainsi, quand le Figaro précise les prénoms des vaches flattées par
le président, accentuant la figure de l’homme simple, Libération ne manque pas d’énumérer
tous les mets dégustés ou offerts à Jacques Chirac : « un sac de noisettes par un
représentant de Cancon, «capitale de la noisette», un jambon d'Espagne, un plateau
de viande avec gigot et volaille, une bière blanche, des gâteaux en veux-tu en voilà. »
34
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
Ces détails font échos à sa réputation de « bon vivant », voire, de « grand gosier»
comme le qualifie Franz-Olivier Giesbert.
28
,
Comparaison
Les trois articles étudiés entreprennent de décrire la visite présidentielle, jusque dans ses
moindres détails. Chacun précise ainsi que Jacques Chirac a passé plus de quatre heures
dans les allées du Salon. Le récit se fait au présent dans Libération et le Figaro, faisant
coïncider le temps de l’énoncé avec celui de l’énonciation,et au passé composé dans le
Monde, même si celui-ci emploie aussi le présent. Cette narration a pour but de plonger le
lecteur dans l’ambiance du Salon et de le rendre témoin de la scène décrite par le journaliste.
Le lecteur voit ainsi à travers les yeux du narrateur Jacques Chirac déambulant dans les
allées, goûtant les produits du terroir, et flattant les vaches.
Mais la dimension critique de chaque article diffère. Le Figaro évoque ainsi le « plaisir
évident » de Jacques Chirac à accomplir ces gestes de sympathie, et met en relief la figure
de l’homme proche du peuple.
Libération prête au contraire au chef de l’Etat un grand talent d’acteur. La figure du
politique, fin stratège, dépasse aisément celle de l’homme chaleureux.
Le Monde, quant à lui, joue sur les deux tableaux. Dans cet article, Jacques Chirac
semble à mi chemin entre la figure de l’homme, sympathique, et celle du politique, plus
stratégique. Il évite ainsi les questions liées à ses intentions pour 2007, mais n’hésite pas à
plaisanter sur sa santé avec un homme qui a souffert, comme lui, d’un accident vasculaire
cérébral. Le lecteur hésite ainsi à le considérer comme le président ou comme un égal,
soumis aux aléas de la vie.
Malgré tout, le Monde tend plutôt à traiter l’information dans le même sens ou presque
que Libération. En effet, certaines citations sont les mêmes, les tons ironique et humoristique
se rejoignent, et le Monde, comme Libération, recontextualise l’information pour le lecteur.
Il précise ainsi la signification politique, sur les écrans, de Jacques Chirac au Salon : « en
quelque sorte l'affirmation, par l'image, qu'il est toujours dans le paysage » . Et comme
Libération , le Monde démontre la mise en scène par le politique de sa prestation du jour.
L’article précise ainsi que Jacques Chirac se devait de critiquer la politique européenne
en matière agricole : « rien n'a manqué, pas même la polémique de rigueur avec Bruxelles. »
Le Figaro , au contraire, se contente, à grand renfort de citations, d’évoquer ce discours
présidentiel : « Devant les représentants du monde agricole, le président prendra tout de
même le temps de défendre une « agriculture soucieuse de l'environnement » ». Sur
ce point, Libération se montre presque plus neutre que le Monde : « il s'est quand
même fendu en passant d'un plaidoyer pour la politique agricole commune européenne et
d'une attaque frontale contre le commissaire au Commerce Peter Mandelson, accusé de
faire preuve de faiblesse dans les négociations sur le commerce international». Le Monde
tente ainsi de donner à ses lecteurs les clefs pour comprendre un discours médiatique
auquel lui-même participe. C’est ainsi que se termine le papier : « tout était fait pour donner
l'impression que le visiteur était éternel » .
On l’a vu, la figure de l’homme sympathique semblait secondaire au regard des médias,
qui évoquent surtout cette dernière visite présidentielle après trente années consacrées
à l’exercice. Mais devant le mutisme de Jacques Chirac sur son avenir politique, et par
conséquent, devant le manque d’information nouvelle, la description de la journée prend
28
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-27
REMUSAT Cécile_2007
35
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
le dessus, même si les journaux ne manquent pas d’évoquer les figures du politique et du
président.
Et sur ce point, le Figaro diffère de ses concurrents. Le quotidien présente ainsi
Jacques Chirac comme un président encore en exercice, malgré son prochain départ. Son
intervention contre Bruxelles fait l’objet d’un certain développement, avec en point final une
affirmation de son ministre de l’Agriculture, « Jusqu'au bout, il va faire le boulot » .
A l’inverse, le Monde et Libération tendent à évoquer la figure du président en fin
de règne. Pour le Monde , la visite doit seulement donner l’illusion de l’éternité, et pour
Libération , « le poids des ans et sa fin de règne » sont explicitement mentionnés.
Les trois quotidiens font aussi état de la figure du candidat potentiel mais improbable,
répétant le mystère qui entoure Jacques Chirac du fait de son silence. Chacun reprend ainsi
les questions sans réponse adressées au président. Mais dans le Figaro, cette dernière
figure est évoquée de façon plus subtile que dans le papier de Libération. Quand celui-ci
évoque le refus de Jacques Chirac de parler de « son avenir personnel », le Figaro énonce
un silence présidentiel sur « la politique intérieure ». En outre, quand Libération ouvre son
papier sur chaque question éludée par Jacques Chirac, le Figaro n’évoque ce mutisme
qu’en milieu d’article.
La figure de l’homme sympathique se traduit aussi par la simplicité de Jacques Chirac et
par son appétit. Loin de l’homme politique distant, Jacques Chirac goûte les produits offerts
les uns après les autres. Un appétit qui ne manque pas de passer pour de la gloutonnerie
dans certains médias : « Et puis surtout, il mange » précise le Monde , qui, avec Libération
et ne manque pas d’énumérer les nombreux produits dégustés, avec des expressions
quantitatives fortes telles que « en veux-tu en voilà ». Le Figaro présente plutôt ces mets
comme des «cadeaux», et n’insiste pas sur cet aspect du président.
Malgré ces nuances, la presse quotidienne nationale ne juge pas l’appétit de Jacques
29
Chirac aussi sévèrement que Franz-Olivier Giesbert . Ce dernier trouve une explication
d’ordre psychologique à ce qu’il qualifie de « gloutonnerie » et va jusqu’à comparer Jacques
Chirac à un « ogre », détaillant durant deux pages ses habitudes alimentaires.
« Du matin au soir il est tourmenté par un vertige compulsif qu’il comble
en s’empiffrant, comme s’il avait à nourri une armée de ténias. Jamais il ne
semble repu.[…] La faim de Chirac est peut-être biologique. Elle est aussi
existentielle, voire métaphysique. Elle entend dévorer le monde entier. Rares
sont les personnages publics qui, dans l’Histoire de France, auront fait une telle
consommation de sandwichs, de concepts, de campagnes électorales ou de
chargés de mission. Il les mastique, il les digère et les évacue, tant il est vrai que
tout s’en va toujours par le bas, sur cette terre. »
La figure de l’homme sympathique souffre de cette représentation mais les trois quotidiens
étudiés abordent cet aspect de Jacques Chirac de façon plus délicate.
Conclusion partielle
29
36
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-27
REMUSAT Cécile_2007
La figure de l’homme
La figure de l’homme concernant Jacques Chirac s’impose alors qu’il s’apprête à quitter ses
fonctions présidentielles. Et si elle est plus implicite dans le Monde, Libération et, dans une
moindre mesure, le Figaro, elle se perçoit de façon plus évidente dans la presse magazine
et télévisuelle, excepté quand cette figure se retrouve dans un événement plus politique,
comme la visite du Salon de l’agriculture. Mais à cette occasion, c’est le silence de Jacques
Chirac sur ses intentions pour 2007 qui laisse la place à un traitement plus personnalisé.
Les médias se concentrent ainsi sur la sympathie, réelle ou simulée, dont fait preuve chaque
année le président envers les agriculteurs et le public.
30
Brigitte le Grignou et Erik Neveu soulignent que « l’homme politique n’est plus
seulement l‘avocat de son parti. Il est requis de produire une mise en scène plus élaborée
de son personnage, d’afficher les signes d’un équilibre, d’une aisance personnelle ». On
assiste ainsi à une « familiarisation » de la représentation politique. Le « je » a une
nouvelle dimension, avec un certain dévoilement des affects. Le récit de son septennat
par Valery Giscard d’Estaing, dans ses mémoires, en est un bon exemple, tout comme la
personnalisation de Jacques Chirac durant les derniers mois de son mandat.
Mais même si ce dévoilement des affects se fait parfois à l’insu de l’homme politique,
31
celui-ci, comme l’affirme Dominique Mehl , a une parfaite maîtrise de lui même, au point
que l’espace psychologique de l’homme politique ne surgit qu’exceptionnellement. D’autant
qu’il existe une certaine convenance des prestations médiatiques, avec le respect du secret
de la vie privée, contrairement aux tabloïds anglais. Ainsi, le dévoilement de la vie privée
de Jacques Chirac, qui aboutit à une redéfinition de son identité, en insistant sur son aspect
« humain », se fait aussi selon sa volonté. C’est ainsi qu’il accepte de se dévoiler lors de
l’émission de Michel Drucker, Vivement Dimanche, ou de se faire photographier avec Martin,
son petit-fils, dans Paris Match, avant de l’emmener en visite officielle.
Il en va de même avec ses témoignages, rares et par conséquent précieux. En se
confiant à Pierre Péan dans un livre paru seulement quelques semaines avant la fin de
son mandat, puis à Michel Drucker, Jacques Chirac va dans ce sens. Le mois de mars est
ainsi le mois des révélations du président. Et comme le souligne Dominique Mehl dans « La
Télévision de l’intimité », « le témoignage dans l’espace public crée un état de sensibilité,
car il ne se discute pas ».
30
31
Brigitte LE GRIGNOU et Erik NEVEU, Emettre la réception, préméditations et réceptions de la politique télévisée ,
Dominique MEHL, La télévision de l’intimité, Seuil, 1996
REMUSAT Cécile_2007
37
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
La figure du politique
La figure de l’homme politique se situe entre celle de l’homme et celle de l’homme d’Etat. Car
avant d’être président, Jacques Chirac est surtout « un animal politique » comme aiment à
l’appeler certains observateurs. Cette figure intermédiaire ne figure pas dans la classification
de Kantorowicz, dans « Les Deux corps du roi », qui distingue un corps politique d’un corps
naturel. Car l’homme politique représente les deux à la fois. Il n’est pas celui qui détient le
pouvoir, au dessus de tous les autres, mais il porte malgré tout en lui un symbole, par son
rôle dans l’exercice de la démocratie. Le politique cherche ainsi à représenter des idées,
des personnes, pour devenir leur porte-parole et faire carrière.
Jacques Chirac s’inscrirait dans cette démarche s’il décidait de se présenter à nouveau
à une élection. Comme lui-même le disait à François Mitterrand lors de leur face à face
pendant la campagne présidentielle de 1988, «vous n’êtes pas le président, et je ne suis
pas le premier ministre. Nous sommes deux candidats ».
L’homme politique, contrairement au président, doit affronter ses semblables. Il n’existe
pas comme le symbole de tout un pays et ne dispose pas de l’autorité suprême due à
la fonction de président. C’est pourquoi un homme politique, contrairement au président,
défend les idées d’un parti contre un autre, et se place souvent en opposition à d’autres
hommes ou femmes politiques. Cette opposition à d’autres est récurrente dans la carrière
de Jacques Chirac depuis ses débuts en politique.
Et la fin de son mandat ne fait pas exception : les médias décrivent ainsi une opposition
permanente avec Nicolas Sarkozy. Celle-ci prend une double dimension : il s’agit d’un
affrontement entre un président et son ambitieux ministre, autour de différence de points
de vue, et d’un conflit de génération. Laissant de côté l’aspect générationnel, qui relève
davantage de la figure de l’homme, déjà étudiée, il s’agit ici de se concentrer sur la
dimension politique du conflit. Jacques Chirac reconnaît ne pas avoir les mêmes idées que
Nicolas Sarkozy sur certains sujets, mais minimise les propos tenus dans les médias (« en
ce qui concerne mes relations avec Nicolas Sarkozy, tellement de choses fausses ont été
32
dites et écrites ! »)
Cependant, il ne manque pas de rappeler son ministre à l’ordre à certaines occasions,
devant son ambition, déclarée très tôt.
Le candidat ?
La campagne de 2007 se jouera entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. C’est du moins ce
qu’annoncent la plupart des observateurs politiques fin 2006. Jacques Chirac fait alors figure
de président devant laisser la plage aux nouvelles générations. Son soixante-quatorzième
anniversaire, au mois de novembre n’est ainsi pas passé inaperçu, en comparaison du
jeune âge des candidats. Pourtant, le président Chirac est plus que jamais actif et tarde à
32
38
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-488
REMUSAT Cécile_2007
La figure du politique
exprimer ses intentions pour l’élection présidentielle de 2007. Les médias se doivent donc
de s’interroger sur la probabilité, même mince, d’une nouvelle candidature.
Et si le président lui-même demeure muet sur le sujet, d’autres n’hésitent pas à donner
leur avis. Certains de ses « proches » ou de ceux qui le connaissent le mieux expriment
leur opinion, comme Alain Juppé, le 9 janvier, ou Edouard Balladur. Selon eux, une nouvelle
candidature serait hautement improbable. Ses adversaires politiques font généralement la
même remarque, à l’exception de Jean Marie le Pen, qui affirme que Jacques Chirac ferait
un « bon candidat ». Mais dans le même temps, il affirme aussi qu’il sera au second tour
contre Ségolène Royal.
Jacques Chirac entretient ces spéculations par son silence. Aussi, quand il adresse ses
vœux aux Français le 31 décembre 2006, les médias cherchent un début de réponse. Le
journaliste du Figaro le résume bien dans son article : « chacun guettera la petite phrase
susceptible de lever un coin du voile sur les intentions de Jacques Chirac pour 2007. Car
ses vœux du 31 décembre n'ont pas permis d'en savoir plus. »
er
Le Monde du 1 janvier 2007 : «Lors des derniers vœux du quinquennat, M.Chirac a
fixé cinq « enjeux majeurs » de la campagne 2007 » (annexe 15 )
Le Figaro du 2 janvier 2007 : « Chirac se donne 15 jours pour cadrer le débat »
(annexe16 )
Libération du 1
er
janvier 2007 : « Chirac en fausse vraie campagne» (annexe 17)
Le Figaro
Le Figaro adopte, comme à son habitude, une position apparemment neutre. Le titre résume
ainsi une information retenue par tous les quotidiens : Jacques Chirac entend jouer un rôle
dans la campagne.
Le papier indique ainsi que quelles que soient les intentions de Jacques Chirac pour la
campagne présidentielle, il n‘en sera pas absent, bien au contraire. Un message en parfait
accord avec le discours du président. Le quotidien s’interroge malgré tout sur ses intentions,
après « des vœux du 31 décembre [qui] n'ont pas permis d'en savoir plus.» Comme
Le Monde et Libération, le Figaro relève le bilan dressé par Jacques Chirac, et pose la
question : « Mais un bilan pour préparer sa retraite ou, au contraire, pour servir de socle
à une nouvelle candidature ? »
Des propos issus de « son entourage », suivent directement la question, à laquelle
ils semblent implicitement répondre : « Dans sa carrière, Jacques Chirac « a participé
à beaucoup de tournois du grand chelem, et il en a gagné beaucoup » » Littéralement,
l’entourage de Jacques Chirac souligne ainsi sa combativité (le Monde le qualifie d’ailleurs
de « combatif » dans son article quand le Figaro préfère l’adjectif « offensif ») et son envie
de gagner, ce qui ne va pas dans le sens d’un renoncement à ses fonctions présidentielles.
Le Figaro ne se prononce donc pas, préférant donner la parole à d’autres. Et ceux là
appartiennent au camp chiraquien. Il apparaît donc logique que, à l’image de leur président,
ces derniers laissent planer le doute.
Le Monde
REMUSAT Cécile_2007
39
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Le Monde adopte, à l’image du Figaro, une position apparemment neutre, donnant un
axe plutôt présidentiel à son article. En d’autres termes, il s’agit pour le quotidien de se
concentrer davantage sur le contenu du discours de Jacques Chirac et sur les orientations
concrètes qu’il donne, et moins sur son éventuelle candidature.
Malgré tout, le Monde n’omet pas d’évoquer, comme ses concurrents, les intentions
secrètes du président Chirac pour les élections présidentielles, affirmant que « le président
voulait échapper à l'exercice attendu du bilan et plus encore à l'évocation de son avenir
personnel. » Mais en soulignant cela, le quotidien prouve que si tel était son but, le président
ne l’a pas atteint. Comme le Figaro, le Monde choisit de laisser s’exprimer sur le sujet « un
très proche ». Mais contrairement à son concurrent, le Monde choisit une phrase qui n’était
pas destinée aux médias, mais au président lui même :
« "En janvier, tu diras aux Français que tu as fait tout ce que tu pouvais pour eux
et puis tu annonceras que tu laisses la place", lui avait conseillé un très proche
quand il était au creux de la vague, au printemps 2006. »
Cette phrase ne résume pas le réalité, puisque Jacques Chirac n’a rien dit de ses intentions,
mais il est vrai qu’il a esquissé un « bilan express », comme le fait remarquer le journaliste.
La première partie de ces propos invérifiables étant à moitié vérifiée, la seconde partie
n’en paraît que plus plausible. Le Monde laisse ainsi entendre, par ce « très proche », que
Jacques Chirac ne se représenterait pas et « laisserait la place ».
Et le journal laisse libre cours à d’autres opinions, de l’opposition cette fois : celle de
Julien Dray, porte-parole du PS, et celle de Jean-Marie Le Pen, président du Front national.
Pour le premier, « il est "clair" que M. Chirac ne postulera plus à la magistrature suprême ».
Pour le second, « il était plus commode de croire que c'était un discours de candidat. »
affirme le journal, laissant entendre que Jean-Marie Le Pen ne croit pas en une nouvelle
candidature de son adversaire de 2002, même s’il préfère dire le contraire.
Libération
Contrairement à ses deux concurrents, Libération évoque ouvertement le « faux
suspens » autour de cette candidature et titre : « Chirac en fausse vraie campagne ». Le
chapô de l’article donne le ton : « En campagne... sans être candidat, tel est le tour de force
auquel s¹est essayé Jaques Chirac en présentant ses douzièmes - et très probablement
derniers - vœux aux Français dimanche soir. » Le quotidien prend clairement position
en soulignant que le président « a marqué son intention de peser sur les thèmes de la
campagne présidentielle, plutôt que de se placer en futur candidat » .
Pour Libération, comme pour le Figaro et Le Monde, les vœux de Jacques Chirac sont
un bilan, contrairement à ce qui avait été annoncé par l’Elysée. Mais Libération adopte
une position claire sur une nouvelle candidature de Jacques Chirac : elle est des plus
improbables.
« voilà qu'à 74 ans, au terme de deux mandats à l'Elysée, il voit poindre une
élection présidentielle à laquelle il ne sera pas en mesure de concourir, pour
la première fois depuis 25 ans. » « tout en faisant mine de cultiver un faux
suspense sur son propre devenir, Chirac a surtout affiché sa volonté de peser
sur la campagne présidentielle qui s¹ouvre. »
40
REMUSAT Cécile_2007
La figure du politique
Le journalémet même un jugement sur la pertinence des propos de Julien Dray, le porteparole du PS, qui « ne s'y est pas trompé en jugeant que ces vœux constituent une
‘déclaration de quelqu'un qui, vraisemblablement, ne sera plus candidat en 2007’.»
Libération rappelle avec humour dans un jeu de mots que « Jacques Chirac est une
sorte de candidat à perpétuité, prétendant à tout et tout le temps » ce qui explique, pour le
quotidien, son envie de peser encore, sans pour autant se présenter, lors de la campagne
présidentielle de 2007.
Le mot « perpétuité », emprunté au vocabulaire judiciaire, semble faire allusion aux
démêlés passés ou futurs de Jacques Chirac avec la justice. Dans cet article, la figure du
vieil homme clôt cet article. Selon Libération, la réaction positive de Nicolas Sarkozy, dont
les partisans auraient « loué le discours du chef de l’Etat », démontre qu’il serait prêt à
« faciliter une paisible sortie de scène de l’ancien ». Le quotidien ne manque d’ailleurs pas
de rappeler l’âge du président et sa longue « carrière », d’homme politique, « quarante
ans », et de candidat aux présidentielles, « 25 ans ».
Le journal prend ainsi position pour une non candidature de Jacques Chirac, en partie
expliquée par l’âge du président. Celui-ci apparaît comme l’homme d’expérience, dont
l’heure est venue de se retirer. Mais le journal prévient : le « faux-suspens » que souhaite
entretenir Jacques Chirac ne trompe pas Libération.
Comparaison
Libération est ainsi le seul quotidien à se prononcer directement sur la « fausse vraie
campagne » de Jacques Chirac. Il explique ainsi au lecteur que cette ambiguïté créée par
Jacques Chirac n’a d’autre but que de retarder encore le moment de sa sortie.
Celui-ci, par son silence, entend alimenter les suppositions. Et, en effet, les médias
semblent s’interroger. Car les vœux de Jacques Chirac aux Français surprennent: il dresse
en partie un bilan de son mandat et donne surtout des orientations pour les cinq années à
venir. La question est alors posée : Jacques Chirac parle-t-il pour un candidat qui prendrait
sa suite ou pour lui même ? Les reportages et articles ne manquent pas, après une période
plutôt calme en matière de traitement médiatique pour le Président de la République.
Un sondage mené pour France Inter révèle le 4 janvier que quatre français sur cinq
seraient contre une nouvelle candidature de Jacques Chirac. Mais les sondages démontrent
un certain intérêt et le président revient presque sur le devant de la scène, au même titre
ou presque que Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal. Les vœux de Jacques Chirac sont
d’ailleurs placés dans les dossiers « présidentielles ».
Le 5 janvier, dans un article intitulé « Un discours entre testament, programme de
campagne et liste d'exigences » , le Figaro exprime ce questionnement : « UNE SALVE
de propositions, des orientations à long terme, un point sur la place de la France dans le
monde... Les vœux de Jacques Chirac ont désorienté les « forces vives » qui ne savaient
décidément plus hier si le chef de l'État avait lu son testament, présenté son programme de
campagne ou établi les conditions de son soutien au candidat de la majorité. »
Un doute que ne partage qu’à moitié le Monde. Contrairement à Libération, il évoque le
doute sur les intentions de Jacques Chirac, qui ne s’est pas encore exprimé officiellement,
mais contrairement au Figaro, le Monde laisse entendre que ces doutes ne sont pas fondés.
La figure du candidat potentiel se nuance donc selon le quotidien.
REMUSAT Cécile_2007
41
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Jusqu’au dernier instant, Jacques Chirac joue avec les médias, dans tous les sens du
terme. C’est ainsi qu’un rire communicatif s’empare du groupe de 400 journalistes lors des
vœux du président à la presse, le 9 janvier. A la question « serez-vous candidat ? », le
président, bronzé, presque charmeur, sourit, et laisse tomber « je vais y réfléchir ».
Jacques Chirac ne peut donc renoncer facilement à son image de candidat perpétuel.
Mais une autre figure vient détrôner celle-ci. Car tandis que les médias s’interrogent sur
cette éventuelle candidature, il s’agit surtout pour eux de comparer l’improbable candidat
Chirac à l’incontournable candidat Sarkozy. Le Monde et le Figaro se retrouvent alors sur
un point. Dans leurs papiers sur les vœux énigmatiques du président, les deux y ont trouvé
de quoi « couper l’herbe sous le pied de Nicolas Sarkozy », illustrant la figure du président
opposé à son ministre.
D’autres figures sont ainsi présentes dans chacun des articles.
Le président en exercice semble une figure incontournable pour les trois quotidiens
puisque le discours de Jacques Chirac est avant tout une allocution présidentielle. Les trois
quotidiens ne manquent d’ailleurs pas de rappeler les enjeux fixés par Jacques Chirac.
Le Monde rappelle son désir de voir « un gouvernement au travail », lui conférant même
un rôle d’arbitre dans la prochaine élection avec la distribution « de bons et de mauvais
points aux candidats ».
Comme le Monde, le Figaro rappelle les exigences de débat de Jacques Chirac, ses
recommandations, et détaille son emploi du temps chargé, accentuant ainsi cette figure du
président en exercice bien davantage que les deux autres quotidiens.
Libération va moins dans ce sens puisque le quotidien explique que cette figure du
président toujours actif et souhaitant « peser sur le débat » correspond à l’image que
souhaite renvoyer Jacques Chirac. Cette figure apparaît donc comme artificielle dans
Libération, qui met davantage l’accent sur le président en fin de règne. La figure du vieil
homme est aussi présente implicitement avec le rappel de l’âge du président et l’évocation
de sa longue carrière politique.
Une dernière figure transparaît dans les trois papiers, mais de façon tout à fait
implicite pour certains: celle du président en opposition à son ministre. Les échos des
partisans de Nicolas Sarkozy à ce discours étaient plutôt positifs, soulignent le Monde et
Libération. Mais en soulignant l’approbation du camp sarkozyste aux propos de Jacques
Chirac, les quotidiens soulignent par là leur aspect inattendu. Ils supposent donc une
opposition latente qui est peut-être sur le point de s’apaiser grâce à des positions
stratégiques : « Comme si Nicolas Sarkozy […] était prêt, pour faciliter une paisible sortie
de scène de l¹ancien, à se grimer un temps, lui l¹apôtre de la «rupture» tous azimuts, en
candidat de la continuité chiraquienne. » précise Libération. Quant au Monde, il qualifie avec
ironie de «très oecuménique » la réaction de l’UMP.
Le Figaro, au contraire, évoque cette figure plus explicitement, grâce à une expression
très claire : Jacques Chirac aurait « coupé l'herbe sous le pied de Nicolas Sarkozy » .
Le politique qui existe en opposition à un autre
Un homme politique existe souvent en opposition à un autre, comme la droite existe en
opposition à la gauche. Jacques Chirac a, de nombreuses fois, fait figure d’adversaire,
42
REMUSAT Cécile_2007
La figure du politique
contre François Mitterrand, Jean-Marie le Pen, Edouard Balladur, Lionel Jospin ou d’autres.
A quelques mois de la fin de son mandat, il voit se dresser contre lui un nouvel opposant :
son ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. L’ambition de ce dernier, souvent qualifié de
33
« fils» de Jacques Chirac , du fait de la similitude de leurs parcours politiques, se révèle
rapidement, dès le début du second mandat du président.
Nicolas Sarkozy a lui aussi commencé sa carrière politique très jeune, en 1974, quand
il adhère à l’UDR. Conquerrant la mairie de Neuilly en 1983, à 28 ans, comme Jacques
Chirac avait conquis celle de Paris. Député à 34 ans et ministre pour la première fois à
38 ans, Nicolas Sarkozy n’hésite pas, comme Jacques Chirac en son temps, à faire des
34
choix politiques parfois qualifiés d’acte de « trahison » ou de « lâchage » , comme son
soutien à Edouard Balladur en 1995 dans sa candidature à l’Elysée, contre Jacques Chirac.
Et Nicolas Sarkozy, à l’image de l’idée que certains se font de Jacques Chirac, fait preuve
d’une grande ambition. Secrétaire générale du RPR en 1998, dont il devient président par
intérim en 1999, puis, élu par le Congrès le 28 novembre 2004, il termine à la tête de l’UMP,
le parti créé par Jacques Chirac et destiné à Alain Juppé. Il passe par deux ministères entre
2002 et 2007 : les Finances, qu’il occupe neuf mois, et surtout, l’Intérieur. Mais son principal
objectif, il ne le cache pas, demeure la magistrature suprême. Son opposition frontale à
Jacques Chirac débute en novembre 2003 lorsque, lors de l’une de ses émissions, Alain
Duhamel lui demande, si, comme Laurent Fabius, il lui arrive de penser à la présidentielle
en se rasant. Ce à quoi Nicolas Sarkozy répond : « pas simplement quand je me rase ».
Tous ces éléments laissent Franz-Olivier Giesbert affirmer que Nicolas Sarkozy « est
35
un avatar de Jacques Chirac. En plus jeune et avec moins de complexes. »
Dans la presse, une figure récurrente
Dans la plupart des articles consacrés à jacques Chirac apparaît le nom de Nicolas Sarkozy,
alors ministre de l’Intérieur. La rivalité qui oppose les deux hommes est une figure devenue
permanente dans la presse, notamment depuis que Nicolas Sarkozy ne cache plus ses
intentions présidentielles. Une fois déclaré officiellement candidat (le jour de l’anniversaire
de Jacques Chirac), il doit jouer sur deux fronts : apparaître comme le prochain président
de la République tout en remplissant son rôle de ministre. Et la presse ne manque pas une
occasion de rappeler que ces ambitions déplaisent au président actuel, jusqu’au soutien
de celui-ci, le 21 mars 2007. Un soutien qui s’est fait attendre, comme le fait remarquer
36
Libération
rien venir ».
quelques jours auparavant : « Du côté de Chirac, Sarkozy ne voit toujours
Jacques Chirac ne s’est en effet jamais prononcé en faveur de Nicolas Sarkozy jusqu’au
21 mars. C’est ainsi qu’il ne se déplace pas au Congrès de l’UMP, le 14 janvier 2007, où
Nicolas Sarkozy est sacré candidat à l’élection présidentielle. La presse ne manque pas de
souligner cette absence, et Jacques Chirac demeure silencieux. Mais il s’exprime tout de
33
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-54
34
35
36
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-351
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-242
Libération, le 10 mars 2007
REMUSAT Cécile_2007
43
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
37
même sur le sujet dans l’un de ses entretiens avec Pierre Péan ,dont l’ouvrage paraît un
mois plus tard.
«Pourquoi n’avez-vous pas envoyé au Congrès de l’UMP un message de
soutien ? C’est une question de principe. Du jour où j’ai été élu président, j’ai
estimé que ma fonction ne me permettrait pas de participer directement ou
indirectement à la vie partisane, et d’autant moins s’agissant d’une réunion à
vocation électorale.»
Quant à l’émotion que suscite chez lui l’investiture de Nicolas Sarkozy, trente ans après luimême au RPR, comme le fait remarquer Pierre Péan, Jacques Chirac répond avec sérénité :
«J’ai voulu la création de l’Union pour un mouvement populaire afin de rassembler le
maximum de Françaises et de Français.[...]Donc, si le Congrès d’aujourd’hui a pu contribuer
à renforcer l’adhésion des Français à une certaine idée de la France et de son avenir, c’est
une très bonne chose ».
Malgré les réponses politiquement très correctes de Jacques Chirac, même Pierre
Péan suppose une opposition avec son ministre. Il rappelle ainsi à Jacques Chirac le
« décalage certain » entre leurs propositions, ce que reconnaît le président de façon
diplomatique : « si vous regardez de près, il y a beaucoup de points de convergence, mais
il y a aussi des différences de sensibilité, notamment sur la vision du monde, même si je
note-et c’est une bonne chose-des évolutions de sa part. »
38
Cette opposition entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, même atténuée dans les
propos du président, est une constante depuis plusieurs mois dans les médias. C’est ainsi
que Charlie Hebdo titre, le 25 décembre 2007 : « Tous les escrocs se rallient à Sarko, sauf
moi ! ». Leur opposition donne aussi lieu à des analyses d’ordre plus psychologique : « il y
a, encore aujourd’hui, trop de passion entre Chirac et Sarkozy pour que leurs relations aient
été seulement formelles pendant la petite vingtaine d’années où ils se sont fréquentés. Quoi
qu’ils en disent, ces deux-là se sont aimés. Ils se sont même trop aimés pour ne point se
haïr quand l’amitié s’en est allée. »
39
Pierre Bourdieu évoque une approche personnalisée du pouvoir et de son exercice
dans une étude sur les souverains qui favorisent leurs proches et inversement : « Le pouvoir
repose sur des relations personnelles et des relations affectives socialement instituées
comme la fidélité, l'«amour», la «créance», et activement entretenues, notamment par les
40
«largesses». » .
Cette analyse pourrait se transposer à la politique actuelle et éclairer l’affirmation de
Franz-Olivier Giesbert. Après avoir été proche de Nicolas Sarkozy durant les premières
années de sa carrière politique (« pendant la petite vingtaine d’années où ils se sont
fréquentés »), Jacques Chirac lui aurait retiré sa confiance, « ses largesses », après
sa « trahison » de 1995 et devant ses ambitions précoces et par conséquent presque
irrespectueuses pour un président en place.
37
38
39
40
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-482
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-484
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-55
Pierre BOURDIEU, De la maison du roi à la raison d’Etat, Actes de la recherche en sciences sociales, 96-97, mars 1993,
p-49-62
44
REMUSAT Cécile_2007
La figure du politique
L’opposition de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, les phrases comme « je décide, il
exécute
41
», seraient donc liées à l’affect de Jacques Chirac.
Certains médias prêtent donc une véritable relation affective à Jacques Chirac et
Nicolas Sarkozy, bien que l’un et l’autre s’en défendent.
Un exemple de cette opposition se retrouve dans les vœux de Jacques Chirac à
son gouvernement, le 3 janvier. Le Monde, le Figaro et Libération reviennent sur cette
traditionnelle intervention.
Le Monde, le 3 janvier 2007 : «Chirac profite de ses vœux pour mettre en garde
Sarkozy » (annexe 19)
Le Figaro, le 3 janvier 2007 : «La mise en garde de Chirac aux ministres » (annexe 20)
Libération , le 3 janvier 2007
: «Les vœux venimeux de Chirac à Sarko » (annexe 21)
Le Monde
Le quotidien consacre un papier assez court à cette intervention mais totalement orienté
vers sa mise en garde à l’encontre de Nicolas Sarkozy. Il se base sur une longue citation
pour illustrer son analyse selon laquelle « cette déclaration semblait viser en particulier
Nicolas Sarkozy » :
« "Vous aurez certainement à cœur de prendre part au débat national qui
s'annonce. Il est légitime que vous puissiez le faire, et nos concitoyens seront
attentifs à l'expression de votre engagement et de vos convictions, a dit M. Chirac
en réponse aux vœux du gouvernement. Mais il vous faudra le faire dans le cadre
d'un principe clair : cet engagement dans le débat électoral ne saurait en aucun
cas s'exercer au détriment de votre mission gouvernementale." » « Le chef de
l'Etat a aussi dénoncé "la tentation de la table rase", semblant à nouveau s'en
prendre implicitement au candidat Sarkozy, chantre de la "rupture tranquille". »
Par deux fois, le quotidien emploie le verbe « sembler », qui avec l’adverbe « implicitement »,
dénotent une volonté de garder une certaine distance avec ce qui est affirmé. En effet,
Jacques Chirac ne cite pas directement le nom de son ministre de l’Intérieur.
Le quotidien marque davantage l’opposition avec Nicolas Sarkozy en évoquant
Dominique de Villepin, qui lui avait été préféré par le président Chirac au poste de premier
ministre. Ainsi, après avoir fait état de la mise en garde implicite de jacques Chirac à Nicolas
Sarkozy, le Monde souligne que le chef de l’Etat « a salué l'action du gouvernement dirigé
par Dominique de Villepin en disant aux ministres qu'ils avaient "toutes les raisons d'être
fiers de l'action [qu'ils mènent] sous l'autorité du premier ministre" . »
Le Figaro
Dans un court article, Le Figaro évoque une « mise en garde », à l’image du Monde. Mais
pour le Figaro, celle ci s’adresse « aux ministres », aux « troupes » de Jacques Chirac, et
enfin, à Nicolas Sarkozy. « Dans une allusion à peine voilée à Nicolas Sarkozy, Jacques
Chirac a aussi fustigé "la tentation de la table-rase sur le respect du travail accompli" ».
Puis, comme son concurrent, le Figaro termine sur les intentions de Jacques Chirac,
toujours aussi mystérieuses. Mais contrairement au Monde, le Figaro évoque aussi les
41
Entretien de Jacques Chirac avec la presse télévisée, le 14 juillet 2004
REMUSAT Cécile_2007
45
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
orientations données par Jacques Chirac à ses ministres, le terme « mobilisation totale »
n’étant pas seulement destiné à Nicolas Sarkozy.
Ainsi l’opposition entre le chef de l’Etat et son ministre de l’intérieur est moins marquée
dans ce papier –les félicitations à Dominique de Villepin ne sont pas soulignées- et se fond
parmi d’autres informations.
Libération
Le papier de Libération, plus complet, va dans le même sens que celui du Monde, mais de
façon encore plus prononcée. Le quotidien ne prend pas les mêmes précautions, et qualifie
de « venimeux » les vœux de Jacques Chirac. Ceux-ci sont d’ailleurs directement adressés,
pour le quotidien, à « Sarko », diminutif familier de Sarkozy.
Ce titre donne le ton de l’article, qui vise, à l’image du journal, à dépasser les discours
de convenance. Il fait état de deux hommes qui se connaissent bien (d’où le diminutif) et ne
s’apprécient pas. La mise en garde évoquée par les deux autres quotidiens devient ainsi
une « mise en demeure » très claire.
La dimension très personnelle de la relation entre les deux hommes apparaît avec des
expressions comme « faire la leçon » ou « admonestation ». Jacques Chirac fait ici figure
d’aîné et semble rappeler à l’ordre « Nicolas » : « Bonne année Nicolas ! Jacques Chirac
ne s’est pas privé de faire la leçon à son ministre de l’Intérieur . De plus, l’emploi du passif
rend Jacques Chirac maître de la situation et Nicolas Sarkozy, qui « a été mis en garde »,
apparaît une fois encore comme un élève rappelé à l’ordre.
L’article laisse aussi entendre que Jacques Chirac se serait « adressé » à Nicolas
Sarkozy en personne pour lui adresser cette mise en garde :
« Après les figures imposées comme celle de demander « une mobilisation
totale » de ses ministres, le chef de l’Etat s’est plus particulièrement adressé
à Nicolas Sarkozy, présent lors de la réception à l’Elysée. A la veille de la
campagne électorale, l’indubitable candidat de l’UMP – parce qu’unique postulant
à l’investiture de son parti – à la présidentielle a été mis en garde: « Vous aurez
certainement à cœur de
prendre part au débat national qui s’annonce, a
expliqué le président de la République. Il est légitime que vous puissiez le faire,
et nos concitoyens seront attentifs à l’expression de votre engagement et de vos
convictions. » Cependant, a-t-il martelé, « il vous faudra le faire dans le cadre
d’un principe clair: cet engagement dans le débat électoral ne saurait en aucun
cas s’exercer au détriment de votre mission gouvernementale Voilà donc le
ministre de l’Intérieur quasiment sommé de choisir entre candidat officiel ou
membre du gouvernement..»
Par la façon dont le journaliste tourne sa phrase, le lecteur peut avoir l’impression que
Jacques Chirac se tourne vers Nicolas Sarkozy et que le « vous » ne s’adresse qu’à lui
seul. Le lecteur a ainsi l’impression d’assister à la scène. L’utilisation du passé composé («a
expliqué », « a-t-il martelé ») contribue à faire apparaître le récit comme celui d’événements
certains.
Le journaliste prend dès lors une certaine liberté dans cet article, comme en témoignent
certains qualificatifs comme « Sarko » pour Sarkozy et « porte-flingue numéro un » pour
Brice Hortefeux.
46
REMUSAT Cécile_2007
La figure du politique
Mais Libération est aussi celui des trois quotidiens qui va plus loin que cette apparente
mise en garde à l’encontre de Nicolas Sarkozy. Car même si celle-ci occupe une place
de premier plan dans ce papier, le journaliste ne manque pas de développer d’autres
informations, comme la nouvelle feuille de route fixée aux ministres et les « trois priorités »
de Jacques Chirac. Comme si, à l’image de Jacques Chirac pour ses ministres, Libération
ne voulait pas que ses lecteurs « se laissent distraire par un événement aussi banal qu’une
campagne présidentielle ».
Comparaison
Par conséquent, le traitement médiatique de cette intervention semble se faire de
façon crescendo suivant le quotidien. Libération fait un papier très offensif, n’hésitant pas
à dépasser quelque peu la réalité en sous-entendant que Jacques Chirac s’est adressé
directement à Nicolas Sarkozy.
Le Monde va dans le même sens mais en précisant que le message, certainement
adressé à Nicolas Sarkozy, ne le nomme pas directement.
Quant au Figaro, s’il reconnaît que l’avertissement de Jacques Chirac s’adresse en
priorité à son ministre de l’Intérieur, il titre malgré tout sur un avertissement collectif.
L’engagement des journaux diffère donc.
Malgré tout, même si Libération est celui des trois quotidiens qui pousse le plus loin la
confrontation entre Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, il ne lui accorde pas pour autant la
même place prépondérante que le Monde ou le Figaro.
Ces deux derniers, focalisant leurs papiers sur cette mise en garde à un ministre, ne
développent que rapidement d’autres informations. Parmi celles-ci, les orientations que
Jacques Chirac indique pour les derniers mois de son mandat.
Libération est ainsi le quotidien qui évoque la figure du président en exercice
contrairement aux deux autres. Ce point semble important dans le sens où l’analyse
précédente, concernant les vœux de Jacques Chirac aux Français, prouve que dans ce
cas antérieur, le Figaro était celui des trois quotidiens à mettre le plus en avant cette figure.
La différence réside dans le fait que Libération n’accentue pas la figure du président en
exercice pour effacer celle du président en fin de règne, comme le Figaro dans les articles
précédemment étudiés.
Libération n’omet tout simplement pas d’évoquer ici cette figure, incontournable dans
les faits puisqu’il s’agit d’un discours officiel à l’attention d’un gouvernement. Cette différence
apparaît forte en comparaison des deux autres quotidiens qui choisissent de se concentrer
ici uniquement ou presque sur l’opposition à Nicolas Sarkozy. Là encore, le journal
Libération ne traite pas l’information de la façon attendue dans le sens où il se distingue
de ses deux concurrents.
Il apparaît ainsi qu’une figure peut apparaître dans un journal plutôt qu’un autre en
fonction du contexte. Ici, le fait de présenter Jacques Chirac en opposition à Nicolas Sarkozy,
mais dans le même temps, comme le président en exercice, déplace l’attention du lecteur.
Celui-ci a, dans un même article, deux angles d’approche. L’opposition à Nicolas Sarkozy ne
supplante pas la fonction présidentielle de Jacques Chirac. Lequel, selon le journal, attend
de ses ministres, « qu’ils [ne] se laissent [pas] distraire par un événement aussi banal
qu’une campagne présidentielle » .
REMUSAT Cécile_2007
47
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Le papier de Libération semble, comme vu précédemment, chercher à ne pas perdre
de vue l’essentiel alors que l’on serait tenté, par l’actualité du jour ou, dans ce cas, par une
simple phrase ambiguë, de se laisser entraîner vers une autre vérité. Jacques Chirac est
ainsi conscient, quand il s’adresse à ses ministres, que ses mots seront interprétés par les
médias comme étant directement adressés à Nicolas Sarkozy. Et le journal ne semble pas
vouloir aller dans ce sens, déjouant ce qui pourrait apparaître comme un calcul politique.
Une dernière figure apparaît enfin: celle du candidat potentiel. Mais cette figure est
absente de Libération, qui s’est concentré sur la double figure de l’opposition à Nicolas
Sarkozy et du président en exercice.
En revanche, le Monde et le Figaro font implicitement allusion aux doutes sur
les intentions de Jacques Chirac pour l’élection présidentielle : « Jacques Chirac a aussi
prévenu qu'il comptait, "en liberté et en responsabilité", s'exprimer avant les élections pour
"fixer les enjeux et éclairer le choix des Français", comme il l'avait fait dans ses vœux le
31 décembre » précise le Figaro. Le Monde reprend des termes identiques, éclairant
ces derniers d’une précision : « le président, […] n’a pas encore annoncé s'il envisageait
un troisième mandat. » Cette précision place l’information dans une dimension différente :
cela concerne la figure du candidat potentiel. Mais cette figure, si elle constitue l’ouverture
en fin de ces deux articles, demeure mineure en comparaison de celle qui place Jacques
Chirac en opposition à son ministre.
Les vœux de Jacques Chirac à la presse, le 9 janvier, donnent à nouveau lieu à
une opposition avec Nicolas Sarkozy. En effet, ce dernier a décidé d’avancer ses propres
vœux d’une journée. Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac apparaissent alors rivaux dans
l’occupation de l’espace médiatique, la presse devant couvrir ces deux interventions le
même jour.
Il s’agit d’une évolution dans l’attention des médias due au suspens que Jacques Chirac
laisse planer sur une éventuelle candidature. Jusqu’au mois de janvier, cette attention était
monopolisée sur son ministre de l’Intérieur et la candidate socialiste, Ségolène Royale. Le
CSA a d’ailleurs averti certaines chaînes de télévision du risque d’une bipolarisation du
débat médiatique. Mais depuis les vœux mystérieux de Jacques Chirac, les médias, n‘ayant
aucune certitude quant à ses intentions, se doivent de suivre le président. C’est ainsi que
pour ses vœux à la presse, Jacques Chirac fait encore la une.
Cette opposition, même si elle ne disparaît pas totalement, s’atténue quand Jacques
Chirac apporte officiellement son soutien à Nicolas Sarkozy, quelques jours après avoir
annoncé, le 12 mars, qu’il ne se représenterait pas. A partir de cet instant, les médias se
désintéressent peu à peu de Jacques Chirac et de la « guerre » qui l’opposerait à son ancien
ministre.
Dans la presse satirique
On l’a vu, Jacques Chirac, quand il apparaît dans les pages consacrées à l’élection
présidentielle, n’apparaît que comme « l’anti-Sarkozy ». Il n’existe presque plus par lui
même. Cette opposition se retrouve dans la presse satirique, mais de façon diverse.
Cette rivalité avec Nicolas Sarkozy semble alors isoler Jacques Chirac, tout en lui
redonnant vie et motivation.
48
REMUSAT Cécile_2007
La figure du politique
Une envie de vaincre l’ennemi qui aurait déjà relancé Jacques Chirac en politique après
42
la « trahison » d’Edouard Balladur en 1995, qui avait décidé de se présenter à l’élection
présidentielle : « il est en effet prêt à tout braver. Le cabales. Le dédain. Le ridicule Une
43
rage sans borne bout en lui, la rage d’en découdre avec ce Premier ministre parjure
». Cet épisode aurait finalement rendu service à Jacques Chirac à l’époque, le rendant
plus combatif après une période difficile. Edouard Balladur, en s’opposant à Jacques Chirac
44
lui aurait « rendu service » selon Charles Pasqua . De la même façon, en l’attaquant sur
son âge en 2002, le qualifiant de «fatigué, vieilli, usé », Lionel Jospin aurait « réveillé » le
45
président .
De l’opposition avec un autre naîtrait donc la force de Jacques Chirac. Cette image se
retrouve plus ou moins dans la presse satirique.
46
Dans la Bande Dessinée de Bruno Gaccio, « la Success story du président »
,
Jacques Chirac apparaît supérieur à Nicolas Sarkozy : celui que Nicolas Sarkozy voudrait
être sur tous les plans, objet de sa jalousie maladive.
« Chirac et Sarkozy se détestent, c’est communément admis. […]La bataille que
se livrent ces deux-là c’est une bataille éternelle : celle du grand contre le petit.
Du brillant contre le blafard. Du gars facile avec les filles contre celui qui rame
pour rouler une pelle […] c’est la bataille du moche contre le beau. Le grand qui
en jette contre le petit qui en chie.[…]Sarkozy incarne, comme personne avant lui,
la revanche des médiocres. »
Et dans les Guignols de l’info, début janvier, la marionnette de Jacques Chirac entend bien
déclarer la guerre à celle de Nicolas Sarkozy. En témoigne le lexique guerrier :
« J’ai fait donner ce qu’on appelle l’artillerie lourde. Ca va cogner ! Mes troupes
sont prêtes, elles sont affamées, ça va saigner ! […]Que du lourd ![…] Là on
gagne déjà ! Un point pour nous ! Et ça a même pas commencé ! Non, on les
attaque au mental là ![…] c’est la stratégie de l’encerclement ![…] A l’attaque
Jean-Louis ! »
Malgré tout, cette figure du président offensif ne résiste pas à celle du vieux fou excentrique
et solitaire. Ainsi la marionnette de PPD insiste sur ses soutiens, très rares :
« - PPDA : euh… on voudrait savoir qui vous soutient, c’est-à-dire qu’ils sont 300
000 en face ! - J.C : et ben on est pareil…moins les 100 000. - PPDA :c’est-à-dire ?
- J.C :on est trois. »
La haine que Jacques Chirac voue à Sarkozy lui fait perdre tout sens des réalités. C’est le
message que font passer les Guignols de l’info à travers ces scènes satiriques. La presse
quotidienne d’information ne va pas aussi loin mais il est vrai que la figure du président en
contradiction directe avec son ministre de l’Intérieur est représentée de façon permanente.
Cette opposition permet à Jacques Chirac de continuer à exister sur la scène politique,
jusqu’au jour où celui-ci doit s’effacer devant son ex-ministre et futur successeur.
42
43
44
45
46
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-345
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-131
Patrick ROTMAN, Chirac le vieux lion, documentaire, octobre 2006
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006, p-295
Bruno GACCIO, La Succes Story du président, éditions Hoëbeke, Paris, 2006, p-50
REMUSAT Cécile_2007
49
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Conclusion partielle
Annie Collovald présente deux instruments qui fournissent des renseignements
biographiques sur des personnalités politiques : le Bérard-Quélin et le Who’s who. Elle
affirme que « la représentation de l’homme politique résulte de la rencontre qui s’opère
entre des principes de construction [les règles et la vision sociales qui sont propres à des
instances de publication] et les propriétés spécifiques qui le caractérisent.[…]Son identité
est donc une identité construite et redéfinie à chaque fois dans les différentes instances qui
la publient »
47
Le Bérard-Quélin dresse ainsi un portrait de la personnalité publique de l’homme
publique, alors que le Who’s who établit une biographie personnalisée, qui a davantage trait
à l’homme et à la personne privée. L’homme s’efface ainsi devant le politique ou inversement
selon l’outil choisi.
La figure de Jacques Chirac en tant qu’homme politique pourrait alors se retrouver dans
ces deux ouvrages biographiques puisque cette figure se situe entre celle de l’homme et
celle du président, entre le corps naturel et le corps symbolique.
Une étude compare ainsi les deux portraits de Jacques Chirac dans ces deux
annuaires, afin de démontrer les « stratégies identitaires que mettent en œuvre les acteurs
politiques ». Il en ressort une complexité croissante du travail de présentation de soi de
l’homme politique qui doit s’adapter au « complexe de personnages politiques qu’il est
amené à incarner ». La force spécifique de l’homme politique apparaît donc comme « le
résultat d’une opération de « production de soi » consistant à rassembler, à homogénéiser,
et à rendre cohérentes, sous une « marque » identitaire unifié et suffisamment identifiable,
les multiples définitions de lui-même. Plus que la manifestation d’une identité « véritable »,
le travail de « personnalisation de soi » est un produit complexe destiné à servir de moyen
dans la lutte politique. »
L’homme politique forge ainsi sa propre identité dans une démarche stratégique, et les
médias contribuent à cette identité, la renforcent ou en créent de nouvelles. La figure du
candidat est voulue par Jacques Chirac. Il se met en scène pour susciter le doute parmi les
médias, le public, pour provoquer des questionnements et continuer d’exister sur la scène
politique. Les médias ne sont pas dupes de cette construction identitaire mais ne peuvent
que la nuancer fortement sans la nier totalement. La réponse ne peut venir que de Jacques
Chirac lui-même. Il met ainsi fin, quand il le choisit, à l’image du candidat perpétuel, de
l’homme politique assoiffé de pouvoir.
En revanche, la figure d’un homme politique en opposition à un autre, tout aussi
récurrente que celle du candidat, prend une forme nouvelle avec l’image de Nicolas Sarkozy
contre Jacques Chirac. Ce dernier semble perpétuellement remis en cause par son cadet,
tandis que, par le passé, il faisait figure de « challenger ». Même lors de la cohabitation avec
Lionel Jospin, la lutte entre les deux hommes semble presque plus courtoise. A l’approche
du scrutin électoral, la figure de Jacques Chirac en tant qu’homme politique, existe en
grande partie grâce à ce dernier combat entre deux hommes que présentent les médias.
Cette lutte le fait apparaître à la fois comme le président en exercice, qui entend le
rester jusqu’au bout, comme l’homme politique qui détient l’expérience et assoit sa position
dominante face à son ambitieux dauphin ; mais l’opposition constante à Nicolas Sarkozy
peut aussi affaiblir la position de Jacques Chirac, sans cesse remis en cause par la notion de
47
50
Annie COLLOVALD, Actes de la recherche en sciences sociales , numéro 73,1988
REMUSAT Cécile_2007
La figure du politique
rupture avancée par son ministre. Nicolas Sarkozy apparaît donc comme celui qui pousse
tout simplement Jacques Chirac vers la sortie.
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
La figure du président
Jacques Chirac doit remplir ses fonctions de président de la République Française jusqu’au
16 mai. Et le traitement médiatique autour de sa personne a beau décliner de nombreuses
figures en raison du contexte électoral, il n’en demeure pas moins que Jacques Chirac est
encore au pouvoir. Loin de la figure de l’homme, au dessus de celle du politique, la figure
du président, fonction hautement symbolique, se décline elle aussi de diverses manières.
De façon conventionnelle, les médias se doivent de retranscrire la figure du président en
exercice, présente dans chaque sortie ou visite officielle. Mais d’autres, plus inhabituelles,
se greffent à l’image du président de la République : la figure du président coupable, qui
rattrape Jacques Chirac pendant et à la fin de son mandat, ainsi que la figure du président
en fin de règne qui vient contrer celle du candidat potentiel à l’approche des éléctions.
Le Président en exercice
Jacques Chirac se doit de continuer à remplir ses fonctions malgré le contexte politique agité
autour de lui. Demeurant très discret sur ses intentions, comme vu précédemment, il fait
preuve d’une grande activité durant les derniers mois de son mandat. Ces visites officielles
peuvent donner lieu à la déclinaison d’autres figures que celles du président en exercice,
mais les médias se doivent, dans ces moments là, de considérer avant tout Jacques Chirac
comme le président de la République Française. Car lors d’un voyage ou d’une action
présidentiels, ce n’est pas l’homme qui s’exprime, mais le dirigeant d’un pays, élu par un
peuple. Jacques Chirac réunit ainsi dans sa personne le symbole de la France. Il représente
à lui seul un pays tout entier et ses mots ont une portée historique
Il en va ainsi d’une série de discours prononcés par Jacques Chirac sur le travail de
mémoire, dont le dernier est prononcé quelques semaines avant la fin de son mandat.
Le 16 juillet 1995, nouvellement élu, il reconnaît la responsabilité de l'État dans
la déportation des Juifs de France. C’est aussi sous son mandat qu’une journée
commémorative est consacrée à l’abolition de l’esclavage, comme une journée d’hommage
national l’est aux Harkis.
C’est ainsi qu’est abordé l’hommage rendu aux Justes de France, le 18 janvier 2007. Il
48
semble important de noter que Pierre Péan termine son ouvrage sur Jacques Chirac par
le texte de l’allocution présidentielle, conférant cette dimension symbolique et historique à
l’homme auquel il vient alors de consacrer un livre.
Le Monde, le Figaro et Libération reviennent sur cet événement dans les trois articles
suivants :
Le Monde, le 18 janvier 2007 : «Jacques Chirac invite les Justes au Panthéon et invite
la France à regarder son histoire « en face »» (annexe 24)
48
52
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007, p-495-501
REMUSAT Cécile_2007
La figure du président
Le Figaro , le 18 janvier 2007 : «En rendant hommage aux Justes France, Chirac
parachève le travail national de mémoire » (annexe 25)
Libération, le 18 janvier 2007
(annexe 26)
: «Les Justes de France honorés au Panthéon»
Le Monde
Le Monde revient en détail sur cette journée tout en précisant le contexte dans lequel elle
se déroule. La parole de Jacques Chirac est très présente dans cet article et la figure du
président en exercice apparaît par cette parole à laquelle une grande importance semble
accordée, ainsi que par la place que semble prendre ici Jacques Chirac dans l’Histoire.
L’accent est mis sur son action en faveur du « travail de mémoire ».
L’hommage est présenté comme celui « de la nation » et comme l’achèvement d’une
action débutée en 1995. Le Monde rappelle ainsi la dimension historique d’un discours qui,
à ce moment là, « avait fait date », en détaillant les multiples interventions de Jacques
Chirac sur le sujet. De nombreuses citations jalonnent ainsi l’article pour rappeler les
propos tenus par le président ces dernières années. Par cette présence verbale, la figure
présidentielle s’impose, même si le Monde présente d’emblée un adjuvant dans l’hommage
rendu aux Justes : Simone Veil. Elle a proposé la première cet hommage, et le président
« a immédiatement accepté » précise le quotidien.
Cette action présidentielle semble ici inséparable de la vision que se fait Jacques Chirac
de l’identité des Français qui doivent assumer la totalité de leur Histoire. Des expressions
marquent la volonté et le ressenti d’un homme, qui par son statut de président, accomplit
une démarche devenue nationale (« il veut », « à ses yeux », il « voit ») La figure du président
semble alors être en lien étroit avec celle de l’homme.
Cette action en faveur des Justes marque aussi pour le Mondela fin d’un « combat »,
parlant même de « croisade » : « la boucle historique est bouclée, et le combat pour les
valeurs, jusqu’au bout, livré ». Par ces termes, offensifs, Jacques Chirac apparaît comme un
président actif, souhaitant faire respecter des valeurs, des idées qui lui tiendraient à cœur.
Une représentation assez inhabituelle, loin de l’immobilisme qui lui est souvent reproché .
L’emploi de l’imparfait (« M. Chirac devait évoquer », « devait-il avancer ») marque
cependant un processus qui n’est pas clôt, comme en témoigne la dernière phrase, qui
ouvre sur l’avenir : «le travail de mémoire sur la colonisation reste, lui, à achever. »
Malgré tout, ce travail de mémoire apparaît, tout au long du papier, comme un point
positif de son bilan, et le présent se mêle au passé, comme pour souligner la complexité du
problème : parler au présent d’un passé comun pour mieux aborder l’avenir.
Le Monde place Jacques Chirac comme le défenseur des victimes de l’Histoire en
l’opposant à Bruno Gollnisch, délégué général du Front national, qui préside alors un
groupe d’extrême droite au Parlement européen tandis que celui ci est divisé sur une
éventuelle législation commune contre le négationnisme. En juxtaposition à BrunoGollnisch,
« actuellement jugé pour « contestation de l’existence de crime contre l’humanité »,
le Mondeévoque Jacques Chirac, qui « devait avoir des mots très durs contre le
négationnisme, ce « cancer de la pensée » ».
La parole de Jacques Chirac apparaît sans conteste la parole la plus juste en opposition
à celle d’un homme poursuivi par la justice. Les marques d’ironie concernant les discours
du président sont ainsi totalement absentes ou presque.
REMUSAT Cécile_2007
53
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
La seule modération apportée par la journaliste concerne une citation, « regarder
la France au fond des yeux », que Jacques Chirac aurait empruntée à Valéry Giscard
d’Estaing. Mais le quotidien précise qu’ « on fait semblant de croire, à l’Elysée, qu’il
n’y a « pas pensé » ». La stratégie de l’homme politique refait alors surface dans la
démarche présidentielle, désirant en quelque sorte s’attribuer le mérite d’un autre et retirer
les bénéfices d’une action antérieure. Cette mise en perspective du jeu politique replace la
figure présidentielle dans le temps présent après avoir évoqué la dimension historique de
l’action et son lien avec l’homme qu’est Jacques Chirac.
Le Figaro
Le Figaro entreprend de retracer l’action présidentielle sur le travail de mémoire depuis
1995 plus que de décrire la journée d’hommage aux Justes. Celle-ci est évoquée en tout
début d’article, au présent, rendant l’émotion plus vive : « Aux grands hommes, la Patrie
reconnaissante. Ce soir, dans la crypte du Panthéon, Jacques Chirac rend un hommage
solennel aux Justes de France. »
Mais le papier dévie ensuite sur les actions passées du président, comme un flashback. L’évocation de la journée du 18 janvier 2007 permet finalement au quotidien de dresser
une sorte de bilan de Jacques Chirac sur son action antérieure pour reconnaître le passé
de la France.
Le ton se fait ainsi narratif et laudatif, mais le récit, toujours au présent, demeure
percutant : « tout a commencé le 16 juillet 1995. Ce jour- là, le président nouvellement élu
accomplit un acte fort, un de ceux qu’on aime à appeler « fondateur » », précisant que
cette action « rompt » avec celle de ses prédécesseurs, « de Charles de Gaulle à François
Mitterrand » qui avaient jusque là refuser d’assumer les fautes de Vichy.
Jacques Chirac apparaît ainsi comme le président du renouveau celui dont l’action a
marqué un tournant dans l’Histoire. « C’est le discours que l’on n’attendait plus ». Ces propos
tenus par le président du Crif de l’époque font échos aux propos du journaliste.
Le Figaro accorde ainsi davantage d’importance que le Monde aux réactions suscitées
par les actes de Jacques Chirac sur ce thème. Un membre de l’opposition est ainsi cité,
certainement pas choisi au hard : Ségolène Royal, qui avait alors qualifié le discours
d’ « irréprochable ». L’utilisation de cette reconnaissance ancienne prend toute sa
dimension, à l’heure où Ségolène Royal est devenue une figure incontournable du parti
socialiste puisqu’elle le représente aux élections présidentielles de 2007.
Ce sont au contraire les représentants de la droite gaulliste qui apparaissent en
opposition au chef de l’Etat, laissant apparaître celui ci comme le président novateur et
ouvert. Mais à ces commentaires d’hommes du passé, comme Philippe Séguin, qualifié
de « gardien de la flamme gaulliste » répondent les nombreuses actions de Jacques
Chirac. Sont ainsi énumérés ses discours sur l’esclavage, dont l’abolition est dorénavant
commémorée, sur le rôle des Harkis, sur « la répression sanglante par l’armée française
dune insurrection à Madagascar », ainsi que sur la revalorisation des pensions des anciens
combattants de l’empire colonial français après la sortie du film « Indigènes » .
Cette action prend ainsi la forme d’un « bilan » et la figure du président en exercice
précède donc celle du président en fin de règne.
54
REMUSAT Cécile_2007
La figure du président
Libération
Libération se concentre sur la seule figure du président en exercice contrairement aux deux
autres quotidiens.
Libération se place dans une démarche didactique, rappelant au lecteur les grandes
dates de l’Histoire et le nombre de victimes de la seconde Guerre Mondiale. Ces données
chiffrées permettent au journal de mettre en évidence le nombre de vies sauvées en France
grâce aux Justes, lesquels sont le véritable centre du papier. Le titre ne fait d’ailleurs pas état
de Jacques Chirac contrairement à ceux du Figaro et du Monde : « Les Justes de France
honorés au Panthéon »
La figure du président en exercice semble donc la seule abordée car le sujet traité
par le journaliste n’est pas Jacques Chirac. Le « chef de l’Etat », comme le désigne alors
sobrement le journal, apparaît aux côtés d’adjuvants, comme Simone Veil, ou Dominique
de Villepin, dans ce qui touche à l’organisation de la cérémonie.
Le quotidien passe ainsi en revue les événements attendus, comme la projection de
deux film d’Agnès Varda. Le ton didactique se transforme ainsi en ton narratif et descriptif.
Très peu de citations rythment ces lignes mais toutes proviennent de Jacques Chirac ou
de Simone Veil.
Le ton de l’article apparaît donc neutre, sans l’ironie qui caractérise parfois les papiers
de Libération. Pour le sujet, grave, le quotidien semble vouloir insister sur la dimension
héroïque de certains Français pendant l’une des périodes les plus troubles de l’Histoire
du pays. La politique intérieure s’efface au profit d’une vision élargie. La dernière phrase,
citation de Jacques Chirac, conclut ainsi :
« Le président de la République se recueillera ensuite en compagnie de Simone
Veil dans la crypte devant la plaque rendant hommage aux Justes et aux
anonymes, ces hommes et femmes qui « ont incarné l’honne ur de la France, ses
valeurs de justice, de tolérance et d’humanité». »
Comparaison
Les trois quotidiens traitent le sujet en lui insufflant une dimension historique. Mais celleci prend diverses formes .
Quand il s’agit pour le Figaro de rappeler l’action accomplie par Jacques Chirac sur le
travail de mémoire, dans une ébauche de bilan, le Monde reconnaît aussi cet aspect positif
de son mandat, allant jusqu’à le placer comme défenseur de certaines valeurs.
Les deux quotidiens se retrouvent dans le traitement de cette information dans le sens
où la figure de Jacques Chirac comme le président en exercice est très présente, à la fois
par son action passée et par son action présente.
Mais en se penchant ainsi sur un aspect de politique intérieure, du fait du contexte
politique, rythmé par la prochaine campagne présidentielle, les deux quotidiens évoquent
aussi d’autres figures de Jacques Chirac.
Il en va ainsi du président en fin de règne. Le Monde parle d’achèvement (« Le chef
de l’Etat achève ainsi le travail de mémoire qu’il a engagé dès 1995 »), de « cette fin de
quinquennat », d’un combat « jusqu’au bout livré », et d’un « travail de mémoire sur la
colonisation [qui] reste, lui, à achever », comme une ouverture sur la succession de Jacques
REMUSAT Cécile_2007
55
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Chirac. Le quotidien reprend aussi la même image que le Figaro : « la boucle historique
est bouclée ».
Le Figaro, en effet, reprend cette expression « pour Jacques Chirac, la boucle, ainsi
est bouclée », rappelant que pour lui, « l’heure du bilan » a sonné.
La fin de règne clôt finalement l’article par une citation saluant l’action de Jacques
Chirac, comme le Figaro en emploie parfois.
« « Ce qu'a fait Jacques Chirac pour que cette période qui ne passe pas puisse
enfin passer, c'est de reconnaître que la France a fait des choses horribles, mais
qu'elle a aussi fait des choses formidables », résume Frédéric Salat-Baroux. »
Une autre figure se retrouve, de façon plus implicite, dans les deux articles du Figaro et
Le Monde : celle de l’homme politique en opposition à un autre. Nicolas Sarkozy est ainsi
évoqué dans les deux quotidiens pour un sujet dont il n’est pas l’acteur. Le Monde cite ainsi
la réaction d’un « chiraquien et désormais sarkozyste » tandis que le Figaro rappelle que
Jacques Chirac prend le « risque d’être accusé par Nicolas Sarkozy de surfer sur l’émotion ».
Cette présence, même infime, de Nicolas Sarkozy dans un article où le président de la
République apparaît surtout comme le président en exercice déplace le centre du sujet en
fonction d’événements en lien avec la politique intérieure. Comme si chaque information ne
prenait tout son sens qu’en fonction des échéances électorales.
Libération choisit de traiter le sujet différemment. Le quotidien se concentre sur les
Justes de France, n’évoquant ainsi Jacques Chirac qu’en tant qu’acteur. Son rôle étant
celui d’un président de la République en exercice, c’est bien cette figure qui domine d’un
bout à l’autre de l’article. D’autres acteurs apparaissent aussi tels Dominique de Villepin ou
Simone Veil. Cette dernière apparaît aussi dans le papier du Monde, du fait de son rôle
dans l’hommage rendu aux Justes. Mais son nom est absent du papier du Figaro, comme
si Jacques Chirac devait retirer, seul, le bénéfice de cette action.
Libération met donc à l’écart la politique intérieure en lien avec l’élection présidentielle
et par conséquent les figures de Jacques Chirac qui y ont trait comme celle du président
en fin de règne par exemple. Seul le président en exercice semble ici jouer un rôle, sans
commentaire de la part du journaliste, qui entreprend avant tout une démarche explicative.
Le Président coupable
La presse satirique évoque librement les aspects plus sombres de Jacques Chirac, son
implication dans des « affaires ». Le « super menteur » des Guignols de l’info est resté au
goût du jour depuis la création de ce personnage, pour les présidentielles de 2002. Même si
le surnom a disparu, les Guignols n’hésitent pas, aujourd’hui encore, à présenter Jacques
Chirac comme l’homme qui veut échapper à la justice après la fin de son mandat.
Une scène satirique fait ainsi allusion à la prochaine sortie de Jacques Chirac en
évoquant la série télévisée Prison Break, dans laquelle le héros tente de s’évader de prison
avec son frère. Pour cela, il s’est fait tatouer le plan de la prison sur le corps. Dans cette
scène satirique, c’est Bernadette Chirac qui s’est dessiné le plan de l’Elysée dans le dos
et parle à son mari de leur future évasion, afin d’échapper à la justice. Jacques Chirac, lui,
56
REMUSAT Cécile_2007
La figure du président
évoque plutôt un départ discret vers le Canada, à l’image d’Alain Juppé quand celui ci avait
été condamné à l’inéligibilité.
Cette représentation du président coupable est récurrente dans les médias satiriques et
les ouvrages critiques. L’un d’entre eux s’intitule par exemple « Chirac et les 40 menteurs »
49
. L’auteur présente son livre de la façon suivante :
"Après le règne de François Mitterrand, marqué par la corruption des hommes
et l'avilissement des mœurs de la République, comme des millions de Français
j'avais vu en Jacques Chirac et sa majorité de droite les possibles sauveurs
d'une France affaiblie, si ce n'est déshonorée par tant de vilenies. En France,
les allées du pouvoir seraient-elles la propriété du diable ? Aujourd'hui, rien n'a
changé et - pire encore ! - tout s'est aggravé, le chef de l'État s'étant perdu de
réputation dans la tourbe des "affaires". Voir son nom régulièrement cité dans
les cabinets des juges d'instruction et les prétoires ne le trouble guère. Moi, si !
Cocu, certes, mais pas content ! Mystère d'une justice atteinte d'une conjonctivite
aiguë... quand il lui faut braquer son regard sur le premier magistrat de France.
Alors, disons la vérité : tout aura été fait pour sauver le Président Jacques Chirac,
chef des armées, preux général qui abandonne ses hommes de l'ombre sur le
champ de bataille et se met aux abris... pendant qu'ils passent sous la mitraille.
Trop, c'est trop ! L'heure est enfin venue d'ouvrir, un à un, les dossiers noirs
des années Chirac. Et de montrer comment ce clone de François Mitterrand a
dépassé son maître."
Cette figure du président menteur ressort difficilement dans la presse si aucune information
ne vient la réactiver. Mais un événement, au mois d’avril 2007, place au premier plan les
menaces juridiques qui pourraient gêner Jacques Chirac après la fin de son mandat, une
fois son immunité présidentielle perdue.
La presse quotidienne nationale s’empare ainsi des révélations faites par le Canard
Enchaîné du 11 avril 2007 : Jacques Chirac aurait passé un accord avec Nicolas Sarkozy
pour échapper à la justice.
Le Monde, le 13 avril 2007 : «Tu me vois dire à Chirac « tu me soutiens je
t’amnistie » ?» (annexe 27)
Le Figaro, le 11 avril 2007 : «L’Elysée dénonce le « procédé scandaleux » du Canard »
(annexe 28)
Libération, le 12 avril 2007
: «L’amnistie, cadeau d’adieu à Chirac» (annexe 29)
Le Monde
Le Monde préfère traiter le sujet avec humour, affirmant que « les deux hommes étaient
pour une fois parfaitement d’accord sur l'interprétation de l'article paru le matin même dans
Le Canard enchaîné , racontant les arrangements entre eux si le président était poursuivi
par la justice à l'issue de son mandat : un mauvais coup destiné à leur nuire. »
Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac font ici figure de duo, prêts à s’unir contre ce
« mauvais coup ». Le quotidien explique ainsi en quelques lignes les révélations du Canard
Enchaîné et donne la parole à ceux qui se disent victimes.
49
Jean MONTALDO, Chirac et les 40 menteurs, Albin-Michel, 2006
REMUSAT Cécile_2007
57
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Ainsi s’expriment « un vieux compagnon du président », « proche de M.Chirac », « un
sarkozyste », et Nicolas Sarkozy, lui même. Celui-ci aurait demandé à un ami : "Tu me vois
dire à Chirac : "Tu me soutiens, je t'amnistie" ?" . Le Monde retranscrit ainsi au présent,
les rendant plus percutantes, des paroles attribuées à Nicolas Sarkozy sur sa relation à
Jacques Chirac, dont « les gens ne savent rien ».
Ces interventions au discours direct sembleraient servir ceux qui se disent victimes,
puisqu’ils monopolisent les parole dans ce papier. Pourtant, le choix des citations par la
journaliste peut faire l’objet d’une double signification. Ainsi le lecteur est-il tenté de ne pas
croire ce qui est dit quand les propos tenus semblent exagérés. Le vieux compagnon de
Jacques Chirac indique ainsi que "cela n'a évidemment pas l'ombre du début d'une réalité"et
que"Ça énerve tout le monde. Si on était capable de s'énerver. » Le journal précise qu’ « il
y voit la main de magistrats et de journalistes ». Cette personne, anonyme, pourrait perdre
toute crédibilité, du point de vue d’un certain lectorat, en défendant l’honnêteté d’hommes
politiques face aux manipulations de magistrats et de journalistes.
Il en va de même avec la seconde partie de l’article, où ce même interlocuteur refuse
de comparer Jacques Chirac à Stavisky. : « Il y a un juge à Nanterre qui se posera la
question de convoquer l'ancien président. Mais il n'est tout de même pas le Stavisky de son
époque. » Le quotidien rebondit sur cette comparaison involontaire en précisant l’identité
de « Stavisky, escroc des années 1930, [qui] avait bénéficié de hautes protections pour voir
son procès indéfiniment reporté et avait fini "suicidé" . »
Le lecteur est ainsi implicitement invité à remarquer les similitudes entre ce personnage
et Jacques Chirac, tel que le présente le Canard Enchaîné.
De plus, l’entente de circonstance entre le président et son ministre de l’Intérieur est vite
remise en cause en toute fin d’article, puisque la journaliste relève les différences de point de
vue entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy sur leur vision de l’extrême droite : « champion
de la lutte contre l'extrémisme, M. Chirac ne peut que désapprouver toute compromission. »
Cet article ne prend finalement aucune position claire, se contentant de rapporter
des faits relatés par le Canard Enchaîné. Mais par sa façon d’éclairer certaines citations,
choisies avec soin, ce qui devait apparaître comme des propos indignés prend une autre
dimension. La plaidoirie en faveur de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy fait ainsi naître un
certain doute chez le lecteur. C’est ainsi qu’au titre, sous forme de question, (« tu me vois
dire à Chirac : « tu me soutiens je t’amnistie ? » ») la réponse qui vient à l’esprit n’est pas
forcément « non ».
Le Figaro
Le Figaro se place explicitement du point de vue de la défense, citant les termes de
l‘Elysée pour désigner un « procédé scandaleux ».Le ton indigné est repris à plusieurs
reprises «Procédé scandaleux et inacceptable», «allégations totalement infondées
et mensongères»,
«qui sont strictement sans fondement, [et] n'appellent aucun
commentaire».
Contrairement au papier du Monde, ces termes n’appellent pas de contradiction,
notamment quand cette réaction de l’Elysée se voit qualifiée de « fait rare » car elle
intervient « à deux reprises ». L’accent est donc mis sur l’indignation émanant du siège de la
présidence de la République française. Le fait de citer l’Elysée n’a ainsi pas la même portée
que des réactions plus personnelles, comme dans le Monde. Quand ce dernier donne la
58
REMUSAT Cécile_2007
La figure du président
parole à des anonymes, qualifiés de « vieux compagnon » ou de « proche », le Figaro
retranscrit une réaction officielle, dans laquelle chaque mot est pesé.
Le journal explique cependant plus longuement l’article du Canard Enchaîné, soulignant
aussi qu’il s’appuie sur « un article du Figaro qui évoque les discussions régulières entre
le chef de l’Etat et Nicolas Sarkozy à propos de «emplois fictifs de la Ville de Paris et de
l'éventuelle implication de Jacques Chirac». »
Cette thèse du Canard Enchaîné, pourtant développée, se voit pourtant encerclée de
réactions critiques, qui ouvrent et viennent clore l’article.
« Les affirmations du Canard ont déclenché une tempête de réactions à gauche
et au centre. De son côté, Nicolas Sarkozy a vivement critiqué cet article,
«grotesque, blessant, mensonger». Xavier Bertrand, l’un des porte-paroles du
candidat, a quant à lui accusé l'hebdomadaire satirique de «tirer la campagne
vers le bas». »
Ces réactions, nombreuses et appuyées, semblent étouffer la thèse défendue par le journal
satirique.
Libération
Libération aborde l’article avec une habituelle petite phrase d’accroche : « c 'est pratique,
la lenteur de la justice. » Par l’ouverture et la chute de son article, le papier de Libération
semble d’emblée s’opposer à celui du Figaro. C’est ainsi que cette phrase d’accroche,
saisissante et pleine de promesses pour la suite de l’article, s’oppose à celle du Figaro, qui
choisit une citation : « procédé scandaleux et inacceptable ».
Le deux suscitent l’interrogation du lecteur : pourquoi la lenteur de la justice serait-elle
pratique alors que chacun la dénonce ? Qu’est ce qui s’avère scandaleux et inacceptable ?
Mais ces deux interrogations appellent des réponses différentes. L’article du Figaro, on l’a
vu, aborde le sujet du point de vue officiel. Libération semble vouloir, une fois de plus, aller
du côté officieux.
La chute va dans le même sens : quand le Figaro termine à nouveau avec une citation
accusant le Canard Enchaîné de « tirer la campagne vers le bas », Libération prévient :
« l'autocensure de certains juges, surtout si Nicolas Sarkozy est élu, pourrait aussi suffire
à laisser les affaires Chirac mourir de leur belle mort. »
Les affaires prennent ainsi le nom de Jacques Chirac, ne distinguant plus le président
des faits qui lui seraient reprochés s’il ne bénéficiait pas de l’immunité de sa fonction.
L’article, assez court, s’applique dès lors à développer l’argumentation du Canard Enchaîné,
détaillant la façon dont Nicolas Sarkozy s’y prendrait, une fois élu président, pour
« amnistier » Jacques Chirac.
Et si cette argumentation se passe au conditionnel, temps de la supposition, le titre,
épuré de tout verbe, demeure plus ambigu : « L’amnistie, cadeau d’adieu à Chirac ». Un
titre teinté d’injustice pour le lecteur, simple citoyen, puisque Nicolas Sarkozy s’est prononcé
contre toute amnistie présidentielle. Jacques Chirac apparaît dès lors comme un privilégié,
à l’image de son statut protégé.
Ainsi, tout comme le Figaro encercle le procédé de réactions critiques, Libération
procède de même mais de façon inverse : le journaliste fait part de la réaction indignée de
REMUSAT Cécile_2007
59
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
l’Elysée, mais celle-ci, réduite, fait suite au développement critique du Canard Enchaîné et
précède une réaction non moins critique de l’opposition : François Bayrou et le PS.
Comparaison
La place des mots dans un papier semble dès lors primordiale pour susciter différentes
réactions du lecteur. Celui-ci tend à retenir davantage l’accroche et la chute d’un papier.
Le titre doit aussi l’inciter à lire l’article. Il sait dès lors la tonalité que celui-ci aura. Par leur
grande différence de traitement, Libération et le Figaro ne visent évidemment pas le même
lectorat. Le Figaro s’oriente vers une vision assez consensuelle, officielle, quand Libération
apparaît davantage critique. L’ironie jour un rôle majeur dans la rédaction des papiers de
Libération, voir du Monde, ce qui n’est pas le cas du Figaro. Celui-ci relate l’information
dans sa forme la plus pure. Il la sélectionne aussi dans sa façon de la présenter mais tout
en développant certains points essentiels.
La figure du président coupable ressort ainsi de façon différente dans la presse
quotidienne nationale. La notion de culpabilité est d’ailleurs absente, les notions de doute
et de manœuvre politique lui étant préférées.
Cette affaire met fin à la figure permanente de l’opposition entre deux hommes
politiques et la nuance fortement tout en la rappelant.
Le Monde souligne ainsi que « les deux hommes étaient pour une fois parfaitement
d'accord », insistant sur le caractère inhabituel d’un tel consensus.
Le Figaro quant à lui, affiche une photo ambiguë : les deux hommes se serrent la
main, souriants, mais ne se regardent pas franchement dans les yeux. Cette image résume
parfaitement la thèse soutenue par le Canard Enchaîné :Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy
seraient capables de s’entendre sur un point s’ils y trouvent chacun leur intérêt, mais cette
entente n’aurait rien de sincère. En revanche, si la photo du Figaro va dans le même sens
que la thèse du journal satirique, il n’en va pas de même avec le papier qui suit.
Libération préfère parler de « deal » pour évoquer cet arrangement présumé, soulignant
la notion de promesse et d’échange.
Les relations entre les deux hommes ne sont dès lors plus évoquées comme des
divergences personnelles. Celles-ci s’effacent devant les calculs politiques.
Le figure du président en fin de règne semble tout aussi présente que celle du président
coupable puisque cette éventuelle culpabilité ne pourrait resurgir qu’avec la fin de l’immunité
présidentielle. La possible élection de Nicolas Sarkozy vient encore ajouter à cette figure,
comme le prédécesseur s’efface devant son successeur.
C’est ainsi que la figure du président candidat n’est plus. Les réactions, nombreuses,
de Nicolas Sarkozy dans le papier du Monde, son assurance d’obtenir le soutien de Jacques
Chirac, réduisent à néant la figure du candidat, disparue quelques jours plus tôt avec
l’annonce de Jacques Chirac de ne pas se représenter.
En revanche, cette figure se fait plus discrète dans l’article du Figaro, par une
focalisation sur le présent. L’emploi du conditionnel pour aborder l’avenir signifie que ce
temps n’est pas encore arrivé : « En échange du soutien du chef de l’Etat, le candidat
de l’UMP se serait engagé, s’il est élu, à faire le nécessaire pour lui éviter d’être confronté
à la justice. »
60
REMUSAT Cécile_2007
La figure du président
Libération évoque la « belle mort »des affaires concernant Jacques Chirac. Cette
expression pourrait tout aussi bien renvoyer à la propre mort de Jacques Chirac : celle,
symbolique du président et celle, physique, de l’homme. Il mourrait ainsi de sa « belle mort »,
sans avoir connu « l’humiliation de finir sa carrière politique dans le bureau d'un juge. »
Le Président en fin de règne
50
« Son règne arrive à son couchant ». C’est ainsique Franz-Olivier Giesbert évoque
la présidence de Jacques Chirac. Une fin de règne aux allures de bataille médiatique pour
Alain Duhamel, qui, dans une chronique parue le 11 octobre 2006, parle de « l’ultime image »
51
que souhaite laisser Jacques Chirac : celle qu'il voudrait imprimer dans l'esprit des
Français au moment de quitter le palais de l'Elysée.
Cette dernière image du président Chirac se retrouve le 11 mars 2007 sur les chaînes
de télévision : il annonce alors son intention de ne pas briguer un troisième mandat. Dans
une allocution, rédigée par ses soins selon ses collaborateurs, Jacques Chirac revient sur
sa présidence, sans oublier d’adresser des « messages » aux Français pour l’avenir. Cette
intervention télévisée est bien entendu relayée dans la presse les jours suivants.
Le Monde du 13 mars 2007 : « Une déclaration d’amour et cinq recommandations à la
France et aux Français» (annexe 30)
Le Figaro du 12 mars 2007 : « Jacques Chirac ne briguera pas un nouveau mandat »
(annexe 31 )
Libération du 12 mars 2007 : « Chirac, derniers feux plein d’amour » (annexe 32)
Les titres du Monde et de Libération se rejoignent avec l’emprunt du terme « amour »,
teinté d’ironie. Le Figaro, en revanche, demeure assez neutre en donnant l’information sous
une forme épurée : Jacques Chirac ne se représentera pas à la présidence.
Le Monde
Le Monde parle d’ « amour » et de « recommandations », comme si Jacques Chirac avait
joué un rôle : celui de père des Français, prêt à livrer un dernier testament. Le journal tente
comme à son habitude de recontextualiser l’intervention présidentielle et la mise en scène
dont elle fait l’objet.
« ON A VU d'abord, fait très inhabituel, le président assis à son bureau en train
d'écrire. Cette image furtive, comme volée, était destinée à faire comprendre aux
téléspectateurs que le président de la République qui allait les quitter avait mis
beaucoup de lui-même dans son allocution. […]On a vu ensuite M. Chirac venir
s'incruster sur un fond de drapeau européen et tricolore, rendu ondoyant par
la magie de l'image de synthèse. Une autre nouveauté, message subliminal de
modernité.»
50
51
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique 1986-2006, Flammarion, 2006,p-9
Alain DUHAMEL, chronique intitulée « Chirac : l’ultime image », parue dans Libération, le 11 octobre 2006
REMUSAT Cécile_2007
61
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Ainsi le Monde évoque-t-il avec ironie les procédés employés pour cet ultime message
présidentiel, dont la presse annonçait le contenu depuis plusieurs semaines. Le Monde titrait
même la veille de cette intervention « Après 40 ans de vie politique, M.Chirac ne briguera
pas un troisième mandat ».
Le quotidien souligne, à l’appui de citations, la « déclaration d’amour à la France et
aux Français » de Jacques Chirac, qu’il temporise : « Aimer son pays, c'est le moins, pour
celui qui préside à son destin ». Pourtant, le Monde reconnaît une forme de sincérité, rare
cependant, de la part du président : « mais M. Chirac l'a dit avec une certaine force, lui qui
fut si souvent accusé de n'aimer que le pouvoir ».
A l’image de l’intervention présidentielle, l’article ne consacre que très peu d’espace au
« mea culpa » de Jacques Chirac, insistant bien davantage sur son « plaidoyer » et sur les
points dont il est « fier », pour mieux les nuancer :
« Sur la réforme des retraites, votée en 2003 mais qu'il faudra bientôt remettre sur
le métier. Sur l'insécurité et la délinquance, assumant ainsi le bilan de Nicolas
Sarkozy, bien que les violences aux personnes aient augmenté de près de 14 %
depuis 2002 »
Cet article se veut donc plutôt narratif et descriptif, utilisant jusqu’au passé simple,
avec un brin d’ironie concernant ce « dernier exercice d'énarque, en deux temps et cinq
mouvements ». Comme une petite musique dont Jacques Chirac aurait souhaité bercer les
Français avant de quitter l’Elysée.
Le Figaro
Le Figaro est celui des trois quotidiens qui se contente d’un ton assez descriptif, comme
l’annonce le titre. Les citations, très nombreuses, constituent le corps de ce papier.
Le journaliste introduit ainsi les principales déclarations de Jacques Chirac, comme en
témoignent les multiples verbes introducteurs : Jacques Chirac a « dit », « indiqué »,
« exalté », « lancé », « appelé », « prévenu », « ajouté », « souligné », « insisté » et
« conclu ».
Le journaliste n‘apporte que trois commentaires. Le premier porte sur un
« avertissement » que Jacques Chirac aurait adressé à Nicolas Sarkozy sur la défense
du modèle français en affirmant que « Ce nouveau monde, il faut le prendre à bras-lecorps », mais « sans jamais brader notre modèle français »
Le second porte sur l’action internationale de jacques Chirac, jugée par le journaliste
comme « un point fort de son bilan ».
Et le dernier commentaire journalistiqueconcerne la « déclaration d'amour à la France
et aux Français » , qualifiée avec une certaine ironie de « Séquence émotion » .
Hormis ces trois aspects, seules les citations rythment le papier, déclinant les messages
adressé par Jacques Chirac aux Français. La parole est donc entièrement donnée au
président ou presque. Celui-ci apparaît d’ailleurs de face, souriant, l’œil pétillant, devant le
drapeau français, sur un cliché coloré et assez flatteur.
Pourtant, même si les citations apparaissent nombreuses, elles n’en sont pas moins
choisies. Le mea culpa de Jacques Chirac, évoqué dans Le Monde et Libération , n’a
pas sa place dans le Figaro . Il n’est alors pas fait mention de la seule phrase de regret
que les deux autres quotidiens ne manquent pourtant pas de retranscrire :
62
REMUSAT Cécile_2007
La figure du président
Libération : « Tout juste a-t-il regretté ne pas avoir
«bousculé davantage les
conservatismes et les égoïsmes pour répondre plus vite aux difficultés que connaissent
certains d'entre vous» »
Le Monde :
« La faute en revient « aux conservatismes et aux égoïsmes », que
le chef de l'Etat aurait « voulu, bien sûr, bousculer davantage » »
Le seul « mea culpa » qu’évoque le Figaro concerne celui du vendredi précédent, afin
de mieux introduire une énième citation sur les recommandations du président: « Chirac
qui, vendredi, à l'occasion de son dernier Conseil européen à Bruxelles, a fait son mea
culpa après l'échec du référendum en mai 2005, a estimé qu'il était « vital de poursuivre
la construction européenne » . »
Les propos choisis dans l’article du Figaro sont davantage axés sur l’émotion du
président, son amour pour la France, sa volonté d’agir pour elle, et ses messages aux
Français. Contrairement au Monde, le Figaro ne nuance en rien les propos tenus, puisque
les propos sélectionnés ne peuvent pas être discutés objectivement. En effet, il n’est pas
fait état du bilan de Jacques Chirac, mais plutôt de l’idée qu’il se fait de la France et de
l’avenir. Aucune donnée objective, aucun chiffre, ne peuvent contrer de telles affirmations :
« Ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet
de l'autre. Dans notre histoire, l'extrémisme a déjà failli nous conduire à l'abîme.
C'est un poison. Il divise. Il pervertit, il détruit » « Nous avons tant d'atouts. Nous
ne devons pas craindre les évolutions du monde. Ce nouveau monde, il faut
le prendre à bras-le-corps » « Face au risque d'un choc des civilisations, face
à la montée des extrémismes religieux, la France doit défendre la tolérance, le
dialogue et le respect entre les hommes et entre les cultures »
Libération
Libération, contrairement au Figaro, ne fait pas l’économie de nombreux commentaires,
pour la plupart, teintés d’une cinglante ironie, d’ores et déjà présente dans le titre, encore
une fois dépourvu de tout verbe : « Chirac, derniers feux plein d’amour ».
Jacques Chirac est ainsi « lyrique » quand il dit adieu aux Français « de son inimitable
voix saccadée », « en les noyant sous des flots d’amour ».
La photo qui illustre l’article est elle aussi en opposition à celle du Figaro, puisque le
cliché de Jacques Chirac, de profil, l’air préoccupé, fait ressortir un visage crispé au teint
gris. Quand la photo du Figaro montrait un président souriant et regardant les Français dans
les yeux, de face, celle de Libération, au cadrage resseré, fait davantage état d’un homme
au regard tourmenté, fatigué, préoccupé, rongé par des pensées éloignées du bien être
d’un peuple tout entier. La subjectivité pourrait pousser à croire que Jacques Chirac, qui
regarde vers la droite, soit devant lui, s’inquiète à cet instant précis de son propre avenir.
En revanche, certaines similitudes existent entre l’article de Libération et celui du
Monde.
Comme le Monde, Libération revient sur la posture physique de Jacques Chirac au
moment de son allocution : « d ebout, sur fond de drapeau tricolore ».
Autre point commun : les deux quotidiens donnent une trame semblable à leur
papier présentant tout d’abord la scène et la posture de Jacques Chirac, puis un rapide bilan
REMUSAT Cécile_2007
63
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
et le report à plus tard de ses « choix personnels », avant d’évoquer la fierté de Jacques
Chirac et ses messages aux Français.
Libération insiste davantage que le Monde sur les « messages » adressés aux Français,
les regroupant, comme le Figaro, sous le terme de « testament ». Et comme le Monde,
Libération nuance aussi les points du bilan de Jacques Chirac que celui-ci évoque avec
fierté. Il les met à distance avec l’utilisation de guillemets :
« il s'est targué d'avoir conduit des «réformes importantes» (retraites,
handicapés, personnes âgées dépendantes...), d'avoir fait «reculer la
délinquance» et, tout aussi discutable, d'avoir ramené le chômage à son taux le
plus bas «depuis un quart de siècle» »
En outre, Libérationdemeure le seul des trois quotidiens à citer des réactions à cette
allocution, notamment celles, plutôt inattendues, de Jean-Marie le Pen et de George W.
Bush.
« Une pluie de réactions plutôt positives en France ont accompagné la
déclaration du chef de l'Etat, hormis du côté de Jean-Marie Le Pen, qui s'est
réjoui de «perdre son pire ennemi». Quant à George W. Bush, son adversaire
de l'extérieur, il a souhaité quelques minutes à peine après le speech présidentiel
«ce qu'il y a de meilleur» à Jacques Chirac ».
Cette évocation d’acteurs extérieurs au président, sur le plan idéologique et géographique,
décentre le sujet de la seule personne de Jacques Chirac. Car il ne s’agit pas seulement du
départ d’un homme, mais de celui d’un président français.
En effet, le traitement médiatique de cette allocution, même teinté d’ironie, aurait
aussi tendance à souligner l’adieu d’un homme à un peuple, effaçant quelque peu la
figure du président. Libération ne fait pas exception en qualifiant Jacques Chirac d’ « ému
et visiblement tendu », pour « cette ultime causerie les yeux dans les yeux avec les
Français ». Le quotidien laisse d’ailleurs entendre que Jacques Chirac, « débarrassé de
toute contingence électorale », a cessé de mentir : « il s'est posé en antilibéral, écologiste,
pacifiste et humaniste abhorrant l'extrémisme de droite. Du Chirac qui veut rester, pour
l'histoire, sur un profil gauche au moment de quitter la scène, après avoir adopté de multiples
postures depuis 1967 ». C’est pourquoi l’intervention, en fin d’article, de Jean-Marie le Pen et
George W.Bush, permettent de recadrer ce départ dans son contexte politique et historique.
Le Monde s’y prend différemment, personnalise encore la figure du président avec
l’évocation du départ de François Mitterrand : « Cela avait peu à voir avec les adieux de
son prédécesseur, qui, lors de ses vœux du 31 décembre, avait assuré aux Français : « Je
crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas. » »
Le Figaro, dans la continuité de son article, laisse pour terminer, la parole à Jacques
Chirac, dans une dernière phrase sur son amour pour un grand pays : « Pas un instant,
vous n'avez cessé d'habiter mon cœur et mon esprit. Pas une minute, je n'ai cessé d'agir
pour servir cette France magnifique. Cette France que j'aime autant que je vous aime »
et qui « n'a pas fini d'étonner le monde ». Comme il a été dit précédemment, la phrase
finale d’un article compte dans l’appréciation du lecteur. Or, le lectorat du Figaro termine ici
sur une note dépourvue d’information mais très chargée en émotion. La figure de l’homme
sympathique clôt ainsi cet article consacré aux adieux du président.
Comparaison
64
REMUSAT Cécile_2007
La figure du président
Par conséquent, les trois quotidiens accordent la même importance au discours d’adieu
de Jacques Chirac, lui consacrant chacun un article de taille. Pourtant, le Figaro se
distingue par un manque d’analyse dans un article qui se contente de retranscrire certains
propos de Jacques Chirac. Le Monde et Libération ne manquent pas d’apporter certains
commentaires, par ailleurs assez proches.
Mais ces trois articles ont deux points communs. Ils se concentrent sur la dimension
personnelle que Jacques Chirac a conféré à son discours, choisissant d’atténuer sa
dimension historique et politique. La figure de l’homme ressort ainsi dans le traitement
médiatique des adieux du chef de l’Etat, qui sonnent comme les derniers mots d’un homme
à un peuple.
Concernant la dimension politique, les trois journaux ne manquent pas de placer
Jacques Chirac en opposition à Nicolas Sarkozy, faisant renaître la figure de leur lutte
éternelle. Les trois quotidiens retiennent ainsi un avertissement à son encontre.
Le Figaro : « Comme en signe d'avertissement à Nicolas Sarkozy qui en propose
l'adaptation après l'avoir jugé obsolète »
Le Monde : « « Ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme
ou le rejet de l'autre ! », s'est exclamé M. Chirac, alors que Nicolas Sarkozy a suscité un
tollé en proposant la création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale. »
Libération : « dans une mise en garde à Sarkozy, il a appelé à ne «jamais brader
notre modèle français» »
Conclusion partielle
Le 16 mai, Jacques Chirac quitte l’Elysée. Il perd alors la dimension symbolique acquise
douze ans plus tôt avec le titre de président de la République. La figure du président en
exercice n’est plus. La figure du président en fin de règne disparaît après avoir atteint
son paroxysme lors des dernières semaines de son mandat. Mais la figure du président
coupable peut perdurer.
Henri Amouroux, journaliste et historien, revient sur la fin de règne de Jacques
52
Chirac, qu’il compare à celles de Charles de Gaulle et François Mitterrand. Car les trois
personnage ont un point commun : ils ont tous été présidents de la cinquième République,
réélus pour un second mandat. Ils ont résidé à l’Elysée pendant plus de dix ans et mis en
scène leur départ. Henri Amouroux a établi les histoires parallèles mais si différentes de
ces "trois fins de règne".
Charles de Gaulle se retire dans la grandeur du silence après avoir averti les Français :
« il s’éloigne après avoir laissé une note sèche : "Je quitte aujourd’hui mes fonctions", et
les Français, jusqu’à sa mort, n’entendront plus parler de celui qui ne leur parle plus. »
François Mitterrand, lui, conserve le pouvoir tant qu’il le peut. Il ne songe pas
à démissionner comme l'aurait fait de Gaulle même lors des jours les plus sombres.
«
Avec lui, il n’est jamais question de départ. Le peuple peut lui dire "non", il accepte la
cohabitation qui aurait fait horreur à de Gaulle. La conquête de l’Elysée ayant été le combat
de sa vie, les sautes d’humeur des électeurs sont impuissantes à lui faire abandonner ce
52
Henri AMOUROUX, Trois fins de règne, éditions Jean-Claude Lattès, collection Essais et documents , 2007
REMUSAT Cécile_2007
65
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
pouvoir qu’il a tant convoité. Il n’était pas de Gaulle, qui se savait prédestiné. Rien ne lui
avait été accordé par avance sauf une prodigieuse confiance en soi, une immense capacité
de secrets, de mensonges, de ruses, un grand courage aussi, car la fin de son règne
ne commence-t-elle pas, injustement, quelques mois après le sacre du 10 mai, lorsqu’il
apprend qu’il est atteint d’un cancer qu’il dominera quatorze ans durant, alors que les
médecins lui donnaient trois ans de survie. Cette lutte contre le mal qu’il s’efforce non
d’étouffer, mais d’en ralentir les progrès par un redoublement d’activité, n’est pas sans
pathétique comme cette cérémonie des aveux au cours de laquelle, à la fin du règne, au
confessionnal chez Péan, à l’instruction chez Elkabbach, il reconnaît tout son passé trouble
et fourbe de pauvre pêcheur. Injurié après son passage chez Elkabbach, il quitte l’Elysée,
quelques mois plus tard, sous les lauriers de journalistes sans mémoire... seul président
de la République auquel, de son vivant, il aura été donné de respirer voluptueusement ces
gerbes d’éloges qui ne vont qu’aux morts. »
Après deux septennats - ce que nul
n'a réussi avant lui, et ce que nul n'aura la possibilité d'accomplir après lui –il accueille son
successeur, Jacques Chirac.
Ce dernier, réélu en 2002 avec 82,8% des voix, quand il n’obtenu que 19,8 % au premier
tour, laisse planer jusqu'au dernier moment le doute sur ses intentions. Pour Amouroux, il
est encore trop tôt pour le juger, n’ayant pas encore le recul nécessaire,
« le nez toujours
53
collé sur la vitre »
.
Il s’interroge
: « Pour Jacques Chirac, quelle
fin de règne ? Il y a quelques mois, le président était accablé sous les livres et les articles
moquant tous une fin de règne gâtée, gâchée, empoisonnée par les "affaires" qui ont cerné
l’Elysée jusqu’à menacer son occupant de poursuites judiciaires. Il semble -comme pour
Mitterrand d’ailleurs- que l’on soit entré dans une période d’apaisement de la part de ceux
qui étaient les plus acharnés à vouloir pourchasser le chef de l’Etat. Voyant cadenassé tout
ce qui pouvait l’être, afin de protéger Jacques Chirac après son départ, n’ayant pas grand
peine à deviner que le président veut devenir le défenseur du destin de la planète après
avoir assez mal défendu celui des Français, beaucoup, au moment de juger, paraissant
tentés par la zone grise de l’indulgence.
Mais l’histoire n’a pas encore prononcé son verdict. Sans doute, regrettera-t-elle tant
de chances gâchées. Il avait tout pour être un grand président. Même le peuple, après la
fastueuse élection de 2002, lorsqu’il triomphe avec ces 82% providentiels, qui lui auraient
permis, peut-être, d’échapper au train-train gouvernemental habituel, de faire du de Gaulle,
et de saisir l’extraordinaire occasion qui lui était donnée pour s’inscrire dans l’histoire en
général... brouillon révolutionnaire. »
La figure du président ne disparaît pas totalement. Jacques Chirac restera, comme
François Mitterrand et Charles de Gaulle, un acteur de l’Histoire. Amouroux regrette alors
que les observateurs « cèdent beaucoup trop au journalisme », dans le sens où ils
se concentrent sur des événements forts de l’instant présent sans s’interroger sur leurs
significations rééelle dans le déroulement de l’Histoire. C’est ainsi que la figure du président
coupable sera certainement la plus présente lors des prochains mois, avec la fin de
l’immunité de Jacques Chirac. Mais pour le journaliste-historien, « ce ne sont pas les affaires
qui resteront dans l’Histoire, mais l’Irak ».
Cet avis permet de nuancer la dimension médiatique des derniers mois de présidence
de Jacques Chirac, en soulignant que les figures retenues et déclinées par les médias
le sont dans un laps de temps très court. Ces figures, motivées selon un point de vue
journalistique, sont dénoncées par l’Historien.
53
66
Canalacadémie.com, interview d’Henri Amouroux sur son ouvrage Trois fins de règne.
REMUSAT Cécile_2007
La figure du président
REMUSAT Cécile_2007
67
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Conclusion
54
Annie collovald écrit dans les années 1980 : « il y a autant d’identités publiques d’un
homme politique que d’instances de publication. » Il existerait donc un « répertoire
des « lieux » de fabrication et de diffusion de l’identité d’un homme politique ; désormais, les
émissions télévisées, radiophoniques, les interviews, les imitations, tout ce qu’on appelle
les médias, participent directement au fonctionnement du jeu qu’ils ont contribué, en partie,
à transformer par leur apparition et l’usage politique qui en a été fait ».
Cela est peut-être plus vrai aujourd’hui qu’hier du fait des nouveaux moyens de
communication. Il est ici question de dégager des identités de Jacques Chirac à travers les
figures évoquées par trois quotidiens durant les derniers mois de son mandat. Ces figures
apparaissent à la fois complémentaires et contradictoires.
La figure du vieil homme entre en contradiction avec celle du président puisqu’un
président, censé incarner un symbole et diriger un pays, ne peut pas faire preuve de
faiblesse, physique ou mentale. Après la maladie de François Mitterrand qui a passé
quatorze ans au pouvoir, et les douze années de présidence de Jacques Chirac,
l’émergence de figures politiques plus jeunes semble accueillie avec enthousiasme par les
médias. La figure du vieil homme n’est pas avancée en ces termes dans les quotidiens
étudiés, mais de nombreuses allusions soulignent la longue carrière de Jacques Chirac
et son âge avancé tout au long des derniers mois de présidence. Les articles qui lui sont
consacrés font souvent état de sa grande expérience, mais impliquant qu’il est temps,
pour lui, de se retirer. L’émergence de nouvelles personnalités politiques, quinquagénaires,
comme Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal dans la course à la présidence, rendent plus
aiguë le différentiel de génération.
Dans la presse satirique cependant, la figure du vieil homme, presque sénile, est très
présente, rendant tout à fait improbable une nouvelle candidature de Jacques Chirac. Car
cette figure est activée dans une période de doutes sur ses intentions pour 2007. On peut
se demander si l’insistance sur l’âge du président aurait été la même dans le cas où celuici aurait annoncé dès le début sa retraite politique.
Les figures du père, du mari et du grand père ne rentrent pas obligatoirement
en contradiction avec celles du politique et du président, mais déplacent le sens d’un
événement et sa portée politique. La venue du petit fils de Jacques Chirac à une sortie
officielle, ou le témoignage de Bernadette Chirac sur sa vie de couple permettent au
président de faire émerger une nouvelle identité. Le vieil homme se transforme ainsi en
vieux sage, en grand-père attentif, en mari reconnaissant et en père meurtri par la maladie
de sa fille.
Ces éléments apparaissent tous durant les dernières semaines qui précèdent les
élections présidentielles, ce qui ne doit rien au hasard. Le livre de Pierre Péan sort ainsi le
14 février, soit quelques jours seulement avant la diffusion de l’émission de Michel Drucker.
Cette figure de l’homme est voulue par Jacques Chirac : par ces confessions inhabituelles
et rares, par des apparitions avec son petit-fils, il réactive des identités préexistantes mais
qu’il avait jusqu’alors ignorées.
54
68
Annie COLLOVALD, Actes de la recherche en sciences sociales , numéro 73,1988
REMUSAT Cécile_2007
Conclusion
Cela n’empêche pourtant pas les trois quotidiens , notamment le Monde et Libération,
de rendre toujours présente, de façon plus ou moins explicite, la figure du vieil homme,
moins flatteuse, quand il s’agit d’évoquer les prochaines élections. Le Figaro, lui, est plus
indulgent vis à vis de Jacques Chirac concernant cette figure.
En outre, le Monde et Libération ne manquent pas de remettre l’émergence de la
figure de l’homme dans le contexte politique. Mais si le Monde emploie le plus souvent
l’ironie, jouant sur deux registres, Libération choisit parfois d’ignorer une information pour
se concentrer sur une autre, moins personnalisée. La visite aux armées de Jacques Chirac
et son petit fils en est un bon exemple. Libération mentionne à peine la présence du petit
garçon, tandis que le Monde choisit d’en faire le point central de son papier. L’ironie et l’
analyse le distinguent certes de celui du Figaro, mais pas autant que la posture critique de
Libération.
Ainsi, quand Jacques Chirac choisit de mettre en scène son départ, seul le Figaro ne
semble pas conférer de portée vraiment critique aux événements. Mais le Monde et surtout
Libération ne laissent pas cet acteur politique susciter à l’envi des figures qui lui seraient
plus profitables pour asseoir sa popularité, à un tournant de sa carrière, comme la figure
de l’homme sympathique.
Car la figure de l’homme apparaît parfois contradictoire avec celle du président, à
la fois par le corps naturel qui s’oppose au corps symbolique, mais aussi dans certaines
significations. La figure de l’homme sympathique s’oppose ainsi à celle du président
coupable, dans la mesure où culpabilité, mensonge, calcul et chaleur humaine ne semblent
pas pouvoir s’appliquer à la même personne. Et comme l’analyse l’a démontré, la figure
du président coupable est davantage développée dans le Monde et Libération, quand celle
l’homme sympathique a trouvé un certain échos dans le Figaro .
Quant aux figures de l’homme politique et du président, elles se complètent puisque
l’homme politique en opposition à un autre, figure récurrente, repose aussi sur les statuts de
Nicolas Sarkozy, ministre, et de Jacques Chirac, président. Par leur dimension symbolique,
les deux hommes suscitent l’intérêt. Car leur opposition représente une lutte personnelle
ainsi qu’une lutte pour le pouvoir. Malgré tout, cette lutte symbolique prend fin quand le
président au pouvoir s’efface et laisse la place à son successeur, qui s’avère justement être
son ancien ministre.
Cette opposition est la figure la plus récurrente dans les trois quotidiens étudiés. Elle se
retrouve le plus souvent dans le Figaro. En supposant à de multiples reprises l’opposition
entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, le Figaro renvoie une image préexistante de
Jacques Chirac, celle de l’homme politique en opposition à un autre. Nicolas Sarkozy
apparaît ainsi comme un stimulant pour le président, qui semble vouloir continuer d’exister
face à son ambitieux ministre. Ce face à face de deux personnalités ne manque pas dans
la presse. Par cette sorte de reflet politique, Jacques Chirac demeure présent et la figure
du président en fin de règne se voit nuancée par celle de l’homme politique, du président
en exercice, toujours actif et prêt à se défendre.
Si le Monde et Libération activent eux aussi cette figure, il en ressort certes parfois une
domination de Jacques Chirac sur Nicolas Sarkozy, mais aussi une perpetuelle remise en
cause du premier par le second. Dans ce cas, la figure de l’opposition peut déservir Jacques
Chirac, réactiver la figure du vieil homme et du président en fin de règne.
Mais cette figure n’est pas aussi récurrente dans les papiers de Libération que dans
ceux du Monde et du Figaro. Libération cherche en effet une certaine distance vis à vis
de certaines figures, comme pour ne pas perdre de vue l’essentiel. Le quotidien semble
REMUSAT Cécile_2007
69
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
chercher à dépasser les discours de convenance, avec un vocabulaire parfois familier et
direct. Quand Libération utilise la personnalisation, ce n’est pas sans y conférer une portée
critique.
C’est ainsi que lors des vœux de Jacques Chirac à son gouvernement, son opposition
à Nicolas Sarkozy est évoquée et développée, de façon presque crue, mais sans négliger
le reste de l’information. Les vœux « venimeux » de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy
prennent aussi la forme d’orientations données à ses ministres, dans un cadre plus large.
Dans le traitement de cet événement, Libération se distingue de ses deux concurrents.
Ces derniers présentent certes cette opposition de façon plus conventionnelle, mais ils en
font l’information majeure de leurs articles. De la même façon, tandis que le Monde et
le Figaro évoquent cette opposition concernant l’hommage rendu par Jacques Chirac aux
Justes de France, Libération ne convoque que la figure du président en exercice, ne
déviant en rien du sujet initialement traité.
Libération semble alors vouloir se positionner à contre-courant de ses concurrents, ne
procédant pas à un traitement uniforme de l’information en rebondissant sur l’information
que le politique crée. Il évite de traiter ce qui fait événement si celui-ci s’éloigne des
problèmes structurels. C’est ainsi que l’anniversaire de Jacques Chirac et l’émission de
Michel Drucker, n’apparaissent pas comme des événements. Ces épisodes permettent
simplement à Libération de faire ressortir les informations essentielles à la compréhension
de la politique française.
Chaque quotidien semble, dans sa façon d’écrire et agencer les articles, répondre
aux attentes de son public. Le Figaro, de centre-droit, s’en tient ainsi la plupart du temps
à la version officielle du gouvernement, étouffant presque les réactions d’opposition par
leur positionnement dans l’article. Les figures concernant Jacques Chirac sont souvent
positives et personnalisées, les moins flatteuses se voyant nuancées par la distribution des
paroles ou des qualificatifs. Ce sont d’ailleurs des phrases ou citations allant dans le sens
du gouvernement ou de l’émotion qui viennent clore les articles, loin de représenter des
ouvertures critiques.
Libération, au contraire, ne va pas dans le sens du consensus et semble chercher à
révéler la face cachée des événements, en retirant toutes les significations possibles. Les
oppositions les plus intattendues et les plus virulentes apparaissent en force et l’ironie ne
manque pas de recadrer la version officielle dans un contexte de calcul politique.
Le Monde, de centre-gauche, se situe entre ces deux lignes éditoriales, parfois plus
proche de l’un ou de l’autre. Proche de Libération par la dimension critique de certains
articles, il se rapproche du Figaro par le choix des thèmes traités et par l’émergence
de certaines figures, comme celle de l’homme. Comme Libération, il procède à des
recontextualisations, mettant à jour des mises en scènes politiques ou des stratégies
de communication. Les deux quotidiens offrent ainsi un aperçu de la mise en scène
des allocutions présidentielles par une description du décors et sa signification dans
l’intervention.
De façon générale, la critique est plus virulente dans Libération, et bien plus modérée
dans le Figaro, qui se contente souvent de relater des faits. Le Monde se rapproche parfois
de Libération, mais dans une moindre mesure. La figure de Jacques Chirac y est traitée
avec plus de respect, alors que Libération n’hésite pas à ironiser sur le chef de l’Etat et à
employer des qualificatifs très familiers. Au contraire, le Figaro évoque Jacques Chirac, d’un
point de vue plus proche et indulgent, déviant parfois vers la focalisation interne.
70
REMUSAT Cécile_2007
Conclusion
Le Monde semble donc avoir un soucis d’éclairer quand le Figaro semble vouloir se faire
le témoin des derniers mois de présidence de Jacques Chirac. C’est ainsi que, dans une
dimension plus analytique, le Monde, remet généralement les citations dans leur contexte
quand celui-ci peut les éclairer. Par exemple, quand Jean-Marie le Pen déclare qu’il croit
en une nouvelle candidature de jacques Chirac, le Monde souligne ainsi qu’il est plus
« commode » pour lui de le croire, laissant entendre l’intérêt qu ‘aurait Le Pen à faire mine
de croire en cette candidature même s’il n’en est rien.
Il apparaît aussi important d’observer la structure des analyses, les termes en début
et fin d’article. Le Monde et Libération terminent ainsi souvent sur des interrogations,
des marques d’ironie. Les chutes évoquent une ouverture sur l’avenir, en l’occurrence les
prochaines élections. Au contraire, le Figaro conclut sur des faits présents ou passés,
dans une approche toujours factuelle. Les interrogations sont absentes, contrairement aux
citations sur Jacques Chirac. Celles-ci s’avèrent d’ailleurs rarement critiques.
La figure du candidat, de l’homme politique en opposition à un autre, du président en
exercice et du président en fin de règne disparaissent avec les événement.
Le candidat n’est plus quand Jacques Chirac annonce, tardivement, ses intentions.
Avec cette décision, l’affrontement avec Nicolas Sarkozy s’évanouit, et avec lui la figure
du politique en opposition un autre. A partir de cette période, le traitement médiatique de
Jacques Chirac se réduit au strict minimum.
La figure du président en exercice meurt le jour de la fin de son mandat. Il perd la
55
dimension symbolique du chef d’Etat. Comme le précise Pierre Bourdieu , qui éclaire la
théorie des deux corps du roi de Kantorowicz, « selon la logique de la «bulle spéculative»
chère aux économistes, un souverain est fondé à se croire roi parce que les autres croient
(au moins dans une certaine mesure) qu'il est roi, chacun devant compter avec le fait que
les autres comptent avec le fait qu'il est le roi ».
Et Jaques Chirac perd cette position suprême le jour où lui succède Nicolas Sarkozy.
Le symbole lié à sa fonction prend fin avec celle-ci. Jacques Chirac quitte l’Elysée comme
il quitte la présidence.
La fin du mandat de jacques Chirac marque donc une mort symbolique , la fin de l’un
des deux corps du roi décrits par Kantorowicz. Son salut de la main, le jour de son départ
de l’Elysée, devient simplement le salut d’un homme à d’autres, et non plus le salut d’un
président à son peuple. Il est le premier, comme le font remarquer les médias, à choisir
de quitter le pouvoir et de laisser la place. Charles de Gaulle a perdu le référendum qu’il
souhaitait gagner, Georges Pompidou est décédé, Valéry Giscard d’Estaing a échoué aux
élections, et François Mitterrand était trop malade pour se représenter.
Le 16 juin 2007 (un mois après la fin de son mandat) l’immunité de jacques Chirac arrive
à son terme et ce retour au statut de simple citoyen fait resurgir dans la presse la figure du
politicien malhonnête. Le 19 juillet 2007, Jacques Chirac est entendu par la justice dans ses
bureaux de la rue de Lille. Cette audition porterait sur l'affaire des emplois fictifs du RPR.
Du président intouchable, Jacques Chirac devient le président coupable qui devra
répondre devant la justice. Il redevient un homme comme les autres, avec une exception :
le souvenir qu il laissera. Car le symbole de la fonction demeure, même si Jacques Chirac
n’est plus celui qui la remplit. Un ancien président de la République, même s’il perd toute
immunité, garde ce titre honorifique. C’est ainsi que subsistent deux figures et qu’en apparaît
une nouvelle.
55
Pierre BOURDIEU, De la maison du roi à la raison d’Etat, Actes de la recherche en sciences sociale, 96-97, mars 1993
REMUSAT Cécile_2007
71
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Le président coupable demeure une figure d’actualité puisqu’un mois à peine après la
fin de son mandat Jacques Chirac est entendu par des juges.
A l’opposé, la figure de l’homme perdure elle aussi puisque Jacques Chirac est
débarrassé de son corps symbolique. Les figures de père, grand-père mari, si inhabituelles
du temps de sa présidence, deviennent la seule identité du simple citoyen qu’il est redevenu.
Une identité qu’il a lui même réactivée avant la fin de son mandat.
Et une nouvelle figure apparaît : celle du président du passé. Comme ses
prédécesseurs, Jacques Chirac entre dans l’Histoire. Dès lors, le tâche reviendra aux
Historiens, avec la distance et la méthode de leur discipline, de se pencher sur d’autres
figures de Jacques Chirac.
72
REMUSAT Cécile_2007
Bibliographie
Bibliographie
Ouvrages
Henri AMOUROUX, Trois fins de règne, éditions Jean-Claude Lattès, collection Essais
et documents , 2007
Franz-Oliver GIESBERT, La Tragédie du Président, Scènes de la vie politique
1986-2006, Flammarion, 2006
Brigitte LE GRIGNOU et Erik NEVEU, Emettre la réception, préméditations et
réceptions de la politique télévisée
Dominique MEHL, La télévision de l’intimité , Seuil, 1996
Pierre PEAN, L’inconnu de l’Elysée , Fayard, 2007
Revues
Annie COLLOVALD, Actes de la recherche en sciences sociales , numéro 73,1988
Annie COLLOVALD et Erik NEVEU, Les « Guignols » ou la caricature en abîme, revue
Mots, numéro 48, septembre 1996
Pierre BOURDIEU, De la maison du roi à la raison d’Etat, Actes de la recherche en
sciences sociales, 96-97, mars1993
Ernst KANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, 1957
Documentaires
Patrick ROTMAN,Chirac, le vieux lion, documentaire,octobre 2006
Karl ZERO, Michel ROYER, Dans la peau de Jacques Chirac , mai 2006
Bande dessinée
Bruno GACCIO, La Succes Story du président, éditions Hoëbeke, Paris, 2006
Emission télévisée
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73
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Les Guignols de l’info, Canal +, 2006
Hebdomadaire
Paris-Match, numéro 3017 du 15 mars 2007
Interviews
Entretien avec Patrick Rotman, réalisé par Christophe Kechroud-Gibassier pour France
2, octobre 2006
Canalacadémie.com, interview d’Henri Amouroux sur son ouvrage Trois fins de règne,
consulté le 7 août 2007
74
REMUSAT Cécile_2007
Corpus
Corpus
Le Monde
« Vladimir Poutine voulait fêter à Riga l’anniversaire de Jacques Chirac », 30 novembre 2006
« Les confidences très encadrées du couple Chirac »,13 février 2007
«Dans la famille Chirac, le petit-fils », 8 avril 2007
«Adieu, veaux, vaches cochons ! », 6 mars 2007
«Lors des derniers vœux du quinquennat, M.Chirac a fixé cinq « enjeux majeurs » de
er
la campagne 2007 »,1 janvier 2007
«Chirac profite de ses vœux pour mettre en garde Sarkozy »,3 janvier 2007
«Jacques Chirac invite les Justes au Panthéon et invite la France à regarder son histoire
« en face »», 18 janvier 2007
«Tu me vois dire à Chirac « tu me soutiens je t’amnistie » ?», 13 avril 2007
« Une déclaration d’amour et cinq recommandations à la France et aux Français», 13
mars 2007
Le Figaro
« Un anniversaire très diplomatique pour Chirac », 29 novembre 2006
« Jacques Chirac commence à évoquer l’après », 9 février 2007
«Le grand-père Chirac et le petit fils Martin », 4 avril 2007
«Les adieux de Chirac au Salon de l’agriculture», 5 mars 2007
« Chirac se donne 15 jours pour cadrer le débat », 2 janvier 2007
«La mise en garde de Chirac aux ministres », le 3 janvier 2007
«En rendant hommage aux Justes France, Chirac parachève le travail national de
mémoire », 18 janvier 2007
«L’Elysée dénonce le « procédé scandaleux » du Canard »,11 avril 2007
« Jacques Chirac ne briguera pas un nouveau mandat », 12 mars 2007
Libération
« 74 ans aujourd'hui, et après? », 29 novembre 2006
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
« Chirac fait un pas vers la non-candidature » 8 février 2007
« A Bayonne, la dernière revue du soldat Chirac »,4 avril 2007
« Chirac passe hors-champ», 5 mars 2007
er
« Chirac en fausse vraie campagne», 1 janvier 2007
«Les vœux venimeux de Chirac à Sarko »,3 janvier 2007
«Les Justes de France honorés au Panthéon» ,18 janvier 2007
«L’amnistie, cadeau d’adieu à Chirac» ,12 avril 2007
« Chirac, derniers feux plein d’amour », 12 mars 2007
76
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
Annexes
Annexe 1
Biographie de jacques chirac
Jacques René Chirac, né le 29 novembre 1932 à Paris, est un homme d'État français,
qui exerce les fonctions de Président de la République française depuis le 17 mai 1995. Il
a été Premier ministre de 1974 à 1976 et de 1986 à 1988.
Débuts (1932-1967)
Né le 29 novembre 1932 à Paris, Jacques René Chirac est le fils d'Abel François Chirac
(1893-1968), administrateur de société, et de Marie-Louise Valette (1902-1973), femme au
foyer. Tous deux proviennent de familles de paysans — même si ses deux grands-pères
sont instituteurs — de Sainte-Féréole, en Corrèze.
Fils unique, il étudie à Paris au lycée Carnot puis entre au lycée Louis-le-Grand.
Après son baccalauréat, il fait une campagne de trois mois comme matelot sur un navire
charbonnier. Il intègre en 1951 l'Institut d'études politiques de Paris, où il rencontre sa
futre épouse, et dont il est diplômé en 1954. Durant cette période, brièvement, il milite
dans la mouvance du Parti communiste, vend L'Humanité rue de Vaugirard, et participe
au moins à une réunion de cellule communiste. Il signe en 1950 l'Appel de Stockholm,
contre l'armement nucléaire, d'inspiration communiste, ce qui lui vaudra d'être interrogé
lorsqu'il demandera son premier visa pour les États-Unis, pays pour lequel il nourrit une
réelle admiration. Il suit durant l'été 1953 la « Summer school » de Harvard, à Boston.
Ses fiançailles avec Bernadette Chodron de Courcel sont célébrées le 17 octobre
1953. À l'automne 1954, il est reçu à l'ENA, avant d'être classé premier à l'École de la
Cavalerie (i.e. les blindés) de Saumur. On lui refuse cependant le grade d'officier en raison
de son passé communisant et il faut l'intervention des relations de la famille de sa fiancée
pour l'obtenir. Il en ressort sous-lieutenant de cavalerie. En 1954, il soutient une thèse
de géographie économique à l'Institut d'études politiques de Paris, intitulée Le port de La
Nouvelle-Orléans, dirigée par le professeur Jean Chardonnet.
Le 16 mars 1956, il épouse Bernadette, malgré les doutes de la famille de celle-ci face
au jeune homme issu d'une famille de paysans, et a avec elle deux filles, Laurence (1958)
et Claude (1962).
Juste après son mariage, de 1956 à 1957, il effectue son service militaire. En tant que
jeune diplômé prometteur, il aurait pu éviter de faire la guerre d'Algérie (pendant 18 mois),
mais il se porte volontaire et est affecté 2e Chasseur d'Afrique (il est en poste à Souk-elBarba). Il est libéré de son service le 3 juin 1957. Jacques Chirac explique qu'il n'est devenu
gaulliste qu'en 1958, et qu'en 1947, il a pris sa carte du Rassemblement du peuple français
« sans savoir ce [qu'il] faisait ».
Il rejoint en 1957 l'École nationale d'administration dans la promotion Vauban, dont il
sort dixième en 1959, celle-ci étant détachée en Algérie par Charles de Gaulle entre le 17
avril 1959 et avril 1960. Jacques Chirac est détaché en tant que « renfort administratif »,
auprès du directeur général de l'Agriculture en Algérie, Jacques Pélissier.
REMUSAT Cécile_2007
77
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
À son retour en France métropolitaine, Jacques Chirac est nommé auditeur à la Cour
des comptes et devient maître de conférences à l'Institut d'études politiques. En juin 1962,
il devient chargé de mission (pour la « construction, les travaux publics, et les transports
») auprès du secrétariat général du gouvernement Pompidou, puis au cabinet du Premier
ministre. Un an plus tard, il est conseiller référendaire à la Cour des comptes. En 1965, il est
élu conseiller municipal de Sainte-Féréole, en Corrèze, berceau de la famille Chirac, sans
qu'il se soit présenté. Un an plus tard, Georges Pompidou l'envoie en Corrèze arracher la
circonscription d'Ussel (Corrèze) à l'opposition. Bénéficiant du soutien de Marcel Dassault et
de son journal, menant une campagne acharnée, il bat son adversaire du Parti communiste
français de justesse, dans un bastion du parti.
Ministères (1967-1976)
Moins d'un mois plus tard le 8 mai 1967, Jacques Chirac — surnommé « mon bulldozer
» par Georges Pompidou — est nommé secrétaire d'État à l'Emploi, dans le gouvernement
Pompidou (et servira encore dans tous les gouvernements successifs, dirigés par Maurice
Couve de Murville, Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer jusqu'en 1974). L'une de
ses premières réalisations est la création de l'Agence nationale pour l'emploi. Durant mai
1968, il joue un rôle important lors des Accords de Grenelle. Aussitôt après mai 68, il est
nommé secrétaire d'État à l'Économie et aux Finances, chapeauté par le jeune ministre
Valéry Giscard d'Estaing. Les deux hommes se méfient l'un de l'autre tout en travaillant
ensemble : Jacques Chirac n'est pas mis dans la confidence de la dévaluation du franc,
en 1969.
En 1971 il devient ministre chargé des relations avec le Parlement, puis, le
5 juillet 1972, il est nommé ministre de l'Agriculture et du Développement rural, dans le
gouvernement Messmer, où il se fait remarquer en obtenant massivement les voix des
agriculteurs. En novembre 1973, soutenu par le Président, il revient sur des décisions de
Valéry Giscard d'Estaing, alors en voyage.
En mars 1974, probablement à la suite de l'affaire des écoutes du Canard enchaîné, il
« échange » son poste avec celui de Raymond Marcellin, jusque-là ministre de l'Intérieur. À
la mort de Georges Pompidou, peu de temps après, il choisit de soutenir Pierre Messmer,
un temps candidat, puis Valéry Giscard d'Estaing contre le candidat gaulliste Jacques
Chaban-Delmas. Il rallie contre ce dernier 43 députés et contribue ainsi largement à la
victoire de Valéry Giscard d'Estaing à l'élection présidentielle. Il bénéficie aussi d'une bonne
connaissance du terrain et des élus locaux acquis en moins de deux ans au ministère de
l'Agriculture, et surtout de sa position dans un ministère « stratégique » où il a la haute main
sur les préfets, les Renseignements généraux, etc.
Le 27 mai 1974, en raison de son rôle décisif dans son élection, Valéry Giscard
d'Estaing nomme Jacques Chirac Premier ministre. Il conserve l'appui de l'Union pour la
défense de la République (qui ne compte que cinq ministres) dont il devient le secrétaire
général, sans même en avoir été membre. À Matignon, il instaure un style détendu et
studieux, tout en débutant un bras de fer avec le Président.
Jacques Chirac se voit imposer par le président un grand nombre de ministres qu'il
n'apprécie pas. C'est notamment le cas de Michel Poniatowski et Jean-Jacques ServanSchreiber, tous deux fermement anti-gaullistes. Jacques Chirac se débarrasse rapidement
du co-fondateur de L'Express sur la question des essais nucléaires. « JJSS » y est opposé
et le fait savoir, ce qui le pousse à la démission. Pour le remplacer, Valéry Giscard d'Estaing
impose à Jacques Chirac le second co-fondateur de L'Express en la personne de Françoise
Giroud, qui devient secrétaire d'État.
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REMUSAT Cécile_2007
Annexes
Les réformes entreprises par Valéry Giscard d'Estaing surprennent puis agacent les
gaullistes, comme la majorité à 18 ans, la loi sur l'avortement, l’extension de la couverture de
sécurité sociale,ou la « poignée de main » à des détenus en prison. L'UDR n’apprécie pas
des mesures qui vont à l'encontre des idéaux de l'électorat de droite. Les deux conseillers
personnels de Jacques Chirac, Pierre Juillet et Marie-France Garaud, le poussent à la
rupture avec Valéry Giscard d'Estaing.
Le 11 janvier 1976, le Président effectue un remaniement ministériel contre l'avis du
Premier ministre, qui dénonce le pouvoir exercé par Valéry Giscard d'Estaing et demande
une refonte complète de sa politique. Après une rencontre au fort de Brégançon, Jacques
Chirac décide de démissionner de son poste, geste qu'il annonce le 25 août 1976. Il déclare
à la télévision : « Je ne dispose pas des moyens que j’estime aujourd'hui nécessaires pour
assumer efficacement mes fonctions de Premier ministre et dans ces conditions, j'ai décidé
d'y mettre fin ». Jacques Chirac aurait affirmé à Valéry Giscard d'Estaing « qu'il voulait quitter
la vie politique […] et qu'il s'interrogeait sur sa vie, et qu'il parlait même de monter une
galerie d'art ».
Maire de Paris, vers l'Élysée (1976-1995)
Après avoir annoncé sa candidature au poste de Maire de Paris, il crée le
Rassemblement pour la République. Ce parti gaulliste reprend les bases de l'UDR et
Jacques Chirac en devient le président. Le 20 mars 1977, malgré l'opposition de Raymond
Barre qui soutient Michel d’Ornano, il devient le premier maire de Paris. Ce poste,
nouvellement créé,représente quinze milliards de francs de budget, 40 000 fonctionnaires.
C'est un tremplin électoral de première importance.
En vue des élections présidentielles de 1981, Jacques Chirac fait du RPR une
puissante machine politique, toujours dans la majorité et, avec 150 députés,plus importante
que l'Union pour la démocratie française (parti créé en 1978 pour soutenir l'action du
Président).
Le 26 novembre 1978, Jacques Chirac est victime d'un accident sur une route de
Corrèze et est transporté à l'hôpital Cochin à Paris. De là, il lance l'« Appel de Cochin »
qui dénonce le « parti de l'étranger », c'est-à-dire l'UDF. En 1979, il échoue aux élections
européennes, sa liste ne recueillant que 16,3 % des voix, derrière les 27,6 % de Simone
Veil, tête de liste de l'UDF. Lors des élections présidentielles, il fait campagne sur le sujet
de la réduction des impôts — suivant l'exemple de Ronald Reagan — obtient 18 % des
voix au 1er tour, et se retrouve largement distancé par Valéry Giscard d'Estaing (28 %) et
François Mitterrand (26 %), qui remporte le second tour. Il annonce que « personnellement
» il votera pour le chef de l'UDF. Ses militants retiennent le peu de conviction du message.
Selon Valéry Giscard d'Estaing, Raymond Barre et Christian Bonnet, la permanence du RPR
conseille de voter pour François Mitterrand entre les deux tours. La stratégie de Jacques
Chirac aurait été de faire élire François Mitterrand puis d'essayer d'obtenir une nouvelle fois
la majorité au parlement, François Mitterrand étant obligé de dissoudre la chambre issue
de 1978. La présence de ministres communistes créerait chez les français,aurait-t-il pensé,
un sentiment de peur comparable à celui de mai 1968, ce qui provoquerait un nouveau
raz-de-marée gaulliste. Pierre Messmer confirme cette version des faits. Jacques Chirac
rencontre François Mitterrand par l'intermédiaire d'Edith Cresson. Le candidat socialiste est
élu. Affaibli par sa défaite, le RPR ne remporte que 83 sièges aux élections législatives.
Jacques Chirac est l'un des rares de son camp à voter pour l'abrogation de la peine de mort
(contre l'avis de la majorité des français). Il devient cependant de plus en plus populaire chez
les électeurs de droite comme maire de Paris, notamment en développant une politique de
transports en commun, en venant en aide aux personnes âgées, aux handicapés et aux
REMUSAT Cécile_2007
79
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
mères célibataires, tout en incitant les entreprises à rester dans la ville mais en organisant
la destruction des quartiers populaires . En 1983, il est réélu en remportant la totalité des
vingt arrondissements. Il devient le chef de l'opposition. En mars 1986, lors des élections
législatives à la proportionnelle, l'union RPR-UDF obtient de justesse la majorité et survient
la première « cohabitation ». Jacques Chirac, chef de la majorité, devient Premier ministre.
La cohabitation est l'occasion d'une opposition permanente entre le Premier ministre
et le Président. François Mitterrand. Ce dernier critique ouvertement l'action de son Premier
ministre, se pose en président impartial. Il refuse de signer des ordonnances et Jacques
Chirac doit recourir à l'article 49 alinéa 3. La stratégie du Président favorise la lassitude de
l'opinion vis-à-vis de la méthode et des réformes du gouvernement, et le Premier ministre
doit se résoudre à en abandonner certaines. Il réussit à freiner la progression du chômage,
mais pas à la stopper. Il paye également la défiance de la jeunesse, à laquelle son ministre
Alain Devaquet s'est heurté en novembre 1986 et l'image de son ministre Charles Pasqua,
populaire à droite mais détesté à gauche. Ce dernier négocie en secret la libération des
otages du Liban. La version officielle, commune dans les affaires de prise d'otages, est qu'il
n'y a pas eu de rançon ; on accuse le Premier ministre d'avoir vendu la technologie nucléaire
française à l'Iran et de vouloir manipuler l'opinion publique.
Confronté à la remontée spectaculaire de François Mitterrand dans les sondages,
Jacques Chirac se lance dans une tournée dans toute la France pour expliquer sa politique.
Au premier tour, il obtient seulement 19,9 % et est talonné à droite par Raymond Barre qui
en attire 16,5 %, et se trouve largement distancé par François Mitterrand et ses 34,1 %.
Selon Éric Zemmour, il rencontre Jean-Marie Le Pen à deux reprises chez le général De
Bénouville durant l'entre-tour, par l'entremise de Charles Pasqua. Jacques Chirac le nie ;
depuis cette date, Jean-Marie Le Pen nourrit une rancune pour Jacques Chirac. Il affronte le
Président sortant lors d'un débat télévisé rugueux, durant lequel François Mitterrand affirme
« dans les yeux » qu'il n'était pas au courant des tractations pour libérer les otages. Jacques
Chirac subit une défaite au second tour en n'obtenant que 45,98 % des voix.
Son camp est démoralisé, et sa femme va jusqu'à affirmer : « les Français n'aiment pas
mon mari ». De nouveau dans l'opposition, il reste maire de Paris, réélu triomphalement
en 1989 et travaille à se maintenir en tête de l'opposition. En 1991, il déclare qu'il est «
absolument hostile au plan Delors tendant à instituer en Europe une monnaie unique ».
Passionné par les arts premiers tout comme par les Indiens d'Amérique, il écrit au roi
d'Espagne pour expliquer son refus de participer aux commémorations en mémoire du
génocide de ce peuple.
Face aux grandes difficultés du gouvernement de gauche, il participe à la campagne
législative de 1993 qui voit la victoire écrasante de la droite. Échaudé par l'expérience
précédente, il préfère rester en retrait et laisse Édouard Balladur devenir Premier ministre,
formant ainsi la seconde cohabitation. L'accord tacite entre les deux hommes est simple :
à Édouard Balladur Matignon, à Jacques Chirac l'Élysée en 1995.
Cependant Édouard Balladur, au vu de sa popularité, décide de se présenter aux
élections présidentielles : les partisans du président du RPR crient à la trahison, d'autant
que le Premier ministre entraîne avec lui une partie des élus dont Nicolas Sarkozy et Charles
Pasqua. Philippe Seguin, un temps hésitant, se lance dans la bataille auprès du candidat
« légitime » et devient avec Alain Juppé et Alain Madelin un des principaux soutiens de
Jacques Chirac. Celui-ci entame une campagne dynamique et centrée sur le thème de la
« fracture sociale ». Jacques Chirac réussit à devancer Édouard Balladur au premier tour,
avant de remporter le second face à Lionel Jospin, candidat des socialistes, avec 52,64 %
des voix : il devient président de la République.
80
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
Premier mandat de président de la République (1995-2002)
À son arrivée à l'Élysée, le 17 mai, il nomme Alain Juppé Premier ministre. Ce dernier
met l'accent sur la lutte contre le déficit de l'État afin de respecter le pacte de stabilité de
l'Union européenne et d'assurer l'arrivée de l'Euro.
Le 17 juillet 1995 à l'occasion du 53e anniversaire de la rafle du vélodrome d'hiver,
il reconnait « la faute collective » de la France et déclare : « ces heures noires souillent
à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie
criminelle de l'occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par
l'État français ».
Dès juillet 1995, une de ses toutes premières décisions est d'effectuer une ultime
campagne d'essais nucléaires avant la signature du TICE, afin de permettre au CEA
de développer son programme Simulation. Cette décision, arrivée au moment du
cinquantenaire des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, provoque un tollé, en
particulier en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Japon, aux États-Unis et dans les milieux
écologistes, sans qu'il cède.
La politique internationale de la France change subitement en Yougoslavie, où le
Président ordonne des représailles suite au meurtre de soldats français, conjointes avec
l'OTAN, qui met fin à la guerre civile. Il mène parallèlement une politique qui le rapproche
des pays arabes tout en travaillant au processus de paix dans le conflit israélo-palestinien.
La France rejoint le commandement intégré de l'OTAN.
De plus en plus impopulaire, le gouvernement d'Alain Juppé doit affronter des
grèves massives durant l'hiver 1995-1996, dues à la réforme des retraites du privé et
au gel du salaire des fonctionnaires. Devant l'essoufflement de sa majorité, il risque une
dissolution, attendue par beaucoup et probablement conseillée par Dominique de Villepin,
de l'Assemblée nationale le 21 avril 1997, soit onze mois avant la date prévue. Pris de
court, ni son parti ni son électorat ne comprennent son geste tandis que l'opposition crie à
la manœuvre. Les élections qui suivent voient la victoire de la gauche plurielle, menée par
Lionel Jospin. Jacques Chirac nomme ce dernier Premier ministre.
La troisième cohabitation est bien plus longue que les précédentes, puisqu'elle dure
cinq ans. Le Président et le Premier ministre tentent de parler d'une seule voix dans le cadre
de l'Union européenne ou de la politique étrangère, se rendant ensemble aux sommets
européens (comme lors des deux autres cohabitations), même si des passes d'armes
verbales surviennent parfois entre les deux hommes.
C'est à cette époque qu'éclatent les affaires politico-financières au sujet du RPR et de la
mairie de Paris (dont l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris). Le 21 septembre 2000,
est publié dans le journal Le Monde un aveu posthume de Jean-Claude Méry, promoteur et
financier occulte du RPR, lequel accuse Jacques Chirac, alors maire de Paris, d'avoir été au
cœur du système. Le RPR (tout comme l'UDF, le PS et le PC) est accusé d'avoir alimenté
son budget à l'aide de commissions versées par des entreprises du bâtiment auxquelles la
région Île-de-France a confié en contrepartie d'importants travaux publics. Jacques Chirac
était alors le président du RPR. Il était également maire de Paris lors des faits de l'affaire des
faux électeurs du Ve arrondissement. Une enquête a lieu dans le cadre du financement de
voyages en avion à caractère privé de l'ancien maire. Bertrand Delanoë, nouveau maire de
Paris, ignorant ces premières accusations, rend public durant la campagne présidentielle
de 2002 un rapport détaillant les 2,13 millions d'euros (soit 700 euros par jour) dépensés en
« frais de bouche » par Jacques Chirac et sa femme entre 1987 et 1995 ; un non-lieu pour
prescription est prononcé par le juge d'instruction Philippe Courroye en 2003.
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
À l'initiative d'un député socialiste, Arnaud Montebourg, trente députés (dix-neuf PS,
quatre Verts, quatre radicaux, deux PCF et un MDC) déposent une motion demandant la
traduction de Jacques Chirac devant la Haute cour. La motion est rejetée. Dans une décision
du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel, présidé alors par Roland Dumas, confirme au
président son immunité telle qu'elle est définie dans la constitution.
Le 24 septembre 2000 la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans est adoptée
par un référendum marqué par une abstention record.
Le gouvernement de Lionel Jospin connaît une popularité importante, marquée par
la loi des 35 heures, la baisse du chômage et la reprise économique mondiale de la fin
du siècle. Partant favori, le Premier ministre décide de rétablir le calendrier initial des
élections (la présidentielle avant les législatives) et surtout obtient du Président, d'abord très
réticent, qu'il propose la modification de la Constitution pour transformer le septennat en
quinquennat. Face à la pression de ses soutiens, les sondages lui étant peu favorables, il
décide d'annoncer plus tôt que prévu sa candidature pour les élections de 2002, à Avignon,
devançant ainsi Lionel Jospin. S'appuyant sur la jeune garde des députés RPR, il favorise
la formation progressive d'un nouveau parti qui doit voir la fusion du RPR, de l'UDF et de
Démocratie Libérale : l'Union pour une majorité présidentielle. Les futurs éléments de ce
nouveau parti (que l'UDF, dirigée par François Bayrou, refuse de rejoindre) développent les
thèmes de la sécurité et de la baisse des impôts.
Après un début de campagne mitigé, Jacques Chirac profite de certaines erreurs de
Lionel Jospin, qui l’avait qualifié de «président vieilli et usé ». Fort de sa grande expérience
des campagnes présidentielles, Jacques Chirac mène alors une campagne dynamique,
notamment sur les thèmes de la baisse des impôts (promesse de baisse de 33 % de l'impôt
sur le revenu) et de l'insécurité, très largement relayé et diffusé par les médias (les Guignols
de l'info de Canal + accusent TF1 et son journal de 13h d'amplifier le mouvement ; la gauche
parle de « sentiment d'insécurité ») qui multiplient le temps d'audience sur le sujet et celui
de la violence urbaine. Lionel Jospin voit dans le même temps sa campagne s'essouffler.
Le 21 avril, c'est la surprise, « comme un coup de tonnerre » : Lionel Jospin est battu
dès le premier tour. Jacques Chirac, arrivé en tête avec 19,88 % (le plus faible score
pour un président sortant) se voit opposé à Jean-Marie Le Pen. Souvent décrit comme
un antiraciste viscéral, assuré de l'emporter, il décide de refuser de débattre avec son
adversaire, déclarant que « face à l'intolérance et à la haine, il n'y a pas de transaction
possible, pas de compromission possible, pas de débat possible ».
Il laisse la gauche et la jeunesse manifester en appelant à voter pour lui (le slogan de
ses opposants les plus farouches est « Votez escroc, pas facho »), et demeure président
avec un score sans commune mesure : 82,21 %.
Second mandat de président de la République (depuis 2002)
Lionel Jospin lui ayant aussitôt remis sa démission, il nomme un membre de
Démocratie libérale, Jean-Pierre Raffarin comme Premier ministre, lequel gouverne par
ordonnances pendant quelques semaines : l'UMP, alors créée, remporte largement les
élections législatives suivantes, et obtient la majorité absolue à l'Assemblée Nationale, avec
365 des sièges. Jacques Chirac peut à nouveau s'appuyer sur cette majorité parlementaire.
Il s'appuie aussi sur un groupe de députés UDF réduit à 30 membres, et nomme un seul
ministre de ce parti, Gilles de Robien, député-maire d'Amiens.
Jean-Pierre Raffarin entame la mise en œuvre de certaines des promesses de la
campagne : baisse de l'impôt sur le revenu et multiplication d'actions ciblées contre la
délinquance, avec son très médiatique et populaire ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy,
82
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
et conte l'insécurité routière, avec le ministre des transports Gilles de Robien. Viendront
ensuite l'assouplissement des 35 heures, la réforme des retraites et de la sécurité sociale,
la décentralisation. La situation internationale, marquée par l'attentat du 11 septembre,
voit l'intensification de la politique étrangère du président des États-Unis, George W. Bush.
Si Jacques Chirac l'avait soutenu lors de l'intervention en Afghanistan, il n’e va pas de
même pour l’Irak. Jacques Chirac place la France, aux côtés de l'Allemagne dirigée par
Gerhard Schröder, la Russie dirigée par Vladimir Poutine et la Chine Populaire de Hu
Jintao, comme l'opposante principale des États-Unis contre l'invasion de l'Irak. Épaulé par
son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, il obtient que les États-Unis
passent par l'ONU avant toute intervention. Profitant d'un large consensus national sur la
question, Jacques Chirac se fait le chantre d'un « monde multipolaire ». Soutenu par les
opinions publiques européennes mais seulement par quelques dirigeants (le belge Guy
Verhofstadt et l'allemand Gerhard Schröder), il s'oppose aux États-Unis, soutenu par huit
gouvernements ouest-européens (dont la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne) et dix pays
est-européens et laisse entendre qu'il utilisera son droit de veto au Conseil de sécurité des
Nations unies "quelles que soient les circonstances". Cette annonce lui vaut une campagne
hostile, notamment dans une partie des médias anglo-saxons (The Sun titre alors « Chirac
is a worm » — « Chirac est un ver »). Les relations avec les États-Unis deviennent plus que
tendues, ne commençant à se normaliser qu'à partir de la commémoration du débarquement
en Normandie, quinze mois plus tard.
Au lendemain d'une défaite massive aux élections cantonales et régionales de 2004 (2O
des 22 régions de France métropolitaine passent ou repassent à gauche), il nomme Nicolas
Sarkozy ministre d'État, ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie : la plupart
des éditorialistes politiques (dont ceux du Canard enchaîné, du Nouvel observateur et de
l'Express) y voient un moyen de contrer sa popularité toujours aussi forte (contrairement
à celle du Premier ministre, au plus bas dans les sondages). Face aux ambitions
présidentielles affichées par Nicolas Sarkozy, il le met en demeure, lors de son allocution du
14 juillet 2004, de choisir entre son fauteuil et le poste de président de l'UMP. En novembre,
Nicolas Sarkozy est élu président du parti et quitte son ministère, alors confié à Hervé
Gaymard. En février 2005, celui-ci est contraint à la démission suite à un scandale très
médiatisé et est remplacé par le PDG de France Télécom, Thierry Breton.
Pour impliquer les Français dans la Constitution européenne, Jacques Chirac décide
qu'un référendum sera organisé pour la ratification de celle-ci, à organiser au plus vite afin de
remporter le scrutin. Désormais favorable à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne,
il voit une partie de sa majorité s'opposer à cette perspective, ce qui vient brouiller les cartes
du référendum : le 17 décembre 2004, les vingt-cinq décident l'ouverture de négociations
avec la Turquie. Le projet de directive Bolkestein détourne une partie de l'inquiétude sociale
grandissante sur l'Europe, malgré les tentatives de désamorçage du président. Et Jaques
Chirac apparaît comme déconnecté des attentes sociales, notamment des jeunes, lors
d'un débat télévisé bien encadré, le 14 avril 2005 sur TF1. Dans un contexte de quasiunanimmité en faveur du "oui" des partis de gouvernement et des médias, les sondages
s'inversent trois fois, le débat enflamme les Français et mobilise les médias jusqu'au jour du
référendum. Le 29 mai 2005, après une campagne marquée par l'implication personnelle
du président, le « non » l'emporte avec 54,87 % des voix et avec une forte participation
de 69,74 %. Le surlendemain, Jean-Pierre Raffarin démissionne ; Jacques Chirac annonce
son remplacement par un duo formé par Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy : l'un
comme Premier ministre, l'autre comme ministre d'État, rejoignant le ministère de l'Intérieur.
La presse se déchaîne contre le peu de changement des membres du gouvernement mais
est intriguée par la « cohabitation » des deux (on parle de « vice-premier Ministre »).
REMUSAT Cécile_2007
83
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Jacques Chirac entame alors un bras de fer avec Tony Blair (qui prend la présidence
de l'Union), sur le budget de l'Union. Cette confrontation s'étend à la candidature de Paris
et Londres pour les Jeux Olympiques d'été de 2012 où les deux hommes s'impliquent
personnellement. Les Français partent favoris et espèrent contrer la morosité qui s'abat sur
le pays, mais, le 6 juillet, Londres est choisie par le CIO. Le 4 octobre 2005, lors d'un sommet
franco-italien, Jacques Chirac reproche à la Commission européenne de ne pas lutter contre
des licenciements chez Hewlett-Packard, ce qui fait réagir le président de la Commission qui
qualifie cette accusation de « démagogie », estimant que le sujet est du domaine national.
Depuis le référendum, les sondages de popularité le concernant sont au plus bas et ne
remontent que lentement. Le 2 septembre 2005, il est hospitalisé à l'hôpital militaire du Valde-Grâce, pour un accident vasculaire cérébral. Il en sort le 9 septembre 2005, mais ne doit
pas prendre l'avion pendant quelques semaines. Le premier ministre Dominique de Villepin
représente alors la France au sommet de l'ONU le 13 septembre 2005. Il peine à masquer
la rivalité qui l'oppose à Nicolas Sarkozy. Fin 2005, selon un sondage, 1 % des Français
souhaitent que Jacques Chirac soit le candidat de l'UMP à l'élection présidentielle de 2007.
La plupart des éditorialistes affirment que Jacques Chirac ne se représentera pas en 2007;
Jacques Chirac demande au début de l'année 2006 à Nicolas Sarkozy et Dominique de
Villepin, « de la retenue » en attendant que la question de sa succession vienne à l'ordre
du jour.
À partir de la fin du mois d'octobre 2005, suite à la mort de deux jeunes à Clichysous-Bois électrocutés en se réfugiant dans un transformateur EDF, puis à des déclarations
du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, les actes de violence se multiplient les nuits
suivantes, les médias finissant par parler d'émeutes, se propageant dans de nombreuses
banlieues en France (des milliers de voitures sont brûlées, des entreprises et bâtiments
publics sont détruits). Le 8 novembre, Jacques Chirac décrète en Conseil des ministres l'état
d'urgence (qui sera levé environ 2 mois plus tard, le 4 janvier 2006), les préfets pouvant
déclarer le couvre-feu dans toute ou partie du territoire. Jacques Chirac s'adresse pour la
première fois sur ces émeutes en banlieues directement aux Français via la télévision et la
radio le lundi 14 novembre, regardé par plus de vingt millions de télespectateurs.
En visite le 19 janvier 2006 à l'Île Longue, base opérationnelle des sous-marins
nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) français, Jacques Chirac y réaffirme les principes de la
politique de dissuasion nucléaire française, marquant une inflexion de la doctrine nucléaire
du pays : ne plus raisonner « du faible au fort » mais « du fort au fou », dans une période
marquée par le terrorisme et les ambitions nucléaires de pays comme l'Iran et la Corée
du Nord. Si les États-Unis et le Royaume-Uni réagissent positivement à cette annonce, la
classe politique allemande s'inquiète de cette position, alors que l'Iran proteste.
Après le Contrat nouvelle embauche (CNE), Dominique de Villepin décide, au début
de l'année 2006, de lancer un nouveau contrat de travail similaire, pour les jeunes, baptisé
Contrat première embauche (CPE). La mobilisation syndicale et étudiante contre ce projet
en particulier, et contre la dite loi pour l'égalité des chances plus généralement, se met
lentement en place mais finit par prendre des proportions très importantes, et le Premier
ministre est mis en difficulté. Jacques Chirac prend plusieurs fois la parole pour le soutenir,
mais n'intervient pas avant le 31 mars, où, dans une allocution devant 21 millions de
téléspectateurs, il annonce la promulgation de la loi qui contenait le CPE mais demande
de ne pas appliquer cette mesure en attendant une nouvelle loi sur le sujet, confiant le
dossier à l'UMP, ce qui fait dire à un proche de Nicolas Sarkozy : « en réalité, le CPE
est bel et bien suspendu, mais on ne le dit pas pour ne pas vexer Villepin ». La presse
se montre très critique sur ces demi-mesures et le 10 avril, le Premier ministre annonce
84
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
le remplacement rapide du CPE par une autre loi.
L'affaire Clearstream vient ensuite
bousculer l'emploi du temps du gouvernement. Dominique de Villepin, mais aussi Jacques
Chirac, sont soupçonnés par la presse d'avoir commandité des enquêtes confidentielles sur
des hommes politiques français, entre lesquels Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Chevènement
et Alain Madelin, qui ont été accusés anonymement et faussement d'avoir profité de
rétrocommissions en marge de l'affaire des frégates de Taiwan. Nicolas Sarkozy porte
plainte contre X en janvier 2006 pour « dénonciation calomnieuse », rapidement rejoint
par une série d'autres personnalités françaises. Enfin, le Canard enchaîné affirme dans
son édition du 10 mai 2006 que le procès-verbal du général Rondot, membre de la DGSE,
indiquait aussi que Jacques Chirac aurait détenu un compte de 300 millions de francs (45
millions d'euros) au Japon, à la Tokyo Sowa Bank appartenant à Soichi Osada, un ami de
Jacques Chirac (fait chevalier de la Légion d'honneur en 1994), arrêté en 2000 au Japon
pour faillite frauduleuse. Jacques Chirac nie aussitôt détenir tout compte au Japon, affirmant
que le Canard faisant référence à une enquête ouverte par la DGSE en 2000 (juste avant
la présidentielle) au sujet de comptes supposés qu'il aurait détenus au Japon, enquête qui
elle-même aurait été ouverte sur la base d'un article dans la presse japonaise.
Le mandat de Jacques Chirac se termine le 17 mai 2007.Le premier ministre lui remet
la démission de son gouvernement le 15 mai 2007 à la veille de la passation de pouvoir
entre le président sortant et Nicolas Sarkozy, nouvellement élu.
Il semble qu’il entende désormais se consacrer à une fondation pour le développement
durable et le dialogue des cultures. Celle ci devrait être fondée à l'automne 2007. Comme
tous les anciens Présidents de la République, il est désormais membre de droit à vie du
Conseil Constitutionnel.
Jacques Chirac, ne bénéficiant plus de l’immunité présidentielle, devrait aussi être
entendu par les juges concernant certaines affaire sur lesquelles il n’y a pas encore
prescription.
Annexe 2
Vladimir Poutine voulait fêter à Riga l'anniversaire de Jacques Chirac
Le Monde, le 30 novembre 2006
Rarement un hypothétique dîner d'anniversaire aura été autant commenté par les
diplomates ! Alors que l'OTAN tenait à Riga, en Lettonie, son premier sommet dans un
pays de l'ex-Union soviétique, avec comme thème principal l'Afghanistan, les délégations
bruissaient d'interrogations sur un autre sujet : Jacques Chirac allait-il marquer, mercredi 29
novembre, son 74e anniversaire en dînant à Riga en compagnie de Vladimir Poutine ?
Le président russe, s'indignaient en coulisses des représentants de pays esteuropéens, aurait trouvé là le moyen de s'inviter en terre balte dans le but de voler la vedette
à un sommet de l'OTAN, au moment où le Kremlin est mis en cause pour sa politique
énergétique agressive, et pour son rôle éventuel dans l'assassinat de la journaliste russe
Anna Politkovskaïa, ou encore dans l'empoisonnement de l'opposant Alexandre Litvinenko,
à Londres.
REMUSAT Cécile_2007
85
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Jacques Chirac était soupçonné par des représentants de nouveaux pays adhérant à
l'OTAN de se prêter avec complaisance à un acte de « russophilie » malvenu, et de faire
cavalier seul au sein de l'Alliance.
La réponse officielle est tombée mardi, dans la soirée. La présidence française
annonçait qu'un « projet de dîner » informel, qui aurait réuni mercredi à Riga M. Chirac, M.
Poutine et la présidente lettonne, Vaira Vike-Freiberga, n'avait « pas pu se concrétiser, pour
des raisons pratiques et logistiques ». Le Kremlin commentait de son côté que la rencontre
n'aurait « malheureusement » pas lieu. L'Elysée avait souligné, dans la journée, que l'idée
du dîner d'anniversaire émanait de la partie russe, mais que les modalités devaient encore
en être précisées. Entre-temps, l'information filtrait qu'un visa letton avait bien été délivré
au président russe.
Les raisons de l'annulation restaient, mercredi, assez mystérieuses, ni l'Elysée ni le
Kremlin ne souhaitant s'étendre sur les causes de cette confusion. De source américaine,
on cherchait à minimiser l'affaire, indiquant qu'un dîner d'anniversaire ne concernait « en
rien les enjeux du sommet de l'OTAN ». George Bush a déclaré à Riga que la porte de
l'OTAN restait ouverte pour des pays comme l'Ukraine et la Géorgie, une position qui ne
suscite guère d'enthousiasme côté français.
Les diplomates français entendaient conférer une portée « diplomatique et symbolique
» à l'éventuel dîner, soulignant que M. Poutine aurait ainsi effectué la première visite d'un
président russe dans un Etat balte depuis les indépendances en 1991. En 2005, M. Chirac
avait plaidé auprès de Mme Vike-Freiberga pour qu'elle accepte d'assister à Moscou aux
cérémonies du 9-Mai commémorant la fin de la seconde guerre mondiale, alors que les
responsables baltes demandaient en vain que M. Poutine dénonce le pacte RibbentropMolotov.
Mardi, le président russe participait en Biélorussie à un sommet de la Communauté des
Etats indépendants (CEI), au cours duquel il tentait de manifester une ligne plus conciliante
à l'égard de certaines Républiques ex-soviétiques, en annonçant notamment une levée de
l'embargo russe sur les vins moldaves...
Natalie Nougayrède
Annexe 3
Un anniversaire très diplomatique pour Chirac
Le Figaro, le 29 novembre 2006
Après les protestations américaines, Vladimir Poutine a annoncé qu'il renonçait
e
à un dîner prévu ce soir à l'occasion du 74
anniversaire de Jacques Chirac.
Jacques Chirac et Vladimir Poutine lors de leur dernière rencontre à Paris, le 23
septembre. (AP/P.Kovarick)
86
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
JACQUES Chirac est fidèle en amitié. Mais c'est avec un ami bien encombrant, Vladimir
e
Poutine, qu'il avait prévu de fêter, ce soir, son 74 anniversaire, à Riga, où se tient le
sommet de l'Otan. Mais hier soir, le Kremlin a finalement annoncé que le président russe
ne serait « malheureusement » pas de la fête. Le porte-parole adjoint du Kremlin, Dimitri
Peskov, a précisé à Moscou que des discussions avaient bien eu lieu en vue d'un tel
déplacement. « Mais compte tenu, malheureusement, de l'impossibilité de coordonner les
emplois du temps des chefs d'État, cette visite n'aura finalement pas lieu », a-t-il déclaré,
en des termes très diplomatiques. Il faut dire que l'éventualité de ce dîner à trois - puisque
la présidente lettone Vaira Kike-Freiberga devait être au nombre des convives - a, dès
dimanche, provoqué l'ire du président américain, George Bush. Embarrassée par l'ampleur
prise par cette affaire, la présidente lettone aurait ensuite hésité à délivrer un visa à Vladimir
Poutine, achevant de froisser la susceptibilité des Russes.
Initialement, Vaira Kike-Freiberga avait en effet prévu de faire un geste à un moment
ou à un autre, pour « souhaiter, avec les chefs d'État et de gouvernement présents, un bon
anniversaire » au président français. Le sommet devait se conclure par un déjeuner offert
à ses hôtes par la présidente lettone. Mais l'annonce du dîner Chirac-Poutine est venue
perturber ce bel ordonnancement.
Selon des responsables de l'Alliance, le président de la République aurait, dans un
premier temps, souhaité fêter son anniversaire dans un restaurant arménien de Riga, avec
ses plus proches partenaires européens et son homologue russe, mais sans Tony Blair ni
George W. Bush. Apprenant cela, le président américain serait intervenu pour contrecarrer
ce projet. L'Élysée présentait hier une version bien différente : « Le président Poutine a
exprimé le souhait de venir rencontrer le président de la République pour lui présenter ses
voeux, comme il lui est arrivé de le faire avec d'autres chefs d'État et de gouvernement »
et « l'idée a été lancée par la Russie d'un dîner à trois dont la présidente de Lettonie serait
l'hôte. »
Côté français, on se plaisait à souligner que ce dîner d'anniversaire avait en définitive
vocation à être un dîner de travail chargé d'une réelle « signification diplomatique ».
L'occasion d'évoquer à trois l'avenir de l'Otan et ses relations avec la Russie, l'unité et la
sécurité de l'Europe. L'Élysée insistant sur le fait que la venue de Poutine à Riga serait une
grande première, « la première visite d'un président russe dans l'un des trois pays baltes ».
«Ne pas humilier la Russie»
La Lettonie, qui a acquis l'indépendance en 1991 après l'effondrement de l'empire
soviétique, a avec la Russie des relations certes difficiles, mais toutefois meilleures que
celles qu'entretiennent la Lituanie et l'Estonie avec l'ancienne puissance occupante. En
dépit du refus de Poutine de s'excuser pour l'annexion soviétique des Pays baltes, la
présidente Vike-Freiberga avait fait le voyage de Moscou, le 9 mai 2005, pour célébrer
l'anniversaire de la victoire de 1945 sur les nazis.
REMUSAT Cécile_2007
87
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Cette annulation de dernière minute n'est pas pour déplaire à tout le monde. Dans les
couloirs du sommet de Riga, l'invitation de Poutine avait jeté un froid certain. Aucun dirigeant
de la trentaine de pays partenaires de l'Otan, n'avait été convié à Riga et, d'une certaine
manière, Poutine s'invitait en force. « On ne va parler que de ça. Tout le reste va passer au
second plan », s'inquiétaient des responsables de l'Alliance atlantique en reprochant à la
France de faire « cavalier seul » et d'avoir « fait beaucoup d'obstruction sur les dossiers à
l'ordre du jour » (voir ci-dessous). Certains y voyaient même « une véritable provocation »,
tant vis-à-vis des autres pays baltes, tenus à l'écart, que des nouveaux pays membres de
l'Otan et de l'Union européenne.
En France, Jacques Chirac, privé de dîner d'anniversaire, pourrait faire l'économie
d'une polémique supplémentaire. Déjà en septembre, le chef de l'État avait été critiqué pour
avoir remis à Poutine les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur. Car le pouvoir
russe est dans l'oeil du cyclone, après l'assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa et
l'empoisonnement à Londres de l'ex-agent russe Alexandre Litvinenko qui, avant de mourir,
a accusé Vladimir Poutine de l'avoir fait assassiner.
Né le 29 novembre 1932, le président français est l'un des doyens des dirigeants de ce
monde et, avec le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, l'un des plus anciens en exercice.
À cinq mois seulement de la fin de son mandat, s'eût été prendre un risque que de s'afficher
avec le maître du Kremlin. Mais Jacques Chirac n'en a cure. Il répète depuis toujours qu'« il
ne faut pas humilier la Russie ». « À ma connaissance, la Russie est un pays ami », fait
valoir le porte-parole de l'Élysée, Jérôme Bonnafont. Et d'ailleurs, ajoute-t-il, « le président
de la République parle de tout avec le président Poutine ».
Philippe Goulliaud (Avec Alexandrine Bouilhet à Riga).
Annexe 4
74 ans aujourd'hui, et après?
Libération, le 29 novembre 2006
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Jacques Chirac et son gâteau, mercredi à Riga. REUTERS
Alors qu'il fête son anniversaire au sommet de l'Otan, à Riga, Chirac feint toujours
de s'interroger sur sa présence à la présidentielle.
Jacques Chirac a 74 ans aujourd'hui, et des malices plein son sac pour nuire à ses
adversaires. A Riga (Lettonie), où il participe depuis hier au sommet de l'Otan, un parterre
de chefs d'Etat (dont Bush) a prévu de lui souhaiter son anniversaire. Persuadé qu'il
s'agit de la der de ders pour son
«ami Jacques»,
le Russe Poutine a même tenté
de s'inviter aux agapes, alors que son pays n'est pas membre de l'Otan et qu'un leader
russe n'est jamais bienvenu dans un Etat balte. Embarrassé, l'Elysée avait expliqué que
Poutine avait
«exprimé le souhait de venir rencontrer le Président pour lui présenter
88
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
ses voeux».
Finalement, le Kremlin a annoncé hier soir que Poutine ne se rendrait
«malheureusement»
pas à Riga,
«compte tenu de l'impossibilité de coordonner les
emplois du temps».
En dehors de ce gros raout international, Jacques Chirac n'aura plus guère que le
Conseil européen de décembre à Bruxelles pour parachever une tournée d'adieux à ses
pairs entamée depuis un an. Pour ses derniers mois de mandat, le chef de l'Etat veut surtout
se concentrer sur les affaires franco-françaises. Très offensif depuis septembre, il a occupé
le terrain sur ses grands thèmes de prédilection (cohésion nationale, défense des grandes
valeurs républicaines...) et a cherché à peser sur les débats de la présidentielle. Il s'en est
surtout pris à Sarkozy et à sa «rupture», en accusant le patron de l'UMP de vouloir tirer
un trait sur «l'identité française» à travers ses remises en cause des institutions de la
Ve République ou du modèle social actuel.
Dans le même temps, il a commencé à mettre en scène son bilan (zones franches, lutte
contre les discriminations...), tout en laissant ses proches ménager un faux suspense sur
ses intentions. Lui même a répété qu'il se prononcerait au cours du premier trimestre 2007
sur une éventuelle candidature. Les très rares fidèles qui affirment avoir abordé le sujet
avec lui évoquent une déclaration autour de «fin février, début mars». Aucun n'envisage
sérieusement la tentation d'un nouveau mandat. Des proches, comme François Baroin ou
Philippe Douste-Blazy, n'y croient pas. Pas plus que Sarkozy, dont un des bras droit assure
que «Chirac s'évitera l'humiliation d'un premier tour à moins de 10 %». Combative à
Paris lorsqu'elle souligne que son «mari n'est pas gâteux», Bernadette Chirac a dit à
plusieurs élus de Corrèze que Sarkozy était le «candidat légitime» de la majorité.
Pour autant, Chirac n'a certainement pas fini de tourmenter Sarkozy. De manière non
concertée, voire rivale, Michèle Alliot-Marie et Dominique de Villepin se sont chargés de
contester les projets du patron de l'UMP sur le fond. Mais au grand désespoir de membres
de cabinets ministériels ou de conseillers de l'Elysée et de Matignon, aucun préparatif de
bataille ne se met en place chez les chiraquiens. Le chef de l'Etat, lui, n'est pas encore
directement descendu dans l'arène, comme il l'avait fait le 14 Juillet 2004 avec son fameux
«je décide, il exécute» adressé à Sarkozy. Son souci est de laisser le jeu le plus ouvert
aussi tard que possible.
«Le dernier des chiraquiens, c'est Chirac lui-même,
confiait récemment Patrick
Devedjian, conseiller politique de Sarkozy et ex-avocat du chef de l'Etat. S'il a la moindre
opportunité de pouvoir se représenter en profitant d'une crise internationale ou d'un faux pas
de notre candidat, il ira.» Comme un général sans armée, prêt à un baroud d'honneur ?
Antoine Guiral
Annexe 5
Le Canard enchaîné, 6 décembre 2006
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
REMUSAT Cécile_2007
89
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Annexe 6
Les confidences très encadrées du couple Chirac
Le Monde, le 13 février 2007
Invitée de l'émission « Vivement dimanche » sur France 2, le 11 février, l'épouse
du chef de l'Etat a fait moins de révélations sur sa vie privée que son époux dans le
livre de Pierre Péan.
La mise en scène de la fin du mandat de Jacques Chirac passait par sa vie privée,
dimanche 11 février, sur France 2, lors d'un entretien avec le chef de l'Etat diffusé dans un
« Vivement dimanche » consacré à son épouse, Bernadette. Le hasard n'y avait aucune
place. Il y eut beaucoup de non-dits dans ces trois heures de télévision. « Je ne porte aucun
jugement, sur personne », a assuré le chef de l'Etat à Michel Drucker, mais avec ce déni le
téléspectateur était invité à comparer. Du solide, les Chirac : cinquante et un ans de mariage.
Alors qu'il « n'est pas un spécialiste de la félicitation conjugale », comme le dit Mme Chirac,
le président a raconté combien il avait été « impressionné », à Sciences Po, par cette jeune
fille qui avait pris d'emblée deux exposés. « Ell e m'a beaucoup aidé à préparer le concours
de sortie », a-t-il souligné.
BREVET DE PERSÉVÉRANCE
Ce qu'il n'a évidemment pas révélé et que Bernadette Chirac cache soigneusement,
c'est qu'elle n'a pas obtenu son diplôme. Interrogée voilà deux ans par Le Monde, via son
entourage, sur ce fait, Mme Chirac n'avait pas répondu. Elle s'était contentée de faire retirer
la mention « diplômée de l'Institut d'études politiques » de sa biographie officielle sur le site
Web de l'Elysée. Encore un mystère à percer...
Elle a en revanche son brevet de persévérance, de dévouement « aux autres », à sa
famille, ainsi que « le grand mérite » d'avoir déchargé son mari des soucis du quotidien, pour
qu'il puisse mener sa carrière. Tout en conduisant la sienne en Corrèze. Et en apportant à
Jacques Chirac une partie de l'électorat de droite, ce qui n'était pas dit non plus. Le président
s'est beaucoup émerveillé, à la télévision, du fait que son épouse lui ait prédit la présence du
Front national au second tour, en 2002. Ignorait-il vraiment que c'est Laurence Parisot, alors
simplement patronne de l'IFOP, qui avait averti son épouse, dont elle est une protégée ?
Il y eut d'autres non-dits. Si Mme Chirac a depuis longtemps parlé du drame qu'a
représenté dans leur vie l'anorexie de leur fille aînée, Laurence, M. Chirac est resté allusif
sur ce sujet à la télévision. Sinon pour souligner que son épouse avait porté principalement
cette épreuve. Il n'a pas raconté, par pudeur, ce dont d'autres ont été témoins : ses retards
réguliers à des réunions pour aller déjeuner avec sa fille déjà étudiante - qui, sans lui, avait
décrété qu'elle ne mangerait pas.
Il en dit bien davantage à Pierre Péan dans L'Inconnu de l'Elysée ( Le Monde daté
11-12 février) sur sa fille et sur sa vie sentimentale : « Votre femme en parle. Elle écrit :
«Les femmes, ça galopait... «», souligne Péan. « Elle exagère ! », rétorque M. Chirac, qui
fait mine de « découvrir » une liaison qu'il eut quand il était premier ministre entre 1974 et
1976. « Possible... Mais ce n'est pas une chose qui m'a beaucoup marqué... Je ne conteste
pas. Les aventures amoureuses n'ont pas joué un rôle déterminant dans ma vie. Il y en a
que j'ai bien aimées, aussi discrètement que possible... »
« Il est tout à fait clair que je n'ai jamais imaginé de quitter ma femme. C'est tout à fait
clair... », affirme M. Chirac à Pierre Péan, qui raconte. « Et après un silence il ne conteste
90
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
plus du tout, en revanche, que «cela ait existé». » Désormais sereine, Bernadette a pu
choisir pour final de l'émission la chanson d'Edith Piaf : Non, je ne regrette rien.
Béatrice Gurrey
Annexe 7
Jacques Chirac commence à évoquer l'après
Le Figaro, le 09 février 2007
La fenêtre de tir qui aurait permis à Jacques Chirac de se lancer dans une nouvelle
candidature à la présidentielle ne s'est jamais ouverte, Nicolas Sarkozy ayant occupé tout
l'espace. Soriano/Le Figaro.
Pour France 2, le chef de l'État parle du « jour où (il) n'aura plus de
responsabilités ».
LE JOUR où... Pour la première fois, Jacques Chirac évoque le moment où il ne sera
plus au pouvoir. « Il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu'à la mort » ,
confie-t-il, dans une interview que diffusera France 2, dimanche, dans le cadre de l'émission
« Vivement dimanche », dont Bernadette Chirac est l'invitée. Dans cet entretien d'une
vingtaine de minutes, le président de la République, généralement avare de confidences
intimes, évoque, en termes très élogieux, son épouse, leur rencontre, leur vie familiale et la
place qu'elle a occupée tout au long de sa carrière.
En toute fin d'interview, Michel Drucker lui demande ce qu'il fera le jour où il quittera la
vie politique et l'Élysée. « Le jour où je n'aurai plus de responsabilités de cette nature, eh
bien j'essaierai de servir la France, les Français, d'une autre manière » , répond-il. Le chef
de l'État souligne qu'il n'est pas « quelqu'un qui vit dans le culte d'un passé ». « Je me
suis investi totalement dans ma mission que je m'étais assignée au service des Français.
Alors on peut l'approuver, la critiquer, peu importe, mais j'ai toujours essayé d'agir pour les
Français et pour l'idée que je me faisais de la France » , dit-il.
Au cours de l'émission, préenregistrée, Bernadette Chirac reconnaît, avec émotion, que
l'Élysée lui « manquera beaucoup ». « Mais je m'adapterai. Il faut bien accepter ce que
le destin décide. »
«Réponse intemporelle»
Teintés de fatalisme, les propos présidentiels ont alimenté les spéculations sur son
retrait prochain (lire ci-dessous) . Au point que l'Élysée s'est employé à en minimiser la
portée. Il s'agit d' « une réponse intemporelle » à une question tout aussi « intemporelle »
de Michel Drucker, affirme l'entourage du président. « Ça n'apporte aucune indication sur
ce que sera son choix. Il aurait pu répondre la même chose il y a dix ans. »
Désireux de conserver jusqu'au terme de son mandat la plénitude de ses pouvoirs,
Jacques Chirac avait, jusque-là, toujours répété qu'il ne ferait connaître ses intentions qu'au
cours du premier trimestre. Même si l'éventualité d'une nouvelle candidature apparaît depuis
longtemps comme une hypothèse d'école, certains, comme Raymond Barre, la jugent
toujours possible. « Jacques Chirac n'est pas homme à renoncer facilement au pouvoir »
REMUSAT Cécile_2007
91
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
, a déclaré cette semaine l'ancien premier ministre dans le JDD . « Je ne serais pas
étonné qu'il soit, une fois encore, candidat, s'il pense qu'il a la moindre chance d'être élu. »
Mais, à droite, Nicolas Sarkozy occupe tout l'espace. Depuis des mois, les ministres,
les parlementaires et les ténors de l'UMP ont rallié sa candidature, y compris Alain Juppé
et Jean-Pierre Raffarin. Dans ce contexte, la fenêtre de tir qui aurait permis au président de
la République de se lancer dans une nouvelle candidature ne s'est jamais ouverte.
Le moment où Jacques Chirac officialisera son choix et la manière qu'il choisira pour
le dire sont très attendus. « Ce que dira le président sera très fort et c'est quelque chose
qui est de nature à agir de manière déterminante » , pronostique Jean-Pierre Raffarin,
alors qu'à l'inverse, le sarkozyste François Fillon veut « tourner la page » des années
Chirac et n'attend rien de sa prise de position. Le chef de l'État soutiendra-t-il formellement le
président de l'UMP, alors que leurs relations restent tendues ? Fidèle chiraquien, le président
de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, lui conseille de n'en rien faire. « Je souhaite
qu'un président sortant, quel qu'il soit, ne se prononce pas sur le nom de son successeur. »
Même si le probable futur président du Conseil constitutionnel reconnaît le risque qu'on dise
que Jacques Chirac, une fois encore, « favorise l'autre camp ».
La semaine prochaine, jeudi 15 et vendredi 16 février, Jacques Chirac retrouvera ses
pairs africains à Cannes, pour un ultime sommet France-Afrique. Le 19 février, le Parlement
est convoqué en Congrès à Versailles pour adopter trois réformes constitutionnelles qui lui
tiennent à coeur. Après cette date, plus rien ne devrait s'opposer à ce qu'il annonce aux
Français la décision à laquelle tout le monde s'attend...
Philippe Goulliaud
Annexe 8
Chirac fait un pas vers la non-candidature
Libération, le 8 février 2007
Dans une interview, par Michel Drucker, que France 2 diffusera dimanche, le
président de la République évoque ouvertement sa retraite politique.
Jacques Chirac est-il sur le point de jeter l'éponge? Dans une interview réalisée par
Michel Drucker qui doit être diffusée dimanche après-midi sur France 2, le président laisse
entendre qu’il renoncera à se présenter à l’élection présidentielle et s’apprête à quitter la
politique.
L’information est dévoilée jeudi par Le Parisien qui a assisté à l’enregistrement de
l’émission Vivement dimanche consacrée à Bernadette Chirac. Interrogé par Drucker, son
mari se lance dans une confession. Il avoue ne pas être « quelqu’un qui vit dans le culte d’un
passé». «Je me suis investi totalement dans la mission que je m’étais assigné au service
des Français. On peut l’approuver, la critiquer, peu importe. J’ai toujours essayé d’agir pour
les Français. Si je n’ai plus de responsabilités de cette nature, eh bien, j’essaierais de servir
la France d’une autre manière », dit-il.
Michel Drucker poursuit l’entretien et lui demande s’il y a une vie après la politique.
Chirac répond sans détour. « Il y a sans aucun doute une vie après la politique, jusqu’à la
mort .» Bernadette Chirac revient alors au bord des larmes et avoue que « cette maison
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REMUSAT Cécile_2007
Annexes
[l'Elysée] me manquera beaucoup, mais je m’adapterai, il faut bien accepter ce que le destin
décide ».
Selon Le Parisien, le chef de l’Etat qui avait plusieurs fois renvoyé l’annonce de sa
décision « dévoilera ses intentions après la tenue du Congrès qui réunira députés et
sénateurs à Versailles le 19 février».
Alexis Danjon (avec agences)
Annexe 9
Dans la famille Chirac, le petit-fils
Le Monde, le 8 avril 2007
UN MOIS ET DEMI de la fin de son mandat, Jacques Chirac a invité son petit-fils Martin
à l'accompagner, mardi 3 avril, au premier régiment de parachutistes d'infanterie de marine,
à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Cet exercice fréquent, qu'il affectionne, s'est transformé
en événement : Martin Rey-Chirac a été abondamment photographié et Le Parisien a choisi
de mettre son portrait en « une » dans son édition du 4 avril.
Une photo où le jeune garçon, qui a eu 11 ans le 22 mars, est très reconnaissable, pour
les rares journalistes qui ont déjà eu l'occasion de l'apercevoir. Il figure au premier plan,
regardant l'objectif, tandis que derrière lui le chef de l'Etat observe un équipement militaire,
au côté de la ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie, vue de dos. Martin Rey-Chirac
est également photographié en pages intérieures, entre son grand-père et un parachutiste.
Cette « première » a eu lieu le plus simplement du monde, après des années de
cache-cache compliqué ( Le Monde du 20 novembre 2006). Alors que Claude Chirac et son
ancien compagnon, Thierry Rey, avaient toujours protégé l'image de leur fils, qui n'était pas
photographié, était « flouté », ou vu de dos, ils ont décidé de concert que la fin du mandat
présidentiel autorisait plus de liberté.
Martin n'était apparu qu'à de très rares exceptions dans les journaux, comme après la
dissolution de 1997, dans une série de photos parues dans Paris Match et intitulées « Tendre
cohabitation ». Il y avait lieu alors de parler d'utilisation politique et de communication.
« UNE VIE APRÈS LA POLITIQUE »
Le contexte n'est, aujourd'hui, plus le même. Jacques Chirac s'est fait plaisir et Martin
aussi. Le rôle de chef des armées, qui lui est dévolu par l'article 15 de la Constitution,
est l'un de ceux auxquels il attache le plus d'importance. C'est dans cette fonction qu'il a
choisi de se montrer à son petit-fils, ravi d'assister aux démonstrations spectaculaires des
forces spéciales. Des commandos d'élite, appuyés par des hélicoptères, ont procédé à la
simulation du sauvetage d'un otage.
Un souvenir sûrement exceptionnel pour un garçon de 11 ans. « Il était très important
pour son grand-père qu'il voie de jeunes Français au service de la sécurité et de la paix » ,
souligne-t-on à l'Elysée.
Ce déplacement du chef de l'Etat ne comportait guère d'autre nouveauté que la
présence de Martin. M. Chirac a réaffirmé à Bayonne ce qu'il a dit ou écrit à de nombreuses
reprises, dans une campagne où les questions de défense, pourtant capitales, n'ont guère
REMUSAT Cécile_2007
93
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
de place. « Si la France baissait sa garde, elle ne serait plus maîtresse de la sécurité et donc
de son destin. Un tel choix serait aussi naïf qu'irresponsable » , a-t-il rappelé aux candidats
qui auraient l'intention de réduire le budget des armées.
Suivi principalement par les journalistes chargés de la défense, et non par les accrédités
politiques, ce déplacement n'a donné lieu aux photos de Martin que par le bon réflexe du
Parisien. Aucun photographe n'a été empêché de mitrailler le présidentiel petit-fils. Claude
Chirac n'a en rien exigé que ces photos, disponibles sur les sites de toutes les agences,
soient floutées. A partir du moment où ce voyage, très officiel, avait été décidé avec son
accord et celui de Thierry Rey, elle aurait jugé hypocrite de ne pas en assumer toutes les
conséquences.
S'il est impropre de parler d'utilisation politique, ce comportement nouveau relève de
motivations plurielles. Outre le simple plaisir qu'ont pu éprouver le grand-père et le petitfils, il s'agissait de montrer qu'il y avait vraiment « une vie après la politique » pour Jacques
Chirac.
Comme sa mère, Claude Chirac ne peut que mesurer le poids que représente une vie
cachée et surprotégée pour un enfant de cet âge. Cette contrainte s'allège. Les journalistes
politiques peuvent bien penser qu'avoir choisi le département de François Bayrou, les
Pyrénées-Atlantiques, n'est pas un hasard. Elle va encore les trouver tordus !
Béatrice Gurrey
Annexe 10
Le grand-père Chirac et le petit-fils Martin
Le Figaro, le 4 avril 2007
Fait exceptionnel : pour sa dernière
accompagné de son petit-fils, Martin.
visite aux Armées , Jacques Chirac était
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Photo AFP/Kovarik
Annexe 11
A Bayonne, la dernière revue du soldat Chirac
Libération, le 4 avril 2007
Le chef des armées a défendu le maintien des crédits à l'avenir.
Fermez le ban ! Jacques Chirac a effectué hier sa dernière visite aux armées, à un mois
de son départ de l'Elysée. Une cérémonie conçue «sans pathos», selon son entourage,
mais qui a permis à l'ancien officier de cavalerie de délivrer son testament militaire. Il l'a
fait à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), au cours d'un hommage aux très discrètes forces
spéciales.
94
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
Pour la première fois dans un déplacement officiel, le président de la République avait
emmené avec lui son petit-fils. Le jeune Martin, fils de Claude, n'a pas perdu une miette du
spectacle mis en scène par le commandement des opérations spéciales (COS). Dans les
douves de la forteresse de Vauban, les hommes du 1er régiment parachutiste d'infanterie
de marine (RPIMa) simulaient une action de contre-terrorisme avec la libération d'un otage :
assaut d'un baraquement à la manière musclée du GIGN, tireurs d'élite soigneusement
dissimulés et «extraction» finale du commando suspendu comme une grappe sous un
hélicoptère...
«Passage de témoin».
Séquence action réussie, mais c'était également pour
effectuer un «passage de témoin» à son successeur que le chef de l'Etat et des armées
avait fait le voyage de Bayonne. Et, au passage, pour saluer l'action de la ministre de la
Défense, Michèle Alliot-Marie, régionale de l'étape. «Dans un monde dangereux, ce serait
folie de relâcher notre effort et notre vigilance , a averti le président sortant. La France
doit assurer elle-même sa sécurité et continuer à assumer pleinement ses responsabilités
dans le monde. Si la France baissait la garde, elle ne serait plus maîtresse de sa sécurité
et donc de son destin. Un tel choix serait aussi naïf qu'irresponsable.» Et pour que les
choses soient bien claires, il a réaffirmé que «les crédits de défense ne sauraient être
une variable d'ajustement de notre politique budgétaire» . Pas touche donc aux crédits
militaires, que Nicolas Sarkozy comme Ségolène Royal ont tous les deux promis de ne pas
baisser s'ils sont élus.
Le chef de l'Etat redoute toutefois que son successeur ne soit tenté de réduire la voilure
en matière nucléaire pour financer l'armée conventionnelle. Si la candidate du PS fortement
inspirée par Jean-Pierre Chevènement s'est engagée à ne rien y toucher, celui de l'UMP a
été beaucoup plus laconique, alors que François Bayrou évoque régulièrement les vertus
du désarmement nucléaire. «La capacité qui doit toujours être la nôtre de moderniser
en permanence nos forces de dissuasion est un des enjeux essentiels des années qui
viennent», a-t-il martelé, rappelant que «le premier instrument de notre crédibilité, c'est
notre force de dissuasion» .
Centrafrique. Les forces spéciales n'ont, elles, guère de souci à se faire pour leur
avenir. Pas une opération ne se déroule sans qu'elles ne soient engagées en priorité,
comme elles l'ont encore été début mars, à l'occasion d'une action parachutiste en
Centrafrique. Fort de 3 000 hommes, le commandement des opérations spéciales a été
créé en 1992, par Pierre Joxe, alors ministre (PS) de la Défense. Le COS vient de connaître
son véritable baptême du feu avec un engagement de plus de trois ans en Afghanistan, qui
s'est achevé fin 2006. Participant à la traque des talibans, les forces spéciales ont eu sept
morts et douze blessés au cours de l'opération Arès.
Le COS regroupe des unités appartenant aux trois armées (terre, air, mer), comme
l'illustrait le camaïeu de bérets rouges, verts, noirs et bleus du détachement que Jacques
Chirac a passé hier en revue. Pour la dernière fois.
Jean-Dominique MERC
Annexe 12
Adieu, veaux, vaches, cochons!
Le Monde, le 6 mars 2007
REMUSAT Cécile_2007
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
LES VOLAILLES sont de retour ! Elles avaient été écartées l'an dernier pour cause
de grippe aviaire. Elles étaient là, ce week-end, au Salon de l'agriculture. Jacques Chirac
aussi. C'était le moment obligé dans tous les journaux télévisés. Jacques Chirac flattant le
museau d'une vache, c'est en quelque sorte l'affirmation, par l'image, qu'il est toujours dans
le paysage.
Le président n'a pas lésiné sur son temps. Quatre heures un quart, porte de Versailles,
pour visiter veaux, vaches, cochons ! Aucun candidat à l'Elysée n'en a fait autant. « C'est
mon dernier Salon et, pour vous, en tant que président, probablement aussi », lui a lancé
un agriculteur de la Mayenne, bientôt retraité.
Jacques Chirac n'a pas relevé l'allusion. « Comment ça va ? », a-t-il demandé à un
autre. « Pas trop bien, j'ai eu un petit accident vasculaire cérébral. C'est l'âge », a répondu
l'intéressé. « Et tu me dis ça à moi ! », a commenté le président en souriant. Il y avait de la
nostalgie dans l'air. Mais aussi une volonté obstinée de faire comme si. Le rituel a donc été
maintenu, immuable. Jacques Chirac multiplie les « Bonjour ! » à la cantonade au milieu
d'une cohue indescriptible. Il est toujours prêt à serrer une main, embrasser un enfant, poser
pour une photo. On l'a vu aux côtés de Titine, la vache limousine, et d'Aladin, le taureau
gascon. Il a fait l'éloge des vaches du Limousin, « la meilleure race », a-t-il dit. Il a caressé un
mouton des Pyrénées au front orné d'un superbe pompon, pris un chevreau dans ses bras.
Et puis surtout, il mange. De la charcuterie, de préférence. Foin du régime ! Et il boit
aussi. Une succession invraisemblable. Un verre de cidre suivi d'un lait fraise, d'un vin blanc
et d'une bière. Cela a quelque chose de l'antique cérémonial au cours duquel le roi de
France mangeait et buvait en public. Si le souverain a bon appétit, c'est que tout va bien.
Les Bourbons étaient réputés pour leur coup de fourchette.
Ségolène, qui a interdit qu'on la filme ou la photographie quand elle mange, a encore
quelques leçons à prendre malgré son patronyme. Tout cela pour quoi, en définitive ? Pour
se rassurer, sans doute. Jacques Chirac n'a omis qu'une seule fois en trente ans de visiter
le Salon de l'agriculture. « Il est capital que la France conserve sa place de grande nation
agricole dans le monde », a-t-il dit. Rien n'a manqué, pas même la polémique de rigueur
avec Bruxelles. Peter Mandelson, commissaire européen au commerce, accusé de céder
trop facilement aux pressions extérieures alors que les Américains restent inflexibles, a été
montré du doigt. C'était une cérémonie des adieux au monde paysan.
Mais tout était fait pour donner l'impression que le visiteur était éternel.
Dominique Dhombres
Annexe 13
Les adieux de Chirac au Salon de l'agriculture
Le Figaro, le 5 mars 2007
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
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REMUSAT Cécile_2007
Annexes
S'il a encore apprécié produits du terroir et marques de sympathie, le chef de l'État a
aussi défendu une « agriculture soucieuse de l'environnement ».
Kovarick/AFP
S'il a encore apprécié produits du terroir et marques de sympathie, le chef de l'État a
aussi défendu une « agriculture soucieuse de l'environnement ».
Kovarick/AFP.
Durant les quatre heures de sa visite, le chef de l'État s'est interdit la moindre
allusion à la campagne présidentielle.
C'ÉTAIT le dernier salon de sa mandature et sans doute, son dernier en tant que
président de la république : comme chaque année depuis trente ans - 1979 excepté Jacques Chirac s'est rendu au Salon de l'agriculture, entouré d'une nuée de caméras.
Pendant quatre longues heures, dans une cohue indescriptible, il a rempli son contrat
avec un plaisir visible : serrage de mains, déclarations de soutien au monde agricole,
plaidoyer pour l'environnement, innombrables poses de photos, signature d'autographes,
commentaires avisés sur les bêtes, sans oublier la dégustation à la chaîne de produits
régionaux.
Il est 8 heures 45 lorsque le chef de l'État arrive à la porte de Versailles. Quelques
familles sont déjà là, mais les allées du Salon sont encore largement praticables. Le
président en profite pour s'arrêter dans le hall 1, celui où sont présentés les animaux.
Dans une chaleur suffocante, le voilà en train de flatter Titine, la vache représentée sur
l'affiche du salon, ou encore Sucrette, Tisane ou Erika. Un quart d'heure plus tard, le salon
se remplit et l'exercice devient de plus en plus contraint ; Commence alors pour le président
le vrai parcours du combattant. Chacun veut l'attirer sur son stand, lui monter ses enfants,
lui faire écouter une chanson, goûter son fromage ou son cidre. Les gardes du corps sont
en sueur et repoussent autant que faire ce peut ceux qui veulent le toucher.
«Représentez-vous»
Par deux fois, il faut évacuer un badaud trop insistant. À 9 heures 45, il a déjà avalé un
verre de cidre, mangé de la mimolette et caressé deux dizaines de bêtes. À chaque stand,
on lui offre des cadeaux : son entourage finit par crouler sous les corbeilles de fruits, les
bouteilles et les livres de photos. « Représentez-vous », lui suggèrent plusieurs passants,
sous les cris de « Chirac ! Chirac ! » . Des journalistes lui demandent s'il est « enfin entré
en campagne ». Peine perdue.
Jacques Chirac esquive ces demandes avec un petit sourire, ou feint de ne pas les
entendre. On guette la phrase à double sens sur son avenir proche ou sur la campagne
électorale, on espère un bon mot sur ce vin que Nicolas Sarkozy ne semblait pas apprécier
jusqu'à ces derniers jours. Mais non. En quatre heures de visite, il ne parlera pas de politique
intérieure, et se contentera de messages de sympathie. Devant les représentants du monde
agricole, le président prendra tout de même le temps de défendre une « agriculture
soucieuse de l'environnement » - un des « grands défis si l'on veut éviter une planète
au bord de l'asphyxie » - et de fustiger l'attitude américaine au sein de l'OMC. « Je suis
profondément choqué par certaines attitudes qui sont prises par le commissaire européen
Peter Mandelson », lance-t-il, prônant une « fermeté de roc de la part de l'Union
européenne » dans ces négociations. « Jusqu'au bout, il va faire le boulot », traduit
le ministre de l'Agriculture, Dominique Bussereau, qui a souffert et piétiné pendant toute la
matinée aux côtés de Chirac.
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Après Jacques Chirac, tous les aspirants à sa succession sont attendus cette semaine
dans les travées de la Porte de Versailles. François Bayrou, Philippe de Villiers et JeanMarie Le Pen s'y rendront demain, Frédéric Nihous (CPNT) et Nicolas Dupont-Aignan
mercredi, Nicolas Sarkozy jeudi. Ségolène Royal est également attendue, mais la date de
sa venue n'est pas encore connue.
La candidate socialiste n'est cependant pas la favorite des agriculteurs. 10 % seulement
envisagent de voter pour elle au premier tour, selon un sondage Ifop- JDD . Leurs deux
candidats préférés sont Nicolas Sarkozy (32 %) et François Bayrou (26 %). Au second tour,
73 % des agriculteurs voteraient pour le président de l'UMP contre 27 % pour la candidate
du PS. Claire Bommelaer
Annexe 14
Chirac passe hors-champs
Libération, le 5 mars 2007
Il a rendu samedi sa dernière visite de Président au Salon de l'agriculture.
«C 'est mon dernier salon. Et vous en tant que Président probablement aussi», glisse
un éleveur mayennais habitué de l'événement depuis 1972. Jacques Chirac, qui a samedi
arpenté pendant quatre heures et quart la même durée qu'en 2006 -, les allées du Salon
de l'agriculture, ne répond pas et s'en va goûter du reblochon sur le stand de la HauteSavoie. «Ne pensez-vous pas que, sans vous, l'agriculture sera orpheline ?», s'inquiète
un visiteur devant le stand des vaches landaises. «Elle sera toujours à la première place
dans l'économie française», assure le Président avant de filer. Au stand «Le porc, il nous
surprend encore et encore», le chef de l'Etat se voit offrir deux cochons chinois en bronze. Il
goûte du jambon cru et boit un verre de blanc: «Avec du jambon comme celui-là, vous allez
vous représenter», lui glisse un interlocuteur. Jacques Chirac ne dit mot. Le Président est
là pour causer bestiaux, faire la bise aux femmes, donner du «Salut, salut» aux enfants,
s'excuser auprès d'une jeune fille dans la cohue «Je vous ai marché sur le pied» et
prendre la pose au milieu des familles, pas pour parler de son avenir personnel. Même les
«Chirac, Président» e ntendus à plusieurs reprises dans les allées, ou les suppliques du
genre «Monsieur Chirac, représentez-vous», n'ont pas perturbé un chef de l'Etat soucieux
de jouer jusqu'au bout le rôle qu'il joue dans les campagnes françaises depuis trente ans.
Poids des ans. Certes son répertoire a vieilli depuis la première visite en 1973 du
ministre de l'Agriculture de Pompidou. Mais Jacques Chirac a toujours ses inconditionnels
quand il déclame parfois avec des gestes incertains de vieux comédien fatigué son amour
des agriculteurs. Ses admirateurs ont plus souvent son âge ou celui de son petit-fils que
celui de Nicolas Sarkozy ou de Ségolène Royal. Mais samedi, il n'a rien laissé transparaître
de ses intentions face à tous ceux qui lui rappelaient le poids des ans et sa fin de règne.
Dès 8 h 30, Dominique Bussereau avait sonné les trois coups de la geste chiraquienne
alors que cornait au loin le convoi présidentiel: «Il incarne la France des territoires. Quelles
que soient les opinions des agriculteurs, il a toujours été à leurs côtés. Je ne sais pas si c'est
son
dernier salon en tant que chef de l'Etat mais je suis sûr qu'il reviendra», indiquait
l'actuel ministre de l'Agriculture.
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REMUSAT Cécile_2007
Annexes
Traite du matin. A peine sorti de voiture, Chirac remercie, félicite, embrasse. Sa geste
dans les allées du hall 1 (celui de l'élevage) est réglée comme la traite du matin. S'approcher
des hommes et des bêtes tout sourire, saluer les premiers et jauger les secondes. Très
important le poids de la salers ou de la limousine. Et puis il y a la «Chirac Touch», cette
façon inimitable de poser par petits mouvements brefs la main bien à plat sur les naseaux
du bovin.
Il s'est quand même fendu en passant d'un plaidoyer pour la politique agricole
commune européenne et d'une attaque frontale contre le commissaire au Commerce Peter
Mandelson, accusé de faire preuve de faiblesse dans les négociations sur le commerce
international. Prônant une «fermeté de roc», il a enjoint de «ne pas accepter les
tentations de certains, notamment de la Commission européenne, de céder dans le domaine
de l'OMC».
Noisettes et gigot. Pendant ce temps, les policiers qui veillent sur sa sécurité se
chargent des victuailles offertes tout au long du parcours présidentiel, un sac de noisettes
par un représentant de Cancon, «capitale de la noisette», un jambon d'Espagne, un
plateau de viande avec gigot et volaille, une bière blanche, des gâteaux en veux-tu en voilà.
Un membre du service d'ordre confie: «Avec lui, le Salon de l'agriculture, c'est facile, il est
en terrain conquis. Ça risque d'être un peu plus compliqué pour Ségolène Royal.»
Jacky Durand
Annexe 15
Lors des derniers vœux du quinquennat, M. Chirac a fixé cinq "enjeux majeurs" de la
campagne 2007
Le Monde, le 1er janvier 2007
Pour saluer l'année 2007, "particulièrement importante pour l'avenir de notre pays",
Jacques Chirac a présenté aux Français, lors de ses vœux télévisés du dimanche 31
décembre 2006, les cinq "enjeux majeurs" qui doivent, à ses yeux, marquer la campagne
présidentielle : les valeurs de la République, le progrès économique et social, l'aide au
développement, l'Europe, l'environnement. Il a aussi annoncé une loi sur le "droit au
logement opposable".
Le ton était très personnel - "j'aime passionnément la France", "je me bats", "j'aurai
une double exigence" - et le chef de l'Etat est apparu combatif. Hâlé par son traditionnel
séjour au Maroc, sans lunettes contrairement aux voeux précédents, M. Chirac avait choisi
de parler sur fond de drapeau tricolore - et non devant une fenêtre laissant apercevoir la
verdure, comme c'était le cas depuis la cohabitation de 1997. Une façon de célébrer des
noces de douze ans, souvent agitées, avec la France ?
Pour cette dernière édition des voeux après un septennat et un quinquennat, le
président voulait échapper à l'exercice attendu du bilan et plus encore à l'évocation de son
avenir personnel. "En janvier, tu diras aux Français que tu as fait tout ce que tu pouvais pour
eux et puis tu annonceras que tu laisses la place", lui avait conseillé un très proche quand
il était au creux de la vague, au printemps 2006.
MISES EN GARDE
REMUSAT Cécile_2007
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
S'il s'est gardé de suivre cet avis, M. Chirac n'a pas tout à fait esquivé l'inventaire.
"Bien sûr, je voudrais que les choses avancent plus vite et qu'elles avancent mieux", a-til regretté. Mais il a aussitôt souligné la baisse du chômage, la réforme des retraites et de
la Sécurité sociale, le "doublement du nombre de logements sociaux depuis 2002" et les
résultats obtenus par rapport aux trois chantiers prioritaires du 14 juillet 2002, la sécurité
routière, le cancer et le handicap. Sans s'appesantir sur ce bilan express.
L'important, c'est d'avoir un gouvernement "au travail" jusqu'au bout et une campagne
faite de "débats ouverts, démocratiques et responsables" : "Je m'y engagerai pleinement", at-il assuré. Cela a donc commencé dimanche soir, avec des recommandations aux Français
et la distribution de bons et de mauvais points aux candidats. "N'écoutez pas les apprentis
sorciers de l'extrémisme", a-t-il demandé à ses compatriotes, semblant renvoyer dos à dos
l'extrême droite et l'extrême gauche, mais visant implicitement surtout le Front national.
"Gardez-vous des idéologies, des illusions, du retour aux recettes qui ne marchent
pas", a recommandé le président, pointant à la fois la réduction continue du temps de
travail et le libéralisme. "Ne cherchons pas à imiter", a-t-il préconisé pour défendre le
modèle français. "C'est le travail, c'est la formation, c'est la recherche, qui font la force
des économies modernes", a-t-il expliqué, souhaitant voir dans la participation "un véritable
projet de société". Dans le domaine social, M. Chirac veut "mettre en place un véritable droit
au logement opposable".
Le futur candidat de l'UMP et toujours ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, est ainsi
mis sous surveillance : son travail gouvernemental ne doit pas pâtir de sa campagne ; le chef
de l'Etat note le virage à gauche du président de l'UMP depuis son discours de Périgueux,
le 12 octobre 2006, mais lui coupe l'herbe sous le pied en mettant en oeuvre une mesure,
le droit au logement, qu'il y avait évoquée.
Sur l'immigration, sujet de prédilection de M. Sarkozy pour combattre l'extrême droite
en montrant sa fermeté, le président préfère évoquer l'aide au développement, à la fois
"exigence morale essentielle", mais aussi moyen "de prévenir l'afflux à nos frontières de
tous ceux qui quittent leur pays parce qu'ils n'ont plus d'espoir".
M. Chirac s'est montré très bref sur l'Europe, ayant évacué l'entrée de la Roumanie
er
et de la Bulgarie dans l'Union européenne au 1 janvier par un message de bienvenue
télévisé, diffusé dans les deux pays concernés. Il est vrai que l'élargissement mal préparé
de l'Europe lui avait pour partie coûté l'échec au référendum de 2005. Il a été plus à l'aise
sur l'écologie, dont il a fait un thème important de sa présidence.
Acquise à M. Sarkozy, l'UMP, très oecuménique, s'est félicitée par diverses voix de
l'intervention présidentielle. Pour le porte-parole du PS, Julien Dray, il est "clair" que M.
Chirac ne postulera plus à la magistrature suprême. Pour le président du Front national,
Jean-Marie Le Pen, seul président de parti qui ait réagi, il était plus commode de croire que
c'était un discours de candidat.
Béatrice Gurrey
Annexe 16
Chirac se donne 15 jours pour cadrer le débat
Le Figaro, le 02 janvier 2007
100
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
Lors de ses voeux, Jacques Chirac a visé la gauche et dénoncé le « retour aux recettes
qui ne marchent pas » en matière économique. France 2
France 2.Lors de ses voeux, Jacques Chirac a visé la gauche et dénoncé le « retour
aux recettes qui ne marchent pas » en matière économique.
Le président de la République va distiller son message pendant les deux
premières semaines de l'année. Avant le congrès de l'UMP qui, le 14 janvier, désignera
Nicolas Sarkozy comme candidat à l'Élysée.
C'EST le temps du président. Comme chaque année, pendant les deux premières
semaines de janvier, le chef de l'État multiplie les discours à l'occasion du Nouvel An.
Cette année, dans cette succession d'interventions devant des publics très divers (hauts
fonctionnaires, syndicats, patronat, mairie de Paris, autorités religieuses et militaires),
chacun guettera la petite phrase susceptible de lever un coin du voile sur les intentions de
Jacques Chirac pour 2007. Car ses voeux du 31 décembre n'ont pas permis d'en savoir
plus.
Certes, son discours, contrairement à ce qu'avait promis l'Élysée, avait aussi une allure
de bilan, notamment sur le chômage, la croissance et les trois chantiers du quinquennat
(sécurité routière, cancer, handicapés). Mais un bilan pour préparer sa retraite ou, au
contraire, pour servir de socle à une nouvelle candidature ? Dans sa carrière, Jacques
Chirac « a participé à beaucoup de tournois du grand chelem, et il en a gagné beaucoup »
, souligne-t-on dans son entourage. Quel que soit son choix, le président a clairement
manifesté sa volonté de peser sur cette élection. Avec « une double exigence » : que le
gouvernement continue à gouverner jusqu'au bout et que la campagne donne lieu à « des
débats ouverts, démocratiques et responsables ».
Gare aux «apprentis sorciers de l'extrémisme»
Et il a défini « cinq enjeux essentiels » pour la France de demain : rassemblement
autour des valeurs républicaines, progrès économique et social, présence de la France dans
le monde, relance de la construction européenne, protection de l'environnement (voir nos
éditions d'hier ). Une façon, souligne un de ses partisans, « d'élever un débat présidentiel
qui, pour le moment, se limite à une bataille d'images ».
Dans son allocution, Jacques Chirac, très offensif, n'a pas manifesté de préférence
pour tel ou tel candidat. Visant Jean-Marie Le Pen, son adversaire du second tour en 2002,
il a mis en garde contre « les apprentis sorciers de l'extrémisme » . Visant la gauche, il
a dénoncé le « retour aux recettes qui ne marchent pas » en matière économique. En
pressant le gouvernement d' « avancer dans les toutes prochaines semaines » vers la
mise en place d'un droit au logement opposable, il a coupé l'herbe sous le pied de Nicolas
Sarkozy qui l'a inscrit à son programme. Enfin, c'est à « l'action résolue du premier ministre
et de son gouvernement » qu'il a rendu hommage.
Le coup d'envoi des cérémonies de voeux aura lieu demain matin, dans la cour
d'honneur de l'Élysée, avec le salut au drapeau, premier acte officiel du chef de l'État en
2007. Après le rituel petit-déjeuner chez le ministre de l'Intérieur, Place Beauvau, Dominique
de Villepin et le gouvernement gagneront à pied le palais présidentiel voisin, pour le premier
Conseil des ministres de l'année. Qu'on imagine lourd d'arrière-pensées. Dans l'après-midi,
REMUSAT Cécile_2007
101
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Pierre Mazeaud viendra à son tour présenter les voeux du Conseil constitutionnel. Pour
la dernière fois, car son mandat arrive à échéance en février. Jeudi après-midi, devant les
bureaux du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Conseil économique et social, Jacques
Chirac évoquera le calendrier parlementaire. Trois réformes de la Constitution, nécessitant
la réunion du Congrès à Versailles, sont à l'ordre du jour : statut pénal du chef de l'État,
corps électoral en Nouvelle-Calédonie, abolition de la peine de mort. Trois réformes sur
lesquelles la majorité grogne. Cette année, ce sont les voeux à la presse qui fermeront
cette séquence, le 11 janvier. Les voeux en Corrèze, traditionnellement les derniers, ont été
avancés d'une semaine, le samedi 6 janvier, et non le 13. L'image de Jacques et Bernadette
Chirac au côté du maire de Tulle, François Hollande, aurait détonné, à la veille du sacre de
Nicolas Sarkozy par l'UMP, le 14 janvier... Philippe Goulliaud
Annexe 17
Chirac en fausse vraie campagne
Libération, le 1
er
janvier 2007
REUTERS
Durant ses voeux, le Président a marqué son intention de peser sur les thèmes
de la campagne présidentielle, plutôt que de se placer en futur candidat.
En campagne... sans être candidat, tel est le tour de force auquel s¹est essayé Jaques
Chirac en présentant ses douzièmes - et très probablement derniers - voeux aux Français
dimanche soir. Depuis quarante ans qu'il est entré dans la vie politique, Jacques Chirac est
102
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
une sorte de candidat à perpétuité, prétendant à tout et tout le temps. Et voilà qu'à 74 ans,
au terme de deux mandats à l'Elysée, il voit poindre une élection présidentielle à laquelle il
ne sera pas en mesure de concourir, pour la première fois depuis 25 ans.
1981, 1988, 1995 et 2002, il n'a manqué aucun des quatre derniers scrutins élyséens.
Raison pour laquelle, tout en faisant mine de cultiver un faux suspense sur son propre
devenir, Chirac a surtout affiché sa volonté de peser sur la campagne présidentielle qui
s¹ouvre. Plaidant pour des «débats ouverts, démocratiques et responsables», il a mis en
garde les électeurs contre «les apprentis sorciers de l'extrémisme», façon de réveiller
le souvenir des 82 % de voix obtenus miraculeusement face à Le Pen par le Chirac
rassembleur du 5 mai 2002.
De même s¹est-il exprimé devant les drapeaux français
et européen, pour bien souligner, selon son entourage, «la nécessité d'un rassemblement
autour des valeurs républicaines». Citant l'écologie comme enjeu majeur, le chef de
l¹Etat a rappelé que la France organisera en février une conférence internationale pour
la création d'une organisation mondiale de l'environnement.
De même a-t-il été incité
par la mobilisation en cours autour du problème des SDF à se montrer offensif en matière
de logement. Ainsi Jacques Chirac a-t-il exhorté le gouvernement à «mettre en place un
véritable droit au logement opposable, c'est-à-dire faire du droit au logement une réalité».
L'exercice consistant à afficher cette volonté d¹en découdre sans disposer des moyens
politiques de passer à l¹acte est toutefois délicat à mener jusqu'au bout lorsqu'on est si près
de la retraite. C'est ainsi qu¹en rendant hommage à l'action du gouvernement Villepin dans
la lutte contre le chômage, comme en soulignant les résultats obtenus sur le terrain de ses
trois «grands chantiers» (lutte contre le cancer, sécurité routière et insertion des handicapés
dans la société), le Président sortant a, bien qu'il s'en défende, dressé son bilan.
Le porte-parole du PS, Julien Dray, ne s'y est pas trompé en jugeant que ces voeux
constituent une «déclaration de quelqu'un qui, vraisemblablement, ne sera plus candidat en
2007». A l'inverse, Jean-Marie Le Pen a cru entendre, lui, «des voeux de futur candidat».
Quant aux sarkozystes, ils ont loué le discours du chef de l'Etat. Et certains se sont
même escrimés, à l¹instar du sénateur UMP des Hauts-de-Seine, Roger Karoutchi, à
souligner «les similitudes entre les positions de Nicolas Sarkozy, de l'UMP et celles du
chef de l'Etat» sur le «droit opposable au logement», «la valeur du travail», ou le «combat
écologique». Comme si Nicolas Sarkozy avait finalement le sens des convenances et qu'il
était prêt, pour faciliter une paisible sortie de scène de l¹ancien, à se grimer un temps, lui
l¹apôtre de la «rupture» tous azimuts, en candidat de la continuité chiraquienne.
Renaud Dely
Annexe 18
Les vœux du président Chirac, le 1
er
janvier 2007
Mes Chers Compatriotes de métropole, d'outre-mer, de l'étranger,
A la veille de l'année 2007, qui sera particulièrement importante pour l'avenir de notre
pays, j'adresse, du fond du cœur, à chacune et à chacun d'entre vous mes vœux les plus
chaleureux.
REMUSAT Cécile_2007
103
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Et je pense d'abord à toutes celles et à tous ceux qui sont victimes de la solitude, de
la maladie, de la détresse.
Je veux aussi saluer avec respect et reconnaissance nos soldats qui défendent, partout
dans le monde, la paix et les valeurs de la France.
Ensemble, depuis que j'ai l'honneur de vous servir et de vous représenter, nous vivons
des changements considérables.
Une économie mondiale en pleine expansion. Une concurrence de plus en plus vive
mais qui nous ouvre aussi des opportunités nouvelles. La révolution de l'Internet, qui
transforme notre façon de communiquer, de travailler, de vivre en société. Un monde où la
surexploitation des ressources naturelles dérègle le climat et mettra en danger l'humanité,
si nous ne réagissons pas dès maintenant. Un monde qui n'a jamais été aussi riche et aussi
pauvre à la fois. Un monde marqué par le 11-Septembre, le terrorisme, la guerre en Irak,
la crise au Proche-Orient, la tentation absurde et irresponsable du choc des civilisations et
des cultures.
Parce que j'aime passionnément la France, je me bats pour qu'elle prenne toute sa
place dans ce nouveau monde tout en restant fidèle à elle-même. Je me bats pour que
chaque Français, pour que chaque jeune en particulier, ait sa chance, où qu'il vive et quelles
que soient ses origines.
Bien sûr, je voudrais que les choses avancent plus vite, et qu'elles avancent mieux pour
chacun d'entre vous. Mais grâce à votre talent, grâce à votre travail, la France s'affirme. Avec
l'action résolue du Premier ministre et de son gouvernement, le chômage baisse fortement :
déjà 360 000 chômeurs de moins. La croissance est là et elle est solide. Nos retraites, notre
sécurité sociale se réforment et c'est la garantie de leur avenir. Le nombre de logements
sociaux nouveaux chaque année a doublé depuis 2002. Nos regards et nos comportements
évoluent heureusement vis-à-vis des personnes handicapées, des victimes du cancer, des
victimes de la violence routière. Grâce à votre mobilisation, près de 9 000 vies ont été
sauvées sur les routes de France.
D'ici aux élections, j'aurai une double exigence : que le Gouvernement soit au travail, à
votre service, pour la sécurité, pour l'emploi, pour le pouvoir d'achat et que ces mois soient
aussi des moments de débats ouverts, démocratiques et responsables et je m'y engagerai
pleinement. Je voudrais vous dire ce soir quels en sont, à mes yeux, les enjeux majeurs.
Le premier, c'est l'unité et le rassemblement autour des valeurs qui font la France : la
liberté, l'humanisme, le respect, et notamment le respect de la diversité et des différences,
la laïcité, le combat contre le racisme, l'antisémitisme, le communautarisme. N'écoutez pas
les apprentis sorciers de l'extrémisme. La France est forte, la France est belle quand elle
sait, tout à la fois, faire respecter ses règles et tendre la main.
Le deuxième enjeu, c'est évidemment le progrès économique et social. Je sais les
souffrances et les difficultés auxquelles certains d'entre vous sont confrontés. Je connais
vos attentes pour ce qui concerne les salaires et le pouvoir d'achat, c'est-à-dire la juste
récompense de votre travail. Mais gardez-vous cependant des idéologies, des illusions,
du retour aux recettes qui ne marchent pas. C'est le travail, c'est la formation, c'est la
recherche qui font la force des économies modernes. En donnant toute sa place au dialogue
social, des réformes importantes sont devant nous : pour aller beaucoup plus loin dans
la baisse du chômage, pour faire de la participation un véritable projet de société, pour
donner plus de puissance à nos entreprises, pour mettre en place un véritable droit au
104
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
logement opposable, c'est-à-dire faire du droit au logement une réalité. Et je demande au
Gouvernement d'avancer sur ce point dans les toutes prochaines semaines.
Le troisième enjeu, c'est de bien mesurer que la France a des responsabilités
particulières dans le monde. La vocation de la France et son honneur, c'est d'affirmer sa
voix avec force et avec indépendance pour la paix et pour la justice. C'est aussi son intérêt.
Ainsi, agir comme nous le faisons, pour le développement des pays les plus pauvres, c'est,
bien sûr, répondre à une exigence morale essentielle. Mais c'est également prévenir l'afflux
à nos frontières de tous ceux qui quittent leur pays parce qu'ils n'ont plus d'espoir.
Le quatrième enjeu, c'est l'Europe. Depuis un an et demi, nous avons choisi de faire
progresser l'Europe des projets : la recherche, l'énergie, la sécurité, l'immigration. N'oublions
jamais que l'Europe, c'est la garantie de la paix et de la démocratie sur notre continent. C'est
donc notre avenir. Le 50e anniversaire du Traité de Rome, le 25 mars prochain, nous offre
l'occasion de donner un nouveau souffle à la construction européenne : pour une Europe
politique, pour une Europe de l'ambition économique et du progrès social, pour une Europe
qui nous protège. La France y prendra naturellement toute sa part.
Enfin, il y a l'enjeu écologique. C'est un enjeu immédiat. Un enjeu politique. La France
est le premier pays au monde à avoir inscrit en 2005 une Charte de l'environnement dans
sa Constitution. En février, elle accueillera une conférence internationale pour accélérer la
marche vers une Organisation Mondiale de l'Environnement. Mais c'est aussi chez nous
que ce combat se gagne, par le changement en profondeur de nos comportements et de
nos politiques. C'est une exigence et c'est une chance. Avec la nécessité d'inventer une
économie respectueuse de l'environnement, c'est une nouvelle révolution industrielle qui est
devant nous, celle du développement durable. Elle sera source de croissance et d'emplois
et la France a tous les atouts pour en être le champion.
Mes Chers Compatriotes,
Oui, nous pouvons être fiers d'être Français ! Poursuivons notre effort de modernisation.
Ne cherchons pas à imiter. Soyons nous-mêmes. Au printemps prochain, vous aurez à faire
des choix décisifs. Faites vivre intensément vos convictions. Vous êtes le peuple souverain.
La France a besoin de chacune et de chacun d'entre vous. Elle compte sur vous.
Vive la République ! Vive la France !
Annexe 19
Chirac profite des ses vœux pour mettre en garde Sarkozy
Le Monde, le 3 janvier 2007
Le président Jacques Chirac a profité, mercredi 3 janvier, de son traditionnel message
de vœux au gouvernement pour demander aux ministres "une mobilisation totale", les
mettant en garde contre le risque de délaisser leur activité gouvernementale au profit de leur
engagement dans la campagne électorale. Cette déclaration semblait viser en particulier
Nicolas Sarkozy, candidat de l'UMP à l'élection présidentielle et actuel ministre de l'intérieur.
"Vous aurez certainement à cœur de prendre part au débat national qui s'annonce. Il est
légitime que vous puissiez le faire, et nos concitoyens seront attentifs à l'expression de votre
engagement et de vos convictions, a dit M. Chirac en réponse aux vœux du gouvernement.
REMUSAT Cécile_2007
105
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Mais il vous faudra le faire dans le cadre d'un principe clair : cet engagement dans le débat
électoral ne saurait en aucun cas s'exercer au détriment de votre mission gouvernementale."
"LA TENTATION DE LA TABLE RASE"
Le chef de l'Etat a aussi dénoncé "la tentation de la table rase", semblant à nouveau
s'en prendre implicitement au candidat Sarkozy, chantre de la "rupture tranquille". "Dans un
temps où, par la force des choses, la caricature pourrait gagner sur la raison et la tentation
de la table rase sur le respect du travail accompli, sachez revendiquer et porter haut votre
action", a-t-il dit après avoir défendu son bilan économique et social. Il a salué l'action du
gouvernement dirigé par Dominique de Villepin en disant aux ministres qu'ils avaient "toutes
les raisons d'être fiers de l'action [qu'ils mènent] sous l'autorité du premier ministre".
Jacques Chirac a prévenu qu'il comptait s'exprimer avant l'élection présidentielle pour
"fixer les enjeux et éclairer le choix des Français». "Je le ferai en responsabilité, guidé
par une seule ambition : l'intérêt des Français", a déclaré le président, qui n'a pas encore
annoncé s'il envisageait un troisième mandat.
Annexe 20
La mise en garde de Chirac aux ministres
Le Figaro, le 3 janvier 2007
Dans une allusion à peine voilée à Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac a aussi fustigé "la
tentation de la table-rase sur le respect du travail accompli". KOVARIK / AFP
Dans une allusion à peine voilée à Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac a aussi fustigé "la
tentation de la table-rase sur le respect du travail accompli". KOVARIK / AFP.
Jacques Chirac prévient ses ministres que leur engagement dans la campagne
électorale ne doit pas se faire au détriment de leur activité gouvernementale, et attend
d'eux une "mobilisation totale".
Pour les derniers vœux gouvernementaux de son mandat, Jacques Chirac a rappelé
ses troupes à l’ordre. "Vous aurez certainement à cœur de prendre part au débat national
qui s'annonce. Il est légitime que vous puissiez le faire, et nos concitoyens seront attentifs
à l'expression de votre engagement et de vos convictions", leur explique-t-il. Avant de
préciser sa mise en garde : "Cet engagement dans le débat électoral ne saurait en aucun
cas s'exercer au détriment de votre mission gouvernementale."
"La tentation de la table-rase" dénoncée
Dans une allusion à peine voilée à Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac a aussi fustigé "la
tentation de la table rase sur le respect du travail accompli". "Dans un temps où, par la force
des choses, la caricature pourrait gagner sur la raison, sachez revendiquer et porter haut
votre action", exige-t-il.
106
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
Il fixe par ailleurs trois priorités à ses ministres : une "mobilisation totale" pour la sécurité,
contre le chômage et "pour aider les plus démunis", les incitant en particulier à avancer
"rapidement dans leur travail sur le droit au logement opposable".
Jacques Chirac a aussi prévenu qu'il comptait, "en liberté et en responsabilité",
s'exprimer avant les élections pour "fixer les enjeux et éclairer le choix des Français", comme
il l'avait fait dans ses vœux le 31 décembre.
lefigaro.fr (avec AFP)
Annexe 21
Les vœux venimeux de Chirac à Sarko
Libération, le 3 janvier 2007
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Mercredi, à l'Elysée. REUTERS
Lors de la traditionnelle cérémonie à l'Elysée, le président de la République a
demandé à ce que le débat électoral ne s'exerce pas «au détriment» de la fonction de
ministre. Une mise en demeure à destination de Nicolas Sarkozy.
Bonne année Nicolas! Jacques Chirac ne s’est pas privé de faire la leçon à son ministre
de l’Intérieur, mercredi matin, en recevant les traditionnels vœux du gouvernement. Après
les figures imposées comme celle de demander « une mobilisation totale » de ses
ministres, le chef de l’Etat s’est plus particulièrement adressé à Nicolas Sarkozy, présent
lors de la réception à l’Elysée. A la veille de la campagne électorale, l’indubitable candidat
de l’UMP – parce qu’unique postulant à l’investiture de son parti – à la présidentielle a été
mis en garde: « Vous aurez certainement à cœur de prendre part au débat national qui
s’annonce, a expliqué le président de la République. Il est légitime que vous puissiez
le faire, et nos concitoyens seront attentifs à l’expression de votre engagement et de vos
convictions. » Cependant, a-t-il martelé, « il vous faudra le faire dans le cadre d’un principe
clair: cet engagement dans le débat électoral ne saurait en aucun cas s’exercer au détriment
de votre mission gouvernementale. »
Voilà donc le ministre de l’Intérieur quasiment sommé de choisir entre candidat officiel
ou membre du gouvernement. A plein temps. Aussitôt après cette admonestation, le porteflingue numéro un de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, s’est employé à expliquer sur RTL
que son mentor a « largement » la « capacité » à assumer ces deux statuts. « Nous
sommes au XXIe siècle, pas dans la seconde moitié du XIXe, à l’époque où les ministres
de l’Intérieur et les préfets organisaient les candidatures et désignaient les vainqueurs »,
a assuré le ministre délégué aux Collectivités locales.
Pour bien se faire comprendre, Jacques Chirac en a rajouté une louche sur la tonalité
de la campagne que devra mener Nicolas Sarkozy: « Dans un temps où, par la force des
choses, la caricature pourrait gagner sur la raison et la tentation de la “table rase” sur le
respect du travail accompli, sachez revendiquer et porter haut votre action. » Autrement
dit, la « rupture tranquille » prônée par le président de l’UMP devra se faire… dans la
continuité de la politique gouvernementale.
REMUSAT Cécile_2007
107
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Pour ne pas qu’ils se laissent distraire par un événement aussi banal qu’une campagne
présidentielle, le chef de l’Etat a donc fixé une nouvelle feuille de route à ses ministres.
D’abord qu’ils s’engagent totalement pour la sécurité, contre le chômage et « pour aider
les plus démunis ». Avec une mention particulière pour la mise en œuvre « rapidement
» du droit au logement opposable. Un sujet sur lequel Dominique de Villepin s’est engagé,
promettant de « jeter les bases » d’un tel droit avant l’élection présidentielle. De fait, un
projet de loi dont le Premier ministre doit dessiner les grandes lignes mercredi après-midi
pourrait être soumis au Sénat à la fin du mois et en février à l’Assemblée nationale, avant
la fin de la session parlementaire, le 23 février.
Tout à sa volonté de mettre ses ministres au travail, Jacques Chirac leur a fixé « trois
priorités ». D’abord le vote au Parlement des textes sur la prévention de la délinquance,
la réforme de la justice, la parité en politique, la modernisation du dialogue social ou la
protection de l’enfance. Il a également souhaité que la Constitution soit révisée pour adopter
la réforme du statut pénal du chef de l’Etat, le texte sur la Nouvelle-Calédonie et celui sur
l’abolition de la peine de mort.
Seconde priorité définie par le président de la République: « L’essentiel des décrets
d’application des lois votées depuis 2002 doit être pris. » Il a annoncé qu’un Conseil des
ministres sera consacré au mois de mars « à faire le bilan du respect » par tous les
ministres de cette « exigence ».
Enfin, il a demandé aux ministres « un engagement personnel » pour préparer les trois
grandes conférences internationales prévues: la conférence sur la reconstruction du Liban
fin janvier, celle sur l’environnement début février et le sommet Afrique-France, fin février.
Pascal Virot
Annexe 22
Une de Charlie Hebdo, le 25 décembre 2007
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Annexe 23
L’empire contre-attaque
Les « Guignols de l’info », fin janvier 2007
PPDA :voilà je suis donc avec Jacques Chirac. Monsieur le Président, vous n’irez pas à
l’investiture de Nicolas Sarkozy samedi, on parle d’une contre- attaque terrible de votre part.
Chirac : oui, j’ai fait donner ce qu’on appelle l’artillerie lourde. Ca va cogner ! Mes
troupes sont prêtes, elles sont affamées, ça va saigner !
PPDA : mm…Vous pouvez nous rappeler brièvement l’ensemble de vos troupes ?
J.C : mais je ne veux pas embêter les français avec un catalogue interminable de noms
comme Jean Louis Borloo, ou encore Dominique de Villepin !
108
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
PPDA :et ?
J.C :et d’autres !
PPDA :mais qui ?
J.C :je vous trouve bien curieux !
PPDA : euh… on voudrait savoir qui vous soutient, c’est-à-dire qu’ils sont 300 000 en
face !
J.C : et ben on est pareil…moins les 100 000.
PPDA :c’est-à-dire ?
J.C :on est trois.
PPDA :c’est pas beaucoup !
J.C :ouai mais que des gars de haut niveau ! Que du lourd ! Président de l’Assemblée
nationale, déjà, Premier Ministre, et…le Président de la République ! Je sais pas si vous
vous rendez compte, mais le Président de la République me soutient ! J’aime pas la ramener
mais ça en jette non ?
PPDA :c’est ridicule ! Sarkozy, lui, prévoit 300 000 personnes, des milliers de bouteilles
de champagne …
J.C :et alors ? Avec Jean-Louis samedi après midi, on a fait quarante litres de sangria,
et on les a sifflés à deux !
PPDA :c’est bien ça ?
J.C :j’en sais rien, mais chez Sarkozy, ça m’étonnerait qu’ils boivent 20 litres chacun.
Là on gagne déjà ! Un point pour nous ! Et ça a même pas commencé ! Non, on les attaque
au mental là !
PPDA :oui. Monsieur de Villepin ne pic..ne boit pas avec vous ?
J.C :ahaha ! Non, c’est la stratégie de l’encerclement ! Nous les attaquons au mental
avec Jean-Louis et Dominique les attaque au portefeuille !
PPDA :Bon, expliquez nous parce que là…
J.C :Ben Dominique se rend au Congrès, mais sans voter ! Il va juste déjeuner !
PPDA :Ah oui…
J.C :Un vote en moins et trois repas en plus, économiquement pour sarkozy, ce n’est
pas tenable !
PPDA :Trois repas ?
Chirac :Oui. On a demandé à Villepin de s’empiffrer. Deux jours qu’il mange pas il a
une dalle !En plus on a un plan secret. Il n’y va pas seul au déjeuner !
PPDA :Ha. Et il y va avec qui ?
J.C :Une gastro !
PPDA :une gastro ?
J.C :Une gastro entérite oui ! J’ai acheté le virus sur e.Bay. Un truc foudroyant ! Si
Dominique éternue samedi, dimanche c’est 20 militant sur le carreau!
REMUSAT Cécile_2007
109
Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
PPDA : Monsieur Chirac, pourquoi vous n’admettez pas que Sarkozy a gagné ? Il vous
a piqué votre parti, il a tous les militants et les députés avec lui, et 80% du gouvernement !
Pourquoi vous n’abdiquez pas ?!
J.C :Parce que je vais gagner ! (d’un ton qui signifie que c’est une évidence, pas un
ton agressif)
PPDA : 80% des Français ne veulent pas que vous vous présentiez !
J.C :J’ai fait 18,7 en 2002 au 1er tour. Nous allons gagner !
Jean-Louis Borloo (qui entre sur le plateau) : Hé Jacques ! J’ai déjà le sucre gratos
pour la sangria de dimanche.
J.C : Parfait ! A l’attaque Jean-Louis !
PPDA : Ah il faut avouer que c’est quand il est ridicule qu’il nous surprend le plus et
il nous a toujours surpris !
Annexe 24
Jacques Chirac fait entrer les Justes au Panthéon et invite la France à regarder son histoire
"en face"
Le Monde, le 18 janvier 2007
Après André Malraux en 1996 et Alexandre Dumas en 2002, Jacques Chirac fait entrer
les Justes de France au Panthéon, à Paris, jeudi 18 janvier. Cet hommage solennel de la
nation aux Français qui ont sauvé des milliers de juifs pendant la seconde guerre mondiale
lui a été proposé, il y a un peu plus d'un an, par Simone Veil, présidente de la Fondation
pour la mémoire de la Shoah - et immédiatement accepté par le président.
Le chef de l'Etat achève ainsi le travail de mémoire qu'il a engagé dès 1995, en
reconnaissant pour la première fois " les fautes commises par l'Etat", à l'occasion de
l'anniversaire de la rafle du Vélodrome d'hiver du 16 juillet 1942, au cours de laquelle 12
884 juifs furent arrêtés, avant d'être exterminés pour la plupart dans les camps nazis. " La
France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable", avait lancé M. Chirac. Le discours avait fait
date. Aujourd'hui, " il tourne définitivement la page de Vichy", commentent ses conseillers.
En cette fin de quinquennat, après des voeux où le président a beaucoup parlé de la
France et de son avenir, il ne situe pas son message dans la repentance. Il veut exalter la
fierté d'une histoire commune, dont les Justes, notamment, ont montré le chemin : "Vous (les
Justes) incarnez la France dans ce qu'elle a de plus universel, dans la fidélité aux principes
qui la constituent. Grâce à vous, grâce à d'autres héros à travers les siècles, nous pouvons
regarder la France au fond des yeux et notre histoire en face", devait déclarer M. Chirac.
Une citation qui ne doit rien au hasard, car il connaît ses classiques. C'est l'ancien
candidat Valéry Giscard d'Estaing, qui voulait, lui aussi, en 1974 "regarder la France au fond
des yeux". On fait semblant de croire, à l'Elysée, qu'il n'y a "pas pensé".
C'est une histoire assumée en totalité, le travail de mémoire ayant été accompli, que
M. Chirac devait évoquer à travers l'exemple des Justes : " Parfois, on y voit des moments
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Annexes
profondément obscurs. Mais on y voit aussi le meilleur et le plus glorieux. Notre histoire,
il faut la prendre comme un bloc. Elle est notre héritage, elle est notre identité." Sur cette
identité historique, et malgré les crises permanentes ou ponctuelles traversées par le pays,
se construisent, à ses yeux, l'avenir et la fierté d'être français. "C'est à partir (de l'histoire)
et en traçant de nouveaux chemins que nous pouvons nous engager, la tête haute, dans
les voies de l'avenir. Oui, nous pouvons être fiers de notre histoire ! Oui, nous pouvons être
fiers d'être Français !", devait-il avancer, cohérent avec sa croisade contre le pessimisme
et la thèse du déclin.
A travers ces héros ordinaires qui pensaient, toutes origines et milieux confondus,
n'accomplir que leur devoir, M. Chirac voit enfin un message universel : "A un moment où
montent l'individualisme et la tentation des antagonismes, ce que nous devons voir, dans
le miroir que nous tend le visage de chaque être humain, ce n'est pas sa différence, mais
ce qu'il y a d'universel en lui", devait-il souligner.
A l'heure aussi où les Européens se divisent sur l'opportunité d'une législation commune
contre le négationnisme, et où se crée, au Parlement européen, un groupe d'extrême
droite, présidé par Bruno Gollnisch, délégué général du Front national, actuellement jugé
pour "contestation de l'existence de crime contre l'humanité", M. Chirac devait avoir des
mots très durs contre le négationnisme, ce "cancer de la pensée". Ce projet législatif
européen, soutenu par les Allemands, n'a, pour l'instant, suscité qu'une réaction prudente
du nouveau président du Parti populaire européen, Joseph Daul (UMP), chiraquien et
désormais sarkozyste, qui dit devoir " consulter ses vingt-sept délégations nationales".
Pour M. Chirac, la boucle historique est bouclée et le combat pour les valeurs, jusqu'au
bout, livré. L'hommage aux Justes protestants du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire),
celui solennel de la nation au capitaine Dreyfus, celui aux anciens combattants africains
et maghrébins jalonnent ce parcours. Tout comme l'évocation de Pétain, "vainqueur de
Verdun" et porteur du "déshonneur de la collaboration", ou la reconnaissance de la "tache
indélébile" que fut l'esclavage. Le travail de mémoire sur la colonisation, reste, lui, à achever.
Béatrice Gurrey
Annexe 25
En rendant hommage aux Justes de France, Chirac parachève le travail national de
mémoire
Le Figaro, le 18 janvier 2007
Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante. Ce soir, dans la crypte du
Panthéon, Jacques Chirac rend un hommage solennel aux Justes de France. Le chef de
l'État va dévoiler une plaque sur laquelle on pourra lire : « Bravant les risques encourus, ils
ont incarné l'honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d'humanité. » Les
Justes parmi les Nations, ce sont ces héros de l'ombre qui, pendant la Deuxième Guerre
mondiale, ont hébergé, caché et sauvé des Juifs de la mort. L'État d'Israël les a reconnus
officiellement et ils sont honorés dans le cadre du Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem.
En France, cette distinction a été décernée à 2 725 personnes, dont 240 sont encore en
vie. Le village auvergnat du Chambon-sur-Lignon, au coeur d'une terre protestante, occupe
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
une place à part : le titre lui a été attribuée collectivement, pour la bravoure de ses 3 000
habitants qui, pendant la guerre, ont caché entre 3 000 et 5 000 Juifs.
« Dans les moments les plus effroyables de l'histoire de France, l'État s'est effondré,
les élites se sont effondrées, mais la Nation française, dans ce qu'elle a de plus profond,
a été là », souligne Frédéric Salat-Baroux, le secrétaire général de l'Élysée. Pour Jacques
Chirac, la boucle ainsi est bouclée. Depuis son élection, en 1995, il a porté une attention
toute particulière au travail de mémoire sur les pages les plus contestées de l'histoire de
France. Au nom de la cohésion sociale et de l'unité nationale.
Tout a commencé le 16 juillet 1995. Ce jour-là, le président de la République,
nouvellement élu, accomplit un acte fort, un de ceux qu'on aime à appeler « fondateurs »,
en reconnaissant la responsabilité de l'État dans la déportation des Juifs de France. De
Charles de Gaulle à François Mitterrand, il rompt ainsi avec la thèse défendue par tous
ses prédécesseurs qui, dans un contexte historique hérité de l'après-guerre, niaient cette
responsabilité. « La France, patrie des Lumières et des droits de l'homme, terre d'accueil et
d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses
protégés à leurs bourreaux », déclare le chef de l'État, dans un discours commémorant la
grande rafle du Vel'd'Hiv. Un discours aussitôt salué par les représentants de la communauté
juive. « C'est le discours que l'on n'attendait plus », se réjouit Henri Hajdenberg, alors
président du Crif. Jacques Chirac « sait mieux que les hommes de la génération de Vichy
ce que représente pour l'histoire de la France le fait de s'être associé à des crimes contre
e
l'humanité », explique M Serge Klarsfeld, le chasseur de nazis.
C'est un discours « irréprochable », commente Ségolène Royal, se démarquant
- déjà - de la position officiellement exprimée par certains dirigeants socialistes. À l'opposé,
gaullistes historiques et mitterrandistes de stricte obédience se rejoignent dans leur volonté
de maintenir une différenciation entre « l'État illégitime de Vichy, personnalisé par Pétain »,
et « la République française, personnalisée par le général de Gaulle à Londres »,
selon les propos du fabiusien Claude Bartolone. « Non, Vichy n'était pas la France »,
proclament, rageurs, Marie-France Garaud et Pierre Juillet, les anciens conseillers de
Georges Pompidou et de Jacques Chirac. Dans ce discours où il dénonce « une faute
collective », le président de la République prend soin d'exalter « une certaine idée de la
France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie », une France qui n'a « jamais
été à Vichy ». Pourtant certains lui reprochent de s'être livré à un exercice de repentance.
Un exercice qui, selon eux, flatterait les communautés identitaires.
Preuve qu'il est difficile de regarder avec sérénité les années sombres de l'histoire
récente, la polémique resurgit lors du procès Papon, à l'automne 1997. Gardien de la flamme
gaulliste, Philippe Séguin s'inquiète alors d'un « néorévisionnisme » qui assimilerait Vichy à
la France. En mettant en garde contre le risque que le procès Papon serve de « prétexte à
deux procès, celui du général de Gaulle et du gaullisme, et celui de la France ». Le thème de
la repentance refait régulièrement surface, notamment, lors des débats sur le passé colonial
de la France et ses relations avec l'Algérie.
Pour l'Élysée, c'est « une problématique aberrante ». C'est dans un souci de « préparer
l'avenir » que Chirac appelle les Français à « tourner la page sans oublier », à « assumer
leur histoire », sans pour autant « s'autoflageller ». Et cette doctrine s'applique à l'esclavage,
dont l'abolition est désormais commémorée tous les 10 mai, au rôle de Pétain, le vainqueur
de Verdun, mais aussi celui qui a « couvert de sa gloire le déshonneur de la collaboration ».
Elle s'applique aussi aux harkis en faveur desquels est instituée « une journée d'hommage
national », le 25 septembre, ou encore au « caractère inacceptable » des « événements
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REMUSAT Cécile_2007
Annexes
de 1947 », répression sanglante par l'armée française d'une insurrection à Madagascar. Au
moment où venait de sortir Indigènes, film à succès avec en vedette Jamel Debbouze, le
président de la République a décidé la revalorisation des pensions des anciens combattants
de l'empire colonial français. Au risque d'être accusé par Nicolas Sarkozy de surfer sur
l'émotion.
À l'heure du bilan, l'Élysée veut croire que ce travail sur l'Histoire et la mémoire,
notamment sur la période de l'Occupation, sera inscrit à l'actif du président de la République.
« Ce qu'a fait Jacques Chirac pour que cette période qui ne passe pas puisse enfin passer,
c'est de reconnaître que la France a fait des choses horribles, mais qu'elle a aussi fait des
choses formidables », résume Frédéric Salat-Baroux.
Philippe Goulliaud
Annexe 26
Les Justes de France honorés au Panthéon
Libération, le 18 janvier 2007
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Jacques Chirac et Simone Veil (à droite), présidente de la Fondation pour la mémoire
de la Shoah à Chambon-sur-Lignon en 2004. REUTERS
Jacques Chirac rend jeudi au Panthéon l'hommage de la Nation aux 2.700 Justes
de France et aux héros anonymes qui ont sauvé des milliers de juifs de la mort
pendant la seconde Guerre Mondiale.
La date du 18 janvier n’a pas été choisie au hasard: elle correspond à l’entrée des
troupes soviétiques dans le camp d’Auschwitz,en 1945. Jacques Chirac rendra hommage
jeudi aux quelque 2.700 «Justes de France» et aux héros anonymes qui ont sauvés des
milliers de juifs pendant la seconde Guerre Mondiale. La cérémonie se déroulera à partir
de 18 heures au Panthéon.
« Pendant la guerre, c’est en France que l’on a été le plus fraternel .» Simone Veil,
présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, soulignait par ces propos, lors de
la présentation de la cérémonie le 22 décembre, l’élan solidaire en France, qui a permis de
sauver la vie de milliers de juifs pendant la seconde Guerre Mondiale. Ainsi, quand 90% des
juifs polonais furent exterminés, 80% des Hollandais et des Grecs, la proportion en France,
aussi horrible fut-elle, est de 30%. Sur les 300.000 Juifs habitant en France au début de la
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Annexes
guerre, 75.721 furent déportés (seulement 2.560 survécurent). Les autres furent sauvés par
des milliers de Français, leur délivrant des faux-papiers ou les aidants à passer en Suisse,
pays neutre.
Près de 2.725 Français sont reconnus comme Juste aujourd’hui, et des dossiers restent
à instruire. Nombreux sont ceux qui n’avaient pas demandé le moindre titre. Parmi ces
Justes, le village cévenol du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) a été honoré pour avoir
caché des milliers de juifs, le seul à avoir reçu ce titre collectivement avec un village des
Pays-Bas.
Avec cette cérémonie, le chef de l’Etat veut mettre l’accent sur le caractère toujours
actuel du combat contre l’extrémisme et « le côté lumineux » de la France –après
avoir reconnu ses « zones d’ombre », comme la déportation des juifs ou la tragédie de
l’esclavage. De très nombreux ministres, dont Dominique de Villepin, seront présents, ainsi
que Simone Veil et les 250 Justes survivants accompagnés de leurs familles.
La cérémonie se tiendra à partir de 18 heures, dans la nef du Panthéon qui honore les
grands hommes. La réalisatrice Agnès Varda présentera deux films de neuf minutes, un en
noir et blanc, l’autre en couleur, qui seront retransmis sur quatre grands écrans. L’ensemble
vocal Accentus interprétera l’œuvre Figure humaine du compositeur Francis Poulenc sur
des textes du poète Paul Eluard, dont le fameux Liberté .
Le président de la République se recueillera ensuite en compagnie de Simone Veil dans
la crypte devant la plaque rendant hommage aux Justes et aux anonymes, ces hommes et
femmes qui « ont incarné l’honne ur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance
et d’humanité».
Par A.D. (avec agences)
Annexe 27
"Tu me vois dire à Chirac : "Tu me soutiens, je t'amnistie" ?"
Le Monde, le 13 avril 2007
Pour recevoir Nicolas Sarkozy, mercredi 11 avril, pendant plus d'une heure, Jacques
Chirac avait fait servir, avec à propos, du pâté de campagne. Signe, paraît-il, que l'état
d'esprit est bon sur le baromètre chiraquien. Les deux hommes étaient pour une fois
parfaitement d'accord, sur l'interprétation de l'article paru le matin même dans Le Canard
enchaîné, racontant les arrangements entre eux si le président était poursuivi par la justice
à l'issue de son mandat : un mauvais coup destiné à leur nuire.
Selon l'hebdomadaire satirique, M. Sarkozy, s'il était élu, ferait prendre une disposition
législative rendant caduques les trop longues instructions judiciaires. "Cela n'a évidemment
pas l'ombre du début d'une réalité", assure un vieux compagnon du président. "Ça énerve
tout le monde. Si on était capable de s'énerver. C'est un coup qui vient à point nommé pour
les embarrasser", ajoute-t-il. Il y voit la main de magistrats et de journalistes.
"STAVISKY"
REMUSAT Cécile_2007
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
"Il y a un juge à Nanterre qui se posera la question de convoquer l'ancien président.
Mais il n'est tout de même pas le Stavisky de son époque. Il est assez paisible là-dessus et je
pense qu'il aura réponse à tout", juge ce proche de M. Chirac. Stavisky, escroc des années
1930, avait bénéficié de hautes protections pour voir son procès indéfiniment reporté et
avait fini "suicidé".
Devant ses proches, M. Sarkozy s'est montré très énervé par les révélations du Canard.
"Ce n'est pas comme cela qu'on se parle avec Chirac. Les gens ne savent rien de nos
relations. C'est ridicule", a-t-il pesté. "Tu me vois dire à Chirac : "Tu me soutiens, je
t'amnistie" ?", a demandé le candidat de l'UMP à un ami. "Il est furieux et cherche le
responsable. Il veut savoir qui est allé raconter des trucs pareils", confie un sarkozyste.
Pour le reste, le candidat de l'UMP juge que le soutien du président à sa campagne est clair
et net. "Il est dans un bon état d'esprit. Il a tourné une page et il est tout à fait serein avec
moi", a assuré M. Sarkozy à quelques proches.
L'Elysée s'est cependant abstenu de tout commentaire, vendredi 13 avril, après
l'imbroglio entre M. Sarkozy et le Front national. Champion de la lutte contre l'extrémisme,
M. Chirac ne peut que désapprouver toute compromission. Et il y a peu de doute sur le fait
qu'il s'exprimera entre les deux tours.
Béatrice Gurrey
Annexe 28
L'Elysée dénonce le "procédé scandaleux" du Canard
Le Figaro, le 11 avril 2007
AFP, Reuters
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REMUSAT Cécile_2007
Annexes
La présidence a démenti par deux fois les informations du Canard Enchaîné, qui
évoque un accord secret entre Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, pour éviter au chef
de l'Etat de faire face à la justice.
«Procédé scandaleux et inacceptable», «allégations totalement infondées et
mensongères»... Fait rare, l'Elysée a réagi à deux reprises mercredi aux allégations
du Canard Enchaîné, «qui sont strictement sans fondement, [et] n'appellent aucun
commentaire».
En cause : un article où l’hebdomadaire affirme qu’un accord a été passé entre Nicolas
Sarkozy et Jacques Chirac. En échange du soutien du chef de l’Etat, le candidat de l’UMP
se serait engagé, s’il est élu, à faire le nécessaire pour lui éviter d’être confronté à la justice.
Selon les informations du Canard, qui cite un «familier du chef de l’Etat», Nicolas
Sarkozy a refusé l’idée d’une amnistie spécifique. Il aurait en revanche envisagé d’intégrer
au projet de loi destiné à renforcer la lutte contre la délinquance un article spécifique.
Selon un «chiraquien» cité par l’hebdomadaire, ce texte «imposera aux juges de clore leurs
dossiers dans des délais très stricts […], pas plus d’une dizaine d’années», pour les délits.
Pour appuyer sa thèse, le journal satirique cite également un article du Figaro, qui
évoque les discussions régulières entre le chef de l’Etat et Nicolas Sarkozy à propos des
«emplois fictifs de la Ville de Paris et de l'éventuelle implication de Jacques Chirac».
Trois «affaires» concernées ?
Une réforme des délais d’instruction, réclamée par la Cour européenne des Droits de
l’Homme, permettrait à Jacques Chirac d’éviter trois affaires qui remontent à plus d’une
REMUSAT Cécile_2007
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
décennie : l’emploi fictif d’une secrétaire au RPR ; les fausses factures présumées de
l’imprimerie municipale Sempap ; et d’autres salariés «fantômes» de la mairie de Paris.
Les affirmations du Canard ont déclenché une tempête de réactions à gauche et
au centre. De son côté, Nicolas Sarkozy a vivement critiqué cet article, «grotesque,
blessant, mensonger». Xavier Bertrand, l’un des porte-paroles du candidat, a quant à lui
accusé l'hebdomadaire satirique de «tirer la campagne vers le bas».
Annexe 29
L'amnistie, cadeau d'adieu à Chirac
Libération, le 12 avril 2007
Selon «le Canard», Sarkozy se serait engagé à enterrer des affaires impliquant
le Président.
C'est pratique, la lenteur de la justice. Souvent, on peut en profiter pour laisser des
dossiers s'enterrer. Et parfois, on peut critiquer ce rythme d'escargot et décider d'arrêter
une instruction. A en croire le
Canard enchaîné de mercredi, Nicolas Sarkozy
aurait choisi la seconde voie pour contraindre quelques juges à mettre au panier trois
encombrants et poussiéreux dossiers concernant Jacques Chirac. Le candidat UMP et le
chef de l'Etat auraient conclu, il y a quelques semaines, un deal consistant à éviter au
Président l'humiliation de finir sa carrière politique dans le bureau d'un juge.
S'il était élu, Nicolas Sarkozy ferait voter dès l'été un projet de loi visant à réformer
l'ordonnance de 1945 sur les mineurs. Glissé dans ce texte, un article obligerait les
magistrats à clore leurs enquêtes dans un délai de dix ans après les faits, et à carrément
annuler les dossiers trop anciens. Ce qui est le cas de trois affaires touchant Jacques
Chirac : celle sur les fausses factures de la Sempap, une ancienne imprimerie de la mairie
de Paris ; celle des chargés de mission payés par la mairie alors qu'ils travaillaient pour le
RPR ; et celle des emplois fictifs du RPR qui a valu à Alain Juppé un an d'inéligibilité. Dans
cette dernière affaire, une trace matérielle impliquant Chirac existe, ce qui nourrit l'hypothèse
d'une convocation une fois l'Elysée quitté et le statut pénal protecteur envolé.
«Ce sont des allégations strictement sans fondement, n'appelant de notre part aucun
commentaire», a répliqué hier l'Elysée au sujet d'un éventuel accord avec Nicolas Sarkozy.
«Grotesque», commente ce dernier (lire aussi page 2).
«Si c'est vrai, c'est évidemment inacceptable», a commenté François Bayrou, sautant
sur l'occasion pour promettre «une justice indépendante» s'il est élu. Le PS a demandé
à «chaque
candidat» de «s'engager sans ambiguïté à ne pas étouffer, entraver ou
amnistier aucune
affaire judiciaire en cours». Mais l'autocensure de certains juges,
surtout si Nicolas Sarkozy est élu, pourrait aussi suffire à laisser les affaires Chirac mourir
de leur belle mort.
Fabrice Tassel
Annexe 30
118
REMUSAT Cécile_2007
Annexes
Une déclaration d'amour et cinq recommandations à la France et aux Français
Le monde, le 13 mars 2007
ON A VU d'abord, fait très inhabituel, le président assis à son bureau en train d'écrire.
Cette image furtive, comme volée, était destinée à faire comprendre aux téléspectateurs
que le président de la République qui allait les quitter avait mis beaucoup de lui-même dans
son allocution. Car, sur la nature de sa décision, il n'y eut guère de surprise, dimanche 11
mars, à 20 heures : « Je ne solliciterai pas vos suffrages pour un nouveau mandat. »
Pas plus qu'il ne fallait s'attendre, ce soir-là, au soutien de Jacques Chirac à Nicolas
Sarkozy, qui le réclamait encore, le matin même, dans Le Journal du dimanche. « S'agissant
des échéances électorales, j'aurai l'occasion d'exprimer mes choix personnels », s'est borné
à dire le chef de l'Etat. On a vu ensuite M. Chirac venir s'incruster sur un fond de drapeau
européen et tricolore, rendu ondoyant par la magie de l'image de synthèse. Une autre
nouveauté, message subliminal de modernité.
Puis est venu le temps d'un rapide bilan, suivi de cinq recommandations pour
l'avenir : combattre l'extrémisme, préserver le modèle français, poursuivre la construction
européenne, favoriser le développement, inventer une croissance écologique. Avec, pour fil
conducteur, une déclaration d'amour à la France et aux Français, déjà esquissée lors de ses
voeux du mois de janvier : « La France, mes chers compatriotes, je l'aime passionnément »,
a-t-il dit. Aimer son pays, c'est le moins, pour celui qui préside à son destin, mais M. Chirac
l'a dit avec une certaine force, lui qui fut si souvent accusé de n'aimer que le pouvoir : «
Pas un instant vous n'avez cessé d'habiter mon coeur et mon esprit », a-t-il assuré à ses
« chers compatriotes ».
Il fallait pourtant bien s'adonner au mea culpa, après douze années de pouvoir, où la
France a reculé, comme le montrent la plupart des indicateurs économiques. La faute en
revient « aux conservatismes et aux égoïsmes », que le chef de l'Etat aurait « voulu, bien
sûr, bousculer davantage ». Ce fut tout pour son acte de contrition, que M. Chirac avait déjà
prononcé, sur la question européenne, lors du dernier conseil à Bruxelles, le 9 mars.
« FIER »
Pour le reste, il s'est dit « fier » du travail accompli avec les Français. Sur la réforme
des retraites, votée en 2003 mais qu'il faudra bientôt remettre sur le métier. Sur l'insécurité
et la délinquance, assumant ainsi le bilan de Nicolas Sarkozy, bien que les violences aux
personnes aient augmenté de près de 14 % depuis 2002. M. Chirac s'est dit « fier surtout
d'avoir montré que contre le chômage, il n'y a pas de fatalité ». En cela, il s'est volontairement
distingué de son prédécesseur, François Mitterrand, qui avait maladroitement soupiré, le 14
juillet 1993 : « En matière de lutte contre le chômage, on a tout essayé. » Le chef de l'Etat a
pu s'enorgueillir que le taux de chômage de la France soit « au plus bas depuis un quart de
siècle », soit 8,6 %. Selon Eurostat, la France se situait, en janvier, au treizième rang dans
l'Europe des Quinze, derrière la Grèce et l'Espagne.
Mais c'est surtout sur les valeurs de la République, combat du quinquennat, que le chef
de l'Etat a voulu insister, comme le principe de laïcité, réaffirmé dans la loi sur le voile en
2004. « Ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de
l'autre ! », s'est exclamé M. Chirac, alors que Nicolas Sarkozy a suscité un tollé en proposant
la création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale.
Défendre les valeurs, a souligné M. Chirac, c'est aussi défendre la paix - un mot qu'il
a prononcé deux fois - sans faire plus d'allusion à ce qui reste le temps fort de son second
mandat, le non à la guerre en Irak.
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
M. Chirac s'est aussi acharné à défendre le « modèle français », de même qu'il a
continué à combattre la thèse du déclin de la France, qu'il exècre. Ce plaidoyer, qui vise
en particulier la préservation du système de protection sociale, a souvent été fustigé par le
candidat de l'UMP, qui dit, lui, juger en fonction des résultats : à savoir un chômage trop
élevé.
Ce fut, malgré la déclaration d'amour à la France et aux Français, malgré la
forte personnalité du président, un dernier exercice d'énarque, en deux temps et cinq
mouvements. Cela avait peu à voir avec les adieux de son prédécesseur, qui, lors de ses
voeux du 31 décembre, avait assuré aux Français : « Je crois aux forces de l'esprit et je
ne vous quitterai pas. »
Béatrice Gurrey
Annexe 31
Jacques Chirac ne briguera pas un nouveau mandat
Le Figaro, le 12 mars 2007
Le président de la République a adressé plusieurs messages aux Français en
forme de testament politique.
« JE NE solliciterai pas vos suffrages pour un nouveau mandat. » Hier soir, c'est avec
« beaucoup d'émotion » , « avec au coeur l'amour et la fierté de la France » que Jacques
Chirac s'est adressé aux Français pour leur faire part de ce choix. « Au terme du mandat
que vous m'avez confié, le moment sera venu pour moi de vous servir autrement » , a-t-il dit
dans une allocution radiotélévisée. « D'une manière différente, mais avec un enthousiasme
intact et la même passion d'agir pour vous, je continuerai à mener les combats qui sont les
nôtres, les combats de toute ma vie, pour la justice, pour le progrès, pour la paix, pour la
grandeur de la France. »
Jacques Chirac a indiqué qu'il aurait ultérieurement « l'occasion d'exprimer (ses)
choix personnels » pour la présidentielle. Hier, après avoir défendu son bilan, notamment
la restauration des valeurs républicaines et la laïcité, il a préféré adresser « plusieurs
messages » aux Français en forme de testament politique.
« Ne composez jamais avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de
l'autre. Dans notre histoire, l'extrémisme a déjà failli nous conduire à l'abîme. C'est un
poison. Il divise. Il pervertit, il détruit » , a-t-il dit . Il a également exalté « le beau combat
de la France » pour « l'unité » et « la cohésion ». « Oui, nos valeurs ont un sens ! Oui,
la France est riche de sa diversité ! Oui, l'honneur de la politique, c'est d'agir d'abord pour
l'égalité des chances ! » , a-t-il lancé.
Jacques Chirac a appelé les Français à « toujours croire en (eux) et en la France »
. « Nous avons tant d'atouts. Nous ne devons pas craindre les évolutions du monde. Ce
nouveau monde, il faut le prendre à bras-le-corps », mais « sans jamais brader notre
modèle français » , a-t-il prévenu. Comme en signe d'avertissement à Nicolas Sarkozy qui
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REMUSAT Cécile_2007
Annexes
en propose l'adaptation après l'avoir jugé obsolète. Chirac qui, vendredi, à l'occasion de son
dernier Conseil européen à Bruxelles, a fait son mea culpa après l'échec du référendum
en mai 2005, a estimé qu'il était « vital de poursuivre la construction européenne » .
« La France doit affirmer l'exigence d'une Europe puissance. D'une Europe politique. D'une
Europe qui garantisse notre modèle social » , a-t-il ajouté.
« La France a des responsabilités particulières »
Alors que son action internationale est un point fort de son bilan, il a souligné que
« la France n'est pas un pays comme les autres » et qu'elle a « des responsabilités
particulières » . « Face au risque d'un choc des civilisations, face à la montée des
extrémismes religieux, la France doit défendre la tolérance, le dialogue et le respect entre
les hommes et entre les cultures » . Il a également insisté sur « le devoir de la France »
, « peser de tout son poids » pour l'aide au développement et mener « la révolution
écologique qui s'engage » .
Séquence émotion, Jacques Chirac a conclu par une déclaration d'amour à la France
et aux Français : « Pas un instant, vous n'avez cessé d'habiter mon coeur et mon esprit.
Pas une minute, je n'ai cessé d'agir pour servir cette France magnifique. Cette France que
j'aime autant que je vous aime » et qui « n'a pas fini d'étonner le monde ».
Philippe Goulliaud
Annexe 32
Chirac, derniers feux plein d'amour
Libération, le12 mars 2007
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Permanences et évolutions des figures de Jacques Chirac.
Il a annoncé hier qu'il ne briguerait pas de nouveau mandat et a, lyrique, dit adieu
à «cette France que j'aime autant que je vous aime».
Voilà, c'est fini. Jacques Chirac s'en va. Pour la première fois depuis 1981, il ne
sollicitera pas les suffrages à l'élection présidentielle. Debout, sur fond de drapeau tricolore,
il l'a annoncé hier soir de son inimitable voix saccadée à ses «chers compatriotes», en les
noyant sous des flots d'amour. «Cette France que j'aime autant que je vous aime. Cette
France riche de sa jeunesse, forte de son histoire, de sa diversité, assoiffée de justice et
d'envie d'agir. Cette France qui, croyez-moi, n'a pas fini d'étonner le monde», a-t-il lancé
en guise de conclusion de quarante années de vie politique. Dans une allocution courte et
écrite de sa propre plume, le chef de l'Etat s'est efforcé de dresser un rapide bilan de son
action, mais surtout de délivrer une série de «messages» d'avenir.
A 74 ans et débarrassé de toute contingence électorale, il s'est posé en antilibéral,
écologiste, pacifiste et humaniste abhorrant l'extrémisme de droite. Du Chirac qui veut
rester, pour l'histoire, sur un profil gauche au moment de quitter la scène, après avoir adopté
de multiples postures depuis 1967, du rad-soc au libéral, en passant par l'étatiste et le
compassionnel voulant réduire la «fracture sociale».
Emu et tendu. Sans surprise, il a indiqué, hier, qu'il aurait plus tard l' «occasion
d'exprimer [ses] choix personnels». Pour un éventuel soutien, Nicolas Sarkozy va devoir
encore patienter (lire page 3).
Emu et visiblement tendu lorsqu'il est apparu sur les écrans pour cette ultime causerie
les yeux dans les yeux avec les Français, le président de la République a assuré qu'il ne
se retirerait pas tout à fait : «Je continuerai à mener [...] les combats de toute ma vie,
pour la justice, pour le progrès, pour la paix, pour la grandeur de la France.» Sous quelle
forme ? Mystère.
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Annexes
Content de lui, Jacques Chirac s'est dit à six reprises «fier» de son action à la tête de
la France. Tout juste a-t-il regretté ne pas avoir «bousculé davantage les conservatismes
et les égoïsmes pour répondre plus vite aux difficultés que connaissent certains d'entre
vous». Pour le reste, il s'est targué d'avoir conduit des «réformes importantes» (retraites,
handicapés, personnes âgées dépendantes...), d'avoir fait «reculer la délinquance» et,
tout aussi discutable, d'avoir ramené le chômage à son taux le plus bas «depuis un quart
de siècle».
«Pire ennemi». Mais il a surtout livré un testament sous forme de «messages». Le
plus important est à ses yeux la lutte contre l'
«extrémisme, le racisme,
l'antisémitisme». «Tout dans l'âme de la France dit non à l'extrémisme» , a-t-il lancé. Il a
également invité les Français à croire en eux sans «craindre les évolutions du monde» .
Et, dans une mise en garde à Sarkozy, il a appelé à ne «jamais brader notre modèle
français». Sur l'Europe, son plus gros échec, il a plaidé pour la poursuite de sa construction
et pour qu'elle soit une puissance «politique».
Le quatrième message du président de la République a été consacré aux
«responsabilités particulières de la France» : dialogue entre les cultures et les civilisations,
tolérance «face à la montée des extrémismes notamment religieux», paix... Enfin, le
Chirac écologiste a appelé à une «révolution dans nos esprits tout autant qu'à l'échelle
mondiale», faute de quoi «nous courons à la catastrophe».
Une pluie de réactions plutôt positives en France ont accompagné la déclaration du
chef de l'Etat, hormis du côté de Jean-Marie Le Pen, qui s'est réjoui de «perdre son pire
ennemi». Quant à George W. Bush, son adversaire de l'extérieur, il a souhaité quelques
minutes à peine après le speech présidentiel «ce qu'il y a de meilleur» à Jacques Chirac.
Antoine Guiral
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