Gouverner la France depuis 1946

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corrigé bac 2013
Examen : Bac L, ES
Epreuve : Histoire
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RAPPEL DU SUJET
SUJET : GOUVERNER LA FRANCE DEPUIS 1946
CONSIGNE :
Montrez que ces deux documents témoignent de conceptions différentes du rôle et de l'action de l'Etat en France.
En quoi le contexte de chacun de ces documents permet-il de comprendre ces conceptions ?
Document n°1 : Extraits des mémoires de Charles de Gaulle
Dans ses mémoires Charles de Gaulle rappelle quelques grands traits du gouvernement de la France après la
Seconde Guerre mondiale.
« On peut dire qu’un trait essentiel de la résistance française est la volonté de rénovation sociale. Mais il faut la
traduire en actes. Or, en raison de mes pouvoirs et du crédit1 que m’ouvre l’opinion, j’ai les moyens de le faire. […]
Etant donné que l’activité du pays dépend du charbon, du courant électrique, du gaz, du pétrole et dépendra un jour
de la fission de l’atome, que pour porter l’économie française au niveau qu’exige le progrès ces sources doivent être
développées, qu’il y faut des dépenses et des travaux que seule la collectivité est en mesure d’accomplir, la
nationalisation s’impose.
Dans le même ordre d’idée, l’Etat se voit attribuer la direction du crédit. En effet, dès lors qu’il lui incombe de financer
lui-même les investissements les plus lourds, il doit en recevoir directement les moyens. Ce sera fait par la
nationalisation de la Banque de France et des grands établissements de crédit. […]
Enfin, pour amener l’économie nouvelle à s’investir, c’est-à-dire à prélever sur le présent afin de bâtir l’avenir, le
« Haut-commissariat au Plan d’équipement et de modernisation » sera créé pendant cette même année. Mais il n’y a
pas de progrès véritable si ceux qui le font de leurs mains ne doivent pas y trouver leur compte. Le gouvernement de la
Libération entend qu’il en soit ainsi, non seulement par des augmentations des salaires, mais surtout par des institutions
qui modifient profondément la condition ouvrière. L’année 1945 voit refondre entièrement et étendre à des domaines
multiples le régime des assurances sociales. Tout salarié en sera obligatoirement couvert. Ainsi disparaît l’angoisse,
aussi ancienne que l’espèce humaine, que la maladie, l’accident, la vieillesse, le chômage faisaient peser sur les
laborieux. […] D’autre part, un système complet d’allocations familiales est alors mis en vigueur. »
Source : Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, Le Salut, 1944-1946, Plon, 1959
1
« … crédit que m’ouvre l’opinion » : crédit a ici le sens de « confiance de l’opinion » et non le sens financier que le mot
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prend dans le reste du texte
Document n°2 : Chirac devant l’Assemblée nationale, 9 avril 1986
Le RPR, parti gaulliste, a remporté les élections législatives de 1986. Jacques Chirac, issu du RPR, est alors nommé
premier ministre par le président François Mitterrand.
« Depuis des décennies – certains diront même des siècles -, la tentation française par excellence a été celle du
dirigisme d’Etat. Qu’il s’agisse de l’économie ou de l’éducation, de la culture ou de la recherche, des technologies
nouvelles ou de la défense de l’environnement, c’est toujours vers l’Etat que s’est tourné le citoyen pour demander
idées et subsides1. Peu à peu, s’est ainsi construite une société administrée, et même collectivisée2, où le pouvoir s’est
concentré dans les mains d’experts formés à la gestion des grandes organisations. Ce système de gouvernement, qui
est en même temps un modèle social, n’est pas dénué de qualités : il flatte notre goût national pour l’égalité ; il assure
pérennité et stabilité au corps social ; il se concilie parfaitement avec le besoin de sécurité qui s’incarne dans
l’Etat-Providence.
Mais il présente deux défauts rédhibitoires 3 : il se détruit lui-même, par obésité 4 ; et surtout, il menace d’amoindrir
les libertés individuelles.
Les Français ont compris les dangers du dirigisme étatique et n’en veulent plus. Par un de ces paradoxes dont
l’histoire a le secret, c’est précisément au moment où la socialisation semblait triompher que le besoin d’autonomie
personnelle, nourri par l’élévation du niveau de culture et d’éducation, s’exprime avec le plus de force. Voilà d’où
naissent sans aucun doute les tensions qui travaillent notre société depuis des années : collectivisation 2 accrue de la
vie quotidienne mais, inversement, recherche d’un nouvel équilibre entre les exigences de la justice pour tous et
l’aspiration à plus de liberté pour chacun. »
Source : Serge Bernstein, Le gaullisme, documentation photographique n°8050, 2006.
1 Subside
: aide financière
2
Collectivisée, collectivisation : références au modèle soviétique, utilisées comme argument dans le débat politique
3
Rédhibitoire : inacceptable
4
Idée que le dirigisme accroîtrait le poids de l’Etat et le rendrait moins efficace.
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LE CORRIGÉ
SUJET : ETUDE CRITIQUE DE DOCUMENT D'HISTOIRE
I- ANALYSE DU SUJET :
Il s’agit d’un sujet en rapport avec le 4e et dernier thème du programme sur “les échelles de gouvernement dans le
monde de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours”. Autant dire que le message est clair : il faut que les
enseignants aillent au terme de ce nouveau programme de Terminale ES, mais le risque est ici que beaucoup d’élèves
soient pénalisés.
La lourdeur dudit programme et les thèmes, très variés, parfois difficiles à appréhender pour des Terminales, sans
oublier les chronologies multiples à maîtriser, auront inévitablement conduit de nombreux professeurs, sinon à faire des
impasses, du moins à traiter très succinctement certains sujets, dont ce 4e thème.
Cela étant, le commentaire de 2 documents porte sur le sous-thème “gouverner la France depuis 1946”, en principe
abordé avant ceux consacrés aux autres échelles : projet d’une Europe politique et gouvernance économique mondiale.
Un moindre mal ? La dominante économique du sujet permettra sans doute aux Terminales ES de réutiliser certains
acquis de leurs cours de SES sur les nationalisations et les privatisations, ou sur le rôle de l’Etat en général, abordé
également en géographie dans le cadre du thème consacré à la mondialisation.
L’étude critique de 2 documents, un peu plus complexe à construire, a au moins le mérite de permettre un devoir
dynamique fondé sur une comparaison. Le libellé du sujet suggère en général le plan à suivre et invite ici à
particulièrement insister sur le contexte historique pour comprendre les différences de conception du rôle et de l’action
de l’Etat entre Charles de Gaulle et Jacques Chirac. Mais les élèves auront-ils eu l’occasion de se pencher réellement
sur l’histoire générale des IVe et Ve Républiques en fin d’année ? C’est peu probable.
II- LES CONNAISSANCES ESSENTIELLES :
Il faudra commencer par présenter les documents et leur intérêt en introduction, sans en dire trop sur le contexte, qui
fera l’objet d’une partie entière.
En effet, le sujet semble préconiser un plan du type : I. Description (des différentes conceptions de l’Etat dans les 2
documents) ; II. Explication (de ces contrastes par le contexte historique, qui a changé).
L’intérêt du sujet et sa principale problématique sont à cerner d’emblée : comment deux hommes politiques de la même
famille, c’est-à-dire gaullistes, en viennent-ils, à 40 ans d’intervalle, à afficher des visions de l’Etat dissemblables ?
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En introduction, on prendra garde également de préciser la différence de nature entre les 2 documents. Le texte de de
Gaulle est issu de ses Mémoires, donc d’une autobiographie parue une quinzaine d’années après les faits mentionnés,
ce qui induit un certain recul, même si le Général commence alors son mandat de Président de la République. Celui de
Jacques Chirac est la retranscription d’un discours qu’il prononce à l’Assemblée en tant que Premier ministre. Cela
étant, il existe des points communs : les 2 hommes sont à la tête de l’Etat (puisque Chirac, dans sa cohabitation avec
Mitterrand, mène clairement la politique du pays) et chacun théorise le rôle de l’Etat avant de déterminer quelle doit être
précisément son action.
1. Deux conceptions différentes du rôle et de l’action de l’Etat en France...
Le général de Gaulle entend affirmer le rôle central de l’Etat en 1945 en tant que chef du gouvernement provisoire après
la Libération. Pour lui, cela garantit l’intérêt général et des investissements dans les secteurs-clés de l’économie : aussi
préconise-t-il une nationalisation des entreprises liées aux sources d’énergie (charbon avec les Charbonnages de
France, électricité et gaz avec EDF-GDF, et plus tard le nucléaire), de même que du secteur bancaire (Banque de
France et “grands établissements de crédit” comme le Crédit lyonnais ou la Société générale). L’Etat devient donc
propriétaire de grandes entreprises, y compris industrielles comme la firme automobile Renault, afin de contrôler
certains secteurs économiques.
Mais il veut aussi orienter leur évolution et fixer les grandes orientations à suivre pour la reconstruction du pays : pour
“prélever sur le présent afin de bâtir l’avenir”, il crée le “Haut-Commissariat au Plan d’équipement et de modernisation”,
qui sera confié à Jean Monnet, un des futurs “pères de l’Europe”. Il s’agit ici d’une planification indicative, afin de
renseigner les principaux acteurs de l’économie sur les besoins du pays.
On peut donc trouver surprenant de voir Jacques Chirac, Premier ministre issu du RPR, un parti qui se dit gaulliste,
critiquer les dangers de la “collectivisation” ou du “dirigisme étatique”, comme si la France avait connu un modèle
quasi-soviétique, qui aurait été initié par De Gaulle, qui était pourtant très loin d’être communiste et se méfiait
grandement du PCF en 1945. Mais dans son discours, Chirac prend soin de rendre hommage au “modèle français” en
lui reconnaissant trois “qualités” principales : son aspect égalitaire, sa contribution à la “stabilité” de la société et, bien
entendu, l’Etat-Providence. Il y a donc là un hommage au système de la Sécurité Sociale mis en place par le
gouvernement de De Gaulle, que celui-ci explique dans ses mémoires : une réforme des “assurances sociales” pour
améliorer la “condition ouvrière” et assurer la couverture et la protection de “tout salarié” pour faire disparaître ce qu’il
décrit comme les peurs ancestrales des travailleurs : maladie, accident, vieillesse, chômage. Il complète ce nouveau
dispositif par les allocations familiales.
C’est ici que le contexte historique intervient et permet de saisir non seulement chacun des documents, mais aussi les
différences entre de Gaulle et Chirac quant au rôle et à l’action de l’Etat.
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2. ... qui s’expliquent par le contexte historique
Si de Gaulle propose ces nombreuses réformes, dans lesquelles l’Etat joue un rôle essentiel, c’est parce que la situation
en France en 1945 est particulière : c’est la Libération, après l’occupation allemande et des années de guerre difficiles,
marquées par la défaite, les pénuries et les divisions franco-françaises entre résistants et collaborateurs. L’heure est
désormais à la Reconstruction et à l’apaisement des “angoisses” de la population française. De Gaulle estime le
moment propice : en tant que chef d’une résistance unifiée depuis 1943 (dont on commémore donc les 70 ans !) grâce à
l’oeuvre de Jean Moulin, il a la confiance de l’opinion (qui l’a accueilli en héros en 1944). Il pense donc “avoir les
moyens” de “traduire en actes la volonté de rénovation sociale” qui a été portée par la Résistance, notamment dans le
programme du CNR (Conseil National de la Résistance). Les hausses de salaires qu’il mentionne mais aussi et surtout
les Comités d’Entreprise et la Sécurité Sociale, sans oublier les nationalisations, viendront de là. Relancée, la France
entrera ensuite dans la fameuse période de croissance économique des “30 Glorieuses”, grâce au rôle joué par l’Etat
dans l’économie, avec le concours des entreprises et des travailleurs.
Pour Jacques Chirac, le contexte est fort différent. Il arrive au pouvoir après 5 ans de pouvoir socialiste.
En 1982, le Président Mitterrand et le gouvernement Mauroy (décédé très récemment) ont remis au goût du jour les
nationalisations, en faisant passer sous la férule de l’Etat 36 banques et de nombreuses entreprises (Thomson, St
Gobain, Rhône-Poulenc, Péchinez, Sacilor, Suez). Dans un contexte international de guerre froide contre l’URSS et
dans un contexte intérieur de victoire de la droite unie (RPR et UDF) contre la gauche socialiste et communiste aux
législatives de 1986, Chirac mène une bataille beaucoup plus idéologique, ce qui explique sa dénonciation de l’étatisme.
Le contexte économique est également devenu morose : la crise s’est installée depuis les années 1970 marquées par la
fin de la convertibilité du dollar en or (1971) et deux chocs pétroliers successifs (1973-74 et 1979-80), d’où l’arrivée d’un
chômage de masse en France. Chirac prend alors un tournant néo-libéral en s’inspirant des exemples anglo-saxons et
des “politiques de l’offre” menées par Ronald Reagan aux Etats-Unis et Margaret Thatcher (disparue en avril 2013) au
Royaume-Uni. Dans cette conception, pour reprendre les termes du Président américain, “l’Etat n’est pas la solution,
l’Etat est le problème”. On lui reproche ses dépenses et son inefficacité, ce que fait Chirac en mentionnant ses “défauts
rédhibitoires : il se détruit lui-même, par obésité ; et surtout, il menace d’amoindrir les libertés individuelles”. Ce dernier
point est développé à nouveau à la fin de l’extrait proposé : avec mesure, le Premier mnistre de l’époque pointe du doigt
le paradoxe de la société française, à la recherche selon lui de davantage d’autonomie personnelle (par exemple en
matière de libre entreprise ou de libre concurrence), d’où la contradiction entre les “exigences de justice” (ou d’égalité)
et “l’aspiration à plus de liberté”, qu’il relie aux progrès du niveau de culture et d’éducation.
Ainsi, même si le texte ne le mentionne pas directement, on peut mentionner la politique qui sera conduite par la suite et
consistera à “détricoter” les inititives socialistes : en 1986, le gouvernement procède à une vague de privatisations.
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En conclusion , il est possible (mais est-ce réaliste vu l’absence de perspective globale sur la Ve République ?) de
noter la remarque suivante : la politique économique socialiste ultérieure, avec la réélection de Mitterrand en 1988 sur
le principe du “ni-ni” (ni nationalisations, ni privatisations) puis sous le gouvernement Jospin (1997-2002), ira de plus en
plus dans le sens d’une libéralisation qui semble aujourd’hui faire consensus. La crise de la dette dans l’UE et l’austérité
plus ou moins décrétée sous la Présidence Hollande vont dans la même logique de désengagement d’un Etat confronté
à de nombreux déficits.
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