ETUDE SEPTIEME SESSION L’ECONOMIE VIETNAMIENNE APRES SON ENTREE A L’OMC Le risque systémique bancaire au Vietnam : Tendances récentes et évolutions possibles François-Xavier Bellocq Département de la Recherche Agence Française de DéveloppemenT Danang, les 26 et 27 février 2008 1/15 Le risque systémique bancaire au Vietnam : Tendances récentes et évolutions possibles TABLE DES MATIÈRES 1. UN SYSTÈME BANCAIRE EN TRANSITION ET TRES OPAQUE.............................................. 3 1.1. LA TRANSITION ET SES ENJEUX ................................................................................................... 3 1.2. TRES FORTE INCERTITUDE SUR LA SITUATION BILANTIELLE DU SYSTEME BANCAIRE CONSOLIDE ...... 5 2. SYSTEME BANCAIRE ET CYCLE FINANCIER........................................................................... 6 2.1. LES SEQUENCES DE LA CRISE ASIATIQUE ET LA NOTION D’EUPHORIE FINANCIERE DE F. MISHKIN .... 6 2.2. ENTREES DE CAPITAUX, CYCLE DU CREDIT ET PRIX DES ACTIFS AU VIETNAM ................................. 8 2.3. LA DOLLARISATION : UN RISQUE POTENTIEL MAIS A CE JOUR LIMITE ............................................ 10 3. LES EVOLUTIONS ENVISAGEABLES ...................................................................................... 13 BIBLIOGRAPHIE : ....................................................................................................................... 15 2/15 L’objectif de cet article est de présenter une analyse du risque systémique au Vietnam en s’appuyant sur les connaissances théoriques développées dans le champ de la macroéconomie financière depuis la fin des années 90. Cette orientation nous permet de dresser les grands enjeux auxquels se trouve confronté le système bancaire de cette économie simultanément en transition, en rattrapage rapide et en phase d’ouverture internationale. Dans ce cadre, une première partie présente deux caractéristiques centrale de ce système bancaire, c’est-à-dire sa libéralisation progressive et son opacité. Une deuxième partie analyse les risques découlant du cycle financier et de la dollarisation des bilans. Enfin, une troisième partie propose une réflexion prospective fondée sur trois scénarios possibles d’évolution. 1. UN SYSTEME BANCAIRE EN TRANSITION ET TRES OPAQUE 1.1. LA TRANSITION ET SES ENJEUX Dans les années 80, l’organisation du système bancaire vietnamien relevait du modèle de la monobanque (one-tier system) dans lequel la Banque centrale est l’unique banque du pays, contrôlant à la fois le volume, le coût et l’allocation sectorielle du crédit. Ce modèle, qui était alors typique des systèmes bancaires entièrement administrés des économies socialistes, commence à être réformé à partir de 1990 avec l’émergence d’un système hiérarchisé en deux niveaux (two-tier system) modifiant totalement l’organisation du secteur bancaire. Dans ce mode d’organisation, les fonctions de la banque centrale consistent à réguler le système financier alors que les banques de second rang (ou banques commerciales) ont pour fonction de fixer le volume du crédit et son allocation sectorielle. Les banques commerciales créées dans le cadre du two-tier system se composent de quatre grosses banques d’Etat et d’une banque d’Etat plus petite (State Owned Commercial Banks ou SOCB), en position largement dominante sur le marché, d’une quarantaine de banques partiellement privées (Joint-Stock Banks ou JSB) et d’une multitude de caisses de crédits populaires (People’s Credit Funds). Depuis le début de la décennie 2000, l’USBTA (2001) puis l’adhésion à l’OMC (effective en 2007) ont permis de lancer une nouvelle phase du processus de réforme. La libéralisation du secteur bancaire à horizon 2010 est en effet un engagement pris par les autorités vietnamiennes au titre de l’USBTA, engagement qui a ensuite été généralisé auprès de l’ensemble des Etats-membres de l’OMC au titre de la clause de la nation la plus favorisée. Cette nouvelle phase de la réforme devrait ainsi aboutir à la montée en puissance des banques internationales dans le capital bancaire vietnamien (les banques étrangères étant déjà en mesure - en tout cas dans les textes - d’ouvrir des filiales à 100% sous leur contrôle dès 2007). La nouvelle phase de réforme a été formalisée dans un document cadre - également appelé road map – signé par le premier ministre vietnamien le 24 mai 2006. Elle prévoit plusieurs modifications d’envergure d’ici 2010 : réforme de la Banque centrale (State bank of Vietnam ou SBV) et de la supervision bancaire (avec mise en place progressive des critères prudentiels de Bâle I puis de Bâle II) ; ouverture partielle du capital des SOCB (equitization) ; à terme, plus grande ouverture du secteur aux banques étrangères (leur participation au capital après equitization étant actuellement soumise à un seuil de 30% pour les pools de banques et de 15% pour une banque étrangère seule). Cette réforme aura des conséquences importantes pour les State Own Commercial Banks (SOCB) que l’Etat vietnamien cherche à adosser à des banques internationales afin de consolider leurs bilans et leurs méthodes de gestion (une réforme assez similaire à celle entreprise en Chine depuis quelques années). Dans ce cadre, l’Etat cherche à assainir le bilan des banques publiques en vue de leur privatisation progressive. Plusieurs 3/15 injections de capital ont été réalisées au début de la décennie 2000 alors que des structures de défaisance étaient constituées pour alléger les bilans des créances non performantes. Parallèlement à l’émergence d’un système hiérarchisé (two-tier system), l’objectif de faire monter en puissance le capital privé dans le capital bancaire, la libéralisation des taux d’intérêt et la volonté de développer les marchés financiers révèlent que l’esprit des réformes entreprises depuis une quinzaine d’années a pour ambition de rompre avec les ressorts de la répression financière. La répression financière est une notion théorique faisant référence à toutes les formes de contrôle, direct ou indirect, que les autorités publiques exercent sur le système financier. Ces contrôles peuvent être de différents types : place prépondérante du capital public dans le capital bancaire ; fixation des taux d’intérêt selon des procédures administrées (ce qui se traduit en général par des taux réels faibles ou négatifs) ; plafonnement du crédit ; dans certains cas, constitution de réserves obligatoires élevées pour financer le déficit budgétaire de l’Etat. Sur ce plan, la trajectoire en œuvre au Vietnam est similaire à celles observées dans de nombreux pays en développement au cours des années 80 et 90 à la suite des critiques théoriques très fortes formulées par McKinnon et Shaw 1 sur les principes de la répression financière. Ces deux auteurs soulignent que l’organisation administrée des systèmes financiers comporte en effet de nombreuses zones de sous-optimalité : les canaux de l’épargne sont sousdéveloppés et l’épargne a un rendement faible, voire négatif ; le volume d’investissements est réduit car les fonds disponibles sont peu importants (autrement dit, les banques sont dans un rôle d’intermédiation très imparfait) ; la qualité de l’investissement est influencée dans le sens d’une moindre prise de risque (fonctionnant dans un environnement où les ressources sont limitées, et n’étant pas en mesure de faire pleinement payer le prix du risque, les banques accordent la priorité aux entreprises les plus solides). A l’inverse, les modèles de McKinnon et Shaw montrent que la libéralisation financière permet d’accroître l’épargne domestique et le volume du crédit, tout en diversifiant les projets financés. De fait, les réformes bancaires au Vietnam correspondent désormais à un développement très rapide du crédit bancaire (voir la seconde partie de cet article). Ceci dessine les enjeux auxquels le système bancaire est aujourd’hui confronté : il s’agit de conserver la maîtrise des réformes de libéralisation financière, en faisant émerger les dispositifs essentiels à la régulation du financement d’une économie de marché, dans un contexte où la croissance du crédit est pourtant extrêmement rapide. Dans ce cadre, le risque potentiel serait que la libéralisation produise des modifications de structures financières beaucoup plus rapides que la capacité de réponse des politiques publiques en matière prudentielle, tant au niveau de l’adoption de textes plus contraignants qu’au niveau de leur mise en œuvre effective. Mis en perspective à partir de l’histoire financière des pays en développement, un tel risque apparaît comme un risque sérieux. En effet, la transition de la répression à la libéralisation financière a consisté en une séquence potentiellement dangereuse, ayant parfois débouché sur des crises financières, dans un certain nombre de pays en développement à partir des années 80 2 . Autrement dit, le développement rapide d’un secteur bancaire dont le mode d’organisation est par ailleurs en transition, renforce la nécessité d’un dispositif de régulation compatible avec les exigences d’une économie émergente en croissance forte et en phase d’intégration progressive à la finance globalisée. Nous revenons sur ce point fondamental dans la deuxième partie de cet article. 1 R. McKinnon (1973), Money and capital in economic development, The Brookings Institution, Washington. E. Shaw (1973), Financial deepening in economic development, Oxford University Press, New York. 2 C. Diaz-Alejandro (1985), “Good-bye financial repression, hello financial crash”, in Journal of Development Economics, 19. 4/15 1.2. TRES FORTE INCERTITUDE SUR LA SITUATION BILANTIELLE DU SYSTEME BANCAIRE CONSOLIDE Héritage du régime de répression financière que la road map entend réformer, la transparence du système financier vietnamien est aujourd’hui plus que limitée. De fait, il n’est pas possible d’établir un diagnostic complet sur la situation bilancielle de ce secteur en raison du manque d’information sur les indicateurs révélant, en première analyse, le risque systémique : capitalisation, qualité de l’actif, provision, liquidité, équilibre du bilan en devise, rentabilité. Le niveau d’incertitude sur la capitalisation et la qualité de l’actif, deux éléments d’analyse permettant d’apprécier les éventuelles tensions auxquelles font face les systèmes bancaires émergents, est un obstacle à l’élaboration d’un diagnostic complet. 1.2.1. INCERTITUDE SUR LA CAPITALISATION Les informations disponibles ne permettent pas d’évaluer précisément les ratios de solvabilité du secteur bancaire mais il existe néanmoins un consensus selon lequel les banques vietnamiennes sont globalement sous-capitalisées, la SBV elle-même ayant pour objectif d’accroître le montant minimum du capital. En 2004, une estimation réalisée par les services du FMI avait déterminé le besoin en capital du secteur bancaire consolidé entre 15 et 25% du PIB 3 . La recapitalisation des banques publiques par l’Etat, en vue de leur privatisation partielle (equitization), et la montée en puissance du capital étranger dans certaines JSV ont probablement permis d’améliorer la capitalisation du secteur mais celle-ci demeure probablement faible en regard de la croissance soutenue du crédit et du potentiel de volatilité propre aux économies émergentes en croissance soutenue. Aussi, selon les estimations réalisées par Fitch en 2006 4 , le ratio de solvabilité (Capital Adequacy Ratio) serait de l’ordre de 5% en moyenne, soit un niveau très inférieur de ceux enregistrés dans d’autres pays d’Asie émergente (14% en Thaïlande, 13% en Malaisie, 22% en Indonésie 5 ). Héritage du crédit administré et de la répression financière, les SOCB ont connu depuis les années 90 des tensions de solvabilité chroniques imposant à l’Etat vietnamien des recapitalisations successives. La situation des SOCB, qui représentent le cœur de la structure bancaire en contrôlant 75% des actifs, serait en fait très contrastée. 1.2.2. INCERTITUDE SUR LA QUALITE DE L’ACTIF ET LES PROVISIONS Historiquement, le caractère administré de la relation de crédit (et notamment le policy lending) a entravé le développement de la culture du risque dans les établissements de crédit et plus particulièrement dans les banques publiques. Résultat, celles-ci concentrent aujourd’hui l’essentiel des prêts non performants selon la SBV. Ce phénomène est probablement en voie de s’estomper au niveau du secteur dans son ensemble pour deux raisons : les JSB montent en puissance dans la structure bancaire sur la base d’un mode de gouvernance plus proche des standards internationaux que celui des banques publiques ; et, à partir de 2004, les activités de policy lending des banques d’Etat ont été transférées à des institutions financières spécialisées (DAF et Vietnam Bank for Social Policies). 3 B. Aitken (2004), “Can Vietnam outgrow its banking sector problems ?”, in IMF Selected Issues, SM/04/379. I. Tan et P. Tebbutt (2006), “The Vietnam banking system”, in Fitch Country Report, 24 mars. 5 Données issues de : FMI (2007), Global Financial Stability Report, septembre. 4 5/15 En tout état de cause, la culture du risque demeure balbutiante alors même que le crédit est en très forte croissance. Dans ce contexte, l’impossibilité d’obtenir une image claire de la qualité des portefeuilles de créances et des provisions empêche la définition d’un diagnostic complet sur la qualité de l’actif bancaire : comptabilisé selon les standards comptables locaux, le taux de prêts non performants est de l’ordre de 3% selon la SBV ; il serait autour de 15% selon les estimations de Fitch réalisées sur la base des normes IAS (International Accounting Standards) 6 . 2. SYSTEME BANCAIRE ET CYCLE FINANCIER 2.1. LES SEQUENCES DE LA CRISE ASIATIQUE ET LA NOTION D’EUPHORIE FINANCIERE DE F. MISHKIN Plusieurs modèles de tensions financières on été élaborés à partir de la fin des années 90 pour rendre compte, ex post, des enchaînements ayant conduit aux crises financières dans les pays émergents 7 . Ces modèles cherchent à articuler la dynamique des mouvements internationaux de capitaux et l’évolution des structures financières domestiques, notamment à l’échelon microéconomique. Par conséquent, les séquences conduisant au déclenchement de la crise sont assez largement indépendantes de l’évolution des fondamentaux macroéconomiques (la relation de dépendance entre dégradation des fondamentaux et crise est en tout cas moins forte que dans les modèles élaborés dans les années 80 pour rendre compte des crises de la dette). Empiriquement, la pertinence de ces modèles est forte dans le cas des économies émergentes alliant croissance économique forte et intégration progressive à la finance globalisée. Ils sont donc utiles pour cadrer les risques auxquels le système bancaire vietnamien fait face actuellement. Dans ce type de modèles, la montée des risques macro-financiers résulte de l’accélération des entrées de capitaux dans des systèmes financiers domestiques marqués par d’importantes déficiences sur le plan informationnel et prudentiel. Dans une première phase, même si elles permettent de consolider la croissance, les entrées de capitaux étrangers sont un des éléments déclencheurs des déséquilibres de bilans. C’est particulièrement le cas dans les systèmes bancaires où la facilité d’accès aux capitaux étrangers permet un endettement en devises qui sert à financer des crédits en monnaie locale (le taux des emprunts en devises étant plus faible que le taux des crédits accordés en monnaie locale, les marges d’intermédiation sont fortes). Au cours de cette première phase, la croissance s’accompagne de déséquilibres financiers que les marchés ne perçoivent que très imparfaitement en raison du climat général « d’euphorie » 8 . Dans une seconde phase, c’est au contraire la « neurasthénie » qui s’installe : en effet, dans un climat de défiance progressive qui conduit les investisseurs étrangers et notamment les banques étrangères à réduire la maturité de leurs créances, le déséquilibre du bilan en devises (actifs en monnaie locale financés sur la base de passifs en devises) s’accompagne d’un déséquilibre de maturités (actifs long terme financés sur la base d’un passif de plus en plus court). Cette montée de la tension sur la liquidité du système financier correspond à une situation de surendettement externe à court terme (accroissement du ratio dette externe à court terme sur réserves en devises). La liquidité bancaire se trouve ainsi au cœur des séquences décrites par ce type de modèle. 6 I. Tan et P. Tebbutt (2006), “The Vietnam banking system”, in Fitch Country Report, 24 mars. P. Pesenti et C. Tille (2000), « The economics of currency crises and contagion: an introduction », in Federal Reserve Bank of New York Economic Policy Review, septembre. P. Krugman (2001), « Crisis : the next generation ? », Razin Conference, Tel Aviv University, 25-26 mars. Pour une synthèse : A. Cartapanis (2004), « Les crises de change : qu’avons-nous appris depuis 10 ans ? » , in Economie Internationale, Vol. 7, n°1. 8 F. Mishkin (1998), «Lessons from the Asian crisis », in Journal of International Money and Finance, 18 (4). 7 6/15 Le déclenchement de la crise résulte alors d’un choc exogène ou de l’épuisement endogène du cycle financier : i. Les modèles du choc exogène insistent sur le jeu des anticipations 9 . Chez les créanciers internationaux, en raison de bilans de plus en plus dégradés, un événement relativement mineur peut conduire à une brusque modification des anticipations sur la soutenabilité du financement de l’économie. Un tel choc peut alors précipiter la crise : les banques locales ne parviennent plus à renouveler aussi facilement que par le passé leurs dettes en devises ce qui entraîne des sorties nettes de capitaux compte tenu des échéances de remboursement. Ces tensions sur la liquidité en devises provoquent la chute du change qui, en retour, conduit à l’insolvabilité bancaire en raison du currency mismatch. Les revenus générés par l’actif en monnaie locale ne sont plus suffisants pour honorer un passif en devises qu’il faut désormais rembourser à un taux de change déprécié. L’insolvabilité est d’autant plus brutale que la crise s’est diffusée au secteur réel, provoquant ainsi la dégradation de la qualité de l’actif bancaire en raison de l’accroissement des prêts non performants et de la chute des cours boursiers et immobiliers. ii. Les modèles de l’épuisement endogène sont inspirés de la théorie minskienne du cycle financier. Ils offrent une lecture selon nous très complète des tensions financières potentiellement en œuvre dans une économie émergente dynamique et attractive aux yeux des investisseurs internationaux 10 . La croissance du PIB en tendance longue attire des capitaux étrangers qui stimulent la hausse des cours boursiers. Le financement des entreprises est ainsi facilité tant auprès des marchés (augmentation de capital, émission obligataire) qu’auprès des banques (la hausse de la valeur boursière de leurs fonds propres jouant comme un collatéral). Cependant, la forte hausse des cours boursiers, en conduisant à un gonflement de la valeur de marché des fonds propres des entreprises, peut se traduire progressivement par une désarticulation entre sphère financière et sphère réelle : le ratio dettes/fonds propres peut alors être décroissant alors que le ratio dettes/revenus augmente. Cela s’explique par le fait qu’en repoussant la contrainte de liquidité et en se traduisant par un accroissement de l’investissement en volume, la croissance du crédit, elle-même adossée aux entrées massives de capitaux, débouche sur une baisse progressive de la rentabilité du capital (l’augmentation du stock de capital en réduit la productivité marginale). Empiriquement, trois phases peuvent être distinguées : dans une première phase, le cours des actions et du crédit bancaire croissent plus vite que la valeur ajoutée mais celle-ci demeure néanmoins sur une tendance de croissance soutenue. Cette phase correspond à une certaine euphorie sur les marchés ce qui complexifie la juste évaluation du risque. C’est pourtant dans cette phase de croissance que le risque est en voie de dégradation progressive ; dans une deuxième phase, les effets du sur-investissement commencent à apparaître au grand jour dans certains secteurs (immobilier, construction) et la croissance du PIB ralentit. La qualité de l’actif bancaire se dégrade (montée du taux de prêts non performants). Parallèlement, la défiance progressive des investisseurs, notamment étrangers, se traduit par des pressions sur la liquidité en devises. Le ralentissement de la conjoncture renforce la contrainte d’endettement ; dans une dernière phase, la défiance se généralise provoquant des sorties nettes de capitaux, la baisse des cours et la chute du change. C’est la phase au cours de laquelle la dynamique haussière du cycle financier vient se briser sur les contraintes d’endettement propre à l’économie réelle que la sur-liquidité avait jusque 9 P. Artus (2000), Crises de pays émergents. Faits et modèles explicatifs, Economica, Paris. M. Aglietta (2005), Macroéconomie financière, La découverte, Paris. 10 7/15 là masquées : la hausse du ratio dettes/revenus initié dans la phase précédente s’accélère et la hausse du ratio dettes/fonds propres s’enclenche du fait de la baisse des cours sur les marchés financiers. Les tensions sur la liquidité provoquent des tensions sur la solvabilité qui elles-mêmes renforcent l’assèchement de la liquidité en « boucles auto-renforçantes ». L’économie est en situation de crise macro-financière. Dans n’importe quel cas (choc exogène ou épuisement endogène), les entrées de capitaux étrangers se tarissent brusquement (« sudden stop ») et entraîne l’illiquidité du secteur bancaire et, partant, une crise de change conduisant à l’insolvabilité bancaire. Cette situation peut alors être qualifiée de crise jumelle. Si les fondamentaux ne sont pas à l’origine du déclenchement de la crise, celle-ci provoque néanmoins d’importants déséquilibres macroéconomiques (chute du change, hausse de l’inflation, explosion de la dette publique et baisse du PIB notamment). Certains de ces déséquilibres peuvent saper durablement l’efficacité de la politique macroéconomique : l’exécution budgétaire est fragilisée par l’explosion de l’endettement public consécutif au coût de la recapitalisation bancaire et à la dépréciation du change ; la politique monétaire est restrictive pour rétablir les équilibres externes et casser l’inflation. C’est ainsi la croissance potentielle qui peut être négativement affectée par ce type de crise. Ce fut le cas en Indonésie après 1998, où les conséquences de la crise financière ont été particulièrement violentes. Modèle de 3ème génération : le déclenchement de la crise par épuisement endogène du cycle financier SEQUENCE 1 : SEQUENCE 2 : Le ratio (Dettes/Fonds propres aux prix Le ratio (Dettes/Revenus) de marché) est à la baisse grâce à la commence à augmenter, idem du hausse des cours ratio (Charges financières/Revenus) Entrées massives de capitaux internationaux Currency mismatch dans les bilans bancaires Le ratio (Dettes/Fonds propres) est à la hausse et la croissance des ratios (Dettes/Revenus) et (Charges financières/Revenus) accélère. La crise est ici une crise de bilans Défiance des investisseurs internationaux face à hausse du ratio Dettes/Revenu Sur-investissement et surcapacité productive Hausse du ratio (Dettes CT/Réserves devises) puis sorties nettes Ktaux Croissance du crédit >à croissance du PIB SEQUENCE 3 : Baisse de la rentabilité du capital dans sphère réelle Chute réserves taux de change + Hausse du prix des actifs financiers Ralentissement du PIB Baisse prix des actifs Maturity mismatch dans Bques Banques : crise de liquidité devises Crise de solvabilité bancaire qui provoque une contraction du crédit aux entreprises Contraction du PIB + rupture du paiement des engagements externes 2.2. ENTREES DE CAPITAUX, CYCLE DU CREDIT ET PRIX DES ACTIFS AU VIETNAM Le secteur bancaire vietnamien est-il en train de connaître une dynamique financière assimilable aux phases d’euphorie financière décrite dans les modèles qui viennent d’être présentés ? De fait, on observe depuis quelques années une croissance très importante des entrées de capitaux dans le système financier de ce pays, la croissance économique et l’adhésion à l’OMC ayant considérablement accru son attractivité internationale. Ainsi, en 2007, malgré un déficit courant qui a probablement atteint un niveau conséquent, la génération nette de devises de cette économie peut être estimée à 9 Mds USD soit 13 à 14% du PIB environ (graphiques 1 et 2). 8/15 Graphique 1 : Décomposition de la balance globale (Mds USD) Graphique 2 : Décomposition de la balance globale (en % du PIB) 15 25% 13 11 9 balance des capitaux 20% balance courante 15% balance globale 25% balance des capitaux (g) balance courante (g) balance globale (d) 20% 15% 10% 10% 5 5% 5% 3 0% 0% -5% -5% 7 1 -1 -10% -3 -10% 2002 -5 2002 2003 2004 2005 2006 2003 2004 2005 2006 2007 (est.) 2007 (est.) Source : FMI et AFD/RCH (A. Silve) Ces flux entrants alimentent ainsi la très forte croissance du crédit bancaire observée depuis le début de la décennie : l’encours de crédit est en effet passé de 30% à 70% du PIB depuis la fin des années 90. En outre, les entrées de capitaux étrangers correspondent depuis 2006 à une très forte progression de l’indice de la bourse d’Ho Chi Minh ville (+280% entre début 2006 et le mars 2007 pour le VNI – Viet Nam Index) et à un accroissement sensible de sa volatilité. A l’inverse, dans le sillage des turbulences financières mondiales, cet indice a fortement reculé depuis la fin de l’année dernière, montrant ainsi la sensibilité croissante du prix des actifs vietnamiens aux évolutions de la conjoncture internationale. Graphique 3 : Crédit bancaire (en % du PIB) Graphique 4 : Indice boursier 80 1200 70 1000 60 50 800 40 600 30 400 20 200 10 0 1990 1995 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 0 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Sources : FMI, Ecowin, calculs AFD (donnée du mois de mars pour l’année 2007) Dans la phase très fortement haussière du VNI, les activités de financement des banques vietnamiennes ont participé à la croissance des indices boursiers. En réponse, les autorités monétaires ont cherché à réguler les excès d’un cycle financier insoutenable. A partir de janvier, les banques ont été tenues de cesser dans l’année le financement de leurs fonds d’investissement et d’accroître le poids en risque des crédits octroyés à ces fonds de 100 à 150% 11 . Puis, à partir de juin, les banques ont été tenues de limiter le crédit octroyé à ces fonds à 3% de leur encours total de crédit. Enfin, elles ont été obligées à rapporter mensuellement leurs expositions sur ce type de fonds à la SBV. A ce stade, il semble que les portefeuilles titres les plus importants en proportion du bilan sont concentrés dans les petites JSB, les SOCB ayant au contraire des positions largement inférieures au plafond de 3% selon les informations de la SBV. 11 FMI (2007), Vietnam – Staff Report for the 2007 article IV consultation, août. 9/15 L’emballement des marchés d’actifs vietnamiens observé entre début 2006 et mi-2007 montre la nécessité d’encadrer un marché financier encore jeune et se développant dans un contexte de forte croissance de la liquidité. C’est dans ce contexte que la Commission d’Etat sur les opérations de bourse (State Securities Commission) cherche à renforcer la transparence financière des sociétés cotées. Ceci apparaît indispensable dans un contexte où le nombre d’introductions en bourse a très fortement progressé au cours des dernières années (notamment en décembre 2006 afin de profiter d’avantages fiscaux qui prenaient fin à cette date). Au total, l’approfondissement du système financier (mesuré à partir de l’accroissement du ratio crédit/PIB) est bien sûr une évolution positive dans la mesure où cela correspond au développement de l’intermédiation bancaire et donc à l’accroissement de la capacité de financement de l’économie. Il faut cependant tenir compte de la qualité institutionnelle, pourtant si difficile à mesurer, pour envisager le caractère soutenable de la forte croissance du crédit bancaire. Théoriquement, on peut craindre en effet que les capitaux étrangers alimentent en liquidités un système financier encore fragile en termes de supervision, de gestion des risques et de transparence des débiteurs. Aussi, même si la croissance du crédit permet une accélération de la croissance économique et la dilution du taux de prêts non performants à court terme, l’allocation des ressources peut à terme se révéler défaillante au point de faire croître les vulnérabilités financières dans les bilans des banques et des entreprises. Sur le plan macroéconomique, ces vulnérabilités – en particulier des leviers d’endettement trop élevés et d’importants dés-adossements des bilans en devises – constituent une composante importante du risque systémique propre au phase de décollage économique très rapide et peuvent amplifier les tensions financières en cas de chocs (chute du change et hausse des taux d’intérêt notamment). 2.3. LA DOLLARISATION : UN RISQUE POTENTIEL MAIS A CE JOUR LIMITE La dollarisation est un élément structurant du système financier vietnamien qui doit être pris en compte dans un diagnostic sur le risque systémique. En raison d'un taux de dollarisation des dépôts relativement élevé bien qu’en baisse (actuellement de l'ordre de 25% contre plus de 40% en 2000), une partie de l'intermédiation bancaire génère des crédits libellés en devises (pratiquement exclusivement en dollars). Résultat, 22% de l'encours de crédit est aujourd’hui dollarisé mais cette dollarisation a en fait connu deux phases au cours des dernières années : entre 2000 et 2004, la dollarisation des crédits a augmenté avec l'accroissement du spread entre les taux d'intérêt en dong et en dollar, ce spread passant alors de 240 à 710 pdb, en raison des tendances opposées entre le desserrement de la politique monétaire américaine et le resserrement de la politique monétaire vietnamienne ; à l’inverse, le taux de dollarisation a diminué entre 2004 et début 2007, probablement à la suite du resserrement de la politique monétaire américaine. 10/15 Graphique 5 : Part des crédits en devises dans le total des crédits (en %) 25 20 15 10 5 0 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Source : FMI, Statistical Appendix, calculs de l’auteur (donnée du mois de mars pour l’année 2007) Tableau 1 : Taux d’intérêt et spread sur les crédits en dong et en dollars (en %) 2005 2006 2007 Court terme, en dong 9,8 8,8 9,9 10 10,7 12 Moyen terme, en dong 10,4 9,9 10,8 10,7 11,7 13,6 Court terme, en devises 7 4,6 4,3 3,1 3,6 5,5 Spread en pdb entre CT dong et CT devises 280 420 560 690 710 650 Source : FMI, Statistical Appendix, calculs de l’auteur (donnée du mois de mars pour l’année 2007) 2000 2001 2002 2003 2004 11,8 13,7 5,5 630 11,8 13,7 5,7 610 L'ouverture de crédits en devises permet aux banques d’équilibrer leurs bilans en devises et de limiter leur exposition directe au risque de change dans un environnement où les instruments de couverture sur les variations de change du Dong sont inexistants. Ainsi, le taux de couverture des dépôts dollarisés par les créances dollarisées a fortement progressé au cours des dernières années : il est passé de 40% en 2001 à 80% environ au début de 2007 (graphique 6). De ce point de vue, le secteur bancaire vietnamien montre un bilan en devises relativement équilibré : les dépôts en devises (nets des créances en devises) représentent entre 3 et 4 points du PIB au début de 2007 contre près de 11 points du PIB en 2001 ; en tenant compte des actifs en devises autres que les créances, les bilans en devises sont probablement proche de l’équilibre. De ce point de vue, le secteur bancaire vietnamien a ainsi un profil de bilan nettement différent de celui des banques asiatiques avant les crises de changes de 1997-98. Graphique 6 : Crédits et dépôts en devises (en % du PIB) et ratio de couverture Crédit en devises - échelle de gauche Dépots en devises - échelle de gauche Crédit en fx/Dépots en fx - échelle de droite 22,0 0,9 20,0 0,8 18,0 0,7 16,0 0,6 14,0 12,0 0,5 10,0 0,4 8,0 0,3 6,0 0,2 4,0 0,1 2,0 0,0 0,0 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Source : FMI, Statistical Appendix, calculs de l’auteur (donnée du mois de mars pour l’année 2007) 11/15 Même si le secteur bancaire consolidé parvient à générer un bilan en devises globalement équilibré, tous les risques liés à la dollarisation du système financier n’en sont pas pour autant annulés : le fait que le régime de change vietnamien soit ancré au dollar (ancrage à crémaillère) peut être perçu comme une couverture implicite du risque de change par les emprunteurs, comme c'était le cas dans les pays d'Asie du Sud-Est avant la crise de 1997-98. Pour les entreprises du secteur des biens non échangeables (c’est-à-dire celles qui n’exportent pas et ne génèrent donc pas de revenus en devises), une perception biaisée du risque de change peut être un facteur de risque important. De ce point de vue, comme la Banque des Règlements Internationaux a pu le souligner à plusieurs reprises au cours des dernières années, l’ouverture de crédit en devises permet aux banques de limiter leur risque de change mais peut se traduire par l’accroissement de leur risque de crédit si ce type de financement génère un risque de change aux bilans de leurs contreparties ; par ailleurs, le déséquilibre de maturité serait important entre les dépôts en devises (relativement courts) et les créances en devises (pouvant parfois être attribuées sur du très long terme, de 12 à 15 ans dans certains cas selon une étude certes un peu ancienne de la Banque mondiale 12 ). Même si ce déséquilibre ne peut pas être mesuré précisément compte tenu du manque d'information, il existe probablement dans le système financier vietnamien un risque de liquidité en devises important. Or, comme dans tout système financier dollarisé, la capacité de la Banque centrale à réguler le risque de liquidité en devises - c'est-à-dire à assurer la liquidité des passifs en devises du système bancaire si les banques venaient à faire appel à sa fonction de prêteur en dernier ressort - est limité. Ceci n'est pas un risque spécifique au Vietnam mais relève bien de la contrainte fondamentale que connaissent les banques centrales opérant en système financier dollarisé : seules les relations avec le reste du monde sont susceptibles de générer des dollars ; les banques centrales, autres que la Réserve Fédérale américaine, n'ont pas ce pouvoir. Leur fonction de prêteur en dernier ressort étant atrophiée, elles peuvent rapidement ne plus être en mesure d'assurer la stabilité du système financier dés lors que des tensions apparaissent sur les passifs dollarisés des banques opérant sous leur contrôle. Par conséquent, lorsque ce risque de liquidité se matérialise dans le cadre de régime de change ancré au dollar américain, via des retraits massifs de dépôts en dollar, l'ajustement s'effectue généralement par une dévaluation conséquente de la monnaie nationale dont les effets sont d'autant plus violents que l'économie concentre un risque de change important. Comment mesurer ce risque découlant de la régulation partielle d'un système monétaire dollarisé par la Banque centrale ? Une mesure simple consiste à comparer les liquidités en devises accumulées par la Banque centrale et les besoins potentiels de liquidités en devises de l'économie. Dans le cas du Vietnam, cet exercice donne les résultats suivants: le ratio réserves en devises de la SBV sur dépôts en devises du système bancaire a augmenté significativement entre 2000 et 2006 pour approcher 100% (graphique 7). Ce niveau de couverture est confortable si on le compare à ceux observés dans des économies dollarisées à risque systémique élevé (ce ratio était par exemple de 0,34 en Argentine avant la double crise bancaire et de change). De plus, la très forte croissance des réserves de change enregistrée au début de 2007 suite au sur-financement externe du Vietnam mentionné dans le point 2.2 de cet article a porté ce ratio aux alentours de 150 % ; 12 Banque mondiale (2002), Banking sector review : Vietnam, juin. 12/15 pour mesurer plus complètement l'écart entre la liquidité en devises de la SBV et le besoin potentiel de devises de l'économie, il convient néanmoins d'ajouter au dénominateur, outre les dépôts en devises, le service de la dette externe et la valeur des importations. Envisagée comme telle, la capacité de couverture du besoin potentiel en devises de la SBV n’a pas évolué significativement entre 2000 et 2006 en raison de la forte croissance des importations. En revanche, ce ratio a probablement augmenté significativement en 2007 (il pourrait avoir atteint un niveau compris entre 25% et 30% selon nos estimations). Graphique 7 : Ratios de liquidité en devises de la SBV (en %) 160% 140% 120% 100% 80% 60% 40% 20% 0% 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Ratio réserves en devises de la BC/dépôts en devises du secteur bancaire Ratio réserves en devises de la BC/dépôts en devises + service dette externe Ratio réserves en devises de la BC/dépôts en devises + importations + service dette externe Source : FMI, calculs de l’auteur, (donnée du mois de mars pour l’année 2007) Au total, et pour autant que l'on puisse en juger sur la base des données disponibles, le risque d’une crise de liquidité en dollars découlant d’un choc portant sur des structures financières dollarisées est aujourd’hui assez faible. En outre, si la dollarisation du système financier demeure une composante objective du risque systémique vietnamien, plusieurs indicateurs révèlent que la dollarisation n’augmente pas et qu’elle a au contraire tendance à baisser légèrement depuis quelques années. 3. LES EVOLUTIONS ENVISAGEABLES Dans ce cadre, une analyse prospective du risque systémique vietnamien permet d’identifier trois scénarios pouvant être associés à des probabilités aujourd’hui assez différentes : le premier scénario est celui de la poursuite de réformes graduelles faisant – lentement – évoluer le système bancaire selon les objectifs définis dans la road map. Dans ce cadre, la montée en puissance des banques internationales dans le capital bancaire vietnamien permet de réaliser des transferts de savoir-faire débouchant sur des méthodes de gestion plus efficaces et une base en capital plus solide, notamment après l’equitization des SOCB. Ce scénario, proche de celui qui semble en œuvre en Chine depuis quelques années, profite pleinement de l’attractivité du pays et de son ouverture internationale suite à l’adhésion à l’OMC. La qualité de la supervision s’améliore et la culture du risque se propage dans les établissements de crédit. En termes d’économie politique, sa réalisation nécessite néanmoins que les réformes puissent s’imposer plusieurs années durant aux intérêts ayant profité du caractère administré de l’allocation du crédit, ce qui passe probablement par un affaiblissement relatif des entreprises publiques dans les rapports de forces locaux. En outre, ce scénario nécessite de développer les dispositifs juridiques encadrant la relation de crédit dans une économie de marché, 13/15 c’est-à-dire la transparence financière des entreprises, le droit des créanciers et le droit des faillites. Au total, ce scénario n’est pas acquis mais paraît néanmoins le plus probable compte tenu du cap retenu par les autorités publiques depuis quelques années et des transformations effectivement constatées dans l’organisation du secteur bancaire. A court terme, la crise financière qui touche les systèmes bancaires américain et européen peut néanmoins lui être défavorable. La plus forte aversion au risque qui devrait caractériser les banques occidentales dans les trimestres voire les années à venir pourrait, en effet, ralentir nettement leur stratégie de diversification internationale et limiter ainsi le rythme de leur pénétration du marché vietnamien. Le manque de main d’œuvre qualifiée dans le secteur bancaire peut en en outre ralentir les effets bénéfiques escomptés, notamment sur le plan des procédures de contrôle et de la culture du risque au sein des établissements de crédit ; le deuxième scénario est celui d’un processus de réformes produisant peu d’effets en raison de sa trop grande lenteur alors que la situation macroéconomique du pays se détériore. A ce niveau, la dégradation de la compétitivité vietnamienne, suite à la résurgence de tensions inflationnistes et des hausses de salaires résultant de la pénurie de main d’œuvre qualifiée, est une hypothèse plausible dans un exercice de prospective. Dans ce cadre, on peut envisager une dégradation progressive du compte courant débouchant sur des tensions affectant la liquidité en devises. La SBV parvient néanmoins à amortir ces tensions grâce à un niveau de réserves initialement confortable mais doit ajuster sa politique monétaire pour résorber les déséquilibres de la balance des paiements sans nuire à la stabilité financière des banques ; le dernier scénario est un worst case dans lequel la libéralisation financière alimente une très forte croissance du crédit et une inflation sur les prix d’actifs, que le système ne parvient pas à réguler, et qui finit par faire monter le taux de prêts non performants à des niveaux insoutenables pour la base en capital. Ce scénario est plausible et il correspond à des séquences clairement identifiées dans l’histoire des pays émergents ayant libéralisé leurs systèmes financiers sans faire progresser parallèlement leur capacité de supervision et leur culture du risque. Sur ce plan, l’émergence de banques commerciales adossées à des groupes industriels récemment constatée est probablement à surveiller avec attention. 14/15 BIBLIOGRAPHIE : B. Aitken (2004), “Can Vietnam outgrows its banking sector problems ?”, in IMF Selected Issues, SM/04/379. M. Aglietta (2005), Macroéconomie financière, Repères, La découverte. P. Alvarez-Plata et A. Garcia-Herrero (2007), « To dollarize or to de-dollarize : Consequences for monetary policy », Papier préparé pour la Banque Asiatique de Développement, septembre. P. Artus (2000), Crises de pays émergents. Faits et modèles explicatifs, Economica, Paris. Banque mondiale (2002), Banking sector review : Vietnam, juin. FX Bellocq et JR Chaponnière (2006), “Vietnam : Les vulnérabilités macro-financières associées au processus d’émergence », Document de Travail de l’AFD, n°11, janvier. 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