LECTURES
LECTURES 11
PPAULROUX
MOTS ET
ACTUALITÉS
L’adverbeéventuellementale
sensde «selon lescirconstan-
ces,le caséchéant». C’est un
synonyme de «peut-être»,
«possiblement».
•Viendrez-vous?Éventuellement.
•J’auraiéventuellementbesoinde votre
collaboration.
Sous l’influencede l’anglais(even-
tually), on luidonneerronémentle sens
de àlalongue, finalement,parlasuite, plus
tard, ultérieurement,unjour oul’autre.Ce
faux ami peut engendrerdescontre-
sens.Envoiciunexemple :une phrase
comme «Elleapromisde veniréven-
tuellement»signifie «Elleapromisde
venirsielle le pouvait», etnon « Ellea
promisde venirplus tard».
Lesemploisfautifsde éventuellement
sontlégion.Voiciquelquesphrases
inspiréesparmonproprejournal, en
quelquesjoursseulement.Danstous
lescas,on avaitemployééventuellementà
mauvaisescient.
•Cinquante-sixchansonsontétésélection-
néespour l’Oscarde lameilleurechanson.
Cinqserontfinalementretenues.
•Tricots Godinsouhaiteunjour ouvrir
desfranchisesaux quatrecoinsduQuébec.
•AlexandreDespatie atout de suite
reconnuunmalquia,parlasuite ,misfin
àsasaison.
•«J’aimeraisplus tardentrerauConser-
vatoireouàl’École nationale de théâtre. »
•Domtaraannoncéson intentionde
sedépartirultérieurementdesactivités
d’emballage.
•La questionest maintenantde savoirpar
laquelle de cesdeux voiesle virusfinirapar
atteindrel’AmériqueduNord.
Danscertainscas,l’emploide éven-
tuellementest aussiinutilequefautif.
•Lejoueur afini (éventuellement)parper-
drelarondelle,cequiadonné une occasionde
marqueràl’adversaire.
La clé,c’est de retenirqueéventuellement
veut direpeut-être,etnonfinalement,
ultérieurement.Ilsetraduitd’ailleurs
en anglaisparpossibly,etnonpar
eventually.
Undoctorant
OnvoitparfoisdansLa Presse:Mon-
sieur X,doctoranten histoire... Est-ce
français ? Sic’est le cas,peut-ondire :
baccalauréant,maîtrisantetcégépiant?
NormandMichaud
Ledoctorantest une «personne qui
prépareundoctorat».
• Elleest doctoranteen histoire.
Maisl’usage n’apasjugé utilebacca-
lauréant,maîtrisantetcégépiant.
Unmilieudysfonctionnel?
Lemotdysfonctionnelexiste-t-il?En
matièrede criminologieoude psycho-
logie, peut-ondired’unindividu,par
exemple,qu’il est issu d’une famille
dysfonctionnelle ?
SusieParent
Lesdictionnairesattestentdéjàdys-
fonction,dysfonctionnement,etmême,
dysfonctionner .Alors,pourquoi pasdys-
fonctionnel!Enfait,le motn’est pastout
àfaitinconnu.Onle trouvedéjàdans
le Hachette, dansLegrand dictionnaire
terminologiqueetdansle Robert &
Collins.
Alors,n’hésitezsurtout pasà
l’employer.
Retontir
LesQuébécoisemploientsouventun
verbequin’existedansaucundiction-
naireetdontj’ignorel’origine(proba-
blementune déformationquelconque) :
le verberetontir ,comme dans«il va
bienretontirunde cesjours»... Avez-
vous une explication?
Alain Loiselle,Mercier
Ontrouvele verberetontirdansquel-
quesdictionnairesquébécois.Ilale
sensde «retentir», dontil est peut-être
une déformation.
•Lecoupde feuaretontidanstoutela
rue.
Ilpeut avoiraussile sensde rebondir
oud’arriveràl’improviste.
•Ça vateretontiren pleine face.
•Ilaretontiaumomentoùon ne l’atten-
daitplus.
Cequébécisme appartientàlalangue
familière.
Mercideoumercipour?
Devrais-jeutiliser: « Mercipour
votrecollaboration » ou«Mercide
votrecollaboration » ?
ÉricGingras
Onpeut diremercide oumercipour.
•Mercide teseffortsetton enthousiasme.
•Mercipour teseffortsetton
enthousiasme.
Lesmêmesremarquesvalentpour
remercierde ouremercierpour.
•Nous vous remercionsde votre précieuse
collaboration.
•Nous vous remercionspour votre pré-
cieusecollaboration.
Selon le Grand Robert toutefois,
remercierpour s’emploie surtout pour les
chosesconcrètes.
• Jevous remercie de tout cœur pour les
fleurs.
Tiretetvirgule
Dansdesmagazines,notammentChâ-
telaine,j’aisouventvu côteàcôtele tiret
suivide lavirgule (–,). Lesayantuti-
lisésde lamême façon dansuntravail
scolaire, on m’apourtantsignalé cela
comme une erreur.Alors,quiaraison ?
La presseféminine « branchée » ou
monprofesseur?
Marie-ÉlaineLaRochelle
Grevissedonneraison àlapresse
féminine « branchée». Suggérezàvotre
professeur de consulterLebon usage,
article 134, page 173.Maisfaites-legen-
timent,carcertainssontsusceptibles.
Petitspièges
Voicilespiègesde lasemaine
dernière:
1) Nous délivronsgratuitementàdomicile.
2)Iladélivréundiscours.
–Délivrerale sensde «rendrelibre».
Ilsignifie aussi « remettreundocu-
ment». Ainsi, on peut délivreruncer-
tificat,unpasseport,despapiers,des
titres,etc.Enrevanche,ceverbeest
unanglicisme ausensde distribuerle
courrier,de livrerune commande,de
prononcerundiscoursoude remettre
unmessage.
Ilauraitdoncfalluécrire :
1) Nous livronsgratuitementàdomicile.
2)Ilaprononcéundiscours.
Lesphrasessuivantescompren-
nentaumoinsune erreur.Quelles
sont-elles?
1) Dansleslimitesdubon sens,il vas’en
dire.
2)Québecest en négociationavecAlcoa.
Lesréponsesdimanche prochain.
COURRIEL
Onpeut joindre l’auteuràpaul.roux@
lapresse.ca ouàamoureux@cyberpresse.ca.
Éventuellementàtoutes lessauces
lllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll
DANY LAFERRIÈRE
CHRONIQUE
COLLABORATIONSPÉCIALE
Jeme souviensd’avoirlu
l’écrivain brésilien Jorge
Amado avecune telle
aviditéqu’il me semblait
qu’aucunautremonde ne pouvait
êtreplus crédible queceluiqu’il
nous proposaitdansses romans.
C’étaitununivers sicoloré, si
chatoyant,avecdespersonnages
sivraisquej’avaisl’impression
de pouvoirlestoucher.La lit-
tératuresud-américainevenait
d’éclaterlittéralementdansmon
cielde lecteur ébloui. Cettelit-
tératurem’arévéléunmonde
siproche de masensibilitéque
j’en pleuraisparfois.Jen’avais
qu’àleverlesyeux pour voir,
parl’embrasurede lafenêtre, un
paysage identiqueàceluidécrit
dansle livrequej’étaisen train
de lire. Celam’aquand même
prisuncertain tempsavantde
reconnaîtrequelesgensqui
m’entouraientn’étaientpasdif-
férents despersonnagesde ces
romanssud-américains.Jusqu’à
cetterencontreavecde telsécri-
vains,lalittératureme semblait
undivertissementbourgeoisoù
l’on voyaitpasserdesbellâtres
avecune raquettede tenniset
unaird’ennuibienaffiché.En
aucuncas,lesgensde monvoi-
sinage ne pouvaientaspireràla
même gloirequ’unde cesaristo-
cratesdésargentésquipullulent
dansles romansde Proustoude
Stendhal. Vous imaginezalors ma
stupéfaction en découvrant,aufil
despages,quecepropriétairede
restaurantdansGabrielle, girofle
etcannelle,le merveilleux roman
d’Amado,n’étaitpasmoinsbenêt
quemonvoisin Oginé.
Aucafé Prévert
Jecommençaisàen avoirmarre
duthéâtreglacialde Racineetde
tous cesclassiquesqu’on nous for-
çaitàlireàl’école.Pourtantj’ado-
raislire, etje lisaistout cequime
tombaitsous lamain.Maisje me
demandaispourquoi lesgensque
je connaissaisn’étaientjamais
dansleslivresqueje lisais.Les
écrivainssud-américainsallaient
tout changer.J’étaiscomme un
adolescentnourride musique
classiquequivenaitde découvrir
le rock. Les romansd’Amado
me faisaientpenseràcesbonnes
manguesjuteusesqueje dévo-
raisen rentrantde l’école.Puis
cefut,parhasard, chezunami
amateur de jazz,quej’aicroisé
Pablo Neruda.Ilm’afaitle même
effetquem’avaitfaitPrévert
quelquesannéesplutôt:une faci-
litéextrêmequin’exclut pasla
nuanceni lasubversion. Neruda,
naturellement,est plus tropical,
doncavecunlyrisme plus touffu.
Lespoèmesde Nerudasontde
petits bosquets oùl’on entend
toutessortesd’oiseaux,etoùpar-
foisapparaîtunpaon,carle poète
peut êtrecoquet.Prévert donne
l’impressiond’êtreunvieux café
quel’on fréquentedepuistou-
joursetquinous apparaîtchaque
foisdifférent.Celane m’aurait
pasétonné de voirNerudaassis
aucomptoirducafé Prévert,un
groscigareàlamain.
VoiciMiguel Angel Asturiaset
son étonnantMonsieur le président
paru en 1952,cepremierportrait
hallucinéd’undictateur sud-amé-
ricain.Etl’autre, celuiquiaécrit
Roulements de tambourspour Rancas
etdontj’aioubliéle nom(Manuel
Scorza,je crois). Jene peux pas
direquand j’airencontrépour la
premièrefoisBorgespuisquej’ai
l’impressionde l’avoirtoujours
connu.Puis,unami est revenu
de ParisavecCentansde solitude
de GabrielGarciaMarquez,qui
venaitde paraîtreauSeuil, en
pleine tempêtede mai68. Ona
atteintlàle sommet.Jevoudrais
citerlapremièrephraseoùle
colonelBuendia a amené son fils
toucherlaglace, maisje ne trouve
pasle livresurlesétagères.C’est
le genrede bouquin nomade qui
rechigneàroupillerdansune
bibliothèque. Ah! le voilà.Etvoici
aussil’une desplus bellesatta-
quesde lalittératureuniverselle :
«Biendesannéesplus tard, face
aupeloton d’exécution, le colonel
Aureliano Buendiadevaitserap-
pelercelointain après-midiau
coursduquel son pèrel’emmena
faireconnaissanceaveclaglace.»
Ah, c’étaitle filsquiétaitcolonel.
J’aidonctout comprisde travers.
Ilest tempsalors de le relire.
Une petitefaiblesse
Puis,j’aicroiséle cheminde
Mario VargasLlosaavecd’abord
cebref récit(LesChiots,paru en
espagnol en 1967 eten 1974 en
traductionfrançaise) quim’atou-
ché auplexus,etqueje tienspour
l’unde sesmeilleurstextes.C’est
vraiqu’on atendanceàprivilégier
le premierlivrelud’ungrand écri-
vain,maiscelui-làm’adonnéune
précieuseclé pour comprendrele
mystérieux VargasLlosa.L’action
sedéroule àMiraflores,dans
le quartierbourgeoisde Lima.
Ungroupe d’adolescents semble
menerlavie insouciantede lajeu-
nessedorée.J’aiimmédiatement
reconnuPétionville, lariche ban-
lieuede Port-au-Prince. Maisce
n’est pasOutremont,carlabour-
geoisequébécoisen’apasencore
cettearrogancedesrichesen pays
pauvres,etcettesuffisancede se
croireau-dessus de laloi.
Tout le livreserésume àce
travail d’artificiersurlespro-
nomspersonnelsquifaitqu’on
sedemande toujoursquiparle.
Comme sis’interposaitsanscesse
unnarrateur collectif àcenar-
rateur singulier.C’est vraique
ce «nous »pour dire «je »existe
cheztous lesadolescents.C’est la
meutequiattaquecomme unseul.
L’adolescent,cetétrange animal
quiobéitaux diktats dugroupe
sanscesserde secroireoriginal.
Danscequartierbienprotégé,
l’undesadolescents aeule zizi
déchiquetéparunaffreux chien.
Sesamisfontsemblantd’ignorer
cetteréalitéinsurmontable pour
unadolescent,cequiaccentue
lablessureàl’orgueil. L’impuis-
sanceest aucœur de l’œuvrede
VargasLlosa.C’est cettefaiblesse
qu’on ne trouvenullepart chez
GarciaMarquezquinous le rend
siproche.Etje ne saispourquoi,
sansmême savoirqu’ilsétaient
inséparablesàl’époqueoùje les
découvrais,j’avaisprisl’habitude
de lesréunirdansmatête.
Frèresennemis
C’est toujoursémouvantde
savoirquedeux écrivainsqu’on
aimeontvécudanslamême ville
(ParisouMadrid). Onimagine
tout de suitequ’ilsontpeut-être
aimélamême femme. Vargas
LlosaetGarciaMarquezs’écri-
vaient,selisaient,s’adoraient.
Desfrèressiamois.Dèsqu’on
voyaitMario,Gabon’étaitpas
loin.Puiscefut labrouille. Est-
ceàcaused’une femmeetd’une
gifle?Ouest-ceàcausedufort
lien amicalquiexiste entreCastro
etGarciaMarquez ? VargasLlosa
a,luiaussi, étécastristeavantde
sefairele chantrede l’économie
libérale jusqu’àtomberdans
l’admirationde Mme Thatcher.
Etleursrelationsfaitesd’admi-
rationsincèreetde hainetenace
alimententdepuisundemi-siècle
lesfantasmesde lecteurssiaffa-
mésqu’ilsvontfouinerdansla
vie intimede leursidoles.Vargas
LlosaetGarciaMarquezsontles
dernières rockstars de la«World
Fiction». D’autantqu’ilsn’ont
presquepersonne en faced’eux
depuislamort de Borges,Cortá-
zar,Amado,NerudaetRulfo. Il
ne restequeFuentes,maisl’étoile
duMexicain apâli unpeudepuis
cesrumeursde plagiat.
Pourquoi je pensetant
aujourd’huiàGarciaMarquezet
àVargasLlosa?Àcauseduder-
nier romande VargasLlosaqui
vientde paraîtrechezGallimard
(Toursetdétoursde lavilainefille,
2006). J’aivitecomprisquecette
guerresefaisaitaussisurle plan
littéraire. Cesdeux écrivainsont
abordé dansdesstylescomplète-
mentdifférents lesdeux thèmes
incontournablesde lalittérature
sud-américaine: ladictatureet
l’amour fouquitraverseune vie
entière. Marquezaouvert le feu
avecL’automne dupatriarche (Gras-
set,1975) –ceportraitsurréaliste
dumythiquedictateur sud-améri-
cain.Desannéesplus tard, Vargas
Llosarépliqueavecunportrait
dontlaforme paraîtplus cinéma-
tographiquequelittéraire(Vargas
LlosaetGarciaMarquezsonttous
deux despassionnésde cinéma).
La fêteaubouc(Gallimard, 2002)
serévèlemeilleur quele roman
de Marquez,àcausede son inven-
tiveinnovationdudouble portrait
–le livreseprésentecomme le
portraitdudictateur dominicain
Rafael LeonidasTrujillo, maisen
réalitéil décritl’unde ses
successeurs,l’indétrônable
Joaquim Balaguer.
VargasLlosa a gagnéla
premièremanche.Maisil
vientde perdrelaseconde,
carL’amour autempsducho-
léra,le romand’amour de
Marquezest biensupérieur à
celuide VargasLlosa(Tourset
détoursde lavilainefille). Lesdeux
romansracontentl’histoired’un
hommedontle tempsetlesobs-
taclesn’ontjamaispuatténuer
laforcedusentimentqu’il porte
àsabelle.Maislesmanièresde
racontercettehistoirediffèrent,et
celatouche aucaractèrepersonnel
desdeux écrivains.VargasLlosa
étantattiréparle côtésombreet
tordude lavie (son romanest
pervers jusqu’àdevenirmécani-
que),tandisqueMarquezsemble
emportéparcelyrisme débordant
quidonneespoiraux concierges
tristes.Matchnul. MaisGarcia
Marquezaune arme fatale dans
sapoche,etc’est l’irrésistible Cent
ansde solitude.Pour fairecontre-
poids,VargasLlosadevradéposer
surl’autreplateaude labalance
ses33 bouquinsdontl’hilarant
TanteJuliaetle scribouillard.On
devraitlesenterrercôteàcôte,
carcene sontfinalementpasdes
ennemis,maisdesamisséparés
quicontinuentàcorrespondrepar
romansinterposés.
Une littérature touchéeparlagrâceduréel
«J’adorais lire,etje lisais tout cequime tombaitsouslamain. Mais je me
demandais pourquoi lesgens queje connaissais n’étaientjamais dans les
livresqueje lisais.Les écrivainssud-américainsallaienttout changer.»