Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié et Pierre-Michel Riccio, De l’innovation technologique à l’innovation managériale, Paris, Presses des Mines, collection économie et gestion, 2014. Numéro 04 de la revue « Management des Technologies Organisationnelles » © Presses des MINES – TRANSVALOR 60, boulevard Saint-Michel – 75272 Paris cedex 06 – France [email protected] www.pressesdesmines.com © Images de couverture : École Nationale Supérieure des Mines d’Alès ISBN : 978-2-35671-135-9 ISSN : 2267-6732 Dépôt légal : 2014 Achevé d’imprimer en 2014 – Paris Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays. De l’innovation technologique à l’innovation managériale Management des Technologies Organisationnelles Collection Économie et Gestion Dans la même collection Construire l’innovation durable Jeanne Riot Fragiles compétences Sophie Brétécher, Cathy Krohmer L’absentéisme des personnels soignants à l’hôpital L. Brami, S. Damart, M. Detchessahar, M. Devigne, J. Habib, F. Kletz, C. Krohmer Construire la biodiversité Julie Labatut Impact Des Réseaux Numériques Dans Les Organisations Y. Barlette, D. Bonnet, M. Plantié, P-M. Riccio L’innovation Orpheline Marine Agogué La régulation par les instruments Michel Nakhla L’erreur humaine James Reason Introduction à la conception innovante M. Agogué, F. Arnoux, I. Brown Ingi, S. Hooge New Foundations Of Management Research A. David, A. Hatchuel, R. Laufer Technologie et Ooganisations Pierre-Michel Riccio Les nouvelles fondations des sciences de gestion A. David, A. Hatchuel, R. Laufer L’activité marchande sans le marché ? A. Hatchuel, O. Favereau, F..Aggeri Management des technologies Organisationnelles Journées d’études MTO’2009 Pierre-Michel Riccio, Daniel Bonnet L’évaluation des chercheurs D. Fixari, J-C. Moisdon, F. Pallez Sûreté nucléaire et facteurs humains Grégory Rolina Proceedings of the Third Resilience Engeineering Symposium E. Hollnagel, F. Pieri, E. Rigaud Proceedings of the Second Resilience Engeineering Symposium Erik hollnagel, Eric Rigaud (editors) Modem le maudit O. Bomsel, A-G. Geffroy, G. Le Blanc Évaluation des coûts Claude Riveline Le leadership dans les organisations James G. March, Thierry Weil Tic et innovation organisationnelle journées d’études mto’2011 Pierre-Michel Riccio, Daniel Bonnet Dernier tango argentique Olivier Bomsel, Gilles Le Blanc Gerer et comprendre l’open source Nordine Benkeltoum Les nouveaux circuits du commerce mondial François Huwart, Bertrand collomb Proceedings of the Fourth Resilience Engeineering Symposium Erik Hollnagel, Eric Rigaud, Denis Besnard Invitation à la lecture de James March Thierry Weil Entre communautés et mobilité S. Agostinelli, D. Augey, F. Laurie De l’innovation technologique à l’innovation managériale Management des Technologies Organisationnelles Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié, Pierre-Michel Riccio De l’innovation technologique à l’innovation managériale Management des Technologies Organisationnelles Cet ouvrage constitue le quatrième volume de la revue « Management des Technologies Organisationnelles ». Comme les trois volumes précédents, celuici s’appuie sur les colloques organisés dans le champ du management des technologies organisationnelles par Montpellier Business School, la Chambre Professionnelle du Conseil Languedoc-Roussillon et le centre de recherche LGI2P de l’École Nationale Supérieure des Mines d’Alès. Dès le début de cette initiative, en 2008, notre démarche a présenté la particularité de rechercher une vision transdisciplinaire (sciences et technologies de l’information et de la communication, sciences de gestion, sciences humaines et sociales) et transmétiers (chercheurs, consultants et entrepreneurs) sur des thèmes d’actualité, en organisant l’espace d’expression entre spécialistes expérimentés et débutants motivés. Le lecteur trouvera dans ce numéro des contributions qui viennent d’horizons assez variés, rédigés par des scientifiques de différentes sensibilités, mais aussi des consultants et acteurs en entreprises. Au moment où de nombreuses études incitent à une fertilisation croisée, mais où dans le même temps nous constatons un repli disciplinaire, ceci marque l’originalité de la série. Direction de la revue : Pierre-Michel Riccio Comité éditorial : Yves Barlette, Daniel Bonnet, Aline Cayhuela, Marie-Françoise Combaz, Eric Lacombe, Frank Lasch, Michel Plantié, Pierre-Michel Riccio, Florence Rodhain. Comité scientifique : Serge Agostinelli, Yves Barlette, Daniel Bonnet, Isabelle Bourdon, Aline Cayhuela, Marie-Françoise Combaz, Monique Commandré, 8 De l’innovation technologique à l’innovation managériale Thibault de Swarte, Katherine Gundolf, Annabelle Jaouen, Eric Lacombe, Frank Lasch, Jacky Montmain, Michel Plantié, Pierre-Michel Riccio, Florence Rodhain, Guy Saint-Léger, Lise Vieira. Coordination de l’ouvrage : Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié, Pierre-Michel Riccio. Préface Il est devenu commun de souligner que la capacité d’innovation est pour nos entreprises la principale ressource pour faire face à une forte intensification de la compétition dans un contexte international. Au-delà de l’innovation technique et/ ou technologique concernant les produits et services, nous nous interrogeons sur la capacité des entreprises à renouveler leurs modes de fonctionnement. Entre standardisation des techniques de management et contraintes de coûts, quelle est la place de l’innovation managériale dans les modèles de gestion des entreprises ? Est-ce que les technologies de l’information et de la communication facilitent le développement de l’innovation managériale, le renouvellement des modes d’organisation du travail ? L’innovation managériale est un concept récent dont la définition est pour le moment polysémique, aussi nous l’entendrons ici dans un sens assez large : innovation dans le management, mais aussi dans la gestion des entreprises. Cela concerne aussi l’innovation en ressources humaines, dans l’encadrement des hommes, la gestion des systèmes, la communication, les relations sociales ou encore l’organisation du travail. Ce 4e numéro de la revue MTO présente le point de vue de scientifiques de différentes spécialités sur ces questions, mais aussi – ce qui est une originalité de la série – celui de consultants et acteurs en entreprises. Il reprend par ailleurs une partie des travaux exposés lors du colloque Management des Technologies Organisationnelles organisé les 3 et 4 octobre 2013 à Montpellier, tout en réservant un espace d’expression pour les chercheurs débutants qui ont souvent un point de vue intéressant sur les questions d’actualité. Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié et Pierre-Michel Riccio Coordinateurs de l’ouvrage Sommaire I – Cartes blanches.........................................................................13 Daniel Bonnet et Guy Saint-Leger L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale...................... 15 Erwan Boutigny Partage et innovation : les enjeux des nouvelles pratiques collaboratives..............31 Marie-Françoise Combaz Une combinaison efficace d’outils technologiques pour associer les acteurs.......... 43 Wassim Mimeche, Bernard Fallery et Florence Rodhain Construction de l’identité numérique sur les médias sociaux..................................63 II – Contributions...........................................................................77 Emilie Canet et Sébastien Tran Contribution des S.I. aux innovations managériales : le cas Valeo..........................79 Antoine Chollet, Isabelle Bourdon et Florence Rodhain MMORPG et perspectives de gamification...............................................................93 Isabelle Choquet L’incertitude radicale et l’entrepreneur effectual : une redécouverte du capital social.......................................................................................................... 105 Igor Crevits, Laurence Cournot et Saïd Hanafi L’aide à la décision comme cadre de gouvernance-innovation.............................. 129 Thibault de Swarte Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le cas Apple.................... 141 Jacques Folon Bring Your Own Device : de nouveaux défis pour l’entreprise............................... 153 12 De l’innovation technologique à l’innovation managériale Eric Lacombe Le contexte informationnel de l’entreprise : levier ou frein ?................................. 167 Célia Lemaire et Thierry Nobre Analyse de l’introduction d’un système de pilotage stratégique ...........................183 Annie Liothin et Pierre-Michel Riccio Vers la confiance numérique.................................................................................. 197 Evelyne Lombardo, Serge Agostinelli, Sophie Arvanitakis, Marie Ouvrard et Marielle Metge Bizprojet : exemple de TIC au service de l’innovation managériale......................205 Sophie Renault Crowdsourcing et gamification : contours d’une innovation managériale.............223 Marc Robert et Philippe Giuliani Exemple d’innovation managériale radicale : le lean manufacturing.................... 237 III – En direct du terrain..............................................................245 Katia Bradtke Elaboration d’un cadre d’action fertile dans un environnement complexe............ 247 Stéphane Brosia et Evelyne Lombardo Financement de la stratégie de rupture d’une start-up par une innovation managériale ?.......................................................................................................... 265 Sybille Imbert La culture d’entreprise est-elle soluble dans le web ?............................................ 279 IV – Les auteurs............................................................................293 I – CARTES BLANCHES Daniel Bonnet et Guy Saint-Leger Erwan Boutigny Marie-Françoise Combaz Wassim Mimeche, Bernard Fallery et Florence Rodhain Daniel Bonnet et Guy Saint-Leger Daniel Bonnet et Guy Saint-Léger sont chercheurs associés à l’ISEOR, Magellan, à l’IAE Lyon, Université Jean-Moulin Lyon 3 L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale Ce papier montre comment l’innovation managériale devient un facteur clé de succès, et une infrastructure de la compétence centrale, dès lors que l’entreprise développe l’usage des Technologies de l’Information et de la Communication. En son principe, l’innovation managériale doit consister à déployer des stratégies d’intégration managériale pour que le fonctionnement de l’entreprise et son management soit efficaces. L’innovation managériale apparaît alors comme une infrastructure socio-économique de la compétence centrale. Mots clés : Innovation managériale, Compétence centrale, Approche socio-économique, Technologies de l’Information et de la Communication, Management des Technologies Organisationnelles. Managerial Innovation, Infrastructure of Central Competence This paper shows how managerial innovation becomes a key success factor, and an infrastructure of central competence, since the company develops the use of Information and Communication Technologies. In its principle, managerial innovation must consist in deploying strategies of managerial integration so that the operation of the company and its management is effective. Therefore, managerial innovation can be viewed as a socio-economic infrastructure of central competence. Keywords: Managerial Innovation, Central Competence, Socio-Economic Approach, Information and Communication Technologies, Management of Organizational Technologies. L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale Daniel Bonnet et Guy Saint-Leger ISEOR, Université Jean-Moulin Lyon 3 L’innovation consiste à introduire quelque chose de nouveau dans une chose établie (Le Robert). On distingue généralement les innovations selon qu’elles concernent les produits, les services, ou les procédés et les méthodes. Elle peut être de nature matérielle, technologique, technique, industrielle, ou immatérielle, organisationnelle, managériale, financière, marketing… Soulignons qu’elle peut être également paradigmatique lorsqu’elle vise des buts axiologiques (qualité de management des ressources humaines, conditions et organisation du travail, éthique, responsabilité sociale…). La mise en œuvre de nouvelles formes d’organisation du travail, consécutivement de management et de gouvernance des organisations, relève de l’innovation. Dans ce domaine d’application, elles sont généralement de nature incrémentale, quand bien même elles relèvent de la mise en œuvre de stratégies de changement transformateur. La définition de l’innovation proposée par Schumpeter, dans sa théorie de l’évolution économique (1911-1999), selon laquelle elle est une capacité à mettre en œuvre de nouvelles combinaisons productives, est toujours pertinente. Au fil des années, le principe d’innovation s’est trouvé placé au cœur des stratégies d’entreprise. L’innovation se déploie en grappes selon l’expression de Schumpeter, et devient un vecteur de développement économique pour les entreprises et pour la société. Elle favorise notamment la création de nouvelles entreprises, et leur développement sur des métiers nouveaux nécessitant des compétences nouvelles. Cette contribution vise à montrer que l’innovation managériale nécessite de déployer des stratégies d’intégration managériale, car pour être effective en qualité et en efficacité, la démarche d’innovation doit s’installer dans les infrastructures du management et du fonctionnement de l’organisation. Cette notion d’intégration managériale introduite par Beretta (2002) s’entend au sens de l’intégration des systèmes d’informations (SI), même si son usage est étendu dans différents 16 De l’innovation technologique à l’innovation managériale domaines d’application, par exemple les fusions-acquisitions d’entreprises dont la mise en œuvre implique d’intégrer les modèles de gouvernance et de management. Mais, l’intégration des SI impose des changements profonds sur le plan organisationnel et managérial (Saint-Léger, 2004), dont la nature est généralement sous-estimée. L’organisation doit alors développer des compétences dans le domaine de la conduite du changement. Cette dernière est en effet une modalité du management qui doit être intégrée dans ses pratiques courantes ; et cette nécessité est encore largement ignorée (El Amrani, 2007). Cette perspective d’ensemble a été largement démontrée par les travaux de Savall (1975-1989), Savall et Zardet (1995a, 1995b, 2004). Cette perspective d’ensemble dans laquelle s’inscrit notre recherche, dont nous faisons du déficit notre problématique de recherche, justifie le choix de l’approche socio-économique sur le plan théorique1, épistémologique et méthodologique. En effet, les travaux de Savall et Zardet s’inscrivent dans une approche épistémologique intégrée (2004). Il ne saurait évidemment s’agir de confondre les buts de mission qui ont trait à la vocation et aux finalités, et les buts de système qui ont trait à l’organisation et au fonctionnement (Mintzberg, 1982), mais il est évident que le succès des buts de système permet la réalisation des buts de mission. Nous ne réfutons pas à cet égard que l’environnement soit contingent. Nous soutenons en revanche qu’il est transitif, c’est-à-dire que le fonctionnement de l’organisation et la qualité du management sont conducteurs des transformations. Cette transitivité définit notre positionnement dans la théorie du constructivisme générique (Savall et Zardet, 2004). Dans cette perspective, nous posons comme hypothèse de recherche que l’innovation managériale est une infrastructure socio-économique de la compétence centrale. En effet, les dysfonctionnements affectent la performance de cette compétence centrale2, consécutivement des compétences distinctives, tandis que le bon fonctionnement de l’organisation 1 Dans l’approche sociotechnique l’aspect économique joue un rôle mineur, il est considéré au mieux comme une simple variable « exogène » à la fois contraignante et « négative ». 2 La notion de compétence centrale a été introduite par G. Hamel et C.K. Prahalad (1990), associée à la notion d’intention stratégique. La théorie des ressources et compétences a été diversement déclinée entre différentes approches ; citons notamment l’approche competence-based-view et l’approche competence-based. Une confusion est souvent faîte entre les différentes notions de compétence centrale, de compétences distinctives et de cœur de compétence. Pour notre recherche, nous définissons la compétence centrale comme la compétence du (ou des) cœur(s) de métier stratégiques, les compétences distinctives comme les compétences de différenciation concurrentielle. L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale 17 contribue à leur optimalisation. Le bon fonctionnement de l’organisation est source de création de potentiel, ce qui est précisément requis pour être innovant. La combinaison productive est en effet une combinaison de ressources et de compétences. L’approche socio-économique rend opérationnelle cette approche par les ressources et compétences. À partir de là, l’organisation est en mesure de satisfaire ses finalités téléologiques et axiologiques. Nous discutons la problématique de perspective d’ensemble à l’aune de résultats obtenus sur des cas d’intervention dans une première partie. Nous discutons l’hypothèse de recherche, à savoir que l’innovation managériale est une infrastructure socio-économique de la compétence centrale en deuxième partie. Nous soutenons en conclusion que cette perspective requiert cependant un repositionnement paradigmatique au sein de l’organisation. 1. Approche socio-économique de la perspective d’ensemble L’intégration, tout comme la différenciation sont des processus immanents, c’est-à-dire qu’ils coexistent, résident dans la nature humaine de l’être et de l’organisation. Ce que nous en observons est leur phénomène. En simplifiant, l’intégration fournit la cohésion. Elle requiert de mobiliser en termes de coopération, de coordination, de concertation, et parfois de concentration. La différenciation modélise les convergences et les spécificités qui s’y opposent, notamment la spécialisation, la rivalité, la compétition… En cela, l’approche socioéconomique modifie fondamentalement l’approche de l’école de la contingence introduite avec l’ouvrage célèbre de Lawrence et Lorsch (1989) sous le titre Adapter les structures de l’entreprise : intégration ou différenciation. L’approche socioéconomique (Savall et Zardet) a montré qu’il fallait gérer l’équilibre dynamique de leur invariance structurelle et fonctionnelle en termes de création de potentiel, quels que soient les types de configurations organisationnelles, et que cette gestion passait par le traitement permanent et dynamique des dysfonctionnements et des coûts-performances cachés générés par le fonctionnement humain dans les organisations. Cette perspective est consécutive de la démonstration scientifique faîte de la compatibilité de l’économique et du social (Savall, 1978), naturellement mise en tension par le comportement humain, les jeux d’acteurs, les pratiques de gouvernance et de management, les stratégies dans l’entreprise, qui font que naturellement le fonctionnement humain de l’organisation s’ensable. Dans 18 De l’innovation technologique à l’innovation managériale Reconstruire l’entreprise : analyse socio-économique des conditions de travail (Savall, 19792014), l’auteur souligne également la nécessité de cette intégration aux différents niveaux d’échelle, micro-méso-macro. Il faut considérer l’unité socio-économique comme unité de management. C’est en effet parce que l’entreprise est globalement innovante et apprenante qu’elle développe une pratique managériale également innovante. Toutefois, si le management de l’entreprise installe de la permanence éco-systémique dans l’organisation et son fonctionnement, celui-ci peut entraîner un repli écosystémique et stratégique de la pratique managériale. Savall et Zardet (1995a, p.180) affectent cette permanence éco-systémique au pôle des structures. C’est pourquoi ces auteurs soulignent que le traitement doit être permanent et en dynamique. Comme nous le soulignons, l’environnement interne et externe – en fait ils n’en font qu’un si l’on se réfère à la notion de milieu – ayant des propriétés transitives, il s’agit de faire en sorte que les opérations transformatives diffusent les patterns optimisant sur le plan collectif la qualité et l’efficacité du fonctionnement et du management. Sans toutefois faire le lit de l’innovation ouverte au sens de l’open innovation (Chesbrough, 2003), il apparaît alors opportun de reconsidérer le concept de l’innovation managériale à l’aune de l’étymologie du mot « innovation », composé du préfixe « in » qui désigne le mouvement vers l’intérieur, soit intégrer, et de la racine « novus » qui désigne la nouveauté, le changement, la transformation, le renouvellement… afin de compléter la définition proposée par Schumpeter. Certes, l’approche socio-économique distingue les dysfonctionnements, et leurs régulations, internes, internalisées et externalisées. Toutefois, le développement des applications en open innovation, le big-data… vont imposer une redéfinition étendue des systèmes d’information, et donc une conception du fonctionnement et du management des organisations dans de nouveaux espaces d’efficience. Certes, les rôles dans ces nouveaux espaces seront différenciés, mais, le fonctionnement devra être intégrateur. Bartlett et Ghoshal (1991) ont souligné l’importance de l’innovation technologique pour faciliter l’alignement stratégique au sein des grandes entreprises internationales. Non seulement ce phénomène touche désormais toutes les organisations, mais c’est l’innovation managériale qui devient le vecteur de l’alignement en efficacité et en qualité du fonctionnement et du management. 19 L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale Dans le cadre de l’approche socio-économique, l’intégration est opérationnalisée à l’aide du concept de SIOFHIS (Système d’Information Opérationnel et Fonctionnel Humainement Intégré et Stimulant) (Zardet, 1985, 1986). Cette conceptualisation contribue à la réalisation d’un diagnostic très détaillé des dysfonctionnements et à l’évaluation des coûts-performances cachés générés par chacun d’eux. Il permet également de reprogrammer le processus d’intégration dans le cadre de la définition et de la mise en œuvre du projet socio-économique. La mise en œuvre de cette reprogrammation contribue à convertir les coûts-performances cachés en valeur ajoutée financière mesurable dans le compte de résultats. Acquisition des données Traitement des 2 données Circulation 3 d’informations 1 �Saisie des données. �Fréquences des saisies. Stratégie Formation intégrée ■ �Fiabilité des traitements �Propagation des erreurs par absence de mise à jour des données. �Fiabilité accordée aux données transmises. Réception des �Non transmission d’information à des récepteurs 4 informations pertinents. �Manque de données pertinentes pour le récepteur. Compréhension �Temps individuel pour comprendre. 5 des �Manque de compétence pour comprendre la informations portée des informations. �Pilotage : Tâche mal assumée par l’encadrement à Transformation tous les stades du SIOFHIS. 6 des �Faible propension à piloter de la part de informations l’encadrement. �Peu de consultation avant prise de décision. �Absence ou insuffisance de dispositif de Communication-Coordination-Concertation (3C). �Décision prise sur des données erronées. Prise de �Prise de décision sans analyse des incidences 7 décision économiques à court, moyen, long termes. �Prédominance des indicateurs de performance économique à court terme lors de la prise de décision. �Allocation de temps pour la prise de décision. �Méconnaissance des axes stratégiques par ceux qui réalisent des actes décisifs de pilotage. �Réalisation d’actes de pilotage en situation de Acte décisif de 8 sous-information excessive. pilotage �Actes décisifs erronés. �Manque de consignes opératoires pour réaliser les actes décisifs de pilotage. Mise en œuvre stratégique ■ ■ Gestion du temps ■ Communicatio n coordination concertation Dysfonctionnements observés Organisation du travail Séquences Conditions de travail Le tableau 1 se rapportant à un cas d’application relatif à l’usage d’un ERP fournit un extrait de ce diagnostic. ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ Tableau 1 : extrait d’une analyse diagnostique relative à l’usage d’un ERP ■ 20 De l’innovation technologique à l’innovation managériale Le tableau 2 ci-après, issu du traitement d’une phase post-projet ERP en situation de difficulté fournit un second exemple caractérisant un phénomène de désintégration du fonctionnement, et corrélativement du processus d’innovation managériale. Ce tableau met en lumière un certain nombre de dysfonctionnements identifiés selon les six familles dysfonctionnelles de l’approche socio-économique et les exigences imposées aux utilisateurs par l’implémentation des solutions intégrées dans les organisations. Familles dysfonctionnelles CommunicationCoordinationConcertation (3C) Exemples de manifestations Dysfonctionnelles Système réel ou « vivant » selon l’expression de Zardet (1986) � Données de paramétrage, de base et transactionnelles erronées ou manquantes � Transparence des données � Systèmes de gestion parallèles � Cloisonnement des fonctions � Coûts cachés de l’usage du SI Organisation du travail (OT) � Responsabilités / SI � Remise en cause des pratiques � Intégration des systèmes � Processus d’affaires Gestion du temps (GT) Mise en œuvre stratégique (MOS) Formation intégrée (FI) � Informatisation de dysfonctionnements existants � Mode de gestion � Saisies aléatoires des données transactionnelles dans le temps � Données erronées ou manquantes � Absence de transparence � Caractéristiques des systèmes parallèles � Degré de cloisonnement � Glissement de fonction et surtemps liés au mésusage du SI � Qui devrait faire quoi ? � Absence de remise en cause des processus existants � Systèmes hétérogènes non communiquant � Degré de formalisation des processus d’affaires � Degré de pollution du SI � Effets de la gestion au court terme � Données erronées ou manquantes � Déterminisme technologique � Alignement stratégique du SI � Mode de pilotage de la performance économique de l’entreprise � Remise en cause de la direction � Absence d’intérêt pour l’humain � Absence d’alignement stratégique � Projet ERP non considéré stratégique � Formation des utilisateurs � Inadéquation de la formation � Plan de formation inexistant ou atrophié � Absence de référent � Attitude du management à l’égard des utilisateurs � Référents internes � Distance hiérarchique Conditions de travail (CT) Variables � Glissements de fonction collectifs � Stress Excès de contrôle � Résistance � Attitude de la direction à l’égard du système d’information � Sous-estimation des changements par les directions � Surtemps dans l’usage � Stress engendré par des déresponsabilisations d’acteurs à tous les niveaux de la hiérarchie � Causes racines des résistances Rappels de quelques exigences techniques imposées par l’ERP Système formel � Unicité des données (codage articles) � Qualité des données (fiabilité) � Intégration informationnelle � Traçabilité des transactions (respect du qui fait quoi ?) � Interdépendance des données � Qualité de la transversalité des échanges (mode de coopération) � Intégration Organisationnelle des processus � Cible organisationnelle définie (architecture) � Nombreuses saisies transactionnelles � Niveau de granularité des processus � Best practices prédéfinies � Mise à jour des données en temps réel � Planification des ressources du long terme au court terme � Méthodologie de mise en œuvre et conduite du changement � Remise en cause des processus existants � Management par les processus � Investissement coûteux � Partenariat avec prestataires � Montée des versions � Maîtrise des processus informationnels et des corrections à apporter en cas d’erreurs � Processus de traitement des anomalies en place � Coût d’entrée (investissement personnel) � Compétences progiciel & de gestion � Adéquation de l’outil / Métier(s) � Adoption de l’outil par les utilisateurs � Maintenance de l’outil et des données � Qualité de l’infrastructure Hardware, software et réseau � Granulométrie des processus Tableau 2 : dysfonctionnements récurrents/exigences imposées par les systèmes intégrés 21 L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale Le montant des coûts-performances cachés peut atteindre des niveaux très élevés, comme le montre le tableau 3. Ces évaluations sont obtenues pour la composante « surtemps » seule, qui peut dépasser 65 K€ par personne et par an, tandis que les 1200 diagnostics réalisés par l’ISEOR ont montré que la fourchette des coûtsperformances cachés pour les cinq composantes analysées, s’établissait entre 15 K€ et 65 K€ par personne et par an. Poste occupé Agent d’approvisionnement Gestionnaire des stocks Agent Administration des ventes Hypothèse surtemps minimum / an / poste 57 euros1 x (192/60) x 225 = 41 040 40% euros. 30% 30% 57 euros x (144/60) x 225 = 30 780 euros. 57 euros x (144/60) x 225 = 30 780 euros. Hypothèse surtemps maximum / an / poste 60% 50% 60% 57 euros x (288/60) x 225 = 61 560 euros. 57 euros x (240/60) x 225 = 51 300 euros. 57euros x (288/60) x 225 = 61 560 euros. Tableau 3 : calculs des coûts cachés liés aux surtemps passés par profil utilisateur Ces données concernent l’analyse dysfonctionnelle d’une grande entreprise. Nous fournissons ci-dessous (tableau 4) les données pour des PME. Les composantes financières utilisés dans le diagnostic socio-économique de l’ISEOR Organisations Sursalaires Surtemps Cas A1 (2002) 19 14 Cas B1 (2004) Cas C1 (2004) Cas D1 (2008) 70 Total % C-P C (1) 33 4% Sur Consommations Non Productions 37 1 15 53 3% 79 1 4 154 18 % 5 7 12 3% (1) En % du montant total des Coûts-Performances Cachés Tableau 4 : évaluation des coûts-performances cachés en PME (€ HT) liés à l’usage des systèmes de gestion informatisés (comptabilité, paie, stocks, facturation) Le déficit d’intégration vient affecter l’exercice et l’efficience de la compétence centrale. Il est expliqué par un déficit de qualité et d’efficacité du fonctionnement humain. Les travaux de Savall et Zardet (1995b) ont montré notamment que les dysfonctionnements3 étaient imputables au déficit de pilotage managérial, ce qui renvoie à la cohésion des équipes de direction, d’encadrement, la coopération, les coordinations et les concertations, et aux méthodes et pratiques de management. 3 L’acception dysfonctionnements comprend également la production des risques (potentiel de pertes financières). 22 De l’innovation technologique à l’innovation managériale 2. L’innovation managériale : Infrastructure socio-économique de la compétence centrale L’approche socio-économique met au centre de l’intervention la correction de ce déficit de pilotage selon une méthode qui articule le déploiement horizontal et vertical (dit « horivert »), et le déploiement fonctionnel. L’efficacité de l’intervention implique cependant une modélisation du contexte à transformer. Dans les projets de transformation organisationnelle que nous avons menés ces vingt-cinq dernières années, nous avons identifié plusieurs niveaux d’analyse du concept d’intégration. Le premier niveau concerne l’« intégration informationnelle » et fait référence au jeu d’interdépendance des données échangées en temps réel dans les solutions intégrées. Techniquement ce niveau est maîtrisé par les concepteurs de solutions intégrées. En revanche, il pose souvent problème aux utilisateurs et aux managers qui n’ont pas l’habitude de respecter le caractère rigoureux de son exploitation. Le second niveau traite de l’« intégration organisationnelle » au travers des processus métier implémentés dans le progiciel. La littérature sur les ERP fait souvent référence à la notion de « fit » de l’outil avec l’organisation, pour traduire cette harmonisation du métier avec le système d’information (Venkatraman, 1989). Le troisième niveau d’intégration que nous avons identifié est lié aux comportements des acteurs en situation de travail avec le progiciel. Nous avons nommé ce niveau d’intégration « intégration comportementale » au sens de la capacité des acteurs à communiquer, se coordonner et se concerter en mode transversal avec l’outil. Les dimensions managériale, cognitive et sociale que nous abordons dans cet article font partie de ce type d’intégration et participent à la construction de l’intégration organisationnelle. Ces trois niveaux d’intégration sont en interaction permanente. Le passage des logiciels maison, souvent mono-fonction (comptabilité, gestion des stocks, ordonnancement des opérations) plus ou moins reliés entre eux, au progiciel standard intégré entraîne des changements pour l’utilisateur. De fait, ce dernier se voit imposer4 un certain nombre de contraintes dans son environnement de travail (Carton et al., 2002) : 1.Son système d’information sera modifié et il devra faire en sorte de l’accepter dans ses pratiques du quotidien. De fait on ne lui demandera pas 4 Sur les trente projets ERP réalisés ces vingt-cinq dernières années, nous avons noté seulement deux cas d’entreprises où le projet relevait plus d’une démarche de changement volontaire et concertée avec les utilisateurs qu’un choix « du tout intégré » imposé par la direction et/ou les actionnaires. L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale 23 son avis quant à sa perception de l’utilité de cet outil puisque ce denier est le résultat d’une décision de la direction. Le modèle TAM5 de Davis (1989) basé sur les principes d’utilité et d’utilisation perçus par l’utilisateur n’est donc plus très crédible pour expliquer l’usage d’une technologie comme celle des ERP. Dans le même registre, le sentiment d’efficacité personnelle lié à l’utilité qui apparaît comme très significativement moteur dans les travaux d’Agarwal et Karahanna (2000) ne l’est plus non plus (Monnoyer et Boutary, 2008). 2.Son système d’information sera standard, c’est-à-dire qu’il sera identique à celui d’autres utilisateurs dans d’autres entreprises, alors qu’il croit son modèle particulier et unique. Et forcément, pour être standard, il ne répondra pas à 100 % de ses attentes : il devra accepter de modifier ses habitudes car il est généralement très coûteux de modifier celles du progiciel (Besson, 1999). 3.Son système d’information sera intégré, c’est-à-dire qu’il communiquera avec les autres applications des autres fonctions ou des autres domaines de l’entreprise : ses pratiques de collaboration se trouveront modifiées. Cette interaction entre les différentes fonctions de l’entreprise pose problème car elle demande à des entités habituées à opérer plus ou moins indépendamment de prendre conscience que leurs actions et leurs résultats sont contrôlés ou contingents des autres (Beretta, 2002). L’utilisateur devra gérer ce décloisonnement informationnel et le partage de ses informations, jadis source de pouvoir, avec le reste des acteurs dans l’entreprise et son environnement. Désormais, il faudra évoluer vers un management de l’intégration – la littérature sur les ERP utilise le terme d’intégration managériale – au détriment d’un management hiérarchique toujours bien enraciné dans les entreprises. Cette métamorphose implique aussi d’autres manières de faire sur le plan du partage et de la création de connaissances ainsi que la prise en compte et le développement du potentiel humain des personnes. Dans son approche, Beretta (2002) utilise le terme d’intégration cognitive pour qualifier ces nouvelles pratiques collaboratives. L’ERP pose ainsi le problème de l’intégration cognitive et managériale sous-jacente à l’intégration des processus et des données. Cette problématique prend une dimension supplémentaire aujourd’hui avec le phénomène de l’intégration inter-organisationnelle. L’innovation implique donc un acte de perspicacité allant au-delà de l’exercice normal des compétences des acteurs (Usher, 1954), puisqu’elle se rapporte 5 Technology Acceptance Model. 24 De l’innovation technologique à l’innovation managériale directement à la qualité et à l’efficacité du fonctionnement humain. Notre recherche montre que le développement de l’innovation managériale, comme compétence centrale, impose à la base, comme condition et modalité, un processus de transformations dans les infrastructures du fonctionnement et du management. Selon cette perspective, l’ordre des relations entre l’innovation et le changement, qui peut comporter ou non une invention, tel que vu par Ruttan (1959), s’en trouve inversé. Cela entraîne un déplacement de la compétence centrale et des facteurs clés de succès sur de nouveaux objets managériaux, d’essence socio-économique, par opposition à un placement classique de nature technico-économique ou sociotechnique. Le changement apparaît alors comme une prise de forme de l’innovation. L’innovation managériale peut en effet surgir d’une transformation significative de la combinaison des ressources. Cette perspective impose de ne pas asseoir l’innovation managériale sur la seule hégémonie technologique. Savall (1975, 1978, 1989) a notamment montré les limites de l’approche sociotechnique, et plus généralement des approches classiques (école des relations humaines, approches psychologiques, sociologiques…) en soulignant leur manque d’opérationnalité (Ibid., 1989, p.45). L’approche sociotechnique est née de ce même constat d’ailleurs. Mais, Savall (1989) a contesté cette dernière sur le fait que les causes des dysfonctionnements n’étaient pas à rechercher dans le seul système technique rapporté aux exigences économiques, dont la perspective conduisait à mettre sous pression le système social. Il fallait démontrer la compatibilité de l’économique et du social (Savall, 1977-1978) pour satisfaire les buts téléologiques et axiologiques de l’entreprise, comprenant évidemment l’usage des objets managériaux, à savoir le système technique. Les travaux de Savall faisaient en fait ressortir une erreur de raisonnement logique qui entraîne le renversement de la fin et des moyens. De toute façon, il y a eu d’importantes divergences de vues au sein de cette école sociotechnique. Nous soulignons donc que le positionnement paradigmatique adéquat est une condition de l’innovation managériale. Conclusion Le déploiement de l’innovation managériale implique de concevoir un socle théorique et méthodologique singulier dans le contexte. L’approche socioéconomique ne vient pas se substituer aux politiques et stratégies en place, L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale 25 mais elle permet d’apporter les améliorations requises pour obtenir la qualité et l’efficacité requise du fonctionnement et du management. Cette perspective implique cependant un repositionnement paradigmatique. Relativement au rapport à l’innovation technologique, une autre limite doit être soulignée, celle qui consiste à mettre sur le compte de l’innovation managériale l’usage des technologies de l’information et de la communication pour tayloriser le travail humain, dans les entreprises de services notamment ; ou encore contribue au renforcement et à la rationalisation des contrôles. Des travaux de thèses sur l’efficience des coûts de contrôles et des coûts de transactions aux différents niveaux d’échelle des structures seraient bienvenus, incluant l’évaluation de l’impact en termes de confiance, de reconnaissance, de motivation, d’engagement organisationnel… Contrairement à ce qui est avancé, l’usage des technologies conduit à une perte d’autonomie des acteurs, et consécutivement renforce leur interdépendance fonctionnelle. Il faut donc bien travailler sur le levier de l’intégration comme facteur clé de succès. Les dysfonctionnements que nous avons analysés aux cours de nos interventions montrent bien que les connexions ne s’établissent pas, ou ne s’établissent pas spontanément. Il faut introduire des dispositifs de pilotage des relations humaines sur la base des connaissances opératoires à mobiliser pour être efficient. Les travaux de Saint-Léger (2009) ont montré que les personnes sont en fait souvent seules devant les problèmes, qu’elles n’ont pas la possibilité de les traiter seules, et se déresponsabilisent. David (1996) souligne que l’innovation managériale vient modifier le processus entre les relations humaines et les connaissances. Ce sont aussi les nouvelles conditions d’interactivité humaine qui viennent rendre efficiente l’innovation managériale, y compris au niveau du processus de décisions. Les travaux de David, sur ce plan, montrent que la conduite du changement ne peut plus se concevoir dans le modèle classique « communication-formation », qui reste indispensable cependant, mais implique un travail préalable de modélisation du système de relations humaines croisant les relations et les connaissances. Cette modélisationconceptualisation, la gestion et le pilotage de ce système de management des technologies organisationnelles relève de compétences nouvelles à implémenter, qui peuvent être pilotées par un consultant ou un manager d’interface (Mintzberg, 1982). Le déploiement est cependant à concevoir selon les règles et dispositions du contrôle de gestion socio-économique (Savall et Zardet, 1992). 26 De l’innovation technologique à l’innovation managériale Selon cette approche en effet, on montre que les dysfonctionnements d’usage trouvent leur origine dans des conflits de modèles de connaissance ; nous ouvrons là un axe de prolongement de notre recherche : le modèle de connaissance apporté par le dispositif technologique et technique (cf. les systèmes ERP/PGI et les systèmes à base de TIC, le Big-Data…) et les modèles de connaissance des acteurs. L’intégration managériale s’opère lorsque les accommodations se réalisent de part et d’autre. Le SI, généralement considéré comme vecteur d’innovation(s), devient efficient dès lors que la compatibilité éco-systémique est réalisée. Selon cette perspective où se conjuguent l’innovation managériale et l’open innovation, il convient donc d’asseoir les stratégies d’innovation et d’apprentissage expérientiel sur des stratégies d’intégration managériale. Dès lors, la capacité d’innovation et d’apprentissage, – il faut lier les deux notions – ne s’acquiert pas sur la base des seuls savoirs contingents assimilés par les acteurs, certes utiles et nécessaires, mais sur la capacité des acteurs de l’organisation à produire de la connaissance endogène et originale. L’organisation apprenante doit apprendre également en dehors d’elle-même. L’organisation apprenante n’est pas seulement compétente ; elle est intelligente. Elle développe sa capacité à inventer. L’innovation managériale apparaît bien comme une infrastructure socio-économique de la compétence centrale. 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Partage et innovation : les enjeux des nouvelles pratiques collaboratives L’innovation managériale devient une piste privilégiée pour conserver un avantage concurrentiel face à la concurrence. Face à ce constat, les entreprises cherchent à mettre en place de nouvelles modalités de management, notamment pour améliorer la gestion des connaissances. Après une présentation du concept d’innovation managériale, cet article évoquera le développement des réseaux sociaux d’entreprise, dont le but est de favoriser la circulation de l’information au sein de l’entreprise. Mots clés : innovation managériale, gestion des connaissances, réseau social d’entreprise, entreprise 2.0. Sharing and Innovation: the stakes of new collaborative practices Managerial innovation is a privileged way to maintain competitive advantage. In this context, enterprises are looking to establish new forms of management, including improving knowledge management. After a presentation of the concept of managerial innovation, this article will discuss the development of enterprise social networks, whose goal is to improve circulation of knowledge. Keywords: managerial innovation, knowledge management, enterprise social network, enterprise 2.0. Partage et innovation : les enjeux des nouvelles pratiques collaboratives Erwan Boutigny NIMEC, Université du Havre Si HP savait ce que HP sait, nous serions trois fois plus profitables. Lew Platt, ancien PDG de Hewlett Packard Face à une concurrence de plus en plus vive, les entreprises sont confrontées à des cycles d’innovation qui deviennent de plus en plus courts, réduisant de fait la durée de vie d’un avantage concurrentiel fondé sur le produit. Face à ce constat, Birkinshaw, Hamel & Mol (2008) soulignent que désormais l’avantage concurrentiel durable se trouve non plus dans l’innovation produit, mais dans l’innovation managériale, c’est-à-dire dans la capacité de l’entreprise à mieux gérer ses ressources que la concurrence. Parmi ces ressources, le management des informations et plus précisément des connaissances constitue aujourd’hui un défi à relever pour les entreprises. L’évolution des marchés, de la concurrence, de la technologie pousse les organisations à se doter d’outils permettant de voir loin et large, comme le suggérait Gaston Berger dès 1964. Cependant, Berger appelait également à la redéfinition des méthodes, puisqu’au-delà de voir loin et large, il préconisait de le faire autrement, c’est-à-dire en innovant, mais aussi et surtout de le faire ensemble. Près de cinquante années après cette pensée prophétique, force est de constater que les pratiques managériales en matière de gestion des connaissances commencent à intégrer les innovations technologiques pour améliorer la performance de l’entreprise. Concept nouveau en Sciences de Gestion (Birkinshaw et Mol, 2009), l’innovation managériale soulève de nombreuses questions. Cet article traitera des nouvelles modalités de co-création de connaissance au travers des innovations technologiques de partage des connaissances. Il s’articulera en trois parties. Dans un premier temps, nous reviendrons sur l’émergence du concept d’innovation managériale. La littérature récente (Birkinshaw et Mol, 2006 ; Birkinshaw et al., 2008 ; Damanpour et Aravid, 2012) apporte un éclairage intéressant au concept et 32 De l’innovation technologique à l’innovation managériale sur ses modalités. Puis, dans une deuxième partie, nous étudierons les interactions entre les innovations technologiques en matière de gestion des connaissances et ses domaines d’application aux pratiques managériales, notamment en matière de gestion des connaissances et d’innovation collaborative (Renault et Boutigny, 2014). Les notions d’entreprise 2.0 et de réseau social d’entreprise (RSE) seront évoquées. Ce dernier, entendu comme une plateforme collaborative interne à l’entreprise permettant de mettre en contact les salariés, permet de favoriser la création et la circulation des connaissances. Ainsi, l’objectif est de mettre en avant l’innovation collaborative grâce à la mutualisation des compétences et des savoirs individuels. La troisième partie de cet article terminera sur les avantages et les limites des RSE. 1. L’innovation managériale : contours du concept Si l’innovation a longtemps été analysée sous l’angle de l’innovation de produit ou de process dans une perspective stratégique, permettant d’avoir un avantage concurrentiel, le champ de l’innovation managériale reste un domaine peu exploré. Cette première partie propose d’en dresser les contours. 1.1. De l’innovation technologique à l’innovation managériale La question de l’avantage concurrentiel est longtemps restée étudiée sous l’angle des formes d’innovation classiques, telles que l’innovation produit ou l’innovation de process. En effet, dans la littérature du management stratégique, l’entreprise souhaitant se démarquer de la concurrence devait soit faire un produit innovant (Porter, 1982) ou introduire un nouveau concept (Hamel, 1998 ; Pisano, 1996). Désormais, avec la réduction des cycles de vie de produits et les capacités stratégiques des firmes à s’engager dans des stratégies de mimétisme, conserver un avantage concurrentiel est devenu de plus en plus difficile. Pour Damanpour et Aravind (2012), ces types d’innovation procurent rarement un avantage concurrentiel durable, tant les innovations de produits sont copiées et tant les stratégies peuvent être imitées. Dès lors, seules les innovations managériales seraient susceptibles aujourd’hui de permettre aux entreprises de se démarquer de la concurrence (Birkinshaw et Mol, 2006). Partage et innovation : les enjeux des nouvelles pratiques collaboratives 33 De plus, il faut sans doute voir dans l’intérêt que portent les managers à l’innovation managériale, un glissement : ce n’est plus tant le produit lui même qui procure un avantage concurrentiel, mais la façon dont l’entreprise peut acquérir et gérer l’information. Dans une économie de savoirs, maîtriser l’art et la manière d’articuler la connaissance dans l’entreprise constitue un levier stratégique particulièrement fort. 1.2. Définition(s) de l’innovation managériale Dès que l’on parle d’innovation managériale, la difficulté réside dans les contours du concept. Birkinshaw et al. (2008) soulignent que devant la diversité des acceptions recensées dans la littérature, il est très délicat de s’entendre sur une définition unique : d’autant plus que la terminologie utilisée reste hétérogène6. Pour autant, nous retiendrons la définition qui propose d’envisager l’innovation managériale comme l’introduction d’une pratique managériale, d’un process ou d’une technique qui sont inédits dans l’entreprise et qui lui permettent d’améliorer ses performances organisationnelles. Kimberly (1981) souligne le possible caractère incrémental de l’innovation managériale puisqu’il la considère comme un produit ou une technique perçus comme nouveaux par l’individu ou le groupe d’individus et qui, au sein de l’organisation où ils sont mis en place, affectent la nature, la localisation, la qualité et la quantité de l’information disponible pour la prise de décision. Concernant son origine, l’innovation managériale peut se trouver dans les processus internes et externes de l’organisation (Damanpour, 1991). Au regard de la littérature, les enjeux de l’innovation managériale concernent la mission des managers et leur cœur de métier : il s’agit en effet de faciliter la prise de décision et de considérer l’information comme étant une ressource rare et précieuse sur laquelle il est possible de construire un avantage concurrentiel. 6 Sont évoquées des notions telles que : managerial innovation (Kimberly, 1981), administrative innovation (Damanpour & Evan, 1984), organizational innovation (Damanpour & Evan, 1984 ; Kimberly & Evanisko, 1981), management innovation (Abrahamson, 1991). 34 De l’innovation technologique à l’innovation managériale 2. Innover pour faire circuler l’information à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise S’il existe un consensus sur le statut de levier stratégique du management de l’information, tout reste à faire dans l’entreprise pour opérationnaliser cette source d’avantage concurrentiel. Si le web 2.0 a révolutionné Internet en le rendant davantage participatif, le développement de l’entreprise 2.0 et des RSE qui a suivi, souligne les perspectives autorisées par les formes de communication numériques permettant de tirer profit des salariés à grande échelle. Cette partie propose d’évoquer les problématiques nouvelles en termes d’innovation collective, de coopération inter/intraorganisationnelle et d’accès aux savoirs. 2.1. Tirer profit des salariés ou comment mobiliser l’intelligence collective L’intelligence collective (Bonabeau et Meyer, 2001) repose sur le postulat selon lequel la performance d’un collectif dépasse la simple addition des performances individuelles. Pour atteindre cet effet de synergie, le RSE propose d’orchestrer les échanges d’acteurs aux compétences hétérogènes. Il s’agit ici de jouer sur l’interaction des individualités mobilisées pour stimuler et explorer de nouvelles pistes créatives. Le RSE est donc une opportunité de partager des idées, des stratégies et des expériences pour ouvrir la voie à de nouvelles approches pour stimuler la créativité. Cette perspective rejoint celle de Bonabeau (2009) selon laquelle l’intelligence collective peut avoir deux objectifs : créer des idées nouvelles et améliorer des idées novatrices. Dans cette perspective, le cas du Jam d’IBM est éloquent : confrontée à une période de turbulences dans les années 1990 face à des nouveaux concurrents tels que Microsoft, Sun ou Oracle, l’entreprise américaine a cherché comme première mission à reconstruire sa culture d’entreprise et ses valeurs. Pour ce faire, elle lance en 1996, son réseau intranet permettant aux milliers de salariés de rester en contact. L’intranet permet d’avoir accès aux rapports officiels d’IBM mais également à une forme plus informelle de communication entre managers (Birkinshaw et Crainer, 2007). Dès les premières années, l’intranet s’est révélé être le canal préféré des 330 000 salariés, à tel point qu’à partir des années 2000, IBM y voit une puissante source pour susciter l’innovation et faire émerger de nouvelles Partage et innovation : les enjeux des nouvelles pratiques collaboratives 35 idées en instaurant des Jam. Inspiré des formes d’improvisation chères au monde du jazz, le Jam consiste en un vaste brainstorming temporaire, utilisant les sources de communication numériques (Renault et al., 2013). En 2003, IBM demande à ses employés de réfléchir aux valeurs d’IBM lors d’un ValuesJam. Pour l’entreprise, il s’agit notamment de faire réfléchir les salariés aux « basic beliefs » qui ont modelé sa trajectoire stratégique depuis sa création. Le ValuesJam a été ouvert pendant 72 heures. 50 000 IBMers s’y sont connecté et ont laissé 10000 messages. Devant la richesse des débats et des idées novatrices, IBM a décidé de développer la formule du Jam. En 2006, elle organise l’InnovationJam, suite auquel elle investit 100 millions de dollars pour développer 31 idées retenues. L’année suivante, IBM a reçu près d’une centaine de demandes d’entreprises du monde entier pour obtenir une aide méthodologique pour mettre en place leur propre Jam (Birkinshaw et Crainer, 2007). 2.2. L’entreprise 2.0 : vers une démarche collaborative Les développements de plateformes communautaires intra-organisationnelles ou inter-organisationnelles telles que le Jam deviennent de véritables sources de connaissances partagées. À ce titre, l’émergence des RSE laisse entrevoir de nouvelles perspectives de partages de connaissances : IBM estimait d’ailleurs en 2010 que le réseau social d’entreprise supplanterait les échanges par email d’ici 2015. Si nous n’en sommes pas encore là, il est vrai que la littérature sur l’entreprise 2.0 ou les RSE soulignent des implications opérationnelles très larges. Développé par MacAfee (2006), l’entreprise 2.0 repose sur l’utilisation de réseaux sociaux destinés aux salariés et/ou aux parties prenantes (clients, fournisseurs, prestataires de services). Dans cette perspective, le réseau social d’entreprise peut s’entendre comme la mise en place d’une plateforme applicative ouverte à une catégorie de salariés d’une entreprise ou à certaines de ses parties prenantes. L’objectif repose sur la mobilisation des connaissances et la circulation de l’information que l’on cherche à fluidifier. De fait, le RSE met l’accent sur la mobilisation collective des salariés. Il convient néanmoins de préciser que le travail collaboratif n’est pas nouveau en soi. Dès le développement du management de projet, les organisations ont pris conscience de l’importance d’une collaboration entre acteurs. Cette acception du travail collectif se limitait cependant à faire travailler ensemble des acteurs métiers pour gérer des processus communs en regroupant des processus métiers assez proches. En revanche, l’entreprise 36 De l’innovation technologique à l’innovation managériale 2.0 cherche à faire réfléchir ensemble des acteurs métiers très différents, qu’ils soient internes ou externes à l’entreprise par le biais d’un RSE. L’objectif visé par l’entreprise 2.0 est de faciliter les échanges en ayant recours aux pratiques conversationnelles. Ces pratiques peuvent être envisagées de deux façons : -- une logique asynchrone : dans cette acception classique, les échanges se font dans une logique de « temps décalé » comme le sont les emails. Chaque interlocuteur se répond sans exigence de réactivité immédiate. -- une logique synchrone : dans ce cas, les échanges se font dans une logique de « temps unique » comme le sont les chats. Chaque interlocuteur s’exprime sous contrainte d’instantanéité, permettant aux autres de réagir ou de répondre. Nous retrouvons ici le dynamisme et la spontanéité de l’oralité. 3. Caractéristiques et limites du RSE Après avoir évoqué les caractéristiques de l’entreprise 2.0, cette troisième partie s’intéresse plus particulièrement aux trois raisons d’être d’un RSE et évoquera les précautions à prendre. 3.1. Les trois piliers du RSE Nous pouvons souligner trois objectifs managériaux du RSE. Être un espace d’information Le RSE constitue un espace d’information collaboratif : l’outil permet en effet de regrouper l’information et de construire des fils de discussion thématiques pour organiser la centralisation d’informations. Il s’agit d’envisager le RSE comme un lieu de stockage centralisé, accessible à tous (ou non), quel que soit le moment. Les fonctionnalités offertes par les outils permettent également aux acteurs de valider (ou non) les documents, de les enrichir directement sur la plateforme collaborative. Il en ressort une plus grande réactivité. Notons également que la veille se trouve facilitée. Regrouper une communauté L’intérêt de l’outil est de permettre de regrouper une communauté qui dépasse la logique de métier ou de processus. Dans une logique transversale, il s’agit de