Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié et Pierre

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Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié et Pierre-Michel Riccio, De l’innovation technologique à
l’innovation managériale, Paris, Presses des Mines, collection économie et gestion, 2014.
Numéro 04 de la revue « Management des Technologies Organisationnelles »
© Presses des MINES – TRANSVALOR
60, boulevard Saint-Michel – 75272 Paris cedex 06 – France
[email protected]
www.pressesdesmines.com
© Images de couverture : École Nationale Supérieure des Mines d’Alès
ISBN : 978-2-35671-135-9
ISSN : 2267-6732
Dépôt légal : 2014
Achevé d’imprimer en 2014 – Paris
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays.
De l’innovation technologique
à l’innovation managériale
Management des Technologies Organisationnelles
Collection Économie et Gestion
Dans la même collection Construire l’innovation durable
Jeanne Riot
Fragiles compétences
Sophie Brétécher, Cathy Krohmer
L’absentéisme des personnels soignants
à l’hôpital
L. Brami, S. Damart, M. Detchessahar, M.
Devigne, J. Habib, F. Kletz, C. Krohmer
Construire la biodiversité
Julie Labatut
Impact Des Réseaux Numériques Dans Les
Organisations
Y. Barlette, D. Bonnet, M. Plantié, P-M. Riccio
L’innovation Orpheline
Marine Agogué
La régulation par les instruments
Michel Nakhla
L’erreur humaine
James Reason
Introduction à la conception innovante
M. Agogué, F. Arnoux, I. Brown Ingi, S.
Hooge
New Foundations Of Management Research
A. David, A. Hatchuel, R. Laufer
Technologie et Ooganisations
Pierre-Michel Riccio
Les nouvelles fondations des sciences de gestion
A. David, A. Hatchuel, R. Laufer
L’activité marchande sans le marché ?
A. Hatchuel, O. Favereau, F..Aggeri
Management des technologies Organisationnelles
Journées d’études MTO’2009
Pierre-Michel Riccio, Daniel Bonnet
L’évaluation des chercheurs
D. Fixari, J-C. Moisdon, F. Pallez
Sûreté nucléaire et facteurs humains
Grégory Rolina
Proceedings of the Third Resilience
Engeineering Symposium
E. Hollnagel, F. Pieri, E. Rigaud
Proceedings of the Second Resilience
Engeineering Symposium
Erik hollnagel, Eric Rigaud (editors)
Modem le maudit
O. Bomsel, A-G. Geffroy, G. Le Blanc
Évaluation des coûts
Claude Riveline
Le leadership dans les organisations
James G. March, Thierry Weil
Tic et innovation organisationnelle
journées d’études mto’2011
Pierre-Michel Riccio, Daniel Bonnet
Dernier tango argentique
Olivier Bomsel, Gilles Le Blanc
Gerer et comprendre l’open source
Nordine Benkeltoum
Les nouveaux circuits du commerce mondial
François Huwart, Bertrand collomb
Proceedings of the Fourth Resilience
Engeineering Symposium
Erik Hollnagel, Eric Rigaud, Denis Besnard
Invitation à la lecture de James March
Thierry Weil
Entre communautés et mobilité
S. Agostinelli, D. Augey, F. Laurie
De l’innovation technologique
à l’innovation managériale
Management des Technologies Organisationnelles
Yves Barlette, Daniel Bonnet,
Michel Plantié, Pierre-Michel Riccio
De l’innovation technologique
à l’innovation managériale
Management des Technologies Organisationnelles
Cet ouvrage constitue le quatrième volume de la revue « Management des
Technologies Organisationnelles ». Comme les trois volumes précédents, celuici s’appuie sur les colloques organisés dans le champ du management des
technologies organisationnelles par Montpellier Business School, la Chambre
Professionnelle du Conseil Languedoc-Roussillon et le centre de recherche
LGI2P de l’École Nationale Supérieure des Mines d’Alès.
Dès le début de cette initiative, en 2008, notre démarche a présenté la particularité
de rechercher une vision transdisciplinaire (sciences et technologies de
l’information et de la communication, sciences de gestion, sciences humaines et
sociales) et transmétiers (chercheurs, consultants et entrepreneurs) sur des thèmes
d’actualité, en organisant l’espace d’expression entre spécialistes expérimentés et
débutants motivés.
Le lecteur trouvera dans ce numéro des contributions qui viennent d’horizons
assez variés, rédigés par des scientifiques de différentes sensibilités, mais aussi
des consultants et acteurs en entreprises. Au moment où de nombreuses études
incitent à une fertilisation croisée, mais où dans le même temps nous constatons
un repli disciplinaire, ceci marque l’originalité de la série.
Direction de la revue : Pierre-Michel Riccio
Comité éditorial : Yves Barlette, Daniel Bonnet, Aline Cayhuela, Marie-Françoise
Combaz, Eric Lacombe, Frank Lasch, Michel Plantié, Pierre-Michel Riccio,
Florence Rodhain.
Comité scientifique : Serge Agostinelli, Yves Barlette, Daniel Bonnet, Isabelle
Bourdon, Aline Cayhuela, Marie-Françoise Combaz, Monique Commandré,
8
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
Thibault de Swarte, Katherine Gundolf, Annabelle Jaouen, Eric Lacombe, Frank
Lasch, Jacky Montmain, Michel Plantié, Pierre-Michel Riccio, Florence Rodhain,
Guy Saint-Léger, Lise Vieira.
Coordination de l’ouvrage : Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié,
Pierre-Michel Riccio.
Préface
Il est devenu commun de souligner que la capacité d’innovation est pour nos
entreprises la principale ressource pour faire face à une forte intensification de la
compétition dans un contexte international. Au-delà de l’innovation technique et/
ou technologique concernant les produits et services, nous nous interrogeons sur
la capacité des entreprises à renouveler leurs modes de fonctionnement.
Entre standardisation des techniques de management et contraintes de coûts,
quelle est la place de l’innovation managériale dans les modèles de gestion des
entreprises ? Est-ce que les technologies de l’information et de la communication
facilitent le développement de l’innovation managériale, le renouvellement des
modes d’organisation du travail ?
L’innovation managériale est un concept récent dont la définition est pour le
moment polysémique, aussi nous l’entendrons ici dans un sens assez large :
innovation dans le management, mais aussi dans la gestion des entreprises. Cela
concerne aussi l’innovation en ressources humaines, dans l’encadrement des
hommes, la gestion des systèmes, la communication, les relations sociales ou
encore l’organisation du travail.
Ce 4e numéro de la revue MTO présente le point de vue de scientifiques de
différentes spécialités sur ces questions, mais aussi – ce qui est une originalité
de la série – celui de consultants et acteurs en entreprises. Il reprend par ailleurs
une partie des travaux exposés lors du colloque Management des Technologies
Organisationnelles organisé les 3 et 4 octobre 2013 à Montpellier, tout en
réservant un espace d’expression pour les chercheurs débutants qui ont souvent
un point de vue intéressant sur les questions d’actualité.
Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié et Pierre-Michel Riccio
Coordinateurs de l’ouvrage
Sommaire
I – Cartes blanches.........................................................................13
Daniel Bonnet et Guy Saint-Leger
L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale...................... 15
Erwan Boutigny
Partage et innovation : les enjeux des nouvelles pratiques collaboratives..............31
Marie-Françoise Combaz
Une combinaison efficace d’outils technologiques pour associer les acteurs.......... 43
Wassim Mimeche, Bernard Fallery et Florence Rodhain
Construction de l’identité numérique sur les médias sociaux..................................63
II – Contributions...........................................................................77
Emilie Canet et Sébastien Tran
Contribution des S.I. aux innovations managériales : le cas Valeo..........................79
Antoine Chollet, Isabelle Bourdon et Florence Rodhain
MMORPG et perspectives de gamification...............................................................93
Isabelle Choquet
L’incertitude radicale et l’entrepreneur effectual : une redécouverte
du capital social.......................................................................................................... 105
Igor Crevits, Laurence Cournot et Saïd Hanafi
L’aide à la décision comme cadre de gouvernance-innovation.............................. 129
Thibault de Swarte
Théorie de l’innovation et technologies de la mobilité : le cas Apple.................... 141
Jacques Folon
Bring Your Own Device : de nouveaux défis pour l’entreprise............................... 153
12
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
Eric Lacombe
Le contexte informationnel de l’entreprise : levier ou frein ?................................. 167
Célia Lemaire et Thierry Nobre
Analyse de l’introduction d’un système de pilotage stratégique ...........................183
Annie Liothin et Pierre-Michel Riccio
Vers la confiance numérique.................................................................................. 197
Evelyne Lombardo, Serge Agostinelli, Sophie Arvanitakis,
Marie Ouvrard et Marielle Metge
Bizprojet : exemple de TIC au service de l’innovation managériale......................205
Sophie Renault
Crowdsourcing et gamification : contours d’une innovation managériale.............223
Marc Robert et Philippe Giuliani
Exemple d’innovation managériale radicale : le lean manufacturing.................... 237
III – En direct du terrain..............................................................245
Katia Bradtke
Elaboration d’un cadre d’action fertile dans un environnement complexe............ 247
Stéphane Brosia et Evelyne Lombardo
Financement de la stratégie de rupture d’une start-up par une innovation
managériale ?.......................................................................................................... 265
Sybille Imbert
La culture d’entreprise est-elle soluble dans le web ?............................................ 279
IV – Les auteurs............................................................................293
I – CARTES BLANCHES
Daniel Bonnet et Guy Saint-Leger
Erwan Boutigny
Marie-Françoise Combaz
Wassim Mimeche, Bernard Fallery et Florence Rodhain
Daniel Bonnet et Guy Saint-Leger
Daniel Bonnet et Guy Saint-Léger sont chercheurs associés à l’ISEOR, Magellan, à l’IAE Lyon,
Université Jean-Moulin Lyon 3
L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale
Ce papier montre comment l’innovation managériale devient un facteur clé de succès, et une
infrastructure de la compétence centrale, dès lors que l’entreprise développe l’usage des Technologies
de l’Information et de la Communication. En son principe, l’innovation managériale doit consister
à déployer des stratégies d’intégration managériale pour que le fonctionnement de l’entreprise et
son management soit efficaces. L’innovation managériale apparaît alors comme une infrastructure
socio-économique de la compétence centrale.
Mots clés : Innovation managériale, Compétence centrale, Approche socio-économique,
Technologies de l’Information et de la Communication, Management des Technologies
Organisationnelles.
Managerial Innovation, Infrastructure of Central Competence
This paper shows how managerial innovation becomes a key success factor, and an infrastructure
of central competence, since the company develops the use of Information and Communication
Technologies. In its principle, managerial innovation must consist in deploying strategies of
managerial integration so that the operation of the company and its management is effective.
Therefore, managerial innovation can be viewed as a socio-economic infrastructure of central
competence.
Keywords: Managerial Innovation, Central Competence, Socio-Economic Approach,
Information and Communication Technologies, Management of Organizational Technologies.
L’innovation managériale,
infrastructure de la compétence centrale
Daniel Bonnet et Guy Saint-Leger
ISEOR, Université Jean-Moulin Lyon 3
L’innovation consiste à introduire quelque chose de nouveau dans une chose
établie (Le Robert). On distingue généralement les innovations selon qu’elles
concernent les produits, les services, ou les procédés et les méthodes. Elle peut
être de nature matérielle, technologique, technique, industrielle, ou immatérielle,
organisationnelle, managériale, financière, marketing… Soulignons qu’elle peut
être également paradigmatique lorsqu’elle vise des buts axiologiques (qualité
de management des ressources humaines, conditions et organisation du travail,
éthique, responsabilité sociale…).
La mise en œuvre de nouvelles formes d’organisation du travail, consécutivement
de management et de gouvernance des organisations, relève de l’innovation.
Dans ce domaine d’application, elles sont généralement de nature incrémentale,
quand bien même elles relèvent de la mise en œuvre de stratégies de changement
transformateur. La définition de l’innovation proposée par Schumpeter, dans sa
théorie de l’évolution économique (1911-1999), selon laquelle elle est une capacité
à mettre en œuvre de nouvelles combinaisons productives, est toujours pertinente.
Au fil des années, le principe d’innovation s’est trouvé placé au cœur des stratégies
d’entreprise. L’innovation se déploie en grappes selon l’expression de Schumpeter,
et devient un vecteur de développement économique pour les entreprises et pour
la société. Elle favorise notamment la création de nouvelles entreprises, et leur
développement sur des métiers nouveaux nécessitant des compétences nouvelles.
Cette contribution vise à montrer que l’innovation managériale nécessite de
déployer des stratégies d’intégration managériale, car pour être effective en qualité
et en efficacité, la démarche d’innovation doit s’installer dans les infrastructures du
management et du fonctionnement de l’organisation. Cette notion d’intégration
managériale introduite par Beretta (2002) s’entend au sens de l’intégration des
systèmes d’informations (SI), même si son usage est étendu dans différents
16
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
domaines d’application, par exemple les fusions-acquisitions d’entreprises dont la
mise en œuvre implique d’intégrer les modèles de gouvernance et de management.
Mais, l’intégration des SI impose des changements profonds sur le plan
organisationnel et managérial (Saint-Léger, 2004), dont la nature est généralement
sous-estimée. L’organisation doit alors développer des compétences dans le
domaine de la conduite du changement. Cette dernière est en effet une modalité
du management qui doit être intégrée dans ses pratiques courantes ; et cette
nécessité est encore largement ignorée (El Amrani, 2007). Cette perspective
d’ensemble a été largement démontrée par les travaux de Savall (1975-1989),
Savall et Zardet (1995a, 1995b, 2004). Cette perspective d’ensemble dans laquelle
s’inscrit notre recherche, dont nous faisons du déficit notre problématique de
recherche, justifie le choix de l’approche socio-économique sur le plan théorique1,
épistémologique et méthodologique. En effet, les travaux de Savall et Zardet
s’inscrivent dans une approche épistémologique intégrée (2004).
Il ne saurait évidemment s’agir de confondre les buts de mission qui ont trait à
la vocation et aux finalités, et les buts de système qui ont trait à l’organisation
et au fonctionnement (Mintzberg, 1982), mais il est évident que le succès des
buts de système permet la réalisation des buts de mission. Nous ne réfutons
pas à cet égard que l’environnement soit contingent. Nous soutenons en
revanche qu’il est transitif, c’est-à-dire que le fonctionnement de l’organisation
et la qualité du management sont conducteurs des transformations. Cette
transitivité définit notre positionnement dans la théorie du constructivisme
générique (Savall et Zardet, 2004). Dans cette perspective, nous posons comme
hypothèse de recherche que l’innovation managériale est une infrastructure
socio-économique de la compétence centrale. En effet, les dysfonctionnements
affectent la performance de cette compétence centrale2, consécutivement des
compétences distinctives, tandis que le bon fonctionnement de l’organisation
1 Dans l’approche sociotechnique l’aspect économique joue un rôle mineur, il est considéré au
mieux comme une simple variable « exogène » à la fois contraignante et « négative ».
2 La notion de compétence centrale a été introduite par G. Hamel et C.K. Prahalad (1990), associée
à la notion d’intention stratégique. La théorie des ressources et compétences a été diversement
déclinée entre différentes approches ; citons notamment l’approche competence-based-view et l’approche
competence-based. Une confusion est souvent faîte entre les différentes notions de compétence centrale,
de compétences distinctives et de cœur de compétence. Pour notre recherche, nous définissons
la compétence centrale comme la compétence du (ou des) cœur(s) de métier stratégiques, les
compétences distinctives comme les compétences de différenciation concurrentielle.
L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale
17
contribue à leur optimalisation. Le bon fonctionnement de l’organisation est
source de création de potentiel, ce qui est précisément requis pour être innovant.
La combinaison productive est en effet une combinaison de ressources et de
compétences. L’approche socio-économique rend opérationnelle cette approche
par les ressources et compétences. À partir de là, l’organisation est en mesure de
satisfaire ses finalités téléologiques et axiologiques.
Nous discutons la problématique de perspective d’ensemble à l’aune de résultats
obtenus sur des cas d’intervention dans une première partie. Nous discutons
l’hypothèse de recherche, à savoir que l’innovation managériale est une
infrastructure socio-économique de la compétence centrale en deuxième partie.
Nous soutenons en conclusion que cette perspective requiert cependant un
repositionnement paradigmatique au sein de l’organisation.
1. Approche socio-économique de la perspective d’ensemble
L’intégration, tout comme la différenciation sont des processus immanents,
c’est-à-dire qu’ils coexistent, résident dans la nature humaine de l’être et de
l’organisation. Ce que nous en observons est leur phénomène. En simplifiant,
l’intégration fournit la cohésion. Elle requiert de mobiliser en termes de
coopération, de coordination, de concertation, et parfois de concentration. La
différenciation modélise les convergences et les spécificités qui s’y opposent,
notamment la spécialisation, la rivalité, la compétition… En cela, l’approche socioéconomique modifie fondamentalement l’approche de l’école de la contingence
introduite avec l’ouvrage célèbre de Lawrence et Lorsch (1989) sous le titre
Adapter les structures de l’entreprise : intégration ou différenciation. L’approche socioéconomique (Savall et Zardet) a montré qu’il fallait gérer l’équilibre dynamique
de leur invariance structurelle et fonctionnelle en termes de création de potentiel,
quels que soient les types de configurations organisationnelles, et que cette gestion
passait par le traitement permanent et dynamique des dysfonctionnements et
des coûts-performances cachés générés par le fonctionnement humain dans les
organisations. Cette perspective est consécutive de la démonstration scientifique
faîte de la compatibilité de l’économique et du social (Savall, 1978), naturellement
mise en tension par le comportement humain, les jeux d’acteurs, les pratiques
de gouvernance et de management, les stratégies dans l’entreprise, qui font
que naturellement le fonctionnement humain de l’organisation s’ensable. Dans
18
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
Reconstruire l’entreprise : analyse socio-économique des conditions de travail (Savall, 19792014), l’auteur souligne également la nécessité de cette intégration aux différents
niveaux d’échelle, micro-méso-macro. Il faut considérer l’unité socio-économique
comme unité de management.
C’est en effet parce que l’entreprise est globalement innovante et apprenante
qu’elle développe une pratique managériale également innovante. Toutefois, si
le management de l’entreprise installe de la permanence éco-systémique dans
l’organisation et son fonctionnement, celui-ci peut entraîner un repli écosystémique et stratégique de la pratique managériale. Savall et Zardet (1995a,
p.180) affectent cette permanence éco-systémique au pôle des structures. C’est
pourquoi ces auteurs soulignent que le traitement doit être permanent et en
dynamique. Comme nous le soulignons, l’environnement interne et externe –
en fait ils n’en font qu’un si l’on se réfère à la notion de milieu – ayant des
propriétés transitives, il s’agit de faire en sorte que les opérations transformatives
diffusent les patterns optimisant sur le plan collectif la qualité et l’efficacité du
fonctionnement et du management.
Sans toutefois faire le lit de l’innovation ouverte au sens de l’open innovation
(Chesbrough, 2003), il apparaît alors opportun de reconsidérer le concept de
l’innovation managériale à l’aune de l’étymologie du mot « innovation », composé
du préfixe « in » qui désigne le mouvement vers l’intérieur, soit intégrer, et de la
racine « novus » qui désigne la nouveauté, le changement, la transformation, le
renouvellement… afin de compléter la définition proposée par Schumpeter. Certes,
l’approche socio-économique distingue les dysfonctionnements, et leurs régulations,
internes, internalisées et externalisées. Toutefois, le développement des applications
en open innovation, le big-data… vont imposer une redéfinition étendue des systèmes
d’information, et donc une conception du fonctionnement et du management
des organisations dans de nouveaux espaces d’efficience. Certes, les rôles dans ces
nouveaux espaces seront différenciés, mais, le fonctionnement devra être intégrateur.
Bartlett et Ghoshal (1991) ont souligné l’importance de l’innovation technologique
pour faciliter l’alignement stratégique au sein des grandes entreprises internationales.
Non seulement ce phénomène touche désormais toutes les organisations, mais c’est
l’innovation managériale qui devient le vecteur de l’alignement en efficacité et en
qualité du fonctionnement et du management.
19
L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale
Dans le cadre de l’approche socio-économique, l’intégration est opérationnalisée à
l’aide du concept de SIOFHIS (Système d’Information Opérationnel et Fonctionnel
Humainement Intégré et Stimulant) (Zardet, 1985, 1986). Cette conceptualisation
contribue à la réalisation d’un diagnostic très détaillé des dysfonctionnements
et à l’évaluation des coûts-performances cachés générés par chacun d’eux. Il
permet également de reprogrammer le processus d’intégration dans le cadre de la
définition et de la mise en œuvre du projet socio-économique. La mise en œuvre
de cette reprogrammation contribue à convertir les coûts-performances cachés en
valeur ajoutée financière mesurable dans le compte de résultats.
Acquisition des
données
Traitement des
2
données
Circulation
3
d’informations
1
�Saisie des données.
�Fréquences des saisies.
Stratégie
Formation
intégrée
■
�Fiabilité des traitements
�Propagation des erreurs par absence de mise à
jour des données.
�Fiabilité accordée aux données transmises.
Réception des
�Non transmission d’information à des récepteurs
4
informations
pertinents.
�Manque de données pertinentes pour le récepteur.
Compréhension �Temps individuel pour comprendre.
5 des
�Manque de compétence pour comprendre la
informations
portée des informations.
�Pilotage : Tâche mal assumée par l’encadrement à
Transformation
tous les stades du SIOFHIS.
6 des
�Faible propension à piloter de la part de
informations
l’encadrement.
�Peu de consultation avant prise de décision.
�Absence ou insuffisance de dispositif de
Communication-Coordination-Concertation (3C).
�Décision prise sur des données erronées.
Prise de
�Prise de décision sans analyse des incidences
7
décision
économiques à court, moyen, long termes.
�Prédominance des indicateurs de performance
économique à court terme lors de la prise de
décision.
�Allocation de temps pour la prise de décision.
�Méconnaissance des axes stratégiques par ceux
qui réalisent des actes décisifs de pilotage.
�Réalisation d’actes de pilotage en situation de
Acte décisif de
8
sous-information excessive.
pilotage
�Actes décisifs erronés.
�Manque de consignes opératoires pour réaliser les
actes décisifs de pilotage.
Mise en œuvre
stratégique
■
■
Gestion du
temps
■
Communicatio
n coordination
concertation
Dysfonctionnements observés
Organisation
du travail
Séquences
Conditions de
travail
Le tableau 1 se rapportant à un cas d’application relatif à l’usage d’un ERP fournit
un extrait de ce diagnostic.
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
Tableau 1 : extrait d’une analyse diagnostique relative à l’usage d’un ERP
■
20
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
Le tableau 2 ci-après, issu du traitement d’une phase post-projet ERP en situation de
difficulté fournit un second exemple caractérisant un phénomène de désintégration
du fonctionnement, et corrélativement du processus d’innovation managériale.
Ce tableau met en lumière un certain nombre de dysfonctionnements identifiés
selon les six familles dysfonctionnelles de l’approche socio-économique et les
exigences imposées aux utilisateurs par l’implémentation des solutions intégrées
dans les organisations.
Familles
dysfonctionnelles
CommunicationCoordinationConcertation (3C)
Exemples de manifestations
Dysfonctionnelles
Système réel ou « vivant » selon
l’expression de Zardet (1986)
� Données de paramétrage, de base
et transactionnelles erronées ou
manquantes
� Transparence des données
� Systèmes de gestion parallèles
� Cloisonnement des fonctions
� Coûts cachés de l’usage du SI
Organisation du
travail
(OT)
� Responsabilités / SI
� Remise en cause des pratiques
� Intégration des systèmes
� Processus d’affaires
Gestion du temps
(GT)
Mise en œuvre
stratégique (MOS)
Formation
intégrée
(FI)
� Informatisation de
dysfonctionnements existants
� Mode de gestion
� Saisies aléatoires des données
transactionnelles dans le temps
� Données erronées ou manquantes
� Absence de transparence
� Caractéristiques des systèmes
parallèles
� Degré de cloisonnement
� Glissement de fonction et surtemps
liés au mésusage du SI
� Qui devrait faire quoi ?
� Absence de remise en cause des
processus existants
� Systèmes hétérogènes non
communiquant
� Degré de formalisation des
processus d’affaires
� Degré de pollution du SI
� Effets de la gestion au court terme
� Données erronées ou manquantes
� Déterminisme technologique
� Alignement stratégique du SI
� Mode de pilotage de la
performance économique de
l’entreprise
� Remise en cause de la direction
� Absence d’intérêt pour l’humain
� Absence d’alignement stratégique
� Projet ERP non considéré
stratégique
� Formation des utilisateurs
� Inadéquation de la formation
� Plan de formation inexistant ou
atrophié
� Absence de référent
� Attitude du management à l’égard
des utilisateurs
� Référents internes
� Distance hiérarchique
Conditions de
travail
(CT)
Variables
� Glissements de fonction collectifs
� Stress Excès de contrôle
� Résistance
� Attitude de la direction à l’égard du
système d’information
� Sous-estimation des changements
par les directions
� Surtemps dans l’usage
� Stress engendré par des
déresponsabilisations d’acteurs à
tous les niveaux de la hiérarchie
� Causes racines des résistances
Rappels de quelques exigences
techniques imposées par l’ERP
Système formel
� Unicité des données (codage
articles)
� Qualité des données (fiabilité)
� Intégration informationnelle
� Traçabilité des transactions
(respect du qui fait quoi ?)
� Interdépendance des données
� Qualité de la transversalité des
échanges (mode de
coopération)
� Intégration Organisationnelle
des processus
� Cible organisationnelle définie
(architecture)
� Nombreuses saisies
transactionnelles
� Niveau de granularité des
processus
� Best practices prédéfinies
� Mise à jour des données en
temps réel
� Planification des ressources du
long terme au court terme
� Méthodologie de mise en
œuvre et conduite du
changement
� Remise en cause des processus
existants
� Management par les processus
� Investissement coûteux
� Partenariat avec prestataires
� Montée des versions
� Maîtrise des processus
informationnels et des
corrections à apporter en cas
d’erreurs
� Processus de traitement des
anomalies en place
� Coût d’entrée (investissement
personnel)
� Compétences progiciel & de
gestion
� Adéquation de l’outil /
Métier(s)
� Adoption de l’outil par les
utilisateurs
� Maintenance de l’outil et des
données
� Qualité de l’infrastructure
Hardware, software et réseau
� Granulométrie des processus
Tableau 2 : dysfonctionnements récurrents/exigences imposées par les systèmes intégrés
21
L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale
Le montant des coûts-performances cachés peut atteindre des niveaux très élevés,
comme le montre le tableau 3. Ces évaluations sont obtenues pour la composante
« surtemps » seule, qui peut dépasser 65 K€ par personne et par an, tandis que les
1200 diagnostics réalisés par l’ISEOR ont montré que la fourchette des coûtsperformances cachés pour les cinq composantes analysées, s’établissait entre
15 K€ et 65 K€ par personne et par an.
Poste occupé
Agent
d’approvisionnement
Gestionnaire des
stocks
Agent Administration
des ventes
Hypothèse surtemps minimum / an / poste
57 euros1 x (192/60) x 225 = 41 040
40% euros.
30%
30%
57 euros x (144/60) x 225 = 30 780
euros.
57 euros x (144/60) x 225 = 30 780
euros.
Hypothèse surtemps maximum / an / poste
60%
50%
60%
57 euros x (288/60) x 225 = 61 560
euros.
57 euros x (240/60) x 225 = 51 300
euros.
57euros x (288/60) x 225 = 61 560
euros.
Tableau 3 : calculs des coûts cachés liés aux surtemps passés par profil utilisateur
Ces données concernent l’analyse dysfonctionnelle d’une grande entreprise. Nous
fournissons ci-dessous (tableau 4) les données pour des PME.
Les composantes financières utilisés dans le diagnostic socio-économique de l’ISEOR
Organisations
Sursalaires
Surtemps
Cas A1 (2002)
19
14
Cas B1 (2004)
Cas C1 (2004)
Cas D1 (2008)
70
Total
%
C-P C (1)
33
4%
Sur Consommations
Non Productions
37
1
15
53
3%
79
1
4
154
18 %
5
7
12
3%
(1) En % du montant total des Coûts-Performances Cachés
Tableau 4 : évaluation des coûts-performances cachés en PME (€ HT) liés à l’usage des systèmes de
gestion informatisés (comptabilité, paie, stocks, facturation)
Le déficit d’intégration vient affecter l’exercice et l’efficience de la compétence
centrale. Il est expliqué par un déficit de qualité et d’efficacité du fonctionnement
humain. Les travaux de Savall et Zardet (1995b) ont montré notamment que les
dysfonctionnements3 étaient imputables au déficit de pilotage managérial, ce qui
renvoie à la cohésion des équipes de direction, d’encadrement, la coopération, les
coordinations et les concertations, et aux méthodes et pratiques de management.
3 L’acception dysfonctionnements comprend également la production des risques (potentiel de
pertes financières).
22
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
2. L’innovation managériale : Infrastructure socio-économique
de la compétence centrale
L’approche socio-économique met au centre de l’intervention la correction de ce
déficit de pilotage selon une méthode qui articule le déploiement horizontal et
vertical (dit « horivert »), et le déploiement fonctionnel. L’efficacité de l’intervention
implique cependant une modélisation du contexte à transformer. Dans les projets
de transformation organisationnelle que nous avons menés ces vingt-cinq dernières
années, nous avons identifié plusieurs niveaux d’analyse du concept d’intégration.
Le premier niveau concerne l’« intégration informationnelle » et fait référence au jeu
d’interdépendance des données échangées en temps réel dans les solutions intégrées.
Techniquement ce niveau est maîtrisé par les concepteurs de solutions intégrées.
En revanche, il pose souvent problème aux utilisateurs et aux managers qui n’ont
pas l’habitude de respecter le caractère rigoureux de son exploitation. Le second
niveau traite de l’« intégration organisationnelle » au travers des processus métier
implémentés dans le progiciel. La littérature sur les ERP fait souvent référence à
la notion de « fit » de l’outil avec l’organisation, pour traduire cette harmonisation
du métier avec le système d’information (Venkatraman, 1989). Le troisième niveau
d’intégration que nous avons identifié est lié aux comportements des acteurs en
situation de travail avec le progiciel. Nous avons nommé ce niveau d’intégration
« intégration comportementale » au sens de la capacité des acteurs à communiquer,
se coordonner et se concerter en mode transversal avec l’outil. Les dimensions
managériale, cognitive et sociale que nous abordons dans cet article font partie de ce
type d’intégration et participent à la construction de l’intégration organisationnelle.
Ces trois niveaux d’intégration sont en interaction permanente.
Le passage des logiciels maison, souvent mono-fonction (comptabilité, gestion
des stocks, ordonnancement des opérations) plus ou moins reliés entre eux,
au progiciel standard intégré entraîne des changements pour l’utilisateur. De
fait, ce dernier se voit imposer4 un certain nombre de contraintes dans son
environnement de travail (Carton et al., 2002) :
1.Son système d’information sera modifié et il devra faire en sorte de
l’accepter dans ses pratiques du quotidien. De fait on ne lui demandera pas
4 Sur les trente projets ERP réalisés ces vingt-cinq dernières années, nous avons noté seulement
deux cas d’entreprises où le projet relevait plus d’une démarche de changement volontaire et
concertée avec les utilisateurs qu’un choix « du tout intégré » imposé par la direction et/ou les
actionnaires.
L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale
23
son avis quant à sa perception de l’utilité de cet outil puisque ce denier est
le résultat d’une décision de la direction. Le modèle TAM5 de Davis (1989)
basé sur les principes d’utilité et d’utilisation perçus par l’utilisateur n’est
donc plus très crédible pour expliquer l’usage d’une technologie comme
celle des ERP. Dans le même registre, le sentiment d’efficacité personnelle
lié à l’utilité qui apparaît comme très significativement moteur dans les
travaux d’Agarwal et Karahanna (2000) ne l’est plus non plus (Monnoyer
et Boutary, 2008).
2.Son système d’information sera standard, c’est-à-dire qu’il sera identique
à celui d’autres utilisateurs dans d’autres entreprises, alors qu’il croit
son modèle particulier et unique. Et forcément, pour être standard, il
ne répondra pas à 100 % de ses attentes : il devra accepter de modifier
ses habitudes car il est généralement très coûteux de modifier celles du
progiciel (Besson, 1999).
3.Son système d’information sera intégré, c’est-à-dire qu’il communiquera
avec les autres applications des autres fonctions ou des autres domaines
de l’entreprise : ses pratiques de collaboration se trouveront modifiées.
Cette interaction entre les différentes fonctions de l’entreprise pose
problème car elle demande à des entités habituées à opérer plus ou moins
indépendamment de prendre conscience que leurs actions et leurs résultats
sont contrôlés ou contingents des autres (Beretta, 2002). L’utilisateur devra
gérer ce décloisonnement informationnel et le partage de ses informations,
jadis source de pouvoir, avec le reste des acteurs dans l’entreprise et son
environnement. Désormais, il faudra évoluer vers un management de
l’intégration – la littérature sur les ERP utilise le terme d’intégration
managériale – au détriment d’un management hiérarchique toujours bien
enraciné dans les entreprises. Cette métamorphose implique aussi d’autres
manières de faire sur le plan du partage et de la création de connaissances
ainsi que la prise en compte et le développement du potentiel humain des
personnes.
Dans son approche, Beretta (2002) utilise le terme d’intégration cognitive pour
qualifier ces nouvelles pratiques collaboratives. L’ERP pose ainsi le problème de
l’intégration cognitive et managériale sous-jacente à l’intégration des processus
et des données. Cette problématique prend une dimension supplémentaire
aujourd’hui avec le phénomène de l’intégration inter-organisationnelle.
L’innovation implique donc un acte de perspicacité allant au-delà de l’exercice
normal des compétences des acteurs (Usher, 1954), puisqu’elle se rapporte
5 Technology Acceptance Model.
24
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
directement à la qualité et à l’efficacité du fonctionnement humain. Notre
recherche montre que le développement de l’innovation managériale, comme
compétence centrale, impose à la base, comme condition et modalité, un
processus de transformations dans les infrastructures du fonctionnement et du
management. Selon cette perspective, l’ordre des relations entre l’innovation et
le changement, qui peut comporter ou non une invention, tel que vu par Ruttan
(1959), s’en trouve inversé. Cela entraîne un déplacement de la compétence
centrale et des facteurs clés de succès sur de nouveaux objets managériaux,
d’essence socio-économique, par opposition à un placement classique de nature
technico-économique ou sociotechnique. Le changement apparaît alors comme
une prise de forme de l’innovation. L’innovation managériale peut en effet surgir
d’une transformation significative de la combinaison des ressources.
Cette perspective impose de ne pas asseoir l’innovation managériale sur
la seule hégémonie technologique. Savall (1975, 1978, 1989) a notamment
montré les limites de l’approche sociotechnique, et plus généralement des
approches classiques (école des relations humaines, approches psychologiques,
sociologiques…) en soulignant leur manque d’opérationnalité (Ibid., 1989, p.45).
L’approche sociotechnique est née de ce même constat d’ailleurs. Mais, Savall
(1989) a contesté cette dernière sur le fait que les causes des dysfonctionnements
n’étaient pas à rechercher dans le seul système technique rapporté aux exigences
économiques, dont la perspective conduisait à mettre sous pression le système
social. Il fallait démontrer la compatibilité de l’économique et du social (Savall,
1977-1978) pour satisfaire les buts téléologiques et axiologiques de l’entreprise,
comprenant évidemment l’usage des objets managériaux, à savoir le système
technique. Les travaux de Savall faisaient en fait ressortir une erreur de
raisonnement logique qui entraîne le renversement de la fin et des moyens. De
toute façon, il y a eu d’importantes divergences de vues au sein de cette école
sociotechnique. Nous soulignons donc que le positionnement paradigmatique
adéquat est une condition de l’innovation managériale.
Conclusion
Le déploiement de l’innovation managériale implique de concevoir un socle
théorique et méthodologique singulier dans le contexte. L’approche socioéconomique ne vient pas se substituer aux politiques et stratégies en place,
L’innovation managériale, infrastructure de la compétence centrale
25
mais elle permet d’apporter les améliorations requises pour obtenir la qualité et
l’efficacité requise du fonctionnement et du management.
Cette perspective implique cependant un repositionnement paradigmatique.
Relativement au rapport à l’innovation technologique, une autre limite doit être
soulignée, celle qui consiste à mettre sur le compte de l’innovation managériale
l’usage des technologies de l’information et de la communication pour tayloriser le
travail humain, dans les entreprises de services notamment ; ou encore contribue
au renforcement et à la rationalisation des contrôles. Des travaux de thèses sur
l’efficience des coûts de contrôles et des coûts de transactions aux différents
niveaux d’échelle des structures seraient bienvenus, incluant l’évaluation de
l’impact en termes de confiance, de reconnaissance, de motivation, d’engagement
organisationnel… Contrairement à ce qui est avancé, l’usage des technologies
conduit à une perte d’autonomie des acteurs, et consécutivement renforce
leur interdépendance fonctionnelle. Il faut donc bien travailler sur le levier de
l’intégration comme facteur clé de succès. Les dysfonctionnements que nous
avons analysés aux cours de nos interventions montrent bien que les connexions
ne s’établissent pas, ou ne s’établissent pas spontanément. Il faut introduire
des dispositifs de pilotage des relations humaines sur la base des connaissances
opératoires à mobiliser pour être efficient. Les travaux de Saint-Léger (2009)
ont montré que les personnes sont en fait souvent seules devant les problèmes,
qu’elles n’ont pas la possibilité de les traiter seules, et se déresponsabilisent. David
(1996) souligne que l’innovation managériale vient modifier le processus entre les
relations humaines et les connaissances. Ce sont aussi les nouvelles conditions
d’interactivité humaine qui viennent rendre efficiente l’innovation managériale,
y compris au niveau du processus de décisions. Les travaux de David, sur
ce plan, montrent que la conduite du changement ne peut plus se concevoir
dans le modèle classique « communication-formation », qui reste indispensable
cependant, mais implique un travail préalable de modélisation du système de
relations humaines croisant les relations et les connaissances. Cette modélisationconceptualisation, la gestion et le pilotage de ce système de management des
technologies organisationnelles relève de compétences nouvelles à implémenter,
qui peuvent être pilotées par un consultant ou un manager d’interface (Mintzberg,
1982). Le déploiement est cependant à concevoir selon les règles et dispositions
du contrôle de gestion socio-économique (Savall et Zardet, 1992).
26
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
Selon cette approche en effet, on montre que les dysfonctionnements d’usage
trouvent leur origine dans des conflits de modèles de connaissance ; nous ouvrons
là un axe de prolongement de notre recherche : le modèle de connaissance
apporté par le dispositif technologique et technique (cf. les systèmes ERP/PGI
et les systèmes à base de TIC, le Big-Data…) et les modèles de connaissance des
acteurs. L’intégration managériale s’opère lorsque les accommodations se réalisent
de part et d’autre. Le SI, généralement considéré comme vecteur d’innovation(s),
devient efficient dès lors que la compatibilité éco-systémique est réalisée.
Selon cette perspective où se conjuguent l’innovation managériale et l’open
innovation, il convient donc d’asseoir les stratégies d’innovation et d’apprentissage
expérientiel sur des stratégies d’intégration managériale. Dès lors, la capacité
d’innovation et d’apprentissage, – il faut lier les deux notions – ne s’acquiert pas
sur la base des seuls savoirs contingents assimilés par les acteurs, certes utiles
et nécessaires, mais sur la capacité des acteurs de l’organisation à produire de la
connaissance endogène et originale. L’organisation apprenante doit apprendre
également en dehors d’elle-même. L’organisation apprenante n’est pas seulement
compétente ; elle est intelligente. Elle développe sa capacité à inventer. L’innovation
managériale apparaît bien comme une infrastructure socio-économique de la
compétence centrale.
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Erwan Boutigny
Erwan Boutigny est Maître de Conférences au sein du Pôle International de Management de
l’Université du Havre. Il est membre du laboratoire Nimec.
Partage et innovation : les enjeux des nouvelles pratiques collaboratives
L’innovation managériale devient une piste privilégiée pour conserver un avantage concurrentiel
face à la concurrence. Face à ce constat, les entreprises cherchent à mettre en place de nouvelles
modalités de management, notamment pour améliorer la gestion des connaissances. Après une
présentation du concept d’innovation managériale, cet article évoquera le développement des
réseaux sociaux d’entreprise, dont le but est de favoriser la circulation de l’information au sein de
l’entreprise.
Mots clés : innovation managériale, gestion des connaissances, réseau social d’entreprise,
entreprise 2.0.
Sharing and Innovation: the stakes of new collaborative practices
Managerial innovation is a privileged way to maintain competitive advantage. In this context,
enterprises are looking to establish new forms of management, including improving knowledge
management. After a presentation of the concept of managerial innovation, this article will discuss
the development of enterprise social networks, whose goal is to improve circulation of knowledge.
Keywords: managerial innovation, knowledge management, enterprise social network,
enterprise 2.0.
Partage et innovation : les enjeux des nouvelles
pratiques collaboratives
Erwan Boutigny
NIMEC, Université du Havre
Si HP savait ce que HP sait, nous serions trois fois plus profitables.
Lew Platt, ancien PDG de Hewlett Packard
Face à une concurrence de plus en plus vive, les entreprises sont confrontées
à des cycles d’innovation qui deviennent de plus en plus courts, réduisant de
fait la durée de vie d’un avantage concurrentiel fondé sur le produit. Face à ce
constat, Birkinshaw, Hamel & Mol (2008) soulignent que désormais l’avantage
concurrentiel durable se trouve non plus dans l’innovation produit, mais dans
l’innovation managériale, c’est-à-dire dans la capacité de l’entreprise à mieux
gérer ses ressources que la concurrence. Parmi ces ressources, le management
des informations et plus précisément des connaissances constitue aujourd’hui un
défi à relever pour les entreprises. L’évolution des marchés, de la concurrence, de
la technologie pousse les organisations à se doter d’outils permettant de voir loin
et large, comme le suggérait Gaston Berger dès 1964. Cependant, Berger appelait
également à la redéfinition des méthodes, puisqu’au-delà de voir loin et large, il
préconisait de le faire autrement, c’est-à-dire en innovant, mais aussi et surtout
de le faire ensemble. Près de cinquante années après cette pensée prophétique,
force est de constater que les pratiques managériales en matière de gestion des
connaissances commencent à intégrer les innovations technologiques pour
améliorer la performance de l’entreprise.
Concept nouveau en Sciences de Gestion (Birkinshaw et Mol, 2009), l’innovation
managériale soulève de nombreuses questions. Cet article traitera des
nouvelles modalités de co-création de connaissance au travers des innovations
technologiques de partage des connaissances. Il s’articulera en trois parties. Dans
un premier temps, nous reviendrons sur l’émergence du concept d’innovation
managériale. La littérature récente (Birkinshaw et Mol, 2006 ; Birkinshaw et al.,
2008 ; Damanpour et Aravid, 2012) apporte un éclairage intéressant au concept et
32
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
sur ses modalités. Puis, dans une deuxième partie, nous étudierons les interactions
entre les innovations technologiques en matière de gestion des connaissances et
ses domaines d’application aux pratiques managériales, notamment en matière
de gestion des connaissances et d’innovation collaborative (Renault et Boutigny,
2014). Les notions d’entreprise 2.0 et de réseau social d’entreprise (RSE) seront
évoquées. Ce dernier, entendu comme une plateforme collaborative interne à
l’entreprise permettant de mettre en contact les salariés, permet de favoriser la
création et la circulation des connaissances. Ainsi, l’objectif est de mettre en
avant l’innovation collaborative grâce à la mutualisation des compétences et des
savoirs individuels. La troisième partie de cet article terminera sur les avantages
et les limites des RSE.
1. L’innovation managériale : contours du concept
Si l’innovation a longtemps été analysée sous l’angle de l’innovation de produit
ou de process dans une perspective stratégique, permettant d’avoir un avantage
concurrentiel, le champ de l’innovation managériale reste un domaine peu
exploré. Cette première partie propose d’en dresser les contours.
1.1. De l’innovation technologique à l’innovation managériale
La question de l’avantage concurrentiel est longtemps restée étudiée sous l’angle
des formes d’innovation classiques, telles que l’innovation produit ou l’innovation
de process. En effet, dans la littérature du management stratégique, l’entreprise
souhaitant se démarquer de la concurrence devait soit faire un produit innovant
(Porter, 1982) ou introduire un nouveau concept (Hamel, 1998 ; Pisano, 1996).
Désormais, avec la réduction des cycles de vie de produits et les capacités
stratégiques des firmes à s’engager dans des stratégies de mimétisme, conserver
un avantage concurrentiel est devenu de plus en plus difficile. Pour Damanpour
et Aravind (2012), ces types d’innovation procurent rarement un avantage
concurrentiel durable, tant les innovations de produits sont copiées et tant les
stratégies peuvent être imitées. Dès lors, seules les innovations managériales
seraient susceptibles aujourd’hui de permettre aux entreprises de se démarquer
de la concurrence (Birkinshaw et Mol, 2006).
Partage et innovation : les enjeux des nouvelles pratiques collaboratives
33
De plus, il faut sans doute voir dans l’intérêt que portent les managers à
l’innovation managériale, un glissement : ce n’est plus tant le produit lui même qui
procure un avantage concurrentiel, mais la façon dont l’entreprise peut acquérir
et gérer l’information. Dans une économie de savoirs, maîtriser l’art et la manière
d’articuler la connaissance dans l’entreprise constitue un levier stratégique
particulièrement fort.
1.2. Définition(s) de l’innovation managériale
Dès que l’on parle d’innovation managériale, la difficulté réside dans les contours
du concept. Birkinshaw et al. (2008) soulignent que devant la diversité des
acceptions recensées dans la littérature, il est très délicat de s’entendre sur une
définition unique : d’autant plus que la terminologie utilisée reste hétérogène6.
Pour autant, nous retiendrons la définition qui propose d’envisager l’innovation
managériale comme l’introduction d’une pratique managériale, d’un process ou
d’une technique qui sont inédits dans l’entreprise et qui lui permettent d’améliorer
ses performances organisationnelles.
Kimberly (1981) souligne le possible caractère incrémental de l’innovation
managériale puisqu’il la considère comme un produit ou une technique perçus
comme nouveaux par l’individu ou le groupe d’individus et qui, au sein de
l’organisation où ils sont mis en place, affectent la nature, la localisation, la qualité
et la quantité de l’information disponible pour la prise de décision. Concernant
son origine, l’innovation managériale peut se trouver dans les processus internes
et externes de l’organisation (Damanpour, 1991).
Au regard de la littérature, les enjeux de l’innovation managériale concernent la
mission des managers et leur cœur de métier : il s’agit en effet de faciliter la prise
de décision et de considérer l’information comme étant une ressource rare et
précieuse sur laquelle il est possible de construire un avantage concurrentiel.
6 Sont évoquées des notions telles que : managerial innovation (Kimberly, 1981), administrative innovation
(Damanpour & Evan, 1984), organizational innovation (Damanpour & Evan, 1984 ; Kimberly &
Evanisko, 1981), management innovation (Abrahamson, 1991).
34
De l’innovation technologique à l’innovation managériale
2. Innover pour faire circuler l’information à l’intérieur
et à l’extérieur de l’entreprise
S’il existe un consensus sur le statut de levier stratégique du management de
l’information, tout reste à faire dans l’entreprise pour opérationnaliser cette
source d’avantage concurrentiel.
Si le web 2.0 a révolutionné Internet en le rendant davantage participatif, le
développement de l’entreprise 2.0 et des RSE qui a suivi, souligne les perspectives
autorisées par les formes de communication numériques permettant de tirer profit
des salariés à grande échelle. Cette partie propose d’évoquer les problématiques
nouvelles en termes d’innovation collective, de coopération inter/intraorganisationnelle et d’accès aux savoirs.
2.1. Tirer profit des salariés ou comment mobiliser l’intelligence collective
L’intelligence collective (Bonabeau et Meyer, 2001) repose sur le postulat selon
lequel la performance d’un collectif dépasse la simple addition des performances
individuelles. Pour atteindre cet effet de synergie, le RSE propose d’orchestrer
les échanges d’acteurs aux compétences hétérogènes. Il s’agit ici de jouer sur
l’interaction des individualités mobilisées pour stimuler et explorer de nouvelles
pistes créatives. Le RSE est donc une opportunité de partager des idées, des
stratégies et des expériences pour ouvrir la voie à de nouvelles approches pour
stimuler la créativité. Cette perspective rejoint celle de Bonabeau (2009) selon
laquelle l’intelligence collective peut avoir deux objectifs : créer des idées nouvelles
et améliorer des idées novatrices.
Dans cette perspective, le cas du Jam d’IBM est éloquent : confrontée à une
période de turbulences dans les années 1990 face à des nouveaux concurrents
tels que Microsoft, Sun ou Oracle, l’entreprise américaine a cherché comme
première mission à reconstruire sa culture d’entreprise et ses valeurs. Pour ce
faire, elle lance en 1996, son réseau intranet permettant aux milliers de salariés
de rester en contact. L’intranet permet d’avoir accès aux rapports officiels d’IBM
mais également à une forme plus informelle de communication entre managers
(Birkinshaw et Crainer, 2007). Dès les premières années, l’intranet s’est révélé être
le canal préféré des 330 000 salariés, à tel point qu’à partir des années 2000, IBM y
voit une puissante source pour susciter l’innovation et faire émerger de nouvelles
Partage et innovation : les enjeux des nouvelles pratiques collaboratives
35
idées en instaurant des Jam. Inspiré des formes d’improvisation chères au monde
du jazz, le Jam consiste en un vaste brainstorming temporaire, utilisant les sources
de communication numériques (Renault et al., 2013). En 2003, IBM demande à ses
employés de réfléchir aux valeurs d’IBM lors d’un ValuesJam. Pour l’entreprise, il
s’agit notamment de faire réfléchir les salariés aux « basic beliefs » qui ont modelé sa
trajectoire stratégique depuis sa création. Le ValuesJam a été ouvert pendant 72
heures. 50 000 IBMers s’y sont connecté et ont laissé 10000 messages. Devant la
richesse des débats et des idées novatrices, IBM a décidé de développer la formule
du Jam. En 2006, elle organise l’InnovationJam, suite auquel elle investit 100
millions de dollars pour développer 31 idées retenues. L’année suivante, IBM a
reçu près d’une centaine de demandes d’entreprises du monde entier pour obtenir
une aide méthodologique pour mettre en place leur propre Jam (Birkinshaw et
Crainer, 2007).
2.2. L’entreprise 2.0 : vers une démarche collaborative
Les développements de plateformes communautaires intra-organisationnelles
ou inter-organisationnelles telles que le Jam deviennent de véritables sources
de connaissances partagées. À ce titre, l’émergence des RSE laisse entrevoir de
nouvelles perspectives de partages de connaissances : IBM estimait d’ailleurs
en 2010 que le réseau social d’entreprise supplanterait les échanges par email
d’ici 2015. Si nous n’en sommes pas encore là, il est vrai que la littérature sur
l’entreprise 2.0 ou les RSE soulignent des implications opérationnelles très larges.
Développé par MacAfee (2006), l’entreprise 2.0 repose sur l’utilisation de réseaux
sociaux destinés aux salariés et/ou aux parties prenantes (clients, fournisseurs,
prestataires de services). Dans cette perspective, le réseau social d’entreprise
peut s’entendre comme la mise en place d’une plateforme applicative ouverte à
une catégorie de salariés d’une entreprise ou à certaines de ses parties prenantes.
L’objectif repose sur la mobilisation des connaissances et la circulation de
l’information que l’on cherche à fluidifier. De fait, le RSE met l’accent sur la
mobilisation collective des salariés. Il convient néanmoins de préciser que le travail
collaboratif n’est pas nouveau en soi. Dès le développement du management de
projet, les organisations ont pris conscience de l’importance d’une collaboration
entre acteurs. Cette acception du travail collectif se limitait cependant à faire
travailler ensemble des acteurs métiers pour gérer des processus communs
en regroupant des processus métiers assez proches. En revanche, l’entreprise
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De l’innovation technologique à l’innovation managériale
2.0 cherche à faire réfléchir ensemble des acteurs métiers très différents, qu’ils
soient internes ou externes à l’entreprise par le biais d’un RSE. L’objectif visé
par l’entreprise 2.0 est de faciliter les échanges en ayant recours aux pratiques
conversationnelles. Ces pratiques peuvent être envisagées de deux façons :
-- une logique asynchrone : dans cette acception classique, les échanges se
font dans une logique de « temps décalé » comme le sont les emails. Chaque
interlocuteur se répond sans exigence de réactivité immédiate.
-- une logique synchrone : dans ce cas, les échanges se font dans une logique
de « temps unique » comme le sont les chats. Chaque interlocuteur s’exprime
sous contrainte d’instantanéité, permettant aux autres de réagir ou de
répondre. Nous retrouvons ici le dynamisme et la spontanéité de l’oralité.
3. Caractéristiques et limites du RSE
Après avoir évoqué les caractéristiques de l’entreprise 2.0, cette troisième partie
s’intéresse plus particulièrement aux trois raisons d’être d’un RSE et évoquera les
précautions à prendre.
3.1. Les trois piliers du RSE
Nous pouvons souligner trois objectifs managériaux du RSE.
Être un espace d’information
Le RSE constitue un espace d’information collaboratif : l’outil permet en effet de
regrouper l’information et de construire des fils de discussion thématiques pour
organiser la centralisation d’informations. Il s’agit d’envisager le RSE comme un
lieu de stockage centralisé, accessible à tous (ou non), quel que soit le moment.
Les fonctionnalités offertes par les outils permettent également aux acteurs de
valider (ou non) les documents, de les enrichir directement sur la plateforme
collaborative. Il en ressort une plus grande réactivité. Notons également que la
veille se trouve facilitée.
Regrouper une communauté
L’intérêt de l’outil est de permettre de regrouper une communauté qui dépasse
la logique de métier ou de processus. Dans une logique transversale, il s’agit de
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