ÉTHIQUE

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PETIT GUIDE
D’ARGUMENTATION
ÉTHIQUE
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Les analyses de l’auteur sont menées sur un ton léger, parfois ironique, et
formulées dans un langage clair et accessible. L’ouvrage propose aussi au
lecteur quelques exercices stimulants, histoire de lui permettre de tester et
d’aiguiser ses propres capacités argumentatives.
MICHEL MÉTAYER est professeur de philosophie à la retraite et auteur de
manuels pour l’enseignement de la philosophie au collégial, ainsi que d’un essai sur l’éthique, La morale et le monde vécu (Liber).
ISBN 978-2-7637-9182-1
Michel Métayer.indd 1
ÉTHIQUE
collection
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Quand la philosophie fait
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PETIT GUIDE
D’ARGUMENTATION
L’argumentation éthique n’est certes pas une science et les grands débats
éthiques sont généralement des débats ouverts. Mais il serait erroné d’en
conclure qu’en ce domaine « tous les arguments se valent ». Il est possible
d’évaluer avec rigueur les arguments qui composent les débats éthiques
et de déterminer s’ils sont valides, cohérents, forts, faibles ou nuls. C’est
du moins le pari que fait l’auteur de ce livre qui poursuit deux objectifs :
mettre en relief les caractéristiques propres à l’argumentation éthique et
surtout aider le lecteur à perfectionner ses capacités en la matière en lui
fournissant des outils d’analyse, des procédés et des stratégies pour évaluer
et critiquer les arguments éthiques.
L’ouvrage fourmille d’exemples d’arguments variés qui appartiennent à la
culture éthique populaire. La plupart ont été puisés dans les quotidiens et
dans Internet et proviennent de plusieurs pays : Québec, Canada, France,
États-Unis, Chine, Belgique ou Burundi. Ils touchent des thèmes variés
comme l’abolition de l’esclavage, les accommodements raisonnables,
l’avortement, la transmission du sida, l’euthanasie ou l’activisme pédophile.
MICHEL MÉTAYER
PETIT GUIDE D’ARGUMENTATION ÉTHIQUE
MICHEL MÉTAYER
MICHEL MÉTAYER
L
a discussion éthique publique a connu un essor spectaculaire dans les
dernières décennies. Elle s’est même démocratisée, au point de devenir
une sorte de « sport » alimenté par des médias à l’affût de toutes les
controverses à saveur éthique : scandales politiques, ratés du système judiciaire, fraudes, faits divers et phénomènes de société choquants.
Philosophie
Quand la philosophie fait
10-10-01 13:07
Petit
guide
d’argumentation éthique
Michel Métayer
Petit
guide
d’argumentation éthique
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des
Arts du Canada et de la Société d’aide au développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur
programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par
l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie
de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
Mise en pages : In Situ inc.
Maquette de couverture : Laurie Patry
Illustrations de la couverture : Vivian Labrie
ISBN 978-2-7637-9182-1
PDF : 9782763791838
© Les Presses de l’Université Laval 2010
Tous droits réservés. Imprimé au Canada
Dépôt légal 4e trimestre 2010
Les Presses de l’Université Laval
Pavillon Maurice-Pollack, bureau 3103
2305, rue de l’Université
Université Laval, Québec
Canada, G1K 7P4
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Table des matières
Avant-propos........................................................................... 1
Introduction à la critique d’arguments.................................... 7
La structure des arguments éthiques.......................................... 7
Problème 1. Peut-on renoncer à un droit ?...................... 13
De mauvais arguments.............................................................. 15
Problème 2. Les droits des criminels
et les droits des victimes................................................. 21
Les six stratégies générales....................................................... 23
1. La mise en contradiction.................................................... 23
Problème 3. Si moi j’ai envie de réciter une prière…...... 26
Problème 4. La prière et la devise................................... 34
Problème 5. Polygamie et consentement........................ 38
2. Le changement de terrain................................................... 39
Problème 6. Les règles du dopage................................... 52
Problème 7. Un test de dépistage cruel........................... 55
3. Le passage au crible des analogies ...................................... 56
Problème 8. Trois analogies............................................ 65
4. L’appel aux faits.................................................................. 67
Problème 9. Pente glissante et soins palliatifs.................. 76
Problème 10. C’était bien mieux avant !......................... 81
5. Le dévoilement des intentions............................................ 82
Problème 11. Le vol en entreprise.................................. 89
6. Le découpage des responsabilités........................................ 90
Problème 12. Ce n’est pas la faute aux paparazzis........... 107
VI
Petit guide d’argumentation éthique
Deux débats perpétuels............................................................ 109
Principes contre résultats ?......................................................... 110
Problème 13. Le droit de vote des prisonniers................ 118
Égalité contre inégalités ?........................................................... 119
Problème 14. Une discrimination naturelle ?.................. 130
Conclusion.............................................................................. 133
Réponses aux problèmes ......................................................... 139
Les préceptes moraux, sans être nécessairement construits par la raison, devraient
être défendables par la raison1.
Robert Hinde
On ne peut convaincre les gens de choses dont ils ne sont pas prêts à se laisser
convaincre2.
Marilyn Frye
1.R. A. Hinde, Why Good is Good : The Sources of Morality, cité dans Richard
Dawkins, The God delusion, New York, Mariner Books, 2008, p. 265.
2.Marilyn Frye, The Politics of reality : Essays in Feminist Theory, cité dans
Duane L. Cady, Moral Vision : How Everyday Life Shapes Ethical Thinking,
Lanham, Maryland, Rowman & Littlefield, 2005, p. 39.
Avant-propos
A
rgumenter est une aptitude humaine universelle qui procède
d’une tendance encore plus élémentaire, celle d’avoir des
opinions et de les défendre. Je m’intéresse dans ce livre à l’une des
sphères de la vie humaine les plus propices à l’éclosion de divergences d’opinions : la sphère morale. La capacité de défendre une
position morale est également un trait humain universel. Elle se
manifeste d’abord dans la sphère privée de la famille et de la camaraderie. Un enfant de cinq ans est déjà capable de produire des
arguments pour se plaindre d’une punition qu’il trouve injuste ou
pour dénoncer la violation d’une promesse. Mais une large part
des débats moraux ont une dimension collective et se déroulent
dans l’espace public.
Sous l’effet de la vogue « éthique » qui déferle sur nous depuis
quelques décennies, la discussion morale publique a d’ailleurs
connu un essor spectaculaire marqué par deux progressions opposées. D’un côté, elle s’est démocratisée, au point de devenir une
sorte de « sport » alimenté par des médias à l’affût de la controverse. Ces derniers font en effet leurs choux gras de tout ce qui est susceptible d’aiguillonner notre fibre éthique : scandales politiques,
accommodements raisonnables, ratés du système judiciaire, fraudes, faits divers et phénomène de société choquants, etc. Internet,
avec ses blogues et ses sites de réseautage social, contribue largement au phénomène en fournissant à tout un chacun un moyen
d’expression de ses opinions à la fois accessible et puissant. Mais,
à l’inverse, la vogue éthique a aussi entraîné une certaine « technocratisation » de la morale. Les problèmes moraux sont devenus des
dossiers à gérer pour une nouvelle catégorie d’experts « éthiciens »
2
Petit guide d’argumentation éthique
qui siègent désormais à des comités d’entreprises ou d’hôpitaux et
qui prodiguent leur avis éclairé sur les tribunes publiques.
Ce livre porte donc sur cette activité « en vogue » qu’est devenue l’argumentation éthique ou morale1. Il poursuit deux objectifs complémentaires. Le premier est de mettre en relief les caractéristiques propres de l’argumentation éthique. Le deuxième est
d’aider le lecteur à perfectionner quelque peu ses capacités en la
matière. Ces objectifs présupposent bien sûr l’existence de critères
pour distinguer les bons et les mauvais arguments éthiques. Cette
présupposition est tout, sauf évidente, on s’en doute bien.
Je ne surprendrai personne en rappelant qu’il est particulièrement difficile dans la sphère éthique de dénouer les controverses et d’arriver à des conclusions nettes et irréfutables qui font
consensus. L’éthique ne dispose pas, comme les sciences naturelles
par exemple, de méthodes d’observation et d’expérimentation
éprouvées permettant de trancher les débats. Elle ne dispose pas
non plus, comme les tribunaux, de procédures forçant la production d’un verdict net : coupable ou non coupable. Les questions
éthiques nous plongent parfois dans une incertitude et une confusion inextricables. Comme professeur de philosophie, j’ai discuté de multiples questions éthiques avec mes élèves pendant des
décennies et j’avoue avoir échoué à arrêter une position claire et
définitive sur plusieurs d’entre elles.
Certains verront là un motif pour déplorer la prolifération actuelle des débats éthiques : ces débats seraient inutiles, ils
seraient condamnés à l’échec. N’est-il pas décourageant de constater que des décennies de discussion n’ont pas réussi à faire aboutir
les débats sur des problématiques aussi cruciales que l’avortement,
la justice sociale, l’euthanasie ou le multiculturalisme ? Il est vrai
que beaucoup de débats éthiques échouent à produire un accord
et ne servent bien souvent qu’à prendre la mesure de l’abîme qui
sépare les interlocuteurs. Mais ce serait voir les choses de façon
1..Comme beaucoup d’autres auteurs, je ne trace pas de distinction formelle
entre « morale » et « éthique ». Je considère en gros que l’objet de l’éthique
est la morale et je donne une extension très large au concept de morale. Cf.
mon essai La morale et le monde vécu (Liber, 2001).
Avant-propos
3
trop étroite que de limiter les bénéfices de la discussion à cette
issue idéale.
L’argumentation a bien d’autres fonctions utiles. Elle permet
d’expliciter les enjeux. Elle stimule la réflexion. Elle permet de
mettre à l’épreuve ses propres positions et de mieux comprendre
les positions d’autrui. Comme je le répéterai à plusieurs reprises
dans ce livre, dans bien des cas, le but poursuivi ne sera pas de
convaincre l’autre de la supériorité de notre point de vue, mais
plus modestement de le convaincre qu’il est crédible et défendable.
L’essentiel est souvent de montrer à l’autre que nous avons des raisons sérieuses et valables de tenir notre position. La discussion en
tant que telle n’ira pas plus loin dans bien des cas. Elle préparera
néanmoins le terrain à ce qui est souvent la seule issue possible
d’une large part des débats éthiques : la recherche de solutions de
compromis.
Nous sommes parfois frustrés de constater que notre interlocuteur reste campé sur ses positions après que nous lui ayons servi
des arguments que nous estimons irréfutables et nous serons peutêtre tentés d’attribuer sa résistance à l’entêtement ou à la mauvaise
foi. Mais c’est oublier que la morale met en jeu des convictions,
des attitudes, des mentalités, des intérêts vitaux, bref des ressorts
qui ont un ancrage profond et qu’il est illusoire de penser briser
par le coup de baguette magique d’un argument bien tourné.
La révision d’une conviction morale met souvent en cause
une identité personnelle et collective, tout un système bien enraciné de croyances, de schémas de pensée et d’habitudes de vie.
Il faut alors regarder au-delà de la joute argumentative de surface pour comprendre les véritables enjeux d’une discussion et
l’acharnement dont font preuve certains interlocuteurs. Il n’y a
qu’à penser ici à la remise en question de l’identité masculine qu’a
entraînée la lutte des femmes pour l’égalité. On n’efface pas des
millénaires de patriarcat en criant ciseau ! Le mariage homosexuel
est un autre sujet de débat qui a déchaîné les passions en raison
de sa forte charge symbolique. Prenons encore la résistance de la
population blanche des États sudistes américains au projet d’abolition de l’esclavage. Pour cette population, l’abolition de l’esclavage
4
Petit guide d’argumentation éthique
signifiait l’effondrement d’un monde social et économique, la fin
d’une culture et d’un mode de vie. Ces débats ont donné lieu à
une incroyable production d’arguments, car il n’y a rien comme le
pressentiment de l’effondrement d’un monde pour stimuler l’imagination argumentative !
Je ne nie donc pas qu’il soit difficile de clore les débats éthiques.
Mais je crois qu’il est possible d’évaluer avec une certaine rigueur
les arguments qui composent ces débats. Il est souvent possible de
déterminer si un argument est valide, pertinent ou cohérent. Ce
sont les mécanismes d’une telle évaluation que je désire explorer
dans ce livre. Je veux fournir au lecteur des outils d’analyse, des
procédés et des stratégies pour forger, évaluer et critiquer des arguments éthiques.
Il n’y aura rien de très technique dans mes analyses, car mon
objectif est de coller le plus possible à la pratique de l’argumentation éthique dans les conditions de la vie courante. Or, l’argumentation éthique, telle qu’elle est pratiquée par tout un chacun,
n’est pas une science et elle n’a pas de méthode propre. Elle mobilise essentiellement les aptitudes les plus générales de la pensée
humaine : le sens des valeurs, le sens de la cohérence logique, le
sens des proportions, la capacité d’établir des liens de cause à effet
entre des phénomènes, la capacité de discerner les ressemblances
et les différences entre les termes d’une comparaison, la capacité
de distinguer le général et le particulier, l’essentiel et l’accessoire,
etc. Plusieurs des stratégies et des outils d’analyse que j’examinerai
valent d’ailleurs pour l’ensemble des domaines d’argumentation.
J’insisterai toujours cependant sur les traits particuliers de l’argumentation éthique.
J’avertis enfin le lecteur qu’il ne doit pas s’attendre à trouver
dans ce livre des « recettes » toutes faites et d’application facile. Je
ne propose pas de « trucs » infaillibles pour remporter un débat
éthique. De tels trucs et recettes n’existent pas. Les problèmes
éthiques sont immensément variés et les argumentations qu’ils
suscitent font intervenir une multitude de critères ou de combinaisons de critères. Il est par conséquent impossible de fixer des
règles à suivre précises pour traiter l’un ou l’autre problème. La
Avant-propos
5
plupart des raisonnements qui composent les argumentations
éthiques sont non formels, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas de pures
déductions logiques (comme le sont les raisonnements mathématiques) et ils sont formulés dans un langage également non formel,
celui de la langue courante, qui recèle un potentiel d’expression
illimité. Vouloir réduire cette activité à un code de règles strictes
est une entreprise dénuée de sens.
Cela étant dit, il est néanmoins possible de repérer certaines
configurations typiques dans les argumentations éthiques et ce
sont elles qui vont monopoliser mon attention. Je vais analyser
ces configurations en m’efforçant d’indiquer, pour chacune d’elles,
les stratégies générales qui me semblent les plus appropriées et les
plus efficaces.
Pour le reste, tout est question d’entraînement. Examiner un
argument à tête reposée est une chose. Exercer ses facultés critiques à chaud dans un débat en cours est une autre paire de manches. Il n’est pas facile de discerner les failles d’un argument au
premier coup d’œil ou de trouver sur le coup la réplique adéquate
à un argument tordu. Nous sentons souvent intuitivement que
quelque chose ne va pas dans un argument, sans pouvoir mettre
immédiatement le doigt sur sa faille principale. Un travail mystérieux de l’imagination intervient dans le processus critique et ce
travail se déroule en partie à un niveau intuitif. Cependant, rien
ne peut mieux renforcer des mécanismes intellectuels intuitifs que
la pratique et c’est ce que je propose au lecteur dans ce livre qui
fourmille d’exemples et qui multiplie les occasions d’exercer son
œil critique. Il y a beaucoup d’erreurs caractéristiques récurrentes
dans les débats éthiques et un entraînement soutenu peut nous
aider à les repérer d’instinct.
Les arguments éthiques que j’ai retenus pour illustrer mes
analyses sont de multiples provenances. La plupart appartiennent
à la culture éthique populaire et ont été puisés dans les quotidiens et dans Internet. J’ai également scruté quelques arguments
savants en m’efforçant d’éviter les considérations trop techniques ou théoriques. J’ai tenté de maintenir un minimum de
continuité dans mon propos en puisant de façon répétée dans
6
Petit guide d’argumentation éthique
quelques ­
problématiques particulières, notamment l’abolition
de l’esclavage, la conduite des médecins dans les camps nazis, les
accommodements raisonnables, la transmission sexuelle du sida,
l’avortement, la prière au conseil de ville, les lieux d’injection de
drogues supervisés, la peine de mort, l’activisme pédophile, l’euthanasie, etc.2 J’ai puisé mes exemples dans divers pays : Canada
et Québec, France, États-Unis, Chine, Belgique, Burundi, etc. Je
me suis efforcé de garder une certaine objectivité dans mes choix
d’arguments et dans mes analyses, mais le lecteur n’aura sans doute
aucun mal à deviner ici et là mon « profil éthique ». Cependant,
la plupart des procédés que j’expose ont un niveau de généralité
suffisant pour servir aux tenants de positions divergentes.
On trouvera des encadrés à la fin de la plupart des sections. Ils
contiennent des problèmes variés que je soumets au lecteur pour
lui donner l’occasion d’aiguiser ses capacités argumentatives. La
plupart sont de mauvaises argumentations dont il faut déceler les
failles. J’ai inséré mes réponses personnelles à ces problèmes à la fin
de l’ouvrage. Le lecteur pourra comparer ses analyses aux miennes,
en se rappelant qu’il s’agit de « suggestions de réponse », qui ne prétendent pas donner la solution « vraie », « unique » ou « définitive »
aux problèmes posés.
2. Certains de ces débats se situent à la frontière entre l’éthique et des domaines connexes comme le droit, la politique ou le vaste champ des valeurs
sociales. Le procédé est justifiable dans la mesure où les frontières entre
ces domaines sont perméables et où les débats retenus font intervenir des
critères moraux. Par exemple, le débat sur le mariage homosexuel a pris
naissance sur le terrain juridique, mais il a rapidement et inévitablement
débordé sur les terrains moral, religieux et social.
Introduction
à la critique d’arguments
La structure des arguments éthiques
L
’éthique est un domaine où les désaccords et les discussions
passionnées abondent. Les raisons de cet état de choses sont
nombreuses et complexes et ce vaste sujet excède les objectifs limités de mon enquête. Cependant, certaines sources de désaccord
et de critique sont inhérentes à la structure même des arguments
éthiques. Elles alimentent la plus grande partie des débats éthiques et c’est sur elles que portera l’essentiel de mon analyse. J’en
ai retenu six. Je vais les passer en revue et présenter, par la même
occasion, six grandes stratégies argumentatives correspondantes
qui formeront la matière des chapitres suivants.
Allons-y d’abord de trois considérations élémentaires :
1. Un argument est un raisonnement destiné à convaincre.
2. Une argumentation est un ensemble d’arguments.
3. Une argumentation éthique est une manière d’exprimer
une conviction à propos d’un enjeu moral.
Argumenter n’est pas la seule manière d’exprimer une conviction morale, ni toujours la plus significative. Les gestes quotidiens,
l’art, nos réactions émotionnelles peuvent le faire tout autant, car
nos convictions morales ont d’autres dimensions que la dimension rationnelle, notamment les dimensions naturelle, affective et
comportementale. Mais, comme le dit Robert Hinde dans l’épigraphe placée au début de ce livre, même si nos convictions morales n’ont pas une origine rationnelle, elles devraient généralement
pouvoir être traduites dans un langage rationnel et c’est ce que
8
Petit guide d’argumentation éthique
nous ­tentons de faire, avec plus ou moins de succès, lorsque nous
produisons des argumentations éthiques.
Les arguments éthiques peuvent prendre une multitude de
formes, mais il existe une structure de base qui a été mise au jour
par Aristote. Elle ressemble au raisonnement suivant3 :
1. Tu avais promis de venir m’aider et tu n’as pas tenu ta
promesse.
2. Ne pas tenir ses promesses est mal.
3. Donc tu as mal agi.
Un tel argument comprend deux prémisses dont la combinaison permet d’inférer une conclusion. La première prémisse décrit
certains faits particuliers : une conduite humaine et les circonstances qui l’entourent. La deuxième prémisse énonce un critère général d’évaluation des conduites humaines. Ce critère peut être un
principe, une règle, une valeur ou une vertu. Cet exemple porte
sur la règle de tenir ses promesses. On peut imaginer d’autres cas
où le critère serait le principe du respect de la dignité humaine ou
la valeur de la paix ou la vertu d’intégrité. Réduit à sa plus simple
expression, un argument éthique consiste donc à appliquer un critère général à une conduite particulière pour en inférer une conclusion
sur son caractère moral ou immoral.
Certains arguments éthiques portent explicitement sur les
questions de responsabilité : telle personne est-elle oui ou non responsable de tel méfait ? Mais, même lorsque ce n’est pas le cas,
la conclusion de l’argument de base, le « tu as mal agi » ou « tu as
bien agi », charrie généralement, à tout le moins implicitement, un
jugement de responsabilité à l’égard de l’auteur de l’action qui se
voit ainsi adresser un blâme ou un éloge pour sa conduite.
Essayons maintenant de voir comment la mécanique de cet
argument de base peut s’enrayer et susciter la contestation.
3.Le philosophe grec Aristote (384-322 av. J.-C.) est le père de la logique.
Je m’inspire principalement ici de l’ouvrage de Douglas Walton, Ethical
Argumentation, Lanham, Maryland, Lexington Books, 2003.
Introduction à la critique d’arguments
9
1. La cohérence
Puisqu’un argument est un raisonnement, il est évident qu’un
premier point sensible est celui de la cohérence logique. L’exigence
de cohérence intervient à plusieurs niveaux : dans le contenu des
prémisses (description des faits, définition des critères), dans les
liens entre les prémisses (adéquation entre le critère général et le
cas particulier), dans le lien d’inférence entre les prémisses et la
conclusion (les prémisses conduisent-elles à la conclusion ?), dans
la concordance entre divers arguments qui mènent à une même
conclusion, etc.
Exemple : un partisan de la politique de « discrimination positive » qui soutient qu’il est légitime de recourir à des procédés discriminatoires pour assurer une plus grande égalité entre certains
groupes sociaux fait-il preuve d’incohérence ?
Cette exigence de cohérence appuie la première stratégie argumentative que j’appellerai la mise en contradiction.
2. La diversité des critères
Dans un monde idéal, toute la morale se résumerait à un seul
critère : le bien. Dans la réalité, le bien se décline en une myriade de variantes : justice, intégrité, loyauté, impartialité, courage,
compassion, etc. Les droits fondamentaux sont multiples (liberté,
égalité, vie privée, sécurité, droit de vote, etc.) et les vertus abondent (honnêteté, maîtrise de soi, générosité, humilité, patience,
etc.).
Chaque argument éthique fait appel à un critère. Mais comment son auteur peut-il être certain que le critère qu’il emploie
est le bon ? Puisque les critères éthiques sont multiples, il arrive
fréquemment qu’un interlocuteur réponde à un argument avec
lequel il est en désaccord par un contre-argument fondé sur un
critère différent. Dans le pire des cas, le contre-argument mènera
à une conclusion contraire à l’argument de départ et le désaccord
sera total : la même action sera jugée morale suivant un critère et
immorale suivant un autre. Mais, de façon générale, l’utilisation
10
Petit guide d’argumentation éthique
de critères multiples jette sur le problème des éclairages variés et
a surtout pour effet de relancer et de compliquer la discussion4.
La diversité des critères engendre un immense problème en
éthique parce que l’éthique ne dispose pas d’algorithme tout fait
permettant d’intégrer des critères hétérogènes ou de résoudre les
conflits entre critères. D’abord, personne n’a encore trouvé le
principe suprême qui permettrait d’établir un ordre hiérarchique
objectivement fondé entre les divers critères5. Ensuite, il n’existe
pas d’étalon de mesure pour exprimer le poids ou l’importance
respective de chaque critère.
Prenons un exemple classique : « J’ai menti à ma compagne au
sujet d’une infidélité d’un soir pour éviter de la faire souffrir inutilement. Ai-je bien agi ? » Deux critères s’affrontent ici, l’honnêteté
et la compassion. Qu’est-ce qui est le plus important dans l’absolu : être honnête ou être compatissant ? Impossible de le dire. Il
faut alors s’en remettre au contexte particulier du cas pour en décider. Et si j’arrive à la conclusion que l’honnêteté importe davantage que la compassion ou vice-versa dans un cas précis, avec quel
étalon de mesure pourrais-je exprimer cette différence de poids ?
Combien d’unités de valeur morale l’honnêteté vaut-elle dans
ce cas comparativement à la compassion ? Je ne saurais le dire de
façon précise parce qu’il n’existe pas de système de mesure permettant d’exprimer le poids des critères en « unités de valeur morale ».
Ces incertitudes et ces complications engendrées par la diversité des critères nourrissent les désaccords et fournissent également
des outils critiques puissants dans les débats éthiques. La diversité
4. Le problème de la diversité des critères ne touche pas seulement l’éthique. Il
s’étend à toutes les sphères de l’action : politique, administration, décisions
de la vie courante, etc. Mais il est plus aigu dans les affaires morales où
l’incertitude est difficilement tolérable et où la prétention à l’objectivité est
particulièrement forte.
5. Un bon indice de l’impraticabilité de l’idée d’une hiérarchisation des critères éthiques est le fait qu’aucune charte de droits au monde ne présente sa
liste des libertés et droits fondamentaux dans un ordre de priorité. S’il y a
un endroit où un tel ordre serait utile, c’est pourtant bien dans une cour
de justice, c’est-à-dire un cadre où les juges ont l’obligation de trancher les
différends.
Introduction à la critique d’arguments
11
des critères éthiques est à la base de la stratégie que j’appellerai le
changement de terrain.
3. La pertinence des analogies
L’application d’un critère éthique à une conduite pose un
autre important problème d’adaptation. Les critères éthiques sont,
à la base, des généralisations extrêmes : « le meurtre est immoral »,
« la paix est un but souhaitable », « il vaut mieux être courageux
que lâche », etc. Les conduites auxquelles ces critères sont appliqués sont, pour leur part, toujours singulières et pétries de traits
particuliers. Il y a donc au cœur de tout raisonnement éthique
un saut du général au particulier qui comporte toujours une part
d’arbitraire et qui est, pour cette raison, une source potentielle de
difficultés et de contestations. Les discussions éthiques conduisent
souvent les intervenants à ajouter aux critères généraux des critères
plus précis pour assurer une meilleure adéquation entre le critère
de départ et la conduite examinée, mais cet exercice est périlleux
et ménage souvent de vilaines surprises à celui qui l’entreprend.
Cette problématique est vaste, mais je vais concentrer mon
analyse sur un de ses aspects les plus intéressants : l’emploi des
analogies en éthique. En effet, une manière naturelle et courante
de traiter les problèmes d’adaptation entre critère général et cas
particulier est de passer en revue divers cas particuliers similaires
afin de mettre au jour des points de ressemblance et de différence
pertinents. On cherche souvent à justifier ou à infirmer l’application d’un critère à un cas particulier en montrant que le même
critère s’avère adéquat ou inadéquat pour d’autres cas semblables.
C’est le jeu des analogies, qui occupe une grande place dans les
discussions éthiques.
Par exemple, certains partisans du droit à l’euthanasie font
valoir qu’en interdisant l’euthanasie on refuse aux mourants
humains un geste de compassion que l’on accorde volontiers aux
animaux. Cette analogie est-elle pertinente ?
Les analogies entre cas similaires sont donc une autre source
importante de désaccords et de critiques. La stratégie qui découle
12
Petit guide d’argumentation éthique
de ce troisième point est ce que j’appellerai le passage au crible
des analogies.
4. La véracité des faits
La première prémisse d’un argument éthique de base consiste,
nous venons de le voir, en une description de faits observables :
une conduite et les circonstances qui l’entourent. Les faits pertinents dans l’appréciation morale d’une conduite peuvent être
nombreux et divers. Il faut compter les éléments de contexte, le
déroulement de l’action, les événements antérieurs à l’acte, ses
conséquences à court et à long terme, etc. Certains arguments
éthiques portent sur des conduites passées et c’est alors la reconstitution fidèle du déroulement des événements qui pose problème.
D’autres arguments concernent plutôt des décisions à prendre et
font intervenir des prévisions sur les conséquences éventuelles des
différentes options d’action. De telles prévisions sont affectées
d’un coefficient d’incertitude élevé qui ne manque pas d’alimenter
les contestations.
Tout le débat actuel autour du réchauffement climatique et
des mesures qui doivent être prises pour en atténuer les éventuels
effets porte pour une large part sur l’exactitude des prévisions que
nous sommes capables de faire à ce chapitre.
La stratégie argumentative qui correspond à ce quatrième
point est l’appel aux faits.
5. Les intentions
Le critère de l’intention joue un rôle fondamental en morale.
Il arrive qu’il se trouve au centre de certaines discussions éthiques,
mais il demeure le plus souvent à l’arrière-plan, à titre de présupposé. Il est en effet généralement présumé que les auteurs des
actions ou des décisions discutées les ont accomplies intentionnellement. Mais on peut faire le mal en voulant faire le bien et
l’on peut faire le bien avec des intentions douteuses, de sorte qu’il
est parfois pertinent d’analyser les intentions des acteurs dans les
débats sur la moralité de leurs actes.
Introduction à la critique d’arguments
13
Par exemple, quelle est la véritable intention du médecin qui
administre à un patient mourant une dose de morphine dont il
sait qu’elle risque de causer sa mort ?
Remettre en question les intentions des acteurs est donc un
autre procédé critique utile en éthique. Il inspire la stratégie que
j’appellerai le dévoilement des intentions.
6. La responsabilité
J’ai indiqué plus haut qu’un argument éthique de base
débouche souvent sur un jugement de responsabilité à l’endroit
de l’auteur de la conduite en cause. La détermination d’une responsabilité morale est un objectif intrinsèque de la plupart des
arguments éthiques. Si une action est déclarée immorale, il est
généralement présumé que son auteur en est responsable et qu’il
mérite d’être blâmé. Mais c’est une chose d’établir qu’une action
donnée viole en apparence un précepte moral et c’en est une autre
d’en imputer la pleine responsabilité à quelqu’un. L’intention,
que j’ai évoquée au point précédent, est un critère important dans
l’attribution d’une responsabilité morale, mais la question de la
responsabilité fait intervenir un éventail de critères beaucoup plus
étendu : conscience, lucidité, contrôle, ignorance, négligence,
rôles et fonctions, niveaux d’autorité, etc.
Beaucoup de désaccords éthiques surgissent autour des questions de responsabilité. Exemple : le tenancier d’un bar qui continue de servir un client manifestement en état d’ébriété et qui le
laisse quitter son établissement au volant de sa voiture a-t-il une
responsabilité dans l’accident mortel qui s’ensuivit ?
Ces considérations mènent à la dernière stratégie argumentative que j’appellerai le découpage des responsabilités.
Problème 1. Peut-on renoncer à un droit ?
J’ai signalé dans cette section le problème de l’absence en éthique d’un principe suprême permettant d’établir un ordre hiérarchique objectivement fondé entre les divers critères. La question de la hiérarchie des droits fondamentaux a été soulevée par
14
Petit guide d’argumentation éthique
le Conseil du statut de la femme du Québec dans la foulée du
débat sur les accommodements raisonnables. Le Conseil, dans
un avis intitulé « Droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et liberté religieuse », a proposé d’inscrire dans la Charte
des droits et liberté de la personne du Québec un article affirmant
la primauté du droit à l’égalité entre femmes et hommes sur la
liberté de religion. Selon le Conseil, le droit à l’égalité est un droit
plus fondamental que la liberté de religion. Cette question est fort
complexe, mais je m’intéresse ici à un argument particulier que le
Conseil invoque dans son rapport à l’appui de cette thèse. C’est
l’idée qu’il serait possible de renoncer à sa liberté de religion
alors qu’il serait impossible de renoncer à son droit à l’égalité.
Voici l’argument :
Ce constat est appuyé, à notre avis, par le fait qu’il est loin
d’être certain, à la lumière de la jurisprudence, qu’une personne puisse renoncer à son droit à l’égalité, alors qu’elle
pourrait probablement renoncer à sa liberté de religion au
même titre qu’une personne peut renoncer à son droit à la
vie privée, par exemple lorsqu’elle est une figure publique.
De la même manière qu’une personne peut changer de religion, elle peut devenir athée, elle peut se convertir. Lorsqu’il
s’agit de la garantie d’égalité, cela met en cause sa dignité
humaine, basée sur ses caractéristiques personnelles quasi
immuables ou sinon difficilement altérables : l’âge, le sexe
et la race6.
Je résume l’argument : le droit à l’égalité serait plus fondamental
que la liberté de religion parce qu’il serait possible de renoncer
à la liberté de religion mais pas au droit à l’égalité, qui reposerait
sur des caractéristiques quasi immuables. Que pensez-vous de
cet argument ? Je vous glisse deux suggestions pour guider votre
analyse. Il y a deux problèmes dans cette argumentation. Le premier concerne la différence entre « renoncer » à un droit et « exercer » un droit. Le deuxième concerne la définition des « bases » de
la dignité humaine.
6. Conseil du statut de la femme, Droit à l’égalité entre les femmes et les
hommes et liberté religieuse, Avis, septembre 2007, no 207-06-A, p.
86-87.
Introduction à la critique d’arguments
15
De mauvais arguments
Entrons tout de suite dans le vif du sujet. Il existe de bons et de
mauvais arguments moraux. Bien sûr, il y a entre ces extrêmes une
échelle graduée d’arguments plus ou moins forts et plus ou moins
faibles. C’est principalement cette zone grise que j’explorerai dans
ce livre, car c’est de loin la plus étendue et la plus intéressante.
Mais commençons par le plus simple, histoire peut-être d’injecter
au lecteur une dose minimale de confiance dans sa capacité de
déceler les failles d’une argumentation. Et le plus simple, ce sont
les arguments franchement mauvais, le degré zéro de l’argumentation. Voici quelques-unes de ces perles.
Pour le titre de plus mauvais argument, j’hésite entre deux
exemples. Le premier est simplement pitoyable. C’est l’argument
d’un adolescent de 13 ans, coupable d’une agression sexuelle sur sa
jeune sœur de 4 ans, qui ne trouve rien de mieux pour se défendre
que ces mots : « Ça arrive à tout le monde7 ! » L’âge est évidemment
en cause ici, mais on se doute que le jeune garçon affiche une totale
mauvaise foi. Il y a une limite décente à ce qu’on peut faire dire à
un lieu commun et il est clair qu’il la transgresse lamentablement.
Mon deuxième exemple est plutôt de ceux qui donnent froid
dans le dos. C’est une bonne illustration des excès auxquels peut
mener le fanatisme. Il a été prononcé dans une conférence publique
par Guylaine Lanctôt, une des chefs de file du mouvement antivaccin au Québec : « C’est la même bêtise pour tous les vaccins,
le principe même est faux […]. Je vais vous donner un exemple,
puis si vous ne comprenez pas avec ça, allez vous faire vacciner !
J’ai une fille, j’ai peur qu’elle soit violée. Je vais donc l’immuniser.
Je vais lui faire un petit viol atténué… Est-ce que je continue ?8 »
Madame Lanctôt semble considérer ici que son argument est
si évident et si probant qu’il rend toute explication supplémentaire superflue. Prétention sans fondement, sauf peut-être pour
les convertis d’avance qui composaient, semble-t-il, l’auditoire
auquel elle s’adressait. N’importe qui d’autre aurait eu des tonnes
7. La Presse, 23 août 2008, p. A20.
8. « Le virus de la peur », émission Enquête, Radio-Canada, 5 novembre 2009.
16
Petit guide d’argumentation éthique
de questions à poser à madame Lanctôt, puisque l’analogie qu’elle
fait entre viol et vaccin est tout, sauf évidente. Il existe en effet une
multitude de dissemblances marquées entre les deux termes de
son analogie. Je pense à une question comme « Nous savons comment le fait de contracter une maladie comme la coqueluche ou
la grippe nous immunise naturellement contre ces maladies et que
c’est ce mécanisme qui est reproduit dans les vaccins. Mais y a-t-il
un mécanisme comparable pour le viol ? » Je n’en dirai pas plus,
sauf pour souligner qu’il est possible de tenir un débat rationnel
sur la vaccination, car il est vrai que la vaccination comporte des
dangers et des effets indésirables. Malheureusement, la déclaration
de madame Lanctôt court-circuite tout débat. On en retient essentiellement que « le vaccin, c’est le mal ! », ce qui relève davantage de
l’incantation que de l’argumentation.
J’enchaîne avec une autre analogie douteuse. Il s’agit d’un
aphorisme populaire au sujet de l’esclavage qui circulait dans la
Grande-Bretagne de la fin du XVIIIe siècle : « Ce que fait un boucher n’est pas très plaisant non plus, mais une côte de porc n’en
demeure pas moins une excellente chose9. » Voilà un bon exemple
d’argument creux qui, comme le bien connu « On ne fait pas
d’omelette sans casser des œufs », énonce une vérité outrageusement générale en évitant d’aborder les détails significatifs du problème. Il faut comprendre ici que les plaisirs gastronomiques procurés par le sucre et le café en provenance des colonies américaines
se situaient plus haut que les droits de l’homme sur l’échelle des
valeurs de beaucoup de Britanniques de l’époque. Soyons généreux et attribuons tout cela à l’ignorance, car, il faut le reconnaître,
la plupart d’entre eux ne savaient pas grand-chose de la dure réalité
du commerce des esclaves et de la vie des esclaves dans les colonies… et peut-être aussi des droits de l’homme.
Voici un autre argument à valeur nulle emprunté à un contexte
totalement différent. Le maire de la ville de Bujumbura au Burundi
a interdit à l’association des albinos du Burundi de tenir une marche de protestation contre les exactions commises contre les albi 9. Adam Hochschild, Bury the Chains : Prophets and Rebels in the fight to Free
an Empire’s Slaves, New York, Houghton Mifflin Company, 2005, p. 85.
Introduction à la critique d’arguments
17
nos de ce pays (assassinats, mutilations). L’argument du maire a
été que cette marche allait « distraire les gens qui travaillent ». Eh
oui ! Le problème est que le même maire a autorisé, le vendredi de
la semaine précédente, une manifestation monstre en faveur de la
pénalisation de l’homosexualité10. Il n’a pas craint à ce moment,
semble-t-il, que la population soit « distraite ». Ou bien ce malheureux maire de Bujumbura était à court d’arguments, ou bien il
était seulement paresseux et ne se sentait pas obligé de fournir une
justification crédible aux défenseurs des albinos. L’argumentation
est minée ici par l’incohérence des décisions du maire qui n’applique pas les mêmes critères à des situations similaires. En plus,
l’argument est absurde, car il suffit de dérouler ses implications
pour constater que le critère employé pour justifier l’interdiction
d’une manifestation particulière revient à interdire toute manifestation publique, puisque toute manifestation publique a, par définition, le but et l’effet de « distraire ».
Les débats sur la question des signes religieux dans l’espace
public ont été fertiles en argumentations délirantes. Voici un
exemple particulièrement savoureux que j’emprunte à nos cousins
français. C’est le débat qui a entouré la décision de la chaîne de
restaurants Quick de ne servir que de la viande halal dans huit de
ses établissements en France. Cette initiative de la direction des
restaurants Quick a soulevé un tollé de protestations. Le ministre français de l’Agriculture, Bruno Le Maire, a déclaré : « Qu’en
revanche on retire toute viande de porc dans un magasin de restauration ouvert au grand public, là, je pense qu’on tombe dans
le communautarisme, et le communautarisme est contraire aux
principes et à l’esprit de la République. » Marine Le Pen s’est indigné que « ceux qui ne veulent pas manger halal n’auront même pas
le choix ». Le député de l’Union pour un mouvement populaire
(UMP) Richard Maillé a jugé « scandaleuse » l’attitude de la chaîne
« qui ne laisse pas de choix aux clients non musulmans ». Enfin, le
directeur de la rédaction de l’hebdomadaire L’Express, Christophe
Barbier, y est allé de cette mise en garde solennelle dans un éditorial vidéo : « Il est inacceptable qu’il n’y ait pas dans un restaurant
[…] la variété. Il est inacceptable qu’un précepte religieux impose
10. http ://www.ldgl.org/spip.php ?article2573 (consulté le 18 mars 2009).
18
Petit guide d’argumentation éthique
une consommation à des citoyens. L’affaire du Quick halal vient
après l’affaire de la burqa, après l’affaire des minarets. À chaque
fois, c’est la même chose : comment la république laïque doit résister, doit imposer sa loi à ceux qui tendent d’en imposer une autre
de loi, une loi fondée sur des préceptes religieux. […] Il faut dire
non à tout cela 11. »
Délire, disais-je, pour des raisons assez évidentes. La décision
de Quick est une décision commerciale, une stratégie de marketing
qui cible une clientèle particulière, comme le font fréquemment
toutes les entreprises commerciales. Voir dans cette opération la
volonté d’un groupe d’imposer une « loi » fondée sur des préceptes religieux à toute une société laïque est totalement ridicule. La
viande halal est un produit tout à fait légal, en France comme
ailleurs, et il existe déjà des centaines de restaurants et d’épiceries qui en offrent à leurs clients. En quoi y aurait-il discrimination dans le cas particulier de la chaîne Quick ? Les restaurants
Quick concernés n’exigent pas que leurs clients soient des croyants
musulmans et ne refusent de servir personne. Passons au point
suivant : en quoi des gens sont-ils forcés de consommer quelque
chose contre leur volonté ? En quoi la liberté de choisir ce que
l’on mange leur est-elle niée ? La réponse est : d’aucune manière.
Il existe en France comme ailleurs des restaurants chinois, indiens
ou végétariens qui ne servent respectivement que de la cuisine
chinoise, indienne ou végétarienne. Les clients qui les fréquentent
y vont par choix et ne peuvent d’aucune manière se sentir victimes
de discrimination parce qu’on ne leur offre pas plus de « variété ».
Ils lisent le menu et, si les plats ne les intéressent pas, ils vont
ailleurs. Ils sont libres ! Il serait d’ailleurs intéressant de demander
à M. Christophe Barbier de préciser les critères d’une « variété »
d’offre acceptable pour un restaurant. Faut-il bannir les rôtisseries
qui ne servent que du poulet ? Et pour ce qui est de la liberté de
11. Sur tout cela : http ://www.dailymotion.com/video/xc9z7l_stop-auquick-halal_news ; http ://eco.rue89.com/2010/02/16/quick-a-t-ilraison-de-bannir-le-porc-de-ses-restaurants-halal-138839 ?page=10 ;
http ://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/societe/20100218.
OBS7297/bruno_le_maire_soppose_aux_quick_halal.html
(sites
consultés le 19 février 2010).
Introduction à la critique d’arguments
19
choix, la chaîne de restaurants Quick compte 350 établissements
en France, donc 342 en sus des huit où l’on sert de la viande halal.
Et il reste plus de 100 000 restaurants parmi lesquels les Français
peuvent « choisir ». Prétendre que les droits à la liberté et à l’égalité
des citoyens français sont bafoués dans un tel contexte relève bel
et bien du délire.
Terminons avec un cas amusant, mais un peu plus complexe.
Il s’agit d’un argument fallacieux que Richard Dawkins appelle
« le sophisme du grand Beethoven12 ». Dawkins ajoute que cet
argument est probablement trop mauvais pour être considéré malhonnête. Il s’agit pourtant d’un argument très populaire chez les
opposants à l’avortement. Il circule abondamment sur Internet
aux États-Unis où il est décliné en de multiples versions. En voici
une parmi d’autres : « Prenons une famille dont le père est syphilitique et la mère tuberculeuse. Le couple a eu quatre enfants. Le
premier est né aveugle, le deuxième est mort à la naissance, le troisième est sourd-muet et le quatrième est tuberculeux comme sa
mère. La mère se retrouve enceinte. Que feriez-vous à sa place ?
Vous vous feriez avorter ? Oui ? Ah ! Ah ! Alors, vous auriez tué
Beethoven ! » Le punch final de l’argument lui confère une crédibilité superficielle à laquelle, semble-t-il, bien des gens succombent.
Cet argument est pourtant nul.
D’abord, il est totalement faux sur le strict plan des faits. Par
exemple, Beethoven était en réalité le deuxième dans l’ordre des
naissances. Son frère aîné est mort très jeune et son père n’était
pas syphilitique. Il s’agit d’une légende urbaine, dont l’origine
demeure obscure, qui s’est propagée sur Internet et dont chaque
version réinvente sans vergogne la vie de Beethoven. Mais, même
en acceptant les faits comme véridiques, l’argument est nul pour
d’autres bonnes raisons.
Une manière de saisir intuitivement la déficience de cet argument est de l’insérer mentalement dans un contexte d’utilisation
concret. Imaginez que vous vouliez dissuader une femme de se
faire avorter. Vous viendrait-il à l’esprit de lui dire : « Tu sais, le
fœtus que tu vas détruire pourrait être le prochain Beethoven ! »
12.Richard Dawkins, The God Delusion, op. cit., p. 337.
20
Petit guide d’argumentation éthique
Je vous laisse imaginer sa réponse ou peut-être le regard éberlué
qu’elle vous jetterait. Ce simple exercice mental nous met sur la
piste de la carence de l’argument, mais je me permets de le soumettre à une analyse plus systématique en utilisant un procédé
critique fort efficace que j’appelle l’inversion des valeurs.
La structure de base de cet argument est classique. Il déclare
un acte immoral parce qu’il aurait un effet désastreux : l’avortement
est immoral parce qu’il pourrait empêcher la naissance d’un génie
de la musique. La validité de ce type d’argument dépend de la pertinence du lien qui est établi entre l’acte et l’effet présumé. Cette
pertinence peut être passée au crible en inversant la position de
l’effet et de la cause sur l’échelle du bien et du mal. Commençons
par l’effet. Est-il possible d’imaginer un contexte similaire à celui
de l’argument dans lequel l’avortement aurait un effet heureux ?
Certainement. Ne serait-il pas juste de dire, par exemple, que, si
sa mère s’était faite avorter lorsqu’elle est devenue enceinte de lui,
Hitler ne serait pas né, ce qui aurait empêché la plus grande tragédie de l’histoire humaine ! On voit par cet exemple que l’avortement peut avoir autant de bonnes que de mauvaises conséquences
si on l’évalue à l’aune du destin de ceux qu’il empêche hypothétiquement de venir au monde. Ce critère n’est donc pas pertinent
dans la discussion de son caractère moral ou immoral.
On peut ensuite prendre l’affaire par l’autre bout, celui de la
cause, en se demandant si l’effet désastreux ne pourrait pas avoir
été causé par un acte différent et moins controversé que l’avortement. Et c’est bien le cas. Beethoven aurait pu ne pas naître par
bien d’autres procédés que l’avortement, par exemple si ses parents
potentiels avaient pratiqué l’abstinence sexuelle ou si le mari avait
choisi d’assouvir ses pulsions sexuelles dans un bordel ou si le couple avait fait usage de moyens de contraception, etc. Beethoven ne
serait toujours pas né, mais les parents auraient-ils mal agi pour
autant ? « Cela dépend… », direz-vous ? Cela dépend en effet du
jugement que vous portez sur l’action qui a empêché la naissance
de Beethoven. « L’abstinence ? C’est correct. Le bordel ? Peut-être
pas. La contraception ? Moi je n’ai rien contre. L’avortement ? Alors
là je m’oppose ! » On voit donc qu’en réalité ce n’est pas le fait que
Beethoven soit né ou non qui a une portée morale. C’est la nature
Introduction à la critique d’arguments
21
de l’action qui a eu l’une ou l’autre conséquence. L’argument présuppose donc en réalité ce qu’il est censé démontrer : l’immoralité
de l’avortement. C’est sans doute ce qui explique que les opposants à l’avortement les plus endurcis le trouvent si ingénieux. Sa
conclusion leur plaît tellement qu’ils omettent de soupeser son
lien avec les prémisses de l’argument.
J’espère que cette série d’exemples aura convaincu qu’il existe
des moyens de discerner et de critiquer les mauvais arguments
moraux. Cette première séquence d’analyses nous aura en effet permis de mettre au jour quelques points névralgiques d’une bonne
argumentation éthique, en particulier la pertinence des analogies,
la cohérence, le respect des faits, les intentions et la bonne foi. Je
reviendrai sur ces points dans les prochains chapitres. Mais ces
exemples se voulaient simples et comportaient de graves lacunes
justifiant le rejet sans appel de l’argument. Ce n’est pas le cas de la
plupart des arguments que nous allons examiner dans les chapitres
qui suivent.
Problème 2. Les droits des criminels
et les droits des victimes
Je vous soumets comme deuxième exercice un argument de
meilleure tenue que les précédents, mais néanmoins fautif. Il
est de Pierre-Hugues Boisvenu, fondateur de l’Association des
familles de personnes assassinées ou disparues. Voici l’argument : « Mercredi, à la conclusion du procès de Johanes Winton,
on a pu constater toute la différence entre la reconnaissance des
droits des victimes et celle [des droits] des criminels. Le meurtrier
a eu droit à un procès (en anglais), et un service de traduction
était là en permanence pour qu’il comprenne les témoignages en
français, quand il y en avait. Les proches des victimes, unilingues
francophones, n’ont eu droit à aucune traduction13. »
M. Boisvenu voit une injustice dans le fait que les proches de
la victime du meurtre n’ont pas eu droit, comme le meurtrier
Johanes Winton, à un service de traduction durant le procès.
Qu’est-ce qui ne va pas avec cet argument ? Je vous donne un
indice : de quels droits M. Boisvenu parle-t-il exactement ?
13. La Presse, 5 décembre 2008, p. A25.
Les six stratégies générales
J
e vais maintenant entreprendre l’examen des six stratégies
argumentatives que j’ai retenues plus haut. Il en existe plusieurs autres, à coup sûr, mais celles-ci, comme je l’ai montré, ont
un ancrage dans la structure de base des arguments éthiques. Elles
couvrent un champ d’arguments très large et m’ont semblé particulièrement saillantes dans l’éventail d’argumentations que j’ai
examiné. Certaines de ces stratégies sont plutôt offensives, d’autres
plutôt défensives. J’examinerai les usages pertinents de chaque
stratégie, mais également les manières de la contrer. Il faut garder
en tête tout au long de cette étude qu’il existe des situations où une
stratégie argumentative se voudra « gagnante » et d’autres où elle se
limitera à une défense de la crédibilité de notre position, sans plus.
Je préviens également le lecteur qu’il sera parfois un peu contrarié de voir mes enquêtes s’arrêter en chemin et laisser les débats
en plan. S’il entre dans le jeu, en effet, il imaginera bien souvent
des ripostes aux arguments sur lesquels se termineront certaines
analyses. Mais il faut comprendre que je me contente ici d’illustrer
les stratégies sans prétendre donner le fin mot de débats qui peuvent s’étirer démesurément. De plus, une analyse systématique et
approfondie des arguments nous plongerait rapidement dans des
considérations plus abstraites ou théoriques qui s’éloignent trop des
pratiques d’argumentation courantes auxquelles je m’intéresse.
1. La mise en contradiction
Je commence avec une stratégie que l’on peut considérer
comme la plus puissante. Elle consiste à montrer que l’argumentation de notre adversaire renferme une contradiction. Celui qui
l’emploie adroitement a souvent l’impression qu’il vient de mettre
24
Petit guide d’argumentation éthique
hors combat son interlocuteur. Nous verrons plus loin que cette
impression est parfois illusoire.
« Mais alors, tu te contredis ! »
Toute forme de raisonnement est soumise aux lois de la logique et l’interdiction de se contredire est certainement la règle de
logique la plus fondamentale qui soit. L’argumentation éthique
n’y échappe pas, bien entendu. La morale est un domaine où nous
nous efforçons généralement d’être cohérents, mais sans que ce
soit nécessairement notre souci le plus pressant. Comme je l’ai
indiqué dans l’avant-propos, les raisonnements qui composent les
argumentations éthiques ne sont généralement pas des déductions
ou des démonstrations soumises à des lois de pure nécessité logique. Ce sont le plus souvent des raisonnements non formels, dans
lesquels les concepts n’ont pas un sens univoque et dans lesquels
beaucoup de choses importantes restent à un niveau implicite14.
Les conclusions de tels raisonnements ne sont pas « nécessairement vraies ». On les qualifiera plutôt de vraisemblables, plausibles, raisonnables ou probables. C’est la raison pour laquelle la
mise en contradiction n’a qu’une force limitée dans cette sphère
d’argumentation15.
Des marchands d’esclaves français ont voulu célébrer la révolution de 1789 en renommant le navire sur lequel ils transportaient leurs esclaves : Liberté, Égalité et Fraternité. La contradiction
ahurissante qui nous saute aux yeux aujourd’hui leur a manifestement échappé. Il faut dire qu’il y a quelque chose de bizarre dans
l’obligation de cohérence. Après tout, pourquoi diable quelqu’un
se contredirait-il sciemment ? Et comment peut-on se contredire
14.L’idée est ainsi formulée dans un langage plus technique par le grand spécialiste de la rhétorique et de l’argumentation, Chaïm Perelman : « Mais un
argument quasi logique diffère d’une déduction formelle par le fait qu’il
présuppose toujours une adhésion à des thèses de nature non formelle, qui
seules permettent l’application de l’argument. » Cité dans Michel Meyer,
Qu’est-ce que l’argumentation ?, Paris, Vrin, 2008, p. 98.
15. Cette caractérisation vaut pour la plupart des sphères d’argumentation non
scientifiques, dont celles de la vie courante, et même pour une bonne part
de l’argumentation en sciences humaines.
Les six stratégies générales
25
et ne pas s’en apercevoir lorsqu’on est doué de raison ? Faut-il dès
lors voir dans l’incohérence un symptôme de dérèglement psychique ou de retard mental ? Sûrement pas. L’explication alternative
est que les contradictions surviendraient généralement par simple inadvertance, comme lorsqu’un défaut d’attention nous fait
commettre une bête erreur de calcul. Si c’était le cas, la stratégie
de mise en contradiction perdrait toute son efficacité et se résumerait à signaler à l’autre une erreur d’inattention : « Euh ! Chéri, je
m’excuse, mais je pense que tu as oublié que tu avais juré de m’être
fidèle et je constate que tu as couché avec la voisine. Je me permets
de te le rappeler, car je me doute que tu ne voulais pas mal faire. »
Il reste donc à trouver entre la folie délirante et la distraction
un espace où les contradictions portent vraiment à conséquence.
Or cet espace existe et il est relativement large. Voici quelques
contextes où l’autocontradiction est susceptible de se produire.
On trouve les exemples les plus limpides de contradiction
dans le discours des psychopathes. La raison de ce phénomène est
simple : les psychopathes n’ont aucune morale, ils accumulent les
mensonges à un rythme fou et ils se fichent de se contredire. Ils
se fichent de tout en réalité, mis à part leurs désirs immédiats16.
Chez un individu relativement normal, la contradiction peut survenir lorsqu’il est en proie à des émotions très intenses qui lui font
dire des énormités. Il ne faut rien de plus, bien souvent, qu’un
excès de passion dans la défense d’une idée qui nous est chère. La
contradiction peut aussi se produire dans des moments de panique, lorsque la discussion tourne mal pour nous, que nous ne
savons plus quoi dire et que nous disons, littéralement, « n’importe
quoi ». Mais même des émotions plus faibles suffisent à obscurcir le jugement, comme la crainte de choquer ou le simple désir
d’éviter des problèmes. Ainsi, la directrice d’un Centre de la petite
enfance (CPE) au Québec demande à une religieuse catholique
d’enlever ses habits religieux pour venir travailler comme remplaçante auprès des enfants, mais elle avoue candidement qu’elle ne
16.Voici un excellent livre sur le sujet : Robert D. Hare, Without Conscience.
The Disturbing World of the Psychopaths among us, New York, The Gilford
Press, 1999.
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