
les deux pays. L’apologue devient plus dépouillé encore lorsque Ricardo,
pour illustrer l’idée d’une comparaison des productivités relatives, donne
l’exemple des deux artisans, le cordonnier et le chapelier et que chacun
d’entre eux, doit choisir l’activité dans laquelle il réussit relativement le
mieux. Dans un modèle modernisé à plusieurs pays, plusieurs biens et plu-
sieurs facteurs pays (n ×n×n) mené en termes de chaîne des coûts compa-
ratifs et incluant d’autres éléments de coût que le travail, c’est toujours l’idée
d’avantage relatif choisi comme critère de la spécialisation qui prévaut, le
corollaire de partage du gain à l’échange demeurant lui-même tout à fait
valide.
En fait, tout le raisonnement dépend de l’hypothèse de mobilité différen-
tielle des facteurs de production dans le cadre national par rapport à celui
qui intervient au niveau international. Certes Ricardo n’exclut pas dans les
« Principes de l’économie politique et de l’impôt [1817] » l’investissement à
l’étranger mais il postule nettement une forte préférence pour le champ
national. « Bien des causes, écrit-il, s’opposent à la sortie des capitaux : la
crainte bien ou mal fondée de voir s’anéantir à l’étranger un capital dont le
détenteur n’est pas le maître absolu et la répugnance naturelle qu’éprouve
tout homme à quitter sa patrie et ses amis pour aller se confier à un gou-
vernement étranger et assujettir des habitudes anciennes à des lois nouvel-
les. Ces sentiments... décident la plupart des capitalistes à se contenter d’un
taux de profit moins élevé dans leur propre pays plutôt que d’aller chercher
un emploi plus lucratif de leurs fonds dans des pays étrangers ».
Cette idée sera poussée plus loin encore lorsque les auteurs plus moder-
nes postuleront que les nations doivent s’analyser comme autant de « blocs
de facteurs », ceux-ci étant tenus comme immobiles sur le plan externe alors
qu’ils seraient parfaitement mobiles sur le plan interne.
Point n’est guère besoin d’insister pour faire apparaître combien cette
hypothèse est contredite aujourd’hui par la mondialisation. Le développe-
ment exponentiel de l’investissement direct étranger s’y oppose très direc-
tement tout comme la montée actuelle des délocalisations. De ce point de
vue, l’un des fondements majeurs de la spécialisation internationale fait déjà
défaut. Il est toutefois utile de bien comprendre aussi que cette théorie des
coûts comparatifs a été conçue à l’origine à l’aune de pays – en fait d’États-
nations – considérés comme strictement concurrents et fort peu interdépen-
dants. Dans le contexte d’une économie internationale de plus en plus inté-
grée, dans laquelle le capital technique et financier est de plus en plus
ubiquiste, elle ne peut qu’avoir du mal à se maintenir. Les lignes de la
spécialisation se dessineront désormais au niveau global et, de moins en
moins, sur une base nationale, si ce n’est nationaliste. La firme multinatio-
nale (le détenteur de portefeuille) au lieu de choisir ses lignes de produits et
ses implantations (ou ses titres) en jaugeant de l’excellence relative des
secteurs au sein d’une même économie nationale, n’aura qu’un seul réfé-
rent : le marché mondial. En conséquence, c’est le moindre coût, recherché
au niveau global, qui prévaudra et par la même le principe des coûts absolus
qui l’emportera sur celui des coûts comparatifs (Damian et Graz [2001]) [5].
En notant
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n
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les besoins unitaires en facteur travail « domestique »
(i.e. national) et
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n
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ceux de l’étranger, il faut voir ce que l’on pourrait
Le libre-échange : un paradigme en situation d’inconfort ?
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REP 115 (5) septembre-octobre 2005
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