1
LA PARTICIPATION POLITIQUE DES FEMMES EN AFRIQUE FRANCOPHONE
ENTRE GOUVERNANCE DEMOCRATIQUE, GENRE ET BIOLOGISME
Par
Philippe EYEBE AWONO*
Abstract
Malgré les efforts de démocratisation engagés en Afrique, les femmes restent toujours
frappées par leur sort non biologique, dont la société politique a profité pour faire une
construction sociale. En effet, la société politique en Afrique a attribué un sexe à la femme;
faisant d'elle un être biologiquement incapable de participer aux affaires politiques au même
titre que les hommes. Cette vision périlleuse est tout sauf un gage de démocratie. Le présent
papier a pour but d’expliquer ce phénomène par l’incomplétude des variables de la
gouvernance démocratique en Afrique francophone, mais aussi par l’influence du facteur
culturel et historique sur la forme de l’Etat et par conséquent sur la manière de saisir le
genre dans ces Etats.
Les pays étudiés ont tenté d’adopter certains instruments internationaux de
gouvernance démocratique mais ils sont vite tombés dans les pièges culturaliste et historique
sur lesquels ils se sont construits. Cette façon de faire dilue toute ambition de prise en compte
du genre, et invalide la conception de la gouvernance démocratique dans ces pays.
2
La gouvernance démocratique, au-delà de son sens « valise »
1
, se présente dans le
principe comme l’un des outils les plus adéquats pour atteindre un niveau considérable de
développement. Pour les pays Africains, la gouvernance démocratique en tant que
déterminant de développement est encore plus importante, tant elle détermine les politiques
économiques et donc les niveaux de développement
.
2
Il s’agit en effet d’un revirement
paradigmatique pour apporter une réponse à la crise de l’Etat.
3
Ce revirement paradigmatique
a donc été opéré avec une insistance sur la participation effective et réelle du peuple, et c’est
ce qu’on pourrait qualifier de gouvernance démocratique. Cette dernière suppose une
participation totale et égale de tous les citoyens, en respectant les principes de la démocratie.
Considérée comme telle, la gouvernance démocratique véhicule peut-être de manière
inconsciente, beaucoup d’attendus théoriques et même empiriques. Ces attendus proviennent
du fait d’un présupposé, celui de la désétatisation des politiques de développement, non pas
en termes de gation de l’Etat, mais en termes de partenariat, c'est-à-dire de coproduction
des politiques de développement. C’est sans doute la coproduction qui pose problème dans la
mesure où, on est tenté de chercher à savoir avec quel type d’acteur l’Etat coproduit les
politiques de développement ; quelles sont les logiques qui gouvernent cette coproduction,
quel est le degré de prise en compte des disparités sociales (y compris sexuelles) dans cette
coproduction. Appréhender la réalité de cette manière a l’avantage de questionner le sens de
la démocratie de manière à bousculer ce qu’elle a jusqu’ici présenté comme certitudes
théoriques, lesquelles certitudes théoriques ont très tôt fait de limiter (ce qui est partiel), la
démocratie à la majorité. Les exigences de la gouvernance permettent donc de remettre au
bout du jour le sens même de la démocratie. Dès ce moment, beaucoup de paramètres rentrent
en jeu, permettant ainsi de discuter les notions de majorité qui selon nous, sont fortement
teintées de « masculinisme » et de masculinité, notamment dans l’espace politique africain.
4
En Afrique, et particulièrement en Afrique francophone, si les Etats affichent un
discours de mise en place d’un système de gouvernance démocratique, ces derniers peinent
*Doctorant en Science Politique, Université Jean Moulin Lyon III
1
Voir Jean-Pierre Gaudin, Pourquoi la gouvernance ? Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 9.
2
Mireille Razafindrakoto et al., « Introduction thématique. Gouvernance et mocratie en Afrique : la
population a son mot à dire », Afrique contemporaine 2006/4 (n° 220), p. 21-31.
3
Jacques Chevallier, L’État post-moderne, Paris, LGDJ (Coll. « Droit et Société »), 35, 2003, cité par J.
Chevallier, « La gouvernance, un nouveau paradigme étatique ? », in Revue Française d’Administration
Publique, 2003/1-2, N°105-106, pp. 203-217.
4
Nous voulons simplement parler d’une mocratie à visage masculine. Voir à ce sujet les travaux suivants :
Ibrahim Mouiche, « Genre et commandement territorial au Cameroun », Cahiers d'études africaines 2007/2
(n°186), p. 391-408 ; Jone Martínez Palacios et al., « La participation entravée des femmes. Le cas des processus
d’innovation mocratique au Pays basque », Participations 2015/2 (N°12), p. 31-56. ; Egodi Uchendu
Masculinities in Contemporary Africa, African Books Collective, Social Science, 2008.
3
néanmoins à intégrer dans cette démarche de participation globale, toutes les variables
notamment en termes de participation politique des femmes. Dans cette région, la
participation politique des femmes continue toujours d’être le maillon faible de la
gouvernance démocratique
5
. Malgré les efforts de démocratisation engagés en Afrique, les
femmes restent toujours frappées par leur sort non biologique, dont la société politique a
profité pour faire une construction sociale. En effet, la société politique en Afrique a attribué
un sexe à la femme; faisant d'elle un être biologiquement incapable de participer aux affaires
politiques au même titre que les hommes
6
. Cette vision périlleuse est tout sauf gage de
démocratie. Dans un monde qui se veut un monde d'égalité, l'Afrique se doit de faire une
mutation en repensant la question du genre pour en faire une variable de démocratisation.
Ainsi, la gouvernance démocratique pourrait justifier sa plénitude sémantique (d’autres
paramètres peuvent rentrer en jeu).
Quels sont les éléments à partir desquels on peut justifier le fait que le genre soit une
variable de la gouvernance démocratique ? Au regard des considérations biologiques sur la
femme au sein du système de gouvernance en Afrique francophone, et malgré la relative
insertion du « discours genre » au sein des Etats, peut-on parler d’une véritable gouvernance
démocratique ?
Telles sont les questions auxquelles nous nous proposons de répondre dans la présente
contribution qui s'inscrit en droite ligne de la thématique principale du 24e congrès de
l'Association Internationale de Science Politique.
Pour mener cette réflexion, nous allons faire recours au constructivisme et à la théorie
de la dépendance au sentier. Le constructivisme sera mobilisé à un double niveau. D’abord
pour montrer que la gouvernance démocratique a été construite en Afrique francophone sur la
base de variables jugées selon nous incomplètes parce que occultant le genre comme variable.
Un second niveau nous aidera à comprendre et expliquer l’usage social du sexe en tant que
construction. La théorie de la path dependency quand à elle nous aidera à expliquer pourquoi
les Etats d’Afrique francophone fonctionnent sur la base d’un tel schéma.
Nous commencerons par expliquer l’incomplétude des variables mobilisées dans la
gouvernance démocratique en Afrique francophone pour justifier pourquoi la variable genre
peut en être une (I). Par la suite nous montrons l’usage social du sexe qui en découle non
5
Luc Sindjoun, Mathias Eric Owona Nguini, «égalité oblige! Sens et puissance dans les politiques de la femme
et les régimes de genre », in La biographie sociale du sexe, genre société et politique au Cameroun, Paris,
Karthala et Codesria, 2000, P.23.
6
Voir Claudette Fillard, Colette Collomb-Boureau, les mouvements féministes américains, Ellipses, 2003, P10-
13.
4
seulement du fait de la culture mais aussi de la construction historique de l’Etat qui dépend
fortement de son sentier originel(II).
I- L’incomplétude des variables de la gouvernance démocratique en Afrique
francophone : entre sélection des ingrédients et marginalisation du genre.
Les propriétés actuelles de la gouvernance démocratique en Afrique francophone laissent
entrevoir une sélection par les Etats des ingrédients qui en font partie en termes de variable
(A), marginalisant au passage la variable genre (B).
A- Les ingrédients affichés et sélectionnés de la gouvernance mocratique en
Afrique francophone.
Les ingrédients affichés dans le système de gouvernance démocratique en Afrique
francophone sont calqués sur le modèle du pluralisme, qui lui-même a été une résultante de la
force des choses et de l’histoire. Les Etats d’Afrique francophone ont une trajectoire bien
particulière, dans la mesure leur migration des systèmes fermés aux systèmes ouverts,
c'est-à-dire vers la démocratie ne s’est pas forcement fait d’une volonté de la part des
dirigeants d’ouvrir l’espace politique. Parler de la force des choses et de l’histoire, c’est
concilier deux positions scientifiques sur l’origine de la démocratie en Afrique francophone, à
savoir les tenants d’une thèse sur les origines endogènes soutenue par les conférences
nationales d’une part, et les tenants d’une thèse sur les origines exogènes soutenue par le
fameux vent de l’est
7
d’autre part. Quoi qu’il en soit, le dénominateur commun de ces thèses
qui se rejettent dos
8
à dos est, qu’elles expliquent une réalité en faisant recours à un même
période dans l’histoire. C’est ce qu’on peut conventionnellement appeler les années 90.
9
Pour notre démonstration, ce qui nous intéresse c’est, non pas l’origine de la
démocratisation, mais l’héritage que cela a pu avoir sur la participation politique des femmes.
En effet, la conséquence directe de la période de démocratisation était l’ouverture d’un espace
de liberté et donc la fermeture d’un espace autoritaire. L’ouverture de l’espace liberté
7
Guèye Babacar, « La démocratie en Afrique : succès et résistances », Pouvoirs 2/2009 (n° 129) , p. 5-26
8
Voir Samuel Huntington, The Third wave: democratization in the twentieth century, Norman, University of
Oklahoma Press, 1991.
9
Voir Daouda Dia, Les dynamiques de démocratisation en Afrique noire francophone, thèse de doctorat en
Science Politique, Université Jean Moulin Lyon III
5
s’entend dans son sens inclusif et global de toutes les catégories sociales indépendamment du
sexe. Il semble que le schéma en Afrique francophone n’obéit pas à cette logique. Il obéit à
une logique de « démocratisation à visage masculin ».
A vouloir même féliciter le changement social apporté par la démocratie à travers
l’ouverture du débat politique par le multipartisme, on s’en trouve coincé. Coincé par le fait
que très vite, on remarque que l’autoritarisme a juste changé de forme. On est passé du
gouvernement du parti unique au gouvernement du sexe unique. C’est le gouvernement du
sexe masculin.
Si on peut admettre que les années 90 ont aussi été l’épicentre de la question
démocratique, on peut aussi admettre que les échecs du changement démocratique ont induit
la nécessité d’un changement des formes de gouvernement des sociétés. La gouvernance se
montrait ainsi plus adéquate. Ainsi, on se serait attendu à ce que la gouvernance, de part son
principe viennent effacer les séquelles d’une « démocratisation à visage masculin » par la
force des choses, c'est-à-dire l’intégration non plus seulement des parti politiques ou de la
société civile (pour rendre compte de la démocratie), mais l’insertion au sein de ses micro
structures, de la variable genre. La tendance était plutôt à la reproduction du réflexe masculin
qui a migré de l’autoritarisme à la démocratie et de la démocratie à la gouvernance. A cause
de cette rémanence autoritaire, On parlerait opportunément de gouvernance à visage masculin
ou de phallo-gouvernance.
10
Pratiquer la démocratie et la gouvernance comme tel, signifie que des variables
sélectionnées de la gouvernance démocratique ont été imposées. Il apparait clairement que le
genre peut aussi en constituer une variable non moins importante.
Il est beau d’avoir 100 partis politiques au sein d’un Etat, il est tout aussi beau que
dans ces partis politiques, on ait un équilibre de genre. De même, la société civile aurait
encore plus de sens si le genre y était intégré. La réalité des Etats d’Afrique Francophone est à
l’épreuve de notre démonstration car on peut s’appuyer sur des données statistiques pour
justifier notre raisonnement. En effet on a l’impression qu’il y a une tension entre citoyenneté
et égalité
11
, une tension qui produit deux citoyennetés à savoir : la citoyenneté des hommes,
plus prégnante en politique, et la citoyenneté des femmes moins visible et visiblement
existante, uniquement pour des besoins conventionnels.
12
10
Belinga Joseph-Marie Zambo, « Quête de notabilité sociale, rémanence autoritaire et démocratisation au
Cameroun », Cahiers d'études africaines 3/2003 (n° 171) , p. 573-589.
11
Elizabeth S. Anderson « What is the point of equality ? » in Ethics, Jan 1999.
12
Bérengère Marques-Pereira, La citoyenneté politique des femmes, Paris, A.Colin, Civis, 2003.
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