l est des expressions dont la fortune subite est parfois sur-
prenante. Or, malgré l’énorme littérature, en particulier
juridique, consacrée à l’aléa thérapeutique, il ne semble
pas exister de définition universellement admise de cette notion
pourtant utilisée sans rétention dans les milieux médicaux, juri-
diques et politiques.
Alea, mot latin signifiant “dé” et par là jeu de hasard, désigne
par essence quelque chose d’imprévisible, donc a priori inévi-
table car échappant aux possibilités de l’intervention humaine.
C’est ce qu’illustre parfaitement le sens aujourd’hui consacré
du mot aléatoire.
L’aléa thérapeutique désigne donc à l’origine, même si des
interprétations diverses ont apporté un éclairage différent, les
conséquences néfastes de risques imprévisibles associés aux
démarches et actes thérapeutiques.
Reste à s’entendre sur le sens du mot imprévisible,certains l’as-
similant à non connu jusqu’alors, d’autres, selon une logique
quelque peu circulaire, à aléatoire (phénomène dont la surve-
nue ne résulte pas systématiquement d’une intervention
humaine, mais qui obéit aux lois du hasard, cela ne préjugeant
pas que le phénomène soit auparavant connu ou non). Le débat
peut paraître spécieux, mais il est d’importance : en matière de
médicament, la première définition assimile l’aléa thérapeu-
tique aux effets indésirables dits inattendus (voir plus loin), la
seconde aboutit à une définition beaucoup plus large englobant
l’ensemble des conséquences délétères de l’usage des médica-
ments en dehors d’une faute avérée (au niveau du développe-
ment, de la fabrication, de l’exploitation, de la prescription ou
de l’usage).
“PARI THÉRAPEUTIQUE”
Les éventuels “dommages” causés par un médicament (par
esprit de simplification, nous conserverons le terme causé sans
développer ici le problème fondamental que constitue l’ana-
lyse de causalité ou imputabilité) peuvent survenir dans deux
circonstances s’excluant mutuellement a priori :
– dans le cadre d’une faute ou d’un mésusage ;
– dans les conditions “normales” d’emploi.
Cette distinction est commode, mais quelque peu simplifica-
trice : un effet indésirable peut parfaitement survenir dans le
cadre d’une “anomalie” de prescription ou d’usage sans qu’il
y ait un lien causal quelconque entre les deux phénomènes ;
d’où l’analyse en deux étapes souvent imposée par les juges
d’instruction aux experts qu’ils sollicitent :
– La prescription et/ou l’usage a-t-elle/ont-ils été conforme(s)
aux recommandations ou aux données actuelles de la science ?
– Sinon, existe-t-il un lien, et de quel ordre, entre la déviation
et le dommage constaté ?
Plus subtile encore est, comme nous le verrons plus loin, la défi-
nition de la normalité dans une relation thérapeutique basée à
la fois sur la prise en compte d’une situation donnée unique
et de certitudes souvent fragiles et en perpétuelle évolution.
Tout “vieux” pharmacologue (c’est-à-dire de plus de cinq ans
d’expérience) sait que nos certitudes d’aujourd’hui sont nos
erreurs de demain !
Dommages survenant dans le cadre d’une faute ou d’un
mésusage
La faute, la responsabilité peuvent ici se situer au niveau du
laboratoire fabricant ou exploitant ; du médecin prescripteur ;
du pharmacien d’officine dispensateur ; de l’utilisateur du médi-
cament ou de son entourage.
Nous ne détaillerons ici que les deux premières.
!Laboratoire fabricant ou exploitant. Même si, avec une
constance qui étonne, la quasi-totalité des experts et références
traitant de cette question citent des exemples historiques tels
que le Stalinon®,la poudre Baumol®ou le talc Morange®,force
est de constater que l’erreur de fabrication est tellement excep-
tionnelle dans le domaine du médicament qu’elle ne mérite pas
d’être discutée ici.
Plus complexe est l’appréciation d’une faute au niveau du déve-
loppement aboutissant à mettre à disposition du corps médical
et des patients un produit “anormalement” inefficace ou dan-
gereux. L’ambiguïté est ici extrême et l’interprétation notable-
ment difficile même si, dans le texte de la loi n° 98-389 du
19 mai 1998 (“de la responsabilité du fait des produits défec-
tueux” – Journal Officiel du 21 mai 1998), on peut lire à l’ar-
La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 2 - février 2000
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TRIBUNE
“Alea jacta est !”
!
B. Bégaud*, M. Baumevieille**, F
.
Haramburu*
* Département de pharmacologie, service de pharmacologie clinique, univer-
sité Victor-Segalen, Bordeaux 2, CHU de Bordeaux.
** Service de droit et économie pharmaceutiques, UFR de pharmacie, univer-
sité Victor-Segalen, Bordeaux 2, CHU de Bordeaux.
I
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 2 - février 2000
TRIBUNE
ticle 1386-11 : “Le producteur est responsable de plein droit à
moins qu’il ne prouve : Que, compte tenu des circonstances, il
y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’exis-
tait pas au moment où le produit a été mis en circulation par
lui ou que ce défaut est né postérieurement ; ... Que l’état des
connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a
mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’exis-
tence du défaut.
Tous les professionnels du médicament auront compris la sti-
mulante infinité d’interprétations que ce texte peut susciter :
hormis la déviation flagrante dans la mise en œuvre des bonnes
pratiques de fabrication, des bonnes pratiques de laboratoire ou
des bonnes pratiques cliniques, qu’est-ce qu’ un défaut qui
n’existe pas au moment où le produit a été mis en circulation ?
Même si de grands (?) progrès ont été réalisés dans l’harmoni-
sation des “procédures”, peut-on considérer a posteriori que le
produit était “défectueux” parce que quelques cas d’élévation
des transaminases chez les patients traités lors des études cli-
niques étaient censés prédire les cas d’hépatite fulminante qui
ont été observés après mise sur le marché ? Combien de pro-
duits (actifs) peuvent-ils se targuer d’être “blancs” de ce point
de vue en cas de monitorage intensif ? Probablement moins de
5%. Quelle est la valeur prédictive ou positive d’une telle élé-
vation, modérée, des enzymes hépatiques ? On imagine aisé-
ment les rapports contradictoires, et étroitement corrélés à la
partie qu’ils défendent, des experts intervenant sur le problème.
Il est raisonnable de penser qu’à moins d’une faute avérée (dis-
simulation ou maquillage de données, non-prise en compte
d’une anomalie biologique ou clinique à la signification et à la
valeur prédictive indiscutables), plus de 90 % des effets indési-
rables observés après mise sur le marché entrent dans le cadre
de l’imprévisible, donc de l’aléa thérapeutique.
!Le médecin prescripteur. La pensée unique s’est, jusqu’ici,
satisfaite de la réponse “il y a faute avérée quand le compor-
tement du médecin s’est écarté des recommandations officielles
et de l’état actuel des connaissances scientifiques” (à condi-
tion, bien entendu, que l’on puisse démontrer qu’il y a un rap-
port de causalité entre ce comportement “anormal” et le dom-
mage subi).
Tout le monde sera d’accord pour reconnaître qu’un effet indé-
sirable connu et clairement mentionné dans le résumé des carac-
téristiques du produit (RCP), en rapport avec une prescription
elle-même clairement hors indication quand des alternatives
mieux tolérées et plus efficaces existent, n’est pas une situation
confortable pour l’auteur de la prescription.
Il en est de même pour un dommage causé par une prescription
abusivement surdosée ou prolongée. Ces cas restent une petite
minorité. En revanche, parlera-t-on de légèreté, de “faute”,
devant un dommage causé par un effet indésirable connu, clai-
rement mentionné dans le RCP, alors que la prescription était
justifiée et parfaitement correcte et suivie ? D’un point de vue
quelque peu simpliste, la réponse serait “oui” si le médecin
ainsi prévenu (“nul n’est censé ignorer le RCP”) n’avait pas
mis en œuvre les mesures prévues ou universellement admises
de nature à diminuer la probabilité de survenue de cet effet ou
permettant d’interrompre le traitement dès les premiers symp-
tômes, avant la constitution du dommage. Malheureusement
(ou heureusement), pour la majorité des effets indésirables dits
“attendus” (clairement mentionnés dans le RCP), les choses ne
sont pas aussi simples. Prenons l’exemple classique des anti-
inflammatoires non stéroïdiens et de l’hémorragie digestive. Il
s’agit du parangon de l’effet attendu, de plus relativement fré-
quent ; dans un tel cas compliquant une prescription médica-
lement justifiée, que peut-on reprocher au médecin ?
– D’avoir laissé par pusillanimité (ou au nom du principe de
précaution) le patient souffrir en ne lui prescrivant pas cet anti-
inflammatoire ?
– De ne pas avoir associé un cytoprotecteur, alors que les recom-
mandations (minimisation des coûts de traitements) réservent
cette association aux seuls sujets à risque ?
– De ne pas avoir lu au patient à haute et “inquiétante” voix la
page où figurent pêle-mêle tous les effets indésirables possibles
et parfois ésotériques de la spécialité ?
En clair, la survenue de la majorité des effets indésirables atten-
dus reste imprévisible et aléatoire, en ce sens que rien ne per-
met de savoir par avance si tel patient aura la malchance (ou
l’honneur s’il y a publication) de devenir un cas.
Par essence, toute prescription d’un médicament repose sur un
pari : celui que, chez un malade donné (qui reste une entité com-
plexe et unique), le traitement aura l’efficacité souhaitée et
qu’aucun effet dommageable ne viendra le compliquer. À ce
titre, plus de 80 % des dommages constatés entrent dans le cadre
sans fond de l’aléa thérapeutique puisque l’on y retrouvera :
– les conséquences fâcheuses d’une inefficacité imprévisible
d’un médicament correctement prescrit ;
– celles des effets indésirables dits attendus (avec les réserves
exprimées ci-dessus) ;
– et, bien entendu, celles des effets indésirables dits inattendus
et non connus jusqu’alors, par essence imprévisibles.
Deux études de prévalence, menées par le réseau des Centres
régionaux de pharmacovigilance français (1997-1998) sur un
échantillon réellement représentatif de l’ensemble des hôpitaux
publics français, laissent, pour la première fois, entrevoir l’im-
portance de la iatrogénie médicamenteuse dans notre pays :
– 10,3 % des patients hospitalisés un jour donné présentent un
effet indésirable médicamenteux. Cela signifie que, chaque
année, 1,3 million de patients hospitalisés dans les hôpitaux
publics en France présenteraient un effet indésirable attribuable
à un traitement médicamenteux.
– Les effets indésirables médicamenteux seraient chaque année
la cause de 130 000 hospitalisations (1 146 000 journées d’hos-
pitalisation) dans les établissements publics français.
Sachant qu’après analyse dans la très grande majorité de ces
effets, il est difficile de retrouver une notion de “faute”, on ima-
gine l’ampleur quantitative que prend l’aléa thérapeutique dans
sa définition la plus large et les conséquences possibles en cas
d’une évolution juridique à l’américaine.
CONCLUSION
Il est donc primordial et relativement urgent de proposer une
définition opérationnelle et, si possible, consensuelle de ce que
recouvre la notion d’aléa thérapeutique en matière de médica-
ment.
S’il est du devoir de la solidarité nationale de trouver une solu-
tion d’indemnisation aux dommages quand une autre voie
s’avère sans issue (accidents graves réellement imprévisibles
et, en particulier, sériels), il est prioritaire d’éviter de laisser
subsister un flou laissant se développer un système pernicieux
de sollicitation qui aboutirait à court terme à détruire le prin-
cipe même de la solidarité nationale.
Enfin, il est du devoir des autorités sanitaires et de l’industrie
pharmaceutique de mettre en œuvre des campagnes de sensi-
bilisation et de responsabilisation vis-à-vis du risque théra-
peutique en insistant sur le fait que toute prescription d’un médi-
cament est un “pari optimisé” ne pouvant en aucun cas garantir
un bénéfice sans risques potentiels. En ce domaine, comme
dans d’autres, il serait souhaitable de passer à l’âge adulte. "
La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 2 - février 2000
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