Notions, enjeux et limites de la délégation d’activités étatiques François Bellanger, Professeur à l’Université de Genève, avocat 2 Notions Les activités étatiques. La délégation. 3 Les activités étatiques ¡ Les activités d’intérêt public. ¡ Les fonctions de puissance publique. ¡ Les fonctions de service public. ¡ Les activités économiques. JDA 2015 - F. Bellanger 4 Les fonctions de puissance publique ¡ Les fonctions de puissance publique comprennent les tâches d’autorité impliquant l’exercice d’un pouvoir d’enjoindre, d’interdire, voire de contraindre par l’usage de la force. ¡ Les actes de puissance publique se caractérisent traditionnellement par le fait que la collectivité publique peut exercer une contrainte sur le citoyen en se fondant sur une réglementation de droit public. ¡ Ces fonctions comprennent notamment les tâches de régulation. JDA 2015 - F. Bellanger 5 Les fonctions de service public ¡ Les fonctions de service public sont des activités d’intérêt général. ¡ Elles sont assurées par l’administration avec une organisation adéquate garantissant en principe: ¡ la continuité du service, ¡ l’uniformité de son prix et ¡ l’égalité de traitement entre les usagers. ¡ Du fait de son rôle d’intérêt public, l’activité de l’Etat est faite à des conditions accessibles à tous les citoyens, généralement sans égard au prix réel. ¡ L’Etat n’a aucun intérêt lucratif, contrairement aux activités économiques. JDA 2015 - F. Bellanger 6 Les activités économiques ¡ L’Etat mène une activité économique lorsqu’il offre des prestations pour lesquelles l’aspect économique prime l’intérêt public. ¡ On peut distinguer deux hypothèses: ¡ L’activité étatique a pour principal objet de réaliser un revenu, avec pour conséquence que la poursuite d’un intérêt public est secondaire ou absente. ¡ L’entité publique fonctionne comme une entreprise, soit un producteur de biens ou services participant de manière indépendante au processus économique, du côté de l'offre ou de la demande. ¡ L’Etat n’a pas un intérêt économique mais ses prestations se trouvent ou pourraient se trouver en concurrence avec celles des entreprises de l’économie privée. ¡ Dans ce cas, pour assurer la neutralité concurrentielle de l’Etat, les activités de l’Etat sont considérées comme ayant un caractère économique et traitées différemment des activités d’intérêt public. JDA 2015 - F. Bellanger 7 La délégation ¡ La délégation est une composante du processus d’externalisation des tâches de l’Etat. ¡ La délégation consiste à transférer l’exécution de certaines tâches à des entités privées ou publiques. ¡ Elle se distingue de la décentralisation, soit l’opération par laquelle l’Etat transforme une unité administrative interne en une unité externe autonome avec la personnalité juridique ou crée une telle unité externe, en la chargeant de l’exécution d’une tâche publique. ¡ La délégation se distingue du subventionnement d’activités d’intérêt public menées des entités privées. ¡ La délégation n’est pas une forme de partenariat publicprivé ou PPP. JDA 2015 - F. Bellanger 8 Délégation et PPP ¡ Le terme de PPP « se réfère en général à des formes de coopération entre les autorités publiques et le monde des entreprises qui visent à assurer le financement, la construction, la rénovation, la gestion ou l’entretien d’une infrastructure ou la fourniture d’un service ». ¡ Le PPP ne constitue toutefois pas un rapport juridique sui generis. En conséquence, la coopération entre les pouvoirs publics et l’acteur privé doit se fonder soit sur le droit des contrats, soit sur le droit des sociétés. ¡ On distingue ainsi deux types de PPP : ¡ le modèle contractuel dans lequel les divers intervenants du projet passent un ensemble de contrats entre eux. ¡ le modèle d’entreprise ou modèle institutionnel, dans lequel le projet est confié à une « société de projet » dotée de la personnalité juridique et à laquelle participent aussi bien les mandants que les mandataires ; les formes juridiques peuvent varier (société anonyme, société d’économie mixte, association, fondation, etc.). JDA 2015 - F. Bellanger 9 L’externalisation des tâches publiques ¡ La décentralisation comme la délégation peuvent aboutir à trois formes de privatisation: ¡ La privatisation des structures. ¡ Utilisation d’une entité de droit public avec une organisation proche de celle de l’économie privée pour l’exécution d’une tâche publique. ¡ La privatisation de la gestion d’une tâche. ¡ L’Etat transfère l’exécution d’une tâche publique à une entité privée, contrôlée par lui ou par un tiers. ¡ L’Etat vend intégralement la société chargée de mener une tâche publique à des tiers. ¡ La privatisation de la tâche elle-même. ¡ L’Etat abandonne partiellement ou totalement la tâche publique. JDA 2015 - F. Bellanger 1 0 Les enjeux L’objet de la délégation d’activités étatiques. Les critères de sélection des tâches en vue d’une délégation. Les modes de la délégation d’activités étatiques. 11 L’objet de la délégation d’activités étatiques ¡ Toutes les activités peuvent-elles être déléguées? ¡ Les activités d’intérêt public? ¡ Les activités commerciales? ¡ Il ne peut pas y avoir une seule réponse pour ces activités. ¡ Il est nécessaire d’effectuer une typologie plus approfondie de ces activités. ¡ On peut se référer à celle effectuée par le Conseil fédéral dans son Rapport du 13 septembre 2006 sur l’externalisation et la gestion des tâches de la Confédération (rapport sur le gouvernement d’entreprise). ¡ Il a distingué entre: ¡ ¡ ¡ ¡ ¡ les tâches ministérielles; les prestations à caractère monopolistique; les tâches de surveillance de l’économie ou de la sécurité; les prestations fournies sur le marché; les prestations internes de l’administration. JDA 2015 - F. Bellanger 12 Les tâches ministérielles ¡ Il s’agit : ¡ des tâches liées à la préparation des dossiers politiques; ¡ des prestations relevant clairement de la puissance publique et pouvant souvent impliquer d’importantes interventions dans les droits fondamentaux. ¡ Ces tâches: ¡ requièrent un suivi politique étroit; ¡ ont un besoin marqué de coordination. ¡ Domaine: principalement fonctions de puissance publique. JDA 2015 - F. Bellanger 13 Les prestations à caractère monopolistique ¡ Ces tâches consistent en la fourniture de prestations pour lesquelles il n’existe pas de marché du fait principalement: ¡ de dispositions légales. ¡ de la volonté du législateur de garantir des prestations à un coût inférieur à celui du marché. ¡ d’une défaillance du marché. ¡ Elles concernant notamment: ¡ ¡ ¡ ¡ La formation. La recherche. La culture, Les transports. ¡ Domaine: principalement fonction de service public. JDA 2015 - F. Bellanger Les tâches de surveillance de l’économie ou de la sécurité 14 ¡ Ces tâches relèvent de la régulation. ¡ Elle couvrent deux domaines; ¡ Les tâches dans le domaine de la surveillance de l’économie, soit toutes les activités de surveillance régulant le fonctionnement des marchés et leurs défaillances dans le cadre de l’affectation des biens et des prestations ou intervenant sur la fixation des prix. ¡ Les tâches de surveillance de la sécurité servent à protéger la population ou certains acteurs du marché de dangers très divers en relation avec la fourniture de prestations spécifiques sur le marché. ¡ Il peut s’agir de risques économiques, techniques ou sanitaires. ¡ Domaine: principalement fonction de puissance publique. JDA 2015 - F. Bellanger 15 Les prestations fournies sur le marché ¡ Les prestations fournies sur le marché regroupent des prestations d’infrastructure, comme celles que fournissent par exemple la Poste et les CFF. ¡ Ces prestations sont fournies au moins pour partie dans un régime concurrentiel, au prix du marché. ¡ Domaine: fonction de service public et activités économiques. JDA 2015 - F. Bellanger 16 Les prestations internes de l’administration ¡ Les prestations internes regroupent des tâches telles que l’acquisition et la gestion de biens meubles et immeubles, des ressources informatiques, du personnel et des finances. ¡ Il s’agit de prestations préalables à l’exécution étatique de tâches. ¡ Les prestations internes sont des tâches à caractère principalement commercial. Il s’agit de fonctions au service des fonctions de puissance publique et de service public. JDA 2015 - F. Bellanger Les critères de sélection des tâches en vue d’une délégation 17 ¡ Selon le Conseil fédéral, les critères de sélection des tâches comme de la forme à utiliser pour leur exécution sont liées à leur nature: ¡ Le lien avec l’exercice de la puissance publique. ¡ Degré d’intervention des mesures relevant de la puissance publique dans les droits des personnes ou entreprises concernées? ¡ Le besoin de pilotage politique. ¡ Degré d’influence politique sur l’exécution des tâches? ¡ L’adéquation au marché. ¡ Degré de de disposition à la commercialisation? ¡ Besoin de coordination. ¡ Degré de coordination et d’harmonisation entre les unités administratives. ¡ Les particularités éventuelles de la tâche. ¡ Besoin de visibilité dans ou hors de l’administration. ¡ Potentiel de synergies pour l’acquisition de prestations préalables ¡ Nécessité d’une gestion ciblée par unité ou potentiel de centalisation. JDA 2015 - F. Bellanger 18 Les tâches ministérielles ¡ Application des critères: ¡ Activités relevant principalement de l’exercice de la puissance publique. ¡ Besoin marqué de pilotage politique. ¡ Peu ou pas d’adéquation au marché. ¡ Besoin élevé de coordination au niveau politique. ¡ Pas de justification particulière d’une externalisation. ¡ Tâches peu ou pas propices à une externalisation JDA 2015 - F. Bellanger 19 Les prestations à caractère monopolistique ¡ Application des critères: ¡ Activités relevant principalement du service public, donc peu de lien avec la puissance publique. ¡ Besoin de pilotage politique variable. ¡ Adéquation au marché limitée car il s’agit pour l’essentiel de prestations fournies en faveur de l’économie générale. ¡ Faible besoin de coordination. ¡ Selon les circonstances, besoin fort d’autonomie juridique et de visibilité. ¡ Activités se prêtant bien à une externalisation, notamment une délégation. JDA 2015 - F. Bellanger Les tâches de surveillance de l’économie ou de la sécurité 20 ¡ Application des critères: ¡ Activités relevant principalement de l’exercice de la puissance publique. ¡ Faible besoin de pilotage politique, mais souvent grand besoin d’indépendance. ¡ Adéquation au marché faible du fait de la nature des tâches (régulation). ¡ Faible besoin de coordination. ¡ Nécessité particulière d’indépendance ou de distanciation du monde politique comme motif fort pour une externalisation. ¡ Activités se prêtant bien à une externalisation, notamment une décentralisation ou une délégation. JDA 2015 - F. Bellanger 21 Les prestations fournies sur le marché ¡ Application des critères: ¡ Activités commerciale, soumises au moins en partie à la concurrence, sans lien avec la puissance publique. ¡ Faible besoin de pilotage politique, dans la mesure où la loi fixe les modalités d’un service minimal ou universel. ¡ Adéquation au marché forte. ¡ Faible besoin de coordination. ¡ Nécessité de disposer de conditions d’exercice de l’activité similaires à celles des concurrents sur le marché. ¡ Activités pouvant bénéficier d’une externalisation, notamment une décentralisation ou une délégation. JDA 2015 - F. Bellanger Les modes de la délégation d’activités étatiques 22 ¡ Le concessionnaire ¡ La concession de service public est l’acte par lequel une collectivité publique accorde à une personne privée, le concessionnaire, le droit d’exercer tout ou partie des droits qu’elle détient en vertu d’un monopole de droit, de fait ou virtuel. ¡ Le concessionnaire prend en charge l’activité concédée de manière indépendante et s’engage à la remplir en son propre nom et à ses risques et périls. En principe, le concessionnaire poursuit un intérêt lucratif; il estime que l’exercice de l’activité concédée lui procurera un profit. ¡ Le délégataire ¡ Sur la base d’une loi formelle, une autorité étatique peut, par une décision ou un contrat, déléguer l’exercice d’une tâche étatique à une personne privée, le délégataire. ¡ Le délégataire exerce son activité en son propre nom, mais pour le compte de l’Etat. Il a donc notamment l’obligation de respecter les principes fondamentaux régissant le droit administratif. De même, il se trouve dans un rapport de droit spécial avec l’Etat ¡ L’auxiliaire ¡ L’auxiliaire est dans une situation distincte du concessionnaire ou du délégataire, car il a l’obligation légale d’exercer une tâche publique au nom et pour le compte de l’Etat. ¡ Il est ainsi chargé par la loi d’une mission ponctuelle qu’il doit exécuter sans aucune autonomie selon des modalités déterminées avec précision. Tel est le cas, par exemple, de l’employeur qui prélève l’impôt à la source sur le salaire de certains de ses employés pour le compte de l’administration fiscale. JDA 2015 - F. Bellanger 23 Les limites Les limites juridiques Les limites fonctionnelles Les limites politiques 24 Les limites juridiques ¡ L’existence d’une base légale formelle: ¡ Pour la délégation. ¡ Pour le transfert éventuel d’une compétence décisionnelle. ¡ La délégation de tâches publiques à un organisme extérieur à l'administration peut comprendre implicitement le pouvoir décisionnel nécessaire à l'accomplissement desdites tâches pour autant que cet exercice d'un pouvoir décisionnel soit indispensable pour permettre à l'organisme délégataire de tâches publiques d'accomplir celles-ci (ATF 137 II 409, c. 6.2). JDA 2015 - F. Bellanger Exemple de clause de délégation ¡ ¡ 25 L'art. 180 LAgr a la teneur suivante: 1 La Confédération et les cantons peuvent associer des entreprises ou des organisations à l'exécution de la loi ou créer des organisations appropriées à cet effet. 2 La coopération de ces entreprises et de ces organisations est surveillée par les pouvoirs publics. L'autorité compétente doit définir leurs tâches et leurs attributions. Leur gestion et leurs comptes sont soumis à cette autorité. Le contrôle parlementaire de la Confédération et des cantons est réservé. 3 Le Conseil fédéral et les cantons peuvent autoriser ces entreprises et ces organisations à percevoir des émoluments appropriés afin de couvrir les frais de leur activité. Le tarif de ces émoluments doit être approuvé par le département. « 5.2 En l'espèce, l'art. 180 LAgr constitue sans conteste une base légale formelle qui donne de manière générale à la Confédération la compétence de déléguer l'exécution de la loi sur l'agriculture à un organisme extérieur à l'administration. Par ailleurs, il ressort clairement des dispositions prises par le Conseil fédéral pour réglementer la question du contrôle des AOP et des IGP (selon la délégation de compétence prévue l'art. 16 al. 2 let. d LAgr), que cette tâche a été confiée, selon le voeu du législateur (cf. supra consid. 4.3.9 avant-dernier paragraphe), à des organismes indépendants accrédités placés sous la surveillance de l'OFAG et du SAS (cf. art. 18 al. 1 et 21 al. 4 ord. AOP). Ces organismes doivent agir dans le respect des exigences minimales précisées dans l'ordonnance sur le contrôle édictée par le DFE (art. 18 al. 2 ord. AOP) et il leur appartient notamment, à ce titre, de faire les différents contrôles détaillés aux art. 1 à 5 ord. DFE afin de pouvoir certifier la conformité des produits au cahier des charges (cf. art. 16 al. 3 en lien avec l'art. 18 al. 1 ord. AOP). Ils doivent également signaler à différentes autorités les irrégularités constatées lors des contrôles (art. 20 ord. AOP) et fournir à l'OFAG un rapport annuel détaillant notamment "le nombre et le type des actions coercitives (entreprises) et des retraits de certification (prononcés)" (art. 6 let. c ord. DFE). Certes, aucune disposition légale ou réglementaire ne confère formellement à l'OIC le pouvoir de rendre des décisions à l'encontre des entreprises soumises à son contrôle, encore moins de leur infliger des sanctions en présence d'une irrégularité. On peut toutefois déduire un tel pouvoir décisionnel du renvoi de l'art. 7 al. 1 OAccD aux normes européennes de la série EN 45000 (cf. supra consid. 4.3.5 premier paragraphe). De plus, le Manuel de contrôle, qui fait partie intégrante de l'assurance qualité de l'OIC, prévoit expressément que ce dernier peut prendre les sanctions litigieuses s'il constate des irrégularités. En tout état de cause, de telles sanctions se laissent implicitement déduire de la réglementation (cf. en particulier l'art. 6 let. c ord. DFE précité) et elles apparaissent indispensables pour que l'OIC puisse utilement mener à bien ses activités de contrôle et de certification et obtenir des entreprises, le cas échéant par des mesures coercitives, qu'elles respectent leurs obligations. Il faut donc admettre que les compétences déléguées à l'OIC incluent le pouvoir de rendre des décisions administratives, singulièrement des sanctions. 5.3 Partant, l'OIC doit être considéré comme délégataire d'une tâche publique et investi du pouvoir de rendre des décisions administratives sujettes à recours auprès de l'OFAG (art. 180 LAgr) à l'encontre des entreprises soumises à son contrôle. (… » (ATF 138 II 134). JDA 2015 - F. Bellanger 26 Les limites juridiques - 2 ¡ Les autres critères: ¡ L’intérêt public. ¡ La spécialité. ¡ La surveillance. ¡ Le contrôle du respect de ces critères? ¡ Le choix du délégataire? ¡ Respect de la neutralité concurrentielle de l’Etat? ¡ Application du droit des marchés publics ou de procédures similaires? JDA 2015 - F. Bellanger 27 Les autres limites ¡ Les limites fonctionnelles. ¡ Les limites politiques. JDA 2015 - F. Bellanger 28 Je vous remercie…