Ville de Strasbourg Observatoire des politiques culturelles Synthèse du colloque CONSTRUIRE LA CITE DE LA RELATION L'ENJEU INTERCULTUREL DANS LES VILLES D'AUJOURD'HUI Rencontres organisées par la Ville de Strasbourg sous l’impulsion du Conseil des résidents étrangers, dans le cadre de l’année « Strasbourg cosmopolite 2013 » et avec la collaboration de l’Observatoire des politiques culturelles Jeudi 4 et vendredi 5 avril 2013 – Cinéma l'Odyssée à Strasbourg Synthèse de Josiane Stoessel-Ritz maître de conférences HDR en sociologie Université de Haute-Alsace Novembre 2013 Observatoire des politiques culturelles Sommaire Sommaire ............................................................................................................................................2 Ouverture ............................................................................................................................................3 Table-Ronde d’ouverture ..............................................................................................................4 Cultures, identités, altérités : comment faire société dans le monde d’aujourd’hui ? .................................................................................................................................................................4 Atelier I.................................................................................................................................................6 Culture régionale, culture nationale, cultures issues de l’immigration et plurilinguisme : quelles pratiques ? Quels enjeux ?.............................................................6 Atelier 2................................................................................................................................................8 Quel projet d'éducation aux pratiques interculturelles ? ..................................................8 Synthèse de l’atelier 3.................................................................................................................. 10 Comment les projets artistiques et culturels font-ils écho aux enjeux de la diversité culturelle et du dialogue interculturel ?............................................................. 10 Atelier 4............................................................................................................................................. 13 Comment les institutions patrimoniales et les musées se saisissent-ils de la problématique interculturelle ?............................................................................................... 13 Atelier 5............................................................................................................................................. 16 Comment la question culturelle se pose-t-elle au quotidien ? Exemples autour du monde du travail et de la santé ................................................................................................ 16 Table-ronde 2.................................................................................................................................. 18 Interculturalité et vivre ensemble dans la cité : quelles perspectives ? .................... 18 Table-ronde de clôture................................................................................................................ 19 Construire la cité de la relation est-il une utopie ?............................................................ 19 En guise de conclusion................................................................................................................. 22 2 Ouverture Les Rencontres de Strasbourg sont d'emblée placées sous le signe de la diversité et de l’interculturalité par Faruk Günaltay, qui accueille les participants dans un lieu centenaire et emblématique, celui de l’Odyssée, cinéma de la Ville de Strasbourg qu'il dirige. Dans son allocution, le Maire de Strasbourg, Roland Ries, précise que la question de l’interculturalité répond à Strasbourg à des préoccupations concrètes de la ville : comment, en effet, vivre l’interculturalité comme une menace dans une ville qui est lieu historique de brassages et de passages ? La tentation d’une fermeture sur soi existe aujourd’hui à Strasbourg comme ailleurs. En Alsace, elle n’est pas nouvelle : l’entre-deux-guerres a notamment été un terrain propice à des mouvements autonomistes tentés par une idéologie aux relents nationalistes, sinon racistes. Cette histoire laisse des traces dans la capitale européenne qui déclare aujourd’hui son ouverture pour construire ensemble un monde commun. L’introduction de Jean-Pierre Saez, directeur de l'Observatoire des politiques culturelles, invite au débat : comment la diversité culturelle peut-elle devenir une source de cohésion sociale ? Il incite à sortir des déclarations d’intention pour prendre part au débat sur des questions concrètes (proximité, quotidien) et souligne que l’organisation de telles rencontres est encore trop rare aujourd’hui en France. Il faut se féliciter qu'une ville-monde, Strasbourg, s’engage à créer des lieux de dialogue pour inviter les acteurs de la société civile dans toute leur diversité à s’emparer de la question de la diversité comme un potentiel de ressources créatives qui nourrissent un projet plus global de vivre ensemble. Dans une époque de transition, entre un monde passé et un monde nouveau à construire, les transformations s’accélèrent en même temps que s’affirment les attentes de repères ; l’appétit de reconnaissance nourrit des revendications identitaires qui ne pourront suffire en soi, mais appellent la relation aux autres (comme altérité) comme une force régénératrice. Ce processus de « créolisation du monde » (pour reprendre les termes d'Edouard Glissand) est aussi celui de la reconstruction de la cité, au contact et en relation avec les autres ; il est source d’apprentissage de nouvelles compétences. Avant d'ouvrir les débats avec la première table ronde, le documentaire « la diversité, une richesse à partager » est projeté. Il s'agit d'une production du Comité des peuples du quartier strasbourgeois de la Meinau (2007), dont le président Claude Heckel expose le chemin accompli depuis 1992 par les habitants du quartier (50 nationalités, 17 000 habitants) depuis la première Fête des peuples : au-delà des violences et des misères, cette fête crée un lieu nouveau de convivialité où l’on apprend à vivre ensemble, où les différences sont reconnues parce que chacun est mis à pied d’égalité. Le dialogue rendu possible entre les gens a produit un effet d’apaisement dans le quartier. 3 Table-Ronde d’ouverture Cultures, identités, altérités : comment faire société dans le monde d’aujourd’hui ? La sociologue Anne-Marie Autissier, animatrice de la table ronde, propose comme fil rouge d’interroger la signification des mots qui jalonneront le débat au cours de ces deux journées de réflexions (dialogue, diversité, interculturalité, multiculturalité) et de les replacer dans leur contexte. L'intervention du sociologue et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) Michel Wiewiorka met l’accent sur la complexité du débat culturel en France, débat qui focalise de multiples enjeux pesants et sont sources d’incompréhension. Il rappelle que l’apparition des minorités et de la question des identités dans nos démocraties européennes remonte aux années 1960, avec la naissance des régionalismes. Dans la décennie 1970, le débat concerne l’immigration des pays arabes et musulmans, soit une immigration de peuplement (Hessel) et non de travail. L’islamophobie émerge dans nos sociétés, et l’on pensait alors que le multiculturalisme pouvait traiter la « grande affaire de l’Islam ». Le fait nouveau à considérer dans ces années concerne une religion qui est déterritorialisée (l’Islam). En France, au cours des années 1980, on découvre un racisme culturel qui vise le Maghreb ; le phénomène se complique quand les victimes ont tendance à s’auto-racialiser. Si l’idée du multiculturalisme a réussi à s’imposer ailleurs (Grande-Bretagne, Canada), il est un échec en France. Selon Michel Wieviorka, il convient de penser autrement pour sortir de l’impasse entre l’essentialisme qui institue les différences et les tenants du communautarisme qui plaident la reconnaissance des ancrages locaux des populations. Michel Wiewiorka propose une approche renouvelée de la question des cultures et des identités, en s’intéressant à « la production des individus ». Parler de diversité en soi n'est pas suffisant. Cette notion ne doit pas occulter l'importance dans ce débat des inégalités sociales et de la capacité des individus eux-mêmes à changer au cours de leur vie ; l’assignation à des places ou à des identités par d’autres ne peut être admise. Il conclut son propos en mettant en avant le besoin de l’individu d’apprendre à maîtriser ses propres expériences, à inventer des mélanges et à contribuer lui-même à l’interculturalité dans le double respect, des valeurs universelles et des valeurs particulières. Pour Patrice Meyer-Bisch, coordonnateur de l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l'homme de la chaire UNESCO des droits de l'homme et de la démocratie (Université de Fribourg), « les droits culturels disent l’espace public ». Plutôt que de parler de différence culturelle, il nous invite à considérer les références culturelles pour penser le rapport dialectique entre le particulier et l’universel et pour comprendre comment se construit la singularité de chaque individu. Ces ressources sont proposées dans la ville où les personnes échangent et entrent en contact entre elles ; les individus se reconnaissent réciproquement par des valeurs. Pour Patrice Meyer-Bisch, il s’agit de clarifier l’importance des droits culturels dans l’ensemble des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, tels qu’ils sont reconnus dans les instruments internationaux et ce, depuis la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (1947). La citoyenneté s’expérimente chaque jour dans sa dimension culturelle par des rencontres, sources de liens et d’interrelations avec d’autres, qui créent un partage de valeurs au sein d’une communauté politique dans la cité. L’exercice des droits culturels par chacun ouvre de nouvelles connexions, qui sont des possibilités de communiquer (selon sa langue, son appartenance religieuse, son groupe d’appartenance), et au sein desquelles chaque personne invente librement de manière créative et proactive sa façon d’établir un dialogue culturel. Chaque personne participe librement et exerce sa responsabilité vis-à-vis des autres. Chacun est ainsi un « connecteur », quelqu’un qui 4 « tisse » des liens dont l’essentiel réside dans la dynamique de réciprocité comme une force de solidarité. Salah Oudahar quant à lui représente un collectif d’acteurs et souhaite faire état de son expérience à travers le Festival Strasbourg Méditerranée, une manifestation qui a vu le jour en 1999 et dont il est directeur. L’histoire de ce projet justifierait un travail d’évaluation pour rendre compte des métamorphoses opérées depuis 1990, par des initiatives autour de la mémoire de l’immigration, jusqu’à aujourd’hui où la question centrale posée par ce collectif porte sur la reconnaissance de la citoyenneté des étrangers et de leurs droits sociaux, culturels et politiques. Le Festival Strasbourg Méditerranée vise à créer une plateforme pour une meilleure lisibilité de questions faisant débat : c'est ainsi qu'en 2003, le thème de l’hospitalité et de l’accueil de l’autre a été le fil conducteur du festival. La question des nouvelles identités, entre déterminations et émancipation a été mise en valeur en 2005. En 2013, le thème du festival était celui des métissages. Tous ces sujets sont posés dans le débat public et réappropriés collectivement. Ce projet appelle une reconnaissance dans la vie de la cité. Pour Salah Oudahar, construire une communauté de citoyens demande à construire ensemble « les communs ». Au fond, l’enjeu est de soutenir la force de création et de renouvellement de la relation sociale. Quelle politique publique sera à même de s’emparer de ces questions et de sortir d’un discours « technocratique » sur la reconnaissance ? Les participants au débat qui a suivi ont d'abord formulé quelques commentaires : ainsi le traitement de la question culturelle ne peut se concevoir sans une meilleure articulation entre le social, le culturel et le politique. A propos du social, l’un des participants considère que l’interculturel ne peut être réduit à un processus de changement, il faudrait insister sur les antagonismes et les inégalités sociales. Les interventions ont également mis l’accent sur la question de la pauvreté, l’absence de moyens matériels, qui se double d’une absence de reconnaissance de celle-ci, sinon de violation du droit culturel. D’autre part, les participants ont interrogé les intervenants : comment distinguer le particulier de l’universel ? Comment intervenir dans la gestion de questions qui touchent à l’ethnicisation ? Interpellé sur la question du particulier et de l’universel, Michel Wiewiorka propose de définir des critères de distinction pour tout ce qui relève du particulier : que signifie le port du voile pour les femmes voilées, rarement interrogées ? Pour les critères relevant de l’universel, qui sont au contraire valables pour tous, il évoque le principe du droit et de la raison. Il conclut en soulignant que les acteurs demandent des droits et que, derrière les mouvements sociaux, il convient de voir des individus que l’on doit prendre en considération et de ne pas tomber dans le piège de « la question de l’Islam » qui biaise et écrase toutes les autres questions. 5 Atelier I Culture régionale, culture nationale, cultures issues de l’immigration et plurilinguisme : quelles pratiques ? Quels enjeux ? L’atelier était intitulé « Culture régionale, culture nationale, cultures issues de l’immigration et plurilinguisme : quelles pratiques et quels enjeux ? ». Nous avions oublié la culture européenne ; nous l’avons réintégrée. Cet oubli aurait été fâcheux ici à Strasbourg. Notre débat s’est fortement nourri des interrogations de la table ronde d’ouverture grâce au fil rouge tissé tout au long de la matinée et qui tournait autour de l’importance, du rôle, du statut de la personne dans l’interculturalité, du sens donné aux mots, de l’effort requis qui n’est pas qu’une curiosité pour la culture et la langue d’autrui. Nous n’avons pas non plus oublié le poids de l’histoire, de la religion et la disparité sociale dans le débat sur le dialogue interculturel, ni le légitime désir de reconnaissance des parties en présence. Muni d’un tel viatique, notre débat ne pouvait être que riche et il le fut en effet sous la conduite ferme et éclairée de Ghislaine Glasson Deschaumes directrice de la revue Transeuropéennes et avec les apports érudits, concrets voire incarnés d’Abraham Bengio (directeur général adjoint de la Région Rhône-Alpes), Philippe Charrier (directeur des médiathèques de Strasbourg), JeanMarie Woerling (président de Culture et bilinguisme) et Muharrem Koç (directeur de l’ASTU). Si nous sommes convaincus de l’atout que représente le plurilinguisme qui permet d’aller plus loin dans le dialogue interculturel, il nous a fallu poser la question du statut des langues en présence, de leur égalité ou plutôt de leur inégalité, du prisme républicain par lequel nous les considérons, de leur coexistence avec le français, langue dominante et peu partageuse, sous la forme d’une coexistence qui ignore, affronte et parfois heureusement, dialogue. Dans notre réflexion, langue et culture sont confondues. Nous les avons présentés indistinctement, convaincus que la langue est porteuse de culture et que pour illustrer ce paradoxe qui n’est qu’apparent, la langue est fille des œuvres. Que serait l’hébreu sans la Bible, l’arabe sans le Coran, l’italien sans la Divine Comédie et l’Allemand sans la Bible de Luther ? Langues en contact donc, en échange, en évolution constante comme la traduction qui nous permet de dépasser l’enfermement d’un intérieur délimité, de se tenir à la frontière, de les transgresser, d’entrer en relation. Mais nous ne sommes ni naïfs ni dupes. Nous nous souvenons que Babel est une malédiction et que pour des raisons constitutionnelles, la France ne ratifiera pas la Charte des langues régionales et minoritaires. Nous savons que la langue de l’étranger est parfois une langue de cave, enseignée dans les sous-sols. Nous nous rendons bien compte que malgré leur bonne volonté, les agents de nos collectivités ne sont ni formés ni rompus à l’exigence du multilinguisme, que l’Education nationale en est bien loin aussi, que la culture de la République est rétive, que nos langues régionales se sentent parfois menacées par les langues d’immigration, quand elles ne se sentent pas quasiment disparaître comme ici en Alsace, que dans cette même région, l’interculturalité ne se définit plus en fonction de cette référence, naguère incontournable, de l’identité alsacienne qui ne cessait de s’interroger sur sa part française et sa part allemande. Que l’on peut être Turc en Alsace depuis des décennies et donc Alsacien comme les autres. 6 Bref, les obstacles semblent nombreux et pourtant, aucun n’est insurmontable. Quelques exemples et préconisations rassurantes ont été entendus dans ce très tonique atelier : lors de la signature de la Charte des langues régionales et minoritaires, le 7 mai 1999, la France « envisage [...] de s'engager à appliquer certains ou tous les paragraphes ou alinéas suivants de la partie III de la Charte » (39 sur les 98 que compte la Charte). Si la ratification n’est pas constitutionnellement possible, utilisons tous les interstices et notamment les 39 engagements les concernant qui eux, sont constitutionnels ; engageons-nous pour une loi qui fonde une politique linguistique reposant autant sur les langues autochtones que sur les langues non territoriales1 ; insistons sur l’âge tendre de l’apprentissage préscolaire ; emparons-nous de la connaissance des œuvres et des cultures, utilisons pour cela les espaces de revendications existants ou à créer, ces lieux de rencontre, de convivialité, de lien social et de tension aussi que sont les médiathèques. Formons nos agents à ce dialogue interculturel, donnons-leur les moyens culturels de répondre à la demande, interrogeons-nous sur les limites du statut de la fonction publique qui ne laisse aucune possibilité à un étranger de postuler à une fonction de responsabilité, encourageons et renforçons ce qui déjà se fait bien et utilement : Internet, TV Monde, fonds documentaires en langues étrangères, manifestations littéraires, Festival de la Méditerranée, pôle de littérature européenne etc.… Il suffit d’écouter : il y a de la polyphonie dans les rayonnages de nos bibliothèques ; s’il est relativement facile de trouver un bouc émissaire, pouvoirs publics, Education nationale qui nous fait parfois frémir quand elle nous soutient qu’il n’y a pas de demande alors qu’il n’y pas d’offre, n’oublions pas que tous les acteurs sont concernés, vous, nous, les familles, les associations. Rappelons-le, le droit culturel est une conquête ; notons que les langues régionales et celles issues de l’immigration ne sont pas fatalement en concurrence, surtout pas en matière de victimisation. Il ne s’agit pas de savoir quelle est la plus mal lotie, mais comment, ensemble, elles peuvent accéder au rang et à la dignité qui est la leur au sein d’un projet régional. Au moment où l’Alsace s’interroge sur son avenir, donc sur son identité au travers d’un referendum, voilà un élément de programme tout à fait acceptable et recevable ; pour en revenir à une préoccupation plus linguistique, celle de la traduction que nous avons insuffisamment traité en séance plénière, essayons, puisqu’elles coûtent cher, nous obligeant soit d’être francophone soit de parler un anglais approximatif, de développer la capacité de traduction de chacun. Durant cet atelier, nous n’avons pas vu le temps passer. L’atelier était trop court malgré les trois heures passées ensemble et nous avions encore tant de choses à nous dire. Mais il nous a donné l’envie de poursuivre la réflexion, de nous engager même. Autrement dit, nous avons essayé d’illustrer cette admirable formule de Patrice Meyer Bisch : « Ma peau, c’est ma culture ». Remplacez peau par langue - ma langue, c’est ma culture -, ma puissance culturelle, c’est cette capacité à toucher et d’être touché, capacité d’impressionner et d’être impressionné. Gabriel Brauener Ancien directeur général adjoint de la Ville de Colmar 1 Cf. également : http://conventions.coe.int/treaty/Commun/ListeDeclarations.asp?NT=148&CM=1&DF=&CL=FRE& VL=0 7 Atelier 2 Quel projet d'éducation aux pratiques interculturelles ? L’atelier est présenté par Jean-François Chaintreau, administrateur civil et ancien chef de service de la coordination des politiques culturelles et de l’innovation au ministère de la Culture et de la Communication, comme référé à un contexte d'échange de pratiques réflexives, qui devraient interroger, par leur pertinence, les espaces d'engagement de l’Etat et des collectivités locales et territoriales : - Comment gérer l’espace-monde, dans sa complexité et les différences qu’il donne à voir dans la gestion du quotidien ? - Quel projet mettre en place qui respecte l’enjeu sociétal du vivre ensemble ? - Quelles sont les valeurs communes à construire ? - Peut-on parler de cultures mobiles en inscrivant la diversité culturelle comme richesse à partager ? - Dans une approche prospective du métissage, quid de la fonction éducatrice et socialisatrice de la ville ? - De l’assignation réductionniste au « bienvenue chez vous », quels sont les enjeux et les possibles du vivre ensemble ? Différents exposés liés à cette introduction thématique ont permis ensuite aux participants de rentrer dans les espaces des pratiques. Un retour d’abord, sur un projet de recherche européen coordonné par l’Institut universitaire européen de Florence, et visant à explorer la notion de tolérance face à la diversité culturelle, ethnique et religieuse dans 15 pays de l’Union européenne2. L’étude questionnait notamment l’inclusion de l’histoire de l’immigration dans les programmes d’histoire. Chargée du projet européen « Accept pluralism » pour la France (CERI-Science po), Angéline Escafré-Dublet a présenté les attendus de la commande, la méthodologie et les conclusions de cette étude : - évaluer la tolérance sociétale et la reconnaissance de la présence plurielle et de son histoire, dans la programmation d’une histoire unificatrice ; - interroger la tension existante entre le récit national, renvoyant au centralisme républicain, et l’ancrage dans des histoires multiples, de migrations et d’installation, entre « présentisme » assignation. A cet endroit, quelques réflexions glanées au cours de la présentation et du débat peuvent être reformulées : peut-on parler de « vagues migratoire » ? (cf. pateras et passeport de lapin). Peut-on procéder à une intégration de la pluralité en pluralisant les contenus (référentiels et d’enseignements) ? Quelles sont les références épistémologiques du discours, entre sécularisme et laïcité, tolérance et acceptation, histoire et mémoire, relativisme de la norme et référence aux appartenances ? 2 http://www.accept-pluralism.eu/Home.aspx 8 Dans un autre exposé, Martial Pardo, directeur l’Ecole nationale de musique (ENM) de Villeurbanne, nous a conduit à faire Le tour du monde en 25 voisins3 et découvrir une ville à la fois conservatoire et éducatrice. L’ENM est présentée comme un espace de réciprocité qui invite à se projeter, de l’assignation aux différentes formes de dualité, vers le triangle de la sidération, représenté par les découvertes voyageuses. Voyage intérieur de l’apprivoisement de soi-même comme « ipse » interculturel, et voyage dans le voisinage des instruments de musique et de leurs musiciens. Richesse de l’expérience, conviction et passion, « il jouait du piano debout » pour nous emmener de la surprise à quelques épiphanies… Autre référence amenée par Marie-Nicole Rubio, autre pratique et autre chanson, celle du « Furet », association de Mulhouse qu’elle dirige, au contact de familles et s’adressant à « la petite enfance en 14 langues »4. L’objectif de l’association est en effet de lutter contre les phénomènes d'exclusion, de discrimination notamment dans le secteur de l'Enfance et de la Petite Enfance. Tout ceci, avec et par l’intermédiaire des parents, qui apprennent à passer de leur rôle d’accoucheurs à une posture d’éducateurs, puisqu’ils sont invités à prendre place, à prendre leurs places, mères chanteuses et apprenant l’exil et la survie. Enfin, dernier voyage, permis par la technologie de la distance, le Québec, qui s’interroge sur le « nous », lorsqu’il faut conjuguer « Nos Origines, Une Société » (N.O.U.S). Découvertes de confluences métissées et fierté partagée, pour permettre de questionner les pratiques dites interculturelles, qui ne sont que celles du bon voisinage et de la folklorisation. Aida Kamar, présidente de Vision diversité, en appelle, comme condition du vivre ensemble, à une vision prospective et réfléchie d’une société à bâtir. Si rien n’est acquis, tout est possible, dans le dépassement des frilosités et des réassurances continuellement invoquées dans les frottements épineux du quotidien. Ce fut une belle après midi, qui nous a permis d’écouter et de participer à un début de déconstruction de schèmes incorporés et encore très vivaces dans les représentations et les comportements actanciels ; de percevoir qu’il est possible de sortir des assignations et de s’ancrer dans d’autres espaces de sens, en échappant à la programmatique de la scolarisation, et du processus d'intégration. On relèvera également rapidement l’aspect volontariste de l’introduction, la faiblesse d’un appareillage terminologique encore peu assuré, et qui témoigne de la complexité des phénomènes observés. Enfin, la tension récurrente entre chronos et kairos, temporalités inclusives et moments particuliers de l’universel en chantier. Henri Vieille-Grosjean Professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Strasbourg 3 Le tour du monde en 25 voisins, musiques et récits de l'immigration en Basse Normandie : de 1914 à nos jours, Martial Pardo, Mahjouba Mounaïm, livre-CD, Actes Sud / Théâtre de Caen, 1998 4 www.lefuret.org 9 Synthèse de l’atelier 3 Comment les projets artistiques et culturels font-ils écho aux enjeux de la diversité culturelle et du dialogue interculturel ? L'atelier a été introduit et animé par Danielle Bellini, directrice de projets culturels et chargée de cours en politiques culturelles à l’Université de Paris 7 Diderot. Il rassemblait une quarantaine de participants et quatre intervenants invités à introduire l'atelier Caroline Coll, directrice des affaires culturelles de la Ville de Saint-Ouen, Yan Gilg, metteur en scène, directeur artistique de la Compagnie Mémoires Vives, Monica Guillonet-Gelys, directrice de La Filature à Mulhouse et Laure Perret, de la compagnie « Les Souffleurs ». L’art est par essence fondé sur la relation à l’autre, car l’œuvre d’art est entre autres un moyen de communication entre le créateur et un récepteur (spectateur, public, lecteur,...). Or le passé et les références culturelles de l’un diffèrent forcément – dans une mesure plus ou moins grande – de ceux de l’autre, si bien que l’art implique, dans sa réception au moins, un dialogue interculturel. A partir du moment où le récepteur adhère (sans nécessairement parvenir à les formuler), aux idées qui ont déterminé chez le créateur la conception de l’œuvre, un dialogue s’établit, dont l’œuvre est le médiateur. Partant de ce constat, les projets artistiques sont a priori les mieux à même de susciter un dialogue interculturel. La question qui se pose alors est de savoir comment un projet artistique doit être conçu pour rendre ce dialogue le plus riche et le plus nourri possible et pour créer un socle culturel commun. Depuis la décolonisation, la France a été, plus encore que par le passé, une terre de métissage. Aujourd'hui, de nombreux territoires – qu’ils se situent à l’échelle d’une ville, d’un canton ou d’une région – sont confrontés à la diversité culturelle et au problème qui en découle, à savoir la confrontation de pratiques culturelles diverses, de modes de vie hétérogènes et de valeurs et de représentations très différents. Le problème a été particulièrement sensible dans les banlieues des grandes villes où s’est installée une population immigrée venant principalement des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Mais au fond, il serait très réducteur de ne considérer le problème du dialogue interculturel que sous l’angle du rapport entre la culture occidentale chrétienne et le monde oriental musulman. Il est vrai que l’actualité des vingt dernières années a particulièrement renforcé cette ligne de démarcation, mais même à l’intérieur des différentes cultures de l’Europe – comprise comme l’espace allant de l’Atlantique à l’Oural – la compréhension entre les différentes cultures (religions, langues, us et coutumes…) est loin d’être totale. La réflexion des quatre invités à cet atelier a donc beaucoup gravité autour de la notion de mémoire, car c’est en essayant de se créer un passé commun que l’on peut sereinement essayer de construire l’avenir ensemble. C’est fort de cette conviction que Yan Gilg a créé sa compagnie « Mémoires vives » dont l’objectif est triple : inscrire dans le récit national celui des communautés non-françaises d’origine ; reconnaître sur un pied d’égalité les cultures différentes de la nôtre ; enfin, déconstruire l’histoire coloniale. Son action passe donc par un travail sur les cultures urbaines, car selon Matthieu Schneider, c’est là que se concentre aujourd’hui le maximum de population, que la mixité culturelle est la plus grande et donc que les enjeux pour le dialogue interculturel sont les plus importants. L’art doit donc chercher une forme de métissage, au sens le plus large du terme et commencer de construire une culture commune qui constituera le socle – la « mémoire vive » – d’un futur dans lequel les références culturelles seront partagées pleinement par tous. 10 Ce même travail sur la mémoire a été mené avec succès dans la ville de Saint-Ouen (Seine-SaintDenis), comme en a témoigné avec beaucoup de conviction Caroline Coll. Il a toutefois pris une forme très différente, plus érudite, puisque la commune a décidé de faire appel à des historiens qui ont mené des recherches sur l’histoire des quartiers de la ville, dans le but de créer une mémoire commune, autour des lieux que les différentes cultures se partagent. Des conférences ont ainsi été organisées dans les quartiers, tout autant que des discussions avec d’anciens habitants qui sont venus témoigner de ce qu’était leur quartier il y a quelques décennies. La restitution des recherches a aussi pris des formes ludiques, sous forme de chansons par exemple. Cette opération intitulée « Quartiers en histoire » est une manière d’articuler le dialogue interculturel autour de ce qui unit les habitants d’un même quartier entre eux : à savoir les lieux et leur histoire. La Compagnie Les Souffleurs, sise à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a elle aussi mené un travail autour des lieux, mais sans faire appel à la mémoire. Pour les artistes qui y travaillent, le dialogue interculturel doit avant tout se construire par un détournement du quotidien et des lieux que partagent les différentes communautés. Ce détournement est opéré par l’art, car il s’agit pour la compagnie de “poétiser le territoire”. C’est ainsi que de petits groupes d’artistes sillonnent en permanence le territoire, en essayant de perturber le déroulement quotidien des choses pour interroger les passants sur leur vie et leur environnement. Les Albertvillariens sont partagés en près de quatre-vingt-dix communautés linguistiques différentes, si bien que l’action de la compagnie Les Souffleurs vise plutôt à faire partager à tous les citoyens les mêmes valeurs plutôt que de trouver le dénominateur commun à toutes ces cultures si diverses. Laure Perret a concrètement énoncé quelques actions de la compagnie (créer des zones de chuchotement où les voitures sont poussées, moteur éteint, d’un endroit donné à un autre pendant les heures de pointe, projets « impossibles », organisation de “conseils municipaux du rêves). Autour du rêve, les artistes cherchent à créer une autre relation à l’autre : moins violente, plus respectueuse, plus écologique, plus ouverte… Ce sont donc les valeurs fondamentales d’une société du dialogue et de l’écoute qui servent de socle au projet artistique interculturel dans ce cas. Ce même travail sur le territoire, Monica Guillonet-Gelys l’a mené à Evry où elle était en poste avant de prendre récemment la direction de La Filature à Mulhouse ; elle continue de le mener dans cette ville où les enjeux de l’interculturalité sont particulièrement grands. Les projets artistiques de La Filature se font donc avant tout en direction du public éloigné : éloigné car physiquement loin du centre-ville, ou éloigné car, sur un plan culturel, éloigné des types de spectacle qui sont proposés dans la scène nationale. Ce n’est pas tant le contenu du spectacle qui compte – car là, selon Monica Guillonet-Gelys, seule compte l’excellence du texte et de la mise en scène – que le travail de médiation qui est fait autour du spectacle. Néanmoins, il est aussi important que les différentes cultures – à Mulhouse, on en dénombre pas moins de soixante – puissent se retrouver dans une programmation artistique. C’est ainsi que le Festival Vagamonde (qui a été déplacé d’Evry à Mulhouse) permet de mettre en valeur les artistes de qualité qui œuvrent sur le pourtour du bassin Méditerranée. Une sorte d’écho au festival StrasbourgMéditerranée qui part sur les mêmes bases, mais avec des modalités différentes. L’œuvre d’art a un caractère universel et c’est en vertu de cette universalité qu’elle certainement la mieux placée pour créer du dialogue interculturel. Que ce dialogue produise une mémoire commune, un lieu – même rêvé ou imaginaire – commun ou fasse partager aux spectateurs les mêmes idéaux ou les mêmes valeurs, il atteint à chaque fois son objectif. Les expériences des quatre intervenants tendent à le prouver, même si les vrais résultats ne pourront être mesurés qu’à 11 long terme. C’est donc un chantier de longue haleine dont les politiques ne doivent pas attendre de résultats évaluables concrètement à court terme. La temporalité de l’artistique n’est pas celle du politique. Mathieu SCHNEIDER Maître conférencier en musicologie, Université de Strasbourg 12 Atelier 4 Comment les institutions patrimoniales et les musées se saisissent-ils de la problématique interculturelle ? Dans son introduction, Jean Guibal, directeur du Musée Dauphinois, a souligné combien le patrimoine sous ses deux formes, matérielle et aujourd’hui de manière croissante immatérielle, constitue un champ immense aux institutions aussi diverses que multiples – musées, bibliothèques, monuments… Par nature ou par vocation, parmi les institutions culturelles, les institutions consacrées au patrimoine semblent ainsi être les plus défiantes par rapport à l’enjeu interculturel. Le patrimoine est traditionnellement considéré comme un marqueur des identités culturelles et non pas comme un espace d'ouverture à l’interculturalité. Il est volontiers brandi comme l’étendard de l’identité d’un groupe ou d’un pays. À cet égard, on relève par exemple que les pratiques de classement et d’inscription des Monuments Historiques en France restent inspirées par la loi de 1913, qui impose sans nuance que les protections correspondent à un intérêt national. Dans le même temps, la France signe des conventions internationales sur la diversité culturelle mais ne conçoit pas et ne prend pas en compte l’intérêt régional ou local de certaines protections patrimoniales. Or, Jean Guibal rappelle que le patrimoine ne fait socialement sens que s’il « témoigne des gens ». C’est notamment à ce titre que dès 1982, les populations issues des différentes vagues d'immigrations ont eu droit de cité au Musée Dauphinois. Celui-ci a conçu ses expositions comme une reconnaissance sur le territoire régional de la présence des diverses communautés et de leurs identités gigognes. Jean Guibal conclue son propos en indiquant que les musées de société, à l’exemple du Musée de la Civilisation à Québec par exemple, ont vocation à se saisir de l’interculturel. Luc Gruson évoque mezzo voce la très lente gestation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) à Paris qu’il a conduite de conserve avec son président Jacques Toubon, ancien ministre de la Culture. Si cette institution bénéficie de quatre ministres de tutelles, elle n’a pas encore eu les honneurs d’une inauguration officielle après cinq ans d’existence. La Cité fait figure d’enfant non désiré à certains égards. Avant 1970, les immigrés n’existaient pas dans le paysage culturel et, a fortiori, dans les politiques culturelles. Le rapport de Françoise Gaspard de 19825 sur l’intégration des immigrés appelant à l’interaction culturelle, a inauguré une ère nouvelle. De cette démarche sont nées les thématiques du métissage et du vivre ensemble. Le Musée fédéral d’Ellis Island (édifié par les Américains après la guerre du Viet Nam), qui rend hommage à tous les immigrants et instaure une figure fière de l’immigré venu peupler les EtatsUnis, a servi de référence à la construction de la CNHI. 5 L’information et l’expression culturelle des communautés immigrées en France, bilan et propositions, Françoise Gaspard, rapport à François AUTAIN, secrétaire d’Etat chargé des immigrés, Paris octobre 1982, 68p. 13 Or, la France a particulièrement vocation à produire un tel établissement : 40% des Français ont un ascendant étranger si on remonte à la quatrième génération. Avec la Cité nationale de l'Histoire de l'Immigration, il ne s’est pas agi de construire un musée des diverses communautés mais d’offrir une vision transversale de l’immigration à travers des œuvres d’art, des documents divers, des photos de presse et une galerie des noms, démontrant comment chaque parcours d’immigration est singulier. Nombre d’objets et d’œuvres de la Cité, ont été des dons, à l’image du premier don, l’ouvrage « Les ritals » offert par Cavanna6, qui conte l’histoire de son père Luigi, immigré italien. Le choix d’installer la Cité à Paris a permis de légitimer la problématique. Le choix du Palais de la Porte Dorée indiquait l’inversion des perspectives par rapport à un lieu qui avait été consacré à la colonisation. Xavier de la Selle, président du groupement scientifique IPAPIC (« institutions patrimoniales et pratiques interculturelles ») et directeur à Villeurbanne du Rize, nom d’une petite rivière locale aujourd’hui enfouie, présente la structure qu’il a en charge. Il s’agit d’un projet politique voulu par le maire de Villeurbanne, intéressé personnellement par les questions mémorielles. Ce projet s’inscrit dans un triple objectif de contribuer à la cohésion sociale par le travail de mémoire, de connaitre et faire reconnaitre les mémoires des Villeurbannais et de construire un récit collectif partagé - construit à plusieurs voix à partir des archives, des mémoires des habitants et des travaux des chercheurs associés - qui peuvent y participer. Cette structure atypique est dédiée à la « mémoire ouvrière, multiethnique et fraternelle des villes du 20e siècle », qui puise son sens dans son ancrage à Villeurbanne, considérée comme territoire exemplaire de l’urbanisation de l’ère industrielle. Le Rize explore des thèmes, tous liés entre eux, qui prennent leur signification dans l’histoire de la commune et résonnent encore aujourd’hui, non seulement à Villeurbanne mais aussi à l’échelle de la métropole lyonnaise et au-delà : la Ville de Villeurbanne ; la culture ouvrière et l’immigration. L’histoire de l’immigration est abordée par la mobilisation de thématiques transversales telles que l’habitat, les musiques ou les religions. Xavier de la Selle présente la tenue récente d’une exposition dans sa structure : « Des maisons à Villeurbanne », véritables « récits des maisons »7, qui permettent la création de mémoires à plusieurs voix des lieux villeurbannais. Élisabeth Shimmels, conservatrice du patrimoine et responsable du Musée Alsacien rappelle que ce dernier a été ouvert au public en 1907, qu’il a été mis en liquidation et racheté par la Ville en 1917 et qu’il a été agrandi en 1970 grâce à l’acquisition de deux maisons de riches commerçants. Il reçoit aujourd’hui annuellement près de 58 000 visiteurs par an. Ce musée voué dès les origines à la culture régionale dans l’esprit de Frédéric Mistral et des arts et traditions populaires est plus un « musée de l’âme », un musée de l’intime, une vitrine subjective qui opère comme un miroir magique générant une empathie pour la région. L’interculturel n’en est pas absent comme en témoigne depuis les origines « la salle juive ». Une part essentielle de l’interculturel est toutefois apportée par le public qui établit aisément des rapports entre la figure du dégorgeoir alsacien et le masque de bois africain par exemple. Le Musée alsacien ne saurait renoncer à une de ses dimensions importantes : l’hospitalité. Les personnes accueillies disent souvent éprouver un sentiment de bien être hors du temps, hors de la confrontation. Le musée n’est pas le tout de la culture alsacienne. Il en est une dimension rêvée mais cela ne devrait pas le dispenser de porter son regard dans d’autres dimensions encore de la culture régionale. 6 7 Les Ritals, François Cavanna, éd. Balfond, Paris, 1978 http://lerize.villeurbanne.fr/wp-content/files_mf/cpmaisons.pdf 14 Il fournit un point de repère précieux dans les mondes uniformisés de la vie actuelle. Il pose implicitement la question de la collecte des objets de l’univers domestique d’aujourd’hui et de la mise au point de nouveaux outils de collecte, parmi lesquels les supports numériques peuvent jouer un rôle important. Daniele Jalla, responsable du Musée de la Ville de Turin, évoque l’irruption, il y a une quarantaine d’années du « territorio », le territoire, dans la vie des musées en Italie mais aussi ailleurs en Europe, au moment où était proclamée la clôture du musée d’art à l’ancienne. Depuis 1970, le nombre de musées en Italie est passé de mille à cinq mille. Le musée local est devenu le niveau déterminant d’une diffusion muséale à travers ce pays dés lors considéré lui-même comme le musée des musées. Aujourd’hui, le projet turinois de l’e-musée entre dans un nouvel âge, à travers la constitution d’un musée de la ville en ligne universellement accessible et qui rend compte de la totalité des contenus patrimoniaux de toutes les institutions turinoises – musées, archives, bibliothèques…- appelées à ainsi travailler ensemble. Les visites quotidiennes du site (soit plus de 400 000 en deux ans) accompagnent la possibilité pour tout un chacun de créer une fiche patrimoniale, dont la qualité de l’information est vérifiée par les professionnels compétents. Ce dispositif n’exclut pas le musée matériel mais l’enrichit. La question reste ouverte de savoir s’il peut contribuer à permettre le franchissement actuel du seuil de fréquentation, dans la mesure où, seuls 30% de la population franchit les portes d’un musée au moins une fois par an. Richard Kleinschmager, Professeur de géographie et de géopolitique à l’Université de Strasbourg 15 Atelier 5 Comment la question culturelle se pose-t-elle au quotidien ? Exemples autour du monde du travail et de la santé La question interculturelle émerge dans nos sociétés contemporaines avec l’expérience individuelle et collective du pluralisme (valeurs, cultures, croyances) dans de multiples domaines de la vie quotidienne. La rencontre des cultures se réalise par celle des personnes dans l’entreprise ou dans les institutions et se cristallise sur des pratiques concrètes d’échange de sens et de valeurs. L’ouverture au monde impulsée par la mondialisation contient des risques et des promesses. Si la diversité fait généralement accord, les risques de tensions et de repli sur ses propres certitudes révèlent des résistances et la présence d’une peur de l’autre. Il convient de manipuler l’argument culturel avec précaution, car la tentation est grande de vouloir essentialiser une culture mise en avant comme une justification d’une mise à l’écart sinon d’une relégation des autres, migrants en particulier. Dans la vie sociale, toutes les cultures ne se valent pas : les expressions mêmes de cultures dites « issues de l’immigration » ou « d’origine » imposent une représentation appauvrie des migrants qui occulte l’existence d’autres cultures de ces personnes, professionnelle ou sociale. Les promesses du pluralisme de nos sociétés complexes résident dans la rencontre, ainsi que dans les relations humaines et sociales entre les personnes reposant sur une reconnaissance réciproque. Hicham Benaïssa, chargé d’études et de recherche « diversité et fait religieux » à la Fondation Agir contre l’exclusion et doctorant au GSRL – CNRS, observe un déplacement du fait religieux comme problématique de la sphère publique vers la sphère privée du monde de l’entreprise. Diversité et neutralité composent deux registres de discours opposés qui se contredisent dans la vie quotidienne de l’entreprise. Celle-ci devient un lieu d’affirmation identitaire, où le fait religieux se décline de manière plus visible et dans une invisibilité tacite en même temps. Sous sa fausse neutralité, l’entreprise occupe une place inconfortable et doit se résoudre à réguler le vivre ensemble par l’organisation du travail. Pour Michelle Mielly, anthropologue à l’Ecole de management de Grenoble et consultante en formation interculturelle pour les entreprises, la formation des citoyens à la diversité et à l’interculturalité est aujourd’hui un apprentissage indispensable. L’accès à des capacités collaboratives et à des compétences interculturelles exige un changement de posture de soi et une reconnaissance de la précarité de l’autre. L’approche simplificatrice des questions interculturelles dans l’entreprise bride les capacités d’adaptabilité qui naissent des appartenances dynamiques dans les organisations. Liliana Saban, directrice de Migrations santé Alsace, observe les discriminations dans l’accès aux soins des personnes migrantes et de leurs familles les plus vulnérables, auxquelles on dénie le droit à la diversité par la culture (rejet de tout particularisme) par une rigidité accrue de fonctionnement des services de santé et l’imposition de relations réduites à la dimension technique (soins) et professionnelle de personnes assignées au rôle de patient. L’accompagnement des populations migrantes par des interprètes et la formation des professionnels de la santé à l’interculturalité restent à promouvoir, plus globalement. Ce sont des changements structurels pour une responsabilité partagée qu’il faut envisager dans les établissements hospitaliers. 16 Enfin, dans sa pratique de clinicien dans les consultations de psychothérapie, le psychanalyste Bertrand Piret relève des symptômes de souffrance chez des patients liés au poids de cultures dévalorisées. L’institutionnalisation d’une hiérarchie culturelle au relent néocolonial est ressentie par des migrants qui vivent le mal-être dans l’exil et la difficulté de raconter leur histoire, avec leur langue et leurs mots. Les enjeux interculturels ne se situent pas là où l’on croit : ils se cristallisent en particulier sur les relations intergénérationnelles, entre des parents et des enfants aux cultures différentes et dans une dynamique de reconnaissance de nouvelles identités revendiquées. Les axes de préconisations se dégageant des échanges entre les participants se résument en cinq directions de travail : - la question interculturelle renvoie à celle de la hiérarchisation des cultures et aux inégalités qu’elle masque tout particulièrement dans l’inégale reconnaissance de la légitimité des cultures présentes. De ce fait, il s’agit bien d’une question d’accès aux droits culturels de populations migrantes. La culture renvoie à un processus d’humanisation qui engage des personnes. Il ne s’agit pas d’interroger l’autre, mais de parler de soi et d’apprendre à remettre en question ses certitudes, condition préalable à de nouvelles modalités relationnelles. - Changer le regard sur le particulier : le déni du particulier au nom d’un rejet de tout particularisme produit des effets de dégradation dans l’accès à l’exercice des droits des plus faibles. Il convient au contraire de porter un regard particulier sur le public des migrants, pour donner la possibilité de prendre acte des besoins des plus vulnérables et de faire ainsi évoluer l’exercice du droit commun. Pour avancer vers l’universel et le droit commun, il convient de travailler en reconsidérant les personnes dans leur diversité, à l’instar des associations intervenant dans la santé, le sanitaire et le social. - Remettre en question les modes institutionnels de traitement de la question interculturelle : les modes de soins et de management obéissent de plus en plus à des systèmes d’intervention qui mettent en difficulté les personnes les plus vulnérables, dont les droits fondamentaux ne sont plus assurés : la reconnaissance des personnes dans leur diversité appelle des dispositifs spécifiques, ce qui ne signifie pas stigmatisation, mais au contraire l’assurance d’un accès plus juste aux services. - Reconsidérer la manière dont l’action publique et celle des institutions font usage des arguments culturels : les signes de particularismes culturels - dont la religion et « la culture d’origine » - ne peuvent servir d’instruments de justification pour une politique dite d’intégration qui priverait les individus des moyens de participation et d’expression des valeurs et du sens concret qu’ils donnent aux pratiques sociales de la culture. - L’objectif et l’enjeu d’une formation à l’interculturalité : la citoyenneté passe par des pratiques de rencontres et des interactions socialisatrices porteuses de compétences interculturelles. Construites grâce à l’expérience intersubjective des personnes dans les entreprises et les institutions, ces compétences se forgent dans l’effort d’apprentissage de capacités (capabilities) humaines renouvelées. Josiane Stoessel-Ritz Maître de conférences HDR en sociologie, Université de Haute-Alsace 17 Table-ronde 2 Interculturalité et vivre ensemble dans la cité : quelles perspectives ? La table-ronde, animée par Altay Manço, directeur scientifique de l’Institut de recherche, formation et action sur les migrations (IRFAM), interpelle les chercheurs et praticiens témoignant de la manière de transformer la diversité culturelle en ressources dans nos sociétés. Trois questions étaient adressées aux intervenants : - Quelle gestion de la diversité dans l’espace urbain ? Mise en perspective de politiques urbaines à l’égard des populations immigrées au plan européen - Religions, laïcité, interculturalité : quelles perspectives ? - Comment la société civile s’implique-t-elle dans les politiques interculturelles dans les villes d’Europe ? Le premier intervenant est Maurizio Ambrozini, professeur de sociologie des migrations à l’Université de Milan et responsable scientifique du Centre d’études « Medì-Migrations dans la Méditerranée » à Gênes. Il aborde la question de la diversité culturelle dans l’espace urbain, et en particulier les politiques publiques à l’égard des populations immigrées dans les villes européennes. Son intervention s’appuie sur les résultats d’une recherche menée sur les politiques urbaines à l’égard des populations immigrées dans cinq villes européennes (Bruxelles, Frankfurt, Marseille, Madrid, Manchester) dont trois villes italiennes (Florence, Gênes, Vérone). Pour Maurizio Ambrozini, le discours politique sur le multiculturalisme est aujourd’hui en panne : avec le durcissement des frontières, cette notion a perdu de son attractivité dans les politiques publiques, dont les actions en faveur de l’intégration deviennent plus contraignantes et engageantes (tests de langues, contrats d’intégration pour les nouveaux migrants par exemple). Cependant, les interventions publiques en faveur des minorités s’emboîtent souvent dans une politique pour la cohésion sociale à l’échelle urbaine. La socialisation des populations immigrées a ainsi lieu à un niveau local via la reconnaissance et la gestion des diversités culturelles. Les politiques urbaines ont pris une plus grande importance dans "l’intégration sociale" des populations immigrées. A ce niveau se déroulent des négociations cruciales et complexes de la relation entre "diversité culturelle" et "intégration". D’un certain côté, les initiatives des villes célèbrent l’image multiethnique de la ville (les arts et la création) ou encore se développent en direction de la coopération internationale. D’autre part, les pouvoirs locaux se démarquent des discours nationaux par leur manière de poser la religion dans l’espace public en lien ou non avec le multiculturalisme. Certaines Villes se sont résolument engagées dans une politique multiculturaliste (Francfort), d’autres le font mais de manière implicite (Marseille, Madrid). Le message de l’ouverture au multiculturalisme apparaît mieux lorsqu’il est construit sur le registre de l’esthétique, des expressions artistiques (arts figuratifs, musées), aux arts et traditions populaires (musiques ethniques, gastronomie). Pour M. Ambrozini, c’est la manifestation la plus positive de la politique publique pour le multiculturalisme. Selon Samim Akgönul, historien et politologue de l’université de Strasbourg, il faut mettre en perspective religions, laïcité et interculturalité, des mots qu’il convient de clarifier pour le débat. La religion a trait aux croyances et renvoie dans l’espace public à la gestion des appartenances et de leurs représentations sociales. La laïcité est spécifique à chacun des 47 pays membres du Conseil de l’Europe, elle a trait à l’acceptation sociale légitime de la religion dans l’espace public. Enfin l’interculturalité renvoie aux rapports entre deux entités sociales d’où peut émerger une troisième entité créatrice d’une nouvelle richesse. L’interculturalité s’en nourrit, mais 18 l’interculturalité ne peut dépasser des différences ou des oppositions religieuses irréductibles. En revanche, l’interculturalité peut être promue dans la vie quotidienne. Dans ce cas, elle est crainte de la part des religions qui entendent marquer leur identité spécifique. Jean Hurstel, président de Banlieues d’Europe a quant à lui Ax2 son intervention sur rôle de la société civile dans les politiques interculturelles en Europe. Il fait des propositions qu’il présente comme des postulats à méditer. L’Europe à ses yeux est en guerre contre elle-même, faisant référence à la montée de l’extrême-droite au Nord comme au Sud. Dans les villes, les oppositions se radicalisent entre des quartiers riches et les quartiers de banlieue dont on exhibe l’image d’un « enfer ». C’est pourtant dans ces banlieues que Jean Hurstel voit l’avenir de nos sociétés, dans les ménages pauvres et chez les plus faibles. Il réaffirme l'idée que la culture est lien social, car elle relie l’individu aux autres par l’imaginaire, créant une passerelle entre le champ social et le champ artistique. C’est ainsi que la ville se refait quand elle est démembrée. Banlieues d’Europe y contribue depuis 23 ans, faisant appel à la créativité et à l’imaginaire. Cette perspective s’offre à nous si l’on prend la décision de prendre de la distance vis-à-vis du modèle standard de la consommation et de la diffusion d’une culture de masse ; la réponse est dans l’expérience de la proximité, des habitants et des territoires.Dans le cadre du débat, les participants posent la question à Jean Hurstel : quel modèle de culture faut-il promouvoir ? Il y répond en soulignant qu’il faudra aller au-delà du modèle de l’offre pour ouvrir la porte aux acteurs de la société civile (« ils savent faire de la contrebande »). Les populations migrantes savent aussi créer des actions innovantes (économie, écologie), mais leurs réalisations ne bénéficient pas de la même considération sociale que les plus nantis. La banlieue est une niche qui a besoin d’un soutien pour accompagner l’action des animateurs de culture populaire. A la question posée par un participant sur les acteurs de ce processus dans la ville, Maurizio Ambrosini répond en mettant l’accent sur la différence entre le processus et son impact en termes d’intégration sociale. Les processus prennent racine dans un terreau populaire qui est créatif (chercher des formes de modes de vie plus sobre, inventer des lieux d’échanges alternatifs), mais ils n’ont pas le même impact si ce sont les pauvres qui agissent que s’il s’agit des élites. L’accueil par la société civile des initiatives populaires ne connaît pas le succès réservé aux initiatives portées par des classes plus aisées. Il faut donc remettre en question les représentations sociales de la nouveauté et voir autrement les populations migrantes, populaires, dont l’imagination est porteuse d’ouvertures et de liens. Les associations sont dotées d’un esprit de ruse et sont susceptibles de libérer l’invention sociale et culturelle de ce dialogue, dit interculturel. Table-ronde de clôture Construire la cité de la relation est-il une utopie ? La dernière table ronde réunit principalement des élus de collectivités territoriales. En effet, les pouvoirs locaux sont directement confrontés à la question de l'interculturalité. Comment abordentils concrètement cet enjeu ? Quel est le rôle des collectivités publiques dans la lutte contre les discriminations, pour l'égalité des droits et le renforcement du dialogue interculturel ? Comment mobilisent-elles les acteurs dans le portage de cet enjeu ? De quelles manières peut-on favoriser la reconnaissance des différentes cultures présentes sur le territoire tout en construisant un travail sur des valeurs communes ? En quoi l'Europe repose-t-elle de manière inédite ces questions ? L’animation de la table ronde est confiée à Irina Guidikova , chef de Division du Forum mondial de la Démocratie, responsable du programme « Cités interculturelles » du Conseil de l’Europe 19 Angela Spizig est vice-maire déléguée à la culture de la Ville de Cologne, quatrième ville d’Allemagne avec 1 million d’habitants. Dans un pays où être originaire du Rhin est considéré comme un titre de noblesse, l’histoire nous rappelle que les personnes « de sang mêlé » font l’identité culturelle des habitants de Cologne, même si l’expression identité culturelle n’est pas utilisée en Allemagne. Outre-Rhin, le terme de multiculturel ne convient pas non plus ; il est aujourd’hui remplacé par celui d'interculturel, au sens d’addition positive de différences interactives. Cette expression englobe les populations migrantes, mais aussi les personnes homosexuelles et les personnes handicapées dans un projet qui a pour cible l’inclusion (plus que l’intégration). N’ayant pas d’histoire liée au colonialisme, selon Angela Spizig, l’Allemagne ne connait pas les mêmes problèmes que la France, et se donne les moyens de produire en toute transparence les statistiques sur ces populations sans que cela ne produise un sentiment de discriminations. Angela Spizig précise également que les mots-clés de l’action de la Ville de Cologne sont reconnaissance et solidarités Pour Florian Salazar-Martin, adjoint au maire délégué à la culture de la Ville de Martigues et vice-président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, nos sociétés et nos villes sont bloquées et refusent de voir les changements : il y a toutefois urgence sur notre humanité et une nécessité de reconnaître à la fois le droit à la mobilité et le droit de vote aux étrangers extracommunautaires. Derrière ce « rêve des humanistes », le défi est de réinventer de nouvelles valeurs, d’assumer la complexité anthropologique de nos sociétés contemporaines et de travailler sur la mixité sociale dans l’espace public. Il précise également que ce n’est pas aux politiques culturelles seules de se saisir de ces questions majeures. Eduard Miralles, président d’Interarts de Barcelone, témoigne de la fondation qu’il dirige dans le domaine de la coopération culturelle internationale. Barcelone est une ville de 1,6 millions d’habitants, dont 19% est d’origine étrangère. Migrants et touristes contribuent à changer profondément le profil et l’esprit de cette ville. Les mélanges insolites (touristes/étrangers) sont complexes à décrypter et finissent par produire l’imposition du changement par l’acceptation des personnes « étrangères » (migrants latino- américains ayant un passeport européen). Ces constats montrent qu’il est difficile pour une Ville de suivre une stratégie donnée, mais qu'il convient d’adopter une stratégie accueillante à l'égard des étrangers. Eduard Miralles a proposé quatre niveaux d'action à encourager dans la ville : - être multiculturel, c’est reconnaître formellement toutes les cultures présentes dans la ville ; - être multiculturel, c’est créer des conditions de relation dans l’espace public et dans le temps : cela signifie organiser des rencontres et un calendrier des temps partagés pour décloisonner les manières de vivre ; - développer la conscience et la vigilance pour des droits à la différence est une condition de citoyenneté et de démocratie ; - travailler à la construction d’un projet identitaire partagé, dans des villes où l’identité n’est pas la condition mais le vecteur d’un projet partagé à construire, et qui tient compte des différences de chaque ville. Emmanuel Constant, vice-président délégué à la culture du Conseil général de Seine-Saint-Denis, évoque quant à lui le cas de ce département, le « 93 », un département frappé d’images caricaturales (réserve d’indiens slameurs), territoire d’immigration ancienne et multiple où émergent des formes de racisme. Avec ses 140 nationalités différentes, le territoire de la SeineSaint-Denis ne répond pas aux attentes des discours sur la « mixité sociale » mais se présente 20 comme un terrain de méfiance entre les individus et les communautés qui préfèrent l’entre soi et l’évitement des autres. Emmanuel Constant insiste également sur le fait que ces questions ne peuvent être abordées que par les seules politiques culturelles et qu’il convient de travailler davantage en transversalité, avec les politiques urbaines et les politiques d’éducation notamment. Dans son intervention, Catherine Trautmann, vice-présidente de la Communauté urbaine de Strasbourg et députée européenne, met l’accent sur l’impérieux besoin pour les politiques urbaines de s’emparer de ces questions en intégrant la diversité comme une ressource autant que les droits des citoyens. L’égalité des droits universels interpelle les responsables de la cité, car si les individus sont très différents, ils sont en même temps égaux. Pour Catherine Trautmann, la diversité ne peut exister que s’il y a égalité de traitement. Et la Ville est le lieu où doit s’organiser l’égalité. Elle rappelle que la culture n’est pas un état, mais ouvre sur la construction de possibilités nouvelles par l’expérience « de la vitalité ». Catherine Trautmann voit dans la question de l’identité une forme d’expression ou d’attente de citoyenneté par des valeurs et des liens d’appartenance. Le débat entre les invités s’ouvre sur la manière d’accompagner l'enjeu interculturel de nos sociétés contemporaines. Plusieurs pistes ou réflexions ont été évoquées : - à Cologne, ce sont les enseignants qui sont engagés avec d’autres acteurs du quartier ; ils adoptent une approche décloisonnée qui déborde des cadres scolaires. - En France, selon un participant, le soutien à l’émergence de projets culturels du territoire est important mais se heurte souvent à la non reconnaissance du droit de vote pour les citoyens extracommunautaires. L’espace public apparaît alors comme accaparé par des « bons Français ». - La reconnaissance des lieux historiques de l’immigration dans les villes françaises est à promouvoir dans un projet de vivre ensemble où l’identité de chaque communauté trouve sa place. - Les expériences des participants au débat témoignent d’une expérience contrastée concernant la place donnée à la culture, sa reconnaissance et son impact sur le vivre ensemble dans un quartier. Les lieux de tensions entre les communautés interpellent les acteurs qui partagent une même question : comment intéresser les gens à la ville ? - Eduard Miralles souligne le besoin pour une Ville comme Barcelone d’un pilotage de la collectivité sur des projets portant sur la diversité, les droits citoyens et les droits culturels et d'un engagement des acteurs pour poser la relation sociale comme source de transformation. - Une autre question que se posent les acteurs et les participants au débat porte sur la façon de rencontrer les habitants. Comme en témoigne une artiste présente dans la salle, « il faut prendre au sérieux des citoyens », ceux-là mêmes qui se sentent relégués dans les quartiers populaires. - L’un des vecteurs de progrès vers le vivre ensemble concerne l’usage et la reconnaissance des langues, première marque de reconnaissance culturelle. Les intervenants s’accordent sur ce point : la construction des rencontres interculturelles suppose des efforts pour la reconnaissance des langues (comme une peau ou un masque) dans un projet d’ouverture par des échanges (arts et traditions) qui offre un terrain de dialogue avec les autres. - Le débat met aussi en avant la priorité démocratique et citoyenne de politiques qui visent à mieux articuler la dimension des valeurs, aux projets et aux pratiques sur le terrain. - Enfin, les intervenants partagent l’idée qu’il ne suffit pas de faire un diagnostic sans se remettre soi même en question et apprendre à coopérer autrement, pour inventer de nouveaux modèles afin de contribuer au renouvellement du bien commun dans la cité de demain. 21 En guise de conclusion Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles, formule ainsi l’enjeu posé tout au long des deux journées du colloque : comment faire de la ville-monde singulière, une ville accueillante du monde ? Pour y répondre, les Rencontres de Strasbourg ont invité à déconstruire les catégories du débat et à se défaire des représentations qui nourrissent idéologies et oppositions radicales. Pour s’orienter vers des dynamiques interculturelles, il convient autant d’éviter les pièges d’une identité mortifère que de prendre pour modèle un système à « fabriquer de l’interculturel ». Jean-Pierre Saez nous invite à repenser l’individu et les communautés dans la cité, considérant que l’appartenance choisie ou revendiquée de tout individu n’est ni exclusive ni figée. Elle s’appuie sur l’expérience d'une personne dans la ville et de l’imaginaire de la ville : les droits culturels des personnes trouvent dans les lieux culturels ouverts un espace disponible à l’invention de relations humaines et citoyennes. Cette question appelle une action de gouvernance pour plus de démocratie, où la place et le rôle de chacun est en jeu et mérite d’être volontairement soutenu. C’est pourquoi la formation des acteurs, agents des collectivités et des personnes est une condition pour garantir l’égalité des droits (maîtrise de la langue) et la liberté de chacun dans la diversité. C’est, comme conclut Daniel Payot, adjoint au maire en charge des affaires culturelles de la Ville de Strasbourg, le défi de nos villes qui doivent être le creuset d’un modèle de relation par l’expérience de la ville, lieu de coexistence et d’émancipation. 22