Synthèse - colloque 4-5 avril 2013 Strasbourg

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Ville de Strasbourg
Observatoire des politiques culturelles
Synthèse du colloque
CONSTRUIRE LA CITE DE LA RELATION
L'ENJEU INTERCULTUREL DANS LES VILLES D'AUJOURD'HUI
Rencontres organisées par la Ville de Strasbourg sous l’impulsion
du Conseil des résidents étrangers, dans le cadre de l’année « Strasbourg cosmopolite
2013 » et avec la collaboration de l’Observatoire des politiques culturelles
Jeudi 4 et vendredi 5 avril 2013 – Cinéma l'Odyssée à Strasbourg
Synthèse de Josiane Stoessel-Ritz maître de conférences HDR en sociologie
Université de Haute-Alsace
Novembre 2013
Observatoire des politiques culturelles
Sommaire
Sommaire ............................................................................................................................................2
Ouverture ............................................................................................................................................3
Table-Ronde d’ouverture ..............................................................................................................4
Cultures, identités, altérités : comment faire société dans le monde d’aujourd’hui ?
.................................................................................................................................................................4
Atelier I.................................................................................................................................................6
Culture régionale, culture nationale, cultures issues de l’immigration et
plurilinguisme : quelles pratiques ? Quels enjeux ?.............................................................6
Atelier 2................................................................................................................................................8
Quel projet d'éducation aux pratiques interculturelles ? ..................................................8
Synthèse de l’atelier 3.................................................................................................................. 10
Comment les projets artistiques et culturels font-ils écho aux enjeux de la
diversité culturelle et du dialogue interculturel ?............................................................. 10
Atelier 4............................................................................................................................................. 13
Comment les institutions patrimoniales et les musées se saisissent-ils de la
problématique interculturelle ?............................................................................................... 13
Atelier 5............................................................................................................................................. 16
Comment la question culturelle se pose-t-elle au quotidien ? Exemples autour du
monde du travail et de la santé ................................................................................................ 16
Table-ronde 2.................................................................................................................................. 18
Interculturalité et vivre ensemble dans la cité : quelles perspectives ? .................... 18
Table-ronde de clôture................................................................................................................ 19
Construire la cité de la relation est-il une utopie ?............................................................ 19
En guise de conclusion................................................................................................................. 22
2
Ouverture
Les Rencontres de Strasbourg sont d'emblée placées sous le signe de la diversité et de
l’interculturalité par Faruk Günaltay, qui accueille les participants dans un lieu centenaire et
emblématique, celui de l’Odyssée, cinéma de la Ville de Strasbourg qu'il dirige. Dans son
allocution, le Maire de Strasbourg, Roland Ries, précise que la question de l’interculturalité
répond à Strasbourg à des préoccupations concrètes de la ville : comment, en effet, vivre
l’interculturalité comme une menace dans une ville qui est lieu historique de brassages et de
passages ? La tentation d’une fermeture sur soi existe aujourd’hui à Strasbourg comme ailleurs.
En Alsace, elle n’est pas nouvelle : l’entre-deux-guerres a notamment été un terrain propice à des
mouvements autonomistes tentés par une idéologie aux relents nationalistes, sinon racistes. Cette
histoire laisse des traces dans la capitale européenne qui déclare aujourd’hui son ouverture pour
construire ensemble un monde commun.
L’introduction de Jean-Pierre Saez, directeur de l'Observatoire des politiques culturelles, invite au
débat : comment la diversité culturelle peut-elle devenir une source de cohésion sociale ? Il incite
à sortir des déclarations d’intention pour prendre part au débat sur des questions concrètes
(proximité, quotidien) et souligne que l’organisation de telles rencontres est encore trop rare
aujourd’hui en France. Il faut se féliciter qu'une ville-monde, Strasbourg, s’engage à créer des
lieux de dialogue pour inviter les acteurs de la société civile dans toute leur diversité à s’emparer
de la question de la diversité comme un potentiel de ressources créatives qui nourrissent un projet
plus global de vivre ensemble. Dans une époque de transition, entre un monde passé et un monde
nouveau à construire, les transformations s’accélèrent en même temps que s’affirment les attentes
de repères ; l’appétit de reconnaissance nourrit des revendications identitaires qui ne pourront
suffire en soi, mais appellent la relation aux autres (comme altérité) comme une force
régénératrice. Ce processus de « créolisation du monde » (pour reprendre les termes d'Edouard
Glissand) est aussi celui de la reconstruction de la cité, au contact et en relation avec les autres ; il
est source d’apprentissage de nouvelles compétences.
Avant d'ouvrir les débats avec la première table ronde, le documentaire « la diversité, une richesse
à partager » est projeté. Il s'agit d'une production du Comité des peuples du quartier
strasbourgeois de la Meinau (2007), dont le président Claude Heckel expose le chemin accompli
depuis 1992 par les habitants du quartier (50 nationalités, 17 000 habitants) depuis la première
Fête des peuples : au-delà des violences et des misères, cette fête crée un lieu nouveau de
convivialité où l’on apprend à vivre ensemble, où les différences sont reconnues parce que chacun
est mis à pied d’égalité. Le dialogue rendu possible entre les gens a produit un effet d’apaisement
dans le quartier.
3
Table-Ronde d’ouverture
Cultures, identités, altérités : comment faire société dans le monde d’aujourd’hui ?
La sociologue Anne-Marie Autissier, animatrice de la table ronde, propose comme fil rouge
d’interroger la signification des mots qui jalonneront le débat au cours de ces deux journées de
réflexions (dialogue, diversité, interculturalité, multiculturalité) et de les replacer dans leur
contexte.
L'intervention du sociologue et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales
(EHESS) Michel Wiewiorka met l’accent sur la complexité du débat culturel en France, débat qui
focalise de multiples enjeux pesants et sont sources d’incompréhension. Il rappelle que
l’apparition des minorités et de la question des identités dans nos démocraties européennes
remonte aux années 1960, avec la naissance des régionalismes. Dans la décennie 1970, le débat
concerne l’immigration des pays arabes et musulmans, soit une immigration de peuplement
(Hessel) et non de travail. L’islamophobie émerge dans nos sociétés, et l’on pensait alors que le
multiculturalisme pouvait traiter la « grande affaire de l’Islam ». Le fait nouveau à considérer
dans ces années concerne une religion qui est déterritorialisée (l’Islam). En France, au cours des
années 1980, on découvre un racisme culturel qui vise le Maghreb ; le phénomène se complique
quand les victimes ont tendance à s’auto-racialiser. Si l’idée du multiculturalisme a réussi à
s’imposer ailleurs (Grande-Bretagne, Canada), il est un échec en France. Selon Michel Wieviorka,
il convient de penser autrement pour sortir de l’impasse entre l’essentialisme qui institue les
différences et les tenants du communautarisme qui plaident la reconnaissance des ancrages locaux
des populations. Michel Wiewiorka propose une approche renouvelée de la question des cultures
et des identités, en s’intéressant à « la production des individus ». Parler de diversité en soi n'est
pas suffisant. Cette notion ne doit pas occulter l'importance dans ce débat des inégalités sociales et
de la capacité des individus eux-mêmes à changer au cours de leur vie ; l’assignation à des places
ou à des identités par d’autres ne peut être admise. Il conclut son propos en mettant en avant le
besoin de l’individu d’apprendre à maîtriser ses propres expériences, à inventer des mélanges et à
contribuer lui-même à l’interculturalité dans le double respect, des valeurs universelles et des
valeurs particulières.
Pour Patrice Meyer-Bisch, coordonnateur de l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de
l'homme de la chaire UNESCO des droits de l'homme et de la démocratie (Université de
Fribourg), « les droits culturels disent l’espace public ». Plutôt que de parler de différence
culturelle, il nous invite à considérer les références culturelles pour penser le rapport dialectique
entre le particulier et l’universel et pour comprendre comment se construit la singularité de chaque
individu. Ces ressources sont proposées dans la ville où les personnes échangent et entrent en
contact entre elles ; les individus se reconnaissent réciproquement par des valeurs. Pour Patrice
Meyer-Bisch, il s’agit de clarifier l’importance des droits culturels dans l’ensemble des droits
civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, tels qu’ils sont reconnus dans les instruments
internationaux et ce, depuis la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (1947). La
citoyenneté s’expérimente chaque jour dans sa dimension culturelle par des rencontres, sources de
liens et d’interrelations avec d’autres, qui créent un partage de valeurs au sein d’une communauté
politique dans la cité. L’exercice des droits culturels par chacun ouvre de nouvelles connexions,
qui sont des possibilités de communiquer (selon sa langue, son appartenance religieuse, son
groupe d’appartenance), et au sein desquelles chaque personne invente librement de manière
créative et proactive sa façon d’établir un dialogue culturel. Chaque personne participe librement
et exerce sa responsabilité vis-à-vis des autres. Chacun est ainsi un « connecteur », quelqu’un qui
4
« tisse » des liens dont l’essentiel réside dans la dynamique de réciprocité comme une force de
solidarité.
Salah Oudahar quant à lui représente un collectif d’acteurs et souhaite faire état de son expérience
à travers le Festival Strasbourg Méditerranée, une manifestation qui a vu le jour en 1999 et dont il
est directeur. L’histoire de ce projet justifierait un travail d’évaluation pour rendre compte des
métamorphoses opérées depuis 1990, par des initiatives autour de la mémoire de l’immigration,
jusqu’à aujourd’hui où la question centrale posée par ce collectif porte sur la reconnaissance de la
citoyenneté des étrangers et de leurs droits sociaux, culturels et politiques. Le Festival Strasbourg
Méditerranée vise à créer une plateforme pour une meilleure lisibilité de questions faisant débat :
c'est ainsi qu'en 2003, le thème de l’hospitalité et de l’accueil de l’autre a été le fil conducteur du
festival. La question des nouvelles identités, entre déterminations et émancipation a été mise en
valeur en 2005. En 2013, le thème du festival était celui des métissages. Tous ces sujets sont posés
dans le débat public et réappropriés collectivement. Ce projet appelle une reconnaissance dans la
vie de la cité. Pour Salah Oudahar, construire une communauté de citoyens demande à construire
ensemble « les communs ». Au fond, l’enjeu est de soutenir la force de création et de
renouvellement de la relation sociale. Quelle politique publique sera à même de s’emparer de ces
questions et de sortir d’un discours « technocratique » sur la reconnaissance ?
Les participants au débat qui a suivi ont d'abord formulé quelques commentaires : ainsi le
traitement de la question culturelle ne peut se concevoir sans une meilleure articulation entre le
social, le culturel et le politique. A propos du social, l’un des participants considère que
l’interculturel ne peut être réduit à un processus de changement, il faudrait insister sur les
antagonismes et les inégalités sociales. Les interventions ont également mis l’accent sur la
question de la pauvreté, l’absence de moyens matériels, qui se double d’une absence de
reconnaissance de celle-ci, sinon de violation du droit culturel. D’autre part, les participants ont
interrogé les intervenants : comment distinguer le particulier de l’universel ? Comment intervenir
dans la gestion de questions qui touchent à l’ethnicisation ? Interpellé sur la question du
particulier et de l’universel, Michel Wiewiorka propose de définir des critères de distinction pour
tout ce qui relève du particulier : que signifie le port du voile pour les femmes voilées, rarement
interrogées ? Pour les critères relevant de l’universel, qui sont au contraire valables pour tous, il
évoque le principe du droit et de la raison. Il conclut en soulignant que les acteurs demandent des
droits et que, derrière les mouvements sociaux, il convient de voir des individus que l’on doit
prendre en considération et de ne pas tomber dans le piège de « la question de l’Islam » qui biaise
et écrase toutes les autres questions.
5
Atelier I
Culture régionale, culture nationale, cultures issues de l’immigration et plurilinguisme :
quelles pratiques ? Quels enjeux ?
L’atelier était intitulé « Culture régionale, culture nationale, cultures issues de l’immigration et
plurilinguisme : quelles pratiques et quels enjeux ? ». Nous avions oublié la culture européenne ;
nous l’avons réintégrée. Cet oubli aurait été fâcheux ici à Strasbourg.
Notre débat s’est fortement nourri des interrogations de la table ronde d’ouverture grâce au fil
rouge tissé tout au long de la matinée et qui tournait autour de l’importance, du rôle, du statut de
la personne dans l’interculturalité, du sens donné aux mots, de l’effort requis qui n’est pas qu’une
curiosité pour la culture et la langue d’autrui. Nous n’avons pas non plus oublié le poids de
l’histoire, de la religion et la disparité sociale dans le débat sur le dialogue interculturel, ni le
légitime désir de reconnaissance des parties en présence.
Muni d’un tel viatique, notre débat ne pouvait être que riche et il le fut en effet sous la conduite
ferme et éclairée de Ghislaine Glasson Deschaumes directrice de la revue Transeuropéennes et
avec les apports érudits, concrets voire incarnés d’Abraham Bengio (directeur général adjoint de
la Région Rhône-Alpes), Philippe Charrier (directeur des médiathèques de Strasbourg), JeanMarie Woerling (président de Culture et bilinguisme) et Muharrem Koç (directeur de l’ASTU). Si
nous sommes convaincus de l’atout que représente le plurilinguisme qui permet d’aller plus loin
dans le dialogue interculturel, il nous a fallu poser la question du statut des langues en présence,
de leur égalité ou plutôt de leur inégalité, du prisme républicain par lequel nous les considérons,
de leur coexistence avec le français, langue dominante et peu partageuse, sous la forme d’une
coexistence qui ignore, affronte et parfois heureusement, dialogue.
Dans notre réflexion, langue et culture sont confondues. Nous les avons présentés indistinctement,
convaincus que la langue est porteuse de culture et que pour illustrer ce paradoxe qui n’est
qu’apparent, la langue est fille des œuvres. Que serait l’hébreu sans la Bible, l’arabe sans le
Coran, l’italien sans la Divine Comédie et l’Allemand sans la Bible de Luther ? Langues en
contact donc, en échange, en évolution constante comme la traduction qui nous permet de
dépasser l’enfermement d’un intérieur délimité, de se tenir à la frontière, de les transgresser,
d’entrer en relation.
Mais nous ne sommes ni naïfs ni dupes. Nous nous souvenons que Babel est une malédiction et
que pour des raisons constitutionnelles, la France ne ratifiera pas la Charte des langues régionales
et minoritaires. Nous savons que la langue de l’étranger est parfois une langue de cave, enseignée
dans les sous-sols. Nous nous rendons bien compte que malgré leur bonne volonté, les agents de
nos collectivités ne sont ni formés ni rompus à l’exigence du multilinguisme, que l’Education
nationale en est bien loin aussi, que la culture de la République est rétive, que nos langues
régionales se sentent parfois menacées par les langues d’immigration, quand elles ne se sentent
pas quasiment disparaître comme ici en Alsace, que dans cette même région, l’interculturalité ne
se définit plus en fonction de cette référence, naguère incontournable, de l’identité alsacienne qui
ne cessait de s’interroger sur sa part française et sa part allemande. Que l’on peut être Turc en
Alsace depuis des décennies et donc Alsacien comme les autres.
6
Bref, les obstacles semblent nombreux et pourtant, aucun n’est insurmontable. Quelques exemples
et préconisations rassurantes ont été entendus dans ce très tonique atelier :
lors de la signature de la Charte des langues régionales et minoritaires, le 7 mai 1999, la
France « envisage [...] de s'engager à appliquer certains ou tous les paragraphes ou alinéas
suivants de la partie III de la Charte » (39 sur les 98 que compte la Charte). Si la ratification
n’est pas constitutionnellement possible, utilisons tous les interstices et notamment les 39
engagements les concernant qui eux, sont constitutionnels ;
engageons-nous pour une loi qui fonde une politique linguistique reposant autant sur les
langues autochtones que sur les langues non territoriales1 ;
insistons sur l’âge tendre de l’apprentissage préscolaire ;
emparons-nous de la connaissance des œuvres et des cultures, utilisons pour cela les espaces
de revendications existants ou à créer, ces lieux de rencontre, de convivialité, de lien social et
de tension aussi que sont les médiathèques. Formons nos agents à ce dialogue interculturel,
donnons-leur les moyens culturels de répondre à la demande, interrogeons-nous sur les
limites du statut de la fonction publique qui ne laisse aucune possibilité à un étranger de
postuler à une fonction de responsabilité, encourageons et renforçons ce qui déjà se fait bien
et utilement : Internet, TV Monde, fonds documentaires en langues étrangères, manifestations
littéraires, Festival de la Méditerranée, pôle de littérature européenne etc.… Il suffit
d’écouter : il y a de la polyphonie dans les rayonnages de nos bibliothèques ;
s’il est relativement facile de trouver un bouc émissaire, pouvoirs publics, Education
nationale qui nous fait parfois frémir quand elle nous soutient qu’il n’y a pas de demande
alors qu’il n’y pas d’offre, n’oublions pas que tous les acteurs sont concernés, vous, nous, les
familles, les associations. Rappelons-le, le droit culturel est une conquête ;
notons que les langues régionales et celles issues de l’immigration ne sont pas fatalement en
concurrence, surtout pas en matière de victimisation. Il ne s’agit pas de savoir quelle est la
plus mal lotie, mais comment, ensemble, elles peuvent accéder au rang et à la dignité qui est
la leur au sein d’un projet régional. Au moment où l’Alsace s’interroge sur son avenir, donc
sur son identité au travers d’un referendum, voilà un élément de programme tout à fait
acceptable et recevable ;
pour en revenir à une préoccupation plus linguistique, celle de la traduction que nous avons
insuffisamment traité en séance plénière, essayons, puisqu’elles coûtent cher, nous obligeant
soit d’être francophone soit de parler un anglais approximatif, de développer la capacité de
traduction de chacun.
Durant cet atelier, nous n’avons pas vu le temps passer. L’atelier était trop court malgré les trois
heures passées ensemble et nous avions encore tant de choses à nous dire. Mais il nous a donné
l’envie de poursuivre la réflexion, de nous engager même. Autrement dit, nous avons essayé
d’illustrer cette admirable formule de Patrice Meyer Bisch : « Ma peau, c’est ma culture ».
Remplacez peau par langue - ma langue, c’est ma culture -, ma puissance culturelle, c’est cette
capacité à toucher et d’être touché, capacité d’impressionner et d’être impressionné.
Gabriel Brauener
Ancien directeur général adjoint de la Ville de Colmar
1
Cf. également :
http://conventions.coe.int/treaty/Commun/ListeDeclarations.asp?NT=148&CM=1&DF=&CL=FRE&
VL=0
7
Atelier 2
Quel projet d'éducation aux pratiques interculturelles ?
L’atelier est présenté par Jean-François Chaintreau, administrateur civil et ancien chef de service
de la coordination des politiques culturelles et de l’innovation au ministère de la Culture et de la
Communication, comme référé à un contexte d'échange de pratiques réflexives, qui devraient
interroger, par leur pertinence, les espaces d'engagement de l’Etat et des collectivités locales et
territoriales :
- Comment gérer l’espace-monde, dans sa complexité et les différences qu’il donne à voir dans la
gestion du quotidien ?
- Quel projet mettre en place qui respecte l’enjeu sociétal du vivre ensemble ?
- Quelles sont les valeurs communes à construire ?
- Peut-on parler de cultures mobiles en inscrivant la diversité culturelle comme richesse à
partager ?
- Dans une approche prospective du métissage, quid de la fonction éducatrice et socialisatrice de
la ville ?
- De l’assignation réductionniste au « bienvenue chez vous », quels sont les enjeux et les possibles
du vivre ensemble ?
Différents exposés liés à cette introduction thématique ont permis ensuite aux participants de
rentrer dans les espaces des pratiques.
Un retour d’abord, sur un projet de recherche européen coordonné par l’Institut universitaire
européen de Florence, et visant à explorer la notion de tolérance face à la diversité culturelle,
ethnique et religieuse dans 15 pays de l’Union européenne2. L’étude questionnait notamment
l’inclusion de l’histoire de l’immigration dans les programmes d’histoire. Chargée du projet
européen « Accept pluralism » pour la France (CERI-Science po), Angéline Escafré-Dublet a
présenté les attendus de la commande, la méthodologie et les conclusions de cette étude :
- évaluer la tolérance sociétale et la reconnaissance de la présence plurielle et de son histoire, dans
la programmation d’une histoire unificatrice ;
- interroger la tension existante entre le récit national, renvoyant au centralisme républicain, et
l’ancrage dans des histoires multiples, de migrations et d’installation, entre « présentisme »
assignation.
A cet endroit, quelques réflexions glanées au cours de la présentation et du débat peuvent être
reformulées : peut-on parler de « vagues migratoire » ? (cf. pateras et passeport de lapin). Peut-on
procéder à une intégration de la pluralité en pluralisant les contenus (référentiels et
d’enseignements) ? Quelles sont les références épistémologiques du discours, entre sécularisme et
laïcité, tolérance et acceptation, histoire et mémoire, relativisme de la norme et référence aux
appartenances ?
2
http://www.accept-pluralism.eu/Home.aspx
8
Dans un autre exposé, Martial Pardo, directeur l’Ecole nationale de musique (ENM) de
Villeurbanne, nous a conduit à faire Le tour du monde en 25 voisins3 et découvrir une ville à la
fois conservatoire et éducatrice. L’ENM est présentée comme un espace de réciprocité qui invite à
se projeter, de l’assignation aux différentes formes de dualité, vers le triangle de la sidération,
représenté par les découvertes voyageuses. Voyage intérieur de l’apprivoisement de soi-même
comme « ipse » interculturel, et voyage dans le voisinage des instruments de musique et de leurs
musiciens.
Richesse de l’expérience, conviction et passion, « il jouait du piano debout » pour nous emmener
de la surprise à quelques épiphanies…
Autre référence amenée par Marie-Nicole Rubio, autre pratique et autre chanson, celle du
« Furet », association de Mulhouse qu’elle dirige, au contact de familles et s’adressant à « la petite
enfance en 14 langues »4. L’objectif de l’association est en effet de lutter contre les phénomènes
d'exclusion, de discrimination notamment dans le secteur de l'Enfance et de la Petite Enfance.
Tout ceci, avec et par l’intermédiaire des parents, qui apprennent à passer de leur rôle
d’accoucheurs à une posture d’éducateurs, puisqu’ils sont invités à prendre place, à prendre leurs
places, mères chanteuses et apprenant l’exil et la survie.
Enfin, dernier voyage, permis par la technologie de la distance, le Québec, qui s’interroge sur le
« nous », lorsqu’il faut conjuguer « Nos Origines, Une Société » (N.O.U.S). Découvertes de
confluences métissées et fierté partagée, pour permettre de questionner les pratiques dites
interculturelles, qui ne sont que celles du bon voisinage et de la folklorisation. Aida Kamar,
présidente de Vision diversité, en appelle, comme condition du vivre ensemble, à une vision
prospective et réfléchie d’une société à bâtir.
Si rien n’est acquis, tout est possible, dans le dépassement des frilosités et des réassurances
continuellement invoquées dans les frottements épineux du quotidien.
Ce fut une belle après midi, qui nous a permis d’écouter et de participer à un début de
déconstruction de schèmes incorporés et encore très vivaces dans les représentations et les
comportements actanciels ; de percevoir qu’il est possible de sortir des assignations et de s’ancrer
dans d’autres espaces de sens, en échappant à la programmatique de la scolarisation, et du
processus d'intégration.
On relèvera également rapidement l’aspect volontariste de l’introduction, la faiblesse d’un
appareillage terminologique encore peu assuré, et qui témoigne de la complexité des phénomènes
observés. Enfin, la tension récurrente entre chronos et kairos, temporalités inclusives et moments
particuliers de l’universel en chantier.
Henri Vieille-Grosjean
Professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Strasbourg
3
Le tour du monde en 25 voisins, musiques et récits de l'immigration en Basse Normandie : de 1914 à
nos jours, Martial Pardo, Mahjouba Mounaïm, livre-CD, Actes Sud / Théâtre de Caen, 1998
4
www.lefuret.org
9
Synthèse de l’atelier 3
Comment les projets artistiques et culturels font-ils écho aux enjeux de la diversité
culturelle et du dialogue interculturel ?
L'atelier a été introduit et animé par Danielle Bellini, directrice de projets culturels et chargée de
cours en politiques culturelles à l’Université de Paris 7 Diderot. Il rassemblait une quarantaine de
participants et quatre intervenants invités à introduire l'atelier Caroline Coll, directrice des
affaires culturelles de la Ville de Saint-Ouen, Yan Gilg, metteur en scène, directeur artistique de la
Compagnie Mémoires Vives, Monica Guillonet-Gelys, directrice de La Filature à Mulhouse et
Laure Perret, de la compagnie « Les Souffleurs ».
L’art est par essence fondé sur la relation à l’autre, car l’œuvre d’art est entre autres un moyen de
communication entre le créateur et un récepteur (spectateur, public, lecteur,...). Or le passé et les
références culturelles de l’un diffèrent forcément – dans une mesure plus ou moins grande – de
ceux de l’autre, si bien que l’art implique, dans sa réception au moins, un dialogue interculturel. A
partir du moment où le récepteur adhère (sans nécessairement parvenir à les formuler), aux idées
qui ont déterminé chez le créateur la conception de l’œuvre, un dialogue s’établit, dont l’œuvre est
le médiateur. Partant de ce constat, les projets artistiques sont a priori les mieux à même de
susciter un dialogue interculturel. La question qui se pose alors est de savoir comment un projet
artistique doit être conçu pour rendre ce dialogue le plus riche et le plus nourri possible et pour
créer un socle culturel commun.
Depuis la décolonisation, la France a été, plus encore que par le passé, une terre de métissage.
Aujourd'hui, de nombreux territoires – qu’ils se situent à l’échelle d’une ville, d’un canton ou
d’une région – sont confrontés à la diversité culturelle et au problème qui en découle, à savoir la
confrontation de pratiques culturelles diverses, de modes de vie hétérogènes et de valeurs et de
représentations très différents. Le problème a été particulièrement sensible dans les banlieues des
grandes villes où s’est installée une population immigrée venant principalement des pays
d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Mais au fond, il serait très réducteur de ne considérer le
problème du dialogue interculturel que sous l’angle du rapport entre la culture occidentale
chrétienne et le monde oriental musulman. Il est vrai que l’actualité des vingt dernières années a
particulièrement renforcé cette ligne de démarcation, mais même à l’intérieur des différentes
cultures de l’Europe – comprise comme l’espace allant de l’Atlantique à l’Oural – la
compréhension entre les différentes cultures (religions, langues, us et coutumes…) est loin d’être
totale.
La réflexion des quatre invités à cet atelier a donc beaucoup gravité autour de la notion de
mémoire, car c’est en essayant de se créer un passé commun que l’on peut sereinement essayer de
construire l’avenir ensemble. C’est fort de cette conviction que Yan Gilg a créé sa compagnie
« Mémoires vives » dont l’objectif est triple : inscrire dans le récit national celui des
communautés non-françaises d’origine ; reconnaître sur un pied d’égalité les cultures différentes
de la nôtre ; enfin, déconstruire l’histoire coloniale. Son action passe donc par un travail sur les
cultures urbaines, car selon Matthieu Schneider, c’est là que se concentre aujourd’hui le
maximum de population, que la mixité culturelle est la plus grande et donc que les enjeux pour le
dialogue interculturel sont les plus importants. L’art doit donc chercher une forme de métissage,
au sens le plus large du terme et commencer de construire une culture commune qui constituera le
socle – la « mémoire vive » – d’un futur dans lequel les références culturelles seront partagées
pleinement par tous.
10
Ce même travail sur la mémoire a été mené avec succès dans la ville de Saint-Ouen (Seine-SaintDenis), comme en a témoigné avec beaucoup de conviction Caroline Coll. Il a toutefois pris une
forme très différente, plus érudite, puisque la commune a décidé de faire appel à des historiens qui
ont mené des recherches sur l’histoire des quartiers de la ville, dans le but de créer une mémoire
commune, autour des lieux que les différentes cultures se partagent. Des conférences ont ainsi été
organisées dans les quartiers, tout autant que des discussions avec d’anciens habitants qui sont
venus témoigner de ce qu’était leur quartier il y a quelques décennies. La restitution des
recherches a aussi pris des formes ludiques, sous forme de chansons par exemple. Cette opération
intitulée « Quartiers en histoire » est une manière d’articuler le dialogue interculturel autour de ce
qui unit les habitants d’un même quartier entre eux : à savoir les lieux et leur histoire.
La Compagnie Les Souffleurs, sise à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a elle aussi mené un
travail autour des lieux, mais sans faire appel à la mémoire. Pour les artistes qui y travaillent, le
dialogue interculturel doit avant tout se construire par un détournement du quotidien et des lieux
que partagent les différentes communautés. Ce détournement est opéré par l’art, car il s’agit pour
la compagnie de “poétiser le territoire”. C’est ainsi que de petits groupes d’artistes sillonnent en
permanence le territoire, en essayant de perturber le déroulement quotidien des choses pour
interroger les passants sur leur vie et leur environnement. Les Albertvillariens sont partagés en
près de quatre-vingt-dix communautés linguistiques différentes, si bien que l’action de la
compagnie Les Souffleurs vise plutôt à faire partager à tous les citoyens les mêmes valeurs plutôt
que de trouver le dénominateur commun à toutes ces cultures si diverses. Laure Perret a
concrètement énoncé quelques actions de la compagnie (créer des zones de chuchotement où les
voitures sont poussées, moteur éteint, d’un endroit donné à un autre pendant les heures de pointe,
projets « impossibles », organisation de “conseils municipaux du rêves). Autour du rêve, les
artistes cherchent à créer une autre relation à l’autre : moins violente, plus respectueuse, plus
écologique, plus ouverte… Ce sont donc les valeurs fondamentales d’une société du dialogue et
de l’écoute qui servent de socle au projet artistique interculturel dans ce cas.
Ce même travail sur le territoire, Monica Guillonet-Gelys l’a mené à Evry où elle était en poste
avant de prendre récemment la direction de La Filature à Mulhouse ; elle continue de le mener
dans cette ville où les enjeux de l’interculturalité sont particulièrement grands. Les projets
artistiques de La Filature se font donc avant tout en direction du public éloigné : éloigné car
physiquement loin du centre-ville, ou éloigné car, sur un plan culturel, éloigné des types de
spectacle qui sont proposés dans la scène nationale. Ce n’est pas tant le contenu du spectacle qui
compte – car là, selon Monica Guillonet-Gelys, seule compte l’excellence du texte et de la mise
en scène – que le travail de médiation qui est fait autour du spectacle. Néanmoins, il est aussi
important que les différentes cultures – à Mulhouse, on en dénombre pas moins de soixante –
puissent se retrouver dans une programmation artistique. C’est ainsi que le Festival Vagamonde
(qui a été déplacé d’Evry à Mulhouse) permet de mettre en valeur les artistes de qualité qui
œuvrent sur le pourtour du bassin Méditerranée. Une sorte d’écho au festival StrasbourgMéditerranée qui part sur les mêmes bases, mais avec des modalités différentes.
L’œuvre d’art a un caractère universel et c’est en vertu de cette universalité qu’elle certainement
la mieux placée pour créer du dialogue interculturel. Que ce dialogue produise une mémoire
commune, un lieu – même rêvé ou imaginaire – commun ou fasse partager aux spectateurs les
mêmes idéaux ou les mêmes valeurs, il atteint à chaque fois son objectif. Les expériences des
quatre intervenants tendent à le prouver, même si les vrais résultats ne pourront être mesurés qu’à
11
long terme. C’est donc un chantier de longue haleine dont les politiques ne doivent pas attendre de
résultats évaluables concrètement à court terme. La temporalité de l’artistique n’est pas celle du
politique.
Mathieu SCHNEIDER
Maître conférencier en musicologie, Université de Strasbourg
12
Atelier 4
Comment les institutions patrimoniales et les musées se saisissent-ils de la problématique
interculturelle ?
Dans son introduction, Jean Guibal, directeur du Musée Dauphinois, a souligné combien le
patrimoine sous ses deux formes, matérielle et aujourd’hui de manière croissante immatérielle,
constitue un champ immense aux institutions aussi diverses que multiples – musées,
bibliothèques, monuments… Par nature ou par vocation, parmi les institutions culturelles, les
institutions consacrées au patrimoine semblent ainsi être les plus défiantes par rapport à l’enjeu
interculturel. Le patrimoine est traditionnellement considéré comme un marqueur des identités
culturelles et non pas comme un espace d'ouverture à l’interculturalité. Il est volontiers brandi
comme l’étendard de l’identité d’un groupe ou d’un pays. À cet égard, on relève par exemple que
les pratiques de classement et d’inscription des Monuments Historiques en France restent
inspirées par la loi de 1913, qui impose sans nuance que les protections correspondent à un intérêt
national. Dans le même temps, la France signe des conventions internationales sur la diversité
culturelle mais ne conçoit pas et ne prend pas en compte l’intérêt régional ou local de certaines
protections patrimoniales. Or, Jean Guibal rappelle que le patrimoine ne fait socialement sens que
s’il « témoigne des gens ». C’est notamment à ce titre que dès 1982, les populations issues des
différentes vagues d'immigrations ont eu droit de cité au Musée Dauphinois. Celui-ci a conçu ses
expositions comme une reconnaissance sur le territoire régional de la présence des diverses
communautés et de leurs identités gigognes. Jean Guibal conclue son propos en indiquant que les
musées de société, à l’exemple du Musée de la Civilisation à Québec par exemple, ont vocation à
se saisir de l’interculturel.
Luc Gruson évoque mezzo voce la très lente gestation de la Cité nationale de l’histoire de
l’immigration (CNHI) à Paris qu’il a conduite de conserve avec son président Jacques Toubon,
ancien ministre de la Culture. Si cette institution bénéficie de quatre ministres de tutelles, elle n’a
pas encore eu les honneurs d’une inauguration officielle après cinq ans d’existence. La Cité fait
figure d’enfant non désiré à certains égards. Avant 1970, les immigrés n’existaient pas dans le
paysage culturel et, a fortiori, dans les politiques culturelles. Le rapport de Françoise Gaspard de
19825 sur l’intégration des immigrés appelant à l’interaction culturelle, a inauguré une ère
nouvelle. De cette démarche sont nées les thématiques du métissage et du vivre ensemble. Le
Musée fédéral d’Ellis Island (édifié par les Américains après la guerre du Viet Nam), qui rend
hommage à tous les immigrants et instaure une figure fière de l’immigré venu peupler les EtatsUnis, a servi de référence à la construction de la CNHI.
5
L’information et l’expression culturelle des communautés immigrées en France, bilan et
propositions, Françoise Gaspard, rapport à François AUTAIN, secrétaire d’Etat chargé des immigrés,
Paris octobre 1982, 68p.
13
Or, la France a particulièrement vocation à produire un tel établissement : 40% des Français ont
un ascendant étranger si on remonte à la quatrième génération. Avec la Cité nationale de l'Histoire
de l'Immigration, il ne s’est pas agi de construire un musée des diverses communautés mais
d’offrir une vision transversale de l’immigration à travers des œuvres d’art, des documents divers,
des photos de presse et une galerie des noms, démontrant comment chaque parcours
d’immigration est singulier. Nombre d’objets et d’œuvres de la Cité, ont été des dons, à l’image
du premier don, l’ouvrage « Les ritals » offert par Cavanna6, qui conte l’histoire de son père
Luigi, immigré italien. Le choix d’installer la Cité à Paris a permis de légitimer la problématique.
Le choix du Palais de la Porte Dorée indiquait l’inversion des perspectives par rapport à un lieu
qui avait été consacré à la colonisation.
Xavier de la Selle, président du groupement scientifique IPAPIC (« institutions patrimoniales et
pratiques interculturelles ») et directeur à Villeurbanne du Rize, nom d’une petite rivière locale
aujourd’hui enfouie, présente la structure qu’il a en charge. Il s’agit d’un projet politique voulu
par le maire de Villeurbanne, intéressé personnellement par les questions mémorielles. Ce projet
s’inscrit dans un triple objectif de contribuer à la cohésion sociale par le travail de mémoire, de
connaitre et faire reconnaitre les mémoires des Villeurbannais et de construire un récit collectif
partagé - construit à plusieurs voix à partir des archives, des mémoires des habitants et des travaux
des chercheurs associés - qui peuvent y participer. Cette structure atypique est dédiée à la
« mémoire ouvrière, multiethnique et fraternelle des villes du 20e siècle », qui puise son sens dans
son ancrage à Villeurbanne, considérée comme territoire exemplaire de l’urbanisation de l’ère
industrielle. Le Rize explore des thèmes, tous liés entre eux, qui prennent leur signification dans
l’histoire de la commune et résonnent encore aujourd’hui, non seulement à Villeurbanne mais
aussi à l’échelle de la métropole lyonnaise et au-delà : la Ville de Villeurbanne ; la culture
ouvrière et l’immigration. L’histoire de l’immigration est abordée par la mobilisation de
thématiques transversales telles que l’habitat, les musiques ou les religions. Xavier de la Selle
présente la tenue récente d’une exposition dans sa structure : « Des maisons à Villeurbanne »,
véritables « récits des maisons »7, qui permettent la création de mémoires à plusieurs voix des
lieux villeurbannais.
Élisabeth Shimmels, conservatrice du patrimoine et responsable du Musée Alsacien rappelle que
ce dernier a été ouvert au public en 1907, qu’il a été mis en liquidation et racheté par la Ville en
1917 et qu’il a été agrandi en 1970 grâce à l’acquisition de deux maisons de riches commerçants.
Il reçoit aujourd’hui annuellement près de 58 000 visiteurs par an. Ce musée voué dès les origines
à la culture régionale dans l’esprit de Frédéric Mistral et des arts et traditions populaires est plus
un « musée de l’âme », un musée de l’intime, une vitrine subjective qui opère comme un miroir
magique générant une empathie pour la région. L’interculturel n’en est pas absent comme en
témoigne depuis les origines « la salle juive ». Une part essentielle de l’interculturel est toutefois
apportée par le public qui établit aisément des rapports entre la figure du dégorgeoir alsacien et le
masque de bois africain par exemple. Le Musée alsacien ne saurait renoncer à une de ses
dimensions importantes : l’hospitalité. Les personnes accueillies disent souvent éprouver un
sentiment de bien être hors du temps, hors de la confrontation. Le musée n’est pas le tout de la
culture alsacienne. Il en est une dimension rêvée mais cela ne devrait pas le dispenser de porter
son regard dans d’autres dimensions encore de la culture régionale.
6
7
Les Ritals, François Cavanna, éd. Balfond, Paris, 1978
http://lerize.villeurbanne.fr/wp-content/files_mf/cpmaisons.pdf
14
Il fournit un point de repère précieux dans les mondes uniformisés de la vie actuelle. Il pose
implicitement la question de la collecte des objets de l’univers domestique d’aujourd’hui et de la
mise au point de nouveaux outils de collecte, parmi lesquels les supports numériques peuvent
jouer un rôle important.
Daniele Jalla, responsable du Musée de la Ville de Turin, évoque l’irruption, il y a une
quarantaine d’années du « territorio », le territoire, dans la vie des musées en Italie mais aussi
ailleurs en Europe, au moment où était proclamée la clôture du musée d’art à l’ancienne. Depuis
1970, le nombre de musées en Italie est passé de mille à cinq mille. Le musée local est devenu le
niveau déterminant d’une diffusion muséale à travers ce pays dés lors considéré lui-même comme
le musée des musées. Aujourd’hui, le projet turinois de l’e-musée entre dans un nouvel âge, à
travers la constitution d’un musée de la ville en ligne universellement accessible et qui rend
compte de la totalité des contenus patrimoniaux de toutes les institutions turinoises – musées,
archives, bibliothèques…- appelées à ainsi travailler ensemble. Les visites quotidiennes du site
(soit plus de 400 000 en deux ans) accompagnent la possibilité pour tout un chacun de créer une
fiche patrimoniale, dont la qualité de l’information est vérifiée par les professionnels compétents.
Ce dispositif n’exclut pas le musée matériel mais l’enrichit. La question reste ouverte de savoir
s’il peut contribuer à permettre le franchissement actuel du seuil de fréquentation, dans la mesure
où, seuls 30% de la population franchit les portes d’un musée au moins une fois par an.
Richard Kleinschmager,
Professeur de géographie et de géopolitique à l’Université de Strasbourg
15
Atelier 5
Comment la question culturelle se pose-t-elle au quotidien ? Exemples autour du monde
du travail et de la santé
La question interculturelle émerge dans nos sociétés contemporaines avec l’expérience
individuelle et collective du pluralisme (valeurs, cultures, croyances) dans de multiples domaines
de la vie quotidienne. La rencontre des cultures se réalise par celle des personnes dans l’entreprise
ou dans les institutions et se cristallise sur des pratiques concrètes d’échange de sens et de valeurs.
L’ouverture au monde impulsée par la mondialisation contient des risques et des promesses. Si la
diversité fait généralement accord, les risques de tensions et de repli sur ses propres certitudes
révèlent des résistances et la présence d’une peur de l’autre.
Il convient de manipuler l’argument culturel avec précaution, car la tentation est grande de vouloir
essentialiser une culture mise en avant comme une justification d’une mise à l’écart sinon d’une
relégation des autres, migrants en particulier. Dans la vie sociale, toutes les cultures ne se valent
pas : les expressions mêmes de cultures dites « issues de l’immigration » ou « d’origine »
imposent une représentation appauvrie des migrants qui occulte l’existence d’autres cultures de
ces personnes, professionnelle ou sociale. Les promesses du pluralisme de nos sociétés complexes
résident dans la rencontre, ainsi que dans les relations humaines et sociales entre les personnes
reposant sur une reconnaissance réciproque.
Hicham Benaïssa, chargé d’études et de recherche « diversité et fait religieux » à la Fondation
Agir contre l’exclusion et doctorant au GSRL – CNRS, observe un déplacement du fait religieux
comme problématique de la sphère publique vers la sphère privée du monde de l’entreprise.
Diversité et neutralité composent deux registres de discours opposés qui se contredisent dans la
vie quotidienne de l’entreprise. Celle-ci devient un lieu d’affirmation identitaire, où le fait
religieux se décline de manière plus visible et dans une invisibilité tacite en même temps. Sous sa
fausse neutralité, l’entreprise occupe une place inconfortable et doit se résoudre à réguler le vivre
ensemble par l’organisation du travail.
Pour Michelle Mielly, anthropologue à l’Ecole de management de Grenoble et consultante en
formation interculturelle pour les entreprises, la formation des citoyens à la diversité et à
l’interculturalité est aujourd’hui un apprentissage indispensable. L’accès à des capacités
collaboratives et à des compétences interculturelles exige un changement de posture de soi et une
reconnaissance de la précarité de l’autre. L’approche simplificatrice des questions interculturelles
dans l’entreprise bride les capacités d’adaptabilité qui naissent des appartenances dynamiques
dans les organisations.
Liliana Saban, directrice de Migrations santé Alsace, observe les discriminations dans l’accès aux
soins des personnes migrantes et de leurs familles les plus vulnérables, auxquelles on dénie le
droit à la diversité par la culture (rejet de tout particularisme) par une rigidité accrue de
fonctionnement des services de santé et l’imposition de relations réduites à la dimension
technique (soins) et professionnelle de personnes assignées au rôle de patient. L’accompagnement
des populations migrantes par des interprètes et la formation des professionnels de la santé à
l’interculturalité restent à promouvoir, plus globalement. Ce sont des changements structurels
pour une responsabilité partagée qu’il faut envisager dans les établissements hospitaliers.
16
Enfin, dans sa pratique de clinicien dans les consultations de psychothérapie, le psychanalyste
Bertrand Piret relève des symptômes de souffrance chez des patients liés au poids de cultures
dévalorisées. L’institutionnalisation d’une hiérarchie culturelle au relent néocolonial est ressentie
par des migrants qui vivent le mal-être dans l’exil et la difficulté de raconter leur histoire, avec
leur langue et leurs mots. Les enjeux interculturels ne se situent pas là où l’on croit : ils se
cristallisent en particulier sur les relations intergénérationnelles, entre des parents et des enfants
aux cultures différentes et dans une dynamique de reconnaissance de nouvelles identités
revendiquées.
Les axes de préconisations se dégageant des échanges entre les participants se résument en cinq
directions de travail :
- la question interculturelle renvoie à celle de la hiérarchisation des cultures et aux inégalités
qu’elle masque tout particulièrement dans l’inégale reconnaissance de la légitimité des cultures
présentes. De ce fait, il s’agit bien d’une question d’accès aux droits culturels de populations
migrantes. La culture renvoie à un processus d’humanisation qui engage des personnes. Il ne
s’agit pas d’interroger l’autre, mais de parler de soi et d’apprendre à remettre en question ses
certitudes, condition préalable à de nouvelles modalités relationnelles.
- Changer le regard sur le particulier : le déni du particulier au nom d’un rejet de tout
particularisme produit des effets de dégradation dans l’accès à l’exercice des droits des plus
faibles. Il convient au contraire de porter un regard particulier sur le public des migrants, pour
donner la possibilité de prendre acte des besoins des plus vulnérables et de faire ainsi évoluer
l’exercice du droit commun. Pour avancer vers l’universel et le droit commun, il convient de
travailler en reconsidérant les personnes dans leur diversité, à l’instar des associations intervenant
dans la santé, le sanitaire et le social.
- Remettre en question les modes institutionnels de traitement de la question interculturelle : les
modes de soins et de management obéissent de plus en plus à des systèmes d’intervention qui
mettent en difficulté les personnes les plus vulnérables, dont les droits fondamentaux ne sont plus
assurés : la reconnaissance des personnes dans leur diversité appelle des dispositifs spécifiques, ce
qui ne signifie pas stigmatisation, mais au contraire l’assurance d’un accès plus juste aux services.
- Reconsidérer la manière dont l’action publique et celle des institutions font usage des arguments
culturels : les signes de particularismes culturels - dont la religion et « la culture d’origine » - ne
peuvent servir d’instruments de justification pour une politique dite d’intégration qui priverait les
individus des moyens de participation et d’expression des valeurs et du sens concret qu’ils
donnent aux pratiques sociales de la culture.
- L’objectif et l’enjeu d’une formation à l’interculturalité : la citoyenneté passe par des pratiques
de rencontres et des interactions socialisatrices porteuses de compétences interculturelles.
Construites grâce à l’expérience intersubjective des personnes dans les entreprises et les
institutions, ces compétences se forgent dans l’effort d’apprentissage de capacités (capabilities)
humaines renouvelées.
Josiane Stoessel-Ritz
Maître de conférences HDR en sociologie, Université de Haute-Alsace
17
Table-ronde 2
Interculturalité et vivre ensemble dans la cité : quelles perspectives ?
La table-ronde, animée par Altay Manço, directeur scientifique de l’Institut de recherche,
formation et action sur les migrations (IRFAM), interpelle les chercheurs et praticiens témoignant
de la manière de transformer la diversité culturelle en ressources dans nos sociétés. Trois
questions étaient adressées aux intervenants :
- Quelle gestion de la diversité dans l’espace urbain ? Mise en perspective de politiques urbaines
à l’égard des populations immigrées au plan européen
- Religions, laïcité, interculturalité : quelles perspectives ?
- Comment la société civile s’implique-t-elle dans les politiques interculturelles dans les villes
d’Europe ?
Le premier intervenant est Maurizio Ambrozini, professeur de sociologie des migrations à
l’Université de Milan et responsable scientifique du Centre d’études « Medì-Migrations dans la
Méditerranée » à Gênes. Il aborde la question de la diversité culturelle dans l’espace urbain, et en
particulier les politiques publiques à l’égard des populations immigrées dans les villes
européennes. Son intervention s’appuie sur les résultats d’une recherche menée sur les politiques
urbaines à l’égard des populations immigrées dans cinq villes européennes (Bruxelles, Frankfurt,
Marseille, Madrid, Manchester) dont trois villes italiennes (Florence, Gênes, Vérone). Pour
Maurizio Ambrozini, le discours politique sur le multiculturalisme est aujourd’hui en panne : avec
le durcissement des frontières, cette notion a perdu de son attractivité dans les politiques
publiques, dont les actions en faveur de l’intégration deviennent plus contraignantes et
engageantes (tests de langues, contrats d’intégration pour les nouveaux migrants par exemple).
Cependant, les interventions publiques en faveur des minorités s’emboîtent souvent dans une
politique pour la cohésion sociale à l’échelle urbaine. La socialisation des populations immigrées
a ainsi lieu à un niveau local via la reconnaissance et la gestion des diversités culturelles. Les
politiques urbaines ont pris une plus grande importance dans "l’intégration sociale" des
populations immigrées. A ce niveau se déroulent des négociations cruciales et complexes de la
relation entre "diversité culturelle" et "intégration".
D’un certain côté, les initiatives des villes célèbrent l’image multiethnique de la ville (les arts et la
création) ou encore se développent en direction de la coopération internationale. D’autre part, les
pouvoirs locaux se démarquent des discours nationaux par leur manière de poser la religion dans
l’espace public en lien ou non avec le multiculturalisme. Certaines Villes se sont résolument
engagées dans une politique multiculturaliste (Francfort), d’autres le font mais de manière
implicite (Marseille, Madrid). Le message de l’ouverture au multiculturalisme apparaît mieux
lorsqu’il est construit sur le registre de l’esthétique, des expressions artistiques (arts figuratifs,
musées), aux arts et traditions populaires (musiques ethniques, gastronomie). Pour M. Ambrozini,
c’est la manifestation la plus positive de la politique publique pour le multiculturalisme.
Selon Samim Akgönul, historien et politologue de l’université de Strasbourg, il faut mettre en
perspective religions, laïcité et interculturalité, des mots qu’il convient de clarifier pour le débat.
La religion a trait aux croyances et renvoie dans l’espace public à la gestion des appartenances et
de leurs représentations sociales. La laïcité est spécifique à chacun des 47 pays membres du
Conseil de l’Europe, elle a trait à l’acceptation sociale légitime de la religion dans l’espace public.
Enfin l’interculturalité renvoie aux rapports entre deux entités sociales d’où peut émerger une
troisième entité créatrice d’une nouvelle richesse. L’interculturalité s’en nourrit, mais
18
l’interculturalité ne peut dépasser des différences ou des oppositions religieuses irréductibles. En
revanche, l’interculturalité peut être promue dans la vie quotidienne. Dans ce cas, elle est crainte
de la part des religions qui entendent marquer leur identité spécifique.
Jean Hurstel, président de Banlieues d’Europe a quant à lui Ax2 son intervention sur rôle de la
société civile dans les politiques interculturelles en Europe. Il fait des propositions qu’il présente
comme des postulats à méditer. L’Europe à ses yeux est en guerre contre elle-même, faisant
référence à la montée de l’extrême-droite au Nord comme au Sud. Dans les villes, les oppositions
se radicalisent entre des quartiers riches et les quartiers de banlieue dont on exhibe l’image d’un
« enfer ». C’est pourtant dans ces banlieues que Jean Hurstel voit l’avenir de nos sociétés, dans les
ménages pauvres et chez les plus faibles. Il réaffirme l'idée que la culture est lien social, car elle
relie l’individu aux autres par l’imaginaire, créant une passerelle entre le champ social et le champ
artistique. C’est ainsi que la ville se refait quand elle est démembrée. Banlieues d’Europe y
contribue depuis 23 ans, faisant appel à la créativité et à l’imaginaire. Cette perspective s’offre à
nous si l’on prend la décision de prendre de la distance vis-à-vis du modèle standard de la
consommation et de la diffusion d’une culture de masse ; la réponse est dans l’expérience de la
proximité, des habitants et des territoires.Dans le cadre du débat, les participants posent la
question à Jean Hurstel : quel modèle de culture faut-il promouvoir ? Il y répond en soulignant
qu’il faudra aller au-delà du modèle de l’offre pour ouvrir la porte aux acteurs de la société civile
(« ils savent faire de la contrebande »). Les populations migrantes savent aussi créer des actions
innovantes (économie, écologie), mais leurs réalisations ne bénéficient pas de la même
considération sociale que les plus nantis. La banlieue est une niche qui a besoin d’un soutien pour
accompagner l’action des animateurs de culture populaire.
A la question posée par un participant sur les acteurs de ce processus dans la ville, Maurizio
Ambrosini répond en mettant l’accent sur la différence entre le processus et son impact en termes
d’intégration sociale. Les processus prennent racine dans un terreau populaire qui est créatif
(chercher des formes de modes de vie plus sobre, inventer des lieux d’échanges alternatifs), mais
ils n’ont pas le même impact si ce sont les pauvres qui agissent que s’il s’agit des élites. L’accueil
par la société civile des initiatives populaires ne connaît pas le succès réservé aux initiatives
portées par des classes plus aisées. Il faut donc remettre en question les représentations sociales de
la nouveauté et voir autrement les populations migrantes, populaires, dont l’imagination est
porteuse d’ouvertures et de liens. Les associations sont dotées d’un esprit de ruse et sont
susceptibles de libérer l’invention sociale et culturelle de ce dialogue, dit interculturel.
Table-ronde de clôture
Construire la cité de la relation est-il une utopie ?
La dernière table ronde réunit principalement des élus de collectivités territoriales. En effet, les
pouvoirs locaux sont directement confrontés à la question de l'interculturalité. Comment abordentils concrètement cet enjeu ? Quel est le rôle des collectivités publiques dans la lutte contre les
discriminations, pour l'égalité des droits et le renforcement du dialogue interculturel ? Comment
mobilisent-elles les acteurs dans le portage de cet enjeu ? De quelles manières peut-on favoriser la
reconnaissance des différentes cultures présentes sur le territoire tout en construisant un travail
sur des valeurs communes ? En quoi l'Europe repose-t-elle de manière inédite ces questions ?
L’animation de la table ronde est confiée à Irina Guidikova , chef de Division du Forum mondial
de la Démocratie, responsable du programme « Cités interculturelles » du Conseil de l’Europe
19
Angela Spizig est vice-maire déléguée à la culture de la Ville de Cologne, quatrième ville
d’Allemagne avec 1 million d’habitants. Dans un pays où être originaire du Rhin est considéré
comme un titre de noblesse, l’histoire nous rappelle que les personnes « de sang mêlé » font
l’identité culturelle des habitants de Cologne, même si l’expression identité culturelle n’est pas
utilisée en Allemagne. Outre-Rhin, le terme de multiculturel ne convient pas non plus ; il est
aujourd’hui remplacé par celui d'interculturel, au sens d’addition positive de différences
interactives. Cette expression englobe les populations migrantes, mais aussi les personnes
homosexuelles et les personnes handicapées dans un projet qui a pour cible l’inclusion (plus que
l’intégration). N’ayant pas d’histoire liée au colonialisme, selon Angela Spizig, l’Allemagne ne
connait pas les mêmes problèmes que la France, et se donne les moyens de produire en toute
transparence les statistiques sur ces populations sans que cela ne produise un sentiment de
discriminations. Angela Spizig précise également que les mots-clés de l’action de la Ville de
Cologne sont reconnaissance et solidarités
Pour Florian Salazar-Martin, adjoint au maire délégué à la culture de la Ville de Martigues et
vice-président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, nos sociétés
et nos villes sont bloquées et refusent de voir les changements : il y a toutefois urgence sur notre
humanité et une nécessité de reconnaître à la fois le droit à la mobilité et le droit de vote aux
étrangers extracommunautaires. Derrière ce « rêve des humanistes », le défi est de réinventer de
nouvelles valeurs, d’assumer la complexité anthropologique de nos sociétés contemporaines et de
travailler sur la mixité sociale dans l’espace public. Il précise également que ce n’est pas aux
politiques culturelles seules de se saisir de ces questions majeures.
Eduard Miralles, président d’Interarts de Barcelone, témoigne de la fondation qu’il dirige dans le
domaine de la coopération culturelle internationale. Barcelone est une ville de 1,6 millions
d’habitants, dont 19% est d’origine étrangère. Migrants et touristes contribuent à changer
profondément le profil et l’esprit de cette ville. Les mélanges insolites (touristes/étrangers) sont
complexes à décrypter et finissent par produire l’imposition du changement par l’acceptation des
personnes « étrangères » (migrants latino- américains ayant un passeport européen). Ces constats
montrent qu’il est difficile pour une Ville de suivre une stratégie donnée, mais qu'il convient
d’adopter une stratégie accueillante à l'égard des étrangers. Eduard Miralles a proposé quatre
niveaux d'action à encourager dans la ville :
- être multiculturel, c’est reconnaître formellement toutes les cultures présentes dans la ville ;
- être multiculturel, c’est créer des conditions de relation dans l’espace public et dans le temps :
cela signifie organiser des rencontres et un calendrier des temps partagés pour décloisonner les
manières de vivre ;
- développer la conscience et la vigilance pour des droits à la différence est une condition de
citoyenneté et de démocratie ;
- travailler à la construction d’un projet identitaire partagé, dans des villes où l’identité n’est pas la
condition mais le vecteur d’un projet partagé à construire, et qui tient compte des différences de
chaque ville.
Emmanuel Constant, vice-président délégué à la culture du Conseil général de Seine-Saint-Denis,
évoque quant à lui le cas de ce département, le « 93 », un département frappé d’images
caricaturales (réserve d’indiens slameurs), territoire d’immigration ancienne et multiple où
émergent des formes de racisme. Avec ses 140 nationalités différentes, le territoire de la SeineSaint-Denis ne répond pas aux attentes des discours sur la « mixité sociale » mais se présente
20
comme un terrain de méfiance entre les individus et les communautés qui préfèrent l’entre soi et
l’évitement des autres. Emmanuel Constant insiste également sur le fait que ces questions ne
peuvent être abordées que par les seules politiques culturelles et qu’il convient de travailler
davantage en transversalité, avec les politiques urbaines et les politiques d’éducation notamment.
Dans son intervention, Catherine Trautmann, vice-présidente de la Communauté urbaine de
Strasbourg et députée européenne, met l’accent sur l’impérieux besoin pour les politiques
urbaines de s’emparer de ces questions en intégrant la diversité comme une ressource autant que
les droits des citoyens. L’égalité des droits universels interpelle les responsables de la cité, car si
les individus sont très différents, ils sont en même temps égaux. Pour Catherine Trautmann, la
diversité ne peut exister que s’il y a égalité de traitement. Et la Ville est le lieu où doit s’organiser
l’égalité. Elle rappelle que la culture n’est pas un état, mais ouvre sur la construction de
possibilités nouvelles par l’expérience « de la vitalité ». Catherine Trautmann voit dans la
question de l’identité une forme d’expression ou d’attente de citoyenneté par des valeurs et des
liens d’appartenance.
Le débat entre les invités s’ouvre sur la manière d’accompagner l'enjeu interculturel de nos
sociétés contemporaines. Plusieurs pistes ou réflexions ont été évoquées :
- à Cologne, ce sont les enseignants qui sont engagés avec d’autres acteurs du quartier ; ils
adoptent une approche décloisonnée qui déborde des cadres scolaires.
- En France, selon un participant, le soutien à l’émergence de projets culturels du territoire est
important mais se heurte souvent à la non reconnaissance du droit de vote pour les citoyens extracommunautaires. L’espace public apparaît alors comme accaparé par des « bons Français ».
- La reconnaissance des lieux historiques de l’immigration dans les villes françaises est à
promouvoir dans un projet de vivre ensemble où l’identité de chaque communauté trouve sa
place.
- Les expériences des participants au débat témoignent d’une expérience contrastée concernant la
place donnée à la culture, sa reconnaissance et son impact sur le vivre ensemble dans un quartier.
Les lieux de tensions entre les communautés interpellent les acteurs qui partagent une même
question : comment intéresser les gens à la ville ?
- Eduard Miralles souligne le besoin pour une Ville comme Barcelone d’un pilotage de la
collectivité sur des projets portant sur la diversité, les droits citoyens et les droits culturels et d'un
engagement des acteurs pour poser la relation sociale comme source de transformation.
- Une autre question que se posent les acteurs et les participants au débat porte sur la façon de
rencontrer les habitants. Comme en témoigne une artiste présente dans la salle, « il faut prendre
au sérieux des citoyens », ceux-là mêmes qui se sentent relégués dans les quartiers populaires.
- L’un des vecteurs de progrès vers le vivre ensemble concerne l’usage et la reconnaissance des
langues, première marque de reconnaissance culturelle. Les intervenants s’accordent sur ce point :
la construction des rencontres interculturelles suppose des efforts pour la reconnaissance des
langues (comme une peau ou un masque) dans un projet d’ouverture par des échanges (arts et
traditions) qui offre un terrain de dialogue avec les autres.
- Le débat met aussi en avant la priorité démocratique et citoyenne de politiques qui visent à
mieux articuler la dimension des valeurs, aux projets et aux pratiques sur le terrain.
- Enfin, les intervenants partagent l’idée qu’il ne suffit pas de faire un diagnostic sans se remettre
soi même en question et apprendre à coopérer autrement, pour inventer de nouveaux modèles afin
de contribuer au renouvellement du bien commun dans la cité de demain.
21
En guise de conclusion
Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles, formule ainsi l’enjeu posé
tout au long des deux journées du colloque : comment faire de la ville-monde singulière, une ville
accueillante du monde ? Pour y répondre, les Rencontres de Strasbourg ont invité à déconstruire
les catégories du débat et à se défaire des représentations qui nourrissent idéologies et oppositions
radicales. Pour s’orienter vers des dynamiques interculturelles, il convient autant d’éviter les
pièges d’une identité mortifère que de prendre pour modèle un système à « fabriquer de
l’interculturel ». Jean-Pierre Saez nous invite à repenser l’individu et les communautés dans la
cité, considérant que l’appartenance choisie ou revendiquée de tout individu n’est ni exclusive ni
figée. Elle s’appuie sur l’expérience d'une personne dans la ville et de l’imaginaire de la ville : les
droits culturels des personnes trouvent dans les lieux culturels ouverts un espace disponible à
l’invention de relations humaines et citoyennes.
Cette question appelle une action de gouvernance pour plus de démocratie, où la place et le rôle
de chacun est en jeu et mérite d’être volontairement soutenu. C’est pourquoi la formation des
acteurs, agents des collectivités et des personnes est une condition pour garantir l’égalité des
droits (maîtrise de la langue) et la liberté de chacun dans la diversité. C’est, comme conclut Daniel
Payot, adjoint au maire en charge des affaires culturelles de la Ville de Strasbourg, le défi de nos
villes qui doivent être le creuset d’un modèle de relation par l’expérience de la ville, lieu de
coexistence et d’émancipation.
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