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Table-Ronde d’ouverture
Cultures, identités, altérités : comment faire société dans le monde d’aujourd’hui ?
La sociologue Anne-Marie Autissier, animatrice de la table ronde, propose comme fil rouge
d’interroger la signification des mots qui jalonneront le débat au cours de ces deux journées de
réflexions (dialogue, diversité, interculturalité, multiculturalité) et de les replacer dans leur
contexte.
L'intervention du sociologue et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales
(EHESS) Michel Wiewiorka met l’accent sur la complexité du débat culturel en France, débat qui
focalise de multiples enjeux pesants et sont sources d’incompréhension. Il rappelle que
l’apparition des minorités et de la question des identités dans nos démocraties européennes
remonte aux années 1960, avec la naissance des régionalismes. Dans la décennie 1970, le débat
concerne l’immigration des pays arabes et musulmans, soit une immigration de peuplement
(Hessel) et non de travail. L’islamophobie émerge dans nos sociétés, et l’on pensait alors que le
multiculturalisme pouvait traiter la « grande affaire de l’Islam ». Le fait nouveau à considérer
dans ces années concerne une religion qui est déterritorialisée (l’Islam). En France, au cours des
années 1980, on découvre un racisme culturel qui vise le Maghreb ; le phénomène se complique
quand les victimes ont tendance à s’auto-racialiser. Si l’idée du multiculturalisme a réussi à
s’imposer ailleurs (Grande-Bretagne, Canada), il est un échec en France. Selon Michel Wieviorka,
il convient de penser autrement pour sortir de l’impasse entre l’essentialisme qui institue les
différences et les tenants du communautarisme qui plaident la reconnaissance des ancrages locaux
des populations. Michel Wiewiorka propose une approche renouvelée de la question des cultures
et des identités, en s’intéressant à « la production des individus ». Parler de diversité en soi n'est
pas suffisant. Cette notion ne doit pas occulter l'importance dans ce débat des inégalités sociales et
de la capacité des individus eux-mêmes à changer au cours de leur vie ; l’assignation à des places
ou à des identités par d’autres ne peut être admise. Il conclut son propos en mettant en avant le
besoin de l’individu d’apprendre à maîtriser ses propres expériences, à inventer des mélanges et à
contribuer lui-même à l’interculturalité dans le double respect, des valeurs universelles et des
valeurs particulières.
Pour Patrice Meyer-Bisch, coordonnateur de l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de
l'homme de la chaire UNESCO des droits de l'homme et de la démocratie (Université de
Fribourg), « les droits culturels disent l’espace public ». Plutôt que de parler de différence
culturelle, il nous invite à considérer les références culturelles pour penser le rapport dialectique
entre le particulier et l’universel et pour comprendre comment se construit la singularité de chaque
individu. Ces ressources sont proposées dans la ville où les personnes échangent et entrent en
contact entre elles ; les individus se reconnaissent réciproquement par des valeurs. Pour Patrice
Meyer-Bisch, il s’agit de clarifier l’importance des droits culturels dans l’ensemble des droits
civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, tels qu’ils sont reconnus dans les instruments
internationaux et ce, depuis la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (1947). La
citoyenneté s’expérimente chaque jour dans sa dimension culturelle par des rencontres, sources de
liens et d’interrelations avec d’autres, qui créent un partage de valeurs au sein d’une communauté
politique dans la cité. L’exercice des droits culturels par chacun ouvre de nouvelles connexions,
qui sont des possibilités de communiquer (selon sa langue, son appartenance religieuse, son
groupe d’appartenance), et au sein desquelles chaque personne invente librement de manière
créative et proactive sa façon d’établir un dialogue culturel. Chaque personne participe librement
et exerce sa responsabilité vis-à-vis des autres. Chacun est ainsi un « connecteur », quelqu’un qui