1 chapitre 0 Chapitre 0 Petit viatique d’algèbre commutative Ce chapitre rassemble les points d’algèbre commutative dont nous aurons besoin dans les chapitres suivants. Les paragraphes 0.1 à 0.3.3 sont des rappels de notions et propriétés étudiées dans les classes préparatoires ou dans le premier cycle des universités. Ces paragraphes ne contiennent pas de démonstrations ; le lecteur est cependant invité à vérifier qu’il peut suppléer à cette absence. On trouve par contre quelques démonstrations dans le paragraphe 0.3.4 (le plus long) qui traite des anneaux factoriels. Dans le (court) paragraphe 0.4 on introduit la notion de module sur un anneau (pour une version un peu plus longue de ce paragraphe voir le premier paragraphe des notes de cours sur la théorie des modules sur les anneaux principaux). 0.1. La structure d’anneau On appelle anneau un ensemble A muni de deux lois de compositions, appelées respectivement addition et multiplication, notées (x, y) 7→ x + y et (x, y) 7→ xy, satisfaisant les axiomes suivants : - L’addition est une loi de groupe commutatif. - La multiplication est associative et posséde un élément neutre. - La multiplication est distributive par rapport à l’addition : x(y + z) = xy + xz , (y + z)x = yx + zx pour tous x, y et z dans A. Si la multiplication est commutative on dit que l’anneau est commutatif. L’élément neutre de l’addition est noté 0 (0A si la précision peut être utile) ; l’élément neutre de la multiplication est généralement noté 1 (1A idem). On observera que l’on n’impose pas que ces éléments neutres soient distincts. En fait on a pour tout anneau A l’alternative suivante : - 0 6= 1 ; - A = {0}, on dit alors que A est nul. Le premier des trois axiomes ci-dessus dit que l’ensemble A muni de la seule addition est un groupe commutatif ; on l’appelle le groupe additif de A et on le note A+ . (Cette définition peut paraı̂tre bien pédante ! Elle est là pour formuler certaines des définitions ci-après et pour faire pendant à la notion de groupe multiplicatif d’un anneau que l’on rappelle ci-dessous.) On dit qu’un élément u de A est inversible (ou, par abus de langage, qu’il est une unité) s’il existe un élément v de A tel que l’on a uv = 1 et vu = 1. La multiplication induit une structure de groupe sur l’ensemble des éléments inversibles de A ; ce groupe est appelé le groupe multiplicatif de A et noté A× (ou encore A∗ ). ÉDITION 2012 2 Petit viatique d’algèbre commutative Soient A et B deux anneaux. On appelle homomorphisme d’anneaux une application f de A dans B telle que l’on a : f (x + y) = f (x) + f (y) , f (xy) = f (x)f (y) , f (1A ) = 1B . On note f (A) ou Imf l’image de f . Posons B 0 = Im f, B 0 est une partie de B qui vérifie les propriétés suivantes : - B 0 est un sous-groupe du groupe additif B + ; - si z et t appartiennent à B 0 alors zt appartient à B 0 ; - 1 appartient à B 0 . Une partie d’un anneau qui vérifie ces trois propriétés est appelée un sous-anneau. Un sous-anneau muni des lois induites par celles de l’anneau est encore un anneau d’où le nom de sous-anneau. Convention terminologique Comme les anneaux que nous aurons à considérer sont commutatifs, le mot “anneau” signifiera dans ce cours, sauf mention expresse du contraire, “anneau commutatif”. Attention cette convention est déjà en vigueur dans les paragraphes ci-après. 0.2. Idéal, anneau quotient Soit f : A → B un homomorphisme d’anneaux. L’image réciproque de 0B par f s’appelle le noyau de f ; on le note f −1 (0) ou Kerf . Posons I = Kerf , I est une partie de A qui vérifie les propriétés suivantes : - I est un sous-groupe du groupe A+ ; - si x appartient à I alors ax appartient à I pour tout a dans A. Une partie d’un anneau qui vérifie ces deux propriétés est appelée un idéal (de cet anneau). Exemples - Soient A un anneau et x un élément de A. La partie de A constituée des éléments ax, a décrivant A, est un idéal ; on l’appelle l’idéal principal engendré par x, on le note Ax ou xA ou encore (x). - Soit plus généralement E une partie de A. La partie de A constituée des éléments de la forme a1 x1 + a2 x2 + · · · + an xn , a1 , a2 , · · · , an désignant des éléments de A et x1 , x2 , · · · , xn désignant des éléments de E, est un idéal ; on l’appelle l’idéal engendré par E. C’est le plus petit idéal de A contenant E. L’exercice ci-dessous montre que tout idéal n’est pas principal. Soit A un anneau ; on rappelle que la notation A[X] désigne l’anneau des polynômes à coefficients dans A (en l’indéterminée X). Cours J. LANNES 3 chapitre 0 Exercice 0.2.1. Montrer que l’idéal de Z[X] engendré par 2 et X n’est pas principal. Soient A un anneau et I un idéal de A. On dit que deux éléments x et x0 de A sont congrus modulo I et l’on écrit x ≡ x0 (mod I) si x0 − x appartient à I. On a là une relation d’équivalence sur A dont l’ensemble quotient est noté A/I. Comme les relations x ≡ x0 (mod I) et y ≡ y 0 (mod I)) impliquent x + y ≡ x0 + y 0 (mod I) et xy ≡ x0 y 0 (mod I) l’addition et la multiplication de A définissent par passage au quotient une addition et une multiplication sur A/I ; ces lois font de A/I un anneau que l’on appelle anneau quotient de A par I. Il est clair que la structure d’anneau de A/I ainsi définie est caractérisée par le fait que la surjection canonique A → A/I est un homomorphisme d’anneaux. Il est clair également que le groupe additif (A/I)+ est le quotient du groupe additif A+ par le sous-groupe (distingué) I. Un homomorphisme d’anneaux f : A → B induit un isomorphisme d’anneaux A/Kerf → Imf : cet isomorphisme envoie la classe de x modulo Kerf sur f (x). Exercice 0.2.2. Montrer que le quotient de l’anneau Z[X] par l’idéal engendré par 2 et X est isomorphe à l’anneau Z/2Z. Exercice 0.2.3. On note Z[ı] le sous-anneau de C constitué des éléments de la forme a + ıb avec a et b dans Z. Montrer que Z[ı] est isomorphe à l’anneau quotient Z[X]/(X 2 + 1)Z[X]. Exercice 0.2.4. Soit A un anneau ; soient I et J deux idéaux de A. 1) On note I + J la partie de A formée des sommes d’un élément de I et d’un élément de J. Montrer que I + J est un idéal de A. 2) On note respectivement ρ et σ les surjections canoniques A → A/I et A → A/J. Montrer que ρ(J) est un idéal de A/I et σ(I) un idéal de A/J. Montrer que les anneaux A/(I + J), (A/I)/ρ(J) et (A/J)/σ(I) sont canoniquement isomorphes. Exercice 0.2.5. Soit n un nombre entier, disons strictement positif. Montrer que les anneaux Z[ı]/nZ[ı] et (Z/nZ)[X]/(X 2 + 1)(Z/n)[X] sont isomorphes. 0.3. Anneaux particuliers 0.3.1. Anneaux intègres On dit qu’un anneau A est intègre s’il est non nul et si le produit de deux éléments non nuls de A est encore non nul. Exemples : Z, Q et Z/2Z sont intègres ; Z/4Z ne l’est pas. Proposition 0.3.1.1. Si un anneau A est intègre alors il en est de même pour l’anneau de polynômes A[X]. ÉDITION 2012 4 Petit viatique d’algèbre commutative Proposition 0.3.1.2. Si un anneau A est intègre alors l’homomorphisme d’anneaux canonique A → A[X] (envoyant un élément a de A sur le polynôme “constant” a) induit un isomorphisme des groupes multiplicatifs A× ∼ = (A[X])× . Exercice 0.3.1.3. Déterminer le groupe multiplicatif de l’anneau de polynômes (Z/4Z)[X]. (Considérer l’homomorphisme (Z/4Z)[X] → (Z/2Z)[X] induit par l’homomorphisme évident Z/4Z → Z/2Z.) 0.3.2. Corps, idéal maximal Un corps est un anneau non nul dans lequel tout élément non nul est inversible. Exemples. Les anneaux Q, R et C sont des corps. L’anneau quotient Z/pZ, p désignant un nombre premier, est un autre exemple de corps (voir 0.3.3.5) ; ce corps sera plutôt noté Fp dans ce cours. Il est clair qu’un corps est intègre. Remarque 0.3.2.1. Notre convention terminologique “anneau = anneau commutatif” force du même coup la convention terminologique “corps = corps commutatif”. Celle-ci est en fait assez répandue et les corps non commutatifs sont aussi appelés corps gauches. Les quaternions fournissent un exemple de corps gauche. La construction du corps Q à partir de l’anneau Z se généralise à tout anneau intègre A. On obtient ainsi le corps des fractions de A. Il s’agit d’un corps K caractérisé, à isomorphisme près, par les deux propriétés suivantes : - K contient A comme sous-anneau ; - tout élément de K est de la forme a/b (autre notation pour ab−1 ), a et b désignant deux éléments de A avec b 6= 0. Tout homomorphisme d’anneaux injectif d’un anneau intègre A dans un corps se prolonge de façon unique au corps des fractions de A. Soit A un anneau. Soit I(A) l’ensemble des idéaux de A, distincts de A ; I(A) est ordonné par inclusion. On dit, par abus de langage, qu’un idéal I de A est maximal si c’est un élément maximal de I(A). Un idéal maximal est donc un idéal I tel que : - I est distinct de A ; - les seuls idéaux contenant I sont I et A. La notion d’idéal maximal est intimement reliée à celle de corps : Proposition 0.3.2.2. Soient A un anneau et I un idéal de A. Les propriétés suivantes sont équivalentes : (i) l’idéal I est maximal ; (ii) l’anneau quotient A/I est un corps. Cours J. LANNES 5 chapitre 0 √ Exercice 0.3.2.3. On note Z[ı 5] le sous-anneau de C constitué des éléments de la √ forme a + bı 5 avec a et b dans Z. √ √ 1) Montrer que la partie de Z[ı 5] constituée des éléments a + bı 5 avec a + b pair est un idéal maximal. 2) Montrer que√cet idéal n’est √ pas principal. (Indication : utiliser l’application “norme” N : Z[ı 5] → Z , a + bı 5 7→ a2 + 5b2 .) Le lemme de Zorn implique : Proposition 0.3.2.4. Tout idéal d’un anneau, distinct de l’anneau lui-même, est contenu dans un idéal maximal. En appliquant cette proposition à l’idéal {0} et en tenant compte de 0.3.2.2, on obtient : Corollaire 0.3.2.5. Soit A un anneau. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) A est non nul ; (ii) A possède un idéal maximal ; (iii) il existe un homomorphisme d’anneaux surjectif de A dans un corps ; (iv) il existe un homomorphisme d’anneaux de A dans un corps. Exercice 0.3.2.6. 0.3.3. Montrer que l’implication (i)⇒(iii) de 0.3.2.5 entraı̂ne 0.3.2.4. Anneaux principaux On dit qu’un anneau A est principal s’il est intègre et si tous ses idéaux sont principaux. Voici les deux exemples type d’anneaux principaux : Proposition 0.3.3.1. Proposition 0.3.3.2. principal. L’anneau Z est principal. Soit K un corps. Alors l’anneau de polynômes K[X] est Exercice 0.3.3.3. Montrer que l’anneau Z[ı] (voir 0.2.3) est principal. (En cas de difficultés voir l’exercice suivant.) Exercice 0.3.3.4. Soit Λ un sous-anneau de C. On suppose que Λ vérifie les propriétés suivantes : (P1 ) Le point zéro est isolé dans Λ (autrement dit, il existe un nombre réel δ > 0 tel que l’on a |λ| ≥ δ pour tout λ dans Λ − {0}). (P2 ) Pour tout z dans C il existe λ dans Λ tel que l’on a |z − λ| < 1. ÉDITION 2012 6 Petit viatique d’algèbre commutative 1) Montrer que Λ est un anneau principal. √ √ √ 2) Soient √ ω l’un des 5 nombres complexes ı, ı 2, (−1 + ı 3)/2, (−1 + ı 7)/2, (−1 + ı 11)/2 et Λ le sous-ensemble de C constitué des éléments de la forme a + bω avec a et b dans Z. Montrer que Λ est sous-anneau de C vérifiant (P1 ) et (P2 ). 3) Question subsidiaire : Montrer qu’un sous-anneau de C vérifiant (P1 ) et (P2 ) est l’un des 5 sous-anneaux ci-dessus. Soit A un anneau intègre. On dit qu’un élément π de A est irréductible (ou extrémal) s’il est non nul et non inversible et si π = ab avec a et b dans A implique que a ou b est inversible. Exemple : Les éléments irréductibles de Z sont les éléments ±p avec p premier. On peut reformuler la définition ci-dessus de la façon suivante. Soit Ipr (A) l’ensemble des idéaux principaux de A, distincts de A ; Ipr (A) est ordonné par inclusion. Un élément π de A est irréductible s’il est non nul et si l’idéal Aπ est un élément maximal de Ipr (A). Si A est principal Ipr (A) et I(A) coı̈ncident et l’implication (i)⇒(ii) de 0.3.2.2 se traduit par l’implication (i)⇒(ii) de l’énoncé ci-dessous. Proposition 0.3.3.5. Soient A un anneau principal et π un élément non nul de A. Les propriétés suivantes sont équivalentes : (i) π est irréductible ; (ii) A/π est un corps ; (iii) A/π est intègre. (La notation A/π est une abréviation de la notation A/Aπ ou A/πA.) Exemples : Z/p, R[X]/(X 2 + 1) sont des corps. 0.3.4. Anneaux factoriels Grosso modo il s’agit des anneaux dans lesquels on a une “décomposition en facteurs irréductibles” analogue à la décomposition en facteurs premiers que l’on a dans Z. Avant de préciser cette définition on introduit un peu de terminologie. Soient x et y deux éléments d’un anneau A. On dit que x divise y (que x est un diviseur de y, que y est divisible par x, que y est multiple de x) et l’on écrit x|y s’il existe un élément z de A tel que l’on a y = zx. Soit A un anneau intègre. On dit que deux éléments x et y de A − {0} sont associés si x divise y et si y divise x, ce qui revient à dire qu’il existe un élément u de A× tel que l’on a y = ux. En d’autres termes encore, x et y sont associés si les idéaux Ax et Ay coı̈ncident. Cours J. LANNES 7 chapitre 0 On appelle système représentatif d’éléments irréductibles de A un ensemble P d’éléments irréductibles de A telle que tout élément irréductible de A est associé à un élément de P et à un seul. Exemples. Les nombres premiers 2, 3, 5, ... forment un système représentatif d’éléments irréductibles de Z. Soit K un corps, les polynômes unitaires irréductibles forment un système représentatif d’éléments irréductibles de K[X]. Définition 0.3.4.1. Soit A un anneau intègre. On dit que A est factoriel s’il existe une partie P de A telle que tout élément non nul x de A s’écrit de manière unique sous la forme : Y x=u π vπ π∈P avec u inversible et vπ des entiers positifs, nuls sauf un nombre fini d’entre eux. Cette définition posée, on fait les observations suivantes : - Tous les éléments de P sont irréductibles et P est un système représentatif d’éléments irréductibles de A. - Si A est factoriel tout système représentatif d’éléments irréductibles vérifie la condition de la définition ci-dessus. - Soient A un anneau factoriel et π un élément irréductible de A. Soit x un élément non nul de A, l’ensemble des entiers positifs n tels que π n divise x est majoré ; notons vπ (x) son plus grand élément. Alors on a, pour tout système représentatif P d’éléments irréductibles de A : Y x=u π vπ (x) π∈P avec u inversible. L’entier vπ (x) défini ci-dessus s’appelle la valuation π-adique de x ; si π1 et π2 sont deux éléments irréductibles associés alors les valuations π1 -adique et π2 -adique coı̈ncident. Soit K le corps des fractions de A, l’application vπ : A − {0} → N se prolonge de façon évidente en une application vπ : K × → Z ; il est clair qu’un élément x de K × appartient à A − {0} si et seulement si on a vπ (x) ≥ 0, π décrivant un système représentatif d’éléments irréductibles de A. Remarque-Exercice 0.3.4.2. La présentation ci-dessus de la notion d’anneau factoriel est un peu filandreuse à cause des choix de systèmes représentatifs d’éléments irréductibles. Voici, sous forme d’exercice, une alternative. On note D(A) le quotient de A − {0} par la relation d’équivalence “être associés” ; la multiplication de A induit sur D(A) une structure de monoı̈de associatif, commutatif, avec élément neutre (on peut voir D(A) comme le quotient A − {0}/A× ). Définir la notion d’objet libre dans la catégorie de ces monoı̈des et montrer que A est factoriel si et seulement si D(A) est libre. ÉDITION 2012 8 Petit viatique d’algèbre commutative Remarque 0.3.4.3. On convient que le produit de la famille vide d’éléments d’un anneau est égal à 1 ; avec cette convention un corps est un anneau factoriel. Exemples. L’anneau Z est factoriel. Soit K un corps, l’anneau de polynômes K[X] est factoriel. Plus généralement : Théorème 0.3.4.4. Un anneau principal est factoriel. On énonce ci-dessous deux des propriétés des anneaux factoriels les plus fréquemment utilisées. (Ces propriétés sont conséquences immédiates de la définition 0.3.4.1.) On rappelle que l’on dit que des éléments d’un anneau sont premiers entre eux si leurs seuls diviseurs communs sont les éléments inversibles. Proposition 0.3.4.5. Soient A un anneau factoriel et x, y, z, des éléments de A. Si x et y sont premiers entre eux et si x divise yz alors x divise z. En particulier : Proposition 0.3.4.6. Soient A un anneau factoriel et π un élément irréductible de A. Soient x et y des éléments de A si π divise xy alors π divise x ou y. Autrement dit l’anneau A/π est intègre. √ Exercice 0.3.4.7. Montrer que l’anneau Z[ı 5] (voir 0.3.2.3) n’est pas factoriel. (Montrer par √ exemple √ que 2 est irréductible et expliciter la structure de l’anneau quotient Z[ı 5]/2 Z[ı 5].) Le théorème suivant montre que la classe des anneaux factoriels est bien plus large que celle des anneaux principaux : Théorème 0.3.4.8. Si un anneau A est factoriel alors il en est de même pour l’anneau de polynômes A[X]. Soient X1 , X2 , · · · , Xn des indéterminées, l’isomorphisme d’anneaux canonique A[X1 , X2 , · · · , Xn ] ∼ = A[X1 , X2 , · · · , Xn−1 ][Xn ] et le théorème 0.3.4.8 donnent par récurrence sur n : Corollaire 0.3.4.9. Si un anneau A est factoriel alors il en est de même pour l’anneau de polynômes en n indéterminées A[X1 , X2 , · · · , Xn ]. Démonstration du théorème 0.3.4.8. Soit K le corps des fractions de A. On sait déjà que K[X] est factoriel. On rappelle que (K[X])× s’identifie à K × . Cours J. LANNES 9 chapitre 0 Soit F un élément de K[X] − {0}. Il existe d dans K × tel que les coefficients du polynôme dF sont dans A et premiers entre eux. On donne un nom à cette propriété. Un élément P de A[X] dont les coefficients sont premiers entre eux est dit primitif (un tel P est non nul). (On observera que cette définition fait sens pour tout anneau.) D’après ce qui précède on peut choisir un système représentatif d’éléments irréductibles de K[X] formé de polynômes qui sont à coefficients dans A et primitifs. On laisse maintenant le lecteur se convaincre, à l’aide des deux lemmes 0.3.4.11 et 0.3.4.12 ci-après, de l’énoncé technique suivant qui précise le théorème 0.3.4.8 : Proposition 0.3.4.10. Soient A un anneau factoriel et K son corps des fractions. Une partie de A[X] réunion - d’un système représentatif d’éléments irréductibles de A (ici identifié à un sousanneau de A[X]) - et d’un système représentatif d’éléments irréductibles de K[X] formé de polynômes qui sont à coefficients dans A et primitifs vérifie la propriété de la définition 0.3.4.1. Lemme 0.3.4.11 (Lemme de Gauss). Soit A un anneau factoriel. Alors le produit de deux polynômes primitifs à coefficients dans A est encore primitif. Démonstration. Soient A un anneau et π un élément de A, on note ρπ la surjection canonique A → A/π encore ρπ : A[X] → A/π[X] l’homomorphisme P ; onn noteP d’anneaux induit : ρπ ( an X ) 7→ ρπ (an )X n . Quand A est factoriel, un élément P de A[X] est primitif si et seulement ρπ (P ) est non nul pour tout élément irréductible π de A. Cette observation et le fait que les anneaux A/π et A/π[X] sont intègres (Propositions 0.3.4.6 et 0.3.1.1) impliquent le lemme. Lemme 0.3.4.12. Soient A un anneau factoriel et K son corps des fractions. Soient P un polynôme primitif de A[X] et c un élément de K × . Si le produit cP appartient à A[X] alors c appartient à A − {0}. Démonstration. On écrit c = a/b avec a et b dans A premiers entre eux et on utilise 0.3.4.5. Remarque 0.3.4.13. Cette remarque est la suite de la remarque 0.3.4.2 dont on reprend les notations. La démonstration du théorème 0.3.4.8 ébauchée ci-dessus revient à se convaincre de ce que l’on a, pour tout anneau factoriel A, un isomorphisme D(A[X]) ∼ = D(A) × D(K[X]) (observer que produit et somme coı̈ncident dans la catégorie évoquée en 0.3.4.2). La proposition 0.3.4.10 implique la suivante : ÉDITION 2012 10 Petit viatique d’algèbre commutative Proposition 0.3.4.14. Soient A un anneau factoriel et K son corps des fractions. Soit P un polynôme non constant de A[X], les conditions suivantes sont équivalentes : (i) P est irréductible dans A[X] ; (ii) P est primitif et irréductible dans K[X]. On présente ci-dessous une voie d’accès à cette proposition, variante de la précédente, mais un peu plus concrète. On choisit un système représentatif P d’éléments irréductibles de A. Nous dirons qu’un élément de K[X] − {0} est P-normalisé si le coefficient de son terme de plus haut degré appartient au sous-groupe de K × engendré par P. Exemple. Prenons A = Z et P = {2, 3, 5, · · ·}. Un polynôme non nul à coefficients dans Q est P-normalisé si le coefficient de son terme de plus haut degré est strictement positif. Le lemme 0.3.4.12 montre qu’un élément P de K[X] − {0} s’écrit de façon unique sous la forme P = cP1 , c étant un élément de K × et P1 un élément de A[X] − {0} primitif et P-normalisé. On pose c = cP (P ) et P1 = prP (P ) ; cP (P ) s’appelle le contenu du polynôme P . On a donc : P = cP (P ) prP (P ) et P appartient à A[X] − {0} si et seulement si cP (P ) appartient à A − {0}. Remarque 0.3.4.15 (dans le fil des remarques 0.3.4.2 et 0.3.4.13). La composée de l’application cP : K[X] − {0} → K × et du passage au quotient K × → K × /A× est indépendante du choix de P. Le lemme de Gauss entraı̂ne : Proposition 0.3.4.16. Les applications cP et prP sont “multiplicatives” : cP (P Q) = cP (P )cP (Q), prP (P Q) = prP (P )prP (Q) pour tous P et Q dans K[X] − {0}. On obtient ainsi l’énoncé suivant : Proposition 0.3.4.17. Soit P un élément de A[X] − {0}. Si l’on a dans K[X] une factorisation P = QR alors on a dans A[X] la factorisation : P = cP (P )prP (Q)prP (R) . Lequel implique bien 0.3.4.14. Cours J. LANNES 11 chapitre 0 Voici pour terminer ce paragraphe deux applications de cette proposition ; la seconde est le fameux critère d’irréductibilité d’Eisenstein. Proposition 0.3.4.18. Soient A un anneau factoriel et K son corps des fractions. Soient P et Q deux polynômes unitaires à coefficients dans K tels que Q divise P (dans K[X]). Si P est à coefficients dans A alors il en est de même pour Q. Démonstration. On écrit P = QR. Puisque P est unitaire et à coefficients dans A, P est primitif et P-normalisé ; on a donc cP (P ) = 1. La proposition 0.3.4.17 montre alors que les coefficients des termes de plus haut degré des polynômes prP (Q) et prP (R) sont des éléments inversibles de A. Comme ces polynômes sont P-normalisés, ils sont unitaires ; on a donc Q = prP (Q) (et R = prP (R)). Théorème 0.3.4.19 (Critère d’Eisenstein). Soient A un anneau factoriel et K son corps des fractions. Soit P (X) = an X n + an−1 X n−1 + · · · + a0 un polynôme à coefficients dans A de degré n ≥ 1. On suppose qu’il existe un élément irréductible π de A tel que l’on a : (i) π ne divise pas an ; (ii) π divise tous les ak , k < n ; (iii) π 2 ne divise pas a0 . Alors P est irréductible dans K[X]. Démonstration. On suppose que P n’est pas irréductible dans K[X]. D’après 0.3.4.17 on a une factorisation P = QR dans A[X] ; on note q et r les degrés respectifs de Q et R, on a q ≥ 1, r ≥ 1, q + r = n. Il vient dans A/π[X] (avec les notations de la démonstration de 0.3.4.11) : ρπ (an )X n = ρπ (Q)ρπ (R) ; les degrés respectifs de ρπ (Q) et ρπ (R) sont toujours q et r (observer par exemple que ces degrés, disons q 0 et r0 , vérifient q 0 + r0 ≥ n, q 0 ≤ q et r0 ≤ r). Soit κ le corps des fractions de l’anneau intègre A/π, en considérant la factorisation ci-dessus comme une factorisation dans κ[X] on voit que ρπ (Q) et ρπ (R) sont respectivement associés dans κ[X] à X q et X r . Il en résulte que les termes constants de ρπ (Q) et ρπ (R) sont nuls. Les termes constants de Q et R sont donc divisibles par π et celui de P par π 2 . Contradiction. Exemple. Soit a un entier non nul. On suppose qu’il existe un nombre premier p pour lequel on a vp (a) = 1, alors le polynôme X n − a est irréductible dans Q[X]. Exercice 0.3.4.20. Soit premier, on considère le polynôme à coeffiP p un nombre k cients entiers Φp (X) = 0≤k≤p−1 X (Φp est le p-ième polynôme cyclotomique, voir chapitre 4). Montrer que le polynôme Φp (X +1) satisfait au critère d’Eisenstein pour le nombre premier p ; en déduire que Φp (X) est irréductible dans Q[X]. ÉDITION 2012 12 Petit viatique d’algèbre commutative Exercice 0.3.4.21. Exhiber un anneau factoriel A et un élément irréductible π de A tel que l’anneau A/π ne soit pas factoriel. (Prendre par exemple A = Z[X] et π = X 2 + 5.) 0.4. Modules La notion de module est aux anneaux ce que la notion d’espace vectoriel est aux corps. Soit A un anneau. On appelle module sur A, ou A-module, un groupe abélien M , dont la loi est notée habituellement + et l’élément neutre 0, muni d’une application de A × M dans M notée (a, x) 7→ ax telle que l’on a : - a(x + y) = ax + ay - (a + b)x = ax + bx - a(bx) = (ab)x - 1x = x pour tous a, b dans A et x, y dans M . (On rappelle que dans le contexte des groupes les mots “abélien” et “commutatif” sont synonymes.) Exemple. Les notions de groupe abélien et de Z-module coı̈ncident. En effet, soit M un groupe abélien dont la loi est notée + , on définit une application de Z × M dans M qui vérifie les axiomes ci-dessus en posant nx = x + x + · · · + x, n termes, pour n ≥ 0 et nx = −(−n) x pour n < 0. Exemple 0.4.1. Soient M un A-module et x un élément de M . Montrer que la partie de A formée des éléments a vérifiant ax = 0 est un idéal de A. On l’appelle l’idéal annulateur de x (ou simplement l’annulateur de x). Soient M et N deux A-modules. On appelle homomorphisme de A-modules une application f de M dans N telle que l’on a : f (x + y) = f (x) + f (y) , f (ax) = af (x) , pour tous a dans A et x, y dans M ; un homomorphisme de A-modules est donc en particulier un homomorphisme de groupes abéliens. Soit M un A-module. On appelle sous-module (ou sous-A-module) une partie M 0 de M qui vérifie les propriétés suivantes : - M 0 est un sous-groupe du groupe abélien M ; - si x appartient à M 0 alors ax appartient à M 0 pour tout a dans A. Un sous-A-module muni des “lois” induites par celles du A-module est encore un A-module d’où le nom. Cours J. LANNES 13 chapitre 0 Exemples - Un anneau A est de façon évidente un module sur lui-même. Un idéal n’est rien d’autre qu’un sous-A-module de A. - Le noyau et l’image d’un homomorphisme de A-modules f : M → N sont respectivement des sous-modules de M et N . - Soient A un anneau et M un module sur A. Soit E une partie de M . La partie de M constituée des éléments de la forme a1 x1 + a2 x2 + · · · + an xn , a1 , a2 , · · · , an désignant des éléments de A et x1 , x2 , · · · , xn des éléments de E, est un sous-module ; on l’appelle le sous-module engendré par E. C’est le plus petit sous-module de M contenant E. S’il coı̈ncide avec M on dit bien sûr que M est engendré par E. On dit qu’un A-module M est de type fini s’il est engendré par une partie finie. On dit qu’un A-module M est de torsion si l’annulateur de tout élément de M est non réduit à {0} (voir 0.4.1). Exercice 0.4.2. A quoi correspondent, en termes de groupes abéliens, les Z-modules qui sont de type fini et de torsion ? Exercice 0.4.3. Soit A un anneau. Montrer que les notions suivantes coı̈ncident : - la notion de A-module muni d’un endomorphisme (de A-module) - la notion de A[X]-module. Soit K un corps. A quoi correspondent, en termes de K-espaces vectoriels munis d’un endomorphisme, les K[X]-modules qui sont de type fini et de torsion ? ÉDITION 2012 14 Extensions de corps Chapitre 1 Extensions de corps On rappelle que le mot “corps” signifie dans ce cours “corps commutatif”. 1.1. La notion d’extension Soit K un corps. Si K est un sous-corps d’un corps L (ou L un sur-corps de K) on dit aussi que le corps L est une extension du corps K ou que K ⊂ L est une extension de corps. On abrégera généralement “extension de corps” en “extension”. Exemple : R ⊂ C est une extension. Une notion très voisine de celle d’extension est la notion d’homomorphisme de corps c’est-à-dire d’homomorphisme d’anneaux dont la source et le but sont des corps. Un tel homomorphisme est forcément injectif. En effet soient λ : K → L un homomorphisme de corps et x un élément non nul de K, l’égalité λ(x)λ(x−1 ) = 1 montre que λ(x) est un élément non nul de L. Soit K ⊂ L une extension alors l’inclusion de K dans L est un homomorphisme de corps. Réciproquement soit λ : K → L un homomorphisme de corps alors λ induit un isomorphisme de corps K ∼ = λ(K) et λ(K) ⊂ L est une extension. On peut également voir λ comme le composé d’une inclusion de corps K ⊂ L0 et d’un isomorphisme de corps L0 ∼ = L. Précisons un peu. Par un argument de théorie des ensembles sur lequel on ne s’appesantira pas on exhibe d’abord un ensemble L0 contenant K et une bijection d’ensembles τ : L0 → L qui prolonge λ ; on munit ensuite L0 de l’unique structure de corps qui fait de τ un isomorphisme de corps. Soient K ⊂ L0 et K ⊂ L1 deux extensions. Un homomorphisme de L0 dans L1 qui induit l’identité sur K est appelé un K-homomorphisme ; on définit mutatis mutandis les notions de K-endomorphisme, K-isomorphisme et K-automorphisme. On donne ci-dessous des exemples d’homomorphismes de corps. Caractéristique, corps premiers Soit K un corps. On note η : Z → K l’application n 7→ n1K ; η est un homomorphisme d’anneaux. Il existe un unique entier p ≥ 0 tel que l’on a Ker η = pZ ; p s’appelle la caractéristique de K. Cas p = 0. L’homomorphisme η est injectif, il induit un homomorphisme de corps de Q dans K. On peut donc considérer K comme une extension de Q. Cas p > 0. Puisque K est intègre p est un nombre premier. L’homomorphisme η induit un homomorphisme de corps de Fp dans K. On peut donc considérer K comme une extension de Fp . On dit qu’un corps est premier s’il est isomorphe, soit à Q, soit à l’un des Fp . Voici quelques observations évidentes concernant les corps premiers : Cours J. LANNES 15 chapitre 1 - Un corps est premier si et seulement il n’a pas d’autres sous-corps que lui-même. - Tout corps K possède un sous-corps qui est un corps premier ; ce sous-corps est le plus petit des sous-corps de K. - La classe d’isomorphisme d’un corps premier est déterminée par sa caractéristique. - Tout automorphisme d’un corps premier est l’identité. Endomorphisme de Frobenius Soit K un corps de caractéristique un nombre premier p. L’application x 7→ xp est un endomorphisme du corps K, c’est-à-dire qu’on a les formules (x + y)p = xp + y p et (xy)p = xp y p pour tous x et y dans K. La seconde est évidente, la première est valable dans un contexte plus général : Proposition 1.1.1. Soient p un nombre premier et A un anneau (commutatif !) dans lequel on a p1A = 0A . On a : (x + y)p = xp + y p pour tous x et y dans A. Comme p1A = 0A équivaut à pz = 0 pour tout z dans A et que la formule du binôme est valable dans tout anneau (commutatif !) cette proposition résulte du lemme suivant : Lemme 1.1.2. Soient p un nombre premier et k un entier avec 1 ≤ k ≤ p − 1. Alors le coefficient du binôme Ckp est divisible par p. Démonstration. Cette divisibilté résulte par exemple de la formule k Ckp = p Ck−1 p−1 . L’endomorphisme x 7→ xp s’appelle l’endomorphisme de Frobenius (ou simplement le Frobenius) de K ; nous le noterons Fr (ou FrK si la précision peut être utile). Soit K ⊂ L une extension. Alors L est un K-espace vectoriel : l’action de K sur L est donnée par la multiplication dans L d’un élément de K et d’un élément de L. Si L est un K-espace vectoriel de dimension finie on dit que l’extension K ⊂ L est finie (ou que L est une extension finie de K) ; cette dimension est notée [L : K] et s’appelle le degré de l’extension. Exemple : C est une extension de degré 2 de R. Proposition 1.1.3. Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M , les conditions suivantes sont équivalentes : (i) les extensions K ⊂ L et L ⊂ M sont finies ; (ii) l’extension K ⊂ M est finie. Si ces conditions sont vérifiées on a : [M : K] = [M : L][L : K] . ÉDITION 2012 16 Extensions de corps Démonstration. L’implication (ii)⇒(i) est immédiate. L’implication (i)⇒(ii) et la “multiplicativité du degré” sont un cas particulier d’un énoncé plus général. Soient K ⊂ L une extension finie et E un L-espace vectoriel de dimension finie ; alors la dimension de E comme K-espace vectoriel est aussi finie et l’on a dimK E = [L : K] dimL E. En effet E est isomorphe à LdimL E comme L-espace vectoriel et donc à (K [L:K] )dimL E comme K-espace vectoriel. Vocabulaire. Si K, L et M sont trois corps avec K ⊂ L ⊂ M on dit que L est un corps intermédiaire entre K et M . Corollaire 1.1.4. Soient K ⊂ M une extension finie et L un corps intermédiaire entre K et M . Alors les degrés [L : K] et [M : L] sont des diviseurs du degré [M : K]. Soit K un corps. Une K-algèbre est un ensemble L muni d’une structure d’anneau et d’une structure de K-espace vectoriel telles que le produit L × L → L est K-bilinéaire ; un homomorphisme de K-algèbres est un homomorphisme d’anneaux qui est K-linéaire. Une extension de K est un exemple de K-algèbre ; un K-homomorphisme entre deux extensions de K n’est rien d’autre qu’un homomorphisme de K-algèbres. On peut voir une K-algèbre comme un anneau L muni d’un homomorphisme d’anneaux λ : K → L. Précisons un peu. Soit L une K-algèbre, alors l’application K → L , x 7→ x1L est un homomorphisme d’anneaux. Soit λ : K → L un homomorphisme d’anneaux alors l’application K × L → L , (x, y) 7→ λ(x)y fait de L un K-espace vectoriel et une K-algèbre (on dit que L est une K-algèbre via λ). En particulier les deux notions suivantes coı̈ncident : - la notion d’homomorphisme de corps λ : K → L - la notion de K-algèbre L qui est un corps. Proposition 1.1.5. Soit K un corps. Soit L une K-algèbre intègre (cet adjectif concerne la structure d’anneau de L). Si L est de dimension finie (comme K-espace vectoriel) alors L est un corps. Démonstration. Soit α un élément non nul de L. L’application L → L x 7→ αx, est un endomorphisme de K-espace vectoriel. Si L est intègre cet endomorphisme est injectif. Si de plus L est de dimension finie alors il est aussi surjectif. En particulier il existe un élément β de L tel que l’on a αβ = 1L . Soit K ⊂ M une extension. Soit L un sous-anneau de M contenant K. Alors L est une sous-K-algèbre de M ; la K-algèbre L est manifestement intègre. Corollaire 1.1.6. Soit K ⊂ M une extension. Soit L un sous-anneau de M contenant K. Si L est de dimension finie comme K-espace vectoriel alors L est un corps. Voici une autre illustration de la proposition 1.1.5. On note K[X] l’anneau des polynômes à coefficients dans K (en l’indéterminée X) ; on rappelle que K[X] est un anneau principal. La proposition 0.3.3.5 se spécialise en la suivante : Cours J. LANNES 17 chapitre 1 Proposition 1.1.7. Soit P (X) un élément de K[X] de degré ≥ 1. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) P (X) est irréductible ; (ii) l’anneau quotient K[X]/P (X) est intègre ; (iii) l’anneau quotient K[X]/P (X) est un corps. On peut voir l’implication (ii) ⇒ (iii) comme une conséquence de 1.1.5. En effet K[X]/P (X) est une K-algèbre qui est de dimension finie comme K-espace vectoriel. Sa dimension est le degré d de P (X) : les classes modulo P (X) de 1, X, · · · , X d−1 forment une base. 1.2. Adjonctions Soient K ⊂ L une extension et A une partie de L. On note K[A] le plus petit sousanneau de L contenant K et A ; K[A] est constitué des éléments de L de la forme P (α1 , α2 , . . . , αn ), P désignant un polynôme, en n indéterminées, à coefficients dans K et α1 , α2 , . . . , αn des éléments de A. On note K(A) le plus petit sous-corps de L contenant K et A ; K(A) est constitué des éléments de L de la forme β/γ, β et γ désignant des éléments de K[A] avec γ 6= 0. Il est clair que l’anneau K[A] est intègre et que K(A) s’identifie à son corps des fractions. On dit que K(A) (resp. K[A]) est le sous-corps (resp. le sous-anneau ou la sous-K-algèbre) de L engendré par K et A, ou obtenu en adjoignant A à K. Pour A = {α}, A = {α1 , α2 }, . . ., on abrège les notations K[A] et K(A) en K[α], K[α1 , α2 ], . . ., et K(α), K(α1 , α2 ), . . .. S’il existe un élément α de L tel que l’on a L = K(α) on dit que l’extension est monogène. √ √ Exemple. On considère l’extension Q ⊂√ R. On prend A = √ { 2} ; Q[ 2] est le sous-Q-espace √ vectoriel √ de R de base {1, 2}.√ D’après 1.1.5, Q[ 2] est un corps ; on a donc Q( 2) = Q[ 2]. L’extension Q ⊂ Q[ 2] est de degré 2. Ce type d’extension sera étudié systématiquement en 1.3. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. On appelle composé de L1 et L2 et on note L1 L2 le plus petit sous-corps de L contenant L1 et L2 . Avec les notations précédentes on a L1 L2 = K(L1 ∪ L2 ), L1 L2 = L1 (L2 ) et L1 L2 = L2 (L1 ). La définition de composé s’étend évidemment à une famille arbitraire de corps intermédiaires entre K et L. Proposition 1.2.1. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Si l’extension K ⊂ L1 est finie alors il en est de même pour l’extension L2 ⊂ L1 L2 et l’on a : [L1 L2 : L2 ] ≤ [L1 : K] ; de plus [L1 L2 : L2 ] = [L1 : K] implique L1 ∩ L2 = K. Démonstration. On considère la L2 -algèbre L2 [L1 ]. On vérifie qu’une base de L1 comme K-espace vectoriel est aussi un sytème générateur de L2 [L1 ] comme L2 -espace ÉDITION 2012 18 Extensions de corps vectoriel. Cet L2 -espace vectoriel est donc de dimension finie et l’on a dimL2 L2 [L1 ] ≤ dimK L1 . Le corollaire 1.1.6 appliqué à l’extension L2 ⊂ L et au sous-anneau L2 [L1 ] montre que L2 [L1 ] est un corps. On en déduit L2 [L1 ] = L1 L2 . La première partie de la proposition en résulte. Il est clair que l’on peut remplacer K par L1 ∩ L2 dans l’inégalité [L1 L2 : L2 ] ≤ [L1 : K] ; celle-ci peut donc être améliorée en [L1 L2 : L2 ] ≤ [L1 : K]/[L1 ∩ L2 : K] , inégalité qui entraı̂ne la seconde partie de la proposition. Proposition 1.2.2. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) les extensions K ⊂ L1 et K ⊂ L2 sont finies ; (ii) l’extension K ⊂ L1 L2 est finie. Si ces conditions sont vérifiées on a : [L1 L2 : K] ≤ [L1 : K][L2 : K] ; de plus [L1 L2 : K] = [L1 : K][L2 : K] implique L1 ∩ L2 = K. Démonstration. Laissée en exercice au lecteur. Cette proposition implique par récurrence : Proposition 1.2.3. Soit K ⊂ L une extension. Soient (Li )i∈I une famille finie de corps intermédiaires entre K et L. Soit C le composé des Li . Si chacun des Li est extension finie de K alors il en est de même pour C et l’on a : [C : K] ≤ Y [Li : K] . i∈I Exercice 1.2.4. Soient K ⊂ L une extension et L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. On suppose que les extensions K ⊂ L1 et K ⊂ L2 sont finies et que leurs degrés [L1 : K] et [L2 : K] sont premiers entre eux. Montrer que l’on a : - L1 ∩ L2 = K (on donnera un argument ne faisant pas intervenir 1.2.2) ; - [L1 L2 : K] = [L1 : K][L2 : K]. Remarque 1.2.5. Il ne faut pas croire que l’on ait en général l’égalité [L1 L2 : K] = [L1 : K][L2 : K] si l’intersection L1 ∩ L2 est égale à K. Voici un contre-exemple. Soient α1 et α2 deux racines distinctes, dans C, du polynôme X 3 −2 ; prendre K = Q, L = C, L1 = Q[α1 ] et L2 = Q[α2 ]. (Voir 1.4.3 et 1.4.4.) Cours J. LANNES 19 1.3. chapitre 1 Extensions algébriques Soit α un élément d’une extension L d’un corps K. On dit que α est algébrique sur K s’il existe un polynôme non nul P à coefficients dans K tel que l’on a P (α) = 0 ; on dit que α est transcendant sur K dans le cas contraire. √ Exemple. Considérons l’extension Q ⊂ R. L’élément 2 est algébrique sur Q ; l’élément π est transcendant sur Q (mais il n’est pas si facile de le montrer !). Remarque 1.3.1. Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M , un élément α de M qui est algébrique sur K est a fortiori algébrique sur L. Exercice 1.3.2. On considère l’extension Q ⊂ C. Montrer que le sous-ensemble de C constitué des éléments algébriques sur Q est dénombrable. En déduire que C contient des éléments transcendants sur Q. On se propose maintenant de paraphraser les définitions ci-dessus en termes d’homomorphismes d’anneaux. On note K[X] l’anneau des polynômes à coefficients dans K (en l’indéterminée X) et eα : K[X] → L l’homomorphisme d’anneaux (ou de K-algèbres) P 7→ P (α) ; on observe que l’image de eα est le sous-anneau K[α] de L. L’élément α est algébrique sur K si et seulement si le noyau Ker eα de l’homomorphisme eα est non réduit à 0 (ce noyau est aussi distinct de K[X] puisque L est non nul). Dans ce cas Ker eα est formé des multiples d’un polynôme unitaire F (X) de degré ≥ 1, uniquement déterminé, que l’on appelle le polynôme minimal de α sur K ; comme L est intègre ce polynôme est irréductible. L’homomorphisme eα induit un isomorphisme de corps K[X]/F (X) ∼ = K[α]. On a donc K[α] = K(α) ; en particulier −1 si α est non nul alors α appartient à K[α]. (Exercice : montrer “plus directement” que si α est non nul et algébrique sur K alors α−1 appartient à K[α].) L’élément α est transcendant sur K si et seulement si l’homomorphisme eα est injectif. Dans ce cas eα se prolonge en un homomorphisme de corps K(X) → L et induit des isomorphismes K[X] ∼ = K[α] et K(X) ∼ = K(α). Rappelons que la notation K(X) désigne le corps des fractions rationnelles à coefficients dans K (en l’indéterminée X), c’est-à-dire le corps des fractions de l’anneau intègre K[X]. La discussion ci-dessus conduit aux propositions 1.3.3, 1.3.4 et 1.3.5 ci-dessous. Proposition 1.3.3. Soient K ⊂ L une extension et α un élément de L. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) α est algébrique sur K ; (ii) K[α] est un K-espace vectoriel de dimension finie ; (iii) α appartient à une sous-K-algèbre de dimension finie de L. ÉDITION 2012 20 Extensions de corps Proposition 1.3.4. Soient K ⊂ L une extension et α un élément de L. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) α est algébrique sur K ; (ii) K[α] est un corps ; (iii) K[α] = K(α) ; (iv) K(α) est une extension finie de K. Proposition-Définition 1.3.5. Soient K ⊂ L une extension et α un élément de L algébrique sur K. Le degré [K[α] : K] est égal au degré du polynôme minimal de α sur K. Plus précisément, soit d cet entier, alors les éléments 1, α, α2 , . . . , αd−1 forment une base du K-espace vectoriel K[α]. L’entier d s’appelle aussi le degré de α sur K. Si P (X) est un polynôme non nul à coefficients dans K tel que l’on a P (α) = 0 alors le degré de α sur K est inférieur ou égal au degré de P . On considère l’extension Q ⊂ R. √ √ 1) Montrer que 2 n’est pas un carré dans Q[ 2]. √ 2) En déduire que 4 2 est de degré 4 sur Q et que son polynôme minimal sur Q est X 4 − 2. Exercice 1.3.6. 3) Retrouver le résultat du 2 à l’aide du critère d’Eisenstein (Théorème 0.3.4.9). Exercice 1.3.7. Soit K ⊂ L une extension finie. Soit P un élément irréductible de K[X]. Montrer que si le degré de P et celui de l’extension sont premiers entre eux alors P est encore irréductible dans L[X]. (Indication. Soit F un facteur irréductible de P dans L[X], considérer le corps M = L[X]/F et l’élément α de M égal à la classe de X modulo F .) Définition 1.3.8. Une extension K ⊂ L est dite algébrique si tout élément de L est algébrique sur K. Proposition 1.3.9. Soit K ⊂ L une extension algébrique. Soit M un sous-anneau de L contenant K. Alors M est un corps (et K ⊂ M est une extension algébrique). Démonstration. Soit α un élément non nul de M . Puisque α est algébrique sur K alors α−1 appartient à K[α] et donc à M . Proposition 1.3.10. Une extension finie est algébrique. Démonstration. Conséquence de l’implication (iii)⇒(i) de 1.3.3. Proposition 1.3.11. Soient K ⊂ L une extension et A une partie finie de L formée d’éléments algébriques sur K. (a) L’extension K ⊂ K(A) est finie. (b) On a K[A] = K(A). Cours J. LANNES 21 chapitre 1 Démonstration. Pour le point (a) on peut invoquer la proposition 1.2.3 puisque le corps intermédiaire K(A) est le composé des K(α), α parcourant A ; on peut aussi contempler la suite d’inclusions K ⊂ K(α1 ) ⊂ K(α1 , α2 ) ⊂ . . . ⊂ K(A) et invoquer 1.3.4 et 1.1.3. Le point (b) est conséquence de 1.1.6 : d’après cet énoncé l’anneau K[A] est un corps et coı̈ncide donc avec K(A). Corollaire-Définition 1.3.12. Soit K ⊂ L une extension. Le sous-ensemble de L formé des éléments algébriques sur K est un corps intermédiaire entre K et L. Ce corps s’appelle la fermeture algébrique de K dans L. Démonstration. En clair ce corollaire dit que si α et β sont des éléments de L algébriques sur K alors les éléments α + β et αβ (ainsi que α−1 pour α 6= 0) sont encore algébriques sur K. Or ces éléments appartiennent à K(α, β) qui d’après 1.3.11 (a) est une extension finie de K. Corollaire 1.3.13. Soient K ⊂ L une extension et A une partie de L formée d’éléments algébriques sur K. (a) L’extension K ⊂ K(A) est algébrique. (b) On a K[A] = K(A). Démonstration. On se ramène au cas où A est finie : un élément β de K(A) est un quotient de la forme P (α1 , α2 , . . . , αn )/Q(α1 , α2 , . . . , αn ) avec Q(α1 , α2 , . . . , αn ) 6= 0, P et Q désignant deux polynômes, en n indéterminées, à coefficients dans K et α1 , α2 , . . . , αn des éléments de A ; en d’autres termes l’élément β appartient à K({α1 , α2 , . . . , αn }), {α1 , α2 , . . . , αn } désignant une partie finie de A. Corollaire 1.3.14. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Si l’extension K ⊂ L1 est algébrique alors il en est de même pour l’extension L2 ⊂ L1 L2 . Démonstration. On a L1 L2 = L2 (L1 ) et les éléments de L1 qui sont algébriques sur K sont a fortiori algébriques sur L2 (Remarque 1.3.1). Proposition 1.3.15. Soit K ⊂ L une extension. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) L’extension K ⊂ L est finie. (ii) Il existe une suite finie d’extensions algébriques monogènes K = K0 ⊂ K1 ⊂ K2 ⊂ . . . ⊂ Kn = L. (iii) Il existe une partie finie A de L formée d’éléments algébriques sur K telle que l’on a L = K(A). Démonstration. L’implication (ii) ⇒ (i) est conséquence de 1.1.3 et 1.3.4. Pour se convaincre de l’implication (i) ⇒ (iii) prendre pour A une base du K-espace vectoriel L. Pour montrer l’implication (iii) ⇒ (ii) on écrit L = K(α1 , α2 , . . . , αn ) avec les αi algébriques sur K et on pose Ki = K(α1 , α2 , . . . , αi ) ; on a Ki = Ki−1 (αi ) et αi est algébrique sur Ki−1 (Remarque 1.3.1). ÉDITION 2012 22 Extensions de corps Remarque 1.3.16. Ce qui précède donne une démonstration alternative de 1.3.11 (a). Remarque 1.3.17. Le problème de savoir si une extension finie est monogène sera étudié en 3.2.5 ; il existe des extensions finies qui ne le sont pas (voir l’exercice 3.2.5.9). √ √ Exercice 1.3.18. On pose α = 2, β = 3 3 et γ = α + β. Montrer que γ est algébrique de degré 6 sur Q et déterminer son polynôme minimal sur Q. Proposition 1.3.19. Soit K ⊂ L une extension algébrique. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est finie ; (ii) le degré des extensions finies de K intermédiaires entre K et L est majoré. Démonstration. L’implication (i)⇒(ii) est claire. Pour se convaincre de l’implication (ii)⇒(i) faire l’observation suivante : soient α1 , α2 , . . . , αn des éléments de L linéairement indépendants sur K, alors K(α1 , α2 , . . . , αn ) est une extension finie de K de degré ≥ n. Exercice 1.3.20. Montrer que l’énoncé précédent est faux si l’on ne suppose pas l’extension K ⊂ L algébrique. (Considérer l’extension K ⊂ K(X).) Proposition 1.3.21. Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M , les conditions suivantes sont équivalentes : (i) les extensions K ⊂ L et L ⊂ M sont algébriques ; (ii) l’extension K ⊂ M est algébrique. Démonstration. L’implication (ii)⇒(i) est évidente (Remarque 1.3.1). Démontrons (i)⇒(ii). Soit β un élément de M . Puisque β est algébrique sur L il existe des éléments α0 , α1 , . . . , αn de L, non tous nuls, tels que l’on a : α0 + α1 β + . . . + αn β n = 0 ; β est en fait algébrique sur K(α0 , α1 , . . . , αn ). L’extension K(α0 , α1 , . . . , αn ) ⊂ K(α0 , α1 , . . . , αn )(β) est donc finie ; il en est de même pour l’extension K ⊂ K(α0 , α1 , . . . , αn ) d’après 1.3.11 (a) et pour l’extension K ⊂ K(α0 , α1 , . . . , αn )(β) d’après 1.1.3. On en conclut que β est algébrique sur K à l’aide de l’implication (iii)⇒(i) de 1.3.3. Corollaire 1.3.22. Soient K ⊂ L une extension et K la fermeture algébrique de K dans L. Alors la fermeture algébrique de K dans L coı̈ncide avec K. Ce corollaire montre que la terminologie “fermeture algébrique” est raisonnable. On termine ce paragraphe en énonçant une généralisation (d’apparence anodine !) de la proposition 1.3.4 : Cours J. LANNES 23 chapitre 1 Théorème 1.3.23. Soient K ⊂ L une extension et A une partie finie de L. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) les éléments de A sont algébriques sur K ; (ii) K[A] est un corps ; (iii) K[A] = K(A) ; (iv) K(A) est une extension finie de K. Compte tenu de 1.3.11 ce théorème est équivalent au suivant : Théorème 1.3.24. Soient K ⊂ L une extension. On suppose qu’il existe une partie finie A de L telle que l’on a L = K[A]. Alors l’extension K ⊂ L est finie. Cet énoncé est plus profond que les précédents, hormis bien sûr 1.3.23 (le lecteur aura remarqué le changement de statut : il s’agit de théorèmes !) ; il est aussi un peu en marge de la théorie que nous avons en vue. Sa démonstration est renvoyée à 1.6 ou nous donnerons aussi quelques-uns de ses corollaires (dont le fameux théorème des zéros de Hilbert). 1.4. Corps de scindement Définition 1.4.1. Soit P (X) un polynôme non constant à coefficients dans un corps K. On appelle corps de scindement de P (on rencontre également les terminologies, extension de scindement, corps de décomposition, extension de décomposition, corps de rupture...) une extension L de K qui possède les propriétés suivantes : (a) Dans L[X] le polynôme P est produit de polynômes de degré 1. (b) L’extension L est engendrée par K et les racines de P dans L. Remarque 1.4.2. La propriété (b) signifie que l’extension L est “minimale” parmi les extensions de K vérifiant (a). Plus précisément, si M est un corps intermédiaire entre K et L tel que P est produit de polynômes de degré 1 dans M [X] alors les racines de P dans L sont en fait dans M et M est égal à L. D’après 1.3.11 (a) l’extension K ⊂ L est finie, voici une estimation de son degré : Proposition 1.4.3. Soit P (X) un polynôme de degré n ≥ 1 à coefficients dans un corps K. Le degré d’une extension de scindement de P est au plus égal à n!. Démonstration. Soit L une telle extension. Soit α une racine de P dans L ; P se factorise dans K[α][X] : P = (X − α)Q. Il est clair que K[α] ⊂ L est une extension de scindement de Q. Comme on a [L : K] = [K[α] : K][L : K[α]] et [K[α] : K] ≤ n on achève par récurrence sur n. √ √ Exercice 1.4.4. Montrer que Q[ı 3, 3 2] (vu comme un sous-corps de C) est un corps de scindement polynôme à coefficients rationnels X 3 − 2. Montrer que √ du√ 3 l’extension Q ⊂ Q[ı 3, 2] est de degré 6. ÉDITION 2012 24 Extensions de corps Théorème 1.4.5. Soit P (X) un polynôme non constant à coefficients dans un corps K. (a) Il existe un corps de scindement de P . (b) Deux corps de scindement de P sont K-isomorphes. On démontre les deux parties du théorème par une récurrence sur le degré de P calquée sur la précédente. Démonstration de 1.4.5 (a). Il suffit de montrer : Lemme 1.4.6. Soit P (X) un polynôme non constant à coefficients dans un corps K. Alors il existe une extension M de K telle que P est produit de polynômes de degré 1 dans M [X]. En effet le sous-corps de M engendré par K et les racines de P dans M sera un corps de scindement de P . Lemme 1.4.7. Soit P (X) un polynôme non constant à coefficients dans un corps K. Alors il existe une extension de K dans laquelle P a une racine. Démonstration. Soit F un facteur irréductible de P dans K[X]. On pose N = K[X]/F . Comme on l’a vu en 1.1, la K-algèbre N est un corps que l’on peut considérer comme une extension de K. On note α l’élément de N égal à la classe de X modulo P ; on a par construction F (α) = 0 et donc P (α) = 0. Démonstration du lemme 1.4.6. Soit n le degré de P , comme annoncé on procède par récurrence sur n. Le cas n = 1 est trivial ; on suppose n > 1. D’après 1.4.7 on a une factorisation de la forme P (X) = (X − α)Q(X) dans une extension N de K. Par hypothèse de récurrence Q(X) se décompose en facteurs du premier degré dans une extension M de N ; M est aussi une extension de K dans laquelle P se décompose en facteurs du premier degré. Démonstration de 1.4.5 (b). On démontre plutôt l’énoncé suivant : Proposition 1.4.8. Soit P (X) un polynôme non constant à coefficients dans un corps K. Soient λi : K → Li , i = 0, 1, deux homomorphismes de corps tels que l’extension Li de λi (K) est un corps de scindement de λi (P ) (l’image de P par l’isomorphisme d’anneaux K[X] ∼ = λi (K)[X] induit par λi ). Alors il existe un isomorphisme de corps σ : L0 → L1 tel que l’on a λ1 = σ ◦ λ0 . (En fait les énoncés 1.4.8 et 1.4.5 (b) sont équivalents : il est clair que 1.4.8 implique 1.4.5 (b) ; d’autre part, en considérant λi comme le composé d’une inclusion de corps K ⊂ L0i et d’un isomorphisme de corps L0i ∼ = Li , on se convainc que 1.4.5 (b) implique 1.4.8). On procède toujours par récurrence sur le degré n de P . Le cas n = 1 est trivial ; on suppose n > 1. Soient à nouveau, F un facteur irréductible de P dans K[X], N le corps quotient K[X]/F et α l’élément de N Cours J. LANNES 25 chapitre 1 égal à la classe de X modulo P . On fait apparaı̂tre cette fois l’homomorphisme de corps canonique K → N que l’on note ι. Comme prédemment, on a dans N [X] la factorisation ι(P ) = (X − α)Q. Soit αi une racine de λi (F ) dans Li (un tel αi existe parce que λi (F ) divise λi (P ) dans λi (K)[X] et que λi (P ) se décompose en facteurs du premier degré dans Li [X]), on note µi : N → Li l’homomorphisme de corps induit par l’homomorphisme d’anneaux K[X] → Li , R 7→ λi (R)(αi ) ; par construction on a λi = µi ◦ ι. La factorisation λi (P ) = (X − αi )µi (Q) montre que l’extension Li de µi (N ) est un corps de scindement de µi (Q), on peut donc utiliser l’hypothèse de récurrence : il existe isomorphisme de corps σ : L0 → L1 tel que l’on a µ1 = σ ◦ µ0 . Ce qui entraı̂ne λ1 = σ ◦ λ0 . Exemple : La théorie des corps finis que nous développerons dans le prochain chapitre est une bonne illustration du théorème 1.4.5. Exercice 1.4.9. Soient K un corps, p ≥ 1 un entier et a un élément de K. 1) Soit P (X) un polynôme unitaire non constant de degré d, à coefficients dans K, divisant le polynôme X p − a ; on note d le degré de P . 1.1) On pose b = (−1)d P (0). En utilisant l’existence d’un corps de scindement pour P , montrer que l’on a ad = bp . 1.2) Variante. On note E le K-espace vectoriel K[X]/P ; la multiplication par la classe de X est un endomorphisme de E que l’on note u. Montrer que l’on a up = a IdE , IdE désignant l’identité de E. En déduire que l’on a ad = cp , c désignant le déterminant de u. 1.3) Question subsidiaire. Montrer b = c. 2) On suppose p premier, montrer que les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) a n’est pas une puissance p-ième dans K ; (ii) le polynôme X p − a est irréductible dans K[X]. 1.5. Clôture algébrique Proposition-Définition 1.5.1. Soit K un corps. Les propriétés suivantes sont équivalentes : (i) Tout polynôme non constant de K[X] est produit dans K[X] de polynômes de degré 1. (ii) Tout polynôme non constant de K[X] a au moins une racine dans K. (iii) Tout polynôme irréductible de K[X] est de degré 1. (iv) Si L est une extension algébrique de K alors on a L = K. Si K possède ces propriétés on dit que K est algébriquement clos. On laisse le lecteur vérifier l’équivalence des propriétés ci-dessus. Les implications (i)⇒(ii)⇒(iii)⇒(i) et (iii)⇒(iv) sont évidentes ; pour se convaincre de (iv)⇒(iii) considérer le corps quotient K[X]/F associé à un polynôme irréductible F . ÉDITION 2012 26 Extensions de corps Exemples. Le corps C est algébriquement clos. Les corps Q et Fp ne le sont pas. Pour Fp cela résulte de la proposition suivante : Proposition 1.5.2. Tout corps algébriquement clos est infini. Démonstration. On montre qu’un corps fini K ne peut être algébriquement clos en exhibant un polynôme non constant Q de K[X] qui n’a pas de racine dans K. On considère le polynôme P (X) = 1 + a∈K (X − a) ; P est un polynôme de K[X], de degré ≥ 2, qui n’a pas de racine dans K puisque l’on a P (a) = 1 pour tout a dans K. (L’argument ci-dessus est analogue à celui qu’utilisait déjà Euclide pour montrer qu’il existe une infinité de nombre premiers.) Proposition 1.5.3. Soient K ⊂ C une extension et K la fermeture algébrique de K dans C. Si le corps C est algébriquement clos alors il en est de même pour K. Démonstration. Soit P un polynôme non constant de K[X]. Puisque C est algébriquement clos P a une racine α dans C. Par définition α est algébrique sur K ; α appartient à K d’après 1.3.22. Définition 1.5.4. Soit K un corps. On appelle clôture algébrique de K une extension Ω de K qui possède les propriétés suivantes : (a) Ω est un corps algébriquement clos ; (b) Ω est une extension algébrique de K. Exemple. Soit Q la fermeture algébrique de Q dans C ; la proposition 1.5.3 montre que Q est une clôture algébrique de Q. Plus généralement on peut paraphraser 1.5.3 de la façon suivante : Scholie 1.5.5. Soient K ⊂ C une extension et K la fermeture algébrique de K dans C. Si le corps C est algébriquement clos alors K est une clôture algébrique de K. Remarque 1.5.6. Soient K un corps, L une extension algébrique de K et Ω une clôture algébrique de L. Compte tenu de 1.3.21, Ω est aussi une clôture algébrique de K. Théorème 1.5.7. Soit K un corps. (a) Il existe une clôture algébrique de K. (b) Deux clôtures algébriques de K sont K-isomorphes. La démonstration de la partie (b) de ce théorème sera donnée au chapitre 3 (énoncé 3.1.4). Cours J. LANNES 27 chapitre 1 Démonstration de l’existence d’une clôture algébrique On commence par montrer : Proposition 1.5.8. Il existe une extension Ω1 de K telle que : (a) tout polynôme P non constant de K[X] a une racine αP dans Ω1 ; (b) Ω1 est engendrée par K et les αP . (D’après 1.3.13, Ω1 sera une extension algébrique de K.) Les conditions ci-dessus peuvent être reformulées de la façon suivante. Soient E l’ensemble des polynômes non constants de K[X] et {XP }P ∈E un ensemble d’indéterminées en bijection avec E par l’application P 7→ XP , on introduit : – l’anneau de polynômes, en les indéterminées XP , à coefficients dans K, anneau que l’on note K[XP ; P ∈ E] ; – l’idéal de K[XP ; P ∈ E] engendré par les éléments P (XP ), P parcourant E, idéal que l’on note (P (XP ); P ∈ E) ; – la K-algèbre quotient K[XP ; P ∈ E]/(P (XP ); P ∈ E), K-algèbre que l’on note E. Les conditions (a) et (b) de 1.5.8 sont équivalentes à l’existence d’un homomorphisme surjectif de K-algèbres e : E → Ω1 (définir e ou αP par la formule e(xP ) = αP , xP désignant la classe de XP modulo (P (XP ); P ∈ E). Cette observation et le corollaire 0.3.2.5 ramène la démonstration de 1.5.8 à vérifier que la K-algèbre E est non nulle. Précisons. Le corollaire 0.3.2.5 nous dit que E est non nulle si et seulement s’il existe un homomorphisme d’anneaux surjectif de E dans un corps. Soient µ : E → L un tel homomorphisme et λ : K → L le composé de µ et de l’homomorphisme canonique de K dans E. L’homomorphisme de corps λ est aussi le composé d’une inclusion de K dans une extension que l’on appelle Ω1 et d’un isomorphisme de corps τ : Ω1 → L ; τ −1 ◦ µ est bien un homomorphisme surjectif de K-algèbres de E dans Ω1 . Lemme 1.5.9. La K-algèbre E est non nulle. Démonstration. S’il n’en est pas ainsi alors il existe des éléments P1 , P2 , . . . , Pn , de E et des éléments A1 , A2 , . . . , An de K[XP ; P ∈ E] tels que l’on a : 1= X Ai Pi (XPi ) , 1≤i≤n En substituant 0 aux indéterminées distinctes de XP1 , XP2 , . . . , XPn on obtient une relation : X 1= Bi Pi (XPi ) , 1≤i≤n dans laquelle les Bi sont des polynômes en XP1 , XP2 , . . . , XPn . On est donc ramené à montrer le lemme suivant : ÉDITION 2012 28 Extensions de corps Lemme 1.5.10. Soient P1 , P2 , . . . , Pn des polynômes non constants de K[X] ; soit (P1 (X1 ), P2 (X2 ), . . . , Pn (Xn )) l’idéal de l’anneau de polynômes K[X1 , X2 , . . . , Xn ] engendré par les éléments P1 (X1 ), P2 (X2 ), . . . , Pn (Xn ). Alors la K-algèbre quotient K[X1 , X2 , . . . , Xn ]/(P1 (X1 ), P2 (X2 ), . . . , Pn (Xn )) est non nulle. Démonstration. Comme précédemment la non-nullité de cette algèbre équivaut à l’existence d’un corps L dans lequel chaque Pi , 1 ≤ i ≤ n, a une racine. Un corps de scindement du produit P1 P2 . . . Pn fait l’affaire. Voici, sous forme d’exercice, une démonstration plus directe de ce lemme. Exercice 1.5.11. On pose En = K[X1 , X2 , . . . , Xn ]/(P1 (X1 ), P2 (X2 ), . . . , Pn (Xn )). 1) On suppose n > 1 ; montrer que l’on a un isomorphisme canonique En ∼ = En−1 [Xn ]/(Pn (Xn )) (voir 0.2.4). En déduire que la K-algèbre En est non nulle. 2) On note di , 1 ≤ i ≤ n, le degré de Pi . Montrer que la dimension (comme Kespace vectoriel) de En est le produit d1 d2 . . . dn et que les classes modulo (P1 (X1 ), P2 (X2 ), . . . , Pn (Xn )) des monômes X1ν1 X2ν2 . . . Xnνn avec 0 ≤ νi < di , forment une base. On achève maintenant la preuve de l’existence d’une clôture algébrique. La proposition 1.5.8 implique par récurrence l’existence d’une suite d’extensions algébriques K = Ω0 ⊂ Ω1 ⊂ Ω2 ⊂ . . . ⊂ Ωn ⊂ . . . telle que tout polynôme non constant de Ωn [X] a une racine dans Ωn+1 . On note Ω la réunion des ensembles Ωn , n ∈ N ; on munit Ω de l’unique structure d’anneau qui fait de chaque Ωn un sous-anneau, il est clair que Ω est encore un corps. Vérifions que Ω est une clôture algébrique de K : - Le corps Ω est algébriquement clos. En effet, tout polynôme non constant de Ω[X] est dans Ωn [X] pour un certain n et a donc une racine dans Ωn+1 . - L’extension K ⊂ Ω est algébrique. En effet, tout élément de Ω appartient à Ωn pour un certain n et les extensions K ⊂ Ωn sont algébriques d’après 1.3.21. Remarque 1.5.12. On peut montrer, une fois la théorie de Galois mise en place, que Ω1 est en fait déjà une clôture algébrique de K. Cours J. LANNES 29 chapitre 1 1.6. Appendice : où l’on donne une démonstration du théorème 1.3.24 et quelquesuns de ces corollaires (dont le fameux théorème des zéros de Hilbert). On rappelle l’énoncé du théorème 1.3.24 : Théorème. Soient K ⊂ L une extension. On suppose qu’il existe une partie finie A de L telle que l’on a L = K[A]. Alors l’extension K ⊂ L est finie. On démontre ce théorème par récurrence sur le cardinal de A. Quand A est un singleton {α} (cas que l’on a en fait déjà traité, voir 1.3.4) on peut utiliser l’argument suivant : l’égalité K[α] = K(α) interdit à α d’être transcendant sur K puisque l’inclusion de l’anneau de polynômes K[X] dans son corps des fractions K(X) est stricte (on rappelle que si α est transcendant sur K l’homomorphisme d’anneaux canonique K[X] → K[α] est un isomorphisme qui se prolonge en un isomorphisme K(X) ∼ = K(α)) ; α est donc algébrique sur K et l’extension K ⊂ L est bien finie. (Exercice : montrer “plus directement” que si K[α] est un corps alors α est algébrique sur K.) On va voir que le pas de récurrence utilise en fait un argument du même type. On suppose que le cardinal de A est n + 1 : A = {α, α1 , α2 , . . . , αn }. Puisque l’on a L = K(α)[α1 , α2 , . . . , αn ] l’hypothèse de récurrence dit que l’extension K(α) ⊂ L est finie. Soit Pi (X) = ai,0 + ai,1 X + ai,2 X 2 + . . . + X qi , 1≤i≤n, un polynôme unitaire à coefficients dans K(α) tel que l’on a Pi (αi ) = 0. Comme tous les éléments de K(α), les coefficients ai,j sont des quotients de la forme Ni,j (α)/Di,j (α), avec Di,j (α) 6= 0, Ni,j et Di,j désignant des polynômes à coefficients dans K. Il existe donc un polynôme D à coefficients dans K (par exemple le produit de tous les facteurs irréductibles apparaissant dans les Di,j ) tel que D(α) est non nul et que les ai,j appartiennent au sous-anneau K[α, (D(α))−1 ] de K(α). On pose Λ = K[α, (D(α))−1 ] ; on observe que tout K(α)-espace vectoriel est également un Λ-module via l’inclusion d’anneaux Λ ⊂ K(α). Le point-clé de la démonstration du théorème est le suivant : L est un Λ-module de type fini. En effet L est engendré comme Λ-module par les éléments de la forme α1ν1 α2ν2 . . . αnνn , avec 0 ≤ νi < qi . Pour s’en convaincre considérer le sous-Λ-module M de L engendré par ces éléments et constater que l’on a 1 ∈ M, K ⊂ M , αM ⊂ M et αi M ⊂ M pour 1 ≤ i ≤ n, ce qui implique L = K[A] ⊂ M . On en déduit que K(α) est aussi un Λ-module de type fini. En effet, comme L est un K(α)-espace vectoriel non nul il existe une application K(α)-linéaire surjective de L dans K(α) (on n’utilise pas ici l’axiome du choix parce que dimK(α) L est finie !) et cette application est aussi Λ-linéaire. Le fait que K(α) est un Λ-module de type fini implique que α est algébrique sur K. Sinon K(X) serait un K[X, (D(X))−1 ]-module de type fini ce qui est interdit par les deux lemmes suivants (dont la démonstration est laissée au lecteur) : ÉDITION 2012 30 Extensions de corps Lemme 1.6.1. Soient R un anneau intègre, F son corps des fractions et S un sous-anneau de F contenant R. Si le S-module F est de type fini alors on a S = F . Lemme 1.6.2. Soient K un corps et D(X) un élément non nul de K[X]. Alors l’inclusion de K[X, (D(X))−1 ] dans K(X) est stricte. Une fois que l’on sait que α est algébrique sur K la démonstration est achevée : l’extension K ⊂ L est finie parce que les extensions K ⊂ K(α) et K(α) ⊂ L le sont. On reformule maintenant le théorème 1.3.24 en termes d’idéaux maximaux d’anneaux de polynômes en plusieurs indéterminées. Corollaire 1.6.3. Soit K un corps. Soit M un idéal maximal de l’anneau de polynômes K[X1 , X2 , . . . , Xn ]. Alors le corps quotient K[X1 , X2 , . . . , Xn ]/M est de dimension finie comme K-espace vectoriel. Démonstration. On note ρ : K[X1 , X2 , . . . , Xn ] → K[X1 , X2 , . . . , Xn ]/M l’homomorphisme d’anneaux canonique. La restriction de ρ à K est un homomorphisme de corps et K[X1 , X2 , . . . , Xn ]/M est engendré comme anneau par ρ(K) et les éléments ρ(X1 ), ρ(X2 ), . . . , ρ(Xn ) ; le théorème 1.3.24 nous dit que K[X1 , X2 , . . . , Xn ]/M est une extension finie de ρ(K). Exercice 1.6.4. Montrer que les énoncés 1.3.24 et 1.6.3 sont équivalents. Corollaire 1.6.5. Soit K un corps algébriquement clos. Soit M un idéal maximal de l’anneau de polynômes K[X1 , X2 , . . . , Xn ]. Alors l’homomorphisme canonique de K dans le corps quotient K[X1 , X2 , . . . , Xn ]/M est un isomorphisme. Soient K un corps et L une K-algèbre. Soit n ≥ 1 un entier. Soit x = (x1 , x2 , . . . , xn ) un point de Ln ; on note ex : K[X1 , X2 , . . . , Xn ] → L l’homomorphisme de Kalgèbres P 7→ P (x) (P (x) est une abréviation pour P (x1 , x2 , . . . , xn )). L’application x 7→ ex est une bijection de l’ensemble Ln sur l’ensemble des homomorphismes de K-algèbres de K[X1 , X2 , . . . , Xn ] dans L (le lecteur s’en convaincra aisément). Pour L = K, l’homorphisme ex est forcément surjectif ; son noyau est donc un idéal maximal. Ces observations montrent que l’énoncé 1.6.5 est équivalent au suivant : Corollaire 1.6.6. Soit K un corps algébriquement clos. L’application de l’ensemble K n dans l’ensemble des idéaux maximaux de K[X1 , X2 , . . . , Xn ] qui associe à un point x de K n l’idéal formé des polynômes P vérifiant P (x) = 0 est une bijection. Remarque 1.6.7. L’inverse de l’application x 7→ Ker ex est l’application M 7→ ((ρ|K )−1 (ρ(X1 )), (ρ|K )−1 (ρ(X2 )), . . . , (ρ|K )−1 (ρ(Xn ))) (notations de la démonstration de 1.6.3). On ne suppose plus K algébriquement clos. Soient L une extension algébrique de K et x un point de Ln alors Im ex est un sous-corps de L (Proposition 1.3.9) et Ker ex est encore un idéal maximal ; soient L0 une autre extension algébrique de K et µ : L → L0 un K-homomorphisme alors Ker eµ(x) coı̈ncide avec Ker ex (on note encore µ l’application de Ln dans L0n induite par µ). Voici la généralisation de 1.6.6 : Cours J. LANNES 31 chapitre 1 Corollaire 1.6.8. Soit K un corps. Soient Ω une clôture algébrique de K et Γ le groupe des K-automorphismes de Ω. Soit n ≥ 1 un entier ; on note Ωn /Γ l’ensemble quotient de l’action de Γ sur Ωn induite par l’action tautologique de Γ sur Ω. Alors l’application de l’ensemble Ωn /Γ dans l’ensemble des idéaux maximaux de K[X1 , X2 , . . . , Xn ] qui associe à l’orbite d’un point x de Ωn l’idéal formé des polynômes P vérifiant P (x) = 0 est une bijection. Démonstration. Soit λ : K → L un homomorphisme de corps tel que l’extension λ(K) ⊂ L est algébrique. On montrera au chapitre 3 (paragraphe 3.1) qu’il existe un homomorphisme de corps ϕ : L → Ω tel que le composé ϕ ◦ λ est l’inclusion de K dans Ω ; on montrera également que si ϕ0 : L → Ω et ϕ1 : L → Ω sont deux tels homomorphismes alors il existe un K-automorphisme τ de Ω tel que l’on a ϕ1 = τ ◦ ϕ0 . Le corollaire en résulte. Exemple. Prenons K = R et n = 1. Le corollaire 1.6.8 signifie dans ce cas que l’ensemble des idéaux maximaux de R[X] est la réunion de deux sous-ensembles disjoints : - le sous-ensemble des idéaux maximaux M tels que R[X]/M est isomorphe à R (comme R-algèbre ou simplement comme corps) ; ce sous-ensemble est en bijection avec R via l’application a 7→ Ker ea = (X − a) R[X] ; - le sous-ensemble des idéaux maximaux M tels que R[X]/M est isomorphe à C (comme R-algèbre ou simplement comme corps) ; ce sous-ensemble est en bijection avec le sous-ensemble de C formé des nombres complexes de partie imaginaire > 0 via l’application a + ib 7→ Ker ea+ib = ((X − a)2 + b2 ) R[X] . Avant de parvenir enfin au théorème des zéros de Hilbert on doit reformuler encore 1.6.6 en termes d’ensembles algébriques. Soit K un corps. Soit I un idéal de K[X1 , X2 , . . . , Xn ] ; on note Z(I) le sous-ensemble de K n formé des x vérifiant P (x) = 0 pour tout P dans I (Z(I) est l’ensemble algébrique défini par I). Corollaire 1.6.9. Soit K un corps algébriquement clos. Soit I un idéal de K[X1 , X2 , . . . , Xn ]. Si I est distinct de K[X1 , X2 , . . . , Xn ] alors Z(I) est non vide. Démonstration. Si I est distinct de K[X1 , X2 , . . . , Xn ] alors I est contenu dans un idéal maximal M . Si K est algébriquement clos il existe x dans K n tel que l’on a M = Ker ex ; cet élément x appartient à Z(I). Exercice 1.6.10. Montrer que l’implication “Z(I) = ∅ ⇒ 1 ∈ I” caractérise les corps algébriquement clos. Exercice 1.6.11. ÉDITION 2012 Montrer que 1.6.9 implique bien 1.6.6. 32 Extensions de corps Théorème 1.6.12. (Théorème des zéros de Hilbert, Nullstellensatz). Soit K un corps algébriquement clos. Soit I un idéal de K[X1 , X2 , . . . , Xn ]. Si un polynôme F de K[X1 , X2 , . . . , Xn ] vérifie F (x) = 0 pour tout x dans Z(I) alors il existe un entier m ≥ 0 tel que F m appartient à I. Démonstration. On introduit une indéterminée supplémentaire Y et on considère l’idéal J de K[X1 , X2 , . . . , Xn , Y ] engendré par I et le polynôme G = 1 − Y F . Par construction Z(J) est vide. En effet Z(J) est constitué des éléments (x, y) = (x1 , x2 , . . . , xn , y) de K n × K vérifiant x ∈ Z(I) et G(x, y) = 0 ; or, par hypothèse, x ∈ Z(I) implique G(x, y) = 1. D’après 1.6.9 l’idéal J coı̈ncide avec K[X1 , X2 , . . . , Xn , Y ] ; on a donc une relation de la forme 1 = P0 + P1 Y + P2 Y 2 + . . . + Pm Y m + QG , m désignant un entier ≥ 0, P0 , P1 , . . . , Pm des éléments de I et Q un élément de K[X1 , X2 , . . . , Xn , Y ] (le lecteur vérifiera que le second membre de cette relation est bien la forme générale d’un élément de l’idéal de K[X1 , X2 , Xn , Y ] engendré par I et G). En substituant F −1 à Y (on considère la relation ci-dessus comme une relation dans K(X1 , X2 , . . . , Xn )[Y ]) et en multipliant les deux membres par F m on obtient : F m = P0 F m + P1 F m−1 + . . . + Pm−1 F + Pm ; ce qui montre que F m appartient à I. Cours J. LANNES 33 chapitre 2 Chapitre 2 Corps finis La théorie des corps finis est un exemple d’application du théorème d’existence et d’unicité (à isomorphisme près) du corps de scindement d’un polynôme (Théorème 1.4.5). Elle est également une source d’exemples pour la théorie de Galois générale que l’on développera au chapitre 3. Pour des compléments sur le sujet, le lecteur pourra consulter, entre autres, le livre “Cours d’arithmétique” de Jean-Pierre Serre. 2.1. Classification des corps finis Exemples de corps finis Soit p un nombre premier. Le corps Fp est fini à p éléments (on rappelle que Fp est une autre notation pour Z/p). Soit P un polynôme irréductible de Fp [X], alors l’anneau quotient Fp [X]/P est un corps fini à pn éléments, n désignant le degré de P . Par exemple : – F2 [X]/(X 2 + X + 1) est un corps fini à 4 éléments ; – F2 [X]/(X 3 + X + 1) est un corps fini à 8 éléments ; – F3 [X]/(X 2 + 1) est un corps fini à 9 éléments. On verra en 2.1.12 que tout corps fini est en fait isomorphe à un quotient de ce type. En attendant on montre ci-dessous que tout corps fini est isomorphe à une extension finie d’un Fp . Soit K un corps fini. La caractéristique du corps K est non nulle. En effet l’homomorphisme d’anneaux η : Z → K , n 7→ n1K ne peut être injectif puisque Z est infini. Soit p > 0 la caractéristique de K. On rappelle que p est un nombre premier et que η induit un homomorphisme de corps de Fp dans K. Convention. Soit K un corps de caractéristique p. On identifie (via η) Fp et son image dans K ; K devient ainsi une extension de Fp . Remarque 2.1.1. Soient K et L deux corps de caractéristique p. Tout homomorphisme de corps λ : K → L est automatiquement un Fp -homomorphisme. Revenons maintenant à notre corps fini de caractéristique p. Puisque K est fini sa dimension comme Fp -espace vectoriel est finie (par exemple parce que K est engendré, comme Fp -espace vectoriel, par un nombre fini d’éléments !). En d’autres termes K est une extension finie de Fp ; on pose n = [L : K](= dimFp K). Soit q le cardinal de K ; on note que 0 6= 1 implique q ≥ 2. Puisque K est isomorphe à (Fp )n comme Fp -espace vectoriel, on a q = pn . On observe que p et n sont déterminés par q : p est l’unique nombre premier qui divise q et n est la valuation p-adique de q. ÉDITION 2012 34 Corps finis En conclusion : Proposition 2.1.2. Soit K un corps à q éléments. (a) Il existe un nombre premier p et un entier n ≥ 1, uniquement déterminés, tels que l’on a q = pn . (b) Le corps K est de caractéristique p et Fp ⊂ K est une extension de degré n. On en vient au point technique clé de ce paragraphe. Proposition 2.1.3. αq − α = 0. Soit K un corps à q éléments. Pour tout α dans K on a Démonstration. Il faut montrer αq−1 = 1 pour tout α dans K × . Ceci résulte du fait que K × est un groupe fini à q − 1 éléments. Remarque 2.1.4. En fait, comme le groupe K × est commutatif, le résultat évoqué ci-dessus a une démonstration particulièrement simple que l’on va rappeler. Soit α un élément de K × , puisque l’application K × → K × , β 7→ αβ est une bijection, on a Y Y β= (αβ) . β∈K × β∈K × Or on a par ailleurs Y (αβ) = αq−1 β∈K × Y β. β∈K × On en déduit que αq−1 est l’élément neutre de K × . Soit K un corps de caractéristique p ; soit FrK son endomorphisme de Frobenius. n Soit α un élément de K, on a (FrK )n (α) = αp , (FrK )n désignant le n-ième itéré de FrK : (FrK )n = FrK ◦ FrK ◦ · · · ◦ FrK , n fois. La proposition 2.1.3 peut donc se reformuler ainsi : Proposition 2.1.5. Soit K un corps fini de caractéristique p ; soit n le degré de l’extension Fp ⊂ K. Alors l’endomorphisme (FrK )n est l’identité de K. La proposition 2.1.3 admet les deux corollaires suivant : Corollaire 2.1.6. Soit K un corps à q éléments. On a dans K[X] la relation : Y Xq − X = (X − α) . α∈K Corollaire 2.1.7. Soit q un entier de la forme pn , p désignant un nombre premier et n un entier ≥ 1. Soit K un corps à q éléments. Alors Fp ⊂ K est une extension de scindement du polynôme X q − X de Fp [X]. Cours J. LANNES 35 chapitre 2 Réciproquement : Proposition 2.1.8. Soit q un entier de la forme pn , p désignant un nombre premier et n un entier ≥ 1. Soit Fp ⊂ K une extension de scindement du polynôme X q − X de Fp [X]. Alors K est un corps à q éléments. Démonstration. On pose P (X) = X q − X. L’ensemble L des racines de P dans K est un sous-corps de K ; en effet L est l’ensemble des points fixes de l’endomorphisme (FrK )n du corps K. On a donc L = K. Le cardinal de L est q car P n’a pas de racine multiple puisque l’on a P 0 = −1, P 0 désignant le dérivé formel de P (on dit que P est séparable, voir 3.4.1.9). Compte tenu du théorème 1.4.5 on a : Théorème 2.1.9. Soit q un entier de la forme pn , p désignant un nombre premier et n un entier ≥ 1. (a) Il existe un corps à q éléments. (b) Deux corps à q éléments sont isomorphes. Sous-corps d’un corps fini Proposition 2.1.10. l’extension Fp ⊂ K. Soit K un corps fini de caractéristique p ; soit n le degré de (a) Soit d ≥ 1 un diviseur de n ; soit Ld le sous-corps de K formé des points fixes de l’endomorphisme (FrK )d . Alors le degré [Ld : Fp ] est égal à d. (b) Soit L un sous-corps de K ; soit d le degré [L : Fp ]. Alors d divise n et l’on a L = Ld . Démonstration de (a). En clair Ld est l’ensemble des racines dans K du polynôme d d n X p − X de Fp [X]. Or le polynôme X p − X divise le polynôme X p − X ; pour s’en d d n n convaincre, écrire X p − X = X(X p −1 − 1), X p − X = X(X p −1 − 1) et remarquer n que pd −1 divise pn −1 dans N. On en déduit que Ld a pd éléments puisque X p −X a pn racines distinctes dans K (à savoir tous les éléments de K). Le fait que le cardinal de Ld est égal à pd équivaut à [Ld : Fp ] = d. Démonstration de (b). D’après 1.1.4, d divise n. D’après 2.1.5, on a L ⊂ Ld . Comme les degrés [L : Fp ] et [Ld : Fp ] sont égaux, on a L = Ld . Exercice 2.1.11. Soit p un nombre premier et n un entier ≥ 1 ; on pose q = pn . 1) Soit P un polynôme unitaire irréductible de Fp [X]. Montrer que les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) le degré de P divise n ; (ii) P divise X q − X. (Pour se convaincre de (i) ⇒ (ii) considérer le quotient Fp [X]/P .) ÉDITION 2012 36 Corps finis 2) Quelle est la décomposition en facteurs unitaires irréductibles de X q − X dans Fp [X] ? On achève ce paragraphe en précisant le point (b) de la proposition 2.1.2. Théorème 2.1.12. de Fp . Un corps fini de caractéristique p est extension monogène Démonstration. Soit K un corps fini de caractéristique p ; soit n le degré de l’extension Fp ⊂ K. Soit S la réunion des sous-corps de K, distincts de K. Il faut montrer que l’on a S 6= K. En effet, on se convainc aisément que K − S est exactement l’ensemble des éléments α de K vérifiant Fp [α] = K. D’après 2.1.10 on a (card(S) désignant le cardinal de S) : X card(S) ≤ pd d|n et d<n et a fortiori : card(S) ≤ X pd . 1≤d≤n−1 On a 1≤d≤n−1 pd = (q − p)/(p − 1) (cette égalité reste valable pour n = 1 si l’on convient qu’une somme indexée par l’ensemble vide est nulle !). D’où finalement l’inégalité card(S) ≤ q − p. P Exercice 2.1.13. 1) Soit f une application de N − {0} dans un Z-module M (un avatar d’un P groupe abélien, voir 0.4). Soit g l’application de N−{0} dans M définie par g(n) = d|n f (d). Montrer que l’on a la formule (appelée formule d’inversion de Möbius) : X f (n) = µ(d)g(n/d) , d|n µ : N − {0} → Z désignant la “fonction de Möbius” définie de la façon suivante. Soit n = pv11 pv22 · · · pvrr la décomposition en facteurs premiers d’un élément n de N − {0} ; on pose µ(n) = (−1)r si tous les vi sont égaux à 1 (on a donc en particulier µ(1) = 1) et µ(n) = 0 dans le cas contraire. (Indication : commencer par vérifier la formule dans le cas où f est l’application de N − {0} dans Z qui vaut 1 pour n = 1 et 0 pour n 6= 1.) 2) Soit K un corps fini de caractéristique p ; soit n le degré de l’extension Fp ⊂ K. On note f (n) le nombre des éléments α de K vérifiant Fp [α] = K. Montrer que l’on a X f (n) = µ(d)p(n/d) . d|n (A l’aide de cette formule il est facile de vérifier l’inégalité f (n) > 0. On obtient ainsi une démonstration alternative du théorème 2.1.12.) Cours J. LANNES 37 chapitre 2 Corollaire 2.1.14. Toute extension finie d’un corps fini est monogène. Démonstration. Soient K un corps fini de caractéristique p et K ⊂ L une extension finie. Il est clair que L est fini ; il existe donc, d’après le théorème 2.1.12, un élément α dans L avec Fp [α] = L. On a a fortiori K[α] = L. 2.2. Théorie de Galois des corps finis On commence cette théorie par deux observations que l’on aurait pu faire plus tôt. Proposition 2.2.1. Soit K corps fini de caractéristique p. Soit α un élément de K, les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) α ∈ Fp ; (ii) FrK (α) = α. Démonstration. On peut considérer cette proposition comme la spécialisation pour d = 1 de 2.1.10 (a). Cependant, la démonstration de 2.1.10 (a) se simplifie dans p ce Q cas ; l’équivalence ci-dessus résulte par exemple de ce que l’on a X − X = β∈Fp (X − β) dans Fp [X]. Proposition 2.2.2. morphisme. L’endomorphisme de Frobenius d’un corps fini est un auto- Démonstration. On propose trois arguments (au diable l’avarice !). Soit K un corps fini, comme tout homomorphisme de corps l’endomorphisme de Frobenius FrK est injectif, il faut montrer qu’il est aussi surjectif. – Puisque l’ensemble K est fini toute application injective de K dans K est bijective. – Soit p la caractéristique de K. Puisque le Fp -espace vectoriel K est de dimension finie toute application Fp -linéaire injective de K dans K est bijective. – Soit n le degré de l’extension Fp ⊂ K. La proposition 2.1.5 dit que l’endomorphisme (FrK )n−1 du corps K est l’inverse de FrK . Les deux propositions ci-dessus impliquent a fortiori : Scholie 2.2.3. Soit K un corps fini de caractéristique p. Un élément de K qui est invariant par tous les automorphismes de K appartient à Fp . On montre maintenant que tout automorphisme d’un corps à pn éléments est un itéré du Frobenius et que celui-ci est d’ordre n. Théorème 2.2.4. Soit K un corps fini de caractéristique p ; soit n le degré de l’extension Fp ⊂ K. Alors le groupe des automorphismes de K est cyclique d’ordre n engendré par le Frobenius. Démonstration. Soit Aut(K) le groupe des automorphismes de K. D’après la proposition 2.1.5 l’homomorphisme de groupes Z → Aut(K), s 7→ (FrK )s , que l’on note f , induit un homomorphisme de groupes Z/n → Aut(K), que l’on note g. On doit montrer que g est un isomorphisme. ÉDITION 2012 38 Corps finis On montre d’abord que g est injectif. Ceci revient à montrer que le noyau de f est le sous-groupe nZ de Z (le noyau de f est le sous-groupe de Z formé des éléments dont l’image par f est l’élément neutre de Aut(K), c’est-à-dire l’identité de K). On note Ker f le noyau de f . On sait que l’on a nZ ⊂ Ker f (Proposition 2.1.5) ; on a donc Ker f = dZ, avec d ≥ 1 diviseur de n (on utilise ici que tout sous-groupe de Z est de la forme dZ avec d ≥ 0). On ne peut avoir d 6= n ; en effet le sous-corps de K formé des points fixes de (FrK )d a au plus pd éléments (en fait le point (a) de la proposition 2.1.10 dit qu’il en a exactement pd ). On montre ensuite que Aut(K) a au plus n éléments. Compte tenu de ce qui précède, il en résultera que g est bijectif. Soit α un élément de K avec K = Fp [α] (un tel α existe d’après 2.1.12). On note P son polynôme minimal sur Fp et R l’ensemble des racines de P dans K ; P est de degré n puisque l’on a K = Fp [α]. On considère l’application (ensembliste) e : Aut(K) → K , σ 7→ σ(α). Les deux points suivants : – e est injective, – l’image de e est contenue dans R, entraı̂nent que Aut(K) a au plus n éléments. Le premier point découle de K = Fp [α]. Le second du fait que σ est un Fp -automorphisme : P (α) = 0 implique P (σ(α)) = 0. Remarque 2.2.5. Soit α un élément de K avec K = F[α],Q la démonstration ci-dessus montre que le polynôme minimal sur Fp de α est le produit 0≤s≤n−1 (X−(FrK )s (α)). On aurait pu montrer a priori que ce produit appartenait à Fp [X] en invoquant 2.2.1. On aurait obtenu ainsi une démonstration alternative de la surjectivité de g. Soient K un corps fini à q éléments et K ⊂ L une extension finie. L’application α 7→ αq est un K-automorphisme de L. En effet, soient p la caractéristique de K (et de L) et m le degré de l’extension àFp ⊂ K, alors cette application n’est rien d’autre que l’automorphisme (FrL )m de L dont la restriction à K est l’identité. Le théorème ci-dessous généralise le théorème 2.2.4 : Théorème 2.2.6. Soit K un corps fini à q éléments. Soit K ⊂ L une extension finie de degré n. Alors le groupe des K-automorphismes de L est cyclique d’ordre n engendré par le K-automorphisme α 7→ αq . Démonstration. On pourrait donner une démonstration analogue à la précédente. Cependant, pour montrer les mécanismes de la théorie de Galois en action (voir 3.4.4), on décrit une démonstration du théorème 2.2.6 qui le fait apparaı̂tre comme un corollaire du théorème 2.2.4. Soient, comme ci-dessus, p la caractéristique de K et m le degré de l’extension Fp ⊂ K ; Fp ⊂ L est une extension de degré mn. Soit Aut(L/K) le groupe des K-automorphismes de L ; par définition Aut(L/K) est un sous-groupe du groupe Aut(L) de tous les automorphismes de L. On sait (Théorème 2.2.4) que le groupe Aut(L) est cyclique d’ordre mn engendré par FrL . Soit s un entier ; on considère l’automorphisme (FrL )s de L. Par définition du Frobenius, le sous-corps K de L est stable par (FrL )s et l’automorphisme de K induit par (FrL )s est (FrK )s . Pour que (FrL )s soit un K-automorphisme il faut donc que (FrK )s soit l’identité de K. D’après le théorème 2.2.4 l’exposant s doit être multiple de m ; le théorème 2.2.6 en résulte. Cours J. LANNES 39 chapitre 2 Corps finis et clôture algébrique de Fp Soit p un nombre premier. On fixe une clôture algébrique Ω de Fp . Soit n ≥ 1 un entier ; on pose q = pn . On note Fq le sous-corps de Ω formé des points fixes de l’automorphisme (FrΩ )n de Ω (au fait pourquoi FrΩ est-il un automorphisme de Ω ?). Les affirmations ci-après sont essentiellement conséquence de tout ce qui précède (paragraphes 2.1 et 2.2). – Le corps Fq a q éléments. (Par définition Fq est extension de scindement du polynôme X q − X de Fp [X].) – Tout corps à q éléments est isomorphe à Fq . – Tout sous-corps fini de Ω est l’un Fq . – Le corps Ω est réunion des Fq . (Soit α un élément de Ω, puisque α est algébrique sur Fp le sous-corps Fp [α] est extension finie de Fp , il est donc fini.) – Tout automorphisme de Fq est induit par un automorphisme de Ω. (Le sous-corps Fq est stable par FrΩ et l’automorphisme de Fq induit par FrΩ est FrFq .) Exercice 2.2.7. Soient p un nombre premier et Ω une clôture algébrique de Fp . On note Aut(Ω) le groupe des automorphismes du corps Ω. 1) Montrer que l’homomorphisme de groupes f : Z → Aut(Ω) , s 7→ (FrΩ )s est injectif. (On pourra, en première lecture, ignorer les deux questions suivantes.) 2) Soient m et n deux entiers avec m divisant n ; on note ρm,n : Z/n → Z/m l’homomorphisme de groupes (d’anneaux) induit par l’homomorphisme canonique b le sous-groupe (sous-anneau) du produit Q Z → Z/m. On note Z n∈N−{0} Z/n formé des éléments (sn )n∈N−{0} vérifiant ρm,n (sn ) = sm pour tout couple (m, n) dans N − {0} × N − {0} tel que m divise n. b Montrer que le groupe Aut(Ω) est “canoniquement” isomorphe à Z. 3) L’homomorphisme f est-il surjectif ? 2.3. Structure du groupe multiplicatif d’un corps fini Théorème 2.3.1. Le groupe multiplicatif d’un corps fini est cyclique. Il s’agit d’un cas particulier du théorème suivant : Théorème 2.3.2. cyclique. ÉDITION 2012 Tout sous-groupe fini du groupe multiplicatif d’un corps est 40 Corps finis La démonstration que l’on va exposer utilise une partie de la théorie des groupes abéliens finis. Pour un autre type de démonstration voir le livre “Cours d’arithmétique” de Jean-Pierre Serre, déjà cité, ou l’exercice 4.1.4.11. Une propriété des groupes abéliens finis Un groupe abélien fini n’est rien d’autre qu’un Z-module fini, ou encore un Z-module de type fini et de torsion (voir 0.4, c’est là la solution de l’exercice 0.4.2). On emploie ci-dessous le langage des Z-modules. La principale (c’est le cas de le dire) raison de ce choix est que ce qui va suivre se généralise aux modules de type fini et de torsion sur un anneau principal. Soit M un Z-module fini. On associe à M deux entiers strictement positifs χ(M ) et µ(M ) : – χ(M ) est simplement le cardinal de M ; – µ(M ) est le générateur strictement positif de l’idéal de Z formé des entiers n tels que l’on a nx = 0 pour tout x dans M . Puisque l’ordre d’un élément d’un groupe fini divise l’ordre de ce groupe (voir 2.1.4) µ(M ) divise χ(M ). Soit x un élément de M , on note µ(x) l’ordre de x (en d’autres termes, le générateur strictement positif de l’idéal de Z formé des entiers n tels que l’on a nx = 0). Proposition 2.3.3. Soit M un Z-module fini. Alors il existe un élément x de M pour lequel on a µ(x) = µ(M ). Démonstration. Soit E = {x1 , x2 , · · · , xr } une partie finie génératrice de M (prendre par exemple E = M !). Il est clair que µ(M ) est le p.p.c.m. des µ(xi ), la proposition résulte donc du lemme suivant : Lemme 2.3.4. Soit M un Z-module fini. Soient x et y deux éléments de M . Alors il existe un élément z de M tel que µ(z) est le p.p.c.m. de µ(x) et µ(y). Démonstration. Soit m le p.p.c.m. de µ(x) et µ(y). Il existe deux entiers strictement positifs a et b, uniquement déterminés, tels que : – a divise µ(x) ; – b divise µ(y) ; – le produit ab est égal à m ; – a et b sont premiers entre eux (pour s’en convaincre décomposer µ(x) et µ(y) en facteurs premiers). On pose x0 = (µ(x)/a)x et y 0 = (µ(y)/b)y ; on a donc µ(x0 ) = a et µ(y 0 ) = b. On pose enfin z = x0 + y 0 . D’une part abz = 0 implique µ(z)|ab, d’autre part (bµ(z))x0 = 0 et (aµ(z))y 0 = 0 implique a|µ(z) et b|µ(z). On en déduit µ(z) = m. La proposition 2.3.3 a pour corollaire : Cours J. LANNES 41 chapitre 2 Corollaire 2.3.5. équivalentes : Soit M un Z-module fini. Les deux conditions suivantes sont (i) M est engendré par un seul élément (M est cyclique) ; (ii) µ(M ) = χ(M ). Remarque 2.3.6. La théorie des groupes abéliens finis ne s’arrête pas là. La proposition 2.3.3 dit qu’il existe un homomorphisme injectif i : Z/µ(M ) → M . On peut montrer ensuite qu’il existe un homomorphisme r : M → Z/µ(M ) tel que r ◦ i est l’identité de Z/µ(M ). On en déduit par récurrence qu’un groupe abélien fini est un produit fini de groupes cycliques finis. Démonstration du théorème 2.3.2 Soit K un corps et U un sous-groupe fini de K × . Par définition les éléments de U sont racines du polynôme X µ(U ) − 1 de K[X], on en déduit χ(U ) ≤ µ(U ). Comme µ(U ) divise χ(U ) on a forcément µ(U ) = χ(U ). D’après le corollaire 2.3.5 le groupe U est cyclique. Exercice 2.3.7. 1) Soit p un nombre premier > 2. Montrer que les trois conditions suivantes sont équivalentes : (i) −1 est un carré dans Fp ; (ii) F× p contient un élément d’ordre 4 ; (iii) p ≡ 1 (mod 4). 2) Soit p un nombre premier > 3. Montrer que les quatre conditions suivantes sont équivalentes : (i) −3 est un carré dans Fp ; (ii) le polynôme X 2 + X + 1 de Fp [X] a une racine dans Fp ; (iii) F× p contient un élément d’ordre 3 ; (iv) p ≡ 1 (mod 3). 3) Soit p un nombre premier de la forme 2n + 1 avec n ≥ 2. Soit x un élément de F× p, montrer que les conditions suivantes sont équivalentes : (i) x est un générateur de F× p ; (ii) x n’est pas un carré dans F× p. En déduire que 3 est un générateur de F× p. 4) Question subsidiaire (facile) : Montrer que si un nombre entier de la forme 2n + 1, avec n ≥ 1, est premier alors n est nécessairement une puissance de 2. (Fermat pensait à tort que la réciproque était vraie, voir ci-après.) ÉDITION 2012 42 Corps finis Intermède culturel (merci Wikipédia) n Un nombre de Fermat est un entier naturel qui peut s’écrire sous la forme 22 + 1, n avec n entier naturel. Le n-ème nombre de Fermat, 22 +1, est noté Fn . Ces nombres doivent leur nom au mathématicien français Pierre de Fermat (1601-1665) qui émit la conjecture que tous ces nombres étaient premiers. Cette conjecture se révéla fausse, F5 n’étant pas premier, de même que tous les nombres de Fermat jusqu’à F32 . On ne sait pas si les nombres à partir de F33 sont premiers ou non. Les seuls nombres de Fermat premiers connus sont donc F0 , F1 , F2 , F3 et F4 . Carl Friedrich Gauss (1777-1855) a établi un lien entre ces nombres et la construction à la règle et au compas des polygones réguliers : un polygone régulier à n côtés peut être construit à la règle et au compas si et seulement si n est une puissance de 2, ou le produit d’une puissance de 2 et de nombres de Fermat premiers distincts. Ce résultat de Gauss est l’une des applications spectaculaires de la théorie de Galois dont nous traiterons au chapitre 4. Retour sur le théorème 2.1.12 Le théorème 2.3.1 implique le théorème 2.1.12. Expliquons pourquoi. Soit K un corps fini à q = pn éléments. Le théorème 2.3.1 dit qu’il existe un élément α dans K × tel que l’on a K × = {1, α, α2 , . . . , αq−2 } ; il est manifeste qu’un tel α vérifie a fortiori Fp [α] = K. Exercice 2.3.8. Soit K un corps fini de caractéristique p. Soient A le sous-ensemble de K formé des éléments α qui vérifie Fp [α] = K et B le sous-ensemble de K × formé des éléments α qui engendre ce groupe ; on a donc B ⊂ A. Quels sont les cardinaux de A et B pour K = F4 et K = F9 ? Cours J. LANNES 43 chapitre 3 Chapitre 3 Fondements de la Théorie de Galois On met patiemment en place dans ce long chapitre les fondements de la Théorie de Galois. Voici, pour se faire pardonner le côté fastidieux de certains sorites préliminaires, la bande-annonce du chapitre. (Musique.) Soit K ⊂ L une extension algébrique de corps. Cette extension est dite galoisienne si elle vérifie par exemple la propriété suivante : soit α un élément de L, soient P son polynôme minimal sur K et d le degré de P , alors P a d racines distinctes dans L. On montre dans ce cas que le groupe des K-automorphismes de L, que l’on appelle le groupe de Galois de l’extension, permute transitivement les racines de P dans L. Soient K ⊂ L une extension finie galoisienne et G son groupe de Galois. On vérifie que G est fini et que son cardinal est égal au degré de l’extension. Soient H un sous-groupe de G et M le corps intermédiaire entre K et L formé des éléments de L invariants par H, le théorème fondamental de la théorie de Galois dit que l’application H 7→ M est une bijection, de l’ensemble des sous-groupes de G sur l’ensemble des corps intermédiaires entre K et L. Le théorème fondamental de la théorie de Galois permet de donner des réponses en termes de groupes finis à des questions concernant la théorie des corps. Par exemple : - Le fait que tout homomorphisme du groupe alterné An dans un groupe commutatif est trivial pour n ≥ 5 entraı̂ne que l’équation “générique” du n-ième degré n’est pas “résoluble par radicaux” pour n ≥ 5. - Le polygone régulier à n côtés est constructible à la règle et au compas (en termes de théorie des corps, il s’agit de savoir s’il existe une suite finie d’extensions quadratiques Q ⊂ K1 ⊂ K2 ⊂ · · · ⊂ Kr avec Kr ⊂ R et cos(2π/n) ∈ Kr ) si et seulement si le cardinal du groupe (Z/n)× est une puissance de 2. Ces questions seront traitées au chapitre 4. (Fin de la bande-annonce.) Conseil de lecture On pourra en première lecture supposer que le “corps de base” K est de caractéristique zéro ou que c’est un corps fini. Cette hypothèse simplifie considérablement le paragraphe 3.2 : toutes les extensions algébriques sont alors séparables. Du coup il n’y a pas de différence entre la notion d’extension quasi-galoisienne et celle d’extension galoisienne. ÉDITION 2012 44 3.1. Fondements de la Théorie de Galois Prolongement de certains homomorphismes de corps Toute la théorie échaffaudée dans ce chapitre repose sur la proposition suivante : Proposition 3.1.1. Soient λ : K → L et η : K → C deux homomorphismes de corps. On suppose que L est une extension algébrique de λ(K) et que C est algébriquement clos. Alors il existe un homomorphisme de corps ϕ : L → C tel que l’on a ϕ ◦ λ = η. Rappelons, en préalable à la démonstration de cette proposition, deux observations déjà faites au chapitre 1 : - Les corps L et C sont des K-algèbres via λ et η et les homomorphismes de corps ϕ : L → C vérifiant ϕ ◦ λ = η ne sont rien d’autre que les homomorphismes de K-algèbres. - Les homomorphismes de corps λ et η peuvent être vus comme des composés d’inclusions de corps K ⊂ L0 , K ⊂ C 0 et d’isomorphismes de corps L0 ∼ = L, C 0 ∼ = C. La seconde des observations ci-dessus montre que l’on peut supposer dans la démonstration de 3.1.1 que ou λ ou η ou λ et η sont des inclusions de corps. Rappelons également que dans le cas où λ et η sont des inclusions les homomorphismes de corps ϕ : L → C vérifiant ϕ ◦ λ = η ont été appelés des K-homomorphismes. Quand λ est une inclusion de corps, un homomorphisme de corps ϕ : L → C vérifiant ϕ ◦ λ = η est un prolongement de η à L ; la version de 3.1.1 que nous nous proposons finalement de démontrer est la suivante : Proposition 3.1.2. Soient K ⊂ L une extension de corps et η : K → C un homomorphisme de corps. On suppose que L est une extension algébrique de K et que C est algébriquement clos. Alors il existe un homomorphisme de corps ϕ : L → C prolongeant η. Démonstration. Première étape : on suppose que l’extension K ⊂ L est monogène. Soient α un élément de L tel que l’on a L = K[α] et P son polynôme minimal sur K ; on rappelle que l’homomorphisme K[X] → L , Q 7→ Q(α) induit un isomorphisme de K-algèbres K[X]/P ∼ = L. L’ensemble des prolongements de η à L s’identifie donc avec l’ensemble des homomorphismes de K-algèbres de K[X]/P dans C. Cet ensemble d’homomorphismes est en bijection avec l’ensemble R des racines de ηP dans C ; puisque C est algébriquement clos R est non vide. Seconde étape : le cas général. On utilise le lemme de Zorn. Soit E l’ensemble des paires (M, ψ), M désignant un corps intermédiaire entre K et L et ψ un homomorphisme de corps de M dans C prolongeant η. On munit E de la relation d’ordre (notée ≤) suivante. Soient (M0 , ψ0 ) et (M1 , ψ1 ) deux éléments Cours J. LANNES 45 chapitre 3 de E ; on écrit (M0 , ψ0 ) ≤ (M1 , ψ1 ) si M0 est contenu dans M1 et si ψ1 prolonge ψ0 . L’ensemble ordonné E possède les deux propriétés ci-dessous qui font que l’on peut appliquer le lemme de Zorn : (Z.1) L’ensemble E est non vide. (Z.2) Tout sous-ensemble totalement ordonné de E est majoré. La propriété (Z.1) est claire puisque (K, η) est élément de E. Vérifions (Z.2). Soit {(Mi , ψi )}i∈I un sous-ensemble totalement ordonné de E. Soit M la réunion des Mi et ψ l’application de M dans C dont la restriction à Mi est ψi , alors M est un corps intermédiaire entre K et L, ψ est un homomorphisme de corps de M dans C prolongeant η et l’on a (Mi , ψi ) ≤ (M, ψ) pour tout i dans I. D’après le lemme de Zorn E possède un élément maximal. Soit (M, ψ) un tel élément. La première étape montre que l’on a nécessairement M = L ce qui achève la démonstration. Détaillons. Supposons M 6= L. Soit α un élément de L − M , d’après la première étape (observer que α, qui par hypothèse est algébrique sur K, est a fortiori algébrique sur M ) il existe un homomorphisme de corps χ : M [α] → C prolongeant ψ, on a (M, ψ) ≤ (M [α], χ) et (M, ψ) 6= (M [α], χ). Ceci contredit la maximalité de (M, ψ). Scholie 3.1.3. Soit K ⊂ L une extension algébrique. Soit C un corps algébriquement clos contenant K. Alors il existe un corps Λ intermédiaire entre K et C et un Kisomorphisme de L sur Λ. Remarques - Le corps Λ ci-dessus n’est pas en général unique. Les extensions algébriques pour lesquelles on a unicité de Λ seront étudiées en 3.3. - Le corps Λ est une extension algébrique de K ; il est donc contenu dans la fermeture algébrique K de K dans C. Comme K est une clôture algébrique de K, on ne perdra rien par la suite à supposer qu’il en est de même pour C. Corollaire 3.1.4 (“Unicité” de la clôture algébrique). Soient ηi : K → Ωi , i = 0, 1, deux homomorphismes de corps. On suppose que Ωi est une clôture algébrique de ηi (K). Alors il existe un isomorphisme de corps τ : Ω0 → Ω1 tel que l’on a η1 = τ ◦η0 . En particulier deux clôtures algébriques de K sont K-isomorphes. D’après 3.1.1 il existe un homomorphisme de corps τ : Ω0 → Ω1 tel que l’on a η1 = τ ◦ η0 ; il reste à montrer que τ est un isomorphisme ou encore que τ est surjectif puisque tout homomorphisme de corps est injectif. Pour cela nous proposons deux démonstrations. Première démonstration. On considère les extensions η1 (K) ⊂ τ (Ω0 ) ⊂ Ω1 ; puisque l’extension η1 (K) ⊂ Ω1 est algébrique il en est de même pour l’extension τ (Ω0 ) ⊂ Ω1 . Comme τ (Ω0 ) est algébriquement clos (puisque isomorphe à Ω0 ) on a τ (Ω0 ) = Ω1 . ÉDITION 2012 46 Fondements de la Théorie de Galois Seconde démonstration. Il existe aussi un homomorphisme de corps τ 0 : Ω1 → Ω0 tel que l’on a η0 = τ 0 ◦ η1 . On se convainc que τ et τ 0 sont des isomorphismes grâce au lemme ci-dessous qui montre que τ 0 ◦ τ (resp. τ ◦ τ 0 ) est un η0 (K)-automorphisme de Ω0 (resp. un η1 (K)-automorphisme de Ω1 ). Lemme 3.1.5. Soit K un corps. Tout K-endomorphisme d’une extension algébrique de K est un K-automorphisme. Démonstration. Soient K ⊂ L une extension algébrique et σ un K-endomorphisme de L. On doit montrer que σ est surjectif. Soit α un élément de L ; on note R l’ensemble des racines dans L du polynôme minimal de α sur K. Le K-endomorphisme σ induit une application de l’ensemble R dans lui-même. Cette application est injective (puisque σ est injectif), comme R est fini elle aussi surjective. En particulier il existe β dans R tel que l’on a σ(β) = α. Exercice 3.1.6. automorphisme. Donner un exemple d’endomorphisme de corps qui n’est pas un Proposition 3.1.7. Soient σ : K0 → K1 et ηi : Ki → Ωi , i = 0, 1, trois homomorphismes de corps. On suppose que les extensions σ(K0 ) ⊂ K1 , ηi (Ki ) ⊂ Ωi sont algébriques et que Ωi est algébriquement clos. Alors il existe un isomorphisme de corps τ : Ω0 → Ω1 tel que l’on a η1 ◦ σ = τ ◦ η0 . Démonstration. On considère les extensions (η1 ◦ σ)(K0 ) ⊂ η1 (K1 ) ⊂ Ω1 . Puisque l’extension σ(K0 ) ⊂ K1 est algébrique alors il en est de même pour l’extension (η1 ◦ σ)(K0 ) ⊂ η1 (K1 ). D’après 1.3.21 l’extension (η1 ◦ σ)(K0 ) ⊂ Ω1 est également algébrique. On conclut en appliquant 3.1.1 aux deux homomorphismes η0 et η1 ◦ σ. Scholie 3.1.8. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K ; soient L0 et L1 deux corps intermédiaires entre K et Ω. Tout K-homomorphisme de L0 dans L1 se prolonge en un K-automorphisme de Ω. 3.2. 3.2.1. Extensions algébriques séparables Degré séparable d’une extension finie Soient λ : K → L et η : K → Ω deux homomorphismes de corps tels que les extensions λ(K) ⊂ L, η(K) ⊂ Ω sont algébriques et que Ω est algébriquement clos. Nous notons dans ce cas Hom(λ, η) l’ensemble des homomorphismes de corps ϕ : L → Ω vérifiant ϕ ◦ λ = η. La proposition 3.1.1 dit que l’ensemble Hom(λ, η) est non vide ; on va maintenant estimer son cardinal. On observe tout d’abord que ce cardinal est indépendant du choix de η : Proposition 3.2.1.1. Soient λ : K → L et ηi : K → Ωi , i = 0, 1, trois homomorphismes de corps tels que les extensions λ(K) ⊂ L, ηi (K) ⊂ Ωi sont algébriques et que Ωi est algébriquement clos. Alors les ensembles Hom(λ, η0 ) et Hom(λ, η1 ) sont en bijection. Cours J. LANNES 47 chapitre 3 Démonstration. Soit τ : Ω0 → Ω1 l’isomorphisme de corps fourni par 3.1.4. L’application Hom(λ, η0 ) → Hom(λ, η1 ) , ϕ 7→ τ ◦ ϕ est une bijection. On analyse ensuite le comportement de Hom(λ, η) quand λ est un composé. Soient λ : K → L, µ : L → M et η : K → Ω trois homomorphismes de corps tels que les extensions λ(K) ⊂ L, µ(L) ⊂ M , η(K) ⊂ Ω sont algébriques et que Ω est algébriquement clos. D’après 1.3.21 l’extension (µ ◦ λ)(K) ⊂ M est algébrique si bien que l’ensemble Hom(µ ◦ λ, η) est défini. On considère l’application Hom(µ ◦ λ, η) → Hom(λ, η) , ψ 7→ ψ ◦ µ que l’on note r. Soit ϕ un élément de Hom(λ, η), l’ensemble Hom(µ, ϕ) est défini puisque l’extension ϕ(L) ⊂ Ω est algébrique ; Hom(µ, ϕ) s’identifie au sous-ensemble r−1 (ϕ) de Hom(µ ◦ λ, η). Proposition 3.2.1.2. (a) L’application r : Hom(µ ◦ λ, η) → Hom(λ, η) est surjective. (b) Pour tous points ϕ0 et ϕ1 de Hom(λ, η) les ensembles r−1 (ϕ0 ) = Hom(µ, ϕ0 ) et r−1 (ϕ1 ) = Hom(µ, ϕ1 ) sont en bijection. Démonstration. Pour tout point ϕ de Hom(λ, η) l’ensemble r−1 (ϕ) = Hom(µ, ϕ) est non vide d’après 3.1.1 : voilà pour le point (a). Le point (b) est un avatar de 3.2.1.1. Scholie 3.2.1.3. Soit ϕ un point de Hom(λ, η), il existe une bijection (non canonique) de Hom(µ ◦ λ, η) sur Hom(λ, η) × Hom(µ, ϕ), disons t, qui fait commuter le diagramme : Hom(µ ◦ λ, η) t −−−−−→ r & Hom(λ, η) × Hom(µ, ϕ) . Hom(λ, η) dans lequel la flèche oblique de droite est la projection sur le premier facteur. Proposition-Définition 3.2.1.4. Soit K ⊂ L une extension finie ; soit Ω une clôture algébrique de K. L’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω est fini, son cardinal est inférieur ou égal au degré de l’extension K ⊂ L et indépendant du choix de Ω. Ce cardinal s’appelle le degré séparable de l’extension K ⊂ L et se note [L : K]s (on a donc, avec cette notation, l’inégalité [L : K]s ≤ [L : K]). Démonstration. Notons Hom(K ⊂ L, K ⊂ Ω) l’ensemble Hom(λ, η) pour les inclusions respectives de K dans L et Ω ; Hom(K ⊂ L, K ⊂ Ω) est l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω. D’après 3.2.1.1 l’ensemble Hom(K ⊂ L, K ⊂ Ω) ÉDITION 2012 48 Fondements de la Théorie de Galois est “indépendant à bijection près” du choix de Ω. On montre qu’il est fini et que son cardinal est inférieur ou égal à [L : K] par récurrence sur [L : K]. Le cas K = L est trivial. Le cas où l’extension K ⊂ L est monogène a déjà été abordé dans la première étape de la démonstration de 3.1.1. On y a vu que pour L = K[α] l’ensemble Hom(K ⊂ L, K ⊂ Ω) est en bijection avec l’ensemble R des racines dans Ω du polynôme minimal P de α sur K ; R est fini et son cardinal est inférieur ou égal au degré de P qui coı̈ncide avec [L : K] (la relation entre le cardinal de R et le degré de P sera précisée en 3.2.2). On passe maintenant au cas général. On peut supposer K 6= L. Soient α un élément de L − K et Ω une clôture algébrique de K[α] (et donc de K). D’après 3.2.1.3 on a une bijection Hom(K ⊂ L, K ⊂ Ω) ∼ = Hom(K ⊂ K[α], K ⊂ Ω) × Hom(K[α] ⊂ L, K[α] ⊂ Ω) ; comme [L : K[α]] est strictement inférieur à [L : K] on conclut grâce à l’analyse du cas monogène et à l’hypothèse de récurrence. Proposition 3.2.1.5. Soient K ⊂ M une extension finie et L un corps intermédiaire entre K et M. Les degrés séparables des extensions K ⊂ M , K ⊂ L et L ⊂ M vérifient : [M : K]s = [M : L]s [L : K]s . Démonstration. Soit Ω une clôture algébrique de L (et donc de K). Comme précédemment on a, d’après 3.2.1.3, une bijection Hom(K ⊂ M, K ⊂ Ω) ∼ = Hom(K ⊂ L, K ⊂ Ω) × Hom(L ⊂ M, L ⊂ Ω) . On termine ce paragraphe par deux scholies dont le lecteur verra plus tard l’utilité. Le premier est une variante de 3.2.1.2, 3.2.1.3 et 3.2.1.5 (tant pis pour la répétition !). Le second, qui est une spécialisation du premier, est implicite dans la démonstration de 3.2.1.4. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soit K ⊂ L une extension algébrique. Pour alléger, l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω est noté cidessous S(L) (plutôt que Hom(K ⊂ L, K ⊂ Ω)) ; l’emploi de cette notation suppose implicitement que K et Ω sont fixés. Scholie 3.2.1.6. Soient K ⊂ M une extension algébrique et L un corps intermédiaire entre K et M . (a) L’application de restriction r : S(M ) → S(L) est surjective. (b) Si l’extension L ⊂ M est finie alors l’image réciproque r−1 (ϕ) de tout point ϕ de S(L) est finie de cardinal [M : L]s . Scholie 3.2.1.7. Soit K ⊂ L une extension algébrique. Soient α un élément de L, P son polynôme minimal sur K, et RΩ (P ) l’ensemble des racines de P dans Ω. (a) L’image de l’application eα : S(L) → Ω , ϕ 7→ ϕ(α), est RΩ (P ). (b) Si l’extension K ⊂ L est finie alors l’image réciproque e−1 α (β) de tout point β de RΩ (P ) est finie de cardinal [L : K[α]]s . Cours J. LANNES 49 chapitre 3 Au risque d’être un peu lourd, expliquons ce scholie. L’application eα peut être vue comme la composée de la restriction r : S(L) → S(K[α]) et de l’application S(K[α]) → Ω , ψ 7→ ψ(α) ; cette dernière application induit une bijection de S(K[α]) sur RΩ (P ). Les points (a) et (b) sont conséquences des points (a) et (b) de 3.2.1.6. 3.2.2. Degré séparable d’une extension finie monogène Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soit K[α] une extension finie monogène de K. Soient P le polynôme minimal de α sur K et RΩ (P ) l’ensemble des racines de P dans Ω. Le degré [K[α] : K] de l’extension K ⊂ K[α] est aussi le degré de P que l’on note n. On a vu que le degré séparable [K[α] : K]s est quant à lui le cardinal de RΩ (P ). Le cardinal de RΩ (P ) est égal à n si et seulement si la condition suivante est vérifiée : (S) Toutes les racines de P dans Ω sont simples. Si cette condition n’est pas satisfaite alors il existe un élément β dans Ω vérifiant P (β) = 0 et P 0 (β) = 0 (le polynôme P 0 est le dérivé formel du polynôme P ). Comme P est un polynôme unitaire irréductible de K[X] l’égalité P (β) = 0 montre que P est aussi le polynôme minimal de β sur K ; l’égalité P 0 (β) = 0 montre que P divise P 0 . Puisque le degré de P 0 est strictement inférieur à celui de P on doit avoir P 0 = 0. Comme le terme de plus haut degré de P 0 est nX n−1 , ce polynôme ne peut être nul si la caractéristique de K est 0 : dans ce cas la condition (S) est toujours satisfaite. Par contre on va voir que la condition (S) n’est pas toujours satisfaite en caractéristique non nulle. On suppose maintenant que K est de caractéristique p > 0. Le dérivé d’un polynôme P est nul si et seulement s’il existe un polynôme P1 tel que l’on a P (X) =P P1 (X p ) (un tel P1 est alors unique). Voici comment s’en convaincre. On écrit P = k∈N ak X k , P 0 = 0 équivaut à kak = 0 pour tout k ; or on a kak = (k1K )ak et l’élément k1K de K est nul ou non suivant que k est multiple de p ou non si bien que P 0 = 0 équivaut à ak = 0 pour tout k non multiple de p. Si de plus P est irréductible alors il en est de même pour P1 . Le lemme ci-dessous, dont la démonstration est renvoyée à 3.2.2.7, traite de la réciproque. Lemme 3.2.2.1. Soient K un corps de caractéristique p > 0 et F un polynôme unitaire irréductible de K[X]. Alors les conditions suivantes sont équivalentes : (i) Le polynôme F (X p ) n’est pas irréductible. (ii) Il existe un polynôme G de K[X] tel que l’on a F (X p ) = (G(X))p . Rappelons que nous notons Fr : K → K a 7→ ap , l’endomorphisme de Frobenius de K. Nous notons encorePFr : K[X]P→ K[X] son P extension à K[X], coeffik k cients par coefficients : Fr( ak X ) = Fr(ak )X = (ak )p X k . D’après 1.1.1 ÉDITION 2012 50 Fondements de la Théorie de Galois l’égalité F (X p ) = (G(X))p est équivalente à l’égalité F (X p ) = Fr(G)(X p ), qui elle est équivalente à l’égalité = Fr(G). Le lemme 3.2.2.1 peut donc être reformulé ainsi : Lemme 3.2.2.2. Soient K un corps de caractéristique p > 0 et F un polynôme unitaire irréductible de K[X]. Alors les conditions suivantes sont équivalentes : (i) Le polynôme F (X p ) n’est pas irréductible. (ii) Il existe un polynôme G de K[X] tel que l’on a F = Fr(G). Revenons maintenant à notre étude des polynômes unitaires irréductibles dont le dérivé est nul. Le lemme 3.2.2.2 admet à son tour la variante suivante : Lemme 3.2.2.3. Soient K un corps de caractéristique p > 0 et P un polynôme unitaire irréductible de K[X]. Alors les conditions suivantes sont équivalentes (i) P 0 = 0 ; (ii) il existe un polynôme unitaire irréductible P1 de K[X] qui n’est pas dans l’image de F r, tel que l’on a P (X) = P1 (X p ). Si l’endomorphisme de Frobenius de K est surjectif (c’est alors un automorphisme) il en est de même de son extension à K[X] (coefficients par coefficients) et il n’existe pas de polynôme unitaire irréductible P dont le dérivé est nul : à nouveau la condition (S) est toujours satisfaite (observer que l’on n’utilise ici que l’implication (ii) ⇒ (i) de 3.2.2.1, implication qui est triviale). Quand l’endomorphisme de Frobenius est surjectif on dit que le corps K est parfait. Exemples - On a vu au chapitre 2 qu’un corps fini est parfait (Proposition 2.2.2) ; plus généralement une extension algébrique d’un corps parfait est encore un corps parfait, voir 3.2.2.8. - Le corps Fp (T ) des fractions rationnelles à coefficients dans Fp en l’indéterminée T est un corps de caractéristique p qui n’est pas parfait : dans Fp (T ) l’élément T n’est pas une puissance p-ième (utiliser par exemple un argument de degré). Supposons par contre qu’il existe un élément a de K qui n’est pas dans l’image de Fr (qui n’est pas la puissance p-ième d’un élément de K) alors X p − a est un polynôme unitaire irréductible (d’après 3.2.2.2) qui ne satisfait pas la condition (S). Plus précisément il existe un unique α dans Ω vérifiant αp = a et on a X p − a = (X − α)p dans Ω[X]. Exercice 3.2.2.4. Montrer à l’aide du critère d’Eisenstein (Théorème 0.3.4.19) que le polynôme X p − T de Fp (T )[X] est irréductible. Voici enfin un dernier énoncé concernant les polynômes unitaires irréductibles dont le dérivé est nul. Cours J. LANNES 51 chapitre 3 Proposition 3.2.2.5. Soient K un corps de caractéristique p > 0 et P un polynôme unitaire irréductible de K[X]. Alors les conditions suivantes sont équivalentes : (i) P 0 = 0 ; (ii) il existe un entier m ≥ 1 et un polynôme unitaire irréductible Q de K[X] dont le m dérivé est non nul et qui n’est pas dans l’image de Fr, tel que l’on a P (X) = Q(X p ). Démonstration de (i)⇒(ii). On a vu que l’on avait P (X) = P1 (X p ), P1 désignant un polynôme unitaire irréductible de K[X] qui n’est pas dans l’image de F r. Si P10 est non nul on a fini ; si P10 est nul on écrit à nouveau P1 (X) = P2 (X p ). On obtient ainsi une suite finie de polynômes unitaires irréductibles de K[X], P = P0 , P1 , . . . , Pm = Q, avec m ≥ 1, vérifiant : – Pk (X) = Pk+1 (X p ) pour 0 ≤ k < m ; – Pk n’est pas dans l’image de F r pour 0 < k ≤ m ; 0 – Pm 6= 0. Tirons les conséquences de la proposition 3.2.2.5 en termes d’ensembles de racines dans Ω et d’extensions finies monogènes. Soient P un polynôme unitaire irréductible de K[X] avec P 0 = 0 et Q le polynôme donné par l’implication (i) ⇒ (ii) ; soit RΩ (Q) l’ensemble des racines de Q dans Ω. Puisque Q0 est non nul le cardinal de RΩ (Q) est égal au degré de Q. D’autre part m l’application RΩ (P ) → RΩ (Q) , β 7→ β p est une bijection. Soient respectivement n et r le degré de P et le cardinal de RΩ (P ), ce qui précède montre en particulier que l’on a la relation n = pm r. Soit K[α] une extension finie monogène de K telle que le polynôme minimal P de α sur K est comme ci-dessus. Alors : – Q est le polynôme minimal de αp – [K[α pm ] : K]s = [K[α pm m sur K ; ] : K] ; m m – le polynôme minimal de α sur K[αp ] est X p − αp m m ; m – [K[α] : K[αp ]] = pm et [K[α] : K[αp ]]s = 1 ; – [K[α] : K] = pm [K[α] : K]s ; m – [K[α] : K]s = [K[αp ] : K]s . L’essentiel des discussions de ce paragraphe est récapitulé dans la proposition suivante : Proposition 3.2.2.6. Soient K[α] une extension finie monogène de K et P le polynôme minimal de α sur K. (a) Les degrés [K[α] : K]s et [K[α] : K] coı̈ncident dans les deux cas suivants : – K est de caractéristique 0 ; – K est de caractéristique p > 0 et parfait. ÉDITION 2012 52 Fondements de la Théorie de Galois (b) Les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) P 0 = 0 ; (ii) [K[α] : K]s 6= [K[α] : K]. (c) Si [K[α] : K]s n’est pas égal à [K[α] : K], ce qui ne peut arriver que lorsque K est de caractéristique p > 0, alors il existe un entier m ≥ 1 tel que l’on a [K[α] : K] = m m m pm [K[α] : K]s . On a en outre [K[αp ] : K] = [K[αp ] : K]s , [K[α] : K[αp ]] = pm , m m [K[α] : K[αp ]]s = 1 et [K[α] : K]s = K[αp ] : K]s . 3.2.2.7. Démonstration du lemme 3.2.2.1 L’implication qui nécessite une démonstration est (i) ⇒ (ii). Soit donc F un polynôme unitaire irréductible de K[X] tel que le polynôme F (X p ) n’est pas irréductible. Soient G un facteur unitaire irréductible de F (X p ) et m ≥ 1 l’exposant avec lequel il apparaı̂t dans F (X p ) ; on a donc F (X p ) = Gm H, H désignant un polynôme unitaire non divisible par G. En dérivant l’égalité F (X p ) = Gm H on obtient 0 = mG0 H + GH 0 . Le polynôme G divise donc le produit (mG0 )H. Puisqu’il est irréductible et qu’il ne divise pas H, il divise mG0 . Puisque le degré de mG0 est strictement inférieur à celui de G on doit avoir mG0 = 0. On a donc aussi H 0 = 0. Posons A = Gm ; on a A0 = 0. Il existe donc deux polynômes unitaires A1 et H1 tels que l’on a A(X) = A1 (X p ) et H(X) = H1 (X p ), et l’égalité F (X p ) = Gm H s’écrit F (X p ) = A1 (X p )H1 (X p ). Ceci équivaut à F = A1 H1 . Puisque F est irréductible et que le degré de A1 est non nul on doit avoir H1 = 1 et donc H = 1. Nous en sommes à F (X p ) = Gm ; puisque F (X p ) n’est pas irréductible on doit avoir m > 1. Nous avons vu que mG0 est nul. Or G0 ne peut être nul : dans le cas contraire on aurait comme précédemment F = (G1 )m et F ne serait pas irréductible. L’entier m est donc multiple de p : m = pq. On montre q = 1 par l’argument que nous avons déjà employé deux fois. On écrit F (X p ) = (Gp )q ; Gp est un polynôme en X p , Gp (X) = B(X p ) (en fait B = Fr(G)), F (X p ) = (B(X p ))q équivaut à F = B q et l’irréductibilité de F force q = 1. 3.2.2.8. Extensions algébriques d’un corps parfait (Dans notre terminologie un corps parfait est déjà par définition de caractéristique non nulle.) Proposition 3.2.2.8. ractéristique p > 0. Soit K ⊂ L une extension avec K (et donc L) de ca- (a) Si l’extension K ⊂ L est finie les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) K est parfait ; (ii) L est parfait. (b) Si l’extension K ⊂ L est algébrique et si K est parfait alors il en est de même pour L. Cours J. LANNES 53 chapitre 3 Démonstration de (a). Si l’extension K ⊂ L est finie alors il en est de même pour l’extension Fr(K) ⊂ Fr(L) et l’on a [Fr(L) : Fr(K)] = [L : K]. (Plus généralement, soient ϕ : K → K 0 un isomorphisme de corps, E un K-espace vectoriel, E 0 un K 0 -espace vectoriel, f : E → E 0 un isomorphisme des groupes abéliens sous-jacents vérifiant f (ax) = ϕ(a)f (x) pour tout a dans K et tout x dans E ; si E est de dimension finie sur K alors E 0 est de dimension finie sur K 0 et l’on a dimK E = dimK 0 E 0 .) On conclut en contemplant le diagramme d’extensions Fr(K) ⊂ T K Fr(L) T ⊂ L. Démonstration de (b). Soit x un élément de L. Si l’extension K ⊂ L est algébrique alors l’extension K ⊂ K[x] est finie. Si K est parfait alors K[x] l’est aussi d’après (a) ; en particulier il existe y dans K[x] avec x = y p . Exercice 3.2.2.9. Donner un exemple d’extension algébrique K ⊂ L avec L parfait et K non parfait. 3.2.3. Degré inséparable d’une extension finie On est maintenant en mesure d’affiner l’inégalité [L : K]s ≤ [L : K] de 3.2.1.4. Proposition-Définition 3.2.3.1. Soit K ⊂ L une extension finie. (a) Les degrés [L : K]s et [L : K] coı̈ncident dans les deux cas suivants : – K est de caractéristique 0 ; – K est de caractéristique p > 0 et parfait. (b) Si K est un corps arbitraire de caractéristique p > 0, alors il existe un entier m ≥ 0 tel que l’on a [L : K] = pm [L : K]s . Dans tous les cas on appelle degré inséparable de l’extension K ⊂ L et on note [L : K]i l’entier défini par la relation [L : K] = [L : K]s [L : K]i . (Le degré inséparable est donc égal à 1 si K est de caractéristique 0 ou de caractéristique p > 0 et parfait et à une puissance de p si K est corps arbitraire de caractéristique p > 0.) Démonstration. On reprend la démonstration de 3.2.1.4 à la lumière du paragraphe 3.2.2. Pour le second cas du point (a) on utilise dans la récurrence qu’une extension finie monogène d’un corps parfait est encore un corps parfait (Proposition 3.2.2.8). Les propositions 1.1.3 et 3.2.1.5 impliquent : ÉDITION 2012 54 Fondements de la Théorie de Galois Proposition 3.2.3.2. Soient K ⊂ M une extension finie et L un corps intermédiaire entre K et M . Les degrés inséparables des extensions K ⊂ M , K ⊂ L et L ⊂ M vérifient : [M : K]i = [M : L]i [L : K]i . Exercice 3.2.3.3. Soit p un nombre premier ; soient m ≥ 1 et n ≥ 1 deux entiers. On note L le corps Fp (T1 , T2 , · · · , Tn ) des fractions rationnelles à coefficients dans Fp en les indéterminées T1 , T2 , · · · , Tn ; on note K le sous-corps de L image de F rm . Montrer que l’extension K ⊂ L est finie et déterminer les degrés [L : K], [L : K]s et [L : K]i . 3.2.4. Notion de séparabilité pour une extension algébrique Proposition-Définition 3.2.4.1. Soit K ⊂ L une extension. Soit α un élément de L, algébrique sur K. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) α est racine simple d’un polynôme de K[X] (autrement dit, il existe P dans K[X] avec P (α) = 0 et P 0 (α) 6= 0) ; (ii) le dérivé du polynôme minimal de α sur K est non nul ; (iii) [K[α] : K]i = 1 (ou [K[α] : K]s = [K[α] : K]). Si ces conditions sont vérifiées on dit que α est séparable sur K. Démonstration. On démontre (i)⇒(ii). Soit P un polynôme de K[X] avec P (α) = 0 et P 0 (α) 6= 0 et soit F le polynôme minimal de α sur K ; on écrit P = F Q, on dérive et l’on évalue en α, il vient P 0 (α) = F 0 (α)Q(α) ce qui montre que F 0 est non nul. L’implication (ii)⇒(i) et l’équivalence (ii)⇔(iii) résultent du paragraphe 3.2.2. Remarque 3.2.4.2. Compte tenu de ce que l’on a vu au paragraphe 3.2.2 concernant les polynômes unitaires irréductibles dont le dérivé est nul, un élément algébrique sur K est toujours séparable sur K dans les deux cas suivants : – K est de caractéristique 0 ; – K est de caractéristique p > 0 et parfait. Remarque 3.2.4.3. Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M , la condition (i) de 3.2.4.1 montre qu’un élément de M qui est algébrique et séparable sur K est a fortiori algébrique et séparable sur L. Exercice 3.2.4.4. Soit K ⊂ L une extension. Soit α un élément de L, algébrique sur K ; on pose q = [K[α] : K]i . Montrer que αq est (algébrique et) séparable sur K. Définition 3.2.4.5. Une extension algébrique K ⊂ L est dite séparable si tout élément de L est séparable sur K (on rappelle que, par définition d’une extension algébrique, tout élément de L est déjà algébrique sur K). Remarque 3.2.4.6 (corollaire de la remarque 3.2.4.2). Une extension algébrique d’un corps K est toujours séparable dans les deux cas suivants : – K est de caractéristique 0 ; – K est de caractéristique p > 0 et parfait. Cours J. LANNES 55 chapitre 3 Remarque 3.2.4.7. (corollaire de la remarque 3.2.4.3). Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M . Si l’extension K ⊂ M est algébrique et séparable alors il en est de même pour l’extension L ⊂ M . Proposition 3.2.4.8. Soit K ⊂ L une extension finie (et donc algébrique). Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est séparable ; (ii) le degré inséparable [L : K]i est égal à 1 (ou le degré séparable [L : K]s coı̈ncide avec le degré [L : K]). Démonstration. Soit α un élément de L, la relation [L : K]i = [K[α] : K]i [L : K[α]]i entraı̂ne (ii)⇒(i). Cette même relation entraı̂ne (i)⇒(ii) par récurrence sur [L : K] en tenant compte de la remarque 3.2.4.7. Corollaire 3.2.4.9. Soit K ⊂ L une extension. Soit α un élément de L, algébrique sur K. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) α est séparable sur K ; (ii) l’extension K ⊂ K[α] est séparable. Corollaire 3.2.4.10. Soit K ⊂ L une extension finie (et donc algébrique). Si la caractéristique de K ne divise pas le degré [L : K] alors l’extension K ⊂ L est séparable. Démonstration. On peut supposer que K est de caractéristique p > 0. Dans ce cas [L : K]i est une puissance de p qui divise [L : K]. Exercice 3.2.4.11 (question de lucidité). Donner une démonstration “plus directe” de ce corollaire. Corollaire 3.2.4.12. Soient K ⊂ M une extension finie et L un corps intermédiaire entre K et M (les extensions K ⊂ L et L ⊂ M sont donc également finies). Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) les extensions K ⊂ L et L ⊂ M sont séparables ; (ii) l’extension K ⊂ M est séparable. Démonstration. Conséquence à nouveau de la relation [M : K]i = [M : L]i [L : K]i . Proposition 3.2.4.13. Soit K ⊂ L une extension algébrique et séparable ; soit Ω une clôture algébrique de K. Les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est finie ; (ii) l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω est fini. Si ces conditions sont vérifiées alors le nombre des K-homomorphismes de L dans Ω est égal à [L : K]. ÉDITION 2012 56 Fondements de la Théorie de Galois Démonstration. On note S(L) l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω. L’implication (i)⇒(ii) a déjà été démontrée en 3.2.1 sans l’hypothèse de séparabilité ; on a alors défini le degré séparable [L : K]s comme le cardinal de S(L). Si l’extension est séparable on a en outre : [L : K] = [L : K]s . Pour se convaincre de l’implication (ii)⇒(i) on utilise la proposition 1.3.19 : on montre que si S(L) est fini alors le degré d’une extension finie M de K intermédiaire entre K et L est majoré par le cardinal de S(L). Ceci résulte des deux points suivants : – L’application de restriction de S(L) vers S(M ) est surjective. – Puisque l’extension K ⊂ M est séparable son degré est égal (d’après ce qui précède) au cardinal de S(M ). Exercice 3.2.4.14. Soit K ⊂ L une extension avec K (et donc L) de caractéristique p. 1) Un élément α de L est dit purement inséparable sur K s’il existe un entier m ≥ 0 m tel que αp appartient à K. Montrer que le sous-ensemble de L formé des éléments purement inséparables sur K est un sous-corps. 2) Montrer que l’on ne peut avoir (ii)⇒(i) dans la proposition ci-dessus sans l’hypothèse de séparabilité. Proposition 3.2.4.15. Soient K ⊂ L une extension et A une partie de L formée d’éléments algébriques et séparables sur K. Alors l’extension K ⊂ K(A) est algébrique et séparable. Démonstration. Comme pour 1.3.13 (a), on se ramène au cas où A est finie : A = {α1 , α2 , · · · , αn }. Pour montrer que l’extension K ⊂ K(α1 , α2 , · · · , αn ), finie d’après 1.3.11 (a), est séparable, on procède par récurrence sur n. Le cas n = 1 est réglé par 3.2.4.9. On suppose n > 1 et l’on considère les extensions K ⊂ K(α1 , α2 , . . . , αn−1 ) ⊂ K(α1 , α2 , . . . , αn ) = K(α1 , α2 , . . . , αn−1 )(αn ) ; l’extension K(α1 , α2 , . . . , αn−1 ) ⊂ K(α1 , α2 , . . . , αn−1 )(αn ) est séparable d’après 3.2.4.3 et 3.2.4.9, l’extension K ⊂ K(α1 , α2 , . . . , αn−1 ) est séparable par hypothèse de récurrence. On conclut grâce à 3.2.4.12. Scholie 3.2.4.16. Soit K ⊂ L une extension. Le sous-ensemble de L formé des éléments algébriques et séparables sur K est un corps intermédiaire entre K et L. Corollaire 3.2.4.17. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Si l’extension K ⊂ L1 est algébrique et séparable alors il en est de même pour l’extension L2 ⊂ L1 L2 . Démonstration. On a L1 L2 = L2 (L1 ) et les éléments de L1 qui sont algébriques et séparables sur K sont a fortiori algébriques et séparables sur L2 (Remarque 3.2.4.3). La proposition 3.2.4.15 permet d’adapter la démonstration de la proposition 1.3.21 au contexte présent ; on obtient ainsi une généralisation de l’énoncé 3.2.4.12. (Le lecteur aura à coeur de reprendre la démonstration de la proposition 1.3.21 et d’effectuer les adaptations évoquées ci-dessus.) Cours J. LANNES 57 chapitre 3 Proposition 3.2.4.18. Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M , les conditions suivantes sont équivalentes : (i) les extensions K ⊂ L et L ⊂ M sont algébriques et séparables ; (ii) l’extension K ⊂ M est algébrique et séparable. 3.2.5. Le théorème de l’élément primitif Proposition 3.2.5.1. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K ; soit K ⊂ L une extension finie séparable. Soit α un élément de L, les conditions suivantes sont équivalentes : (i) K[α] = L ; (ii) l’application ϕ 7→ ϕ(α), définie sur l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω et à valeurs dans Ω, est injective. Démonstration. Le scholie 3.2.1.7 (b) montre que la condition (ii) est équivalente à la condition [L : K[α]]s = 1. Or, d’après 3.2.4.12, l’extension finie K[α] ⊂ L est séparable ; on a donc [L : K[α]] = [L : K[α]]s . On dit qu’un élément α de L vérifiant la condition (i) ci-dessus est primitif. La condition (ii) permet de se convaincre (au moins lorsque K est infini) que de tels éléments existent. En d’autres termes : Théorème 3.2.5.2 (Théorème de l’élément primitif). Toute extension finie séparable est monogène. Démonstration. Soit K ⊂ L une extension finie séparable. On distingue deux cas suivant que le corps K est infini ou non. Le cas où K est fini est réglé par 2.1.14 (on rappelle au passage que si K est fini toute extension algébrique est séparable, Remarque 3.2.4.6). On suppose donc que K est infini ; Ω désigne comme d’habitude un clôture algébrique de K. Soit α un élément de L. D’après 3.2.5.1 α est non primitif si et seulement s’il existe deux K-homomorphismes de L dans Ω, distincts, ϕ et ψ tels que l’on a ϕ(α) = ψ(α). On note M{ϕ,ψ} le sous-ensemble de L formé des éléments x vérifiant ϕ(x) = ψ(x). Il est clair que M{ϕ,ψ} est un corps intermédiaire entre K et L, distinct de L ; en particulier M{ϕ,ψ} est un sous-K-espace vectoriel de L distinct de L. Compte tenu de ce qui précède l’ensemble des éléments non primitifs de L est la réunion des M{ϕ,ψ} , {ϕ, ψ} décrivant l’ensemble des parties à 2 éléments de Hom(K ⊂ L, K ⊂ Ω). Cette réunion ne peut être L à cause du lemme ci-dessous. Lemme 3.2.5.3. Soit K un corps. Soit n ≥ 1 un entier. S’il existe un K-espace vectoriel qui est réunion de n sous-espaces vectoriels stricts alors le corps K est fini et son cardinal est < n (on dit qu’un sous-espace vectoriel est strict s’il est distinct de l’espace tout entier). En particulier un espace vectoriel sur un corps infini n’est pas réunion d’un nombre fini de sous-espaces vectoriels stricts. ÉDITION 2012 58 Fondements de la Théorie de Galois Démonstration. Soient E un espace vectoriel et E1 , E2 , · · · , En , des sous-espaces vectoriels distincts de E, on montre par récurrence sur n que si K contient un sousensemble à n éléments alors il existe un élément de E qui n’appartient à aucun des Ei . Par hypothèse de récurrence il existe x dans E avec x 6∈ Ei pour 1 ≤ i ≤ n − 1. Si l’on a aussi x 6∈ En , il n’y a rien à montrer ; on suppose donc x ∈ En . Soit y un élément de E − En , on considère la droite affine D = {ax + y; a ∈ K} ; on vérifie que D ∩ Ei a au plus un point pour 1 ≤ i ≤ n − 1 et est vide pour i = n. Comme D contient un sous-ensemble à n éléments (puisque D est en bijection avec K) il existe un point de D qui n’appartient à aucun des Ei . Exercice 3.2.5.4. Soit K un corps fini à q éléments. Soit E un K-espace vectoriel de dimension ≥ 2 (éventuellement infinie). Montrer que E est réunion de q + 1 sousespaces vectoriels distincts de E. (Indication : traiter d’abord le cas où E est de dimension 2.) Exemple Soit Q la fermeture algébrique de Q dans C. Soit K un sous-corps de Q ; K est donc une extension algébrique de Q (forcément séparable). On note S(K) l’ensemble des homomorphismes de K dans Q (qui sont forcément des Q-homomorphismes). Si K est une extension finie de Q alors S(K) est fini et son cardinal est égal à [K : Q]. √ √ On pose α = 2 et β = 3 3. Le produit des applications de restriction S(Q[α, β]) → S(Q[α]) × S(Q[β]) est une injection. Détaillons. Soient ϕ et ψ deux homomorphismes de K dans Q, si les restrictions de ϕ et ψ à Q[α] et Q[β] coı̈ncident alors on a ϕ(α) = ψ(α) et ϕ(β) = ψ(β) ce qui implique bien ϕ = ψ. Comme les cardinaux des ensembles S(Q[α]), S(Q[β]) et S(Q[α, β]) sont respectivement 2, 3 et 6 (le degré [Q[α, β] : Q] est égal à 6 puisqu’il est divisible par 2 et 3, et inférieur ou égal à 6) l’application S(Q[α, β]) → S(Q[α]) × S(Q[β]) ci-dessus est une bijection. En d’autres termes l’application S(Q[α, β]) → Q × Q , ϕ 7→ (ϕ(α), ϕ(β)) induit une bijection de S(Q[α, β]) sur {α, −α} × {β, jβ, j 2 β} ({α, −α} et {β, jβ, j 2 β} sont respectivement les ensembles des racines dans Q des polynômes X 2 − 2 et X 3 − 3). On pose γ = α + β. La liste des ϕ(γ), ϕ parcourant S(K), est la suivante : α + β , −α + β , α + jβ , −α + jβ , α + j 2 β , −α + j 2 β . Puisque ces 6 éléments sont distincts γ est un élément primitif : Q[α, β] = Q[γ] (on retrouve le résultat de l’exercice 1.3.18). Corollaire 3.2.5.5. Soit K ⊂ L une extension algébrique séparable. Soit n un entier. Les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) L’extension K ⊂ L est finie et son degré est majoré par n. (ii) Le degré sur K de tout élément de L est majoré par n. Cours J. LANNES 59 chapitre 3 Démonstration. Conséquence de la proposition 1.3.19 et du théorème 3.2.5.2 (et du fait qu’une extension de K intermédiaire entre K et L est algébrique et séparable). Remarque 3.2.5.6. l’exercice 3.2.5.9. L’énoncé 3.2.5.5 est faux sans l’hypothèse de séparabilité ; voir Remarque 3.2.5.7. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K ; soient K ⊂ L une extension finie séparable et M un corps intermédiaire entre K et L. Le scholie 3.2.1.6 (b) montre que les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) M est distinct de L ; (ii) il existe deux K-homomorphismes de L dans Ω, distincts, ψ et ψ tels que l’on a ϕ|M = ψ|M , c’est-à-dire M ⊂ M{ϕ,ψ} . Comme K ⊂ M{ϕ,ψ} est une extension finie séparable dont le degré est strictement inférieur à celui de l’extension K ⊂ L on en déduit par récurrence que les corps intermédiaires entre K et L sont en nombre fini (la question des corps intermédiaires entre K et L sera reprise en 3.4.4). Cette finitude caractérise en fait les extensions finies monogènes : Théorème 3.2.5.8. sont équivalentes : Soit K ⊂ L une extension algébrique. Les condition suivantes (i) L’extension K ⊂ L est monogène. (ii) Les corps intermédiaires entre K et L sont en nombre fini. Démonstration. La démonstration de (ii) ⇒ (i) est analogue à celle de 3.2.5.2. Quand K est fini on utilise 2.1.14. Quand K est infini le lemme 3.2.5.3 montre qu’il existe α dans L qui n’appartient à aucun corps intermédiaire entre K et L distinct de L ; un tel α est primitif. La démonstration de (i) ⇒ (ii) est laissée au lecteur (en cas de difficulté on pourra consulter [Bourbaki] ou [Lang]). Exercice 3.2.5.9. On note L le corps F2 (U, V ) des fractions rationnelles à coefficients dans F2 en les indéterminées U et V ; on note K le sous-corps de L image du Frobenius. 1) Montrer que L est une extension de degré 4 de K (pour une généralisation voir l’exercice 3.2.3.3). 2) Montrer que l’extension K ⊂ L n’est pas monogène. (Observer que par définition le carré de tout élément de L appartient à K.) 3) Soit M un sous-K-espace vectoriel de L qui est de dimension 2 et qui contient K. Montrer que M est un sous-corps de L. 4) Décrire tous les corps intermédiaires entre K et L. ÉDITION 2012 60 3.3. 3.3.1. Fondements de la Théorie de Galois Extensions quasi-galoisiennes Corps de scindement d’une famille de polynômes La définition 1.4.1 se généralise sans difficultés : Définition 3.3.1.1. Soit (Pi (X))i∈I une famille de polynômes non constants à coefficients dans un corps K. On appelle corps de scindement de la famille (Pi )i∈I (on rencontre également les terminologies, extension de scindement, corps de décomposition, extension de décomposition, corps de rupture) une extension L de K qui possède les propriétés suivantes : (a) Dans L[X] les polynômes Pi sont produit de polynômes de degré 1. (b) L’extension L est engendrée par K et les racines des Pi dans L. Remarque. Cette généralisation n’en est vraiment une que si l’ensemble d’indices I est infini ; en effet, si est I fini, un corps de scindement Q de la famille (Pi )i∈I n’est rien d’autre qu’un corps de scindement du polynôme i∈I Pi . Exemples. Une clôture algébrique Ω de K est un corps de scindement de la famille de tous les polynômes non constants de K[X], ou encore de la famille de tous les polynômes irréductibles de K[X]. Soit Ωs le corps intermédiaire entre K et Ω formé des éléments séparables sur K (voir le scholie 3.2.4.16) ; Ωs est un corps de scindement de la famille de tous les polynômes irréductibles de K[X] dont le dérivé est non nul. Le théorème suivant généralise les théorèmes 1.4.5 et 1.5.7 : Théorème 3.3.1.2. Soit (Pi (X))i∈I une famille de polynômes non constants à coefficients dans un corps K. (a) Il existe un corps de scindement de la famille (Pi )i∈I . (b) Deux corps de scindement de la famille (Pi )i∈I sont K-isomorphes. Démonstration. Soit Ω une clôture algébrique de K. Le sous-corps Λ de Ω engendré par K et les racines dans Ω des polynômes Pi est un corps de scindement de la famille (Pi )i∈I . Soient L un autre corps de scindement de cette famille et ϕ un Khomomorphisme de L dans Ω (l’existence de ϕ est garantie par 3.1.1), alors ϕ induit un K-isomorphisme de L sur Λ. 3.3.2. La notion d’extension quasi-galoisienne Proposition-Définition 3.3.2.1. Soit K ⊂ L une extension algébrique. Soit Ω une clôture algébrique de K. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) tout polynôme irréductible de K[X], qui a une racine dans L, est produit dans L[X] de polynômes de degré 1 ; (ii) le polynôme minimal sur K de tout élément de L est produit dans L[X] de polynômes de degré 1 ; (iii) L est corps de scindement d’une famille de polynômes non constants de K[X]. Cours J. LANNES 61 chapitre 3 (iv) pour tous K-homomorphismes ϕ0 et ϕ1 de L dans Ω on a ϕ0 (L) = ϕ1 (L) ; (v) pour tous K-homomorphismes ϕ0 et ϕ1 de L dans Ω il existe un K-automorphisme σ de L tel que l’on a ϕ1 = ϕ0 ◦ σ. On dit qu’une extension K ⊂ L est quasi-galoisienne (on dit aussi normale) si elle est algébrique et elle vérifie les conditions ci-dessus. Démonstration. (i)⇔(ii). Évident. (ii)⇒(iii). Soit K ⊂ L une extension algébrique. Si (ii) est vérifiée alors L est corps de scindement de la famille des polynômes minimaux sur K des éléments de L. (iii) ⇒ (iv). Soient L un corps de scindement d’une famille (Pi )i∈I de polynômes non constants de K[X] et ϕ un K-homomorphisme de L dans Ω. Alors ϕ(L) est le sous-corps de Ω engendré par K et les racines dans Ω des polynômes Pi . (iv)⇒(ii). Soient α un élément de L et P son polynôme minimal sur K. Soient ϕ0 un K-homomorphisme de L dans Ω et Λ le sous-corps de Ω image de ϕ0 , si (iv) est vérifiée alors P est produit dans Λ[X] de polynômes de degré 1. En effet l’ensemble des racines de P dans Ω est contenu dans Λ puisque c’est l’image de l’application ϕ 7→ ϕ(α), définie sur l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω et à valeurs dans Ω (Scholie 3.2.1.7 (a)). Comme ϕ0 induit un isomorphisme de L sur Λ, P est également produit dans L[X] de polynômes de degré 1. (iv)⇒(v). Soient ϕ0 et ϕ1 deux K-homomorphismes tels que l’on a ϕ0 (L) = ϕ1 (L). Soit σ le K-automorphisme de L composé du K-isomorphisme L ∼ = ϕ1 (L) induit par ∼ ϕ1 et de l’inverse du K-isomorphisme L = ϕ0 (L) induit par ϕ0 ; on a ϕ1 = ϕ0 ◦ σ. (v)⇒(iv). Évident. Exemples √ √ 4 - On √ considère les corps Q[ 2] et Q[ 2] intermédiaires entre Q et R. Le corps Q[ 2] est une extension quasi-galoisienne de Q : c’est un corps de scindement de √ X 2 − 2. Par contre le corps Q[ 4 2] n’est pas une extension quasi-galoisienne de√Q. Montrons par exemple que la condition (i) n’est pas satisfaite. On pose α = 4 2, on a X 4 − 2 = (X − α)(X + α)(X 2 + α2 ) dans Q[α][X] et le polynôme X 2 + α2 qui est irréductible dans R[X] est a fortiori irréductible dans Q[α][X]. - L’extension K ⊂ L de l’exercice 3.2.5.9 est quasi-galoisienne : L est corps de scindement des polynômes X 2 − U 2 et X 2 − V 2 de K[X]. Exercice 3.3.2.2. Montrer que toute extension de degré 2 est quasi-galoisienne. Proposition 3.3.2.3. Soit K ⊂ L une extension. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est finie et quasi-galoisienne ; (ii) L est corps de scindement d’un polynôme non constant de K[X]. ÉDITION 2012 62 Fondements de la Théorie de Galois Démonstration de (i)⇒(ii). Soit K ⊂ L une extension finie. D’après 1.3.15 il existe des éléments α1 , α2 , · · · , αn de L tels que l’on a L = K(α1 , α2 , · · · , αn ). Si l’extension est quasi-galoisienne L est corps de scindement du produit P des polynômes minimaux sur K des αi . (On observera que l’on peut imposer à P d’être produit dans K[X] de polynômes irréductibles unitaires deux à deux distincts.) La proposition suivante est évidente : Proposition 3.3.2.4. Soit K ⊂ L une extension algébrique monogène ; soit α un élément de L tel que l’on a L = K[α]. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est quasi-galoisienne ; (ii) le polynôme minimal de α sur K est produit dans L[X] de polynômes de degré 1. Proposition 3.3.2.5. Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M . Si l’extension K ⊂ M est quasi-galoisienne alors il en est de même pour l’extension L ⊂ M. Démonstration. Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M . Soit α un élément de M algébrique sur K (et donc sur L). Soient respectivement F et G les polynômes minimaux de α sur K et L ; il est clair que G divise F dans L[X]. Si F est produit dans M [X] de polynômes de degré 1 alors il en est de même pour G. Remarques 3.3.2.6 (Ce que ne dit pas la proposition 3.3.2.5). – Sous les hypothèses de 3.3.2.5 il est faux en général que√l’extension K √ ⊂ L soit quasi-galoisienne. Prenons par √exemple K = Q, L = Q[ 4 2] et M = Q[ 4 2, ı] (le sous-corps de C engendré par 4 2 et ı) ; l’extension K ⊂ M est quasi-galoisienne (c’est un corps de scindement de X 4 − 2) mais l’extension K ⊂ L ne l’est pas. – Soient K ⊂ L et L ⊂ M deux extensions quasi-galoisiennes, il est également faux en général√ que l’extension√K ⊂ M soit quasi-galoisienne. Prenons par exemple K = Q, L = Q[ 2] et M = Q[ 4 2] ; les extensions K ⊂ L et L √ ⊂ M sont quasi-galoisiennes (M est un corps de scindement du polynôme X 2 − 2 de L[X]) mais l’extension K ⊂ M ne l’est pas. Proposition 3.3.2.7. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Si l’extension K ⊂ L1 est quasi-galoisienne alors il en est de même pour l’extension L2 ⊂ L1 L2 . Démonstration. On vérifie la condition (iii) de la définition 3.3.2.1. Si L1 est corps de scindement d’une famille (Pi )i∈I de polynômes non constants de K[X] alors L1 L2 est corps de scindement de (Pi )i∈I considérée comme une famille de polynômes non constants de L2 [X]. Proposition 3.3.2.8. Soit K ⊂ L une extension. Soient (Li )i∈I une famille de corps intermédiaires entre K et L. Si chacun des Li est extension quasi-galoisienne de K alors il en est de même pour l’intersection et le composé de la famille. Cours J. LANNES 63 chapitre 3 Démonstration. Soient respectivement M et N les corps, intermédiaires entre K et L, intersection et composé de la famille (Li )i∈I . On sait déjà que si chacune des extensions K ⊂ Li est algébrique alors il en est de même pour les extensions K ⊂ M et K ⊂ N (pour K ⊂ N cela résulte de 1.3.13 (a)). Si en outre chacune des extensions K ⊂ Li vérifie la condition (i) de 3.3.2.1 alors il en est de même pour les extensions K ⊂ M et K ⊂ N (le lecteur vérifiera qu’il contrôle parfaitement l’argument pour K ⊂ M ). Bien que les conditions (i), (ii) et (iii) de la définition 3.3.2.1 ne fassent pas intervenir une clôture algébrique Ω de K (contrairement aux conditions (iv) et (v)) la démonstration de l’implication (iii) ⇒ (ii) (ou (iii) ⇒ (i)) que nous avons donnée utilise Ω. En fait il est naturel, lorsque l’on traite des extensions quasi-galoisiennes, de considérer toutes les extensions algébriques de K comme contenues dans une clôture algébrique fixée. C’est ce que l’on fera dans le paragraphe 3.3.3. Le sous-paragraphe ci-après devrait faciliter la transition. 3.3.2.9. Paraphrase des conditions (iv) et (v) de la définition de la notion d’extension quasi-galoisienne (Définition 3.3.2.1) Soient : – K ⊂ L une extension algébrique ; – Aut(L/K) le groupe des K-automorphismes de L ; – Ω une clôture algébrique de K ; – C(L) l’ensemble des corps intermédiaires entre K et Ω qui sont K-isomorphes à L ; – S(L) l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω. L’application S(L)× Aut(L/K) → S(L) , (ϕ, σ) 7→ ϕ ◦ σ, définit une action (à droite) du groupe Aut(L/K) sur l’ensemble S(L). Cette action possède la propriété suivante : ϕ ◦ σ = ϕ implique que σ est l’identité de L, c’est-à-dire l’élément neutre de Aut(L/K). (On dit qu’une action qui possède cette propriété est libre.) L’application S(L) → C(L) , ϕ 7→ ϕ(L), est par définition surjective. Elle induit une bijection de l’ensemble quotient S(L)/Aut(L/K) (deux éléments ϕ0 et ϕ1 ont même image dans ce quotient si l’on a ϕ1 = ϕ0 ◦ σ avec σ dans Aut(L/K)) sur l’ensemble C(L). Voir la preuve de l’implication (iv) ⇒ (v) de 3.3.2.1. Ce qui précède montre que si S(L) est fini alors il en est de même pour C(L) et Aut(L/K) et que les cardinaux de ces ensembles (notés card (−)) vérifient : card(S(L)) = card(Aut(L/K)) × card(C(L)) . Reformulons la condition (iv) de la définition 3.3.2.1. Une extension L de K est quasi-galoisienne s’il existe un unique corps Λ intermédiaire entre K et Ω qui est Kisomorphe à L (un tel Λ est bien sûr extension quasi-galoisienne de K). Autrement dit si C(L)) est réduit à un élément. L’équivalence des conditions (iv) et (v) de la définition 3.3.2.1 est conséquence de la bijection S(K)/Aut(L/K) ∼ = C(L) dégagée ci-dessus. ÉDITION 2012 64 3.3.3. Fondements de la Théorie de Galois Extensions quasi-galoisiennes contenues dans une clôture algébrique fixée Tout au long de ce paragraphe K désigne un corps et Ω une clôture algébrique de K. Eléments conjugués, extensions conjuguées Définition 3.3.3.1. On dit que deux éléments α et β de Ω sont conjugués sur K s’il existe un K-automorphisme τ de Ω tel que l’on a β = τ (α). Proposition 3.3.3.2. Soient α et β deux éléments de Ω. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) α et β ont même polynôme minimal sur K ; (ii) il existe un K-isomorphisme σ de K[α] sur K[β] tel que l’on a β = σ(α) ; (iii) α et β sont conjugués sur K. Démonstration. L’équivalence (i)⇔(ii) est claire. L’équivalence (ii)⇔(iii) résulte du scholie 3.1.8. Scholie 3.3.3.3. Soit α un élément de Ω de degré n sur K ; soit P le polynôme minimal de α sur K (n est donc aussi le degré de P ). (a) Les conjugués de α sur K sont les racines de P dans Ω. (b) Le nombre des conjugués de α sur K est au plus égal à n. Il est égal à n si et seulement si α est séparable sur K ; dans ce cas tous les conjugués de α sont séparables sur K. (La partie (b) de ce scholie résulte de ce que l’on a appris en 3.2.2 sur l’ensemble des racines dans Ω d’un polynôme irréductible de K[X].) Exemples On choisit comme clôture algébrique de Q la fermeture algébrique Q de Q dans C. Les éléments suivants de Q sont conjugués sur Q : √ √ √ √ 4 4 4 4 2 , ı 2 , − 2 , −ı 2 . On suppose maintenant que K est un corps de caractéristique p non parfait. Soit α un élément de Ω − K tel que αp appartient à K alors α n’a pas d’autre conjugué sur K que lui-même. Exercice 3.3.3.4. Montrer que les éléments suivants de Q : q q q q √ √ √ √ 2+ 2 , − 2+ 2 , 2− 2 , − 2− 2 sont conjugués sur Q. Proposition 3.3.3.5. Soit L une extension algébrique de K (pas nécessairement contenue dans Ω). Soit ϕ0 un K-homomorphisme de L dans Ω. Soit α un élément de L, les conjugués sur K de ϕ0 (α) sont les ϕ(α), ϕ décrivant l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω. Cours J. LANNES 65 chapitre 3 (Attention : l’application ϕ 7→ ϕ(α) peut ne pas être injective ; dans le cas où l’extension K ⊂ L est finie et séparable, elle est injective si et seulement si l’on a L = K[α] (Proposition 3.2.5.1).) Démonstration. Se reporter au scholie 3.2.1.7 (a). √ √ √ Exemple. On pose α = 2, β = 3 3 et = (−1 + ı 3)/2. Les éléments suivants de Q sont conjugués sur Q : α + β , −α + β , α + β , −α + β, α + 2 β , −α + 2 β . Définition 3.3.3.6. Soient L et M deux extensions de K contenues dans Ω. On dit que L et M sont conjuguées (dans Ω) s’il existe un K-automorphisme τ de Ω tel que l’on a M = τ (L). Le scholie 3.1.8 entraı̂ne la proposition suivante : Proposition 3.3.3.7. Soient L et M deux extensions de K contenues dans Ω. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) L et M sont K-isomorphes ; (ii) L et M sont conjuguées. Cette proposition peut être reformulée ainsi : Proposition 3.3.3.8. Soit L une extension algébrique de K (pas nécessairement contenue dans Ω). Soit ϕ0 un K-homomorphisme de L dans Ω. Alors les extensions de K contenues dans Ω conjuguées de ϕ0 (L) sont les ϕ(L), ϕ décrivant l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω. (Attention : l’application ϕ 7→ ϕ(L) peut ne pas être injective ; voir 3.3.2.9). Corollaire 3.3.3.9. Soit L une extension de K contenue dans Ω. Si cette extension est de degré fini alors ses conjuguées sont en nombre fini. (Soit c(L) le nombre de ces conjuguées. Compte tenu de 3.3.2.9 on a la relation [L : K]s = card(Aut(L/K)) × c(L) , Aut(L/K) désignant le groupe K-automorphismes de L, qui ici est un groupe fini, et card(Aut(L/K)) son cardinal.) √ √ √ Exemple. Les extensions de Q, Q[ 3 2], Q[ 3 2] et Q[2 3 2], contenues dans Q, sont conjuguées. Exercice 3.3.3.10. Donner la liste (sans redondances) des extensions de Q contenues √ 4 dans Q conjuguées de l’extension Q[ 2]. ÉDITION 2012 66 Fondements de la Théorie de Galois Caractérisation des extensions quasi-galoisiennes de K contenues dans Ω Proposition 3.3.3.11. Soit L une extension de K contenue dans Ω. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est quasi-galoisienne ; (ii) les conjugués sur K de tout élément de L appartiennent aussi à L ; (iii) pour tout K-automorphisme τ de Ω on a τ (L) ⊂ L ; (iv) pour tout K-automorphisme τ de Ω on a τ (L) = L (autrement dit l’extension L de K coı̈ncide avec toutes ses conjuguées dans Ω) ; (v) pour tout K-homomorphisme ϕ de L dans Ω on a ϕ(L) ⊂ L ; (vi) pour tout K-homomorphisme ϕ de L dans Ω on a ϕ(L) = L ; (vii) tout K-homomorphisme de L dans Ω est composé d’un K-automorphisme de L et de l’inclusion de L dans Ω. Démonstration. Il s’agit essentiellement d’une relecture de la proposition 3.3.2.1 ; les implications (iii)⇒ (iv) et (v)⇒(vi) résultent de 3.1.5. La condition (iv) ci-dessus permet de remplacer dans le scholie 3.1.8 la clôture algébrique de K par une extension quasi-galoisienne arbitraire : Proposition 3.3.3.12. Soit K ⊂ L une extension quasi-galoisienne ; soient L0 et L1 deux corps intermédiaires entre K et L. Tout K-homomorphisme de L0 dans L1 se prolonge en un K-automorphisme de L. La proposition 3.3.3.2 se transforme pareillement en l’énoncé suivant : Proposition 3.3.3.13. Soit K ⊂ L une extension quasi-galoisienne ; soient α et β deux éléments de L. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) α et β ont même polynôme minimal sur K ; (ii) il existe un K-automorphisme σ de L tel que l’on a β = σ(α). Exercice 3.3.3.14. √ 1) Déterminer le groupe des Q-automorphismes de l’extension Q[ 2] de Q. √ 1-bis) Déterminer le groupe des automorphismes du corps Q[ 2]. √ 2) Déterminer le groupe des Q-automorphismes de l’extension Q[ 4 2] de Q. √ 3) Montrer qu’il existe un Q-automorphisme de Q[ 2] qui ne se prolonge pas en un √ Q-automorphisme de Q[ 4 2]. Exercice 3.3.3.15. On pose α = 2 cos(2π/9). 1) Montrer que α est algébrique de degré 3 sur Q. (On montrera que le polynôme minimal sur Q de α est X 3 − 3X + 1.) 2) Expliciter la liste dans Q des conjugués sur Q de α. Cours J. LANNES 67 chapitre 3 3) Montrer que l’extension Q ⊂ Q[α] est quasi-galoisienne. (Observer que les conjugués sur Q de α sont des polynômes en α.) 4) Décrire le groupe des Q-automorphismes de Q[α]. 5) Même questions que précédemment avec α = 2 cos(2π/7). (On montrera cette fois que le polynôme minimal sur Q de α est X 3 + X 2 − 2X − 1.) Pour un point de vue plus conceptuel sur cet exercice aller en 4.1.4.18. Extension quasi-galoisienne de K engendrée par une partie de Ω Soit A une partie de Ω. On appelle extension quasi-galoisienne de K engendrée par A dans Ω la plus petite extension quasi-galoisienne de K contenue dans Ω et contenant A (une telle extension existe a priori d’après 3.3.2.8). Soit Γ le groupe des K-automorphismes de Ω ; comme l’on sait qu’une extension de K contenue dans Ω est quasi-galoisienne si et seulement si elle est stable par Γ (condition (iv) de 3.3.3.11), il est clair que l’extension quasi-galoisienne de K engendrée par A dans Ω est l’extension K(ΓA), ΓA désignant la réunion ∪τ ∈Γ τ A, ou encore la composée de la famille d’extensions (τ (K(A)))τ ∈Γ . En particulier : Proposition 3.3.3.16. Soit L une extension de K contenue dans Ω. Soit E l’extension quasi-galoisienne de K engendrée par L dans Ω. L’extension E est la composée des conjuguées de L. Si L est de degré fini sur K alors il en est de même pour E. √ 3 Exemple. L’extension quasi-galoisienne de Q engendrée par Q[ 2] dans Q est √ √ l’extension Q[ı 3, 3 2]. √ Exercice 3.3.3.17. Décrire l’extension quasi-galoisienne de Q engendrée par Q[ 4 2] dans Q. Soit L une extension algébrique de K (pas nécessairement contenue dans Ω). Soit ϕ0 un K-homomorphisme de L dans Ω. Soit E l’extension quasi-galoisienne de K engendrée par ϕ0 (L) dans Ω. Compte tenu de 3.3.3.8, E est la composée des ϕ(L), ϕ décrivant l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω ou encore la composée des corps Λ intermédiaires entre K et Ω qui sont K-isomorphes à L ; l’extension E est donc indépendante du choix de ϕ0 . On l’appellera aussi (abusivement) extension quasi-galoisienne de K engendrée par L dans Ω. 3.3.4. Stabilité des extensions quasi-galoisiennes Ce titre énigmatique fait allusion au résultat suivant : Proposition 3.3.4.1. Soient K ⊂ L une extension quasi-galoisienne et L ⊂ M une extension arbitraire. Pour tout K-endomorphisme τ de M on a τ (L) = L. Démonstration. Soit K la fermeture algébrique de K dans M . Puisque une extension quasi-galoisienne est en particulier algébrique on a L ⊂ K ; il est clair d’autre part que l’on a τ (K) ⊂ K. On peut donc supposer que l’extension K ⊂ M (et par conséquent ÉDITION 2012 68 Fondements de la Théorie de Galois l’extension L ⊂ M ) est algébrique. Soit alors Ω une clôture algébrique de M (et donc de K et L). On sait d’après 3.1.8 que τ se prolonge en un K-automorphisme de Ω ; on conclut en invoquant l’implication (i)⇒(iv) de 3.3.3.11. Remarque 3.3.4.2. Le lemme 3.1.5 montre que l’on a en fait τ (K) = K dans la démonstration ci-dessus. Remarque 3.3.4.3. La proposition 3.3.4.1 (dont on reprend les notations) montre que tout K-endomorphisme de M induit un K-automorphisme de L. Réciproquement la proposition 3.3.3.12 montre que si l’on suppose l’extension K ⊂ M quasi-galoisienne alors tout K-automorphisme de L se prolonge en un K-automorphisme de M . Par contre il est faux que tout K-automorphisme de L se prolonge en général en un Kendomorphisme de M . Et ceci même si l’on suppose l’extension K ⊂ M algébrique comme le montre par exemple l’exercice 3.3.3.14. 3.4. 3.4.1. Extensions galoisiennes La notion d’extension galoisienne Proposition-Définition 3.4.1.1. Soit K ⊂ L une extension algébrique. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) L’extension K ⊂ L est quasi-galoisienne et séparable. (ii) Le polynôme minimal sur K de tout élément de L est produit dans L[X] de polynômes unitaires distincts de degré 1. (iii) Un élément de L qui est invariant par tout K-automorphisme de L appartient à K. On dit qu’une extension K ⊂ L est galoisienne si elle est algébrique et si elle vérifie les conditions ci-dessus. Démonstration. L’équivalence (i)⇔(ii) est évidente. On démontre (i) ⇒(iii)et(iii)⇒ (ii). Soit α un élément de L ; soient P son polynôme minimal sur K et RL (P ) l’ensemble des racines de P dans L. Soit G le groupe des K-automorphismes de L ; on note Gα l’orbite de α sous l’action de G, c’est-à-dire le sous-ensemble {σα}σ∈G de L. On observe que l’on a Gα ⊂ RL (P ) (ce qui montre que Gα est fini). (i)⇒(iii). Si l’extension K ⊂ L est quasi-galoisienne la proposition 3.3.3.13 montre que l’on a Gα = RL (P ). Si en outre α est séparable sur K alors le cardinal de RL (P ) Q est égal au degré de P (et l’on a P (X) = β∈Gα (X − β)). On voit donc que si l’extension K ⊂ L est quasi-galoisienne et séparable alors le cardinal de Gα est égal au degré de α sur K ; en particulier Gα = {α} implique α ∈ K. Q (iii)⇒(ii). On considère dans L[X] le produit Q(X) = β∈RL (P ) (X − β). Soit σ un K-automorphisme de L ; comme σ induit une bijection de RL (P ) on a σQ = Q (on Cours J. LANNES 69 chapitre 3 rappelle que la notation σQ désigne le polynôme obtenu à partir de Q en appliquant σ coefficients par coefficients). Si la condition (iii) est vérifiée le polynôme Q appartient à K[X]. Or on a Q(α) = 0 et degré de Q ≤ degré de P , d’où P = Q : la condition (ii) est vérifiée. Remarque 3.4.1.2. On a vu qu’une extension algébrique d’un corps K est toujours séparable dans les deux cas suivants : – K est de caractéristique 0 ; – K est de caractéristique p > 0 et parfait. Dans ces deux cas il n’y a pas de différence entre la notion d’extension quasigaloisienne et celle d’extension galoisienne. En particulier les exemples d’extensions quasi-galoisiennes que l’on a donnés en caractéristique zéro sont des exemples d’extensions galoisiennes. Remarque 3.4.1.3. Soit K ⊂ L une extension galoisienne. Soit α un élément de L, soient P son polynôme minimal sur K et d le degré de P ; la condition (ii) dit, en clair, que P a d racines distinctes dans L (par définition α est l’une d’entre elles !). Exercice 3.4.1.4 (contrôle de l’attention du lecteur). Pourquoi le mot unitaire apparaı̂t-il dans la condition (ii) de 3.4.1.1 alors qu’il n’était pas là dans la condition (ii) (ou (i)) de 3.3.2.1 ? Exemple. Soit K un corps fini de caractéristique p. Le scholie 2.2.3 montre que l’extension Fp ⊂ K vérifie la condition (iii) de la définition ci-dessus. Il s’agit donc d’une extension galoisienne. On reviendra sur le groupe des K-automorphismes d’une extension galoisienne de K dans le prochain paragraphe. On se borne pour l’instant à tirer les conséquences, en termes d’extensions galoisiennes, des paragrahes 3.2 et 3.3 concernant respectivement les extensions séparables et quasi-galoisiennes. Proposition 3.4.1.5. Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M . Si l’extension K ⊂ M est galoisienne alors il en est de même pour l’extension L ⊂ M . Exemple. Soit K ⊂ L une extension de corps finis. Puisque l’extension Fp ⊂ L est galoisienne il en est de même pour l’extension K ⊂ L. Proposition 3.4.1.6. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Si l’extension K ⊂ L1 est galoisienne alors il en est de même pour l’extension L2 ⊂ L1 L2 . Proposition 3.4.1.7. Soit K ⊂ L une extension. Soient (Li )i∈I une famille de corps intermédiaires entre K et L. Si chacun des Li est extension galoisienne de K alors il en est de même pour l’intersection et le composé de la famille. ÉDITION 2012 70 Fondements de la Théorie de Galois Proposition-Définition 3.4.1.8. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soient L une extension algébrique de K et E l’extension quasi-galoisienne de K engendrée par L dans Ω. Si L est extension séparable de K alors E est extension galoisienne de K ; on dit alors que E est l’extension galoisienne de K engendrée par L dans Ω. Avant d’énoncer d’autres conséquences de 3.2 et 3.3 nous avons besoin d’introduire la définition ad hoc que voici : Proposition-Définition 3.4.1.9. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soit P un polynôme non constant de K[X], les conditions suivantes sont équivalentes : (i) les polynômes P et P 0 sont premiers entre eux ; (ii) pour tout facteur irréductible F de P dans K[X] on a vF (P ) = 1 et F 0 6= 0 (on rappelle que vF (P ) désigne l’exposant de F dans la décomposition en facteurs irréductibles de P ) ; (iii) toutes les racines de P dans Ω sont simples. Si ces conditions sont vérifiées on dit que le polynôme P est séparable. Démonstration. Démontrons par exemple (i)⇒(iii) (ou plutôt non-(iii)⇒non-(i)). Soient α une racine multiple de P dans Ω et F son polynôme minimal sur K, puisque l’on a P (α) = 0 et P 0 (α) = 0, F est un diviseur commun dans K[X] de P et P 0 . La démonstration des autres implications est laissée au lecteur. Exemple. Soit K un corps. Soit n ≥ 1 un entier. Si la caractéristique de K ne divise pas n (en particulier si elle est nulle !) alors le polynôme X n −1 est séparable puisque l’on a : −n(X n − 1) + X(X n − 1)0 = n. Proposition 3.4.1.10. Soit K ⊂ L une extension. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est galoisienne ; (ii) L est corps de scindement d’une famille de polynômes séparables de K[X]. Exemple. Soient K un corps, Ω une clôture algébrique de K et Ωs le corps intermédiaire entre K et Ω formé des éléments séparables sur K ; Ωs est une extension galoisienne de K. En effet Ωs est un corps de scindement de la famille de tous les polynômes séparables de K[X]. Proposition 3.4.1.11. Soit K ⊂ L une extension. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est finie et galoisienne ; (ii) L est corps de scindement d’un polynôme séparable de K[X]. Remarque 3.4.1.12. Soit L un corps de scindement d’un polynôme non constant P de K[X]. En fait, la condition nécessaire et suffisante pour que L soit extension galoisienne de K n’est pas que P soit séparable mais que ses facteurs irréductibles le soient (c’est-à-dire que leurs dérivés soient non nuls). Cours J. LANNES 71 chapitre 3 Exemple. Soit K un corps fini de caractéristique p ; soit q son cardinal. On a vu (Corollaire 2.1.7) que K est corps de scindement du polynôme X q − X de Fp [X]. Puisque ce polynôme est séparable (son dérivé est −1), ceci donne une autre raison pour laquelle l’extension Fp ⊂ K est galoisienne. Proposition 3.4.1.13. Soit K ⊂ L une extension algébrique monogène ; soit α un élément de L tel que l’on a L = K[α]. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est galoisienne ; (ii) le polynôme minimal de α sur K est produit dans L[X] de polynômes unitaires distincts de degré 1. 3.4.2. Groupe de Galois Définition 3.4.2.1. Soit K ⊂ L une extension galoisienne. Le groupe des Kautomorphismes de L s’appelle le groupe de Galois de l’extension, ou le groupe de Galois de L sur K ; on le note souvent Gal(L/K). Exemple 3.4.2.2. Soient K un corps de caractéristique différente de 2 et K ⊂ L une extension de degré 2. Soit α un élément de L-K. Puisque l’extension K ⊂ L est de degré 2 il existe a et b dans K tels que l’on a α2 +aα+b = 0. L’élément δ = 2α+a de L vérifie δ 2 = d, d désignant l’élément 4b − a2 de K. Il est clair que d n’est pas un carré dans K, que l’on a L = K[δ] et que L est corps de scindement du polynôme X 2 − d de K[X] qui est séparable (et irréductible). L’extension K ⊂ L est donc galoisienne. Soit σ un K-automorphisme de L, on a nécessairement σ(δ) = (σ)δ avec (σ) = ±1. On définit ainsi un homomorphisme de groupes : Gal(L/K) → {±1} qui est un isomorphisme (il serait profitable que le lecteur s’en convainque le plus “naı̈vement” possible). Exercice 3.4.2.3. Soit K un corps. Soit d (resp. d0 ) un élément de K qui n’est pas un carré dans K ; soit K ⊂ L (resp. K ⊂ L0 ) une extension de scindement du polynôme X 2 − d (resp. X 2 − d0 ). 1) On suppose que la caractéristique de K est différente de 2. Montrer que les conditions suivantes sont équivalentes : (i) d0 /d est un carré dans K ; (ii) L et L0 sont K-isomorphes. 2) A-t-on encore (ii) ⇒ (i) si K est de caractéristique 2 ? Exemple. Soit K un corps fini de caractéristique p ; soit n le degré de l’extension Fp ⊂ K. On a vu que cette extension est galoisienne. Le théorème 2.2.4 dit que le groupe de Galois Gal(K/Fp ) est cyclique d’ordre n engendré par le Frobenius de K. En démontrant l’implication (i) ⇒ (iii) de 3.4.1.1 on a en fait prouvé l’énoncé suivant : ÉDITION 2012 72 Fondements de la Théorie de Galois Proposition 3.4.2.4. Soit K ⊂ L une extension galoisienne ; soit G son groupe de Galois. Soit α un élément de L ; soit P son polynôme minimal sur K et d le degré de P . L’orbite de α sous l’action de G est l’ensemble, Q fini à d élément, des racines de P dans L. En d’autres termes, P est le produit β∈Gα (X − β), Gα désignant l’orbite de α sous G. Q Q (Attention, il ne faut pas confondre les expressions β∈Gα (X − β) et σ∈G (X − σα). La seconde ne fait d’ailleurs sens que si G est fini. Dans ce cas on a e Y Y (X − σα) = σ∈G (X − β) , β∈Gα e désignant le cardinal du sous-groupe de G qui fixe α ; il résulte de la proposition 3.4.2.5 ci-dessous que e est aussi le degré de l’extension K[α] ⊂ L.) Soit K ⊂ L une extension galoisienne et P un polynôme de K[X], on observe que l’ensemble des racines de P dans L est stable sous l’action du groupe de Galois de l’extension. Cette observation faite, on peut énoncer le corollaire suivant de la proposition ci-dessus : Corollaire 3.4.2.5. Soit K ⊂ L une extension galoisienne ; soit G son groupe de Galois. Soit P un polynôme unitaire de K[X] ; soit d son degré. On suppose que P a`d racines distinctes dans L et on note R l’ensemble de ces racines. ` ` Soit R = R1 R2 Q · · · Rr la partition en orbites de R sous l’action de G. Les polynômes Fi (X) = α∈Ri (X − α) sont à coefficients dans K et P = F1 F2 · · · Fr est la décomposition en facteurs unitaires irréductibles (deux à deux distincts) de P dans K[X]. En particulier les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) P est irréductible (dans K[X]) ; (ii) l’action de G sur R est transitive (ce qui signifie que pour tous α et β dans R il existe σ dans G tel que l’on a β = σα). Proposition 3.4.2.6. Soit K ⊂ L une extension galoisienne. Les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) L’extension K ⊂ L est finie. (ii) Le groupe de Galois Gal(L/K) est fini. Si ces conditions sont vérifiées le cardinal du groupe de Galois est égal au degré de l’extension. Démonstration. Soient K ⊂ L une extension quasi-galoisienne et G le groupe des K-automorphismes de L. Soient Ω une clôture algébrique de K, S l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω et ϕ0 un élément fixé de S. La condition (v) de la proposition-définition 3.3.2.1 dit que l’application G → S, σ 7→ ϕ0 ◦ σ est une bijection. La proposition ci-dessus résulte donc de la proposition 3.2.4.13 concernant les extensions algébriques séparables. Cours J. LANNES 73 chapitre 3 Groupe de Galois d’un polynôme séparable Soient K un corps et P un polynôme séparable de K[X] ; soit L un corps de scindement de P . L’extension K ⊂ L est galoisienne et son groupe de Galois est indépendant à isomorphisme près du choix de L. Précisons. Soient L0 et L1 deux corps de scindement de P ; on sait que L0 et L1 sont K-isomorphes (Théorème 1.4.5 (b)), soit λ : L0 → L1 un K-isomorphisme. L’application cλ : Gal(L0 /K) → Gal(L1 /K), σ 7→ λ ◦ σ ◦ λ−1 est un isomorphisme de groupes. Ce qui précède permet de parler (abusivement) du groupe de Galois (sur K) d’un polynôme séparable de K[X]. Soit R l’ensemble des racines de P dans L ; on rappelle que R est stable sous l’action du groupe Gal(L/K). On note SR le groupe des permutations de R et f : Gal(L/K) → SR l’homomorphisme de groupes σ 7→ σ|R . Il est clair que f est injectif, en effet un élément σ de Kerf est un automorphisme de L qui est l’identité sur K et sur R et l’on a L = K(R). Ceci donne un caractère très concret à Gal(L/K) : ce groupe s’identifie via f à un sous-groupe de SR . Soit n le degré de P ; puisque P est séparable, n est aussi le nombre de ses racines dans L. Soit ν : R → (1, 2, · · · , n} une bijection, ν induit un isomorphisme de SR sur Sn , Sn désignant le n-ième groupe symétrique ; le composé de cet isomorphisme et de f est un homomorphisme injectif de Gal(L/K) dans Sn que l’on note fν . Lorsque l’on fait varier L et ν, P étant fixé, le sous-groupe fν (Gal(L/K)) de Sn varie par conjugaison : on peut donc considérer le groupe de Galois sur K d’un polynôme séparable de degré n à coefficients dans K comme un sous-groupe de Sn défini à conjugaison près. (On rappelle que deux sous-groupes H et H 0 d’un groupe G sont dits conjugués s’il existe g dans G tel que H 0 est image de H par l’automorphisme h 7→ ghg −1 de G.) Exemple. On considère le polynôme X 4 − 2 de Q[X] ; ce√polynôme est séparable √ √ √ (on a en fait déjà vu qu’il est irréductible). On pose R = { 4 2, − 4 2, ı 4 2, −ı 4 2} et M = Q(R) ; R est l’ensemble des racines de X 4 − 2 dans C et√Q ⊂ M est extension 4 de scindement du polynôme X − 2. On a également M = Q[ 4 2, i]. En considérant √ la suite d’extensions Q ⊂ Q[ 4 2] ⊂ M on se convainc que l’extension Q ⊂ M est de degré 8. On note s la bijection α 7→ −α de R et C(s) le sous-groupe de SR formé des éléments qui commutent avec s ; puisque un élément de Gal(M/Q) est l’identité sur Q l’image de l’homomorphisme injectif canonique f : Gal(M/Q) → SR est contenue dans C(s). Or les groupes Gal(M/Q) et C(s) ont tous deux 8 éléments (pour Gal(M/Q) ceci résulte de 3.4.2.5, le dénombrement de C(s) est laissé au lecteur), on constate donc que f induit un isomorphisme Gal(M/Q) ∼ = C(s). Exercice 3.4.2.7 (suite de l’exemple ci-dessus). Expliciter le sous-groupe de S4 correspondant à Gal(M/Q) via la bijection de R sur {1, 2, 3, 4} qui envoie respectivement √ √ √ √ 4 4 4 4 2, − 2, ı 2, −ı 2 sur 1, 2, 3, 4. La proposition suivante est une conséquence immédiate de la proposition 3.4.2.5 : ÉDITION 2012 74 Fondements de la Théorie de Galois Proposition 3.4.2.8. Soit P (X) un polynôme séparable de degré n à coefficients dans un corps K. Soit L un corps de scindement de P et R l’ensemble des racines de P dans L. Les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) [L : K] = n! ; (ii) l’homomorphisme canonique Gal(L/K) → SR est un isomorphisme (on dit alors, abusivement, que le groupe de Galois de P sur K est Sn ). Exemple. Le groupe de Galois sur Q du polynôme X 3 − 2 est S3 . L’énoncé suivant est une variante de l’énoncé 3.4.2.5 : Proposition 3.4.2.9. Soient K un corps, P un polynôme unitaire séparable de K[X], L`un corps ` de `scindement de P et R l’ensemble des racines de P dans L. Soit R = R1 R2 · · · QRr la partition en orbites de R sous l’action de Gal(L/K). Les polynômes Fi (X) = α∈Ri (X − α) sont à coefficients dans K et P = F1 F2 · · · Fr est la décomposition en facteurs unitaires irréductibles de P dans K[X]. En particulier les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) P est irréductible (dans K[X]) ; (ii) l’action de Gal(L/K) sur R est transitive. Remarque 3.4.2.10. Cette proposition montre en particulier qu’un polynôme de K[X], séparable, de degré n, avec Sn pour groupe de Galois sur K, est irréductible. Exercice 3.4.2.11. Soient p un nombre premier et n un entier ≥ 1 ; on pose q = pn . On considère le polynôme X q − X de Fp [X]. Faire le lien entre ce que dit la première partie de la proposition 3.4.2.9 pour ce polynôme et l’exercice 2.1.11. Théorème 3.4.2.12 (Groupe de Galois du polynôme “générique” de degré n). Soit K un corps. Soit n ≥ 1 un entier. Soient A1 , A2 , . . . , An et X des indéterminées. Soit P (X) le polynôme X n − A1 X n−1 + A2 X n−2 + . . . + (−1)n An de K[A1 , A2 , . . . , An ][X]. Le polynôme P (X), vu comme un élément de K(A1 , A2 , . . . , An )[X], est séparable et son groupe de Galois est Sn . Démonstration. Soient X1 , X2 , . . . , Xn des indéterminées. On introduit le polynôme Q(X) = (X − X1 )(X − X2 ) . . . (X − Xn ) de K[X1 , X2 , . . . , Xn ][X]. Les “fonctions” symétriques élémentaires en les indéterminées X1 , X2 , . . . , Xn sont les polynômes S1 , S2 , . . . , Sn de K[X1 , X2 , . . . , Xn ] définis par Q(X) = X n − S1 X n−1 + S2 X n−2 + . . . + (−1)n Sn . Cours J. LANNES 75 chapitre 3 On pose L = K(X1 , X2 , . . . , Xn ) et M = K(S1 , S2 , . . . , Sn ) (le sous-corps de L engendré par K et les Si ). On considère ci-dessous Q(X) comme un élément de M [X]. Par construction : - l’ensemble des racines de Q(X) dans L est R = {X1 , X2 , . . . , Xn } (ce qui montre que Q(X) est séparable) ; - M ⊂ L est une extension de scindement de Q(X). L’homomorphisme injectif canonique f : Gal(L/M ) → SR est ici un isomorphisme. En effet, on dispose d’un homomorphisme g : Sn → Gal(L/M ) tel que le composé f ◦ g est un isomorphisme. Précisons un peu. Soit σ une permutation de l’ensemble {1, 2, . . . , n}, g(σ) est l’automorphisme de L défini par g(σ)(Xi ) = Xσ(i) . En conclusion le polynôme Q(X) est séparable et son groupe de Galois sur K(S1 , S2 , . . . , Sn ) est Sn . Soit maintenant e : K[A1 , A2 , . . . , An ] → K[X1 , X2 , . . . , Xn ] l’homomorphisme de K-algèbres défini par e(Ai ) = Si , 1 ≤ i ≤ n. On montre par récurrence sur n que cet homomorphisme est injectif (en d’autres termes que les Si sont algébriquement indépendants sur K). Il induit donc un homomorphisme entre corps des fractions K(A1 , A2 , . . . , An ) → K(X1 , X2 , . . . , Xn ) et au bout du compte un isomorphisme de corps K(A1 , A2 , . . . , An ) ∼ = K(S1 , S2 , . . . , Sn ), isomorphisme que l’on note encore e. On observe que l’on a par définition e(P (X)) = Q(X) ; il est facile alors de se convaincre de ce que le polynôme P (X) est séparable et que son groupe de Galois sur K(A1 , A2 , . . . , An ) est Sn . Remarque 3.4.2.13. L’action de Sn sur K(X1 , X2 , . . . , Xn ) introduite ci-dessus est bien sûr induite par une action de Sn sur la K-algèbre K[X1 , X2 , . . . , Xn ]. Il résulte de ce qui précède que le sous-corps de K(X1 , X2 , . . . , Xn ) formé des éléments invariants par Sn coı̈ncide avec K(S1 , S2 , . . . , Sn ). On sait que l’on a en fait un résultat plus précis : le sous-anneau de K[X1 , X2 , . . . , Xn ] formé des éléments invariants par Sn coı̈ncide avec K[S1 , S2 , . . . , Sn ] ; pour ce résultat il n’est d’ailleurs pas nécessaire que K soit un corps, anneau suffit. Discriminant et groupe de Galois Soit n ≥ 1 un entier. Soient A1 , A2 , . . . , An et X1 , X2 , . . . , Xn des indéterminées. On considère le polynôme Y ∆(X1 , X2 , . . . , Xn ) = ( (Xj − Xi ))2 i<j de Z[X1 , X2 , . . . , Xn ] (avec la convention ∆ = 1 pour n = 1). Puisque ∆ est symétrique il existe un polynôme D(A1 , A2 , . . . , An ) (uniquement déterminé) de Z[A1 , A2 , . . . , An ] tel que l’on a ∆(X1 , X2 , . . . , Xn ) = D(S1 , S2 , . . . , Sn ) S1 , S2 , . . . , Sn désignant les fonctions symétriques élémentaires en les Xi . ÉDITION 2012 76 Fondements de la Théorie de Galois Soit P (X) = X n − a1 X n−1 + a2 X n−2 + . . . + (−1)n an un polynôme unitaire non constant à coefficients dans un corps K, on appelle discriminant de P l’élément D(a1 , a2 , . . . , an ) de K ; nous le noterons dis(P ). Soit Y P (X) = (X − αi ) 1≤i≤n une factorisation de P en facteurs du premier degré dans une extension de K, on a Sm (α1 , α2 , . . . , αn ) = am pour 1 ≤ m ≤ n et donc : dis(P ) = ( Y (αj − αi ))2 . i<j Le discriminant d’un polynôme non constant arbitraire P est celui du polynôme unitaire associé (nous le notons toujours dis(P )). La proposition suivante est évidente : Proposition 3.4.2.14. Soit P un polynôme non constant de K[X], les conditions suivantes sont équivalentes : (i) dis(P ) 6= 0 ; (ii) P est séparable. Soit P un polynôme séparable de degré n à coefficients dans un corps K ; soient L un corps de scindement de P , R l’ensemble des racines de P dans L et ν une bijection de R sur {1, 2, · · · , n}. Il est clair que le composé de l’homomorphisme fν : Gal(L/K) → Sn introduit plus haut et de l’homomorphisme signature : Sn → {±1} est indépendant du choix de ν ; nous l’appellerons encore homomorphisme signature et nous le noterons encore . Proposition 3.4.2.15. Soit P un polynôme séparable de degré n à coefficients dans un corps K ; soient L un corps de scindement Q de P et {α1 , α2 , . . . , αn } l’ensemble des racines de P dans L. Soient δ l’élément i<j (αj − αi ) de L et Gal(L/K) → {±1} l’homomorphisme signature. (a) On a dis(P ) = δ 2 et σ(δ) = (σ) δ pour tout σ dans Gal(L/K). (b) Si la caractéristique de K est différente de 2 alors les conditions suivantes sont équivalentes : (i) dis(P ) est un carré dans K ; (ii) est trivial (on dit alors, abusivement, que le groupe de Galois de P sur K est contenu dans An ). (On rappelle que la notation An désigne le sous-groupe alterné de Sn .) Démonstration. Le point (a) est évident. Démontrons (b). La condition (i) équivaut à la condition δ ∈ K et δ appartient à K si et seulement si δ est invariant par tout élément de Gal(L/K). Si la caractéristique de K est différente de 2 cette dernière condition équivaut à (ii) (observer que δ est non nul puisque P est séparable). Cours J. LANNES 77 chapitre 3 Remarque 3.4.2.16. Attention. Si la caractéristique de K est différente de 2 alors l’élément δ de L qui apparaı̂t dans l’énoncé 3.4.2.15 dépend d’une numérotation des racines de P dans L. Insistons lourdement. Soit ν une Q bijection de l’ensemble des racines de P dans L sur {1, 2, . . . , n} ; on pose δ(ν) = i<j (ν −1 (j) − ν −1 (i)). Pour toute permutation π de {1, 2, . . . , n}, on a δ(π ◦ ν) = (π)δ(ν), désignant l’homomorphisme signature de Sn dans {±1}. Exercice 3.4.2.17. Soit P (X) Q un polynôme unitaire de degré n ≥ 1 à coefficients dans un corps K ; soit P (X) = 1≤i≤n (X − αi ) une factorisation de P en facteurs du premier degré dans une extension de K. Vérifier la formule dis(P ) = (−1)n(n−1)/2 Y P 0 (αi ) . 1≤i≤n Exercice 3.4.2.18. Soit K un corps ; soient a et b deux éléments de K. 1) Montrer que le discriminant du polynôme X 3 + aX + b vaut −(4a3 + 27b2 ) . 2) Soit n ≥ 2 un entier. Montrer plus généralement que le discriminant du polynôme X n + aX + b vaut (−1)n(n−1)/2 ((1 − n)n−1 an + nn bn−1 ) . Exercice 3.4.2.19. Soit P un polynôme irréductible séparable de degré 3 à coefficients dans un corps K de caractéristique différente de 2. Montrer que le groupe de Galois de P sur K est S3 ou A3 et qu’il est égal à A3 si et seulement si le discriminant de P est un carré dans K. (Au fait, existe-t-il des polynômes irréductibles de degré 3 non séparables ?) Exercice 3.4.2.20. Montrer que les polynômes X 3 − 3X + 1 et X 3 + X 2 − 2X − 1 sont irréductibles dans Q[X] et que tous deux ont A3 pour groupe de Galois sur Q. (Indication : résoudre d’abord l’exercice précédent.) Cet exercice est évidemment relié à l’exercice 3.3.3.15 ; on a déjà promis de donner une explication conceptuelle du résultat en 4.1.4.18. Groupe de Galois de l’extension galoisienne engendrée par une extension séparable Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soient L une extension finie séparable de K et S(L) l’ensemble des K-homomorphismes de L dans Ω. Soit enfin E l’extension galoisienne de K engendrée par L dans Ω. On rappelle que E est le souscorps de Ω composé des ϕ(L), ϕ décrivant S(L), ou encore des corps intermédiaires entre K et Ω qui sont K-isomorphes à L. On peut donc considérer S(L) comme l’ensemble des K-homomorphismes de L dans E. ÉDITION 2012 78 Fondements de la Théorie de Galois L’application Gal(E/K) × S(L) → S(L), (σ, ϕ) 7→ σ ◦ ϕ, définit une action du groupe Gal(E/K) sur l’ensemble S(L), autrement dit, un homomorphisme de groupes Gal(E/K) → SS(L) , SS(L) désignant le groupe des permutations de S(L). Cet homomorphisme est injectif : en d’autres termes, si l’on a σ ◦ ϕ = ϕ pour tout ϕ dans S(L) alors σ est l’identité de E. En effet, si l’on a σ ◦ ϕ = ϕ alors on a σ(α) = α pour tout α dans ϕ(L) et comme on vient de le rappeler E est le composé dans Ω des ϕ(L). D’autre part la proposition 3.3.3.12 entraı̂ne que l’action considérée ci-dessus est transitive. Ceci conduit à l’énoncé 3.4.2.21 ci-dessous. On dit qu’un sous-groupe G de Sn est transitif si l’action de G sur l’ensemble {1, 2, . . . , n} est transitive. Proposition 3.4.2.21. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soit L une extension finie séparable de K ; soit n son degré. Soit E l’extension galoisienne de K engendrée par L dans Ω. Alors le groupe de Galois Gal(E/K) est isomorphe à un sous-groupe transitif de Sn . Corollaire 3.4.2.22. Le degré [E : K] divise n !. Remarque 3.4.2.23. Soient α un élément de L tel que l’on a L = K[α] (un tel α existe d’après le théorème de l’élément primitif, Théorème 3.2.5.2), F son polynôme minimal sur K et R l’ensemble des racines de F dans Ω. On a vu au début de ce chapitre qu’il existe une bijection canonique entre les ensembles R et S(L) (il serait souhaitable que le lecteur explicite complètement cette bijection). Les observations ci-après montrent que ce que l’on a dit plus haut du groupe de Galois d’un polynôme séparable est intimement relié à ce que l’on vient de dire du groupe de Galois de l’extension galoisienne engendrée par une extension séparable : – Le polynôme F est irréductible et séparable, et E en est une extension de scindement. – Soit h : R → S(L) la bijection évoquée ci-dessus. Pour tout β dans R, on a h(σ(β)) = σ ◦ (h(β)). En d’autres termes h est Gal(E/K)-équivariante. 3.4.3. Invariants d’un groupe fini d’automorphismes d’un corps Soient L un corps et G un groupe d’automorphismes de L, le sous-corps de L formé des éléments invariants par G est noté ci-après LG . Soient K ⊂ L une extension galoisienne et G son groupe de Galois. Avec la notation que l’on vient d’introduire la condition (iii) de la définition 3.4.1.1 s’écrit : LG = K. Le théorème ci-dessous est une sorte de réciproque (au moins lorsque G est fini). Cours J. LANNES 79 chapitre 3 Théorème 3.4.3.1. Soient L un corps, G un groupe fini d’automorphismes de L, et K le sous-corps de L formé des éléments invariants par G : K = LG . (a) L’extension K ⊂ L est galoisienne. (b) L’inclusion évidente de G dans Gal(L/K) est un isomorphisme. (c) L’extension K ⊂ L est finie et son degré est égal au cardinal de G. Démonstration. On vérifie tout d’abord Q que l’extension K ⊂ L est algébrique. Soit α un élément de L. On pose Q(X) = β∈Gα (X − β) ; Q(X) qui est a priori un élément de L[X] est en fait un élément de K[X] puisque l’on a σQ = Q pour tout σ dans G. Par construction on a Q(α) = 0 ; on observe que le degré de α sur K est majoré par le cardinal de G que l’on note n. On démontre (a). On note Γ le groupe des K-automorphismes de L ; on observe que G est un sous-groupe de Γ. On constate que l’extension K ⊂ L satisfait la condition (iii) de la définition 3.4.1.1. En effet on a LΓ ⊂ LG et donc LΓ = K. Pour démontrer (b) et (c) il reste à se convaincre, compte tenu de la proposition 3.4.2.5, de ce que l’extension K ⊂ L est finie et de degré majoré par n. Ceci résulte du corollaire 3.2.5.5 ou du lemme 3.4.3.2 ci-dessous (dû à E. Artin). Pour énoncer ce lemme on introduit les notations suivantes. On note E l’ensemble des applications (ensemblistes) de G dans L ; E possède une structure évidente de L-espace vectoriel, on a dimL E = n. Soit α un élément de L, on note eα : G → L, l’application σ 7→ σα (eα est donc un élément de E). Lemme 3.4.3.2. Soient α1 , α2 , . . . , αr des éléments de L. Si ces éléments sont linéairements indépendants sur K alors les éléments eα1 , eα2 , . . . , eαr de E sont linéairements indépendants sur L. Démonstration. On pose A = {α1 , α2 , . . . , αr }. On note F le L-espace vectoriel formé des applications (ensemblistes) λ : A → L ; l’action de G sur L induit une action de G sur F (et l’on a σ(βλ) = σβ σλ pour tout σ dans G, tout β dans L et tout λ dans F ). On note R le sous-ensemble de F formé des applications λ vérifiant Σα∈A λ(α)σα = 0 pour tout σ dans G. Il faut montrer que R est réduit à {0}. On observe que R vérifie les trois propriétés suivantes : – R est un sous-L-espace vectoriel de F ; – R est stable sous l’action de G ; – le sous-K-espace vectoriel RG de R formé des éléments invariants par G est réduit à {0}. La première est évidente. La deuxième résulte de ce que l’on a ! X (τ ◦ λ)(α)σα = τ α∈A ÉDITION 2012 X α∈A λ(α)(τ −1 ◦ σ)(α) 80 Fondements de la Théorie de Galois pour tous τ et σ dans G. La troisième traduit l’hypothèse faite sur A. En effet si λ est invariant par G alors λ est à valeurs dans K et l’on a en particulier Σα∈A λ(α)α = 0 ce qui implique bien λ = 0. On montre R = {0} en raisonnant par l’absurde. On appelle support d’une application λ : A → L le sous-ensemble de A formé des éléments β avec λ(β) 6= 0. Soit λ un élément de R. Si λ est non nul alors il existe β dans A avec λ(β) 6= 0. On pose µ = (λ(β))−1 λ ; µ est un élément non nul de R avec µ(β) = 1. Puisque RG est réduit à {0} il existe τ dans G avec τ ◦ µ 6= µ. On pose ν = τ ◦ µ − µ comme l’on a ν(β) = 0, ν est un élément non nul de R dont le support est strictement contenu dans celui de λ. L’itération du procédé conduit à une contradiction. 3.4.4. Le théorème fondamental de la théorie de Galois Il s’agit du théorème suivant : Théorème 3.4.4.1. Soit K ⊂ L une extension galoisienne finie ; soit G son groupe de Galois. (a) L’application H 7→ LH , définie sur l’ensemble des sous-groupes de G et à valeurs dans l’ensemble des corps intermédiaires entre K et L, est une bijection. (a0 ) Soit H un sous-groupe de G, alors l’inclusion canonique H → Gal(L/LH ) est un isomorphisme. (b) L’application H 7→ LH , induit une bijection de l’ensemble des sous-groupes distingués de G sur l’ensemble des corps intermédiaires M entre K et L tels que l’extension K ⊂ M est galoisienne. (b0 ) Soit H un sous-groupe distingué de G, alors le corps LH est stable sous l’action de G et l’homomorphisme canonique G → Gal(LH /K) induit un isomorphisme du groupe quotient G/H sur Gal(LH /K). (On rappelle que l’on dit qu’un sous-groupe H de G est distingué ou normal si l’on a σ −1 τ σ ∈ H pour tout σ dans G et tout τ dans H.) Démonstration. Soit M l’ensemble des corps intermédiaires entre K et L ; soit H l’ensemble des sous-groupes de G. On note m : H → M l’application H 7→ LH . Démonstration de (a) et (a0 ). On montre que m est une bijection en exhibant la bijection réciproque ; on vérifie (a0 ) au passage. Soit M un corps intermédiaire entre K et L ; on a vu (Proposition 3.4.1.5) que l’extension M ⊂ L est galoisienne. Un M -automorphisme de L est a fortiori un K-automorphisme de L ; le groupe Gal(L/M ) s’identifie donc à un sous-groupe de G. On note h : M → H l’application M 7→ Gal(L/M ). La propriété (iii) de la définition 3.4.1.1 dit que la composée m ◦ h est l’identité de M. Le théorème 3.4.3.1 dit que la composée h◦m est l’identité de H, c’est-à-dire que (a0 ) est vrai (c’est ici que l’on utilise l’hypothèse de finitude). Les points (b) et (b0 ) sont conséquence de la proposition suivante. Cours J. LANNES 81 chapitre 3 Proposition 3.4.4.2. Soit K ⊂ L une extension galoisienne ; soit G son groupe de Galois. Soit M un corps intermédiaire entre K et L, les conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ M est galoisienne ; (ii) M est stable sous l’action de G. Si ces conditions sont vérifiées, l’homomorphisme r : G → Gal(M/K) induit par l’action de G sur M est surjectif et son noyau s’identifie à Gal(L/M ). (On rappelle que le noyau d’un homomorphisme de groupes f : G → G0 est le sous-groupe de G formé des éléments dont l’image par f est l’élément neutre de G0 .) Démonstration. L’implication (i)⇒(ii) résulte de la proposition 3.3.4.1. On peut montrer l’implication (ii)⇒(i) en vérifiant par exemple la condition (ii) de la définition 3.4.1.1 : si M est stable sous l’action de G le polynôme minimal sur K de tout élément de M est d’après 3.4.2.4 produit dans M [X] de polynômes unitaires distincts de degré 1. La proposition 3.3.1.1 montre que l’homomorphisme r : G → Gal(M/K) est surjectif. Le fait que son noyau s’identifie à Gal(L/M ) est une version cryptée de l’énoncé suivant : un K-automorphisme de L qui induit l’identité de M est un M -automorphisme de L. Vérification du point (b) de 3.4.1.1 - Si l’extension K ⊂ M est galoisienne alors le sous-groupe h(M ) = Gal(L/M ) est distingué dans G puisque c’est le noyau de l’homomorphisme r : G → Gal(M/K). - Si H est un sous-groupe distingué dans G alors le corps intermédiare m(H) = LH est stable sous l’action de G. Ceci résulte de la formule τ (σα) = σ((σ −1 τ σ)α) avec σ dans G, τ dans H et α dans L. D’après la proposition précédente l’extension K ⊂ LH est galoisienne. Vérification du point (b0 ) de 3.4.1.1 Soit H un sous-groupe distingué de G. On a déjà vu que LH est stable sous l’action de G. D’après la proposition précédente et le point (a0 ) l’homomorphisme canonique r : Gal(LH /K) est surjectif et son noyau est H ; r induit donc un isomorphisme du groupe quotient G/H sur Gal(LH /K). Remarque 3.4.4.3. La bijection H 7→ LH (et la bijection réciproque) “renverse le 0 sens des inclusions” : H ⊂ H 0 ⇔ LH ⊃ LH . Remarque 3.4.4.4. Il existe une version du théorème fondamental de la théorie de Galois sans hypothèse de finitude. Il faut alors introduire la topologie “profinie” naturelle du groupe de Galois et considérer les sous-groupes fermés. Voir [Bourbaki][Douady]. ÉDITION 2012 82 Fondements de la Théorie de Galois Exemple Soit K le sous-corps de C extension de scindement du polynôme X 3 − 2 de Q[X]. On a vu que le groupe de Galois de K sur Q “est” S3 . On fixe un isomorphisme Gal(K/Q) ∼ S3 en “numérotant” les racines dans C du polynôme X 3 − 2 ; on = √ √ √ pose α1 = 3 2, α2 = 3 2, α3 = 2 3 2. Voici la liste des sous-groupes de S3 et des sous-corps de K correspondants. – Le sous-groupe trivial (réduit à l’élément neutre de S3 ). Le sous-corps correspondant est K lui-même. – Les sous-groupes à deux éléments S2,r , r = 1, 2, 3 de S3 formés des permutations qui fixent r. Le sous-corps K S2,r est Q[αr ]. Justifions cette affirmation. Il est clair que l’on a Q[αr ] ⊂ K S2,r . On a d’autre part [Q[αr ] : Q] = 3 et [K : K S2,r ] = 2 (Théorème 3.4.3.1 (c)) ce qui implique [K S2,r : Q[αr ]] = 1. – Le sous-groupe alterné √ A3 . Le sous-corps√K A3 contient l’élément (α2 − α1 ) (α3 √ − α1 )(α3 − α2 ) = −6ı 3. On a donc Q[ı√ 3] ⊂ K A3 . Comme précédemment [Q[ı 3] : Q] = 2 et [K : K A3 ] = 3 implique Q[ı 3] = K A3 . (Pour une généralisation voir 3.4.5.6.) – Le groupe S3 lui-même. On a K S3 = Q. Dans cette liste √ les sous-groupes distingués sont le sous-groupe trivial, A3 et S3 . Les corps K, √ Q[ı 3] et Q sont des extensions galoisiennes de Q. Le groupe de Galois sur Q de Q[ı 3] est bien isomorphe au groupe quotient S3 /A3 . Exemple. Soit K un corps fini de caractéristique p ; soit n le degré de l’extension Fp ⊂ K. On a vu que cette extension est galoisienne et que son groupe de Galois est cyclique d’ordre n engendré par FrK . Soit d ≥ 1 un diviseur de n, l’application qui associe à d le sous-groupe engendré par (FrK )d est une bijection de l’ensemble des diviseurs (≥ 1) de n sur l’ensemble des sous-groupes de Gal(K/Fp ). Les points (a) et (a0 ) du théorème 3.4.4.1 se traduisent ici par les énoncés 2.1.10 et 2.2.6. Le fait que tout sous-groupe d’un groupe commutatif est distingué se traduit par le fait que les corps Ld de l’énoncé 2.1.10 sont extension galoisienne de Fp (point (b) de 3.4.4.1). Les corps Ld sont stables sous l’action de Gal(K/Fp ) et Gal(Ld /Fp ) s’identifie au quotient du groupe Gal(K/Fp ) par le sous-groupe engendré par (FrK )d (point (b0 ) de 3.4.4.1). Exercice 3.4.4.5. Galois. Soit K ⊂ L une extension galoisienne finie ; soit G son groupe de 1) Soit H un sous-groupe de G. Montrer que le degré [LH : K] est égal au cardinal de l’ensemble G/H des classes à gauche de G suivant H. 2) Question subsidiaire. Soit X un ensemble fini muni d’une action de G. Soit E l’ensemble des applications G-équivariantes de X dans L (une application f : X → L est dite G-équivariante si f (σx) = σf (x) pour tout σ dans G et tout x dans X) ; on munit E de la structure de K-algèbre induite par celle de L. Montrer que la dimension de E sur K est égale au cardinal de X. Quelle propriété doit satisfaire X pour que E soit un corps ? Cours J. LANNES 83 chapitre 3 Exercice 3.4.4.6. Soit K ⊂ L une extension galoisienne finie ; soit G son groupe de Galois. On note, comme dans la démonstration du théorème 3.4.4.1, h la bijection de l’ensemble des corps intermédiaires entre K et L sur l’ensemble des sous-groupes de G. 1) Soit M un corps intermédiaire entre K et L ; soit σ un élément de G. Montrer que l’on a h(σ(M )) = σh(M )σ −1 (la notation σh(M )σ −1 désigne le sous-groupe de G image de h(M ) par l’automorphisme τ 7→ στ σ −1 ). 2) Soient M1 et M2 deux corps intermédiaires entre K et L. Montrer que l’on a h(M1 M2 ) = h(M1 ) ∩ h(M2 ) et que h(M1 ∩ M2 ) est le sous-groupe de G engendré par h(M1 ) et h(M2 ). (Utiliser la remarque 3.4.4.3.) On généralise maintenant le point (b0 ) de 3.4.4.1. Pour cela on a besoin d’introduire la définition suivante. Soient G un groupe et H un sous-groupe, le normalisateur de H (dans G) est le sous-groupe N formé des éléments σ de G tels que l’on a σHσ −1 = H (ou σ −1 Hσ = H, la notation σHσ −1 désigne le sous-groupe de G image de H par l’automorphisme τ 7→ στ σ −1 ). Il est clair que H est un sous-groupe distingué de N (en fait N est le plus grand sous-groupe de G possédant cette propriété). Proposition 3.4.4.7. Soit K ⊂ L une extension galoisienne finie ; soit G son groupe de Galois. Soient H un sous-groupe de G et Aut(LH /K) le groupe des Kautomorphismes de LH . Alors le corps LH est stable sous l’action du normalisateur N de H dans G et l’homomorphisme canonique N → Aut(LH /K) induit un isomorphisme du groupe quotient N/H sur Aut(LH /K). Démonstration. Le fait que LH est stable sous l’action de N résulte de la formule utilisée dans la vérification du point (b) de 3.4.4.1. On dispose donc d’un homomorphisme canonique r : N → Aut(LH /K) ; on vérifie comme précédemment que son noyau est H. Il reste à montrer que r est surjectif. Toujours d’après 3.3.3.12 tout Kautomorphisme de LH est induit par un K-automorphisme σ de L avec σ(LH ) = LH . −1 Comme l’on a σ(LH ) = LσHσ pour tout σ dans G (c’est en fait la réponse à la −1 question 1) de l’exercice 3.4.4.6) cette condition s’écrit encore LσHσ = LH . D’après 3.4.4.1 (a) on a nécessairement σHσ −1 = H, c’est-à-dire σ ∈ N . Exercice 3.4.4.8. Donner un exemple d’un groupe G et d’un sous-groupe H tels qu’il existe un élément σ de G vérifiant σHσ −1 ⊂ H et σHσ −1 6= H. Exercice 3.4.4.9 (extension galoisienne engendrée par une sous-extension d’une extension galoisienne). Soit K ⊂ L une extension galoisienne ; soit G son groupe de Galois. Soit M un corps intermédiaire entre K et L. On appelle extension galoisienne de K engendrée par M dans L la plus petite extension galoisienne E de K contenue dans L et contenant M . 1) Montrer que E est la composée de la famille d’extensions (σ(M ))σ∈G . ÉDITION 2012 84 Fondements de la Théorie de Galois 2) Montrer que si L est contenue dans une clôture algébrique Ω de K alors E coı̈ncide avec l’extension galoisienne de K engendrée par M dans Ω. On suppose maintenant que l’extension K ⊂ L est finie pour pouvoir appliquer le théorème 3.4.4.1. On note H le sous-groupe de G tel que l’on a M = LH . 3) Montrer que l’on a E = LI , I désignant le plus grand sous-groupe distingué de G contenu dans H. 4.1) Montrer que I est l’intersection de la famille de sous-groupes (σHσ −1 )σ∈G . 4.2) Montrer que I est aussi le noyau de l’homomorphisme de groupes G → SG/H correspondant à l’action de G sur l’ensemble G/H des classes à gauche de G suivant H. 5) Faire le lien entre la question 4.2 et ce que l’on a dit, fin du paragraphe 3.4.2, du groupe de Galois de l’extension galoisienne engendrée par une extension séparable. (Indication : considérer le cas où I est réduit à l’élément neutre.) Exercice 3.4.4.10. Soit K ⊂ L une extension galoisienne finie ; soit G son groupe de Galois. Soit ρ : G → Sn un homomorphisme de groupes injectif tel que l’action de G sur {1, 2, . . . , n} définie par ρ est transitive. Montrer qu’il existe un polynôme P de K[X] possédant les propriétés suivantes : – P est de degré n ; – P est irréductible et séparable ; – L est un corps de scindement de P ; – il existe une bijection ν : R → {1, 2, . . . , n}, R désignant l’ensemble des racines de P dans L, telle que l’homomorphisme de groupes correspondant fν : G → Sn coı̈ncide avec ρ. (Indication : considérer le sous-groupe H de G formé des éléments qui fixe 1 et appliquer le théorème de l’élément primitif à l’extension K ⊂ LH .) 3.4.5. Homomorphisme entre groupes de Galois induit par un homomorphisme d’extensions galoisiennes La notion d’homomorphisme d’extensions Soient K ⊂ L et K 0 ⊂ L0 deux extensions de corps, on appelle homomorphisme de l’extension K ⊂ L dans l’extension K 0 ⊂ L0 un homomorphisme de corps λ : L → L0 tel que l’on a λ(K) ⊂ λ(K 0 ). Si λ est un isomorphisme qui induit un isomorphisme de λ(K) sur λ(K 0 ) on dit que λ est un isomorphisme d’extensions. Il est clair que si deux extensions sont isomorphes et que l’une est galoisiennne alors il en est de même pour l’autre. Exemple. Soient K, L, K 0 , L0 , quatre corps avec K ⊂ L ⊂ L0 et K ⊂ K 0 ⊂ L0 ; l’inclusion de L dans L’ est un homomorphisme de l’extension K ⊂ L dans l’extension K 0 ⊂ L0 . Cours J. LANNES 85 chapitre 3 Proposition-Définition 3.4.5.1. Soient K ⊂ L et K 0 ⊂ L0 deux extensions galoisiennes ; soit λ un homomorphisme de l’extension K ⊂ L dans l’extension K 0 ⊂ L0 . Pour tout élément σ 0 de Gal(L0 /K 0 ) il existe un unique élément σ de Gal(L/K) qui fait commuter le diagramme λ L0 0 σ y λ L0 L σ y −−−−−→ L −−−−−→ L’application Gal(L0 /K 0 ) → Gal(L/K), σ 0 7→ σ, est un homomorphisme de groupes que l’on dit induit par λ et que l’on note λ∗ . Démonstration. La proposition 3.3.4.1, appliquée aux extensions λ(K) ⊂ λ(L) (isomorphe à l’extension K ⊂ L) et λ(L) ⊂ L0 , montre que l’on a σ 0 (λ(L)) = λ(L). Il existe donc un élément τ de Gal(λ(L)/λ(K)) qui fait commuter le diagramme λ(L) ⊂ τ y L0 0 σ y λ(L) ⊂ L0 . On prend pour σ l’élément de Gal(L/K) qui fait commuter le diagramme λ L σ y −−−−−→ L −−−−−→ λ λ(L) τ y λ(L) . L’unicité de σ résulte de l’injectivité de λ. Cette unicité implique que l’application σ 0 7→ σ est un homomorphisme de groupes. ÉDITION 2012 86 Fondements de la Théorie de Galois Exemple 3.4.5.2. Soit K une extension galoisienne de Q. Soit ϕ un homomorphisme de K dans C (l’existence d’un tel ϕ est garantie par 3.1.1) ; ϕ est un homomorphisme de l’extension Q ⊂ K dans l’extension R ⊂ C, il induit donc un homomorphisme de groupes ϕ∗ : Gal(C/R) → Gal(K/Q). Explicitons. Le groupe Gal(C/R) est formé de l’identité et de la conjugaison complexe que l’on note c. On a c(ϕ(K)) = ϕ(K), c induit un Q-automorphisme de ϕ(K) et donc un Q-automorphisme de K (éventuellement l’identité) dont le carré est l’identité. Soit γ ce Q-automorphisme de K, on a ϕ∗ (c) = γ. Exercice 3.4.5.3 (suite de l’exemple ci-dessus). Montrer que le sous-corps ϕ(K) de C est indépendant du choix de ϕ. Montrer que la classe de conjugaison de γ est indépendante du choix de ϕ. (On rappelle que deux éléments γ et γ 0 d’un groupe G sont dits conjugués s’il existe σ dans G tel que l’on a γ 0 = σγσ −1 ; le lecteur voudra bien pardonner le fait que le mot conjugaison apparaı̂t deux fois, à quelques lignes d’intervalle, avec des sens différents.) Exercice 3.4.5.4 (lié à l’exemple ci-dessus). On rappelle qu’un sous-groupe G de Sn est dit transitif si l’action de G sur l’ensemble {1, 2, . . . , n} est transitive. 1) Soit p un nombre premier. Montrer qu’un sous-groupe transitif de Sp qui contient une transposition est égal à Sp . (Indication. Soit G un sous-groupe transitif de Sp . Montrer que le cardinal de G est divisible par p. En déduire que G contient un élément d’ordre p ; en cas de difficulté, se reporter à l’exercice 4.3.8. Montrer alors que G contient un cycle de longueur p.) 2) Soit P un polynôme irréductible de Q[X]. On suppose que P est de degré premier p et que P possède exactement p − 2 racines réelles. Montrer que le groupe de Galois de P est Sp . 3) Montrer que le polynôme X 5 − 4X + 2 de Q[X] est irréductible et que son groupe de Galois est S5 . Exercice 3.4.5.5. Soient K ⊂ L, K 0 ⊂ L0 et K 00 ⊂ L00 trois extensions galoisiennes ; soient λ un homomorphisme de l’extension K ⊂ L dans l’extension K 0 ⊂ L0 et λ0 un homomorphisme de l’extension K 0 ⊂ L0 dans l’extension K 00 ⊂ L00 . Montrer que l’on a (λ0 ◦ λ)∗ = λ∗ ◦ λ0∗ . On considère maintenant trois cas particuliers (numérotés 1, 2 et 3 ci-dessous) d’homomorphismes entre groupes de Galois obtenus par le procédé décrit ci-dessus. (On a déjà parlé des deux premiers dans le paragraphe précédent.) 1) Soient K ⊂ L une extension galoisienne et M un corps intermédiaire entre K et L ; on a vu (Proposition 3.4.1.5) que l’extension M ⊂ L est aussi galoisienne. L’identité de L est un homomorphisme de l’extension K ⊂ L dans l’extension M ⊂ L elle induit un homomorphisme de groupes i : Gal(L/M ) → Gal(L/K). L’homorphisme i est l’inclusion canonique Gal(L/M ) ⊂ Gal(L/K). Cours J. LANNES 87 chapitre 3 2) On suppose en outre que l’extension K ⊂ M est galoisienne. L’inclusion de M dans L, qui est un homomorphisme de l’extension K ⊂ M dans l’extension K ⊂ L, induit dans ce cas un homomorphisme de groupes r : Gal(L/K) → Gal(M/K). Cet homomorphisme associe à un élément de Gal(L/K) sa restriction à M (qui est stable sous l’action de Gal(L/K)) ; pour cette raison r s’appelle l’homomorphisme de restriction. On a vu que r est surjectif et que son noyau s’identifie à Gal(L/M ), autrement dit à l’image de i. Vocabulaire. Soient u : G0 → G et v : G → G00 deux homomorphismes de groupes on u v dit que la suite (de groupes et d’homomorphismes de groupes) 1 → G0 → G → G00 → 1 (1 désigne ici le groupe trivial) est exacte si les trois propriétés suivantes sont vérifiées : – le noyau de v (le sous-groupe de G formé des éléments dont l’image par v est l’élément neutre de G00 ) est égal à l’image de u ; – u est injectif (en d’autres termes le noyau de u est égal à l’image de l’homomorphisme trivial 1 → G !) ; – v est surjectif (en d’autres termes le noyau de l’homomorphisme trivial G00 → 1 est égal à l’image de v !). On peut donc condenser ce que l’on a rappelé ci-dessus en disant que la suite i r 1 → Gal(L/M ) → Gal(L/K) → Gal(M/K) → 1 est exacte. Exemple 3.4.5.6. Soit P un polynôme séparable de degré n à coefficients dans un corps K de caractéristique différente de 2 ; soit L un corps de scindement de P . On suppose que le discriminant dis(P ) du polynôme P n’est pas un carré dans K. On sait par contre (Proposition 3.4.2.15) que dis(P ) est un carré dans L ; soit δ l’une de ses “racines carrées” dans L. L’extension K ⊂ L est galoisienne et K[δ] est un corps intermédiaire entre K et L tel que l’extension K ⊂ K[δ] est aussi galoisienne (au fait, pourquoi ?) ; on dispose donc d’un homomorphisme de groupes Gal(L/K) → Gal(K[δ]/K). Le composé de cet homomorphisme et de l’isomorphisme canonique Gal(K[δ]/K) ∼ = {±1} (voir l’exemple 3.4.2.2) est l’homomorphisme signature : Gal(L/K) → {±1} de la proposition 3.4.2.15). On a K[δ] = LKer , Ker désignant le noyau de . 3) Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Si l’extension K ⊂ L1 est galoisienne alors il en est de même pour l’extension L2 ⊂ L1 L2 (Proposition 3.4.1.6). L’inclusion de L1 dans L1 L2 , qui est un homomorphisme de l’extension K ⊂ L1 dans l’extension L2 ⊂ L1 L2 , induit alors un homomorphisme de groupes t : Gal(L1 L2 /L2 ) → Gal(L1 /K). Explicitons. Soit σ 0 un L2 automorphisme de L1 L2 , σ 0 est a fortiori un K-automorphisme, puisque l’extension K ⊂ L1 est galoisienne on a σ 0 (L1 ) = L1 , σ 0 induit donc un K-automorphisme σ de L1 ; l’application σ 0 7→ σ est l’homomorphisme t. ÉDITION 2012 88 Fondements de la Théorie de Galois Proposition 3.4.5.7. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. On suppose que l’extension K ⊂ L1 est galoisienne. Alors l’homomorphisme de groupes canonique t : Gal(L1 L2 /L2 ) → Gal(L1 /K) est injectif et son image est le sous-groupe Gal(L1 /L1 ∩ L2 ) de Gal(L1 /K). Démonstration. On reprend les notations ci-dessus ; si σ est l’identité de L1 alors on a σ 0 (α) = α pour α dans L1 et L2 , σ 0 est donc l’identité de L1 L2 . Ceci signifie que l’homomorphisme t est injectif. Soit maintenant Im t le sous-groupe de Gal(L1 /K) image de t. On a (L1 )Im t = L1 ∩ L2 puisque (L1 )Im t est formé des éléments α de L1 vérifiant σ 0 (α) = α pour tout σ 0 dans Gal(L1 L2 /L2 ). Pour en conclure Im t = Gal(L1 /L1 ∩ L2 ) avec la version du théorème 3.4.4.1 dont nous disposons il nous faut supposer que l’extension K ⊂ L1 est finie ; pour un argument dans le cas général voir [Bourbaki]. La proposition précédente admet la variante suivante : Proposition 3.4.5.8. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. On suppose que l’extension L1 ∩L2 ⊂ L1 est galoisienne. Alors l’homomorphisme de groupes canonique t : Gal(L1 L2 /L2 ) → Gal(L1 /L1 ∩ L2 ) est un isomorphisme. Compte tenu de 3.4.2.5 et 1.1.3 la proposition 3.4.5.8 implique : Corollaire 3.4.5.9. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. On suppose que l’extension K ⊂ L1 est finie et galoisienne. On a alors : [L1 L2 : L2 ] [L1 ∩ L2 : K] = [L1 : K] . (La proposition 1.2.1 disait déjà que l’extension L2 ⊂ L1 L2 était finie et que l’on avait l’inégalité [L1 L2 : L2 ] ≤ [L1 : K].) Corollaire 3.4.5.10. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. On suppose que les extensions K ⊂ L1 et K ⊂ L2 sont finies et que l’une des deux est galoisienne. On a alors : [L1 L2 : K] [L1 ∩ L2 : K] = [L1 : K] [L2 : K] . En particulier les conditions suivantes sont équivalentes : (i) [L1 L2 : K] = [L1 : K] [L2 : K] ; (ii) L1 ∩ L2 = K. (La proposition 1.2.2 disait déjà que l’on avait [L1 L2 : K] ≤ [L1 : K][L2 : K] et que (i) impliquait (ii).) Cours J. LANNES 89 chapitre 3 Voici encore un énoncé que l’on peut considérer comme une conséquence de la proposition 3.4.5.8 : Proposition 3.4.5.11. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. On suppose que les extensions K ⊂ L1 et K ⊂ L2 sont galoisiennes. Soient r1 × r2 : Gal(L1 L2 /K) → Gal(L1 /K) × Gal(L2 /K) le produit des homomorphismes de restriction et Gal(L1 /K) ×Gal(L1 ∩L2 /K) Gal(L2 /K) le sous-groupe du produit Gal(L1 /K)×Gal(L2 /K) formé des couples (σ1 , σ2 ) tels que les images de σ1 et σ2 dans Gal(L1 ∩ L2 /K) par les homomorphismes de restriction coı̈ncident. Alors l’homomorphisme r1 × r2 est injectif et son image est le sousgroupe Gal(L1 /K) ×Gal(L1 ∩L2 /K) Gal(L2 /K) ; en d’autres termes r1 × r2 induit un isomorphisme Gal(L1 L2 /K) ∼ = Gal(L1 /K) ×Gal(L1 ∩L2 /K) Gal(L2 /K) . En particulier r1 × r2 est un isomorphisme dans le cas L1 ∩ L2 = K. Démonstration. Le fait que r1 × r2 est injectif est clair : un K-automorphisme σ de L1 L2 qui vérifie σ(α) = α à la fois pour α dans L1 et α dans L2 est l’identité. Dans le cas où les extensions K ⊂ L1 et K ⊂ L2 sont finies et où l’intersection L1 ∩ L2 est égale à K la démonstration est terminée puisque les groupes Gal(L1 L2 /K) et Gal(L1 /K) × Gal(L2 /K) sont finis et ont le même nombre d’éléments (Propositions 3.4.2.5 et 3.4.5.10). Indiquons brièvement comment montrer dans le cas général que l’image de r1 × r2 est le sous-groupe Gal(L1 /K) ×Gal (L1 ∩L2 /K) Gal(L2 /K) ; pour alléger, ce groupe est noté P . On observe tout d’abord que l’image de r1 × r2 est bien contenue dans P ; on note encore r1 × r2 : Gal(L1 L2 /K) → P l’homomorphisme induit. On met ensuite en place un diagramme commutatif d’homomorphismes de groupes 1 → 1 → Gal(L1 /L1 ∩ L2 ) → Gal(L1 L2 /L2 ) t y → Gal(L1 L2 /K) → Gal(L2 /K) → 1 r1 ×r2 = y y P → Gal(L2 /K) → 1 dont les lignes sont exactes. Sachant que t est un isomorphisme (Proposition 3.4.5.8), on montre alors, grâce à ce diagramme, que r1 × r2 est aussi un isomorphisme. Exercice 3.4.5.12. Soit G un groupe ; soient H1 et H2 deux sous-groupes. On note H1 H2 le sous-groupe de engendré par H1 et H2 . ÉDITION 2012 90 Fondements de la Théorie de Galois 1) On suppose que H1 est distingué dans H1 H2 . Montrer que H1 ∩ H2 est distingué dans H2 et que l’inclusion H2 dans H1 H2 induit un isomorphisme H2 /(H1 ∩ H2 ) ∼ = (H1 H2 )/H1 . 2) Quel est le rapport entre la question 1 et la proposition 3.4.5.8 (au moins lorsque G est fini) ? 3 Formuler et vérifier l’énoncé de théorie des groupes correspondant à la proposition 3.4.5.11. Exemple Soit K1 (resp. K2 ) le sous-corps de C extension de scindement du polynôme X 3 − 2 √ √ (resp. X 3 − 3) de Q[X]. On pose α1 = 3 2, α2 = 3 3 ; on a K1 = Q[, α1 ] et K2 = Q[, α2 ]. On a vu que Gal(K1 /Q) s’identifie au groupe SR1 des permutations de l’ensemble R1 = {α1 , α1 , 2 α1 } ; de même Gal(K2 /Q) s’identifie au groupe SR2 des permutations de l’ensemble R2 = {α2 , α2 , 2 α2 } . On se propose de déterminer le groupe de Galois sur Q du composé K1 K2 = Q[, α1 , α2 ] en appliquant la proposition 3.4.5.11. On a Q[] ⊂ K1 ∩ K2 ; on montrera ci-dessous que l’on a en fait Q[] = K1 ∩ K2 . Les homomorphismes de restriction de Gal(K1 /Q) et Gal(K2 /Q) sur Gal(Q[]/Q) s’identifie aux homomorphismes signature (voir 3.4.2.15 et 3.4.5.6) ; en effet le discriminant du polynôme X 3√− 2 (resp. X 3 − 3) est √ égal à −3 × 62 (resp. 2 −3 × 9 ) et les sous-corps Q[] et Q[6ı 3] (resp. Q[] et Q[9ı 3]) coı̈ncident. On voit donc (tenant Q[] = K1 ∩ K2 pour acquis) que Gal(K1 K2 /Q) s’identifie au sousgroupe de SR1 × SR2 formé des couples (σ1 , σ2 ) avec σ1 et σ2 de même signature. Vérification de l’égalité Q[] = K1 ∩ K2 . Comme l’on a [K1 : Q] = 6 et [K2 : Q] = 6 il suffit de vérifier K1 6= K2 . On raisonne par l’absurde. On suppose K1 = K2 , c’est-à-dire α2 ∈ K1 . Soit γ l’élément de Gal(K1 /Q) correspondant à la conjugaison complexe ; on a γ(α1 ) = α1 , γ(α1 ) = 2 α1 , γ(2 α1 ) = α1 , γ(α2 ) = α2 . Soit σ l’élément de Gal(K1 /Q) correspondant à la permutation circulaire α1 7→ α1 7→ 2 α1 7→ α1 ; on observe que le groupe Gal(K1 /Q) est engendré par γ et σ. L’image de α2 par σ est nécessairement racine de X 3 − 3 : σ(α2 ) = m α2 avec m ∈ {0, 1, 2}. On pose λ = α2 /(α1 )m ; λ est un élément de K1 qui vérifie γ(λ) = λ et σ(λ) = λ, il est donc invariant sous l’action de Gal(K1 /Q) et appartient à Q. L’égalité 3/(2)m = λ3 , avec λ ∈ Q, est la contradiction cherchée. Cours J. LANNES 91 chapitre 4 Chapitre 4 La théorie de Galois en action On décrit dans ce chapitre une illustration et deux applications de la théorie de Galois : - La théorie élémentaire des extensions cyclotomiques, c’est-à-dire des extensions obtenues en adjoignant des “racines de l’unité” (Paragraphe 4.1). - La théorie de la résolubilité par radicaux des équations (Paragraphe 4.2). - La théorie de la constructibilité “à la règle et au compas” (Paragraphe 4.3). 4.1. Cyclotomie 4.1.1. Rappels sur les groupes cycliques finis On rappelle ci-dessous, sans démonstrations, les propriétés des groupes cycliques finis et de l’indicateur d’Euler dont on aura besoin par la suite. Le lecteur est évidemment encouragé à démontrer ces propriétés à titre d’exercice. Définition 4.1.1.1. Soit n ≥ 1 un entier. On note ϕ(n) le cardinal du groupe (Z/n)× . L’application ϕ : N − {0} → N − {0}, ainsi définie s’appelle l’indicateur d’Euler. Proposition 4.1.1.2. Soit n ≥ 1 un entier. Soient k un élément de Z et k̄ son image dans l’anneau Z/n, les conditions suivantes sont équivalentes : (i) k̄ appartient à (Z/n)× ; (ii) k̄ engendre (Z/n)+ (on rappelle que cette notation désigne le groupe additif de Z/n) ; (iii) k et n sont premiers entre eux. Corollaire 4.1.1.3. Soit n ≥ 1 un entier. L’indicateur d’Euler ϕ(n) est égal au nombre d’entiers k premiers à n avec 0 ≤ k < n. Etant donné les exemples que nous avons en vue (les groupes de racines de l’unité) le groupe fini cyclique G qui apparaı̂t dans les énoncés ci-dessous est noté “multiplicativement”. Corollaire 4.1.1.4. Soit n ≥ 1 un entier. Soient G un groupe cyclique d’ordre n et g un générateur de G. Soit h un élément de G, les conditions suivantes sont équivalentes : (i) h est un générateur de G ; (ii) il existe un entier k premier à n tel que l’on a h = g k . ÉDITION 2012 92 La théorie de Galois en action Corollaire 4.1.1.5. Soit n ≥ 1 un entier. Soit G un groupe cyclique d’ordre n. Le nombre d’éléments de G qui sont générateurs est égal à ϕ(n). Corollaire 4.1.1.6. Soit n ≥ 1 un entier. Soient G un groupe cyclique d’ordre n et d ≥ 1 un diviseur de n. Le nombre d’éléments d’ordre d de G est égal à ϕ(d). Corollaire 4.1.1.7. Soit n ≥ 1 un entier. On a : n= X ϕ(d) d|n (somme indexée par les diviseurs d ≥ 1 de n). Calcul de l’indicateur d’Euler Proposition 4.1.1.8. (a) Soient p un nombre premier. On a ϕ(pv ) = pv − pv−1 pour tout entier v ≥ 1. (b) Soient n1 ≥ 1 et n2 ≥ 1 deux entiers premiers entre eux. Alors on a ϕ(n1 n2 ) = ϕ(n1 )ϕ(n2 ). Pour une démonstration du point (b) ci-dessus voir l’exercice 4.1.1.9 ci-dessous ; pour une généralisation voir l’exercice 4.1.1.11. Exercice 4.1.1.9. Soient n1 ≥ 1 et n2 ≥ 1 deux entiers premiers entre eux. Montrer que le produit des homomorphismes d’anneaux canoniques Z/n1 n2 → Z/n1 × Z/n2 est un isomorphisme. En déduire la formule ϕ(n1 n2 ) = ϕ(n1 )ϕ(n2 ). Exercice 4.1.1.10. Soient n ≥ 1 un entier et d ≥ 1 un diviseur de n. Montrer que l’homomorphisme canonique (Z/n)× → (Z/d)× est surjectif. (Indication : se ramener au cas où n est une puissance d’un nombre premier en utilisant l’exercice précédent.) Exercice 4.1.1.11. Soient n1 et n2 deux entiers ≥ 1 ; soient respectivement d et m leur p.g.c.d. et leur p.p.c.m.. 1) Montrer que le point (b) de 4.1.1.8 implique ϕ(d)ϕ(m) = ϕ(n1 )ϕ(n2 ). 2) On note Z/n1 ×Z/d Z/n2 le sous-anneau de Z/n1 × Z/n2 formé des couples (k1 , k2 ) tels que les images de k1 et k2 dans Z/d par les homomorphismes d’anneaux canoniques coı̈ncident. Montrer que le produit des homomorphismes d’anneaux canoniques Z/m → Z/n1 × Z/n2 induit un isomorphisme d’anneaux Z/m ∼ = Z/n1 ×Z/d Z/n2 . En déduire une relation entre les groupes (Z/n1 )× , (Z/n2 )× , (Z/d)× et (Z/m)× . 3) Montrer que la question 2 et l’exercice 4.1.1.10 conduisent également à la formule ϕ(d) ϕ(m) = ϕ(n1 ) ϕ(n2 ). Cours J. LANNES 93 Corollaire 4.1.1.12. chapitre 4 Soit n ≥ 1 un entier. On a : Y ϕ(n) = n (1 − 1/p) , p|n le produit ci-dessus étant indexé par les diviseurs premiers p de n. Exercice 4.1.1.13. Retrouver cette formule à l’aide de celle de 4.1.1.7 et de la formule d’inversion de Möbius (Exercice 2.1.13). Automorphismes d’un groupe cyclique fini Le but de la dernière proposition de ce paragraphe est d’expliciter l’énoncé suivant : Le groupe des automorphismes d’un groupe cyclique d’ordre n est canoniquement isomorphe à (Z/n)× . Soit G un groupe cyclique d’ordre n. Soit g un élément de G. L’homomorphisme de groupes Z → G, k 7→ g k induit un homomorphisme de groupes Z/n → G que l’on note toujours k 7→ g k . (Cet homomorphisme est un isomorphisme si g est un générateur de G.) Proposition 4.1.1.14. Soit G un groupe cyclique d’ordre n. Soit Aut(G) le groupe des automorphismes du groupe G. (a) Soit k un élément de (Z/n)× , l’application g 7→ g k est un automorphisme de G. (a) L’application (Z/n)× → Aut(G) qui associe cet automorphisme à k est un isomorphisme de groupes. Remarque 4.1.1.15. Soient G un groupe cyclique d’ordre n`et Gd le sous-ensemble de G formé des éléments d’ordre d. La partition de G, G = d|n Gg , (qui conduit à 4.1.1.7) coı̈ncide avec la partition en orbites sous l’action tautologique de Aut(G). Exercice 4.1.1.16 (Détermination des entiers n pour lesquels (Z/n)× est cyclique). 1) Soit p 6= 2 un nombre premier. 1.1) Soit v ≥ 2 un entier. Montrer que le noyau de l’homomorphisme canonique (Z/pv )× → (Z/p)× est cyclique d’ordre pv−1 engendré par la classe de 1 + p. w (Indication : montrer (1 + p)p ≡ 1 + pw+1 mod pw+2 pour 0 ≤ w ≤ v − 1.) 1.2) Soit v ≥ 1 un entier. Montrer que le groupe (Z/pv )× est cyclique. (Indication. Soit r : (Z/pv )× → (Z/p)× l’homomorphisme canonique ; commencer par montrer que le groupe (Z/pv )× est isomorphe au produit (Z/p)× × Ker r.) 2) Soit v ≥ 3 un entier. 2.1) Montrer que le noyau de l’homomorphisme canonique (Z/2v )× → (Z/4)× est cyclique d’ordre 2v−2 engendré par la classe de 5. w (Indication : montrer 52 ≡ 1 + 2w+2 mod 2w+3 pour 0 ≤ w ≤ v − 2.) 2.2) Montrer que le groupe (Z/2v )× est isomorphe au produit (Z/2)+ × (Z/2v−2 )+ . ÉDITION 2012 94 La théorie de Galois en action 3) Soit C le sous-ensemble de N − {0} formé des entiers 1, 2 et 4, des entiers de la forme pv et des entiers de la forme 2 pv , p désignant un nombre premier impair et v un entier strictement positif. Soit n ≥ 1 un entier, montrer que les conditions suivantes sont équivalentes : (i) le groupe (Z/n)× est cyclique ; (ii) le groupe (Z/n)× ne contient pas de sous-groupe isomorphe au produit (Z/2)+ × (Z/2)+ ; (iii) n appartient à C. 4.1.2. Racines de l’unité Soit n ≥ 1 un entier. Soit K un corps. On note µn (K) le sous-groupe de K × formé des éléments ζ vérifiant ζ n = 1 ; on dit que µn (K) est le groupe des racines n-ièmes de l’unité de K. Le groupe µn (K) a au plus n éléments puisque c’est l’ensemble des racines dans K du polynôme X n − 1 de K[X]. Plus précisément : Proposition 4.1.2.1. Soit K un corps. Soit n ≥ 1 un entier. (a) Le groupe µn (K) est cyclique et son ordre divise n. (b) La caractéristique de K ne divise pas l’ordre de µn (K). (c) Si K est algébriquement clos et si la caractéristique de K ne divise pas n alors µn (K) a n éléments. Démonstration. (a) Le groupe µn (K) est cyclique d’après le théorème 2.3.2. Soient d l’ordre de µn (K) et ζ un générateur de ce groupe, ζ n = 1 implique d|n. (b) Il est clair que l’on peut supposer que la caractéristique de K est non nulle ! Soit p cette caractéristique. On écrit n = pv m, v désignant un entier positif ou nul v et m un entier non divisible par p. L’égalité ζ n − 1 = (ζ m − 1)p dans K entraı̂ne que les sous-groupes µn (K) et µm (K) de K × coı̈ncident. L’ordre de µn (K) est donc un diviseur de m. (c) Si la caractéristique de K ne divise pas n alors le polynôme X n − 1 de K[X] est séparable. Si de plus K est algébriquement clos alors ce polynôme a bien n racines dans K. Remarque 4.1.2.2. Soit U un sous-groupe fini de K × . Il est clair que si U a n éléments alors on a U = µn (K) ; d’après ce que l’on vient de voir il est faux en général que µn (K) ait n éléments ! Exercice 4.1.2.3. Soit K un corps à q élément. Soit n ≥ 1 un entier. Montrer que l’ordre de µn (K) est le p.g.c.d. des entiers n et q − 1. Soit K un corps, un élément d’ordre n de K × s’appelle une racine primitive n-ième de l’unité. Cours J. LANNES 95 chapitre 4 Proposition 4.1.2.4. Soit K un corps. (a) Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) le groupe µn (K) a n éléments ; (ii) il existe dans K une racine primitive n-ième de l’unité. (b) On suppose que µn (K) a n éléments. Soit ζ un élément de µn (K), les conditions suivantes sont équivalentes : (i) ζ est une racine primitive n-ième de l’unité ; (ii) ζ est un générateur de µn (K). Démonstration. Evidente dès que l’on sait que µn (K) est cyclique. Exercice 4.1.2.5. 1) Soit p 6= 2 un nombre premier. 1.1) Montrer que µ8 (Fp2 ) a 8 éléments. 1.2) En déduire que la réduction modulo p du polynôme X 4 + 1 de Z[X] n’est pas irréductible dans Fp [X]. (Indication : utiliser le corollaire 3.4.2.5.) 2) Soit P un polynôme unitaire de Z[X]. On considère les deux conditions suivantes : (i) Il existe un nombre premier p tel que la réduction modulo p du polynôme P est irréductible dans Fp [X]. (ii) Le polynôme P est irréductible dans Q[X]. Montrer que l’on a (i)⇒(ii) ; a-t-on (ii)⇒(i) ? 4.1.3. Extensions cyclotomiques générales Soit K un corps. Soit n ≥ 1 un entier. On suppose dans ce paragraphe que la caractéristique de K ne divise pas n. Soit K ⊂ L une extension de scindement du polynôme X n − 1 de K[X]. Une telle extension est dite cyclotomique de niveau n. Puisque le polynôme X n − 1 est séparable, il s’agit d’une extension galoisienne. On va étudier ci-après son groupe de Galois. Remarques 4.1.3.1. - Soit Ω une clôture algébrique de K. Toute extension cyclotomique de niveau n de K est K-isomorphe à K[µn (Ω)]. - Soit K ⊂ L une extension cyclotomique de niveau n. Soit ζ une racine primitive n-ième de l’unité ; on a L = K[ζ]. Exemple. Soit K un corps fini de caractéristique p ; soit q son nombre d’éléments. Puisque K est un corps de scindement du polynôme X q − X de Fp [X] (Corollaire 2.1.7), K est aussi un corps de scindement du polynôme X q−1 − 1 : K est une extension cyclotomique de niveau q − 1 de Fp . ÉDITION 2012 96 La théorie de Galois en action Soit K ⊂ L une extension cyclotomique de niveau n. Le groupe de Galois Gal(L/K) opère sur l’ensemble à n éléments formé des racines dans L du polynôme X n −1, c’està-dire sur µn (L). En d’autres termes, on dispose d’un homomorphisme de groupes f : Gal(L/K) → Sµn (L) (on rappelle que cette notation désigne le groupe de toutes les permutations de l’ensemble µn (L)) ; on sait que cet homomorphisme est injectif (au fait, pourquoi ?). En outre l’action de Gal(L/K) sur µn (L) préserve la structure de groupe de µn (L) : pour tout σ dans Gal(L/K) et tous ζ1 et ζ2 dans µn (L) on a σ(ζ1 ζ2 ) = σ(ζ1 )σ(ζ2 ). Ceci signifie que l’image de f est contenue dans le sous-groupe Aut(µn (L)) de Sµn (L) formé des permutations de µn (L) qui sont des automorphismes de groupes ; on dispose donc ici d’un homomorphisme injectif de groupes Gal(L/K) → Aut(µn (L)) que l’on note encore f . En composant l’homomorphisme injectif f : Gal(L/K) → Aut(µn (L)) par l’inverse de l’isomorphisme canonique (Z/n)× → Aut(µn (L)) décrit dans la proposition 4.1.1.14 on obtient finalement un homomorphisme injectif Gal(L/K) → (Z/n)× que nous notons e. En conclusion : Proposition 4.1.3.2. Soient K un corps et n ≥ 1 un entier non divisible par la caractéristique de K. Soit L une extension cyclotomique de niveau n de K. Il existe un unique homomorphisme de groupes injectif e : Gal(L/K) → (Z/n)× tel que l’on a σ(ζ) = ζ e(σ) pour tout σ dans Gal(L/K) et tout ζ dans µn (L). (Nous avons tenu, pour des raisons pédagogiques, à obtenir cet énoncé en spécialisant ce que nous avions dit en 3.4.2 sur le groupe de Galois d’un polynôme séparable général. On peut bien sûr l’obtenir plus rapidement et le lecteur est invité à le faire.) Corollaire 4.1.3.3. Soient K un corps et n ≥ 1 un entier non divisible par la caractéristique de K. Soit L une extension cyclotomique de niveau n de K. Alors le degré [L : K] est un diviseur de ϕ(n). Démonstration. Puisque Gal(L/K) s’identifie via e à un sous-groupe de (Z/n)× , le cardinal de Gal(L/K) divise celui de (Z/n)× . Or le cardinal de Gal(L/K) est égal à [L : K] (Proposition 3.4.2.6). Exemple 4.1.3.4. Soit p un nombre premier qui ne divise pas n. Soit K une extension cyclotomique de niveau n de Fp ; K est donc un corps fini. Par définition l’image par e : Gal(K/Fp ) → (Z/n)× du Frobenius de K est égale à la classe de p dans Z/n. Soit r le degré de l’extension Fp ⊂ K. Puisque le groupe Gal(K/Fp ) est cyclique d’ordre r engendré par FrK et que e est injectif, on en déduit que r est l’ordre de la classe de p dans (Z/n)× , c’est-à-dire le plus petit entier strictement positif tel que n divise pr − 1. Cours J. LANNES 97 chapitre 4 Exercice 4.1.3.5 (suite de l’exemple ci-dessus). Retrouver ce qui précède à l’aide du théorème 2.3.1. Exercice 4.1.3.6. Soient K un corps, n ≥ 1 un entier non divisible par la caractéristique de K et L une extension cyclotomique de niveau n de K. Soit d ≥ 1 un diviseur de n, on pose M = K[µd (L)] ; M est donc une extension cyclotomique de niveau d de K (et un corps intermédiaire entre K et L tel que l’extension K ⊂ M est galoisienne). On considère le diagramme d’homomorphismes de groupes Gal(L/K) r y −−−−−→ e (Z/n)× y e (Z/d)× Gal(M/K) −−−−−→ où la flèche verticale de gauche est l’homomorphisme de restriction introduit en 3.4.4 et où la flèche verticale de droite est l’homomorphisme induit par la réduction modulo d. Vérifier que ce diagramme est commutatif. 4.1.4. Extensions cyclotomiques de Q Pour fixer les idées, on choisit comme extension cyclotomique de niveau n de Q le sous-corps Q[µn (C)] de C. Pour alléger la notation on pose µn = µn (C) (on a donc aussi µn = µn (Q)). Théorème 4.1.4.1. en 4.1.3.2) Pour tout entier n ≥ 1 l’homomorphisme canonique (défini e : Gal (Q[µn ]/Q) → (Z/n)× est un isomorphisme. Démonstration. On sait déjà que l’homomorphisme e est injectif ; il est reste à montrer qu’il est surjectif. Ceci résultera du lemme suivant : Lemme 4.1.4.2. Soient ζ une racine primitive n-ème de l’unité dans C et p un nombre premier qui ne divise pas n. Alors ζ et ζ p ont même polynôme minimal sur Q. Démonstration du théorème 4.1.4.1 à l’aide du lemme 4.1.4.2 Soient ζ une racine primitive n-ème de l’unité dans C et p un nombre premier qui ne divise pas n. La proposition 3.3.3.13 montre que si ζ et ζ p ont même polynôme ÉDITION 2012 98 La théorie de Galois en action minimal sur Q alors il existe un élément σ de Gal(Q[µn ]/Q) tel que l’on a σ(ζ) = ζ p . Comme la racine n-ième de l’unité ζ est primitive on a forcément e(σ) = p̄, p̄ désignant l’image de p dans (Z/n)× . On en déduit que e est surjectif. En effet, les classes modulo n des nombres premiers qui ne divisent pas n engendrent le groupe (Z/n)× . Détaillons. Tout élément de (Z/n)× est représenté par un entier k ≥ 1 premier à n (avec si l’on veut k < n) ; un tel k est un produit de nombres premiers p (pas nécessairement distincts) qui ne divisent pas n (avec si l’on veut p < n). Démonstration du lemme 4.1.4.2 Soit F (resp. G) le polynôme minimal de ζ (resp. ζ p ) sur Q. On observe tout d’abord que la proposition 0.3.4.18 (qui elle-même est conséquence du lemme de Gauss, Lemme 0.3.4.11) montre que F (resp. G) est à coefficients dans Z. En effet, F (resp. G) est un polynôme unitaire de Q[X] qui divise dans Q[X] le polynôme unitaire X n − 1 de Z[X]. On raisonne ensuite par l’absurde en supposant F 6= G. Dans ce cas le polynôme X n − 1 qui est divisible par les deux polynômes irréductibles distincts F et G est divisible par leur produit. On a donc une factorisation dans Z[X] de la forme : X n −1 = F GQ1 ; pour se convaincre de ce que cette factorisation a bien lieu dans Z[X] on utilise le lemme 4.1.4.3 ci-dessous (plus grossier que la proposition 0.3.4.18 que l’on pourrait également utiliser). On pose H(X) = G(X p ). Puisque H(ζ) est nul H est divisible par F . On a donc, à nouveau d’après le lemme 4.1.4.3, une factorisation dans Z[X] de la forme : H = F Q2 . On arrive à une contradiction en réduisant modulo p. Soit ρ : Z[X] → Fp [X] la réduction modulo p. Les égalités : – ρ(H) = (ρ(G))p (qui résulte de l’identité ap = a dans Fp et de l’identité (x + y)p = xp + y p dans un anneau A avec p1A = 0A , Proposition 1.1.1). – ρ(H) = ρ(F )ρ(Q2 ) montrent qu’il existe dans Fp [X] un polynôme irréductible π qui divise à la fois ρ(F ) et ρ(G). L’égalité : - X n − 1̄ = ρ(F )ρ(G)ρ(Q1 ) (k̄ désignant la réduction modulo p d’un entier k) montre alors que le polynôme X n − 1̄ est divisible par π 2 . Or ceci est impossible puisque le polynôme X n − 1̄ est séparable quand p ne divise pas n. Rappelons l’argument. Si le polynôme X n − 1̄ est divisible par π 2 alors son dérivé nX n−1 est divisible par π, si bien que π divise le polynôme constant n̄ = −n(X n − 1̄) + X(nX n−1 ) ; on doit donc avoir n̄ = 0̄. Lemme 4.1.4.3. Soient K un corps et A un sous-anneau de K. Soient P et Q deux polynômes de A[X] tels que Q divise P dans K[X] ; soit R le polynôme de K[X] défini par P = QR. Si le coefficient du terme de plus haut degré de Q est un élément inversible de A alors R appartient aussi à A[X]. Démonstration. Comme le coefficient du terme de plus haut degré de Q est un élément inversible de A, on peut effectuer la division euclidienne de P par Q dans Cours J. LANNES 99 chapitre 4 A[X] ; soient respectivement U et V le quotient et le reste de cette division dans A[X] : P = QU + V . La théorie de la division euclidienne montre que U et V sont également le quotient et le reste de la division euclidienne de P par Q dans K[X], on a donc U = R (et V = 0), ce qui montre bien que R est à coefficients dans A. L’énoncé 4.1.4.1 est généralisé dans l’exercice ci-dessous. On pourra, en première lecture, sauter cet exercice. Exercice 4.1.4.4. fini. On note µ∞ le sous-groupe de C× formé des éléments d’ordre 1) Montrer que l’extension Q ⊂ Q[µ∞ ] est galoisienne. 2) On reprend les notations de l’exercice 2.2.7. Montrer que l’on a des isomorphismes b × ∼ de groupes canoniques Gal(Q[µ∞ ]/Q) ∼ = (Z) = Aut(µ∞ ) (la notation Aut(µ∞ ) désigne le groupe des automorphismes du groupe µ∞ ). Corollaire 4.1.4.5. Pour tout entier n ≥ 1 le degré de l’extension cyclotomique Q ⊂ Q[µn ] est égal à ϕ(n). Démonstration. Le degré de l’extension galoisienne Q ⊂ Q[µn ] est égal au cardinal de son groupe de Galois (Proposition 3.4.2.6). Exercice 4.1.4.6. Soient n1 et n2 deux entiers ≥ 1 ; soient respectivement d et m leur p.g.c.d. et leur p.p.c.m.. 1) Montrer que le sous-corps Q[µm ] de C est le composé des sous-corps Q[µn1 ] et Q[µn2 ]. 2) Montrer que le sous-corps Q[µd ] de C est l’intersection des sous-corps Q[µn1 ] et Q[µn2 ]. (Indication : utiliser la formule ϕ(d)ϕ(m) = ϕ(n1 )ϕ(n2 ) de l’exercice 4.1.1.11 et le corollaire 3.4.5.10.) 3) Faire le lien entre la question 2 de l’exercice 4.1.1.11, la proposition 3.4.5.11 et ce qui précède. Polynômes cyclotomiques Soit ζ une racine primitive n-ième de l’unité dans C. L’orbite de ζ sous l’action du groupe Gal(Q[µn ]/Q) est le sous-ensemble de µn formé des racines primitives n-ièmes de l’unité ; nous notons πn ce sous-ensemble. La proposition 3.4.2.4 dit que Q le polynôme minimal de ζ sur Q est le produit ω∈πn (X − ω). On pose Φn (X) = Q ω∈πn (X − ω) ; ce polynôme s’appelle le n-ième polynôme cyclotomique. La première partie de la proposition 3.4.2.9, appliquée au polynôme X n − 1 de Q[X], dit que la décomposition en facteurs unitaires irréductibles de ce polynôme dans Q[X] Q n est X − 1 = d|n Φd (X). En effet, la partition en orbites de µn sous l’action de ` Gal(Q[µn ]/Q) est µn = d|n πd . ÉDITION 2012 100 La théorie de Galois en action Tout ce qui précède conduit à l’énoncé suivant (qui mérite le statut de théorème à cause du point (c), dû à Gauss) : Théorème 4.1.4.7. propriétés suivantes : Les polynômes cyclotomiques Φn (X), n ≥ 1, possèdent les (a) Φn (X) est unitaire et de degré ϕ(n) ; (b) Φn (X) est à coefficients dans Z ; (c) Φn (X) est irréductible dans Q[X] ; (d) Φn (X) est le polynôme minimal sur Q de toute racine primitive n-ième de l’unité dans C ; Q (e) X n − 1 = d|n Φd (X). Remarque 4.1.4.8. Puisque πn est le sous-ensemble du groupe C× formé des éléments d’ordre n, les πn sont deux à deux disjoints ; il en résulte que les Φn (X) sont deux à deux distincts. Exemples : – Φ1 (X) = X − 1 ; – Φp (X) = X p−1 + X p−2 + . . . + X + 1 pour tout nombre premier p ; – Φ4 (X) = X 2 + 1 ; – Φ8 (X) = X 4 + 1 ; – Φ6 (X) = X 2 − X + 1. Théorie ab initio des polynômes cyclotomiques On propose maintenant une approche des polynômes cyclotomiques indépendante de la théorie de Galois. Q On considère a priori les polynômes Φn (X) = ζ∈πn (X − ζ) de C[X], n ≥ 1, et on vérifie les cinq points du théorème ci-dessus. ` Q – La formule µn = d|n πd implique la formule X n − 1 = d|n Φd . Celle-ci permet de montrer par récurrence sur n que Φn est à coefficients dans Z. Détaillons. Le polynôme Φ1 = X − 1 est bien à coefficients dans Z. Montrons Q que l’hypothèse Φm ∈ Z[X] pour m < n implique Φn ∈ Z[X]. Posons Ψn = d|n et d<n Φd ; on a donc X n −1 = Φn Ψn (a priori dans C[X]). Par hypothèse de récurrence Ψn appartient à Z[X]. Comme Ψn est unitaire on peut appliquer le lemme 4.1.4.3 qui montre que Φn est bien à coefficients dans Z. – Le fait que le degré de Φn est égal à ϕ(n) est évident si l’on tient pour acquis que µn (C) est cyclique (observer que l’approche “classique” fait intervenir l’exponentielle complexe). On peut également P s’en convaincre en reprenant la récurrence précédente et en utilisant la formule n = d|n ϕ(d) (on prouve du même coup que µn (C) est cyclique). Cours J. LANNES 101 chapitre 4 – On vérifie enfin que Φn est irréductible dans Q[X]. Soient ζ une racine primitive n-ème de l’unité dans C et F son polynôme minimal sur Q. Puisque l’on a Φn (ζ) = 0, F divise Φn dans Q[X]. On doit donc montrer que l’on a F = Φn ; ou encore que F est le polynôme minimal sur Q de tout élément ω de πn . Un tel ω est de la forme ζ k , k désignant un entier supérieur à 1 et premier à n (avec si l’on veut k < n). Un tel k est produit de nombres premiers p (pas nécessairement distincts) qui ne divisent pas n (avec si l’on veut p < n) et on conclut en appliquant itérativement le lemme 4.1.4.2. Remarque 4.1.4.9. Soit n ≥ 1 un entier. Il est facile de se convaincre de ce que l’homomorphisme e : Gal(Q[µn ]/Q) → (Z/n)× est un isomorphisme si l’on sait a priori que Φn est irréductible dans Q[X]. En effet : – Si Φn est irréductible dans Q[X] alors Φn est le polynôme minimal sur Q de toute racine primitive n-ème de l’unité dans C, ce qui implique [Q[µn ] : Q] = ϕ(n). – Les deux groupes finis Gal(Q[µn ]/Q) et (Z/n)× ont donc le même nombre d’éléments ; l’homomorphisme e, que l’on sait déjà être injectif, est donc bijectif. Cette remarque est pertinente en particulier quand n est une puissance d’un nombre premier. On peut alors montrer que Φn est irréductible dans Q[X] à l’aide du critère d’Eisenstein ; voir Exercice 0.3.4.20. Exercice 4.1.4.10. Soit n ≥ 1 un entier. 1) Soit p un nombre premier, montrer que l’on a : – Φpn (X) = Φn (X p )/Φn (X) si p ne divise pas n ; – Φpn (X) = Φn (X p ) si p divise n. Montrer que l’on a aussi : – Φ2n (X) = Φn (−X) si n est impair et différent de 1. 2) On reprend les notations de l’exercice 2.1.13. Montrer que l’on a : Φn (X) = Y (X n/d − 1)µ(d) . d|n Exercice 4.1.4.11. Soit n ≥ 1 un entier. On note, comme ci-dessus, Ψn le polynôme unitaire de Z[X] défini par X n − 1 = Φn Ψn . 1) Montrer que le degré de Ψn est strictement inférieur à n. (Cette question est triviale, l’important est de constater que l’on n’utilise pas ici le théorème 2.3.2.) 2) Soit d ≥ 1 un diviseur de n, distinct de n. Montrer que Ψn est divisible par X d − 1 dans Z[X]. ÉDITION 2012 102 La théorie de Galois en action 3) Soient K un corps et ζ une racine n-ième de l’unité dans K. Montrer que si Ψn (ζ) est non nul alors ζ est primitive. En déduire une démonstration du théorème 2.3.2 : tout sous-groupe fini du groupe multiplicatif d’un corps est cyclique. 4) Soient K un corps dont la caractéristique ne divise pas n et ζ un élément de K. Montrer que les conditions suivantes sont équivalentes : (i) Φn (ζ) = 0 ; (ii) ζ est une racine primitive n-ième de l’unité. 5) Question subsidiaire. Disons qu’un polynôme non nul de Z[X] est normalisé si le coefficient de son terme de plus haut degré est strictement positif. Montrer que le polynôme Ψn est le p.p.c.m. normalisé des ensembles suivants de polynômes de Z[X] : – {X d − 1; d|n et d < n} – {X n/p − 1; p diviseur premier de n}. Exercice 4.1.4.12. (suite de la question 4 de l’exercice précédent). Soient : – n ≥ 1 un entier ; – K un corps dont la caractéristique ne divise pas n ; – η : Z → K l’homomorphisme d’anneaux k 7→ k 1K et η Φn le polynôme de K[X] image de Φn par l’homomorphisme induit Z[X] → K[X] ; – r le degré d’une extension cyclotomique de niveau n de K (rappelons qu’elles sont toutes K-isomorphes) ; – s l’entier défini par ϕ(n) = rs (voir Corollaire 4.1.3.3). 1) Montrer qu’une extension de scindement de η Φn est une extension cyclotomique de niveau n de K. 2) Montrer que η Φn est produit dans K[X] de s polynômes irréductibles de degré r, deux à deux distincts. Exercice 4.1.4.13. (suite de l’exemple 4.1.3.4 et de l’exercice précédent). Soient : – n ≥ 1 un entier ; – p un nombre premier qui ne divise pas n ; – r le plus petit entier strictement positif tel que n divise pr − 1. 1) Montrer que r divise ϕ(n). Soit s l’entier défini par ϕ(n) = rs. 2) Soit Φn le polynôme de Fp [X] réduction modulo p (coefficients par coefficients) du polynôme cyclotomique Φn . Montrer que Φn est produit dans Fp [X] de s polynômes irréductibles de degré r, deux à deux distincts. 3) Expliciter cette factorisation dans le cas n = 7 et p = 2. Cours J. LANNES 103 chapitre 4 4) Soit A le sous-anneau de C (ou de Q[µn ]) engendré par µn . Montrer que l’anneau quotient A/pA est isomorphe au produit de s copies du corps Fpr . (Indication. Soit ζ une racine n-ième primitive de l’unité dans C ; observer que A est aussi le sous-anneau de C engendré par ζ et en déduire que A est isomorphe à l’anneau quotient Z[X]/Φn .) “Partie réelle” des extensions cyclotomiques de Q On s’intéresse maintenant au sous-corps R ∩ Q[µn ] de Q[µn ] (ou de R). Pour n = 1 et n = 2 on a Q[µn ] = Q et a fortiori R ∩ Q[µn ] = Q[µn ] ! Si besoin est, on supposera donc n ≥ 3 on a dans ce cas R ∩ Q[µn ] 6= Q[µn ]. Soient γ le Q-automorphisme de Q[µn ] induit par la conjugaison complexe et Γ le sous-groupe de Gal(Q[µn ]/Q) formé de γ et de l’identité (observer que ces deux éléments sont distincts pour n ≥ 3) ; il est clair que R ∩ Q[µn ] est le sous-corps (Q[µn ])Γ de Q[µn ] formé des invariants sous l’action de Γ. Il est clair également que l’image de γ par l’isomorphisme Gal(Q[µn ]/Q) ∼ = (Z/n)× de 4.1.4.1 est l’élément −1 × de (Z/n) (distinct de 1 pour n ≥ 3). Proposition 4.1.4.14. On a R ∩ Q[µn ] = Q[cos(2π/n)]. Démonstration. On pose ζ = e2iπ/n . La formule 2 cos(2π/n) = ζ + ζ −1 montre que cos(2π/n) est bien un élément de R ∩ Q[µn ]. Elle entraı̂ne la relation ζ 2 −2 cos(2π/n)ζ+1 = 0 qui montre que le degré de l’extension Q[cos(2π/n)] ⊂ Q[ζ] = Q[µn ] est inférieur ou égal à 2. En contemplant la suite d’extensions Q[cos(2π/n)] ⊂ R ∩ Q[µn ] ⊂ Q[µn ] on voit que l’on a forcément Q[cos(2π/n)] = R ∩ Q[µn ] et que le degré de l’extension Q[cos(2π/n)] = R ∩ Q[µn ] ⊂ Q[µn ] est égal à 2. Remarque 4.1.4.15. Le degré de l’extension (Q[µn ])Γ ⊂ Q[µn ] est bien égal au cardinal de Γ, en accord (heureusement !) avec le point (c) du théorème 3.4.3.1. Le sous-groupe Γ du groupe Gal(Q[µn ]/Q) n’a pas de mal à être distingué puisque le groupe Gal(Q[µn ]/Q), qui est isomorphe à (Z/n)× , est commutatif. Par conséquent, d’après le point (b) du théorème 3.4.4.1, l’extension Q ⊂ R ∩ Q[µn ] est galoisienne. De plus, d’après le point (b0 ) de ce même théorème R ∩ Q[µn ] est stable sous l’action de Gal(Q[µn ]/Q) et l’homomorphisme canonique Gal(Q[µn ]/Q) → Gal(R ∩ Q[µn ]/Q) induit un isomorphisme Gal(R ∩ Q[µn ]/Q) ∼ = Gal(Q[µn ]/Q)/Γ. Le théorème 4.1.4.1 entraı̂ne donc : Proposition 4.1.4.16. Pour tout entier n ≥ 3 l’isomorphisme canonique × Gal(Q[µn ]/Q) ∼ (Z/n) induit un isomorphisme (tout aussi canonique) = Gal (R ∩ Q[µn ]/Q) ∼ = (Z/n)× /{±1} . (La notation {±1} désigne ci-dessus le sous-groupe à deux éléments de (Z/n)× formé des éléments 1 et −1.) ÉDITION 2012 104 La théorie de Galois en action Corollaire 4.1.4.17. degré 21 ϕ(n). Pour tout entier n ≥ 3 l’extension Q ⊂ Q[cos(2π/n)] est de Exemples 4.1.4.18. L’extension Q ⊂ Q[cos(2π/9)] (resp. Q ⊂ Q[cos(2π/7)]) est galoisienne et son groupe de Galois est isomorphe à (Z/9)× /{±1} (resp. (Z/7)× /{±1}). Les groupes (Z/9)× /{±1} et (Z/7)× /{±1} ont tous deux 3 éléments. Voilà l’explication conceptuelle promise des exercices 3.3.3.15 et 3.4.2.19. Exercice 4.1.4.19. Soit n ≥ 1 un entier. Expliciter la liste dans Q des conjugués sur Q de cos(2π/n). Extensions quadratiques et extensions cyclotomiques de Q Extension quadratique est un autre nom pour une extension de degré 2. On a vu (Exemple 3.4.2.2) que toute extension de degré 2 d’un corps K de caractéristique différente de 2 est obtenue en adjoignant à K une “racine carrée” d’un élément d de K qui n’est pas un carré dans K. Proposition 4.1.4.20. Toute extension quadratique de Q est isomorphe à un souscorps d’une extension cyclotomique de Q. Compte tenu de ce que l’on vient de rappeler, cette proposition est équivalente à la suivante : Proposition 4.1.4.21. Soit d un élément de Q. Alors il existe un entier n ≥ 1 tel que d est un carré dans Q[µn ]. Pour sa part, cette proposition résulte essentiellement de l’observation suivante : Puisque Q ⊂ Q[µn ] est une extension de scindement du polynôme X n − 1 de Q[X], le discriminant de ce polynôme est un carré dans Q[µn ] (Proposition 3.4.2.15). Lemme 4.1.4.22. Soit n ≥ 1 un entier. On a : dis (X n − 1) = (−1)(n−1)(n−2)/2 nn . Démonstration. Se reporter à l’exercice 3.4.2.17 ou à l’exercice 3.4.2.18. On a vu que le discriminant d’un polynôme séparable est intimement relié à l’homomorphisme signature défini sur son groupe de Galois (Proposition 3.4.2.15 et Exemple 3.4.5.6). Ici est le composé de l’homomorphisme Gal(Q[µn ]/Q) → Sµn , correspondant à l’action de Gal(Q[µn ]/Q) sur µn (l’ensemble des racines dans Q[µn ] du polynôme X n − 1), et de l’homomorphisme signature Sµn → {±1}. On tire maintenant les conséquences du calcul précédent en ce qui concerne l’énoncé 4.1.4.21 et l’homomorphisme signature : Gal(Q[µn ]/Q) → {±1}. En d’autres termes, on spécialise au polynôme X n − 1 les points 3.4.2.15 et 3.4.5.6 du chapitre 3. Cours J. LANNES 105 chapitre 4 On note ci-dessous Q× /Q×2 le quotient du groupe multiplicatif de Q par le sousgroupe formé des carrés ; on note encore dis(X n − 1) l’image de dis(X n − 1) dans Q× /Q×2 . On distingue quatre cas, suivant la valeur de n modulo 4. – n ≡ 0 mod 4. On a dans Q× /Q×2 : dis(X n − 1) = −1. L’homomorphisme : Gal(Q[µn ]/Q) → {±1} est non trivial. L’élément −1 est un carré dans Q[µn ] et s’identifie à l’homomorphisme Gal(Q[µn ]/Q) → Gal(Q[ı]/Q) ou encore à l’homomorphisme Gal(Q[µn ]/Q) → Gal(Q[µ4 ]/Q) (observer que l’on a bien µ4 ⊂ µn si n est divisible par 4). On vérifie par ailleurs que le diagramme ∼ = Gal(Q[µn ]/Q) −−−−−→ y Gal(Q[µ4 ]/Q) ∼ = −−−−−→ (Z/n)× y (Z/4)× où la flèche verticale de droite est l’homomorphisme induit par la réduction modulo 4, est commutatif (Exercice 4.1.3.6). En fin de compte, est le composé de l’isomorphisme Gal(Q[µn ]/Q) ∼ = (Z/n)× de l’homomorphisme (Z/n)× → (Z/4)× induit par la réduction modulo 4 et de l’isomorphisme (Z/4)× ∼ = {±1}. – n ≡ 1 mod 4. On a dans Q× /Q×2 : dis (X n − 1) = n. L’homomorphisme : Gal(Q[µn ]/Q) → {±1} est trivial si et seulement si n est un carré dans N. Supposons que n n’est pas un carré dans N ; n est par contre √ un carré dans Q[µn ] et s’identifie à l’homomorphisme Gal(Q[µn ]/Q) → Gal(Q[ n]/Q). – n ≡ 2 mod 4. On a dans Q× /Q×2 : dis(X n − 1) = 1. L’homomorphisme : Gal(Q[µn ]/Q) → {±1} est trivial. – n ≡ −1 mod 4. On a dans Q× /Q×2 : dis (X n − 1) = −n. L’homomorphisme : Gal(Q[µn ]/Q) → {±1} est non trivial ; −n√ est un carré dans Q[µn ] et s’identifie à l’homomorphisme Gal(Q[µn ]/Q) → Gal(Q[ı n]/Q). L’analyse ci-dessus conduit à l’énoncé ci-dessous qui implique et précise l’énoncé 4.1.4.21. Proposition 4.1.4.23. Soit d un entier relatif, non nul et sans facteur carré ; soit m ≥ 1 le plus grand diviseur impair de d. Alors d est un carré dans Q[µ8m ]. Démonstration. D’après ce qui précède (−1)(m−1)/2 m est un carré dans Q[µm ]. Par ailleurs −1 et √ 2 sont des carrés dans Q[µ8 ] (le lecteur vérifiera que l’on a en fait Q[µ8 ] = Q[ı, 2]). Il en résulte bien que d est un carré dans Q[µ8m ] puisque µ8 et µm sont contenus dans µ8m (le lecteur vérifiera, à titre d’exercice, que l’homomorphisme naturel µ8 × µm → µ8m est un isomorphisme). ÉDITION 2012 106 La théorie de Galois en action Remarque 4.1.4.24. Soit n ≥ 1 un entier. En revenant à la définition initiale de l’homomorphisme signature : Gal(Q[µn ]/Q) → {±1}, on se convainc facilement de ce que l’homomorphisme de (Z/n)× dans {±1}, composé de l’isomorphisme canonique (Z/n)× ∼ = Gal(Q[µn ]/Q) et de , est aussi le composé de l’homomorphisme (Z/n)× → SZ/n , correspondant à l’action de (Z/n)× sur Z/n et de l’homomorphisme signature SZ/n → {±1}. On note encore : (Z/n)× → {±1} ce composé. Soit p 6= 2 un nombre premier. On sait que le groupe (Z/p)× est cyclique (Théorème 2.3.1) ; soit k un de ses générateurs. La bijection x 7→ kx de Z/p fixe 0 et “permute circulairement” Z/p − {0} ; comme un cycle de longueur paire est une permutation impaire, on constate que l’on a (k) = −1. On retrouve bien le fait que est non trivial. Le lecteur courageux étudiera pareillement l’homomorphisme : (Z/n)× → {±1} pour tout n ≥ 1. Le lecteur paresseux se limitera au cas n ≡ 2 mod 4. Remarque 4.1.4.25. Soit p 6= 2 un nombre premier. L’homomorphisme est l’unique homomorphisme surjectif de (Z/p)× dans {±1}. Cette assertion résulte par exemple du fait que (Z/p)× est cyclique d’ordre pair. En voici une démonstration plus naı̈ve qui conduit à la définition classique de . Soit χ un homomorphisme de (Z/p)× dans {±1}. Soit (Z/p)×2 le sous-groupe de (Z/p)× formé des carrés. Il est clair que la restriction de χ à (Z/p)×2 est triviale ; χ induit donc un homomorphisme χ̃ : (Z/p)× /(Z/p)×2 → {±1}. Or le quotient (Z/p)× /(Z/p)×2 est un groupe à deux éléments ; pour s’en convaincre, observer que le noyau de homomorphisme surjectif (Z/p)× → (Z/p)×2 , x 7→ x2 est {±1Z/p }. Si χ est surjectif alors χ̃ coı̈ncide avec l’unique isomorphisme (Z/p)× /(Z/p)×2 ∼ = {±1}. On peut donc définir l’homomorphisme : (Z/p)× → {±1} de la façon suivante : – (k) = 1 si k est un carré dans (Z/p)× ; – (k) = −1 si k n’est pas un carré dans (Z/p)× . L’homomorphisme ainsi défini s’appelle le caractère de Legendre. Exercice 4.1.4.26. Soit p 6= 2 un nombre premier. × (p−1)/2 1) Montrer que l’homomorphisme F× est à valeurs dans le sousp → Fp , x 7→ x ∼ groupe {±1Fp }. Soit ι l’unique isomorphisme {±1Fp } = {±1} ; montrer que l’on a (x) = ι(x(p−1)/2 ) pour tout x dans F× p. 2) Variante. Soit x un élément de Fp . 2.1) Montrer que x est un carré dans Fp2 . 2.2) Soit y un élément de Fp2 vérifiant y 2 = x. Retrouver le résultat du 1 en observant que l’on a Fr(y) = x(p−1)/2 y, Fr désignant le Frobenius de Fp2 . Cours J. LANNES 107 chapitre 4 Sommes de Gauss Soit p 6= 2 un nombre premier. √ √ On pose δ = p pour p ≡ 1 mod 4 et δ = ı p pour p ≡ −1 mod 4. D’après ce que l’on a vu plus haut, δ appartient à Q[µp ] et l’on a : (a) Q[δ] = (Q[µp ])Ker ; (b) σ(δ) = (σ)δ pour tout σ dans Gal(Q[µp ])/Q). On observe au passage que (b) implique (γ) = 1 pour p ≡ 1 mod 4 et (γ) = −1 pour p ≡ −1 mod 4, γ désignant l’élément de Gal(Q[µp ]/Q) induit par la conjugaison complexe (et correspondant, via l’isomorphisme Gal(Q[µp ]/Q) ∼ = (Z/p)× à l’élément × −1 de (Z/p) ). Soit encore : (c) (γ) = (−1)(p−1)/2 . (Cette formule est bien en accord avec le résultat de l’exercice 4.1.4.26.) Soit ζ une racine primitive p-ième de l’unité dans C. Puisque l’on a Q[µp ] = Q[ζ] et [Q[µp ] : Q] = p − 1, les éléments 1, ζ, ζ 2 , . . . , ζ p−2 forment une base du Q-espace vectoriel Q[µp ]. Comme la multiplication par ζ est un automorphisme de ce Qespace vectoriel, il en est de même pour les éléments ζ, ζ 2 , ζ 3 , · · · , ζ p−1 , c’est-à-dire les éléments σ(ζ), σ parcourant Gal(Q[µp ]/Q). On note λ(ζ; σ) les coordonnées de δ dans cette base : X δ= λ(ζ; σ) σ(ζ) . σ∈Gal(Q[µp ]/Q) La propriété (b) ci-dessus implique que l’on a λ(ζ; σ) = λ(ζ; Id) (σ) (le lecteur aura à coeur de vérifier cette affirmation, la notation Id désigne ici l’automorphisme identité de Q[µp ]). On note C(ζ) le rationnel λ(ζ; id) ; on a donc X δ = C(ζ) (σ) σ(ζ) , σ∈ Gal(Q[µp ]/Q) ou encore : δ = C(ζ) X (x) ζ x . x∈(Z/p)× Le lemme suivant montre que C(ζ) vaut 1 ou −1. Lemme 4.1.4.27. Soient p 6= 2 un nombre premier, ζ une racine primitive p-ième de l’unité dans C et l’unique homomorphisme surjectif de (Z/p)× dans {±1}. On a : 2 X (x) ζ x = (−1)(p−1)/2 p . x∈(Z/p)× ÉDITION 2012 108 La théorie de Galois en action Remarque 4.1.4.28. Il est clair que l’on a C(σ(ζ)) = (σ) C(ζ). On peut montrer que l’on a C(e2iπ/n ) = 1. Cependant cette égalité n’est pas si facile à obtenir (elle a longtemps résisté à Gauss lui-même !). Démonstration du lemme 4.1.4.27. Comme l’on sait que (−1) vaut (−1)(p−1)/2 (voir le point (c) ci-dessus), ce lemme est un cas particulier du lemme ci-dessous. Soit χ un homomorphisme de (Z/p)× dans C× (en fait, puisque l’on a xp−1 = 1 pour tout x dans (Z/p)× , un tel χ est à valeurs dans µp−1 ). On pose G(ζ; χ) = X χ(x) ζ x x∈(Z/p)× (une somme de ce type s’appelle une somme de Gauss). Lemme 4.1.4.29. Soient p 6= 2 un nombre premier, ζ une racine primitive p-ième de l’unité dans C et χ un homomorphisme de (Z/p)× dans C× . Si χ est non trivial alors on a : G(ζ; χ) G(ζ; χ−1 ) = χ(−1) p . (La notation χ−1 désigne ici l’homomorphisme x 7→ (χ(x))−1 .) Démonstration. On a : X G(ζ; χ) G(ζ; χ−1 ) = χ(x)(χ(y))−1 ζ x+y (x,y)∈(Z/p)× ×(Z/p)× X = χ(xy −1 ) ζ x+y . (x,y)∈(Z/p)× ×(Z/p)× En posant t = xy −1 , il vient : X G(ζ; χ) G(ζ; χ−1 ) = χ(t) ζ (t+1)y (t,y)∈(Z/p)× ×(Z/p)× ce qui s’écrit encore : G(ζ; χ) G(ζ; χ−1 ) = X χ(t)S(t) t∈(Z/p)× P (t+1)y avec S(t) = . On vérifie que l’on a S(t) = −1 pour t 6= −1 et y∈(Z/p)× ζ S(−1) = p − 1. On en déduit : G(ζ; χ) G(ζ; χ−1 ) = χ(−1) p − X χ(t) . t∈(Z/p)× Cours J. LANNES 109 chapitre 4 P On achève en montrant que la somme t∈(Z/p)× χ(t) est nulle si χ est non trivial. P P Pour cela on observe que l’on a t∈(Z/p)× χ(t) = χ(t0 ) t∈(Z/p)× χ(t) pour tout t0 dans (Z/p)× . Comme le conjugué de G(ζ; χ) est χ−1 (−1) G(ζ; χ−1 ) le lemme 4.1.4.28 peut se reformuler ainsi : Scholie 4.1.4.30. Soient p 6= 2 un nombre premier, ζ une racine primitive p-ième de l’unité dans C et χ un homomorphisme de (Z/p)× dans C× . Si χ est non trivial alors on a : |G(ζ; χ)|2 = p . Extensions abéliennes et extensions cyclotomiques de Q Une extension abélienne est une extension galoisienne dont le groupe de Galois est commutatif. Théorème 4.1.4.31. sont équivalentes : Soit K une extension finie de Q. Les conditions suivantes (i) K est isomorphe à un sous-corps d’une extension cyclotomique de Q ; (ii) l’extension Q ⊂ K est abélienne. L’implication (ii) ⇒ (i) de ce théorème est une profonde généralisation de la proposition 4.1.4.20. Sa démonstration sort du cadre de ce cours. L’implication (i) ⇒ (ii) est par contre une conséquence immédiate du théorème fondamental de la théorie de Galois. Plus généralement : Proposition 4.1.4.32. Soient K, L et M trois corps avec K ⊂ L ⊂ M . Si l’extension K ⊂ M est abélienne alors il en est de même pour les extensions K ⊂ L et L ⊂ M . Démonstration. Laissée en exercice au lecteur (le lecteur fatigué est autorisé à supposer que l’extension K ⊂ M est finie). Exercice 4.1.4.33 (illustration de l’implication (i)⇒(ii) du théorème 4.1.3.4). 1) Soit K ⊂ L une extension galoisienne. Soient α un élément de L et P son polynôme minimal sur K. Soit enfin K ⊂ M une extension de scindement de P . Montrer qu’il existe un homomorphisme surjectif du groupe Gal(L/K) sur le groupe Gal(M/K). ÉDITION 2012 110 La théorie de Galois en action √ 2) Le nombre réel 3 2 est-il, dans C, combinaison linéaire à coefficients rationnels de racines de l’unité ? En clair, existe-t-il des éléments λ1 , λ2 , . . . , λr de Q, des éléments ζ1 , ζ2 , . . . , ζr de C avec ζ n1 = 1, ζ n2 = 1, . . . , ζ nr = 1, n1 , n2 , . . . , nr désignant des entiers ≥ 1, tels que l’on a : √ 3 2 = r X λk ζk ? k=1 (On pourra faire intervenir un entier n multiple commun des nk .) 4.2. Résolubilité par radicaux 4.2.1. Les notions d’élément exprimable par radicaux et d’extension résoluble par radicaux Soient K ⊂ L une extension et α un élément de L. Nous dirons que α est exprimable par radicaux sur K, s’il existe une extension L ⊂ M , des éléments α1 , α2 , · · · , αr de M × , et des entiers n1 , n2 , · · · , nr , strictement positifs et non divisibles par la caractéristique de K, tels que l’on a : – α ∈ K[α1 , α2 , · · · , αr ] ; – αini ∈ K[α1 , α2 , · · · , αi−1 ] pour 1 ≤ i ≤ r (avec la convention K[∅] = K). Il est clair que αi est algébrique et séparable sur K[α1 , α2 , · · · , αi−1 ]. Il en résulte que les extensions K[α1 , α2 , · · · , αi−1 ] ⊂ K[α1 , α2 , · · · , αi ], 1 ≤ i ≤ r et K ⊂ K[α1 , α2 , · · · , αr ] sont finies et séparables (pour se convaincre de la séparabilité des extensions K[α1 , α2 , · · · , αi−1 ] ⊂ K[α1 , α2 , · · · , αi ] voir 3.2.4.9). Un élément exprimable par radicaux sur K est donc en particulier algébrique et séparable sur K. Voici maintenant quelques variations terminologiques sur le thème précédent. Nous dirons qu’une extension K ⊂ L est une extension radicale élémentaire, s’il existe un élément α de L× et un entier n, strictement positif et non divisible par la caractéristique de K, tels que l’on a : – L = K[α] ; – αn ∈ K. Nous dirons que l’extension K ⊂ L est une extension radicale élémentaire d’ordre n, si l’on demande en outre que n soit le plus petit entier strictement positif avec αn ∈ K (en d’autres termes, que n soit l’ordre de la classe de α dans le groupe L× /K × ). √ Exemple : Q[ 3 2] est une extension radicale élémentaire d’ordre 3 de Q. Cours J. LANNES 111 chapitre 4 Remarque 4.2.1.1. Attention. La terminologie ci-dessus (qui n’est d’ailleurs pas classique) peut prêter à confusion. En effet, l’ordre d’une extension radicale élémentaire K ⊂ L dépend du choix de l’élément α de L× vérifiant L = K[α] et αn ∈ K ; comme on l’a déjà dit, ce n’est rien d’autre que l’ordre de la classe de α dans L× /K × . Voici deux exemples : – On considère l’extension Q ⊂ Q[µ3 ]. On a √ Q[µ3 ] = Q[] avec classe √ de d’ordre 3 dans (Q[µ3 ])× /Q× ; on a aussi Q[µ3 ] = Q[ı 3] avec classe de ı 3 d’ordre 2 dans (Q[µ3 ])× /Q× . – On considère l’extension Q ⊂ Q[µ4 ]. On a Q[µ4 ] = Q avec classe de ı d’ordre 2 dans (Q[µ4 ])× /Q× ; on a aussi Q[µ4 ] = Q[1 + ı] avec classe de 1 + ı d’ordre 4 dans (Q[µ4 ])× /Q× . On verra cependant que cette ambiguité disparaı̂t si K a “assez de racines de l’unité” : dans ce cas l’ordre de la classe α dans L× /K × est égal à [L : K] (Scholie 4.2.2.2). Nous dirons qu’une extension K ⊂ L est une extension radicale, s’il existe une suite finie d’extensions radicales élémentaires : K = L0 ⊂ L1 ⊂ · · · ⊂ Li−1 ⊂ Li ⊂ · · · ⊂ Lr = L . Nous dirons qu’une extension K ⊂ L est résoluble par radicaux, s’il existe une extension L ⊂ M telle que l’extension K ⊂ M est radicale. Une extension résoluble par radicaux est en particulier finie et séparable. Soient K ⊂ L une extension et α un élément de L. Nous avons tout fait pour que les conditions suivantes soient équivalentes : (i) α est exprimable par radicaux sur K ; (ii) l’extension K ⊂ K(α) est résoluble par radicaux. Proposition 4.2.1.2. (a) Si deux extensions K ⊂ L et L ⊂ M sont radicales alors il en est de même pour l’extension K ⊂ M . (b) Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Si l’extension K ⊂ L1 est radicale alors il en est de même pour l’extension L2 ⊂ L1 L2 . (c) Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Si les extensions K ⊂ L1 et K ⊂ L2 sont radicales alors il en est de même pour l’extension K ⊂ L1 L2 . Démonstration. Le point (a) est trivial ; le point (b) presque autant. Le point (c) est conséquence de (a) et (b) (considérer la suite d’extensions K ⊂ L2 ⊂ L1 L2 ). ÉDITION 2012 112 La théorie de Galois en action Corollaire 4.2.1.3. Soit K ⊂ L une extension. Soient L1 et L2 deux corps intermédiaires entre K et L. Si les extensions K ⊂ L1 et K ⊂ L2 sont résolubles par radicaux alors il en est de même pour l’extension K ⊂ L1 L2 . Démonstration. Soit Ω une clôture algébrique de L1 L2 ; comme les extensions L1 ⊂ L1 L2 et L2 ⊂ L1 L2 sont finies, Ω est aussi clôture algébrique de L1 et L2 . Soient Mi , i = 1, 2, une extension radicale de K contenant Li et ϕi un Li -homomorphisme de Mi dans Ω (un tel ϕi existe d’après 3.1.1) ; il est manifeste que ϕi (Mi ) est encore une extension radicale de K contenant Li . D’après la proposition précédente, le corps ϕ1 (M1 )ϕ2 (M2 ), composé dans Ω des corps ϕ1 (M1 ) et ϕ2 (M2 ), est une extension radicale de K contenant L1 L2 . Corollaire 4.2.1.4. équivalentes : Soit K ⊂ L une extension finie. Les conditions suivantes sont (i) L’extension K ⊂ L est résoluble par radicaux. (ii) Tout élément de L est exprimable par radicaux sur K. Démonstration. L’implication (i) ⇒ (ii) est évidente. Vérifions (ii) ⇒ (i). D’après 1.3.15 il existe une partie finie A de L telle que le corps L est le composé des corps K(α), α parcourant A ; l’implication (ii) ⇒ (i) peut donc être vue comme une conséquence de 4.2.1.2 (c). Proposition 4.2.1.5. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soient L une extension finie séparable de K et E l’extension galoisienne de K engendrée par L dans Ω. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) L’extension K ⊂ L est résoluble par radicaux. (ii) L’extension K ⊂ E est résoluble par radicaux. (iii) Il existe un corps F intermédiaire entre E et Ω tel que l’extension K ⊂ F est radicale et galoisienne. (iv) Il existe une extension L ⊂ N telle que l’extension K ⊂ N est radicale et galoisienne. Démonstration. On démontre (i)⇒(iii). Les implications (i)⇒(iv) et (i)⇒(ii) en résultent. Les implications (iv)⇒(i) et (iii)⇒(ii) sont triviales, l’implication (ii)⇒(i) est claire (triviale si l’on suppose L ⊂ Ω !). Soient L ⊂ M une extension telle que l’extension K ⊂ M est radicale (en particulier finie et séparable) et F l’extension galoisienne de K engendrée par M dans Ω. Par définition le corps F est le composé dans Ω des corps ψ(M ), ψ décrivant l’ensemble (ici fini) des K-homomorphismes de M dans Ω ; E est un sous-corps de F . Comme les ψ(M ) sont des extensions radicales de K il en est de même, d’après 4.2.1.2, pour F . Les énoncés précédents conduisent au suivant dans lequel on définit la notion d’équation résoluble par radicaux : Cours J. LANNES 113 chapitre 4 Proposition-Définition 4.2.1.6. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soit P un polynôme non constant de K[X] ; soit L le sous-corps de Ω engendré par K et les racines de P dans Ω (L est une extension de scindement de P ). Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) Toutes les racines de P dans Ω sont exprimables par radicaux. (ii) L’extension K ⊂ L est résoluble par radicaux. Si l’on suppose en outre que P est irréductible dans K[X] alors ces deux conditions sont encore équivalentes à la suivante : (iii) Il existe une racine de P dans Ω qui est exprimable par radicaux. Si la condition (i) est vérifiée on dit que l’équation “P (x) = 0” est résoluble par radicaux. 4.2.2. Théorie de Kummer Proposition 4.2.2.1. Soit K ⊂ L une extension vérifiant les hypothèses suivantes : – Il existe α dans L× tel que l’on a L = K[α]. – Il existe un entier n ≥ 1 tel que αn appartient à K. – Le groupe µn (K) a n éléments. Alors : (a) L’extension K ⊂ L est galoisienne. (b) Pour tout σ dans Gal(L/K), on a σ(α) = ζα avec ζ dans µn (K). (c) L’application Gal(L/K) → µn (K), σ 7→ (σα)/α est un homomorphisme de groupes injectif. (On rappelle que si µn (K) a n éléments alors la caractéristique de K ne divise pas n, voir 4.2.2.1 (b).) Démonstration. Cette proposition est plus Q longue à énoncer qu’à démontrer. Le n n polynôme P (X) = X − α de K[X] s’écrit ζ∈µn (K) (X − ζα) dans L[X]. Ceci montre que L est extension de scindement de P et que P est séparable. Le point (a) en résulte. Le point (b) est clair : σ(α) est forcément une racine de P dans L. Passons au point (c). On pose χ(σ) = (σα)/α. Soient σ et τ deux éléments de Gal(L/K), on a (στ )(α) = σ(χ(τ )α = χ(τ )σ(α) parce que χ(τ ) appartient à K ; on en déduit χ(στ ) = χ(σ)χ(τ ). Enfin le noyau de χ est formé des σ avec σα = α ; un tel σ est l’identité de L puisque l’on a L = K[α]. Scholie 4.2.2.2. Soit K ⊂ L une extension vérifiant les hypothèses de la proposition 4.2.2.1. Soit d le plus petit entier strictement positif avec αd ∈ K (autrement dit, l’ordre de la classe de α dans L× /K × ). Alors : (a) L’entier d divise n. ÉDITION 2012 114 La théorie de Galois en action (b) L’homomorphisme σ 7→ (σα)/α induit un isomorphisme Gal(L/K) ∼ = µd (K), en particulier le groupe Gal(L/K) est cyclique d’ordre d. (c) Le polynôme minimal de α sur K est X d − αd . (d) L’extension K ⊂ L est de degré d. Démonstration. Le point (a) est clair (et indépendant de la proposition 4.2.2.1). Les points (c) et (d) sont conséquence du point (b). Vérifions (b). On note comme précédemment χ : Gal(L/K) → µn (K), l’homomorphisme σ 7→ (σα)/α. Soit e ≥ 1 un entier, la suite d’équivalences : αe ∈ K ⇐⇒ σ(αe ) = αe , pour tout σ dans Gal (L/K) ⇐⇒ Im χ ⊂ µe (K) montre que l’image de χ est bien le sous-groupe µd (K) de µn (K). Scholie 4.2.2.3. Soit K un corps. Soit n ≥ 1 un entier. Si µn (K) a n éléments alors une extension radicale élémentaire d’ordre n de K est galoisienne et son groupe de Galois est cyclique d’ordre n. Exercice 4.2.2.4. Soit n ≥ 1 un entier. Soient K un corps tel que µn (K) a n éléments et K ⊂ L une extension radicale élémentaire d’ordre n ; L est donc engendré par K et un élément α de L× dont la classe dans L× /K × est d’ordre n. Soit α0 un élément de L× tel que α0n appartient à K. 1) Montrer qu’il existe un entier k tel que α0 /αk appartient à K (en d’autres termes, que le sous-groupe de L× /K × formé des éléments dont la puissance n-ième est égale à 1 est cyclique d’ordre n engendré par la classe de α). 2) A quelle condition sur k a-t-on aussi L = K[α0 ] ? (Réponse : k doit être premier à n.) Exercice 4.2.2.5. (généralisation de l’exercice 3.4.2.3). Soit n ≥ 1 un entier. Soit K un corps tel que µn (K) a n éléments. On note K ×n le sous-groupe de K × formé des puissances n-ièmes. 1) Soit a un élément de K × . Montrer que les conditions suivantes sont équivalentes : (i) La classe de a dans K × /K ×n est d’ordre n. (ii) Le polynôme X n − a est irréductible dans K[X]. 2) Variante de l’exercice précédent. Soit a (resp. a0 ) un élément de K × dont la classe dans K × /K ×n est d’ordre n ; soit K ⊂ L (resp. K ⊂ L0 ) une extension de scindement du polynôme X n − a (resp. X n − a0 ). Montrer que les conditions suivantes sont équivalentes : (i) Il existe un entier k premier à n tel que a0 /(ak ) est une puissance n-ième dans K (en d’autres termes, les deux sous-groupes de K × /K ×n engendrés respectivement par les classes de a et a0 coı̈ncident). (ii) Les extensions L et L0 sont K-isomorphes. Cours J. LANNES 115 chapitre 4 Exercice 4.2.2.6. Soient : – p 6= 2 un nombre premier (le cas p = 2 est par trop trivial !) ; – a un élément de Q qui n’est pas une puissance p-ième dans Q ; – α la racine p-ième de a dans R ; – K le sous-corps de C, corps de scindement du polynôme X p − a de Q[X]. 1) Montrer que l’on a K = Q[µp , α]. 2) En utilisant l’application N : Q[µp ] → Q , x 7→ n’appartient pas à Q[µp ]. Q σ∈Gal(Q[µp ]/Q) σx, montrer que α 3) Expliciter le groupe de Galois Gal(K/Q[µp ]) (au fait pourquoi l’extension Q[µp ] ⊂ K est-elle galoisienne ?). 4) En déduire que le polynôme X p − a est irréductible dans Q[µp ][X] et a fortiori dans Q[X]. (Pour un autre type de démonstration voir 1.4.9.) 5) Montrer que l’homomorphisme t : Gal(K/Q[α] → Gal(Q[µp ]/Q) induit par l’inclusion de Q[µp ] dans K (vue comme un homomorphisme de l’extension Q ⊂ Q[µp ] dans l’extension Q[α] ⊂ K) est un isomorphisme. (Indication : observer que ce qui précède implique Q[µp ] ∩ Q[α] = Q.) 6) On considère la suite exacte de groupes fournie par la théorie de Galois : i r 1 → Gal(K/Q[µp ]) → Gal (K/Q) → Gal (Q[µp ]/Q) → 1 . Soient j : Gal(K/Q[α]) → Gal(K/Q) l’homomorphisme induit par l’identité de K (vue comme un homomorphisme de l’extension Q ⊂ K dans l’extension Q[α] ⊂ K) et s : Gal(Q[µp ]/Q) → Gal(K/Q) l’homomorphisme composé j ◦ t−1 Montrer que le composé r ◦ s est l’identité de Gal(Q[µp ]/Q). En déduire une description du groupe Gal(K/Q). 7) Version plus terre à terre de l’exercice. On choisit ζ 6= 1 dans µp . 7.1) Soit σ un élément de Gal(K/Q). Montrer qu’il existe m dans (Z/p)× et h dans Z/p tels que l’on a σ(ζ) = ζ m et σ(α) = ζ h α. 7.2) Montrer que l’application Gal(K/Q) → (Z/p)× × Z/p , σ 7→ (m, h) est une bijection d’ensembles (utiliser la question 4 pour montrer que le cardinal de Gal(K/Q) est p(p − 1)). 7.3) Montrer que Gal(K/Q) est isomorphe au groupe des automorphismes affines de Z/p (c’est-à-dire les bijections de Z/p de la forme x 7→ mx + h avec (m, h) ∈ (Z/p)× × Z/p). Voici à présent la réciproque du scholie 4.2.2.3 : ÉDITION 2012 116 La théorie de Galois en action Théorème 4.2.2.7. Soit K un corps. Soit n ≥ 1 un entier. Si µn (K) a n éléments alors une extension galoisienne dont le groupe de Galois est cyclique d’ordre n est une extension radicale élémentaire d’ordre n. Démonstration. Soit K un corps tel que µn (K) a n éléments. Soit K ⊂ L une extension galoisienne dont le groupe de Galois est cyclique d’ordre n ; soit σ un générateur de ce groupe. Soit α un élément de L× , les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) L = K[α] et αn ∈ K ; (ii) σα = ζα, avec ζ une racine primitive n-ième de l’unité dans K. L’implication (i) ⇒ (ii) résulte de la proposition 4.2.2.1. Vérifions (ii) ⇒ (i). La relation (ii) entraı̂ne σ k (α) = ζ k α pour tout k dans Z/n, ce qui montre que l’orbite de α sous l’action de Gal(L/K) est formé de n éléments. Il en résulte que α est de degré n sur K (Proposition 3.4.2.4) et donc que l’on a L = K[α] (puisque L est de degré n sur K d’après la proposition 3.4.2.6). La relation (ii) entraı̂ne aussi σ(αn ) = αn , ce qui montre que αn est invariant sous l’action de Gal(L/K) (puisque σ engendre ce groupe) et appartient donc à K. Il faut par conséquent prouver qu’il existe α dans L× vérifiant (ii). On considère σ comme un endomorphisme du K-espace vectoriel L. Nous allons montrer : (P) dimK (Ker(σ − ωId)) = 1 pour tout ω dans µn (K) (Id désignant l’identité de L) ; ce qui suffira à notre bonheur. On constate que l’on a σ n − Id = 0 . Puisque le polynôme X n − 1 a n racines distinctes dans K, l’endomorphisme σ est diagonalisable ; on a plus précisément L = ⊕ω∈µn (K) Ker(σ − ωId) (un lecteur à la recherche d’un argument pour cette égalité pourra se reporter à l’exercice 4.2.2.9, ou encore à l’exercice 4.2.2.10). Cette décomposition en somme directe possède les deux propriétés suivantes : (Q) Ker(σ − Id) = K ; (R) dimK Ker(σ − ωId) ≤ 1 pour tout ω dans µn (K). La propriété (Q) résulte à nouveau de ce que Ker(σ − Id) est le sous-corps de L formé des éléments invariants par Gal(L/K) puisque σ engendre ce groupe. Vérifions (R). On suppose Ker(σ − ωId) 6= {0}. Soit α un élément non nul de Ker(σ − ωId) alors l’application de L dans L, x 7→ x/α, induit un isomorphisme (de K-espaces vectoriels) de Ker(σ −ωId) sur Ker(σ −Id). Comme L est un K-espace vectoriel de dimension n, la propriété (R) implique la propriété (P). Remarque 4.2.2.8. Soit K un corps. Il revient au même de demander que µ2 (K) ait 2 éléments ou que la caractéristique de K soit différente de 2. Soit K ⊂ L une Cours J. LANNES 117 chapitre 4 extension, si la caractéristique de K est différente de 2 alors les conditions suivantes sont équivalentes : (i) L’extension K ⊂ L est de degré 2. (ii) L’extension K ⊂ L est radicale élémentaire d’ordre 2. (iii) L’extension K ⊂ L est galoisienne de groupe de Galois cyclique d’ordre 2. Pour les implications (i)⇒(ii) et (i)⇒(iii), voir 3.4.2.2. L’équivalence (ii)⇒(iii) est bien en accord avec le scholie 4.2.2.3 et le théorème 4.2.2.7. Exercice 4.2.2.9 (Intermède d’algèbre linéaire). Soit K un corps. Soient P1 , P2 ,. . . , Pn des polynômes de K[X], non nuls, deux à deux premiers entre eux ; on pose P = P1 P2 . . . Pn . 1) Montrer qu’il existe des polynômes R1 , R2 , . . . , Rn de K[X] vérifiant les propriétés suivantes : – Ri ≡ 1 (mod Pi ) pour 1 ≤ i ≤ n ; – Ri ≡ 0 (mod Pj ) pour 1 ≤ i ≤ n, 1 ≤ j ≤ n et j 6= i ; P – 1≤i≤n Ri ≡ 1 (mod P ) ; – Ri Rj ≡ 0 (mod P ) pour 1 ≤ i ≤ n, 1 ≤ j ≤ n et i 6= j. Pour parvenir à ce résultat, le lecteur pourra montrer que l’homomorphisme d’anneaux cannonique Y K[X]/P → K[X]/Pi 1≤i≤n est un isomorphisme. 2) Soient λ1 , λ2 , . . . , λn des éléments de K deux à deux distincts. Montrer que si l’on i les polynômes X − λi , 1 ≤ i ≤ n, alors les polynômes Ri = Q prend pour PQ ( j6=i (X − λj ))/( j6=i (λi − λj )) font l’affaire. 3) Soit E un espace vectoriel sur un corps K. Soit u un endomorphisme de E vérifiant P (u) = 0. Montrer que l’on a E = ⊕1≤i≤n Ker Pi (u) et que les endomorphismes Ri (u) sont les projecteurs associés à cette décomposition en somme directe. 4) Question subsidiaire (suite de l’exercice 0.4.3). A quoi correspondent, en termes de K-espaces vectoriels munis d’un endomorphisme, les (K[X]/P )-modules ? Montrer que la réponse éclaire ce qui précède. Exercice 4.2.2.10 (Intermède d’algèbre linéaire bis). Soit E un espace vectoriel sur un corps K. Soit G un groupe fini à n éléments. On suppose que G opère linéairement sur E (ceci signifie que pour tout σ dans G l’application x 7→ σx est un ÉDITION 2012 118 La théorie de Galois en action automorphisme du K-espace vectoriel E). On suppose que la caractéristique de K ne divise pas n. 1) Soit χ un homomorphisme de G dans K × ; on note Eχ le sous-espace vectoriel de E formé des élémentsP x vérifiant σx = χ(σ)x pour tout σ dans G. On note πχ 1 l’endomorphisme x 7→ n σ∈G (χ(σ))−1 σx de E. Montrer que πχ est un projecteur d’image Eχ . Montrer que l’on a πχ (σx) = σπχ (x) pour tout σ dans G et tout x dans G et que cette propriété caractérise πχ parmi les projecteurs d’image Eχ . b l’ensemble des homomorphismes de G dans K × ; la multiplication de 2) On note G b : le produit de deux homomorphismes χ1 K × induit une structure de groupe sur G et χ2 est l’homomorphisme σ 7→ χ1 (σ)χ2 (σ). On suppose maintenant que G est cyclique d’ordre n et que µn (K) a n éléments. b est également cyclique d’ordre n. 2.1) Montrer que le groupe G 2.2) Montrer que l’on a E = ⊕χ∈G b Eχ et que les πχ sont les projecteurs associés à cette décomposition en somme directe. (Ceci est valable pour tout groupe abélien fini, dès que K a “assez de racines de l’unité”.) 3) Question subsidiaire. Faire le lien entre cet exercice et le précédent. Scholie 4.2.2.11. de Galois. Soit K ⊂ L une extension galoisienne finie ; soit G son groupe On suppose qu’il existe une suite finie de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ G1 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = 1 , telle que, pour tout i ≥ 1 : – Gi est distingué dans Gi−1 ; – le groupe quotient Gi−1 /Gi est cyclique. Soit ni l’ordre de Gi−1 /Gi , on suppose en outre que µni (K) a ni éléments, pour tout i ≥ 1. Soit enfin Li le sous-corps de L formé des éléments invariants par Gi : Li = LGi . Alors dans la suite d’extensions : K = L0 ⊂ L1 ⊂ . . . ⊂ Li−1 ⊂ Li ⊂ . . . Lr = L , l’extension Li−1 ⊂ Li est radicale élémentaire d’ordre ni (et galoisienne). En particulier l’extension K ⊂ L est radicale. Cours J. LANNES 119 4.2.3. chapitre 4 La notion de groupe fini résoluble Le scholie 4.2.2.11 conduit à la définition suivante : Définition 4.2.3.1. Soit G un groupe fini. On dit que G est résoluble s’il existe une suite finie de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ G1 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = 1 , telle que, pour tout i ≥ 1 : – Gi est distingué dans Gi−1 ; – le groupe quotient Gi−1 /Gi est cyclique. Exemple 4.2.3.2. Les groupes Sn , n = 2, 3, 4 sont résolubles. Le cas n = 2 est trivial. Le cas n = 3 l’est presque autant : la suite S3 ⊃ A3 ⊃ 1 satisfait les hypothèses de la définition ci-dessus. Le cas n = 4 est déjà plus subtil, on y reviendra en 4.2.3.6. On verra à la fin de ce paragraphe que le groupe Sn n’est pas résoluble pour n ≥ 5. Proposition 4.2.3.3. Soit G un groupe fini. Si G est résoluble alors il existe une suite finie de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ G1 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = 1 , telle que, pour tout i ≥ 1 : – Gi est distingué dans Gi−1 ; – le groupe quotient Gi−1 /Gi est cyclique d’ordre premier. Démonstration. Soit G = G0 ⊃ G1 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = 1 une suite de sous-groupes de G vérifiant les hypothèses de la définition 4.2.3.1 (il va y avoir conflit de notations... mais nous assumons !). Il est clair que l’on peut supposer que le groupe quotient G/G1 est non trivial : G/G1 ∼ = Z/n avec n > 1. Soient p un nombre premier divisant n et f : G → Z/p l’homomorphisme surjectif composé de l’homomorphisme canonique G → G/G1 , de l’isomorphisme G/G1 ∼ = Z/n et de l’homomorphisme canonique Z/n → Z/p. On considère la suite G ⊃ Kerf ⊃ G1 de sous-groupes de G. Par construction : – Kerf est distingué dans G et G1 est distingué dans Kerf ; – le groupe quotient G/Kerf est cyclique d’ordre premier et le groupe quotient Kerf /G1 est cyclique. Ceci montre en particulier que Kerf est résoluble. Comme le cardinal de Kerf est strictement inférieur à celui de G, on achève par récurrence. Proposition 4.2.3.4. Soit G un groupe fini résoluble. (a) Tout sous-groupe de G est résoluble. (b) Tout quotient de G est résoluble. ÉDITION 2012 120 La théorie de Galois en action Démonstration. Soit G = G0 ⊃ G1 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = 1 une suite de sous-groupes de G vérifiant les hypothèses de la définition 4.2.3.1. Soit G0 un sous-groupe de G. La suite suivante de sous-groupes de G0 : G0 = G0 ∩ G0 ⊃ G0 ∩ G1 ⊃ . . . ⊃ G0 ∩ Gi−1 ⊃ G0 ∩ Gi ⊃ . . . ⊃ G0 ∩ Gr = 1 , vérifie les hypothèses de la définition 4.2.3.1. En effet, G0 ∩ Gi est le noyau de l’homomorphisme canonique G0 ∩Gi−1 → Gi−1 /Gi ce qui montre à la fois que G0 ∩Gi est distingué dans G0 ∩ Gi−1 et que le quotient (G0 ∩ Gi−1 )/(G0 ∩ Gi ) s’identifie à un sous-groupe de Gi−1 /Gi ; or un sous-groupe d’un groupe cyclique est encore cyclique. Soit G00 un quotient de G. Soit G00i l’image de Gi dans G00 . La suite suivante de sous-groupes de G00 : G00 = G000 ⊃ G001 ⊃ . . . ⊃ G00i−1 ⊃ G00i ⊃ . . . ⊃ G00r = 1 , vérifie les hypothèses de la définition 4.2.3.1. On utilise cette fois le fait qu’un quotient d’un groupe cyclique est encore cyclique. Proposition 4.2.3.5. Soient G un groupe fini et G0 un sous-groupe distingué de G. Les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) G est résoluble ; (ii) G0 et G/G0 sont résolubles. Démonstration. L’implication (i)⇒(ii) vient juste d’être démontrée. Démontrons (ii)⇒(i). On pose G00 = G/G0 . Soient : – G00 = G000 ⊃ G001 ⊃ . . . ⊃ G00i−1 ⊃ G00i ⊃ . . . ⊃ G00r = 1 – G0 = G00 ⊃ G01 ⊃ . . . ⊃ G0j−1 ⊃ G0j ⊃ . . . ⊃ G0s = 1 une suite de sous-groupes de G00 et une suite de sous-groupes de G0 vérifiant toutes deux les hypothèses de la définition 4.2.3.1 ; soit Gi l’image réciproque de G00i dans G. La suite suivante de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = G0 = G00 ⊃ . . . ⊃ G0j−1 ⊃ G0j ⊃ . . . ⊃ G0s = 1 vérifie les hypothèses de la définition 4.2.3.1. En effet, pour 1 ≤ i ≤ r, le groupe Gi est le noyau de l’homomorphisme surjectif canonique Gi−1 → G00i−1 /G00i , ce qui montre à la fois que Gi est distingué dans Gi−1 et que les quotients Gi−1 /Gi et G00i−1 /G00i sont isomorphes. Exemple 4.2.3.6 (résolubilité de S4 ). Soient E un ensemble et m ≥ 0 un entier, on note Pm (E) l’ensemble des parties à m éléments de E. Cours J. LANNES 121 chapitre 4 Soit maintenant E un ensemble à 4 éléments, on note U(E) le sous-ensemble de P2 (P2 (E)) formé des parties {A, B} de P2 (E) avec A ∩ B = ∅ ; il faut voir un élément de U(E) comme une partition de E en 2 parties à 2 éléments. On constate que U(E) a 3 éléments. Une bijection entre ensembles à 4 éléments, f : E → E 0 , induit une bijection U(f ) : U(E) → U(E 0 ). L’application f 7→ U(f ) vérifie les deux propriétés suivantes : – U(IdE ) = IdU(E) , IdE et IdU(E) désignant respectivement l’identité de E et l’identité de U(E) ; – U(f 0 ◦ f ) = U(f 0 ) ◦ U(f ) pour toutes bijections f : E → E 0 et f 0 : E 0 → E 00 entre ensembles à 4 éléments. (En d’autres termes, U est un foncteur de la catégorie C4 dans la catégorie C3 , la notation Cn désignant la catégorie dont les objets sont les ensembles finis n éléments et dont les morphismes sont les bijections), En particulier, l’application f 7→ U(f ) , SE → SU(E) est un homomorphisme de groupes. En prenant E = {1, 2, 3, 4} et en choisissant une bijection de U({1, 2, 3, 4}) sur {1, 2, 3} on obtient un homomorphisme de groupes S4 → S3 . Soit A une partie à 2 éléments de E, on note τA la transposition de E qui échange les éléments de A. Soit u = {A, B} un élément de U(E), on pose σu = τA ◦ τB ; cette notation est justifiée par le fait que τA et τB commutent. On vérifie que l’identité de E et les σu , u parcourant U(E), forment un sous-groupe que l’on note V(E) ; on vérifie également que V(E) est isomorphe à Z/2 × Z/2. On vérifie enfin que l’homomorphisme U : SE → SU(E) est surjectif et que son noyau est V(E). L’affirmation précédente et la proposition 4.2.3.5 montrent que le groupe SE est résoluble. En effet : – V(E) est un sous-groupe distingué (puisque l’on a V(E) = Ker U) ; – V(E) est résoluble (pour une généralisation, voir 4.2.3.9) ; – le groupe quotient SE /V(E) est isomorphe à SU(E) ∼ = S3 que l’on sait déjà être résoluble. Exercice 4.2.3.7. Soit E un espace affine de dimension 2 sur le corps Z/2 ; soit V l’espace vectoriel sous-jacent, V est donc un espace vectoriel de dimension 2 sur le corps Z/2. On note GA(E) le groupe des bijections affines de E et GL(V ) le groupes des bijections linéaires de V . 1) Montrer que l’on a une suite exacte de groupes canonique : 1 → V → GA(E) → GL(V ) → 1 . 2) Montrer que l’homomorphisme de groupes canonique GL(V ) → S(V −{0}) est un isomorphisme. ÉDITION 2012 122 La théorie de Galois en action 3) En déduire que l’homomorphisme de groupes canonique GA(E) → SE est un isomorphisme. 4) Faire le lien avec 4.2.3.6. 5) Question subsidiaire. Montrer que tout ensemble à 4 éléments E possède une structure canonique d’espace affine de dimension 2 sur le corps Z/2. Montrer ensuite que toute bijection f : E → E 0 entre ensembles à 4 éléments est affine, E et E 0 étant munis de leurs structures canoniques. La proposition 4.2.3.5 se généralise de la façon suivante : Proposition 4.2.3.8. Soit G un groupe fini. Soit G = G0 ⊃ G1 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = 1 une suite de sous-groupes de G telle que, pour tout i ≥ 1, Gi est distingué dans Gi−1 . Les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) G est résoluble ; (ii) les quotients Gi−1 /Gi , i ≥ 1, sont résolubles. Démonstration. Laissée en exercice au lecteur. Proposition 4.2.3.9. Tout groupe fini commutatif est résoluble. Démonstration. Soit G un groupe commutatif. On suppose G 6= 1. Soient g un élément de G, distinct de l’élément neutre, et C le groupe le sous-groupe cyclique de G engendré par g. Puisque G est commutatif, C est forcément distingué et le quotient G/C est un groupe commutatif dont le cardinal est strictement inférieur à celui de G. On voit donc que la proposition ci-dessus résulte par récurrence de la proposition 4.2.3.5. Proposition 4.2.3.10. Soit G un groupe fini. Les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) Le groupe G est résoluble. (ii) Il existe une suite finie de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ G1 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = 1 , telle que, pour tout i ≥ 1 : – Gi est distingué dans Gi−1 ; – le groupe quotient Gi−1 /Gi est commutatif. Démonstration. Conséquence de 4.2.3.9 et 4.2.3.8. Remarque 4.2.3.11. Soit G un groupe arbitraire. On dit que G est résoluble s’il satisfait la condition (ii) ci-dessus. Avec cette définition les énoncés 4.2.3.4, 4.2.3.5 et 4.2.3.8 restent valables sans hypothèses de finitude sur G. Cours J. LANNES 123 chapitre 4 Non-résolubilité de Sn pour n ≥ 5 Proposition 4.2.3.12. Soit n ≥ 1 un entier, les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) le groupe symétrique Sn est résoluble ; (ii) n ≤ 4. Démonstration. Il nous reste à montrer que le groupe Sn n’est pas résoluble pour n ≥ 5. Compte tenu de 4.2.3.4 (a) il suffit de montrer que le groupe alterné An n’est pas résoluble pour n ≥ 5. Ceci résulte de l’énoncé suivant : Proposition 4.2.3.13. commutatif est trivial. Pour n ≥ 5 tout homomorphisme de An dans un groupe On montre au préalable que la signature est essentiellement le seul homomorphisme de Sn dans un groupe commutatif (énoncé qui a son propre intérêt) : Proposition 4.2.3.14. Soit n ≥ 2 un entier. Soit f : Sn → A un homomorphisme de groupes, avec A commutatif. Alors il existe un homomomorphisme de groupes f˜ : {±1} → A, uniquement déterminé, tel que le diagramme suivant est commutatif : Sn f −−−−−→ A % f˜ & {±1} désignant l’homomorphisme signature. Démonstration. Soit P une partie à deux éléments de l’ensemble {1, 2, . . . , n} on note τP la transposition de Sn qui échange ses deux éléments ; on pose τ = τ{1,2} . On a forcément f˜(1) = 1 et f˜(−1) = f (τ ) ; comme l’on a (f (τ ))2 = f (τ 2 ) = f (1) = 1, l’application f˜ : {±1} → A définie ainsi est bien un homomorphisme de groupes. Soit σ un élément de Sn tel que l’on a P = σ({1, 2}), la relation τP = στ σ −1 et la commutativité de A implique f (τP ) = f (τ ). Comme Sn est engendré par les τP , on en déduit f = f˜ ◦ . Démonstration de la proposition 4.2.3.13. Soit n ≥ 2 un entier. On note θ l’automorphisme de An qui envoie un élément α sur le conjugué τ ατ −1 . Soit g : An → A un homomorphisme de groupes, avec A commutatif. La proposition peut être vue comme une conséquence des deux points suivants : (a) Si l’on a g = g ◦ θ alors g est trivial. (b) On a g = g ◦ θ pour n ≥ 5. ÉDITION 2012 124 La théorie de Galois en action Vérification de (a). On définit une application ensembliste f : Sn → A en posant f (σ) = g(σ) pour σ ∈ An et f (σ) = g(στ −1 ) pour σ 6∈ An . On vérifie que si l’on a g = g ◦θ alors f est un homomorphisme de groupes. On a par construction f (τ ) = 1 ; d’après la proposition précédente f est trivial. Il en est de même pour g, qui est la restriction de f à An . Vérification de (b). Soit (P, Q) un couple de parties à deux éléments de {1, 2, . . . , n} avec P 6= Q ; puisque An est engendré par les τP τQ , (P, Q) décrivant l’ensemble de ces couples, il faut montrer g(τP τQ ) = (g ◦ θ)(τP τQ ). Soit R une partie à deux éléments de {1, 2, . . . , n} ; on note θR l’automorphisme de An qui envoie un élément α sur le conjugué τR ατR−1 . On observe que θR ◦ θ−1 est un automorphisme intérieur de An : on a (θR ◦ θ−1 )(α) = (τR τ −1 )α(τR τ −1 )−1 et τR τ −1 est un élément de An ; comme A est commutatif, on en déduit g ◦ θ = g ◦ θR . Il suffit donc de montrer que pour n ≥ 5, et tout couple (P, Q) comme ci-dessus, on peut trouver R tel que l’on a τR (τP τQ )τR−1 = τP τQ . Pour P ∩ R = ∅ on prend R = P ; pour P ∩ Q 6= ∅ on choisit R dans le complémentaire de P ∪ Q (c’est ici que n ≥ 5 est nécessaire). Remarque 4.2.3.15. On dispose en fait d’un résultat plus fort que celui de la proposition 4.2.3.13 : pour n ≥ 5 le groupe An est simple (c’est-à-dire que ses seuls sous-groupes distingués sont lui-même et {1}). Exercice 4.2.3.16. Montrer que l’automorphisme θ de An qui apparaı̂t dans la démonstration de la proposition 4.2.3.13 n’est pas un automorphisme intérieur. 4.2.4. Retour sur les extensions résolubles par radicaux Théorème 4.2.4.1. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soient L une extension finie séparable de K et E l’extension galoisienne de K engendrée par L dans Ω. Si l’extension K ⊂ L est résoluble par radicaux alors le groupe de Galois Gal(E/K) est résoluble. Démonstration. D’après 4.2.1.5, si l’extension K ⊂ L est résoluble alors il existe une extension E ⊂ F avec F ⊂ Ω telle que l’extension K ⊂ F est radicale et galoisienne. Il existe donc une suite finie d’extensions K = F0 ⊂ F1 ⊂ . . . ⊂ Fi−1 ⊂ Fi ⊂ . . . ⊂ Fr = F . avec Fi = Fi−1 [αi ], αi ∈ Fi× et αini ∈ Fi−1 . Soit s le p.p.c.m. des entiers ni , 1 ≤ i ≤ r ; on observe que la caractéristique de K ne divise pas s (rappelons que, selon notre définition d’une extension radicale élémentaire, cette caractéristique ne divise pas les ni ). On pose K 0 = K[µs (Ω)], F 0 = F [µs (Ω)] et Fi0 = Fi [µs (Ω)] ; en d’autres termes F 0 (resp. Fi0 ) est le sous-corps de Ω composé de F (resp. Fi ) et de K 0 . On a comme précédemment une suite finie d’extensions : 0 K 0 = F00 ⊂ F10 ⊂ . . . ⊂ Fi−1 ⊂ Fi0 ⊂ . . . ⊂ Fr0 = F 0 . Cours J. LANNES 125 chapitre 4 0 0 , mais cette fois on est assuré que avec Fi0 = Fi−1 [αi ], αi ∈ Fi0× et αini ∈ Fi−1 0 µni (Fi−1 ) a ni éléments (voir Proposition 4.1.2.1 (c)). D’après 3.4.1.6 l’extension K 0 ⊂ F 0 est galoisienne ; il en est de même pour l’extension Fi0 ⊂ F 0 . On pose G = Gal(F 0 /K 0 ) et Gi = Gal(F 0 /Fi0 ), on a donc une suite finie de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ G1 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = 1 . Cette suite vérifie les hypothèses de la définition 4.2.3.1. En effet, la proposition 0 4.2.2.1 et ses scholies nous disent que l’extension Fi−1 ⊂ Fi0 est galoisienne et que son groupe de Galois est cyclique, ce qui se traduit ici par : – Gi est distingué dans Gi−1 ; 0 – le quotient Gi−1 /Gi est cyclique (rappelons que le groupe de Galois Gal(Fi0 /Fi−1 ) 0 0 0 0 s’identifie au groupe quotient Gal(F /Fi−1 )/Gal(F /Fi )). On sait donc que Gal(F 0 /K 0 ) est résoluble. On considère ensuite l’extension K ⊂ F 0 . Puisque les extensions K ⊂ F et K ⊂ K 0 sont galoisiennes (la seconde est une extension cyclotomique, voir 4.1.3) et que F 0 est le composé dans Ω de F et K 0 , l’extension K ⊂ F 0 est également galoisienne (Proposition 3.4.1.7). On sait, d’après 3.4.4.2, que Gal(F 0 /K 0 ) est distingué dans Gal(F 0 /K) et que le quotient Gal(F 0 /K)/Gal(F 0 /K 0 ) s’identifie à Gal(K 0 /K). Le groupe Gal(K 0 /K) est résoluble ; en effet, la proposition 4.1.3.2 montre que ce groupe est commutatif et en particulier résoluble (Proposition 4.2.3.9). D’après 4.2.3.5, il en résulte que Gal(F 0 /K) est résoluble. On considère enfin le groupe Gal(E/K). Toujours d’après la proposition 3.4.4.2, ce groupe est isomorphe à un quotient de Gal(F 0 /K), il est donc lui-aussi résoluble (Proposition 4.2.3.4 (b)). Exemple. Soit P (X) un polynôme séparable de degré n à coefficients dans K. Si le groupe de Galois de P sur K est Sn et si l’on a n ≥ 5 alors l’équation P (x) = 0 n’est pas résoluble par radicaux (puisque le groupe Sn n’est pas résoluble pour n ≥ 5). En particulier l’équation “générique” du n-ième degré (voir 3.4.2.12) n’est pas résoluble par radicaux pour n ≥ 5. (La question de la résolubilité par radicaux de l’équation “générique” du n-ième degré fut à l’origine de la théorie de Galois.) Théorème 4.2.4.2. Soit K un corps. Soit n ≥ 1 un entier ; on suppose que pour tout nombre premier p divisant n le groupe µp (K) a p éléments. Soit K ⊂ L une extension galoisienne finie séparable avec [L : K] = n. Si le groupe de Galois Gal(L/K) est résoluble alors il existe une suite finie d’extensions : K = L0 ⊂ L1 ⊂ . . . ⊂ Li−1 ⊂ Li ⊂ . . . ⊂ Lr = L . telle que chaque extension Li−1 ⊂ Li , 1 ≤ i ≤ r, est radicale élémentaire d’ordre premier divisant n. ÉDITION 2012 126 La théorie de Galois en action Démonstration. On pose G = Gal(L/K). Si G est résoluble alors, d’après 4.2.3.3, il existe une suite finie de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ G1 ⊃ . . . ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ . . . ⊃ Gr = 1 , telle que, pour tout i ≥ 1 : – Gi est distingué dans Gi−1 ; – le groupe quotient Gi−1 /Gi est cyclique d’ordre premier. Soit pi cet ordre ; on a pi |n. En effet : – pi divise le cardinal de Gi−1 ; – le cardinal de Gi−1 divise celui de G ; – le cardinal de G est égal à n (Proposition 3.4.2.6). On achève grâce au scholie 4.2.2.11. Corollaire 4.2.4.3. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soit n ≥ 1 un entier ; on suppose que pour tout nombre premier p ≤ n le groupe µp (K) a p éléments. Soit K ⊂ L une extension finie séparable avec [L : K] = n ; soit E l’extension galoisienne de K engendrée par L dans Ω. Si le groupe de Galois Gal(E/K) est résoluble alors il existe une suite finie d’extensions : K = E0 ⊂ E1 ⊂ . . . ⊂ Ei−1 ⊂ Ei ⊂ . . . ⊂ Er = E , telle que chaque extension Ei−1 ⊂ Ei , 1 ≤ i ≤ r, est radicale élémentaire d’ordre premier inférieur ou égal à n. Démonstration. D’après 3.4.2.21, le degré [E : K] divise n! . Soit p un nombre premier : p|[E : K] ⇒ p|n! ⇐⇒ p ≤ n. Si l’on accepte de perdre un peu en précision alors on peut condenser les énoncés 4.2.4.1 et 4.2.4.3 en l’énoncé suivant : Scholie 4.2.4.4. Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. Soient L une extension finie séparable de K et E l’extension galoisienne de K engendrée par L dans Ω. Si K a “assez de racines de l’unité” alors les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) l’extension K ⊂ L est résoluble par radicaux ; (ii) le groupe de Galois Gal(E/K) est résoluble. Exemple 4.2.4.5. L’équation du troisième degré Soient K un corps et Ω une clôture algébrique de K. On fait l’hypothèse suivante sur le corps K : – Les groupes µ2 (K) et µ3 (K) on respectivement 2 et 3 éléments. Cours J. LANNES 127 chapitre 4 Cette hypothèse équivaut à la suivante (observer que −3 est le discriminant du polynôme Φ3 (X) = X 2 + X + 1) : – La caractéristique de K et différente de 2 et 3, et −3 est un carré dans K. Soit P (X) = c3 X 3 + c2 X 2 + c1 X + c0 un polynôme de degré 3 à coefficients dans K. On se propose d’étudier l’équation P (x) = 0. Il est clair que l’on peut supposer c3 = 1. Quitte à remplacer alors P (X) par P (X − 13 c2 ) on peut supposer aussi c2 = 0. On pose enfin c1 = 3b et c0 = −2a (ceci arrangera les formules de Scipion del Ferro !), on a donc P (X) = X 3 + 3bX − 2a. On note R l’ensemble des racines dans Ω et l’on pose L = K[R] ; L est donc une extension de scindement de P . Compte tenu de ce que la caractéristique de K est différente de 2 et 3, elle est séparable et donc galoisienne (puisque toute extension de scindement d’un polynôme est quasi-galoisienne) ; on note G le groupe de Galois de L sur K. Tenant pour acquise la théorie de l’équation du second degré (et celle de l’équation du premier degré !) on suppose que P est irréductible. Ceci entraı̂ne que R a 3 éléments et que l’action de G sur cet ensemble est transitive. On numérote les éléments de R : R = {x1 , x2 , x3 } ; on identifie ainsi G à un sous-groupe de S3 . Ce sous-groupe est égal à S3 ou à A3 car ce sont là les seuls sous-groupes transitifs de S3 ; dans tous les cas A3 est un sous-groupe distingué de G. On considère maintenant la suite G ⊃ A3 ⊃ 1 de sous-groupes de G et la suite correspondante K ⊂ LA3 ⊂ L de sous-corps de L. On constate que les hypothèses du scholie 4.2.2.11 sont vérifées : celui-ci nous dit que K ⊂ LA3 est une extension radicale élémentaire d’ordre 2 ou 1 et que LA3 ⊂ L est une extension radicale élémentaire d’ordre 3. On explicite complètement ci-dessous la structure de ces extensions. 1) L’extension LA3 ⊂ L On pose M = LA3 et on note : – un générateur de µ3 (K) ; – γ le générateur du groupe Gal(L/M ) correspondant via l’isomorphisme Gal(L/M ) ∼ = A3 à la permutation circulaire 1 7→ 2 7→ 3 7→ 1 ; – χ : Gal(L/M ) → µ3 (K) l’isomorphisme de groupes vérifiant χ(γ) = . On spécialise maintenant la théorie faite lors de la démonstration du théorème 4.2.2.7. On considère γ comme un endomorphisme du M -espace vectoriel L. Cet endomorphisme est diagonalisable : – L = L0 ⊕ L1 ⊕ L2 avec Lm = Ker (γ − m Id), m = 0, 1, 2, Id désignant l’identité de L. (On rappelle que l’on a aussi : – L0 = M ; – dimM Lm = 1 pour m = 0, 1, 2.) On fait les observations suivantes : ÉDITION 2012 128 La théorie de Galois en action – Le sous-espace propre Lm est formé des éléments α de L vérifiant σ(α) = χm (σ)α pour tout σ dans Gal(L/M ), χm désignant l’homomorphisme de groupes Gal(L/M ) → µ3 (K), σ 7→ (χ(σ))m . – Pour tout α dans Lm on a α3 ∈ M . – Pour tout α dans L1 et tout β dans L2 on a αβ ∈ M . – Pour tout α non nul dans L1 ou L2 on a L = M [α]. Soient respectivement t, u et v les composantes de la racine x1 dans L0 , L1 et L2 , on a : x1 = t + u + v γx1 = t + u + 2 v, c’est-à-dire x2 = t + u + 2 v γ 2 x1 = t + 2 u + v, c’est-à-dire x3 = t + 2 u + v Il en résulte : t = 31 (x1 + x2 + x3 ) u = 13 (x1 + 2 x2 + x3 ) v = 13 (x1 + x2 + 2 x3 ). Comme l’on a x1 + x2 + x3 = 0 (puisque le coefficient de X 2 dans P est nul), il vient t = 0, x1 = u + v, x2 = u + 2 v et x3 = 2 u + v. D’après les observations faites précédemment, u3 , v 3 et uv appartiennent à M . La relation P (x1 ) = 0 s’écrit : (u3 + v 3 − 2a) + 3(uv + b)x1 = 0 . Il en résulte u3 + v 3 = 2a et uv = −b parce que les éléments 1 et x1 de L sont linéairement indépendants sur M . En effet, s’il n’en était pas ainsi x1 appartiendrait à M , comme l’extension K ⊂ M est galoisienne il en serait de même pour x2 et x3 et l’on aurait L = M . On voit donc que u3 et v 3 sont les racines dans Ω du polynôme X 2 − 2aX − b3 . On a (u3 − v 3 )2 = 4(a2 + b3 ). On a également u3 − v 3 = ((2 + 1)/9)δ, δ désignant le produit(x2 − x1 )(x3 − x1 )(x3 − x2 ) ; pour s’en convaincre écrire u3 − v 3 = (u − v) (u − v)(u − 2 v). On rappelle que l’on a ∆ = δ 2 , ∆ désignant le discriminant de P . Ce qui précède est bien en accord avec la formule ∆ = −108(a2 + b3 ) (voir l’exercice 3.4.2.18). 2) L’extension K ⊂ LA3 D’après 3.4.2.15, G est égal à A3 , ou, ce qui revient au même, K est égal à LA3 , si et seulement si ∆ est un carré dans K. Si ∆ n’est pas un carré dans K alors K ⊂ LA3 est une extension quadratique (son groupe de Galois est isomorphe au groupe quotient G/A3 ). Plus précisément, on a LA3 = K[δ] (voir 3.4.5.6). Comme par hypothèse −3 est un carré dans K, on peut reformuler ainsi ce qui précède : Cours J. LANNES 129 chapitre 4 – Les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) K = LA3 ; (ii) a2 + b3 est un carré dans K. – Si a2 + b3 n’est un carré dans K alors LA3 = K[ρ], avec a2 + b3 = ρ2 . On choisit ρ = ((2 + 1)/18) δ, avec ce choix il vient u3 = a + ρ et v 3 = a − ρ. On suppose que ∆ n’est pas un carré dans K. Soit τ l’élément du groupe Gal(L/K) correspondant via l’isomorphisme Gal(L/K) ∼ = S3 à la transposition qui échange 2 et 3 ; on a τ (u) = v et τ (v) = u. Le corps LA3 est stable sous l’action de τ et τ engendre le groupe de Galois Gal(LA3 /K). La relation τ (u3 − v 3 ) = −(u3 − v 3 ) permet de retrouver le fait que (u3 − v 3 )2 appartient à K et que LA3 est engendré par K et u3 − v 3 . Les formules de Scipion del Ferro La conclusion de la discussion ci-dessus est la suivante. Soient ρ une racine carrée dans Ω de a2 +b3 (avec ρ = a si b est nul) et u une racine cubique dans Ω de a+ρ, alors les trois racines dans Ω du polynôme P sont u − (b/u), u − 2 (b/u), et 2 u − (b/u). On termine ce paragraphe en explicitant, dans un cas particulier, les formules de del Ferro. On prend K = Q[µ3 (C)], on suppose que a et b appartiennent à Q et que a2 +b3 est strictement positif ; on numérote les racines dans C du polynôme X 3 + 3bX − 2a de telle sorte que x1 soit l’unique racine réelle et que la partie imaginaire de x2 soit strictement positive. On obtient : q 3 q p 3 a+ + + a − a2 + b3 q q p p 3 2 3 2 3 x2 = a + a + b + a − a2 + b3 q q p p 3 2 3 a + a2 + b3 + a − a2 + b3 . x3 = x1 = p a2 b3 Exercice 4.2.4.6 (sur l’impossibilité de résoudre avec des radicaux réels une équation du troisième degré à coefficients rationnels dans le cas où celle-ci a trois racines réelles). 1) Soit x un nombre réel. On dit que x est exprimable par radicaux réels (sur Q), s’il existe des nombre réels α1 , α2 , . . . , αr (que l’on peut supposer strictement positifs) et des entiers n1 , n2 , . . . , nr , strictement positifs, tels que l’on a : – x ∈ Q[α1 , α2 , · · · , αr ] ; – αini ∈ Q[α1 , α2 , · · · , αi−1 ] pour 1 ≤ i ≤ r (avec la convention Q[∅] = Q). ÉDITION 2012 130 La théorie de Galois en action 1.1) Soit x un nombre réel. Montrer que les conditions suivantes sont équivalentes : (i) x est exprimable par radicaux réels ; (ii) il existe des nombres réels α1 , α2 , · · · , αr et des nombres premiers p1 , p2 , · · · , pr , tels que l’on a : – αi 6∈ Q[α1 , α2 , · · · , αi−1 ] pour 1 ≤ i ≤ r ; – αipi ∈ Q[α1 , α2 , · · · , αi−1 ] pour 1 ≤ i ≤ r ; – x 6∈ Q[α1 , α2 , · · · , αr−1 ] ; – x ∈ Q[α1 , α2 , · · · , αr ]. 1.2) On considère la condition (ii) ci-dessus ; on pose Ki = Q[α1 , α2 , · · · , αi ]. Montrer, à l’aide de l’exercice 1.4.9, que le degré de l’extension Ki−1 ⊂ Ki est pi . (On rappelle le résultat de l’exercice 1.4.9. Soient K un corps, p un nombre premier et a un élément de K qui n’est pas une puissance p-ième dans K, alors le polynôme X p − a est irréductible dans K[X].) 2) Soit P (X) un polynôme irréductible du troisième degré à coefficients rationnels. On note ∆ le discriminant de P ; on note respectivement δ et ρ des racines carrées dans C de ∆ et −∆/108. 2.1) Soit x une racine de P dans C. Montrer que l’extension Q[δ] ⊂ Q[δ, x] est galoisienne de degré 3. 2.2) Question subsidiaire. A quelle condition l’extension Q ⊂ Q[x] est-elle galoisienne ? 2.3) Montrer que les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i) ∆ > 0 ; (ii) les racines de P dans C sont réelles. 3) Soit x une racine réelle du polynôme P introduit ci-dessus. On suppose que x est exprimable par radicaux réels et on considère la suite de sous-corps de R Q = K0 ⊂ K1 ⊂ · · · ⊂ Ki−1 ⊂ Ki ⊂ · · · ⊂ Kr donnée par la question 1) ; on a donc ki = Ki−1 [αi ], αi ∈ R, αipi ∈ Ki−1 avec pi premier, [Ki : Ki−1 ] = pi , x 6∈ Kr−1 et x ∈ Kr . 3.1) Montrer : – pr = 3 ou pr = 2 ; – Kr = Kr−1 [x]. 3.2) On suppose pr = 3. Montrer que l’extension Kr−1 [δ] ⊂ Kr [δ] est galoisienne de degré 3. En déduire : – µ3 (C) ⊂ Kr−1 [δ] (considérer l’élément αr de Kr [δ]) ; –∆<0; – ρ ∈ Kr−1 (utiliser le fait que −3 est un carré dans Kr−1 [δ]). Cours J. LANNES 131 chapitre 4 3.3) On suppose pr = 2. Montrer que Kr−1 contient une racine réelle y de P (observer que P n’est pas irréductible dans Kr−1 [X]). Soit s le plus grand entier tel que l’on a y 6∈ Ks−1 et y ∈ Ks , montrer ps = 3 (utiliser ce qui précède). En déduire que l’on ne peut avoir pr = 2. 3.4) Conclure. Exercice 4.2.4.7. Soient K un corps de caractéristique différente de 2 et 3 et Ω une clôture algébrique de K. Soient a et b deux éléments de K. On pose P (X) = X 3 + 3bX − 2a et Q(X) = X 6 − 2aX 3 − b3 ; on note L (resp. M ) le sous-corps de Ω engendré par K et les racines de P (resp. Q). 1) Montrer que L est contenu dans M . 2) Montrer que les extensions algébriques K ⊂ L et K ⊂ M sont séparables. (Indication pour K ⊂ M . Soit u une racine de Q, observer que u3 est séparable sur K.) Montrer que les extensions K ⊂ L et K ⊂ M sont galoisiennes. 3) On suppose que P est irréductible dans K[X]. 3.1) On suppose que −3 est un carré dans K et que a2 + b3 n’en est pas un. Expliciter les groupes de Galois Gal(L/K), Gal(M/K) et l’homomorphisme de restriction Gal(M/K) → Gal(L/K) ; expliciter le groupe de Galois Gal(M/L). 3.2) Question subsidiaire. Même question que précédemment en supposant cette fois que −3, a2 + b3 et −3 (a2 + b3 ) ne sont pas des carrés dans K. 4.3. Construction à la règle et au compas Soit α un nombre réel. On dit que α est constructible à la règle et au compas, s’il existe des nombre réels α1 , α2 , · · · , αr (que l’on peut supposer strictement positifs) tels que l’on a : – α ∈ Q[α1 , α2 , · · · , αr ] ; – αi2 ∈ Q[α1 , α2 , · · · , αi−1 ] pour 1 ≤ i ≤ r (avec la convention Q[∅] = Q). Remarque 4.3.1. Puisque chaque extension Q[α1 , α2 , · · · , αi−1 ] ⊂ Q[α1 , α2 , · · · , αi ], 1 ≤ i ≤ r, est degré 2 ou 1, le degré [Q[α1 , α2 , · · · , αr ] : Q] est une puissance de 2 ; il en est de même pour le degré [Q[α] : Q] puisque Q[α] est un corps intermédiaire entre Q et Q[α1 , α2 , · · · , αr ]. On observe donc qu’un nombre réel constructible à la règle et au compas est en particulier algébrique sur Q de degré une puissance de 2. On peut se convaincre, à l’aide du corollaire 4.3.5 ci-après, de ce que la réciproque est fausse. ÉDITION 2012 132 La théorie de Galois en action Exercice 4.3.2. Justifier la terminologie introduite ci-dessus. √ Exemple : le nombre réel 4 2 est constructible à la règle et au compas. On peut généraliser la notion de constructibilité à la règle et au compas de la façon suivante. Soit K un corps de caractéristique différente de 2. Nous dirons qu’une extension K ⊂ L est 2-radicale, s’il existe une suite finie d’extensions quadratiques : K = L0 ⊂ L1 ⊂ · · · ⊂ Li−1 ⊂ Li ⊂ · · · ⊂ Lr = L . Une telle extension est finie et séparable ; son degré est nécessairement une puissance de 2. (On pourrait continuer à spécialiser la terminologie de 4.2 et introduire maintenant la notion d’extension “résoluble par des radicaux d’ordre 2”, mais le théorème ci-dessous montre que c’est vraiment inutile !) Théorème 4.3.3. Soient K un corps de caractéristique différente de 2 et Ω une clôture algébrique de K. Soient L une extension finie séparable de K et E l’extension galoisienne de K engendrée par L dans Ω. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) L’extension K ⊂ L est 2-radicale. (ii) L’extension K ⊂ E est 2-radicale. (iii) Le degré [E : K] est une puissance de 2. (iv) Il existe une extension L ⊂ M telle que l’extension K ⊂ M est 2-radicale. Démonstration. Le point délicat est la preuve de (iii)⇒(i) que l’on détaille ci-dessous. Pour (i)⇒(ii) on spécialise aux extensions 2-radicales les arguments de 4.2 (spécialiser en particulier 4.2.1.2 (c)). L’implication (ii) ⇒ (iii) est claire. On peut se convaincre de (iv) ⇒ (iii) de la manière suivante. Soit F l’extension galoisienne de K engendrée par M dans Ω, si l’extension K ⊂ M est 2-radicale, alors, d’après (i) ⇒ (iii), le degré [F : K] est une puissance de 2 ; il en est donc de même pour [E : K] puisque E est un corps intermédiaire entre K et F . Démonstration de l’implication (iii)⇒(i). On pose G = Gal(E/K) et H = Gal(E/L) ; H s’identifie donc à un sous-groupe de G. Par hypothèse le cardinal de G, qui est égal au degré [E : K], est une puissance de 2. La clé de la démonstration est l’énoncé suivant de théorie des groupes : Proposition 4.3.4. Soit p un nombre premier. Soient G un groupe fini dont le cardinal est un puissance de p et H un sous-groupe de G ; soit pr , r ∈ N, l’indice de H dans G. Il existe une suite de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ G1 ⊃ · · · ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ · · · ⊃ Gr = H , telle que, pour tout i ≥ 1 : – Gi est distingué dans Gi−1 ; – le groupe quotient Gi−1 /Gi est cyclique d’ordre p. Cours J. LANNES 133 chapitre 4 Démonstration. Se reporter à l’exercice 4.3.8. On revient à la démonstration de (iii)⇒(i). On considère la suite de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ G1 ⊃ · · · ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ · · · ⊃ Gr = H , fournie par la proposition ci-dessus (avec p = 2). On pose Li = LGi . La suite d’extensions : K = L0 ⊂ L1 ⊂ · · · ⊂ Li−1 ⊂ Li ⊂ · · · ⊂ Lr = L , est bien une suite d’extensions quadratiques. Le théorème 4.3.3 entraı̂ne : Corollaire 4.3.5. Soient α un nombre réel algébrique sur Q et E l’extension galoisienne de Q engendrée par α dans Q. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) α est constructible à la règle et au compas ; (ii) le degré [E : Q] est une puissance de 2 ; (iii) l’extension Q ⊂ Q[α] est 2-radicale. Vérification de l’implication (iii)⇒(i). Soit Q = K0 ⊂ K1 ⊂ · · · ⊂ Ki−1 ⊂ Ki ⊂ · · · ⊂ Kr = Q[α] une suite d’extensions quadratiques “joignant” Q à Q[α] ; puisque le corps Q[α] est contenu dans R, il en est de même pour tous les Ki et l’on a Ki = Ki−1 [αi ] avec αi2 ∈ Ki−1 et αi ∈ R. Exemple : Polygones réguliers constructibles à la règle et au compas Soit n ≥ 3 un entier. Le lecteur qui a traité l’exercice 4.3.2 n’aura pas de mal à se convaincre de l’équivalence des conditions suivantes : – le polygone régulier à n côtés est “concrètement” constructible à la règle et au compas ; – le nombre réel cos(2π/n) est “abstraitement” constructible à la règle et au compas (terminologie introduite au début de ce paragraphe). On a vu dans le paragraphe 4.1.4 que l’extension Q ⊂ Q[cos(2π/n)] est une extension galoisienne finie de degré 12 ϕ(n). Le corollaire 4.3.5 montre donc que les deux conditions suivantes sont équivalentes : – cos(2π/n) est constructible à la règle et au compas ; – ϕ(n) est une puissance de 2. Compte tenu de l’expression de ϕ(n) en fonction des diviseurs premier de n (voir 4.1.1.12), on obtient en définitive (observer que si un nombre entier de la forme 2v + 1 est premier alors v est nécessairement une puissance de 2) : ÉDITION 2012 134 La théorie de Galois en action Théorème 4.3.6 (Gauss). Soit n ≥ 3 un entier. Les conditions suivantes sont équivalentes : (i) Le polygone régulier à n côtés est constructible à la règle et au compas ; m (ii) Tout diviseur premier impair de n est de la forme 22 + 1 et apparaı̂t avec l’exposant 1 dans la décomposition en facteurs premiers de n. Remarques 4.3.7. La démonstration de l’implication (i)⇒(ii) fait seulement intervenir les deux points suivants : – Le nombre réel cos(2π/n) est algébrique sur Q est son degré est 21 ϕ(n) (ceci équivaut au fait que le polynôme cyclotomique Φn (X) est irréductible dans Q[X]). – Un nombre réel constructible à la règle et au compas est algébrique sur Q et son degré est nécessairement une puissance de 2 (Remarque 4.3.1). Exercice 4.3.8. (construction à la règle et au compas du polygone régulier à 17 côtés, d’après Gauss). 1) On pose ζ = e2iπ/17 (ζ est un élément de C). 1.1) Montrer que ζ est algébrique sur Q. 1.2) Montrer que le polynôme minimal de ζ sur Q est X 16 + X 15 + · · · + X + 1. 1.3) Montrer que {ζ, ζ −1 , ζ 2 , ζ −2 , ζ 3 , ζ −3 , · · · , ζ 8 , ζ −8 } est une base du Q-espace vectoriel Q[ζ]. 1.4) Soit k un entier non divisible par 17. Montrer qu’il existe un unique automorphisme de Q[ζ] envoyant ζ sur ζ k . Cet automorphisme est noté σk . 1.5) Montrer que l’extension Q ⊂ Q[ζ] est galoisienne et que son groupe de Galois est cyclique d’ordre 16 engendré par σ3 . 1.6) Montrer qu’il existe une unique suite de sous-corps Kn de C, 0 ≤ n ≤ 4, avec Q = K0 ⊂ K1 ⊂ K2 ⊂ K3 ⊂ K4 = Q[ζ] telle que les extensions Kn−1 ⊂ Kn , 1 ≤ n ≤ 4, sont quadratiques. Montrer que les sous-corps Kn sont stables par les automorphismes σk . Montrer que l’extension Q ⊂ Kn est galoisienne et que son groupe de Galois est cyclique d’ordre 2n engendré par σ3|Kn . Montrer que le groupe Gal(K2 /K1 ) (resp. Gal(K3 /K2 ), resp. Gal(Q[ζ]/K3 )) est cyclique d’ordre 2 engendré par σ9|K2 . (resp. σ−4|K3 resp. σ−1 ) 1.7) Montrer que σ−1 est induit par la conjugaison de C. Montrer que K3 est l’intersection Q[ζ] ∩ R. 2) On pose : - α1 = ζ + ζ −1 + ζ 4 + ζ −4 + ζ 2 + ζ −2 + ζ 8 + ζ −8 ; - α2 = ζ + ζ −1 + ζ 4 + ζ −4 ; - α3 = ζ + ζ −1 ; (α1 , α2 et α3 sont des éléments de R). Cours J. LANNES 135 chapitre 4 2.1) Montrer que l’on a Kn = Q[αn ] pour 1 ≤ n ≤ 3. Montrer que le polynôme minimal de αn sur Kn−1 est – X 2 + X − 4 pour n = 1 ; – X 2 − α1 X − 1 pour n = 2 ; – X 2 − α2 X + σ3 (α2 ) pour n = 3. 2.2) Question facultative. Montrer que l’on a 2σ3 (α2 ) = −3 − α1 + (1 + α1 ) α2 . p p √ √ √ 3) On pose β = 17, γ0 = 34 − 2 17 et γ1 = 34 + 2 17. 3.1) Montrer que α1 et α2 sont strictement positifs. En déduire les formules 2α1 = −1 + β et 4α2 = −1 + β + γ0 . 3.2) Montrer que l’on a K1 = Q[β] et K2 = Q[γ0 ]. Montrer que γ1 appartient à K2 . 3.3) Quels sont (dans Q) les conjugués sur Q de γ0 ? 3.4) Montrer que l’on a σ3 (β) = −β. Montrer ensuite σ3 (γ0 ) = γ1 et σ3 (γ1 ) = −γ0 , avec = ±1. Montrer enfin = 1. (Observer que l’on a σ3 (α2 ) > 0 ou utiliser la question 2.2... si l’on n’a pas été trop paresseux pour la résoudre.) 3.5) Montrer que {1, β, γ0 , γ1 } est une base du Q-espace vectoriel K2 . 3.6) Soit ∆ le discriminant du polynôme minimal de α3 sur K2 . Expliciter ∆ dans la base ci-dessus (on trouve 4∆ = 17 + 3β − γ0 − 2γ1 ). En déduire les formules p 16 cos(2π/17) = −1 + β + γ0 + 2 17 + 3β − γ0 − 2γ1 (en clair √ √ √ 16 cos(2π/17) = −1+ 17+ 34−2 17+2 p √ √ √ √ √ 17+3 17− 34−2 17−2 34+2 17 . . . ce qui a tout de même une autre allure !) et p 16 cos(8π/17) = −1 + β + γ0 − 2 17 + 3β − γ0 − 2γ1 . 4) On pose : √ – δ0 = 2 17 + 3β − γ0 − 2γ1 √ – δ1 = 2 17 + 3β − γ1 + 2γ0 √ – δ2 = 2 17 + 3β + γ0 + 2γ1 √ – δ3 = 2 17 + 3β + γ1 − 2γ0 ; ; ; ; 0 1 2 3 =1; = −1 ; = −1 ; = −1. 4.1) Montrer que l’on a K3 = Q[δ0 ]. Montrer que δ1 , δ2 et δ3 appartiennent aussi à K3 . 4.2) Montrer que l’on a σ3 (δ` ) = ` δ`+1 , pour 0 ≤ ` ≤ 3, avec la convention δ4 = δ0 . 4.3) Montrer que {1, β, γ0 , γ1 , δ0 , δ1 , δ2 , δ3 } est une base du Q-espace vectoriel K3 . Expliquer comment exprimer 16 cos(2kπ/17) dans cette base pour 1 ≤ k ≤ 8. ÉDITION 2012 136 La théorie de Galois en action (Dans ses Disquisitiones Arithmeticae publiées en 1801, après avoir explicité l’expression de cos(2π/17) par des racines carrées, le jeune Gauss (il est né en 1777) ne peut cacher sa fierté, il écrit (en latin) : Il y a certainement bien lieu de s’étonner que la divisibilité du cercle en 3 et 5 parties ayant été connue dès le temps d’Euclide, on n’ait rien ajouté à ces découvertes dans un intervalle de deux mille ans, et que tous les géomètres aient annoncé comme certain, qu’excepté ces divisions et celles qui s’en déduisent (les divisions en 2µ , 3.2µ , 5.2µ , 15.2µ parties), on ne pouvait en effectuer aucune par des constructions géométriques.) Exercice 4.3.9 (sur les homomorphismes de groupes dont la source est un p-groupe fini et le but un groupe fini dont le cardinal est divisible par p). Soient G un groupe fini et E un ensemble muni d’une action de G, on note E G le sous-ensemble de E formé des points fixes sous l’action de G. Soit p un nombre premier, on dit qu’un groupe est un p-groupe fini s’il est fini et si son cardinal est une puissance de p. On note card(−) le cardinal d’un ensemble fini. 1) Soient G un p−groupe fini et E un ensemble fini muni d’une action de G. Montrer que l’on a : card(E G ) ≡ card(E) mod p . (Indication. Considérer la partition de E en orbites sous l’action de G et observer que le cardinal de toute orbite est une puissance de p.) 2) Soient G et X deux groupes. On note App∗ (G, X) l’ensemble des applications ensemblistes ρ de G dans X envoyant élément neutre sur élément neutre ; on note Hom(G, X) le sous-ensemble de App∗ (G, X) formé des homomorphismes de groupes de G dans X. Soient g un élément de G et ρ un élément de App∗ (G, X), on note g · ρ l’application γ 7→ ρ(γg)(ρ(g))−1 de G dans X ; g · ρ est un élément de App∗ (G, X). 2.1) Vérifier que l’application G × App∗ (G, X) → App∗ (G, X), (g, ρ) 7→ g · ρ définit une action du groupe G sur l’ensemble App∗ (G, X). 2.2) Vérifier que l’on a : (App∗ (G, X))G = Hom(G, X) (le premier membre désigne le sous-ensemble de App∗ (G, X) formé des points fixes de l’action définie ci-dessus). 2.3) Soient H un sous-groupe de G et σ un homomorphisme de H dans X. On note Appσ∗ (G, X) le sous-ensemble de App∗ (G, X) formé des ρ vérifiant ρ(hγ) = σ(h)ρ(γ), pour tout h dans H et tout γ dans G, et Hom(G, X; σ) le sous-ensemble de Hom(G, X) formé des homomorphismes prolongeant σ. Vérifier que Appσ∗ (G, X) est stable sous l’action de G et que l’on a : (Appσ∗ (G, X))G = Hom(G, X; σ) . Cours J. LANNES 137 chapitre 4 3) Soient G un p-groupe fini et X un groupe fini dont le cardinal est divisible par p. Montrer que si G est non trivial alors il existe un homomorphisme non trivial de G dans X. (Indication. Utiliser les questions 1 et 2.2.) 4) Soit un X un groupe fini dont le cardinal est divisible par p. Montrer que X contient un élément d’ordre p. (Indication. Faire G = Z/p dans la question précédente.) 5) Soient G un p-groupe fini et H un sous-groupe de G. Montrer que si H et distinct de G alors il existe un homomorphisme non trivial de G dans Z/p dont la restriction à H est triviale. (Indication. Utiliser les questions 1 et 2.3.) 6) Soient G un p-groupe fini et H un sous-groupe de G ; on note pr l’indice de H dans G. Montrer qu’il existe une suite de sous-groupes de G : G = G0 ⊃ G1 ⊃ · · · ⊃ Gi−1 ⊃ Gi ⊃ · · · ⊃ Gr = H , telle que, pour tout i ≥ 1 : – Gi est distingué dans Gi−1 ; – le groupe quotient Gi−1 /Gi est cyclique d’ordre p. (Indication. Procéder par récurrence en utilisant la question précédente.) 7) Montrer qu’un p-groupe fini est résoluble. ÉDITION 2012