On peut remonter aux travaux de Todaro (1969) et de Harris et Todaro (1970), à la
suite de Lewis (1954), pour retrouver les premières analyses fondées sur une
conception duale des économies en développement. D’une distinction urbain/rural,
les travaux ont évolué vers un dualisme formel/informel (Mazumdar, 1976 ;
Charmes, 1990 ; Datta Chauduri, 1989 ; Gupta , 1993 ; etc.). De façon générale,
l’informel est considéré comme un secteur "passif" destiné à « fournir de la main
d'œuvre à un taux de salaire déterminé par le revenu de subsistance ». Selon Datta
Chauduri (1989), par exemple, ce secteur (informel) est un « point d’entrée », dans
les villes, des migrants qui quittent les campagnes avec l’espoir d’avoir un revenu
urbain supérieur à celui qu’ils obtiendraient dans le secteur agricole rural. Ne
pouvant immédiatement trouver un emploi dans le secteur formel urbain, ces
migrants mènent dans des activités informelles, celles-ci apparaissant comme une
solution d’attente, et donc provisoire.
Il est d’autant plus nécessaire d’inverser cette logique de raisonnement qu’il présente
l’inconvénient d’être déterministe et séquentiel. Il s’agirait alors de considérer que
l'informel possède son propre dynamisme lui permettant de concurrencer le secteur
formel. Ce dynamisme peut être mis en évidence à travers les caractéristiques de
l’offre, de la demande et des pratiques de prix qui rappellent les marchés les plus
purs de la théorie économique3.
La définition même du secteur informel est loin de faire l’unanimité chez les auteurs
qui s’y sont intéressés. Pour se rendre compte de la difficulté que ces auteurs ont à
s’entendre sur les critères, on peut se référer à Hugon (1991). Une définition
statistique s’appuie sur le critère du non enregistrement ou out-law (absence de
comptabilité, non respect de la codification et de la fiscalité, chiffre d'affaires ou
nombre de travailleurs limité. Une définition fonctionnelle utilise des critères
d’organisation : "activités à petite échelle où le salariat est limité, où le capital
avancé est très faible mais où il y a néanmoins circulation monétaire et production
de biens et services onéreux" (Hugon, 1991 ; p. 155). Dans un article récent,
Morrisson et Mead (1997) reviennent sur ces critères de définition. Sur la base
d’enquêtes portant sur plusieurs pays, ils proposent un nouveau cadre de définition
qui présente l’avantage de tenir compte des diversités géographiques.
Sans nous attarder sur ce débat, nous nous proposons ici de partir d’une conception
de l’informel qui fait plus office d’un cadre d’analyse que d’une définition
proprement dite. Ce choix est donc d’ordre méthodologique. Pour cela nous faisons
référence aux principales caractéristiques des unités de production qui le composent.
Ces unités appartiennent généralement à « des personnes travaillant pour leur propre
3 L’objet de cet article n’est cependant pas de traiter cet aspect walrasien du problème.
compte, avec l'aide des travailleurs familiaux non rémunérés ou en association avec des
membres du même ménage ou d'autres ménages » (BIT, 1993 ; p. 17). Elles se
distinguent de celles du secteur formel principalement par une absence de contrôle par
l’État (Roubaud et Séruzier, 1991). Relèverait ainsi du secteur informel toute activité
économique qui échappe entièrement à l’État et qui est exercée par des agents
économiques travaillant pour leur propre compte, dans des petites unités de production.
Celles-ci sont assimilables aux ménages dans le système de comptabilité nationale.
Cette définition du secteur informel présente l’avantage de rendre souple le passage d'un
raisonnement en terme urbain à un raisonnement en terme rural, et inversement. La
distinction urbain/rural serait ainsi moins significative. Pour illustrer l'axe commun, qui
permet d’économiser une analyse qui tiendrait compte de cette distinction, on peut citer
deux exemples : 1) l'agent économique du secteur informel rural utilisera l’output de sa
production saisonnière (les graines de sa dernière récolte) pour sa propre consommation
domestique, mais aussi, il en affectera une partie au marché, soit par la vente directe à
d'autres consommateurs, et de façon informelle, soit par la vente des produits issus de sa
transformation, à travers une fonction de production. 2) De même, l'agent économique
du secteur informel urbain est demandeur d’un produit quelconque (un magnétoscope
d'occasion ou neuf, par exemple) qui sera destiné aussi bien à une consommation
domestique qu’a une activité de service marchand informel (duplication de cassettes
vidéo, par exemple). Il en est de même pour l'exemple (classique et récurrent dans les
analyses sur l'informel) du cadre, salarié urbain, qui utilise l’automobile mis à sa
disposition par l’administration ou par son entreprise, aussi bien pour ses propres
besoins domestiques que pour une activité de transport informelle. Le secteur informel
dont il est question peut donc être urbain comme rural, archétype du marché qui
approvisionne les consommateurs en produits et services.
Moyennant quelques restrictions, on peut s’accorder avec Becker (1965) pour supposer
que l’agent représentatif du secteur informel : 1) possède une fonction domestique de
production de biens ou satisfactions à partir des produits du marché ; 2) possède une
fonction de production marchande de biens ou de services dans laquelle les produits du
marché sont des inputs ; 3) a une fonction de production domestique qui peut s’assimiler
à sa fonction de production marchande en ce sens que nous avons affaire à un
producteur caractéristique du secteur informel (de très petite taille et dont l’organisation
s’apparente à un ménage).
2. Du dualisme formel/informel à la distinction marché formel/marché informel
Les approches dualistes (Todaro, 1969 ; Harris et Todaro, 1970 etc.) et celles qui se
sont développées par la suite (Stark, 1982 ; Gupta, 1993 ; Datta Chauduri, 1989 ; etc.)