Séance des Vendredis du Social du 21/11/2014 Abus sexuels “Filles et garçons, mêmes dégâts” Introduction Les filles et les garçons peuvent être confrontés à des agressions de la part d’inconnus, d’autres enfants et jeunes ou, le plus souvent, de la part d’adultes proches. Leur éducation les prépare souvent mal à faire face à ces situations. Ce Vendredi du Social avait pour but de faire connaître aux travailleurs sociaux les termes d’abus sexuels, de sévices sexuels et de faire comprendre comment un enfant peut être soumis à des activités sexuelles qu’il n’est pas en mesure de comprendre et comment il peut en sortir. En tant que professionnel, comment le soutenir ? Que faire pour qu’il se sente compris ? Que faut-il éviter de faire afin de ne pas aggraver sa situation ? Cette matinée d’information a aussi permis, à l’aide d’un outil pédagogique, de déconstruire les idées reçues, principalement de genre, quant aux abus sexuels... Synthèse des exposés 1. “Le parcours d’une victime d’abus sexuel au sein de Services de Police. Police- services sociaux: une approche commune ?” Mmes Sabine CRUCIFIX et Ariane PIRARD du Service d’Assistance Policière aux Victimes de la Police Fédérale et M. Christophe ADAM, Inspecteur principal à la Police Judiciaire Fédérale A) Le parcours de la victime Plusieurs personnes ou services peuvent dévoiler les faits d’abus sexuels concernant un enfant, dont ils ont connaissance : famille, école, service social, ASBL, citoyen, CPMS, SOS enfants, SAJ,... Ces personnes ou services dénoncent les faits à la Police ou au Parquet du Procureur du Roi. La Police auditionne la personne à qui l’enfant s’est confié et dresse un PV, lequel est communiqué au Parquet du Procureur du Roi. Si la personne dénonce les faits au Parquet, celui-ci demande une audition à la Police, laquelle dresse un PV. Ensuite, le Parquet organise une audition audio-filmée de l’enfant, via la Coordination TAM (Technique d’Audition de Mineur). B) Législation - Loi du 28/11/2000 modifiant la protection pénale des mineurs. - Circulaire ministérielle du 16/07/2001 précisant les modalités de l’enregistrement audiovisuel de l’audition des mineurs victimes ou témoins d’infractions. C) Circulaire Ministérielle du 16/07/2001 a) Objectifs de cette circulaire : définir - Personnes habilitées à ordonner et à effectuer cet enregistrement, - Cas dans lesquels il peut avoir lieu pour les mineurs victimes ou témoins, - Modalités, conditions et formalités de l’enregistrement, - Statut juridique des supports d’enregistrement. b) Objectifs de l’audition - Permettre la retranscription précise de la parole du mineur, - Eviter la répétition traumatisante des auditions pour le mineur, - Permettre l’analyse des propos et attitudes, - Eviter la perte de souvenir, - Eviter la confrontation entre le mineur et l’auteur. c) Champ d’application “Art. 91 bis du Cic” de la Loi du 30/11/2011 - Prise d’otage, - Viol et attentat à la pudeur, 1 - Corruption de la jeunesse et proxénétisme, Outrage public aux mœurs et pornographie infantile, Lésions corporelles volontaires, Mutilation d’organes génitaux féminins, Abstention coupable de porter assistance, Délaissement ou abandon d’enfants/ incapables dans le besoin, Privation d’aliment ou de soin, Enlèvement de mineurs, “Grooming”. d) Autres cas pour lesquels un enregistrement audiovisuel (AVF) peut être ordonné: - Autres infractions dans le cas de circonstances graves et exceptionnelles, en tenant compte des objectifs d’un enregistrement audiovisuel, - Situation où une victime/témoin majeur est particulièrement vulnérable (selon l’appréciation du Magistrat). e) En pratique... La coordination TAM organise l’audition audio filmée du mineur à un moment et en un lieu donnés avec 2 auditionneurs TAM (un actif et un en régie) en présence d’un(e) psychologue (suivant les desiderata du Magistrat) et des enquêteurs chargés de l’enquête. La prise en charge est différente si les faits dévoilés sont intra ou extrafamiliaux : 1) Faits dévoilés intrafamiliaux Prise en charge de l’enfant au sein du milieu scolaire Enfant amené par un tiers Audition hors présence des civilement responsables par le Service d’Assistance Policière aux Victimes (SAPV) ou les enquêteurs, Au préalable : expliquer à l’enfant, dans un endroit adapté et à l’aide de mots adaptés à son âge, que le Procureur du Roi souhaite qu’un policier parle avec lui, répondre à ses questions et inquiétudes, l’écouter sans jamais lui poser de questions concernant les faits, le rassurer. 2) Faits dévoilés extrafamiliaux Enfant amené par une personne référente au moment prévu lors du contact préalable avec la coordination TAM ou les enquêteurs, Accueil par le SAPV ou des auditionneurs TAM (local adapté, jeux, coloriages,...) Prise en charge par l’auditionneur actif (mise en confiance, présentation des locaux, explications,...) Si nécessaire, prise en charge de l’accompagnant par le SAPV pendant l’audition (écoute, soutien, explications,...) f) Service d’Assistance Policière aux Victimes (SAPV) Le SAPV intervient au moment des faits (ou de leur dénonciation) ou juste après ceux-ci, à la demande des policiers, des victimes, du Parquet, des services sociaux, de l’école, de la famille,… Il vient en appui aux policiers lorsqu’ils ne peuvent assister la victime à eux seuls et de façon optimale (choc émotionnel important, victimisation conséquente). Un rôle de garde fonctionne 24h/24, il peut être rappelé pour toute situation de victimisation grave (postposer la présence du SAPV serait préjudiciable à la victime) service pro-actif. Le SAPV veut éviter toute forme de victimisation secondaire (éviter le fait, pour la victime, de subir de nouvelles souffrances qui viennent s’ajouter à l’impact initial de l’événement et qui peuvent l’accentuer) qui est provoquée par des attitudes de blâme, de surprotection ou de banalisation suite à 2 l’événement, voire par des maladresses (non intentionnelles) commises en voulant aider les victimes. Dans ce but, le SAPV met l’accent sur : - l’accueil, l’écoute, le premier soutien : présence rassurante, structurante, - l’accompagnement, l’aide pratique, la gestion des conséquences immédiates, - les 1ère informations sur les actes d’enquête présents et futurs, les étapes de la procédure, l’aide juridique, le soutien social et psychologique,... - l’orientation, le relais vers les services compétents à moyen et à long termes (SOS enfants, accueil des victimes, aide sociale aux justiciables,…) D) Conclusion Le dévoilement d’une situation de maltraitance est un processus long, fait de périodes de parole et de silence. L’enfant ne parle que quand il est prêt. Face à des situations de maltraitance qui pourraient donner lieu à une audition audio filmée d’un mineur, il est important d’avoir une approche commune, d’écouter la victime en créant des conditions favorables. Il convient aussi d’éviter d’interroger l’enfant, de mener une enquête, d’éviter qu’il doive se répéter, de donner ses limites et de le remercier. 2. “Abus sexuels et idées reçues” Mme Caroline DE VOS, Psychologue et psychothérapeute au Service d’Aide Sociale aux Justiciables de Verviers A) Qu’est-ce qu’un traumatisme (trauma) ? Le trauma est comme “un gong” : le corps s’est figé, quelque chose de terrible a été vécu dans la solitude et l’impuissance. Par la suite, la personne réagit comme si la situation de danger était toujours là, “une part de soi est accrochée au passé”. Au moindre stimulus associé de près ou de loin à la situation traumatique, des réactions d’angoisse vont apparaître. Ce n’est pas le passé qui nous fait mal, c’est la manière dont on s’en souvient. Ce qui retient une image négative dans notre cerveau, c’est l’émotion. Faisons une comparaison avec l’ordinateur : la mémoire à court terme (CT) est comme le bureau sur l’ordi. Tout ce que je vois occupe mon conscient. Celui-ci stocke toutes les informations, puis les trie et les envoie dans la mémoire à long terme (LT), cela devient des souvenirs. La mémoire CT est scannée lors du sommeil paradoxal. Ce qui n’est pas coloré émotionnellement est mis à la corbeille. Quand il y a une émotion, elle s’exprime et se détache de l’information. Chez les personnes traumatisées, le souvenir est toujours dans la mémoire CT ; il se crée comme une poche traumatique. Heureusement, le cerveau peut traiter les situations traumatisantes en séparant l’émotion négative de l’information, il a la capacité de cicatriser. Grâce à une aide extérieure, nous pouvons être résilients (Voir B. CYRULNIK). B) Les croyances et l’impact sur le trauma Nous croyons des choses par rapport aux événements que nous vivons, nous nous racontons des histoires. Certaines sont aidantes, d’autres plus limitantes. Ce que je crois va se vérifier. Les personnes qui nous entourent se racontent aussi leur propre histoire, en lien avec leur vécu et comment elles se représentent ce que nous vivons. Les croyances que nous avons sur nous-mêmes prennent de l’ampleur avec les réactions de notre environnement, de la société. C) Croyances fréquemment rencontrées dans l’abus sexuel / idées reçues Une idée reçue est une opinion, souvent répandue, considérée comme évidente et peu remise en question car elle permet de répondre de manière simpliste (et rassurante) à une question complexe. Elle aide à ne plus réfléchir et s’impose insidieusement. Voici quelques exemples. a) “C’est de ma faute...” 3 Les enfants victimes d’abus sexuel intrafamilial se sentent responsables et ne peuvent remettre en question leur parent (dépendance et stratégies de l’abuseur). Des questions peuvent être présentes chez les victimes, comme une tentative pour donner du sens à ce qu’elles ont vécu : “Quelle est ma responsabilité ?”, “Pourquoi cela m’est-il arrivé ?.” Le sentiment de faute est en lien avec les réactions au moment du traumatisme (rester figé, ne pas réagir, avoir des réactions corporelles “J’ai ressenti du plaisir = je suis sale”,...). La tendance à s’attribuer une partie de la responsabilité est peut-être une tentative pas forcément consciente, pour rester humain. Ne pas en parler peut augmenter la honte. Les croyances de l’entourage telles que “Il/elle l’a un peu cherché” ou “Elle a quand même un comportement aguicheur...” renforcent la culpabilité de la victime. Il y a confusion entre attention recherchée et sexualité. Les comportements séducteurs éventuels de l’enfant/ado (masturbation, jeux sexuels,...) sont bien une conséquence de l’abus sexuel et non sa cause. Les comportements sexualisés sont comme un incendie à éteindre. La réaction de la famille et, en particulier, du parent non abuseur (souvent la mère) est essentiel pour la “récupération” de l’enfant. Si le parent non abuseur vit le dévoilement de l’abus de son enfant comme une blessure narcissique et/ou comme un rappel de ses éventuels abus subis dans le passé, sa réaction peut être tout à fait inappropriée. Il convient, au contraire, que l’entourage familial soit sécurisant et aidant. b) “L’abus sexuel est une maladie génétique” Des questions se posent aux victimes: “Est-ce que moi aussi, je serai comme papa ? ”Suis-je issu d’un monstre ?”. Ces questions peuvent être renforcées par le fait que l’enfant/ado abusé peut encore être plus envahi par la sexualité (pulsions sexuelles, masturbation,..). Certains jeunes peuvent aussi retourner la violence contre eux-mêmes (automutilation ou pensées suicidaires) ou adopter des conduites asociales (tentative de faire savoir qu’on se considère comme dangereux ?). Des jeunes qui ont des gestes sexualisés sur d’autres ne sont pas nécessairement des pervers sexuels, mais plutôt des jeunes qui s’interrogent “Suis-je comme mon père ?” et qui ont difficile à métaboliser des sensations corporelles. Le mal fait à d’autres part souvent d’un mal plus ancien. Aborder les autres générations permet de sortir du non-sens et d’approcher l’histoire familiale, d’offrir au jeune abusé de faire autre chose que ce à quoi il se croit programmé. Exemples de questionnements : “Qu’est-ce qui a pu abîmer votre père, pour qu’il franchisse une limite aussi grave ?”, “Cette injustice envers les enfants remonte à loin, comment l’arrêter ?” Cela permet à l’enfant/ado de réexpérimenter la confiance relationnelle envers l’autre et de se reconstruire. c) “Il/elle n’a pas peur, il/elle veut revoir son abuseur... Je ne comprends pas” En fait cette“ légitimité destructrice” s’explique par le fait que “le cœur de l’enfant est plein d’ambivalence”. Son abuseur est souvent quelqu’un de proche, en qui il a confiance, qui, par ailleurs, peut lui offrir une sécurité et lui donner une éducation. De plus, le jeune peut intégrer que la seule manière de recevoir de l’affection se fait par des gestes sexuels. Il est donc important de bien évaluer pourquoi il veut revoir son abuseur et où en est l’abuseur. Notons aussi que si l’enfant est sorti du secret, il n’est pas pour autant sorti du pacte, ce lien abusif qui l’enferme, par l’emprise, dans un sentiment de faute. d) “Il/elle n’en parle pas, donc tout va bien”, “Il vaut mieux ne pas en parler” 4 En fait, le jeune n’en parle pas “parce qu’il est dissocié”: il est traumatisé, mais il veut protéger sa famille. Ne pas en parler, c’est faire comme si cela n’existait pas. Cela peut augmenter la honte, confirmer à la personne “qu’on ne fait plus partie de la communauté des hommes” comme dit MUGNIER. Le thérapeute doit “ramener le jeune dans la communauté des hommes”. Il doit pouvoir imaginer ce qui est en train de se passer dans sa tête, formuler des hypothèses et les partager avec l’enfant/ado, par exemple en disant: “Je ne peux pas m’empêcher de penser que peut-être tu t’es dit...”. e) “Il n’en parle pas,... il faut en parler... ” Pour éviter de traumatiser à nouveau le jeune, il convient de le préparer à parler du trauma en évoquant d’abord des événements plus neutres et plus positifs auxquels il peut faire référence. On peut utiliser la dissociation comme outil thérapeutique. Exemple: Décrire la pièce : ce que je vois (4 éléments), ce que j’entends (4), ce que je sens (4), puis 3, puis 2, puis 1. “Où est-ce que tu préférerais être, plutôt qu’ici ? Qu’est-ce que tu préférerais faire maintenant ? Pense à ton ailleurs. Ici, je vois (3), là (ailleurs), je vois (3)”,... Il s’agit de faire émerger de l’espoir, tout en respectant le trauma, de parler du passé en même temps que du présent. f) “Ca n’arrive qu’aux filles...” (et les garçons ?). “Seuls les hommes abusent...” Cette idée reçue repose sur différentes croyances: a) Croyance sociétale de l’autonomie sexuelle masculine et donc de la difficulté avec l’identité masculine “Un homme, c’est...quelqu’un de fort”. Si un garçon ou un homme admet avoir été victimisé, il est vu comme n’étant pas vraiment un homme. Pour beaucoup d’abusés, la vulnérabilité devient associée à l’impuissance qu’ils ont ressentie étant enfant lorsque quelqu’un de plus fort a abusé d’eux. Ils ont souvent été invités à supprimer ou à réprimer leurs émotions. Pour eux, la prescription sociale de la virilité réussie est en conflit direct avec leur expérience. La colère, symbole de force et d’énergie, est un état affectif en accord avec les rôles masculins tels que définis par la culture. Elle est ressentie comme plus acceptable que l’expression d’émotions davantage liées à la vulnérabilité. b) Croyance à l’initiation sexuelle du garçon Selon les garçons abusés par un homme, ils ont réagi sexuellement dans des circonstances où un homme normal aurait été impuissant. En conséquence, ils en viennent à se considérer comme anormaux. Lorsque l’abus est hétérosexuel, le garçon peut avoir du mal à reconnaître qu’il s’agit d’un abus puisque l’interprétation culturelle de cet événement est qu’il a été initié sexuellement par une femme plus âgée. c) Croyance à l’innocence maternelle/féminine “Les femmes n’abusent pas...” Les mères ont culturellement la permission de toucher leurs enfants. Lorsque le contact est érotisé, parfois sous l’apparence de rituels liés à la toilette ou aux soins médicaux, un garçon peut avoir du mal à reconnaître ce comportement comme abus. Alors que chez le père, la même façon d’agir peut être jugée comme une atteinte à la pudeur. C’est à cause de ces préjugés culturels que les rapports sexuels inopportuns entre une femme adulte et un enfant sont ignorés. d) Croyance à la contamination “Toutes les victimes deviennent des abuseurs”. Ce stéréotype culturel empêche certains abusés de dévoiler l’abus dont ils sont victimes. S’il est vrai que beaucoup d’hommes abuseurs ont été victimes enfants, il est faux de penser que toutes les victimes deviendront abuseurs. 5 La transmission transgénérationnelle du comportement a à voir avec la tendance à l’identification avec l’agresseur. g) Confusion quant à l’orientation sexuelle et l’homophobie Les questions et les préoccupations liées à l’orientation sexuelle constituent souvent un problème central pour les abusés dont la confusion est parfois manifeste “Suis-je homosexuel ?”. Désarmés devant ce qui leur est arrivé, beaucoup d’abusés ont tendance à se référer aux signes extérieurs (excitation physique et orgasme) plutôt qu’aux signes intérieurs (désarroi affectif et confusion) dans leurs efforts pour identifier leur orientation et leurs préférences sexuelles. Ils se posent beaucoup de questions, telles que “Qu’est-ce que le fait d’avoir été abusé sexuellement révèle sur moi et sur ma sexualité ?” Lorsque les abusés sont homosexuels, le processus d’acceptation de leur homosexualité peut être plus difficile à cause de leur propre incertitude quant à l’impact que l’abus sexuel a eu sur leur orientation sexuelle. h) Les femmes abuseuses... Croyance à l’innocence féminine (pt 6c). Notons que les femmes qui abusent ont toutes été victimes d’abus sexuel. i) “Il n’y a pas eu de plainte, c’est que tout va bien, que le trauma est fini” La justice ne reconnaît pas toujours la réalité du vécu de la victime, faute de preuves suffisantes. Cela peut réactiver le trauma. Au contraire, confronter sa peur et expérimenter qu’elle le dépasse ou voir l’attitude de l’abuseur, peut avoir un effet réparateur sur la personne abusée. Par ailleurs, il se peut que l’enfant/ado abusé souhaite juste que l’abus s’arrête. D) Abus sexuel intrafamilial Souvent, l’enfant/ado est abusé de manière répétitive par quelqu’un en qui il a confiance, et dont il est dépendant. Il ne peut donc pas le remettre en cause. Cela peut rajouter de la culpabilité et de la confusion. Dans les cas d’inceste, il faut tenir compte des dynamiques familiales particulières. Parfois, les frontières intergénérationnelles sont peu présentes et la différenciation entre les membres est faible. Parfois, on retrouve des familles claniques, repliées sur elles-mêmes, avec prédominance du père, mère dominée ou effacée ou familles trop prises par leurs propres fragilités. Dans ces familles incestueuses, l’interdit de l’inceste tombe mais l’interdit de la parole s’élève. L’emprise de l’abuseur interdit à l’abusé de parler et participe au traumatisme. L’intensité de cette emprise et l’environnement déterminent si la personne abusée va parler ou non (risques de briser la famille, d’envoyer le père en prison,...). Au point de vue thérapeutique, il importe d’envisager ces dynamiques familiales, de comprendre comment l’abus s’est construit, parfois à travers plusieurs générations. Pour aborder et panser le traumatisme, on utilise également des outils plus individuels (hypnose,...). Les approches individuelles et celles plus familiales peuvent être utilisées conjointement. D’autres formes de thérapies telles que le constructivisme, la thérapie narrative, la thérapie contextuelle, la thérapie par le jeu,... peuvent être utilisées. 3. “Abus sexuels: symptomatologie immédiate et différée Dr Christine LIEGEOIS-DEOM, Pédopsychiatre à Differdange A) Qu’est-ce qu’un abus ? Selon Claude SERON, il s’agit de “Tout contact sexuel entre un adulte et un enfant où l’enfant est utilisé pour stimuler l’adulte ou une autre personne. Si 6 l’auteur est mineur, on considère que la différence d’âge doit être d’au moins 5 ans et/ou que l’auteur doit avoir exercé un ascendant sur la victime”. On relève une multitude de situations variées selon le geste et la relation dans laquelle il s’inscrit (ou pas) ; selon le lien entre l’abus et les personnes essentielles ; selon la capacité de protection de la famille ; selon le terrain de départ de l’enfant,… Toutes ces situations différentes vont se présenter différemment et avoir des pronostics très différents dans l’immédiat et plus tard. Ce pronostic va dépendre aussi de la capacité des adultes à réagir adéquatement, à voir, entendre, accompagner,... et va donc dépendre de NOUS! B) Qu’est-ce qu’un symptôme ? C’est une perturbation, une adaptation, une manière de dire, une manière de comprendre,..., un peu tout à la fois. Un symptôme peut être immédiat, survenant de manière brève ou durable ou être différé, surgissant à distance des événements. a) Symptômes directs des abus 1) Symptômes de certitude (pathognomoniques) Ce sont des faits, des signes, plutôt que des symptômes : lésions typiques, grossesse, maladies sexuellement transmissibles (MST). 2) Symptômes spécifiques Ils sont hautement évocateurs d’un traumatisme sexuel : sollicitations sexuelles adultes, jeux sexuels entre enfants qui dénotent une connaissance précoce de la sexualité adulte (pas jouer au docteur!), masturbations d’animaux,... Devant un adolescent auteur, il convient toujours d’émettre l’hypothèse qu’il a lui-même été abusé. Ce n’est pas une excuse, mais un fil de travail. Dans ce cas, il y a deux enfants à soigner! Bon nombre d’abus sont commis par des ados et un grand nombre d’abuseurs adultes ont commencé à l’adolescence. La prise en charge des abuseurs ados est donc cruciale. Il ne faut pas les laisser dans la solitude et la réprobation générale. Il n’y a pas de fatalité : les enfants abusés ne deviennent pas des abuseurs! 3) Symptômes aspécifiques “enfants” Il s’agit de troubles de la propreté, de troubles du sommeil, de cauchemars (plus l’enfant est petit, plus le contenu est aspécifique), de troubles de l’alimentation, de troubles du comportement (colères,...), de troubles de la concentration, de mensonges répétés,... 4) Symptômes aspécifiques “ado” Il s’agit de troubles du sommeil, de cauchemars, de troubles de l’alimentation, de troubles du comportement (colères, fugues, transgressions,...), de troubles de la concentration, de désinvestissement des activités, d’automutilations, d’angoisse,... Remarquons que, de manière générale, et surtout à l’adolescence, les garçons ont un comportement plus externalisé et les filles, une symptomatologie plus internalisée, plus tournée vers soi. Notons aussi, de manière générale, qu’un symptôme de rupture devrait trouver son explication. 5) L’enfant est asymptomatique Ce n’est pas rien, c’est du SILENCE. 15% des enfants seraient asymptomatiques au moment de la révélation. Cela n’empêche en rien l’apparition d’un symptôme différé à l’adolescence ou à l’âge adulte. b) L’abus comme traumatisme Les symptômes sont lus comme syndrome de stress post traumatique : 1) Symptômes de répétition 7 2) 3) L’événement traumatique est constamment revécu : souvenirs répétitifs envahissants, jeux chez l’enfant ; rêves provoquant la détresse ; sentiments de détresse lors d’éléments de rappel ; attitudes exagérément érotisées,... Symptômes d’évitement L’enfant cherche à éviter les rappels, lieux, conversation, y compris des situations banales de type visite médicale. On note d’autres réactions : incapacité de se rappeler un aspect du trauma, réduction d’intérêt pour des activités importantes, sentiment de détachement d’autrui ou de devenir étranger aux autres, sentiment d’avenir bouché : “Ma vie n’aura pas un cours normal”,... Symptômes neurovégétatifs, d’inscription corporelle, de “stress” On note des symptômes tels que des problèmes du sommeil, de l’hypervigilance, de l’irritabilité, des difficultés de concentration, de l’énurésie, des sursauts exagérés,... c) Symptômes différés Tout ce qui est décrit ci-dessus peut perdurer ou (re)surgir si un nouveau trauma du même type ou non surgit, si des événements de la vie font un rappel tel le trauma d’un proche, à la puberté, lors du premier amour, lors des premiers rapports sexuels, lors d’un engagement affectif,... On observe plus fréquemment des problèmes diffus : dépression, anxiété, maladies psychosomatiques, manque d’estime de soi, manque d’assertivité, manque de confiance en la vie,... Cette problématique peut venir toucher la parentalité de diverses manières notamment en ce qui concerne la compréhension des parents. Pensons-y ! Retenons aussi une piste de travail : on fait parfois pour ses enfants ce que l’on n’a pas fait pour vous. C) Conclusion Tous ces symptômes potentiels vont former autant de tableaux personnels que nous aurons à découvrir et qui nous surprendront toujours. L’abus est une trahison de la relation. Etre juste dans la place de l’enfant, de l’ado où le parent nous met, et tenir simplement cette place, c’est déjà être thérapeutique! Nous ne sommes pas seuls!! 8