LE POSITIVISME D'AUGUSTE COMTE CoIeedoa «ÉpJscémologie et .PhiIosopIde des Sdenœs » dirigée par Angèle Kremer MarieUi Angèle KREMER-MAR.IETII, Nietzsche : L~homme et ses fabyrinIhes,. t 999. Angèle KREMER-MAR.1ETIl, L'aothropologie positiviste d"ADgusteComte,. 1999. Angèle KREMER-MAR.IE'ITL Le projetan1bropolagique d~AugœIe ~ 1999. S. LATOUCHE" F. NO~ H. ZAOUA4 Critique de JantiSM économique~ 1999. ] Jœn..Cbarles SACCHI:...Sur Je déve]~t des tbé\~~" 999. Yvetœ CONRY" L" ÊvoJution créatrice d"fJenri Bergson. In~ criti~ 2000. Angèle KRE~R-MAR.IETl'L La Symbolicité,. 2000. Angèle KREMER-MARIETI1 (dk.),. Éthique et épistémologie :mtour du livre Impœtures intelleetuelles de Sokal et Bri~ 200 I. AbdeJJœder BACHT~ L~épistémo]ogre scientifique des Ltrmi~ 200J. lean CAZEN<.:>BE"Tedmoge.nèse de la télévision" 2001. Jean-Paul JOUAR ¥.. L "art paléolithique" 2001. Angèle KREMER-MAR.IE'ITL La pbiIosopbie oognitiw,. 2002. Angèle KREMER~ Ethique et méta-éthique,. 2002. 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Foucault et la psychologie" 2005. lI1Odemi; 200:i Christian MAGNAN~ La nature sans fui ni lc.'1Ï. Les grands thèmes de la physique auXXè :siêde", 2005. (''''brisûan MAGNAN., La science pervertie. 2005. l.ucien ~ OULAHBffi" Méthode d"évaluation du développement tion il ]"affinemeut Esquisse" 2005. Ignace HAAZ,. NJdzsche et la métaplKwe cognitive" 2006. hmmin. De l"émancipa- Hamad1 BEN lABAI..LAJL Grâce du ratîc.mnel;OPesa.n1eur des dk)JeS,. 2006. Hamad1 BEN JABALI.AIL Criticisme ~ Synthèse~ 2006. Robert-MidJe1 PALEM,. Organodynamisme et neurooognitivisme" 2006. Léna SOLE~ Philosophie de la physique. Dialogue à pIwrimrs voix autour de COIIJ.ro\!enes cootempomines et classiques. 2006. Fnmcis BACON. De la justice unîversen~ 2006. Jœepb-F:nUJ90is KREMER" Les fonDes symboJiques de la musiqlle~ 2006. ANGÈLE KREMER-MARlETTI LE POSITIVISME D'AUGUSTE COMTE L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polyteclmique ; 75005 Paris FRANCE L'Hannattan Hongrie Kônyvesbolt Kossutb L. u. 14-16 1053 Budapest Espace L'Harmattan Kinshasa Fac..des Sc. Sociales, Pol. et Adm. i BP243, Université KIN XI de Kinshasa L'Harmattan Italia Via Degli Artisti, 10124 Torino - RDC ITALlE 15 L'Harmattan Burkina Faso 1200 logements villa 96 12B2260 Ouagadougou 12 Éditions antérieures: Paris, PUF:J 1982:J 1993 Pékin 2001, Mexico 2003. http://www.librairieharmattan.com [email protected] harmattan [email protected] @ L'Harmattan, 2006 ISBN: 2-296-01620-0 EAN : 9782296016200 Travaux d"Angèle Kremer-Marietti sur Auguste Comte "De Comte à Bachelard", in La Quinzaine littéraire N° 7S~ 1969. Paris, 1910. Âu..sfuste Comte et /a théorie sociale du po.fitivisme. ~ Auguste Comte: Plan ties travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la ..ioc/été. Notes et Introduction : "Auguste Comte et la scieuœ politique". Aubier:" Paris, 1970. bgulite Comte: Sommaire appréciation de I ten.remble du passé moderne. Notes et ] bJtrodudion : Auguste Comte et l'histoire générale-. Aubier, Paris, 97]. " Auguste Comte: La sciences sociale. Choix de textes. Présentation:" Auguste Comte et ta Science sociale". Gallimard, CoUectîon "Idées" ~ PêIrÏs:, 1972. ] 918. "Comte et Je retour â une rlJétorique origineJ1e""t in Romantisme. ~ 21-~ Le projet anthropologique d'Auguste ComJe. S.B.D.E.S.» Paris, 1980. dt Auguste C.omte. Atelier de reproduction des «hèses de L'anthropologie positiviste ] Lille m. Diffusion Librairie Honoré Champion. Paris"t 980. Entre le signe et l "histoire. L'anthropologie positiviste d'Auguste C.omte. ~ Paris, 1982. Le po.fitivi.yme. CoI1ection "Que sais-je?". P.U.F.,. Paris" 1982. "Théorie du signe: Comte entre Saussure et Peirœ", in Krim, Volume One, Numbet ] ]. International Circle for Research in Philosophy, H~ 983. Le concept de .ycÎence POA'jtive. 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"Introduclion : Comte and Mill - The PhiJosopbicaI .Enrounter", m TIte Correspondance of John Stuart Mill and Auguste Comte. Translated fium the Frencb and edited by Oscar A. Haac. Transaction Publishers, New Brunswick (U.s.A.) and Loudon (U.K.), 1995. "Auguste Comte"~ in Edward Craig, ~RoutIedge" Routledege Encyclopedia of PhiJosophJt'$ 1998. "Auguste Comte et l'Éthique de l'avenir"~ R£vue lntemotionaJe de Philo,'ophie~ Numéro spécjal sur "Auguste Comte" diT. par Angèle Kremer-Marietti. JI] 998, n0:203;t 157..117. Le prl?iet anthropologique d'Auguste Comte (réédition),...Paris.,L"'Hannattan 1999. L'anthropologie positiviste d'Auguste Comte. Paris (réédition), L'$H~ 1999. "Les philosophes de la science positive : .£>uIIem,Comte" Bernard et Dubem », in Studi Fil.osofici, ~ 1999. « Auguste Comte et 18 philosophie du langage »~CoDoque Auguste ~ TWÛS:.2630 avril ]999. Tunis,. Académie des Sci~ des Lettres et des Arts, 2000; in Dogma, 2000. « L'homme biologique selon Comte et les théories nouvelles in &)(''1Qlogia,]H.)litica »" e religione: la filosofia di Comte per il dician.novesimo serolo" a cura di Cristina Cassina. Edizioni plus., Università di Pisa., 2001 ; également dans bUp://~ftee.fj« Auguste Comte et la méthode subjective» inAuguste Comte et l "idée de sciences de 11wmme, sous la direction de F. CbazeI et M ~ Paris, L'Harmattan, 2002 «Herni Gaumer, Auguste Comte et l1ùstoire de la philosophie»~ in Henri Gouhierr historien des philosophes français (1898-1994), Paris, BibJiotbèque NatiœaJe de France, 2002. « Auguste Comte et la Science Unifiée », in Auguste C-OlIfte~ Trajectoires du Positivisme, dirigé par Annie p~ Colloque du Bjcente.uaire de la naissance d'Auguste Comte (mai 1998), Paris, L'H~ 2003. « Épistémologie et Politique Positives », in Hommage à Oscar Haac, sous la diredion de Gunilla Haac, L "nHarmattan, 2003~ « Auguste Comte et la démocratie »7 in La tletnOLTozio fro Illx".," e tirmmitle delhl maggioranza nel1~ottocento:; Atti del Convengno Torino 29-30 maggio 2003, Firenze!> L. S. Olsdû, Firenze, 2004. d'histoire et de "La pbiIosophie prennère de pjene Laffitte", in Revue internationale pmlosopie des sciences et des techniques, Deuxième série,. vol S- N° 2- 2004 : Pierre Laffitte(1823- 19(3), T~ Belgiqne:tBrepoIsPnb~ 2005. INTRODUCTION Le positivisme confond-il les questions de fait avec les questions de droit? N'est-il pas plutôt le symptôme d'une difficulté née du développement de la réflexion logique sur l'accomplissement des sciences dans leur propre histoire? Selon la thèse traditionnelle, pour qu'une connaissance soit vraie, elle doit être à la fois rationnelle et objective. La dialectique de la raison et de l'expérience produit la rationalisation du réel en même temps que la réalisation du rationnel. Comment ces deux mouvements se combinent-ils? L'observation et le raisonnement, évidents au fur et à mesure que se constituait historiquement la science positive, comment peuvent-ils logiquement se concilier? Les logicistes modernes, tel Carnap, se trouvent devant le problème de la construction logique de la science à partir d'éléments fondamentaux, soit matériels, soit psychiques c'est-à-dire sensoriels. Les questions de langage, phénoménaliste ou physicaliste, n'éliminent pas la question de l'objet du langage: choses mêmes ou mots, ni la distinction entre syntaxe et sémantique, ce que, d'ailleurs, Carnap n'omet pas non plus. A travers les langages distincts propres à l'observation et à la théorie sont atteints les concepts d'observation et les concepts théoriques : le problème essentiel est alors un problème de coordination que devront résoudre les règles de coordination aptes à doter les termes du vocabulaire théorique d'une signification empirique. Pour ce qui concerne la théorie de Carnap, si elle « apporte leur fondement logique aux méthodes d'inférence 3 directe» (1), son champ d'application demeure par là même très restreint. Et il est amené à se passer de la notion de loi scientifique. Ce qui est ainsi mis en évidence, c'est finalement le caractère absolu des énoncés scientifiques selon le positivisme logique qui veut en établir la science formelle, véritable « science de la science ». Ce « positivisme» table donc sur des data, physiques ou psychiques, qu'il considère comme les fondements inébranlahles du système de « la » science, en faisant abstraction de l'histoire des sciences dans l'histoire des sociétés. Le positivisme de Comte est étranger à cette enquête purement formelle. Pour Comte la méthode seule ne suffit pas à mettre au monde le moule de toutes les sciences, il y faut encore la doctrine. La règle du positivisme scientifique de Comte pose que les méthodes et les doctrines sont inséparables dans leur étude (cf. Système de politique positive, IV, p. 200). Aussi Comte a cherché non seulement la dynamique de la science mais aussi celle de la société dans une « loi» de l'histoire. En examinant l'histoire des connaissances humaines quelles qu'elles soient: animistes, ontologiques, métaphysiques, ou scientifiques, il a posé le principe de situer tout système du savoir non seulement dans son histoire, mais encore dans l'histoire des sociétés humaines. La méthode historique et sociale qu'il applique fi l'étude des différentes « logiques » ou des différents « systèmes de signes» donne à sa recherche son cadre fondamental, non pas logique, mais anthropologique. Certes, on parlera, dès lors, d' « anthropologisme». Mais on ne pourra nier, toutefois, cette référence relativiste à l'histoire et à la différence anthropologique que le positivisme ne neutralise pas mais fonde plutôt dans une humanité concrète et sans résidu. Il n'y a pas d' « inventeur spécial» : les notions populaires les plus concrètes comme les spéculations les plus abstraites relèvent toutes de la connaissance de l'humanité fondamentale. Les plus abstraites, les mathématiques, encourent le risque de l'abus du raisonnement; or savoir pour prévoir, ce n'est pas prévoir sans avoir vu. (1) Cf. Maurice BOUDOT, Logique Armand Colin, 1972, p. 226. 4, inductive et probabilité, Paris, CHAPITRE PREMIER LE CONCEPT DE POSITIVISME Positivisme et positiviste sont des néologismes admis par l'Académie française en 1878, comme se rapportant à la philosophie d'Auguste Comte. On les trouve déjà en 1860 dans le Dictionnaire français de B. Dupiney de V orepierre et en 1863-1870 dans le Dictionnaire de la langue française de Littré. Positif, s'agissant d'un fait, se trouve dans l'Encyclopédie (édition de 1780), mais non science positive que l'on ne retrouve pas non plus en 1890 dans le Dictionnaire général de la langue française de Hatzfeld, Darmesteter et Thomas. Littré note, à l'article positif: « 2. Qui s'appuie sur les faits, sur l'expérience, sur les notions a posteriori, par opposition à ce qui s'appuie sur les notions a priori. Les sciences positives. » A l'article positivisme, Littré, lui-même positiviste, écrit: « Système de philosophie positive », et à l'article positif: « Philosophie positive. Se dit d'un système philosophique émané de l'ensemble des sciences positives; Auguste Comte en est le fondateur; ce philosophe emploie particulièrement cette expression par opposition à philosophie théologique et à philosophie métaphysique. » En effet, ce rapport du positivisme aux sciences positives est affirmé par Auguste Comte pour qui la méthode des sciences positives détermine 5 la doctrine positiviste dans la mesure où les sciences positives comptent une nouvelle venue, la sociologie, renversant en sa faveur la hiérarchie des sciences qui jusque-là étaient sous l'empire des mathématiques. Tel qu'il ressort de l'opuscule de 1820, écrit par Comte et publié dans L'Organisateur sous la signature de Saint-Simon, le syntagme science positive est utilisé en lieu et fonction de science d'observation et la définition de science positive se trouVt; in extenso dans une note de cette Sommaire appréciation de l'ensemble du passé moderne: « S'il est vrai qu'une science ne devient positive qu'en se fondant exclusivement sur des faits observés et dont l'exactitude est généralement reconnue, il est également incontestable (d'après l'histoire de l'esprit humain dans toutes les directions positives) qu'une branche quelconque de nos connaissances ne devient une science qu'à l'époque où, au moyen d'une hypothèse, on a lié tous les faits qui lui servent de base. » Observation et hypothèse forment le noyau conceptuel de la science positive, point de départ de l'épistémologie et de la philosophie d'Auguste Comte. Mais, qu'il s'agisse de méthode ou de doctrine, le concept de positivisme a cours en dehors de la philosophie comtienne : avant la lettre, chez les prédécesseurs et formateurs de la science positive, tout comme chez ses continuateurs. I. - Le concept de progrès Les prédécesseurs du positivisme, comme épistémologie et comme philosophie, sont à identifier aux prédécesseurs et formateurs de la science positive et de ce que Comte lui-même désigne par esprit positif, attitude favorable à la combinaison de la statique (les lois naturelles de notre organisation) et de la dynamique (les lois sociales de notre évolution). 6 Ce schéma systématique fondamental, selon lequel la dynamique (lois de succession) procède de la statique (lois de coexistence), s'applique à tous les domaines, mais il concerne avant tout l'!tomme, car, pour Comte, il n'y a qu'une science, celle de l'Humanité, qui englobe toutes les autres sciences, c'est en quoi elles sont positives: c'est-à-dire réelles, certaines, précises, « organiques », relatives (Disc. sur l'esp. positif). Aussi, puisque le terme positivisme a souvent été pris en mauvaise part pour désigner une attitude dénuée de mouvement dialectique et fondée sur l'illusion qu'il y aurait du donné, sans doute est-il nécessaire d'insister sur le rapport du concept de positivisme à sa condition sine qua non dans l'histoire de la pensée, le concept de progrès. L'idée que la vérité est en progrès est explicitée dans Le Banquet des cendres de Giordano Bruno en 1584, et le progrès lui-même procède du dialogue avec la nature qui s'appuie sur l'expérience et se formule par les mathématiques dans la mesure du possible: le De motu de Galilée en donne l'exemple en 1590. Déjà, en 1565 et 1586, Telesio, dans le De rerum natura juxta propria principia, faisait de toute science rationnelle une science sensible, l'opération caractéristique de la conscience étant le mouvement, et l'expérience s'avérant la source de toute connaissance de la nature à étudier « selon ses propres lois ». A la permanence de la nature, déjà saisie par l'atomisme antique, et qui se confirmera dans le principe positif de l'immuabilité des lois de la nature, s'affronte le mouvement de }'expérience humaine faisant intervenir le facteur temps au sein de la méthode devenue nécessaire en vue de l'adaptation de nos raisonnements aux phénomènes de la nature, comme le montrent Galilée dans les Discours sur le flux et le 7 reflux (1616) et Francis Bacon dans le Novum organum (1620). Le temps de la méthode pour découvrir, qu'instaurera Descartes dans le Discours de la méthode (1637), et le temps des découvertes depuis Copernic, qu'illustrera Fontenelle dans les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), vont se confirmer par la réalité du temps d'éveil de la connaissance dans les sensations, saisi par Gassendi, et plus tard par La Mettrie et Locke. L'esprit positif est indissociahle de l'histoire qui a dû suivre un cours nécessaire pour permettre à notre intelligence l'accès à la « positivité rationnelle» formulée dans le Discours sur l'esprit positif (1844), et définie selon Auguste Comte par l'établissement des lois naturelles dans la constante subordination de l'imagination à l'observation, afin de « voir pour prévoir» selon l'aphorisme scientifique impliquant le concept de progrès temporel. II. - La science positive La révolution scientifique a commencé au Moyen Age par une première phase de réévaluation des arts, s'étendant jusqu'aux xve et XVIe siècles, sans permettre encore la manipulation ni l'analyse de la nature, mais instaurant le dialogue avec elle. Auguste Comte évoque cette période grosse de la capacité scientifique et de la capacité industrielle et qui est l'époque de Roger Bacon (1214-1294), le pionnier de la méthode expérimentale. La seconde phase de la révolution scientifique est celle que Comte remet toujours à l'honneur en citant les trois noms de Bacon, Galilée et Descartes; c'est l'époque « de la mémorable crise où l'ensemble du régime ontologique a commencé à succomber dans tout l'Occident européen» (DEP, éd. classique, 8 p~74-75) (2)~Francis Bacon s'impose à Comte par ses préceptes et son vœu de voir construire une scala intelleLms « pennettant à nos pensées habituelles de passer sans effort des moindres sujets aux plus éminents" ~ en sens inverse;t avec un sentiment continu de leur intime solidarité naturelle» (SPP~ I, p,44) (3), GaIDée est,. pouT Comte;t le fondateur de la mécanique rationnelle. Quant à Descartes, il a pennis la relation du concret à J'abstrait et donné le seul schéma explicatif du monde grâce à sa Géométrie analytique., qui «caractérise avec une parfaite évidence la méthode générale à employer pour organiser les relations de I~abstrait au concret en mathématiques., par la représentation analytique des phénomènes natureJs» (CPP.,12e Jeço~ t 1.,p~350) (4). La troisième phase de la révolution scientifique, née avant la fin du XVlIè siècJe" est ):tépoque des Lumières et de ):tYlCyclopédie" qui verra la mise au jour du concept même de science positive" avant le syntagme qui apparaît. ]aa.maiTement (S) pour ne s'imposer qu'avec Saint-Simon (1812) et Comte (1817). Si le positivisme de Comte était impossible avant l'ère dite de la science positive, l'interprétation positive de la physique:t avec le phénoménalisme de Galilée et la doub[e méthode de Newton [une méthode d~analyse induisant les lois à partir des observations et une méthode axiomatique les déduisant à partir d'un système d'axiomes]~ reposait déjà sur la conception du progrès des COI111OÏssancesdmlS l'histoire, En réfé2) 3) 4) 5) DEP~ notre sigle pour Discours sur l'' esprit positif SPP-snotre sigle pour ,SYstème Je politique positive. LVP, notre sigle pour Cours de philosoplùe positive, Se éd" {1893-1W;;4} D"apres les travaux de Kremer-Marietti: dès 1740. 9 rence à la science positive qui est son fondement, nous dirons que le positivisme comtien est un positivisme scientifique. III. - La philosophie positive Sur la base de l'observation et de l'expérience, et de l'épistémologie qu'elles impliquent, on trouve des précurseurs du positivisme dans tous les phénoménalismes et tous les nominalismes. David Hume (1711-1776), phénoménaliste puisqu'il ne dépasse pas la sphère de l'expérience humaine et nominaliste puisqu'il refuse tout référent au terme substance (critiquant, dans le premier cas, le principe de causalité, et, dans le second cas, la notion de sujet), est un précurseur du positivisme qui n'admet dans tous les domaines qu'un rapport entre les faits observés: un énoncé relatif. Moins radical que Hume, Jean Le Rond d'Alembert (1717-1783) est phénoménaliste dans la mesure où, sensualiste, il rejette la métaphysique; et il est nominaliste dans la mesure où pour lui tout savoir abstrait enregistre des données expérimentales dans une classification: son Discours préliminaire de l'Encyclopédie (1751) pose le principe objectif d'une classification selon l'ordre « naturel» des connaissances, c'est-à-dire l'ordre encyclopédique et chronologique. Le sensualiste Condorcet (1743-1794), « prédécesseur immédiat » d'Auguste Comte selon Comte lui-même, a étudié les grands faits de l'histoire humaine dans leur rapport avec le progrès humain, du point de vue des « lumières» et du point de vue de l'émancipation sociale. Aussi, on comprendra le projet théorique de Comte d'établir la politique comme science sociale par le détour encyclopédique et historique; projet théorique formulé en vue de l'objectif pra10 tique: rénover la société. Partant de tous les faits scientifiques, y compris les faits sociaux, pour aboutir à un système social total qui soit la théorie et la pratique d'une société nouvelle, le positivisme d'Auguste Comte, premier positivisme déclaré, est une théorie critique et constructive appuyée sur une épistémologie créatrice. Le critère n'y concerne pas simplement les faits qui-sont l'objet de la pensée scientifique, mais encore le progrès réel de la pensée dans son résultat abstrait, les sciences positives. C'est un positivisme scientifique. Pris au sens large, le positivisme a été la philosophie de Claude Bernard, de Berthollet et de Berthelot. John Stuart Mill dans la direction de l'utilitarisme, Spencer dans la direction de l'évolutionnisme, Mach et Avenarius dans la direction de l'empiriocriticisme en sont proches, tout comme le conventionnalisme de Duhem, Henri Poincaré, Ed. Le Roy, le pragmatisme de Peirce, William James, John Dewey, la sémiotique de Morris. L'empirisme logique des héritiers du Cercle de Vienne et, dans ce Cercle, le physicalisme de N eurath et le constructivisme de Carnap, enfin la méthodologie opérationnelle des sciences de Bridgman sont classés sous la rubrique du néo-positivisme ou positivisme logique. Il CHAPITRE II LE POSITIVISME SCIENTIFIQUE D'AUGUSTE COMTE I. - L'anthropologie positiviste Pour la première fois avec Auguste Comte la philosophie a abandonné la théorie de la con.n~is. sance traditionnelle pour une théorie de la science. Et il faut dire : une théorie de la science comprise comme le produit de la société dans son histoire. Il est facile de se convaincre de l'attitude nouvelle qu'un tel abandon implique. Qu'Auguste Comte en soit à l'origine justifie assez qu'on lise ce philosophe. Chez Auguste Comte, le sujet, comme chez Kant, devient le pivot de la connaissance, mais, en outre, il ne se maintient dans son identité de sujet connaissant que dans sa relation à l'objet connu ou à connattre, qui le fait être, lui donne son statut. Ainsi le sujet connaissant n'a-t-il que l'objet qu'il mérite; mais encore, l'objet scientifique ne se trouve plus coupé du sujet qui l'énonce. Sujet et objet s'avèrent subordonnés au monde qui les porte, à un même « milieu commun ». En effet, Auguste Comte découVTe ce qu'il appelle la « véritable économie intellectuelle ». La première loi de la théorie statique de l'entendement est la base de cette économie; c'est la « subordination totale de 12 l'homme envers le monde» (SPP, III, p. 18). Notre dépendance intellectuelle du réel est calquée sur notre dépendance corporelle du milieu physique, comme il en est également de tout élément individuel relativement au tout de la société. L'ordre réel qui fournit aux fonctions corporelles l'aliment, le stimulant et le régulateur régit aussi l'entendement. Telle est la conception anthropologique possible avec la prééminence philosophique de la sociologie et c'est ce que Comte ramène à la biologie statique comme à la statique sociale d'Aristote (SPP, I, p. 574, et SPP, II, p. 351). Cette première loi de l'entendement tient lieu de toute l'Analytique transcendantale de la Critique de la raison pure. L'Analytique des principes montre pour Kant comment le schème détermine le sens intérieur selon les conditions de la forme reconnue du temps; elle montre aussi comment il est une détermination a priori du temps s'ordonnant aux opérations explicitées pour l'Analytique des concepts: c'est-à-dire aux catégories, ou concepts purs de l'entendement les catégories correspondant elles-mêmes aux fonctions logiques des jugements de l'entendement. Le développement de l'Analytique des principes confirme donc que la possibilité de l'expériènce a pour condition le temps; et si, derrière Heidegger, on apprécie le ~ 10 de la 3e section du 1er chapitre de l'Analytique des concepts, on comprendra la signification de cette condition de l'expérience qu'est le temps, car dans ce ~ 10 consacré aux catégories Kant affirme que l'espace et le temps sont les - - conditions de la réceptivité de notre esprit - condi- tions qui par conséquent doivent aussi en affecter le concept. La pensée pure s'ordonne donc au pur divers. C'est aussi ce qu'Auguste Comte positivement énonce dans la première loi de sa théorie 13 statique de l'entendement. Nos langages scientifiques nous montrent ce que nous devons reconnaître pour notre monde compte tenu des systèmes de signes de notre société, le langage étant l'un d'eux. La seconde loi de la théorie statique de l'entendement donne le pas à la perception sur la représentation, aux images extérieures sur les images intérieures reprenant à sa manière ce qu'affirme, par ailleurs, Kant: connaître un objet, c'est en en avoir le concept et l'intuition, tandis que le penser c'est n'avoir que le concept sans l'intuition qui le donne. Et la troisième loi d'Auguste Comte invoque la prépondérance de l'image normale; celleci règle les produits de l'intuition en réponse à la nécessité de sa ({ normalité » : Auguste Comte semble reprendre ici une autre affirmation de Kant, à savoir que l'entendement opère la synthèse transcendantale de la diversité des intuitions, produisant ainsi le concept. Cette dernière loi comtienne institue donc la règle qui rend possible la normalité de la perception. Cette idée de la prépondérance de l'image normale « naturalise », pour ainsi dire, ce qui chez Kant est pure catégorie. Avec Auguste Comte, l'hypothèse des catégories de l'entendement est rendue inutile du fait de la double théorie statique et dynamique de l'entendement. En effet, là où la théorie statique souligne le rapport de la normalité du cerveau avec le bon choix des représentations d'un entendement régulé, la théorie dynamique implique cet entendement historiquement et socialement constitué; d'une part, l'histoire humaine entraîne l'acceptation de la règle d'un mode de pensée dépendant du système prévalant dans le temps social; et, d'autre part, l'histoire naturelle dicte le mode permanent d'appréhension de la 14 pensée soumise à l'observation et au raisonnement. Comme l'a justement noté Jürgen Habermas (1), ce que perd une théorie de la science (positiviste) par rapport à une théorie de la connaissance (métaphysique), c'est le point de vue de la constitutioll des objets de l'expérience possible; le seul recours dans la perspective comtienne n'est plus alors qu'historique. Tandis qu'elle en était encore à son origine et avant même sa formulation comme science positive, la science nouvelle « positive» a été la réponse historique à la querelle des anciens et des modernes: elle a prouvé par le mouvement que, selon le mot de Giordano Bruno, « la vérité est en progrès» et que « nous sommes plus vieux que nos ancêtres ». C'est ainsi que la science positive dès l'origine a eu partie liée avec le progrès temporel, c'est-à-dire l'histoire. L'auteur qui semble avoir le premier formulé la pensée et l'expression de « science positive » est J uvenel de Carlencas; la préface de la première édition de ses Essais de 1740 constitue peut-être la première apologie de l'histoire des sciences. Quand on se rappelle qu'Auguste Comte, pour lui-même, proposera vainement en 1832 et en 1846 la création d'une chaire d'histoire des sciences au Collège de France, et qu'elle sera créée plus tard et occupée par son disciple Pierre Laffitte, on peut voir dans cette apologie plus qu'un signe. Car c'est le point de vue historique qui déjà s'affirme avec Juvenel de Carlencas contre le point de vue ontologique. Dans le Catéchisme positiviste, Auguste Comte évoque l'analyse fondamentale qui est la sienne, et qui, écrit-il, « ramène l'étude des êtres à celle des événements» (éd. G.-F., p. 91). Les structures du positivisme sont anthropolo(1) Cf. Connaissance et intér~t, Paris, éd. Gallimard, 1976. 15 giques dans la mesure où le sujet de la science positive qui les pense subordonne sa pensée aux matériaux objectifs, et ses images intérieures aux images extérieures. L'agitation cérébrale devient cogitation sous la régulation de l'image normale; cette dernière résulte du développement de notre intelligence sous la domination du milieu physique et social qui l'alimente, la stimule et la règle. C'est dire la participation des sens nécessaire à la constitution de la science positive, ainsi que l'absence de coupure délibérée entre le niveau perceptuel et le niveau conceptuel: le passage de l'un à l'autre est une élaboration théorique dans laquelle le concept abstrait garde ses racines dans le concret. Il ne faut pas oublier qu'Auguste Comte considère la Géométrie analytique de Descartes comme le modèle de la science positive, car elle allie parfaitement l'intuition géométrique au raisonnement algébrique, c'est-à-dire la logique des images à la logique des signes; elle met ainsi en œuvre la relation du concret à l'abstrait, qui est pour Comte le véritable schème explicatif du monde. « Positif » caractérise dès lors un type de connaissance s'exprimant par la formulation d'une « loi naturelle» reliant des observations elles-mêmes formulées. C'est ainsi qu'Auguste Comte participe au courant anthropologique du début du XIXe siècle, à l'origine duquel se trouvent Buffon, Barthez et Cabanis. Il ne fait qu'accomplir une pensée virtuellement comprise dans la notion même de science positive qui implique la positivité du phénomène humain et même d'une nature humaine concrète, objet de connaissance abstraite, c'est-à..dire réductible aux jeux abstraits de la diversité des langages scienti.. fiques. Déterminée par cette science d'observation ne 16