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La dynamique macroéconomique de
l’épargne en Argentine : inertie du cycle ou
changement structurel ?
Document de synthèse
Convention
Institut Caisse des Dépôts et Consignations pour la Recherche Scientifique /
CNP ASSURANCES SA /
CREPPREM/Université Pierre Mendès-France – Grenoble 2 /
Centro de Investigaciones y Estudios en Políticas Públicas (CIEPP Buenos Aires)
Jaime Marques Pereira
Professeur à l’Université de Picardie Jules Verne
Rubén Lo Vuolo
Directeur du CIEPP
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Remerciements
Cette recherche a été menée grâce à une coopération entre le CIEPP (Centro de
Investigaciones y Estudios en Políticas Públicas) de Buenos Aires et le CEPSE (Centre
d’Etudes de la pensée et des systèmes économiques) de l’Université Pierre Mendès France de
Grenoble, aujourd’hui intégré au CREPPREM (Centre de Recherches Economiques sur les
Politiques Publiques dans une Economie de Marché). Je remercie le CEPSE de sa stimulation
intellectuelle à ce travail. Je tiens aussi à remercier sur ce plan le CRIISEA/UPJV (Centre de
recherche sur l’industrie et systèmes économiques d’Amiens Université de Picardie Jules
Verne), mon actuel laboratoire. Un remerciement particulier s’adresse en outre à l’Institut
CDC pour la recherche en la personne d’Isabelle Laudier pour le soutien au renouvellement
du débat académique sur l’épargne et la finance de long terme. Enfin, je remercie l’appui de
CNP Assurances et tout particulièrement Jerôme Garnier, directeur de son antenne de Buenos
Aires au moment de cette recherche.
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INTRODUCTION.......................................................................................................... 4
I - L’INERTIE DES DETERMINANTS MACROECONOMIQUES .............................. 6
1. Le poids de l’histoire : du cycle « investissement-épargne interne » au cycle
« endettement-épargne externe »....................................................................................8
2. Epargne et investissement........................................................................................ 11
3. Le système institutionnel d’intermédiation financière de l’épargne........................ 16
II - LES CONDITIONS DU CHANGEMENT................................................................ 21
1. Le conflit distributif et le long terme .......................................................................23
2. Les variables d’un scénario de progression soutenable de l’épargne..................... 25
3. De la théorie au « lock in » des institutions..............................................................26
Annexe : Théories et pratiques d'épargne à l'épreuve des crises financières
Bibliographie................................................................................................................38
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INTRODUCTION
L’objet de cette recherche face à la crise mondiale
L’objet de cette recherche était d’évaluer les perspectives à long terme de l’épargne en
Argentine. De prime abord, un tel objet soulevait un défi particulier : le poids de la conjoncture
externe. La crise actuelle rend à présent toute prévision bien plus incertaine. Les changements de
l’économie mondiale étaient perçus comme durables jusqu’à l’éclatement d’une crise financière
mondiale non anticipée. La sortie de la crise argentine de 2001/2002 avait débouché sur une croissance
élevée. L’épargne domestique était érigée en variable clé d’un changement structurel où se jouait la
reconstruction d’une vision du long terme, détruite par une crise systémique.
L’analyse statistique habituelle de séries longues ne pouvait suffire pour discerner la
possibilité ou non du changement structurel qu’engageait la forte croissance observable depuis 2003,
aux dires des experts gouvernementaux. La progression de l’épargne publique était, certes, inédite
dans une phase ascendante du cycle. Cela ne signifiait pas nécessairement que le long terme ait été
repensé. Cette étude montre qu’a en fait prédominé une simple projection du court terme, assise sur
l’anticipation d’une rente agricole croissante fixant l’horizon de la politique économique. Les
nouveaux équilibres courants, que visait un taux de change compétitif et prévisible, rendaient
compatibles le maintien d’un excédent budgétaire et d’une croissance élevée générant une forte
progression de l’emploi. Ils paraissaient donc soutenables.
La crise mondiale en cours interroge ces évaluations. Les origines de cette crise rappellent la
crise argentine de 2001/2002. L’une et l’autre ont dévoilé l’illusion du long terme qu’entretient une
croissance la progression de la demande est alimentée par un endettement cumulatif. Ces deux
crises sont par ailleurs reliées par une structure de financement mondial l’épargne des économies
émergentes est cruciale. A quasi dix ans de distance, ces deux crises engagent une double révision
intellectuelle de l’épargne qu’il faut prendre pour variable de ce qu’elle peut devenir (voir annexe). Le
pari d’une croissance assurant la progression de l’épargne domestique dans les économies émergentes
était complémentaire au pari nord-américain que les déficits jumeaux croissants soient soutenables.
Théories et scénarios
La théorie à la base de tels paris nous était apparue, dès le départ de cette recherche, comme
une clé de compréhension des permanences et des ruptures du régime de croissance que pouvait
signifier en Argentine la priorité donnée à la progression de l’épargne domestique. Le contexte
macroéconomique, tant international que national, qui encadre les évolutions possibles de l’épargne
n’est pas réductible aux seules données mesurables. L’objectivité des grandeurs est une objectivation
de relations sociales, lesquelles sont ainsi perçues comme des rapports entre des valeurs d’échange
régulées. La théorie de cette régulation est aujourd’hui en mutation. On la considère dans cette
recherche comme une variable des scénarios définissant une alternative de « gouvernementalité
économique », au sens de Foucault
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. Ces scénarios sont déduits de l’analyse de l’ajustement erratique
des cycles d’épargne et d’investissement depuis une trentaine d’années ; ils explicitent sur cette base la
possibilité de deux voies d’évolution du conflit distributif pouvant résulter de la stratégie
gouvernementale visant à rendre cet ajustement désormais soutenable.
Les corrélations observables suggèrent que l’investissement dépend des profits tant que
l’épargne disponible peut gager leur valeur externe en devises en se plaçant sur le marché de la dette
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La gouvernementalité des populations peut se définir comme ensemble de technologies sociales de gouvernement qui
configurent ce que l’auteur du concept appelle dans sa leçon inaugurale au Collège de France, « l’ordre du discours ». La
portée économique du concept - comprendre le rapport des structures économiques à la pensée qui permet de les mettre en
œuvre, ce qu’il appelle un dispositif de savoir / pouvoir – est bien systématisée dans les « leçons du 18 et 25 janvier 1978 »
(Foucault, 2004).
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publique. On peut en déduire que les marges de manœuvre politiques de la politique économique sont
actuellement une fonction inverse des salaires, ce qui a impliqué la perte relative du contrôle de
l’inflation, révélée par l’écart entre l’indice officiel national et d’autres indices établis par des entités
privées ou publiques tels que certaines provinces
2
. On conclut de cette analyse que la stratégie de
réduction de la dette publique (et donc, de substitution d’épargne étrangère par plus d’épargne
domestique) requiert alors un autre compromis distributif qui coordonnerait, sur le plan monétaire, la
possibilité d’un plus large financement bancaire de l’investissement générateur d’une épargne longue
dont l’évaluation n’ait plus à être gagée sur la dette publique.
C’est là le chaînon manquant de la stratégie gouvernementale que recèle une structure
financière encore plus centrée sur les titres qu’elle l’était dans les années 1990 et non pas sur
l’intermédiation épargne / investissement. Cela est la limite de ce qu’une théorie de la stabilisation
permet de concevoir dès lors que celle-ci est une théorie de court terme n’offrant aux agents d’autre
vision du long terme que celle, contestable, d’un désendettement public soutenable alors que
l’indexation des bons par un taux d’inflation faux suggère l’inverse.
Cette expression du conflit distributif dans la valeur nominale de l’épargne placée sur les bons
souverains met en évidence que le pari de rompre l’inertie du stop and go de la politique économique
n’était pas gagné. Cette conclusion, établie à la veille de la crise, prend maintenant une tout autre
dimension, ce que dénote l’usage récent des réserves pour le service de la dette publique (Lo Vuolo,
2010). Dans cette phase critique, qui s’annonce en l’absence de perspectives de reprise des économies
nord-américaine et européenne, va se jouer la force de l’inertie face aux velléités gouvernementales de
changement structurel. L’évolution du débat sur le rapport entre l’épargne et l’investissement est alors
décisive et elle sera évidemment marquée par le bouleversement intellectuel concernant le rôle de la
finance de long terme, problème mondial dont l’Argentine n’est qu’un cas particulier.
L’hypothèse d’inertie a été étudiée sur la base de l’analyse des données, qu’a réalisée l’équipe
du CIEPP de Buenos Aires. Le premier point de ce document de synthèse en présente l’argumentation
qui précise trois niveaux de détermination de l’épargne. L’histoire de la dette publique. Les conditions
de l’équilibre comptable épargne / investissement. Une intermédiation financière expliquant
l’importance que conserve l’épargne corporative.
La possibilité d’un changement structurel, dont rend compte le second point, est abordée dans
le rapport final sous trois angles. Le rapport de l’épargne nationale au conflit distributif dans la crise
monétaire 2001/02 et son issue. L’état des lieux des théories du rapport épargne / investissement /
stabilité. Et, en annexe de ce rapport final, est jointe une analyse anthropologique de l’épargne
populaire qui donne un tableau de cet excédent négligé par les catégories de l’analyse économique.
L’enseignement de ces études est de préciser ce qu’on peut appeler un blocage cognitif faisant du
change compétitif le seul pilier du compromis distributif. Le dénouement politique de ce block in des
institutions de la répartition conditionne la possibilité d’une progression de l’épargne, alimentée par
celle de l’investissement.
Chacun de ces points est premièrement présenté sous forme d’un bref résumé de ses résultats
dont l’argumentation est ensuite détaillée.
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Les mesures de quatre d’entre elles, synthétisées en un seul indice, dévoile aujourd’hui que cet écart est
croissant et que l’inflation serait à présent de 30 % (Barbeito, 2010).
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