1 SOUTENANCE A CRETEIL UNIVERSITE PARIS VAL-DE-MARNE FACULTE DE MEDECINE DE CRETEIL ***************** ANNEE 2005 N° : THESE POUR LE DIPLOME D’ETAT DE DOCTEUR EN MEDECINE Discipline : Médecine Générale ***************** Présentée et soutenue publiquement le A CRETEIL (PARIS XII) ***************** Par : LUCE Christelle Née le :12.10.1970 à DRAVEIL (91210) ***************** TITRE : Description clinique et moyens de prise en charge actuels des troubles du comportement alimentaire (TCA) chez l’adolescent : anorexie, boulimie. DIRECTEUR DE THESE : Dr. BIBAS Jean Pierre UNIVERSITAIRE LE CONSERVATEUR DE LA BIBLIOTHEQUE Signature du Cachet de la bibliothèque Directeur de Thèse 2 universitaire MOYENS DE PRISE EN CHARGE DES L’ADOLESCENT. 3 TCA ( anorexie et boulimie) CHEZ 4 REMERCIEMENTS : Je remercie : Les membres du jury. Les Enseignants de la Faculté de Médecine de Créteil. Le Dr. Bibas Jean Pierre, médecin généraliste à La Queue en Brie 77, professeur de médecine générale à la Faculté de médecine de Créteil H. Mondor. Le Dr. Benvéniste Régine, psychiatre attaché à l’Hôpital Necker à Paris. Le Dr. Vindreau Christine, psychiatre, praticien hospitalier à l’hôpital Paul Brousse Villejuif 94. Le Dr. Rouer-Saporta Sylvie, psychiatre, praticien hospitalier à l’hôpital Ste. Anne Paris. Le Dr. Vidon Gille, psychiatre, chef de service à l’hopital Esquirol. St. Maurice 94. Mme. Lembach Béatrice, psychologue psychanalyste à Draveil 91. M. Luce Claude, Mme Guillon Rolande. Valérie Silvagnoli et Cécile Chanvril, infirmières en psychiatrie à l’hôpital Esquirol de St. Maurice 94, et toute l’équipe soignante de Royer-Collard. Je dédie cette thèse à ma grand-mère Hélène. 5 SOMMAIRE. I- Connaissances actuelles sur les TCA chez l’adolescent. A- L’ANOREXIE. 1°- Historique ------------------------------------------------------------ p 6 2°- Définition : classification DSM IV , CIM 10 ------------------- p 11 3°- Caractéristiques épidémiologiques ------------------------------- p 13 4°- Etiologie ------------------------------------------ p 14 5°- Diagnostic ----------------------------------------------------------- p 22 a- Présentation clinique de l’anorexie : forme typique de l’adolescent. ---------------------------------------------------------- p 22 b- Latence du diagnostic de l’anorexie --------------------------- p 22 c- Troubles psychiatriques : anorexie névrose ou psychose --- p 23 d- Troubles somatiques rencontrés dans l’anorexie ------------- p 23 e- Troubles biologiques --------------------------------------------- p 23 f- Signes de gravité -------------------------------------------------- p 24 g- Formes cliniques. 6°- Diagnostic différentiel --------------------------------------------- p 24 7°- Evolution pronostic ----------------------------------------------- p 25 B- LA BOULIMIE. 1°- Historique ----------------------------------------------------- ------ p 28 2°- Définition : classification DSM IV et CIM10 3°-Caractéristiques épidémiologiques -------------------------------- p 35 4°- Modèles conceptuels p 36 a- Facteurs pré disposants -------------------------------------------- p 39 b- Facteurs déclenchants ----------------------------------------------- p 40 c- Facteurs d’entretien ------ 6 -------------------------------------------- d- Hypothèses sociologiques ------------------------------------------p 41 e- Modèle biologique --------------------------------------------------- p 42 f- Modèle génétique --------------------------------------------------- p 43 g- Modèle cognitivo- comportemental ----------------------------- p 43 h- Modèle psychanalytique ------------------------------------------ p 46 5°- Diagnostic 6°- Diagnostic différentiel. 7°- Evolution et pronostic. II- Psychopathologie des conduites centrées sur le corps chez l’adolescent. 1°- Le problème du corps chez l’adolescent. ----------------------------- p 53 2°- Le schéma corporel. ----------------------------------------------------- p 54 3°- L’image du corps. -------------------------------------------------------- p 54 4°- Le corps social ------------------------------------------------------------ p 55 5°- Le besoin de maîtrise . --------------------------------------------------- p 58 6°- La place de la régression. ----------------------------------------------- p 59 III- Moyens de prise en charge thérapeutique actuels des TCA chez l’adolescent. A- Hospitalisation. 1°- Cas de l’anorexie -------------------------------------------------- p 63 2°- Cas de la boulimie ------------------------------------------------- p 65 3°- Déroulement de l’hospitalisation -------------------------------- p 66 B-Suivi ambulatoire -------------------------------------------------------- p 67 1°- Consultation psychiatrique --------------------------------------- p 70 2°- Consultation en médecine générale ----------------------------- p 74 3° -Approche nutritionnelle -------------------------------------------- p 76 4°- Approche cognitivo-comportementale --------------------------- p 81 5°- Approche analytique ----------------------------------------------- p 84 6°- Thérapie corporelle ------------------------------------------------ p 87 7°- Thérapie familiale -------------------------------------------------- p 89 8°- Groupes d’entraide ------------------------------------------------- p 90 C- Prise en charge dans une 7 structure en réseau. 1° Définition --------------------------------------------------------------- p 94 2° Organisation et fonctionnement d’un réseau ----------------------- p 93 3°-Différents sites cliniques fonctionnant en réseau ------------------ p 96 IV-Conclusion.----------------------------------------------------------------------------p 99 V- Bibliographie. ------------------------------------------------------------------------ p 103 8 I- Connaissances actuelles sur les T.C.A. chez l’adolescent. A- L’ANOREXIE. L’anorexie pose à la médecine des questions qui débordent ses représentations habituelles du symptôme. Pour autant, la médecine se trouve obligée de répondre en miroir aux exploits de l’anorexique par d’autres exploits que le développement de la science lui rend toujours plus aisé. [ 25 ] Comment comprendre les « mystérieux sauts du psychique dans le somatique » (S. Freud), la façon dont « l’âme est chevillée au corps » (P. Benoit), la façon dont le corps peut-être « malade des signifiants » (F. Perrier), explore la faille épistémosmatique, « l’effet que va avoir le progrès de la science sur la relation de la médecine sur le corps » (J. Lacan). En frôlant la mort pour que s’affirme son être, l’anorexique pousse le médecin et le psychanalyste aux limites de leur éthique respective. [ 25 ] Pourquoi les anorexiques sont-elles contraintes de prendre le risque de mourir pour vivre ? A l’instar de tout symptôme qui s’habille des fictions d’une époque, l’appétence pour le vide et l’addiction au manque prennent la couleur du temps : si au 14 ème siècle les mystiques visaient la mortification, la désincarnation pour l’amour de Dieu, si elles se fondaient en Dieu, les dieux de pacotille des magazines aspirent les adolescentes dans leur miroir aux alouettes, où elles s’évanouissent en reflet fumeux… dans l’espoir de se trouver et se prouver qu’un trait les soutiendrait qui sous tendrait leur être. Appel de l’essentiel ou mirage du vent, les anorexiques s’engagent dans une expérience de l’extrême. Dans la quête insatiable de rester sur leur faim, elles se dépouillent et se vident jusqu’à ce que, bouclées sur ellesmême, elles fassent de leur corps un bunker deshabité. [ 34 ] Au delà du repli narcissique pourtant, la question de l’adresse n’est pas sans objet : à quel Autre font-elles signe de leur corps délesté qui en appelle au regard, pour lui signifier l’horreur d’être soi ? Dans quelle tourmente d’amour et de haine, de rage et de culpabilité se débattent-elles, pour faire ainsi, du flirt avec la mort leur enjeu de vie ? [ 25 ] 9 1°- Historique. [ 19 ] [ 25 ]. Les premières descriptions de « l’anorexie nerveuse » datent des années 1870 et un siècle plus tard, la multiplication des cas identiques par les médecins fait évoquer une « épidémie » chez les jeunes filles occidentales. En réalité, le jeûne utilisé par la femme pour garder la maîtrise de son corps et de son environnement existait au Moyen Age. Avec l’anorexie nerveuse, la révolution industrielle connaît « l’émergence d’une maladie moderne » (Joan Blunberg). Le 19 ème siècle a promu l’identification, la classification et la description de nombreuses maladies. L’exigence de nouvelles nosologies, comme le développement clinique du diagnostic différentiel, explique comment l’anorexie nerveuse est devenue une entité pathologique indépendante. Vers 1850, les dictionnaires médicaux décrivent encore l’anorexie comme un symptôme non spécifique, soit l’absence d’appétit qui caractérise nombre de maladies. Parmi les premiers à identifier et à traiter l’anorexie on compte les responsables d’asiles aux Etats Unis. Dans ces institutions, les surintendants craignent de voir mourir les patientes placées sous leur responsabilité par le refus de s’alimenter, ce qui les conduit à concevoir une thérapie fondée sur l’intimidation et la force. Il s’agissait de gaver la patiente par le biais d’un appareillage dont la seule vue suffisait souvent à faire s’alimenter l’aliénée. Les praticiens de ville se trouvent aussi confrontés à un type de patientes qui refusent de se nourrir, issues de familles fortunées, elles bénéficient d’un suivi médical personnalisé, de préférence à un placement infamant en asile. Quand la maladie moderne « anorexie nerveuse » fut nommée et identifiée, les médecins et les familles s’accordèrent aussitôt à lui reconnaître une existence précisément parce que la maladie correspond à un diagnostic médical qui se conforme à leurs exigences cliniques et sociales. Le succès de la nouvelle nosologie se fonde sur l’idée que la patiente n’est pas folle, mais est trop malade pour rester sans soin médical. [ 19 ] L’une des premières descriptions importantes d’anorexie nerveuse émane de William Withey Gull, médecin auprès de la reine Victoria qui l’anoblit en 1872, dont le statut social et l’avis faisait autorité. Il décrit la pathologie comme une affection du nerf pneumogastrique, théorie largement acceptée par ses confrères favorables à un fondement 10 physiologique. Il ne propose pas une prise en charge systématique des patientes mais plusieurs options selon les cas : soins d’une infirmière à domicile qui alimente la jeune fille de façon régulière ou séparation de l’environnement familial, mais options nécessitant toutes une aisance financière. Plus tard, les propositions thérapeutiques dérivent à la fois de la théorie clinique de l’anorexie, de l’opinion commune à son égard- le manque d’autorité familiale- et aussi des prises en charge médicales possibles. En effet, les médecins considèrent le plus souvent qu’il faut retirer la jeune fille à ses parents ; l’exercice de l’autorité médicale jugée supérieure à celle de la famille, suffit à rétablir l’alimentation. Pourtant, la question de savoir où placer les jeunes filles reste ouverte et nombre de praticiens craignent de voir se développer des asiles privés lucratifs. [ 19 ] En marge des théories médicales, dans le roman Emma Bovary, Gustave Flaubert trace un portrait exemplaire de l’une de ces jeunes filles de l’époque victorienne qui refuse de s’alimenter.L’enfance d’Emma baigne dans un univers de nourriture, gouverné par les mêmes valeurs qui régissent la société. Au banquet de la Vaubyessard, les élites sociales ont le « teint de la richesse, ce teint blanc que rehaussent la pâleur des porcelaines, les moires du satin, le vernis des beaux meubles et qu’entretient dans sa santé un régime discret de nourritures exquises ». (vol I p. 591). A ce « régime discret » Emma soumet son corps déçu par un mariage qui ne lui apporte qu’insatisfactions « C’était surtout aux heures des repas qu’elle n’en pouvait plus dans cette petite salle au rez de chaussée avec le poêle qui fumait, la porte qui criait, les murs qui suintaient, les pavés humides : toute l’amertume de l’existence lui semblait servie dans son assiette, et à la fumée du bouilli, il montait du fond de son âme comme d’autres bouffées d’affadissement. Charles était long à manger, elle grignotait quelques noisettes ou bien appuyée sur un coude, s’amusait avec la pointe de son couteau à faire des raies sur la toile cirée » (vol I p. 596). En femme du 19 ème siècle, Emma est mineure ; pour s’accomplir elle n’a d’autre alternative économique ou sociale que le mariage. Par erreur l’héroïne avait perçu celui-ci comme un moyen de s’accomplir pleinement ; elle découvre alors le contrôle qu’elle peut avoir sur sa vie grâce à son régime alimentaire. Refuser la nourriture devient un moyen symbolique de répudier son statut et son rôle dans la vie et surtout un moyen 11 efficace de contrôler Charles, qui envisage un moment de quitter la région si sa santé ne s’améliore pas. Lorsqu’elle cède à Rodolphe, elle perd le maigre pouvoir qu’elle a acquis sur elle même et sur son environnement. En un sens, la scène de son suicide, où elle absorbe de l’arsenic par poignées, renverse le rapport à la nourriture qu’elle avait jusque là développé. [ 19 ] Comme anorexique mariée, Emma reste cependant une exception. Certes, Flaubert a bien perçu les ressorts psychologiques liés à la maladie, dimension ignorée par William Gull. Le facteur psychologique est en revanche décrit par le médecin aliéniste Charles Lasègue. Chef de clinique à la Pitié, il fait en 1873 la description d’une femme anorexique, qu’il appelle gastrique ou hystérique, à partir de cas cliniques étudiés dans sa pratique privée. Il repère très tôt les formes de conflits intra familiaux entre l ‘adolescente et ses parents. Devant le refus de s’alimenter, les parents proposent une alternative soit en offrant à la fille une nourriture désirable, soit en faisant valoir que manger est une expression de l’amour filial. Dans un deuxième temps, le refus de s’alimenter devient le seul objet de préoccupation de la famille ainsi qu’une satisfaction de la jeune fille vis à vis de sa condition. Lorsque la détérioration physique de la jeune fille devient par trop patente et que la crainte de la mort qui agite sa famille la gagne, elle choisit le plus souvent de se soumettre partiellement de façon à éviter le pire, sans abandonner ses convictions. [ 19 ] Charles Lasègue n’offre pas de solution thérapeutique, mais remarque seulement la difficulté qu’il y a à rétablir une alimentation normale. Dans l’étiologie de la maladie, Lasègue avait noté « les projets de mariages avérés ou imaginaires ». Dans l’environnement bourgeois de la fin du 19 ème siècle, les enfants moins nombreux reçoivent davantage d’attention parentale, en attendant l’âge du mariage ; néanmoins, la fille du 19 ème siècle reste un instrument important d’aspiration familiale. A une époque où l’alimentation est jugée importante dans l’économie familiale, à la fois comme un moment privilégié de la vie de famille mais aussi comme un moyen de valoriser ou de punir l’enfant. A un moment où l’enfant devient l’objet constant de l’attention de la mère à qui revient la lourde responsabilité d’en faire une femme accomplie ; à une époque enfin où la société offre un modèle de femme adulte sujette à la maladie et à la fragilité, la fille anorexique choisit parmi les comportements possibles, le plus efficace dans sa famille, puisque les parents répondent à 12 son refus de s’alimenter en offrant toujours davantage d’affection et de nourriture. En un sens c’est la société qui contraint la jeune fille à des troubles alimentaires et on peut parler, à cet égard, «de troubles ethniques » forme de réponse pathologique aux contradictions d’une société. [ 19 ] Une fois identifiée, l’anorexie nerveuse s’apparente à une autre maladie de l’adolescente : la chlorose. Forme d’anémie appelée ainsi en raison de la nuance verte qui prétendument marquait la peau de la patiente, la chlorose est bien connue et identifiée par les médecins qui lui ont trouvé une thérapie efficace sous la forme de sels ferreux : elle représente, avant sa disparition dans les années 1920, une forme normale de la maturation sexuelle de l’adolescente. La « maladie verte » caractérise dès le 16 ème siècle une affection dont les symptômes incluent la faiblesse, les troubles alimentaires, l’aménorrhée et le changement de couleur de peau. La médecine offre alors comme thérapie la saignée, le régime, l’exercice ou encore le mariage. De façon curieuse, la maladie persiste en dépit de profondes évolutions dans les conceptions de la puberté et de la menstruation. Des dérèglements de la menstruation aux troubles alimentaires, d’une maladie du foie à celle du sang, la maladies des vierges s’est constamment adaptée, à travers l’histoire, pour se conformer aux modes médicales. Mais les idées sous-jacentes sur le corps féminin ou le besoin de réguler la sexualité des jeunes femmes ont peu changé. [ 19 ] En quittant l’histoire longue des théories médicales, on peut tenter une histoire des « façons anorectiques d’être au monde » (Jacques Maitre) et du refus de s’alimenter des jeunes dans le temps, qu’il faut comprendre dans le cadre socioculturel où ce langage prend son sens. Les anorexies religieuses des époques médiévale et moderne relèvent de cette catégorie. Au Moyen Age, la nourriture constitue un symbole et une pratique au cœur de la théologie et de la dévotion chrétienne, plaçant le repas de l’eucharistie au centre du rituel chrétien. Dans ce cadre, pourtant, l’alimentation concernait davantage la piété féminine que masculine. Le jeûne est prédominant dans la vie des Saints comme il caractérise la plupart des contes moraux concernant les femmes. [ 25 ] On peut apporter une explication culturelle à la valeur accordée à cette pratique : dans ces sociétés, les femmes jouent un rôle prépondérant sur la préparation et la distribution de nourriture, qui explique leur place particulière dans les contes moraux. En outre, le jeûne donne aux 13 femmes médiévales, un contrôle sur elles-mêmes et sur leur environnement. Dans le débat sur l’existence des menstrues de la Vierge Marie, les Théologiens reconnaissaient déjà que le jeûne entraînait chez les Saintes , la suppression des menstruations. [ 19 ] Par le jeûne, les femmes résistaient également à leurs familles notamment au moment du mariage et aux autorités ecclésiastiques jugées corrompues, qui détenaient un pouvoir abusif sur l’eucharistie. Plus profondément, ces pratiques de jeûne s’inscrivent dans la symbolique que la femme revêt au Moyen-Age. L’anorexie a une longue histoire, inscrite dans le rapport des femmes à une société qui donne sens à leur corps, aux valeurs qui sont attachées à ce corps, à sa sexualité et à son alimentation. Depuis vingt ans, la recrudescence des cas d’anorexie parmi les jeunes femmes occidentales s’explique par les valeurs contradictoires proposées par la société d’abondance : idéal de minceur, nourriture excessivement riche. 2°- Définition : classification DSM IV. CIM 10 . [ 4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 11 ] Le DSM IV ne représente plus seulement le consensus d’experts qu’était fondamentalement le DSM III . Il est le résultat du regroupement d’un nombre considérable de données empiriques : revues de la littérature, ré-analyses de données cliniques, résultats d’études sur le terrain centrées sur des points litigieux de la classification. L’apport de nouvelles données est particulièrement sensible dans le domaine de l’épidémiologie. Par ailleurs, une autre innovation du DSM IV concerne, à côté des critères diagnostiques proprement dits, les critères de spécification permettant de délimiter de nombreuses formes cliniques, chaque fois qu’un nombre suffisant d’arguments justifie ces distinctions. Le plus souvent ceux-ci sont d’ordre pronostique ou ressortissent d’une réactivité thérapeutique différentielle. Si le principe même des critères diagnostiques n’est pas remis en cause, la primauté du jugement clinique est maintes fois réaffirmée. Les signes et symptômes ne peuvent accéder au rang de critère que s’ils sont suffisamment simples et non ambigus mais aussi responsables d’une souffrance de l’individu « cliniquement significative » et d’une altération ou d’une déficience du fonctionnement dans plusieurs domaines 14 importants comme le domaine social ou professionnel. Trouble des conduites alimentaires DSM IV = F 50.0 [307.1] ( Anorexie Nervosa). [ 5 ] a- Refus de maintenir le poids corporel au niveau ou au dessus d’un poids minimum normal pour l’âge et pour la taille (par exemple perte de poids conduisant au maintien du poids à moins de 85 % du poids attendu, ou incapacité à prendre du poids pendant la période de croissance conduisant à un poids inférieur à 85 % du poids attendu). b- Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros alors que le poids est inférieur à la normale. c- Altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, ou déni de la gravité de la maigreur actuelle. d- Chez les femmes post pubères, aménorrhées c’est à dire absence d’au moins trois cycles menstruels consécutifs (une femme est considérée comme aménorrhéique si les règles ne surviennent qu’après administration d’hormones par exemple oestrogènes). Spécifier le type : - Type restrictif : pendant l’épisode actuel d’anorexie mentale le sujet n’a pas, de manière régulière, présenté de crises de boulimie ni recouru aux vomissements provoqués ou à la prise de purgatifs (laxatifs, diurétiques, lavements). - Type avec crises de boulimie/vomissements ou prise de purgatifs : pendant l’épisode actuel d’anorexie mentale le sujet a, de manière régulière, présenté des crises de boulimie et /ou recouru aux vomissements provoqués ou à la prise de purgatifs. 3°- Caractéristiques épidémiologiques. La prédominance féminine est dans 15 toutes les études écrasante : 90% à 97% des cas. L’âge des survenue connaît deux pics vers 15/16 ans et 18/19 ans, âge fréquent du premier diagnostic. La prévalence, difficile à évaluer, sensible selon les étude, oscille entre 0,1 et 0’5% pour la population féminine de 16 à 25 ans (Chardy et Dantchev, 1989). ce taux paraît relativement stable au cours des années récentes. Les apparentés du premier degré ont un taux plus élevé d’anorexie mentale que la population générale, de même pour les jumeaux, en particulier homozygotes sans qu’on puisse expliquer cette incidence élevée pour une pathologie essentiellement psychogène. Enfin, on note une importante pathologie co-morbide : épisode dépressif majeur ou dysthymie (50 à 75%) avec, pour les troubles bipolaires, une prévalence de 4 à 6%. Pour les TOC (Troubles Obsessionnels compulsifs), la prévalence est d’environ 25% (Halmi et coll., 1991). On note une co-morbidité importante avec les troubles anxieux, en particulier la phobie sociale. L’usage abusif de substances n’est pas rare, mais plus souvent associé aux formes avec crises de boulimie et/ou usage de purgatifs : 12 à 17% (Herzog et coll.,1992). La famille appartient souvent aux classes socio professionnelles moyennes ou aisées. Contrairement à de nombreuses autres pathologies psychiatriques, divorces et séparations parentales ne sont pas plus fréquents : les familles au statut matrimonial « normal » semblent sur-représentées. On trouve plus souvent des troubles des conduites alimentaires dans les familles d’anorexiques que dans les familles témoins : il y aurait ainsi trois fois plus d’anorexiques parmi les apparentés du premier degré d’un sujet anorexique et 2,7 fois plus de boulimiques (Strober, 1985). Enfin, certains milieux socioprofessionnels ou culturels semblent à « risque » : mannequins, danseuses. 4°- Etiologie. L’anorexie une énigme ? Titre de l’un des nombreux livres consacrés à ce sujet, les facteurs à l’origine de ce trouble restent méconnus. Ici encore, il s’agit probablement d’une pathologie multifactorielle, cumulative, avec effet de seuil ( interaction entre des facteurs génétiques 16 encore non connus, des facteurs d’environnement et des facteurs psychologiques). - Approche psychopathologique et psychanalytique. Tenter de retracer de façon exhaustive les concepts qui ont été appelés pour rendre compte de cette pathologie féminine essentiellement transtructurels est une gageur tant les travaux sont pléthoriques. L’anorexie fascine, interpelle : outre les autobiographies d’anorexiques se prenant elles même pour objet d’études, les travaux théoriques qui en ont tenté la métapsychologie abondent, surabondent. L’anorexie a été tour à tour rangée sous la bannière de l’hystérie, de la névrose obsessionnelle, de la perversion, de la mélancolie, de la phobie, enfin des maladies addictives. Enigmatique, paradoxale, l’anorexie ne se laisse jamais enfermer ; rebelle elle subvertit toutes les catégories. [ 9 ] [ 18 ] Pathologie survenant au moment de l’adolescence, à ce temps, crise majeure voire décisive de ce qu’il en est du devenir Femme, crise dans le réel du corps, crise subjective d’une telle intensité qu’elle vient bouleverser les équilibres et acquis antérieurs en attente de validation et opérer des remaniements subjectifs à l’issue toujours incertaine. L’adolescente est le siège, dans son corps, de mutations violentes travaillées par le réel pubertaire en elle, c’est dans la violence de la poussée pulsionnelle qu’elle est arrachée au vert paradis des amours enfantines. Les défenses dont elle avait pu se servir pour éloigner le sexuel infantile pendant toute cette période de « latence » s’avèrent alors insuffisantes, inopérantes. Mise en demeure par ce réel qui la travaille au corps, quelle va être sa façon d’endosser ou de refuser ce nouveau corps encombrant, dérangeant, qu’elle ne peut faire sien, qui lui échappe sans cesse, mais qu’elle ne peut oublier, assaillie qu’elle est de l’extérieur par des regards intrusifs, regards de désir qui la piègent, prise en flagrant délit d’habiter un corps de Femme à son insu ? [ 18 ] Crise subjective d’une intensité extrême, comment faire face à cette double injonction qui lui est adressée : - cesser d’être un enfant - s’identifier à un avenir qui ne peut prendre forme faute de savoir qui elle est. Crise d’identité sur fond de deuils à - 17 opérer : deuil de l’enfant en soi, de cet enfant magnifique qu’elle fût pour ses parents, cette partie intime d’elle-même qu’elle doit abandonner pour grandir. - Deuil des objets oedipiens que l’irruption du sexuel rend désormais éminemment dangereux. - Deuil des étayages passés, des partitions anciennes. Crise de confiance qui touche d’abord les parents ; eux qui hier encore paraient à tous les dangers et qui ne sont, aujourd’hui, d’aucun secours dans les turbulences de cet immense désarroi. [ 9 ] Eux qui n’ont pas tenu parole : brûlure vive de la promesse oedipienne non tenue : « quand tu seras grande… ». Or elle est maintenant grande, plus grande que maman et même plus grande que papa et jamais elle ne s’est sentie aussi petite, aussi démunie. Déception qui l’oblige au retrait, à la pudeur, au retranchement, à la méfiance à l’égard du monde des adultes dont elle se détourne faute de le comprendre et d’être comprise de lui. Crise de confiance généralisée face à l’inconsistance de l’Autre (figures tutélaires référentes). Inconsistance de l’Autre qui ouvre sur un vide, vide angoissant gros de risque d’effondrement. C’est donc dans ce désert symbolique, moment d’incomparable solitude subjective, passage de tous les dangers qui vont surgir : efflorescences psychosomatiques pathologies et conduites à risques et dont l’anorexie semble être le paradigme. [ 9 ] C’est donc confrontée à un actif danger psychique, homogène au choix symbolique de son identité sexuée que l’adolescente va régresser à l’espace maternel. Si la différence sexuelle protège le garçon de l’intensification du lien à la mère, en ce moment de crise fondatrice la mêmeté du corps et du sexe y précipite la fille. Et si les mécanismes de défense intérieurs s’avèrent insuffisants à endiguer l’angoisse, une régression libidinale vertigineuse se mettra en place, régression qui va projeter la jeune fille vers les fixations orales, dans le monde oral du premier lien à la mère. [ 18 ] Monde oral, monde qu’on pourrait 18 qualifier d’anobjectal , monde de la complétude de la totalité unifiante du grand Tout unifiant, où, faute de coupure nette du sujet à l’objet, le logique qui s’y déploie serait « ce que j’aime , je le dévore et ce que j’aime me dévore ». Monde de l’indifférenciation qui renvoie à une mère archaïque : toute puissante, imprévisible, sans limite. Et l’anorexique, qui sous la menace d’un intense danger psychique est venu se réfugier dans ce pays du plus lointain passé, retrouvailles mortifères avec la nourriture même, se trouve donc dans cette situation paradoxale : son impossibilité à faire le deuil, à renoncer à l’objet primordial mais tout à la fois et en même temps, son impossibilité à fusionner avec cet objet par trop dangereux. Paradoxe qui anime sa lutte contre la faim et la recherche même de cette sensation de faim qui l’assure que l’objet est toujours là, inentamé, mère fantasmatique et nourriture confondus l’objet externe du besoin, la nourriture objet réel, tenant lieu pour l’anorexique de l’objet interne de la mère, mère omniprésente qui n’a pu être introjectée.. Refusant donc les charmes terrifiants et mortifères de l’oralité auxquels elle reste fixée : fermant tous les orifices et toutes les issues, l’Anorexique oppose à la fusion avec l’objet le même négativisme obstiné de celui que déploie l’enfant pour assurer son espace psychique au temps de la séparation-différenciation que nous connaissons tous. Séparation-différenciation à l’œuvre dans les manigances de table auxquelles elle se livre : chipotage, triages, suçotages sans fin, aux mastications obstinées, aux aliments portés à la bouche et recrachés : à l’une d’elle qui disait « j’achète tous les jours une barre de chocolat et je joue avec : je mets un petit morceau dans la bouche et je le recrache aussitôt, il ne faut surtout pas qu’il fonde. Je recommence plusieurs fois, je crève d’envie de tout avaler, je n’en mange jamais ». Ce tout et ce rien illustrant ici la dialectique qui est là à l’œuvre. L’anorexique est cette femme qui joue et rejoue, de manière compulsive, violente et dramatique, cet arrachement à la « nourriture-mère » afin d’advenir comme sujet séparé, c’est à dire comme sujet désirant. Par la disparition répétée de « la nourriture-mère » un deuil peut se faire qui ouvre enfin aux échanges symboliques. Deuil de l’objet primordial nécessaire pour pouvoir s’inscrire dans l’altérité et permettre le changement d’objet requis de la jeune fille pour entrer dans l’échange sexuel, mais dans le cas des anorexiques ce jeu avorte et sera toujours à recommencer jusqu’à ce que… Tentative par conséquent de sortir de la 19 logique mélancolique dans la quelle, pour paraphraser Freud, « l’ombre de l’objet tomberait sur le moi » tant , en effet, la « nourriture-mère » et son vigilant contrôle occupe la vie psychique des anorexiques. Elles ne pensent qu’à ca, occupées ou absorbées à plein temps dans les pesées alimentaires et les calculs de calories, leurs préoccupations culinaires nous sont bien connues : faire manger les autres, préparer des bons petits plats, toutes activités qui portent les traces d’activation d’images alimentaires suscitées par la privation forcée et son caractère obsédant. Toute leur position, tout au moins dans la première phase du déploiement du symptôme est une conduite de lutte active et douloureuse contre la faim. Tentative, donc, de sortir de la logique mélancolique. [ 37 ] • L’anorexie comme réponse symptomatique d’Agirs compulsifs répétitifs et stéréotypés : corps phallicisé, hyperactivité et déni du symptôme. « Ils ne m’auront pas » crie Valérie Valère dans « Le Pavillon des fous » qui peut s’entendre , elle ne m’aura pas (elle : la mère fantasmatique). L’hyperactivité physique et intellectuelle va fonctionner comme révolte, rébellion contre la passivité régressive éminemment dangereuse qui menace. Impossible d’arrêter une activité frénétique sans courir le risque de l’inertie annihilante. Lutter, agir, refuser, être toujours en mouvement pour assurer le sentiment de l’existence de soi et ce, jusqu’aux limites les plus extrêmes des possibilités d’un corps forcé, malmené pour lequel l’inertie motrice est aussi redoutée que la satiété. [ 37 ] Ainsi, telle patiente qui traverse Paris à pied trois ou quatre fois par semaine, pour aller faire ses courses dans une banlieue diamétralement opposée à celle qu’elle habite et où elle trouverait tout aussi bien ce qui lui est nécessaire. Cette activité motrice se double souvent du même excès dans le domaine scolaire et intellectuel : à l’école tout va bien généralement, elle apprend n’importe quoi pour apprendre ; travaillant tard le soir, tôt le matin, pendant le week-end, la nuit même si nécessaire. Elle est l’intellectuelle de la famille : intellectualité revendiquée avec sa connotation très forte de puissance et de recherche compulsive de perfection mais en fait morbide. Cette hyperactivité, tant physique 20 qu’intellectuelle, semble dépourvue de plaisir et d’enrichissement émotionnel. Elle ressemble plus à des travaux forcés qu’à une fête du corps et de l’esprit. Cette hyperactivité est toute entière au service du symptôme : mater la bête, mettre à distance les représentations générées par la poussée pulsionnelle en elle, et le refus obstiné de l’accueillir, empêcher coûte que coûte l’identification sexuelle ; faire disparaître coûte que coûte les signes sexuels secondaires (seins, fesses) pour retrouver le corps lisse, androgyne de l’enfance. D’oû le grand fantasme de maîtrise sur le corps et la quête anorexique compulsive de la maigreur- maigreur qui fascine et ne suffit jamais- puisque, au delà de l’objet nourriture, il s’agit en réalité d’une altération de la relation du sujet à son corps, à l’image inconsciente de son corps : les changements de l’adolescence ne peuvent pas être assurés par la « petite fille modèle », la « plus que parfaite ». Ils se traduisent par une perception horrifiée d’une déformation monstrueuse envahissante. Cette dysmorphophobie d’un corps qu’aucun bord ne normerait est une donnée majeure de la clinique de l’anorexie. [ 18 ] C’est au plus près de cette représentation là que doit être entendue cette peur, cette phobie d’être grosse, grosse de la poussée pulsionnelle qui la déborde et à laquelle, refus, privation, travaux forcés compulsifs, toutes postures phalliques, viendraient faire barrage ou limite. Barrage à la demande sans fin d’une mère affamée à nourrir à perpétuité que le frère, que l’anorexique aurait voulu être, frère réel ou frère virtuel, aurait pu enfin combler et faire taire. Maigreur jamais suffisante, puisqu’il s’agit de réduire le corps afin de réduire la poussée pulsionnelle qui, elle, est de poussée constante. C’est le corps tout entier phallicisé, en sa maigreur érigée qui est érogène. Erogénéité aussi que la privation, où l’excitation serait liée directement à la sensation de faim. Quoi qu’il en soit de ce corps, lieu de combat de la lutte identitaire sexué, l’anorexique tente, par l’effacement des formes, de la chair, de s’évacuer du commerce sexuel. [ 9 ] Autre donnée majeure de la clinique de l’anorexie de l’adolescente : son désintérêt, voir son dégoût de la sexualité génitale : la chair est inavalable pour elle : toute pénétration de la bouche ou du vagin est refusée, vécue comme une intrusion dangereuse où comme un « repas dégoûtant ». La survenue de l’aménorrhée, qu’elle précède ou 21 qu ‘elle survienne pendant le déploiement du symptôme, est accueillie avec soulagement. Enfin retrouvé le corps pur, lisse, asexué d’autrefois ; enfin éloigné l’horizon inquiétant de la sexualité génitale, de la grossesse et de la maternité qu’elle refuse avec la plus grande énergie. Triomphe narcissique, déni du symptôme et de ses conséquences, « je n’ai jamais été aussi bien, aussi en forme (sous entendu sans forme) ». Cramponnée au symptôme, jamais « défaite » le fantasme de maîtrise qui instrumentait, malmenait le corps, s’étend également à l’entourage familial et médical compris. Message paradoxal de l’anorexique, entre mélancolie et mégalomanie : exhibition d’un corps famélique dont la consomption est un appel à l’aide que le discours triomphaliste annule, et sentiment d’immortalité dans le déni du dépérissement de son corps. • Mettre sa vie en jeu, c’est à dire accepter de la perdre pour faire advenir un « rien » de désir. Exister comme sujet de désir au risque de disparaître : seule façon pour elle de poser la question du désir. Le déni du symptôme va de pair, avec le déni de l’inconscient, déni des mécanismes inconscients qui animent la conduite anorexique. Ce qui rend la prise en charge analytique tellement difficile : d’ailleurs elles viennent rarement en analyse sans intervention d’un tiers et si elles viennent de leur propre initiative, l’anorexie ne sera révélée qu’après de nombreuses séances, elle ne sera jamais d’emblée l’objet manifeste de leur demande . [ 18 ] Prise, toute entière dans un fantasme de maîtrise, là, où l’anorexique a cru maîtriser réellement, pendant un temps assez long, « la machine s’est emballée », et là où elle croyait maîtriser, elle s’est retrouvée jouée, jouie. Jouir dans une économie de la jouissance, jouissance dont la logique serait : ça doit jouir, le sujet dusse-t-il en mourir ; logique où nous reconnaissons l’au delà du principe de plaisir freudien, au delà mortifère où la pulsion de mort fait irruption ; pulsion de mort au travail dans ce corps en consomption, et dans l’aménorrhée, signature du refus de transmettre la vie. Répétition et c’est là où l’analyste est convoqué, présence, absence afin de faire advenir enfin, une répétition signifiante avec ouverture possible au symbolique qui seul pourrait l’arracher de la 22 demande maternelle et la faire advenir comme sujet désirant, symbolique qui seule pourrait faire advenir le désir inconscient, captif du scénario paradoxal : toute puissance, immortalité, pureté et jouissance. La question de la famille de l’anorexique a souvent été schématisée. Cependant au delà des deuils non accomplis dans la chaîne, au delà du refoulé dans l’histoire familiale dont elle serait le support et le représentant, au delà de la façon dnt chacun s’inscrit dans une histoire singulière il y a une donné constante.. L’histoire des anorexiques évoque toujours leur modélisation, leur conformisation totale, dans l’enfance, aux vœux de l’autre, à la demande l’Autre maternel « petite fille modèle », « plus que parfaite », « j’étais devenue ce que mes parents avaient voulu », évoquant par là la place du fils aîné qu’elle a tenu. Conformité surmoïque faisant équivaloir et se recouvrir : besoin, demande, désir. Et c’est là que la trilogie lacanienne : besoin, demande, désir, particulièrement opérante a permis un pas décisif dans la compréhension de l’anorexie. Il s’agit d’entendre, écrit Lacan « d’entendre l’anorexie mentale par non pas que l’anorexique ne mange pas, mais qu’elle mange rien ». Rien énigmatique, rien qui évoque l’au delà de l’objet… désir de désir… Un au delà de l’objet qui se déploie dans les tours de la demande articulé dans la parole. Or les besoins de la future anorexique ont toujours été comblés, saturés par un Autre omniprésent, avant même qu’elle ait pu les formuler- barrant ainsi la voie de l’au delà de l’objet, obturant ainsi le chemin du désir. Face à cet Autre omniprésent et tout comblant, réduisant à néant les aléas de la demande. C’est à elle, l’anorexique, qu’incombe d’inscrire le manque coûte que coûte, afin qu’émerge ce « rien » du désir. Il devient alors vital de manger « rien » afin de signifier une faim d’autre chose, une autre faim, une faim symbolique, une faim de désir et l’émergence du désir s’articulant dans le manque, la demande ne doit surtout pas être saturée. De là loi physiologique qui ne prend en compte que les besoins, l’anorexique ne veut rien entendre. Elle méprise la vie tissée de besoins. C’est à une autre loi qu’elle entend se référer : loi de la parole, loi du symbolique. S’affranchir du corps, du pacte de chair et de ses pesanteurs, afin d’appeler un autre ordre du monde : tel est son désir inconscient. Un monde où l’esprit triompherait du corps et de la matière. Risquer son corps, sa vie pour « être » sujet du désir : « être » sujet du désir dans une passion 23 intransigeante et inconditionnelle, telle est sa façon d’être au monde. [ 37 ] La vie certes, mais pas à n’importe quel prix. C’est une ordalie tragique à laquelle elle se soumet en nous prenant pour témoins. Incapable d’assurer son identification sexuée ; incapable d’assumer la différence sexuelle et donc la castration symbolique. C’est son corps qu’elle engage en entier, en holocauste, dans une épopée héroïque et sacrificielle : castration réelle en lieu et place de castration symbolique. Par son sacrifice et son ascèse, elle ne cesse de nous poser la question de la vie et de la mort, la question de ce qui fonde l’ordre des humains, opposé à l’ordre animal et matériel. C’est par ce questionnement là, pris dans toute sa radicalité, qu’elle nous fascine. [ 34 ] Telle une Antigone, l’anorexique viendra toujours camper aux frontières de la vie et de la mort pour occuper le lieu de vacance du symbolique –vestale antique, elle en entretiendra la flamme en payant tribut de son corps. Ceci pour comprendre les affinités secrètes de l’anorexie et du mysticisme ou de l’engagement militant dans de grandes causes. Mettre sa vie en jeu, c’est à dire accepter de la perdre pour faire advenir un signifiant idéal. 5°- Diagnostic. a- Présentation clinique de l’anorexie : forme typique de l’adolescente. L’amaigrissement est masqué par les vêtements amples et une chevelure abondante mais une fois la patiente déshabillée l’aspect est inquiétant, cachectique. Il s’ajoute une peau sèche, une acrocyanose, une constipation (ou diarrhée si prise de laxatifs). A la triade des trois A : Amaigrissement, Aménorrhée, Anorexie, s’ajoute des comportements pour dissimuler le trouble, des conflits avec l’entourage, surtout la mère. Un signe négatif est remarquable : le sujet ne se plaint pas de fatigue, les activités persistent surtout dans le domaine intellectuel qui est très investi. b- Latence du diagnostic de l’anorexie. La famille méconnaît pendant 24 longtemps le trouble, ou peut croire qu’il s »agit du désir de garder la ligne. C’est souvent tardivement que la famille ou le sujet vient consulter en milieu spécialisé. c- Troubles psychiatriques : anorexie névrose ou psychose ? Cette question est souvent posée. On est tenté de parler de névrose lorsqu’il s’agit d’une forme peu sévère et de psychose lorsqu’il s’agit d’une forme sévère. En fait, cette question et la dichotomie névrose/psychose semble dépassée. L’anorexie constitue un trouble à part, et ce trouble présente tous les degrés de sévérité avec un risque accru de dépression et de passage à l’acte suicidaire. d- Troubles somatiques rencontrés dans l’anorexie. - Aménorrhée, - Pâleur, - Troubles trophiques, - Acrocyanose, - Œdème des membres inférieurs, - Troubles du rythme cardiaque, - Hypotension artérielle, - Hypothermie, - Hypertrophie parotidienne, - Lésions buccales - Oesophagites, - Atrophie corticale. Nécessité de faire : - un bilan biologique complet : NFS, Pl, VS, Glyc,.bilan hépatique, urée, créatininémie, CPK,protéinurie,phosphorémie, calcémie. - Un bilan cardiologique avec ECG et ETT. e- Troubles biologiques. - anémie, - hypoglycémie, 25 - hypokaliémie, - hypophosphorémie, - hypothyroïdie, - hypooestrogénémie. f- Signes de gravité. - Troubles du rythme cardiaque, - Troubles respiratoires, - Troubles ioniques (si K+ <2,6 µMol/l risque d’arrêt cardiaque), - Amaigrissement > 30% du poids corporel avec BMI <14 , - TA < 9,5 mm Hg, - Epuisement physique, ralentissement psychomoteur. g- Formes cliniques [ 17 ] - Forme clinique selon l’âge. - l’anorexie dès la naissance, - l’anorexie du deuxième semestre, - l’anorexie de la petite enfance, - l’anorexie de l’adolescence (surtout l’anorexie mentale de la jeune fille), - l’anorexie de l’adulte, - l’anorexie du sujet âgé. L’absence d’étude de suivi longitudinal et d’étude d’agrégation familiale explique le manque d’information concernant une éventuelle continuité entre les différents troubles. -Forme clinique selon le sexe. - L’anorexie chez le garçon : Elle est plus rare (1 cas sur 10) souvent plus précoce, succédant parfois à une obésité avec une apathie plutôt qu’une hyperactivité. Il s’agit plus souvent d’une forme d’entrée dans la schizophrénie que chez la fille. La mère aurait souvent une boulimie ou une toxicomanie . - L’anorexie mentale de la fille : Les théories explicatives de la 26 prédominance dans le sexe féminin seraient : - la prise de poids consécutive aux compulsions alimentaires, mieux tolérée chez l’homme que chez la femme. Ainsi l’homme serait boulimique et la femme anorexique. - l’anorexie, avec l’aménorrhée et la disparition des seins et des fesses, comme moyen de ne pas accéder à la féminité qui ferait d’elle une rivale de la mère. - Forme clinique selon le trouble alimentaire. - Boulimie : le sujet est envahi par l’idée de manger, il lutte contre cette idée obsédante mais échoue et finit par manger en excès de manière compulsive sans pouvoir résister. Son poids augmente, il devient obèse et finit par accepter son obésité car il ne parvient pas à maigrir. - L’anorexie pure : le sujet est envahi par l’idée de manger, il lutte contre cette idée obsédante et réussit (restriction alimentaire). Son poids diminue massivement, les règles disparaissent. - L’anorexie/boulimie : le sujet est envahi par l’idée de manger, il lutte contre et échoue . Son poids a tendance à augmenter. Il n’accepte pas cette prise de poids et cherche les moyens de maigrir ; il va en découvrir trois (associés à des sentiments de culpabilité) : -les vomissements provoqués après les repas, -la prise de laxatifs, -la prise de diurétiques. Son poids va alors diminuer mais beaucoup moins par rapport à l’anorexie pure. 6°- Diagnostic différentiel. a- Trouble organique. [ 17 ] L’insuffisance antéhypophysaire est le principal diagnostic différentiel de l’anorexie mentale. S’il existe des signes cliniques d’insuffisance antéhypophysaire : asthénie, pâleur et atrophie cutanéo muqueuse, dépilation, aménorrhée, hypotension, hypoglycémie liés à un déficit partiel ou total de production de stimuli hypophysaires (TSH, FSH/LH, CRH, GH, PRL). 27 Il faut faire un bilan à la recherche d’une pathologie hypothalamo-hypophysaire : le cranio-pharyngiome donne des calcifications associées à des modifications de la selle turcique parfois visibles sur de simples radiographies du crâne (face/profil). En cas de doute il faut pratiquer une TDM cérébrale et demander un avis endocrinologique. b- Un autre trouble psychiatrique. [ 17 ] De nombreux troubles psychiatriques peuvent avoir un symptôme anorexique : - refus alimentaire complet des névroses hystériques, - états dépressifs surtout mélancoliques, - troubles schizophréniques, - délires chroniques non dissociatifs avec délire d’empoisonnement, - états démentiels. c- Une autre aberration alimentaire associée à l’anorexie. - PICA : ingestion de terre et objets divers. - Coprophagie : ingestion de matière fécale. Ces deux comportements se rencontrent essentiellement dans les arriérations mentales (oligophrénie), les démences et dans les troubles schizophréniques non traités dans des institutions défavorisées. 7°- Evolution. Pronostic. - L’anorexie peut être minime, passant inaperçue (constituant parfois non pas un handicap mais un avantage dans certaines professions telles que mannequin ou danseuse) . - L’anorexie peut être modérée, le sujet souffre et au bout d’un temps toujours long finit par accepter une prise en charge en ambulatoire par des praticiens qui peuvent ne pas être obligatoirement des spécialistes. - L’anorexie peut être sévère, le sujet « délire » sur un seul thème qui est son corps et peut dire, alors qu’il pèse moins de 30 kg : « je suis trop grosse ». Dans ces 28 formes, les psychanalystes ont parlé de psychose froide ou de psychose blanche, c’est à dire de psychose sans symptôme psychotique (pas de délire, pas d’hallucination, pas de discordance). - L’anorexie peut être très sévère, le sujet a un sentiment de toute puissance, il a le sentiment qu’il est plus fort que la mort. Il n’a pas conscience de l’aspect de son corps ‘délire limité au corps) et déni de la maladie. Une carence nutritionnelle s’installe, les troubles hydro-électrolytiques peuvent comporter une hypokaliémie majeure nécessitant des hospitalisations itératives en réanimation avec risque de trouble du rythme cardiaque pouvant entraîner un arrêt cardiaque. La diversité des formes cliniques explique la grande variabilité des chiffres selon les études. Dans les études faites auprès de généralistes, la mortalité est de l’ordre de 0%. Dans les études faites auprès des services de réanimation, le taux de mortalité serait compris entre 10 et 30%. Ces chiffres ne reposant pas sur des études épidémiologiques, ils sont donc éloignés de la réalité. B- LA BOULIMIE. 1°- Historique a- La boulimie avant la définition de Russel en 1979. Etymologiquement, boulimie signifie faim du bœuf ( dérivé du grec bous, le bœuf et limos, la faim). Le Littré la définit comme « une irrégularité de la digestion consistant en une faim excessive, en un besoin de prendre une quantité d’aliments plus grande qu’à l’ordinaire ». Le terme de boulimie apparaît dès l’antiquité grecque et traduit un état pathologique de voracité avec ingestion massive de nourriture. Ce n’est pourtant que récemment, en 1979, que la boulimie acquiert une autonomie nosographique. En 1932, Wulff décrit un symptôme particulier caractérisé par une alternance de période d’ascétisme et de voracité insatiable faisant ainsi un lien implicite entre l’anorexie et la boulimie. La psychanalyse s’intéresse aussi à la boulimie, Abraham, en 1924, parlant de 29 « convoitise orale accrue », Freud, en 1925 du « vomissement comme défense hystérique contre l’alimentation » et Fénichel, en 1945, de « toxicomanie sans drogue ». En 1960, la boulimie est envisagée comme un épiphénomène de l’anorexie mentale. Dans le même temps, Stunkard classe les obésités en fonction du type de comportement alimentaire : il obtient ainsi trois groupes dont l’un est caractérisé par des accès orgiaques. Mais la définition actuelle retient de la boulimie la notion de poids dans les limites de la normale. Progressivement la boulimie s’autonomise par rapport à l’anorexie mentale et l’obésité. En 1973, Bruch décrit la possibilité de survenue de prises alimentaires compulsives chez des sujets ayant un poids normal. En 1975 Rau et Green abordent la conduite boulimique impulsive sans se référer à l’obésité ou à l’anorexie mentale. En 1979, Palmer énonce « le syndrome du chaos alimentaire », trouble des conduites alimentaires caractérisé par des accès de boulimie. La même année, Russel définit les critères diagnostiques de la boulimie nervosa. Dès 1985 ce terme sera, pour Russel, réservé aux formes évolutives de l’anorexie mentale. Si donc, depuis environ cent ans, la psychiatrie et la psychanalyse s’intéressent à ce TCA particulier, qui a acquis une autonomie durant ces trente dernières années, certains auteurs semblent avoir retrouvé des traces de ce concept au cours des siècles précédents. b- Les premiers critères diagnostic de la boulimie ont été décrits par Russel en 1979 « les patients souffrent de pulsions irrésistibles et impérieuses à manger en excès, ils cherchent à éviter la prise de poids en provoquant des vomissements ou en abusant de purgatifs ou les deux. Ils ont une peur morbide de devenir gros ». En 1983 il ajoute un critère supplémentaire : « l’épisode antérieur, manifeste ou cryptique, d’anorexie mentale ». c- Puis en 1986 : Fairburn et Garner ajoutent aux critères de Russel « une restriction alimentaire extrême pour compenser les épisodes boulimiques » avec une caractéristique essentielle de la crise de boulimie : « le sentiment de perte de contrôle sur l’alimentation a une plus grande valeur 30 diagnostique que la quantité totale de nourriture consommée pendant les accès alimentaires ». 2°- Définition, classification DSM IV et CIM 10. - La révision du DSM III (DSM III R, Américan Psychiatric Association, en 1987) introduit un critère de fréquence et de persistance des crises : « au moins deux épisodes boulimiques par semaine en moyenne pendant au moins trois mois » et souligne une attitude psychopathologique sous jacente commune avec l’anorexie mentale « préoccupation excessive et persistante concernant le poids et les formes corporelles ». [ 3 ] [ 4 ] -Dans le DSM IV (1994) l’apport d’un grand nombre d ‘études valident la pertinence des critères diagnostiques antérieurs. [ 5 ] Définition de la boulimie dans le DMS IV : F 50.2 (307.51) Boulimie (Boulimie nervosa). A- Survenue récurrente de crises de boulimie ( « binge eating »). Une crise de boulimie répond aux deux caractéristiques suivantes : 1) Absorption en une période de temps limité (par exemple moins de deux heures, d’une quantité de nourriture largement supérieure à ce que la plupart des gens absorberaient en une période de temps similaire et dans les mêmes circonstances. 2) Sentiment d’une perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise ( par exemple sentiment de ne pas pouvoir s’arrêter de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce que l’on mange ou la quantité que l’on mange). B- Comportements compensatoires inappropriés et récurrents visant à prévoir la prise de poids, tels que : vomissements provoqués, emploi de laxatifs, diurétiques, lavements ou autres médicaments, ou encore :jeûne, exercice physique excessif. C- Les crises de boulimie et les comportements compensatoires inappropriés surviennent tous deux en moyenne au moins deux fois par semaine pendant trois mois. 31 D- L’estime de soi est influencée de manière excessive par le poids et la forme corporelle E- Le trouble ne survient pas exclusivement pendant des épisodes d’anorexie mentale (Anorexie nervosa). Spécifier le type : - type avec vomissements ou prise de purgatifs ( « purging type »). Pendant l’épisode actuel de boulimie, le sujet a eu régulièrement recours aux vomissements provoqués ou à l’emploi abusif de laxatifs, diurétiques, ou lavements. - Type sans vomissements ni prise de purgatifs (« no purging type »). Pendant l’épisode actuel de boulimie, le sujet a présenté d’autres comportements compensatoires inappropriés tels que le jeûne ou l’exercice physique excessif mais n’a pas régulièrement recours aux vomissements provoqués ou à l’emploi abusif de laxatifs, diurétiques ou lavements. F- Critères de la CIM 10 [ 11 ] La classification internationale des maladies (10 ème révision) définit ainsi la boulimie : - Boulimie (Bulimia nervosa). Syndrome caractérisé par des accès répétés d’hyperphagie et une préoccupation excessive du contrôle du poids corporel conduisant à une alternance d’hyperphagie et de vomissements ou d’utilisation de laxatifs. Ce trouble comporte de nombreuses caractéristiques de l’anorexie mentale, par exemple, une préoccupation excessive par les formes corporelles et le poids. Les vomissements répétés peuvent provoquer des perturbations électrolytiques et des complications somatiques. Dans les antécédents on trouve souvent, mais pas toujours, un épisode d’anorexie mentale survenu de quelques mois à quelques années plus tôt. 32 3°- Epidémiologie. [ 15 ] [ 16 ] 33 a- Fréquence. Les études épidémiologiques font état d’une prévalence assez importante si on ne retient pas le critère de fréquence du DSM III R en particulier dans la population cible : celle de lycéens et étudiants. Ainsi la prévalence est estimée par Timmerman à 11,4% chez les filles et à 7% chez les garçons entre 14 et 20 ans si on ne retient que 4 des 5 critères du DSM III R ; cette prévalence tombe à 2% chez les filles et 0,1% chez les garçons si on inclut le critère de fréquence.. De même, sur une population d’adolescents de 11 à 20 ans, S. Ledoux et M. Choquet relèvent une prévalence d’accès boulimiques de 28,2% chez les filles et 20,5% chez les garçons pour des épisodes peu fréquents dans les 12 mois puis de 9,8% et 7,2% pour les épisodes plus fréquents et de 3,6% et 2,8% pour des accès bihebdomadaires. M. Flament et coll. (1993) évaluent cependant la prévalence de la boulimie nerveuse dans une population générale d’adolescents entre 11 et 20 ans à 1,1% pour les filles et à 0,2% pour les garçons. Les apparentés au premier degré présentent plus souvent des symptômes identiques, de même que les jumeaux. Les familles de patients avec boulimie ont des taux plus élevés d’abus de substances, en particulier d’alcoolisme (Mitchell et coll., 1988 ; Lilenfeld et coll, 1997), de troubles affectifs (Hudson et coll., 1987) et d’obésité ( Pyle et coll, 1981). On retrouve la même co-morbidité que dans l’anorexie mentale, avec toutefois des taux encore plus élevés pour l’abus de substances qui atteignent 30 à 37% (Halmi et coll., 1991 ; Herzog et coll., 1992). Dans les antécédents infantiles, on retrouve plus souvent que dans les cas d’anorexie mentale des antécédents d’abus sexuels : 20 à 50% (Bulik et coll., 1989). L’évolution au long cours est moins bien connue que celle de l’anorexie mentale. Avec un recul de 1 à 2 ans, 25 à 30% des patients présentent une amélioration (Yager et coll, 1987), 50 à 70% des patients étant améliorés après l’évolution à cours terme de diverses stratégies thérapeutiques ( psychothérapies brèves, soutien psychosocial, traitement médicamenteux) mais les rechutes concernent 30 à 50% des patients après 6 mois. Sur un suivi de 6 ans, 60% des patients avaient une 34 évolution considérée comme bonne, 29% comme intermédiaire, 10% comme mauvaise et 1% étaient décédés (Fichter et Quadflig, 1997). A 7,5 ans d’évolution, Herzog et coll. (1999) notent 74% de bon pronostic. Selon ces derniers auteurs, 99% des patients boulimiques parviendraient à une amélioration sensible. La différence entre garçons et filles concerne la fréquence de la maladie mais aussi son l’évolution avec le temps : dans l’ensemble les pourcentages de fréquence de crises sont plutôt stables chez les garçons alors qu’ils évoluent chez les filles, passant par un maximum vers 16-17 an, en même temps que la fréquence d’apparition des vomissements et/ou de l’usage de laxatifs croît régulièrement avec l’âge des filles. b- Groupes à risque. - prédominance féminine (1 cas masculin pour 9 cas féminins) - âge : souvent plus tardif que dans l’anorexie - Critères sociaux économiques : Niveau plutôt élevé où un degré important de réussite sociale et de maîtrise personnelle est valorisé. Groupes où le corps et son exposition au regard des autres sont primordiaux (mannequins, danseuses). Il y a là, certainement, un déterminisme réciproque entre le rôle qui génère la pathologie et la psychopathologie personnelle favorisant le type de choix professionnel où la perfection corporelle est à la fois l’objectif et le souci majeur. - Groupe où les préoccupations corporelles, le souci et l’insatisfaction du poids et du corps sont intenses. - Facteurs somatiques : Fréquence plus élevée chez les obèses et les diabétiques. - Antécédents d’abus sexuels pendant l’enfance. Dans les années 1980-1990, plusieurs publications, essentiellement anglosaxonnes ont fait état d’antécédents d’abus sexuels dans l’enfance de patientes présentant des TCA surtout boulimie mais aussi anorexie . Les résultats ont été pour le moins divergents puisque les chiffres obtenus pouvaient aller de 7% à 65% avec une majorité d’études estimant la fréquence des antécédents d’abus sexuels chez les patients autour de 30%. 35 Toutefois, il importe de distinguer les abus sexuels intra-familiaux des abus sexuels extra-familiaux, les premiers semblent constituer un facteur de risque plus important. Enfin, il faut surtout différencier l’abus sexuel proprement dit et l’atmosphère incestueuse. Selon Corcos et Jeammet (2002), les pourcentage de jeunes filles boulimiques, ayant subi des violences sexuelles caractérisées pendant l’enfance ou l’adolescence est à peu près similaire à ce qu’on observe dans la population générale ( autour de 7%). Cela est à distinguer d’un climat incestuel, de manœuvres de séduction incestueuses qui apparaissent plus fréquents (sans qu’on sache très exactement les fréquences de ces situations dans la population générale !). 4°- Modèles conceptuels. Etiologie multidimensionnelle avec des facteurs pré-disposants, des facteurs déclenchants et des facteurs d’entretien de TCA, lesquels naîtraient de leur enchaînement. a- Facteurs pré-disposants. [ 17 ] ( 16 ] - Prédominance féminine (1 cas masculin pour 9 cas féminins). - L’âge de survenue est souvent plus tardif par rapport à celui de l’anorexie (fin de l’adolescence, début de la vingtaine). - Critères socio-économiques : troubles plus fréquents dans les couches de niveau élevé et dans celles où un degré important de réussite sociale et de maîtrise personnelle est valorisée et nécessaire. - Groupes socio-professionnels où le corps et son exposition sont primordiaux (mannequin, danseuse ). - Critères éthniques, surtout dans les pays occidentaux ou des pays et groupes sociaux en voie d’occidentalisation. Absent dans les pays en voie de développement. - Facteurs somatiques : obésité, diabète. - Structure psychopathologique sous-jacente. 36 - Contexte familial : il semble différent de celui des patientes anorexiques. De nombreux auteurs soulignent la fréquence des antécédents psychiatriques familiaux ( alcoolisme, dépression maternelle, suicide ). Des familles de boulimiques semblent plus chaotiques, impulsives et ouvertement conflictuelles que les familles d’anorexiques. L. Igoin distingue d’un côté des foyers très unis, union qui masque souvent des tensions majeures (profil assez similaire aux familles d’anorexiques), de l’autre, des foyers brisés avec parfois manifestation violente de séparation parentale. Dans ces derniers cas, une dimension abandonnique est souvent décrite. b- Facteurs déclenchants. Ils sont variés, événements vitaux sur terrain fragile, deuils, déceptions sentimentales, ruptures, échec ou circonstances ébranlant le narcissisme, épisodes anxiogènes variés. Souvent il existe dans le récit des patientes un événement qui a déclenché le ou les premiers épisodes boulimiques. Souvent aussi à l’occasion d’un régime amaigrissant. c- Facteurs d’entretien. Leur influence est capitale, ils agissent à différents niveaux biologiques et psychologiques. La boulimie, comme les autres comportements addictifs instaure un cercle vicieux. d- Hypothèses sociologiques. [ 16 ] ∗Le culte de la minceur avec un investissement quasi fétichiste est synonyme non seulement de beauté mais de maîtrise et de réussite. Les médias sont le porte voix des moyens d’obtenir cet amaigrissement mais rarement celui des dangers physiques et psychologiques qu’ils entraînent. Or, la contradiction entre la norme 37 reconnue d’une part et la physiologie d’autre part, place les femmes contemporaines dans une véritable situation de double lien par rapport à leur corps et à ses mensurations. ∗Le culte de la forme et de la santé au travers de l’exercice physique et le contrôle du poids est louable mais contrairement aux hommes c’est aux formes qu’elle est supposée s’attaquer. ∗Glorification de la jeunesse dans le sens de la préservation d’un corps nubile tel que les anorexiques souhaitent en conserver un. ∗Stigmatisation de l’obésité, associée dans notre société à stupidité, fainéantise, saleté. Le corps médical a certainement contribué lui même à cet état de fait en prônant des normes idéales, « hygiéniques » du poids. Or ces normes qui se sont rapidement répandues ne correspondent pas à une réalité univoque.. Certes, l’accumulation de facteurs de risques (obésité, sédentarité, tabac, dyslipidémie, HTA,…) favorise la pathologie cardio-vasculaire. Mais une étude épidémiologique récente semble avoir montré (Sorlie et al, 1998) que, dans une fourchette médiane comportant 60% de la distribution (52 à 88kg) pour les femmes de taille moyenne c’est à dire 160 à 168 cm on ne pouvait corréler le poids et la mortalité. Qui plus est, si l’obésité fait bien peser un risque sur la santé, on n’a pas prouvé que les régimes amaigrissants étaient une solution à l’obésité à long terme. Du côté des psychiatres, l’obésité est perçue avant tout comme acting-out corporel de conflits internes, vrai dans certains cas, mais la souffrance psychologique peut aussi être la conséquence de cette obésité et de sa stigmatisation sociale. ∗ Glorification des conduites anorexiques, le cercle vicieux finit de se refermer avec cette perversion : l’anorexie mentale est dans une certaine mesure devenue elle même un but à poursuivre. Il existe plus qu’une analogie entre ces courants socio-culturels et les TCA. Si l’on réunit ces différents éléments, on retrouve les préoccupations et le contexte psychologique dans lequel naissent les troubles des conduites alimentaires : l’obsession de la minceur. e- Modèle biologique. [ 16 ] [ 39 ] L’homéostasie pondérale est suggérée par la tendance à la stabilité du poids du sujet adulte. Le contrôle central de la régulation de l’appétit se situe au niveau de l’hypothalamus ventral et médian qui 38 intègre l’ensemble de stimuli et organise la réponse par la mise en jeu des systèmes neurobiologiques, essentiellement sérotoninergique et noradrénergique. Le système catécholaminergique régule le poids par l’intermédiaire des récepteurs centraux α qui augmentent la prise alimentaire et β qui la diminuent. La sérotonine a un effet de diminution globale des ingestats caloriques et diminue particulièrement la prise d’hydrates de carbone. L’hypothèse hyposérotoninergique est formulée à partir de ces données et de la parenté avec la dépression et l’impulsivité. Pour Kaye et Coll., en 1999 une activité sérotoninergique accrue pourrait rendre certains individus vulnérables au développement de troubles des conduites alimentaires et d’un état dysphorique. Une diète extrême, en diminuant le taux plasmatique de tryptophane, précurseur de la sérotonine, permet une réduction de l’activité sérotoninergique d’où un renversement transitoire des effet dysphoriques et l’apparition d’une symptomatologie alimentaire. D’autres recherches portent sur les neuropeptides dont la norépinéphrine, les opioïdes et les peptides gastro- intestinaux y et yy, qui sont oréxigènes. Quelque soit l’implication prévalente de l’un ou l’autre système, l’hypothèse d’une corrélation biologico-clinique univoque ne saurait être envisagée ne seraitce que du fait de la complexité des interactions entre les systèmes neurobiologiques. L’hypothèse hypo sérotoninergique de la boulimie est à l’origine d’une importante recherche sur l’impact thérapeutique possible des anti dépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. f-Modèle génétique. La conclusion des études menées sur l’implication de facteurs génétiques dans la boulimie retrouve les mêmes facteurs que ceux impliqués dans la prédisposition générale à l’obésité, aux addictions et aux troubles de l’humeur. S’il existe une vulnérabilité génétique, l’apparition de trouble dépend néanmoins de facteurs environnementaux. g-Modèle cognitivo-comportemental. [ 9 ] Dans le modèle cognitivo-comportemental, l’élément central de la psychopathologie réside dans la préoccupation extrême quant aux poids et formes corporelles. L’avènement et 39 l’entretien des conduites boulimiques ainsi que les modifications de l’alimentation sont des conséquences de cognitions dysfonctionnelles et irrationnelles. Les épisodes de boulimie sont donc sous-tendus par ces troubles cognitifs. Fairburn, au début des années 80, modélise les TCA caractérisés par la présence de pensées dysfonctionnelles concernant les formes corporelles et le poids. Les symptômes présentés répondent à l’importance fondamentale conférée par les patients au poids et aux formes corporelles qui doivent rester sous contrôle. Les épisodes de boulimie correspondent à des moments où l’individu perd tout contrôle par rapport à la nourriture. Le patient est très anxieux à l’idée de prendre du poids d’où la mise en œuvre de stratégies permanentes de contrôle du poids telles que les vomissements provoqués, la prise de laxatifs ou encore les régimes restrictifs, l’exercice physique. Selon le modèle cognitif, la restriction alimentaire qui résulte des préoccupations et attitudes dysfonctionnelles et irrationnelles vis à vis du poids et des formes corporelles précipite la survenue de crises de boulimie qui à leur tour renforcent les préoccupations cognitives suscitées. Le cercle vicieux de la boulimie est alors créé. Ainsi, l’excès d’alimentation peut être envisagé comme une réponse à une restriction extrême , les pensées et valeurs dysfonctionnelles entretiennent les comportements pathologiques et ont une importance primaire. Un autre modèle, plus comportemental, est développé par Leitenberg et Roseu envisageant le vomissement comme un moyen de réduction de l’angoisse. Il renforce en outre les crises d’hyper-alimentation en supprimant la crainte d’une prise de poids secondaire. Ainsi le vomissement est établi (ou interprété) comme une réponse d’échappement et devient un élément moteur du maintien des crises de boulimie. Selon les auteurs, il serait le but ultime de la crise de boulimie. Les recherches cognitivo-comportementales à propos des facteurs étiologiques des TCA retrouvent beaucoup d’éléments impliqués disparates comme une histoire familiale de TCA, de trouble de l’humeur, d’addiction ou encore d’obésité. L’exposition à certaines circonstances telles que les abus physiques et /ou sexuels, un perfectionnisme, un tendance à une compliance aux autres excessive ou une faible estime de soi. Ces recherches concernent majoritairement l’anorexie mentale et il est souvent impossible de distinguer les facteurs liés à un risque de 40 troubles psychopathologiques en général ou de TCA en particulier. En 1997, Fairburn et Coll tentent d’identifier des facteurs de risque de boulimie et de déterminer si certains sont communs à tous les individus boulimiques en établissant une comparaison avec un groupe de sujets présentant d’autres affections psychiatriques. Trois groupes sont ainsi constitués : 102 patients boulimiques selon les critères DSM IV , 204 sujets sains sans ATCD de TCA et 102 sujets présentant un trouble psychiatrique diagnostiqué sur l ‘axe I selon les critères du DSM III-R confirmé par un entretien structuré. Deux larges catégories de facteurs de risque sont testés : ceux de développer une pathologie psychiatrique en général et ceux de début un régime. Ces facteurs sont répartis en quatre groupes : 1- vulnérabilité personnelle (comprenant les caractéristiques de l’enfance, la comorbidité psychiatrique, les troubles du comportement et les troubles psychiatriques parentaux). 2- L’environnement (comprenant les difficultés avec les parents, les événements de rupture, les troubles psychiatriques parentaux, les moqueries et brimades et l’abus sexuel et/ou physique). 3- La vulnérabilité alimentaire (comprenant le risque de débuter un régime, le risque d’obésité, et les TCA parentaux). 4- Autres facteurs (comprenant l’âge de la ménarche, le nombre de grossesses, le nombre d’enfants, les avortements). Les résultats, comparant le groupe de patients boulimiques au groupe de sujets sains, montrent qu’au niveau des facteurs de risques individuels, les sujets boulimiques ont des taux d’exposition à presque tous les facteurs de vulnérabilité personnelle significativement supérieurs à ceux du groupe contrôle, de même à la majorité des facteurs environnementaux et de vulnérabilité alimentaire.( il en est de même pour l’exposition à la majorité des facteurs environnementaux et pour la vulnérabilité alimentaire). De plus, la ménarche est plus précoce et les grossesses sont plus fréquentes ( dans le groupe de 41 patients boulimiques). Ainsi il semble que plus la puberté est précoce plus le risque de développement d’un TCA de type boulimie augmente. Hormis en ce qui concerne les moqueries et brimades, le taux d’exposition à chaque sous groupe de facteurs de risques est significativement supérieur dans l’échantillon constitué des individus boulimiques ; plus le degré d’exposition est élevé plus le risque de boulimie est grand. Les sous groupes de facteurs les plus significatifs sont les difficultés avec les parents, le risque d’obésité, les troubles psychiatriques parentaux, l’abus sexuel et /ou physique et la comorbidité psychiatrique. Les résultats comparant le groupe de patients boulimiques au groupe de patients présentant d’autres affections psychiatriques montrent peu de différences significatives : les auteurs retrouvent toutefois quatre facteurs significativement plus présents chez les patients boulimiques parmi les facteurs de vulnérabilité personnelle et environnementaux ( auto-dévalorisation, alcoolisme parental, distance avec les parents, forte attente des parents) et trois parmi les facteurs de vulnérabilité alimentaire (propos critiques de la famille concernant le poids, les formes corporelles l’alimentation, l’obésité infantile et parentale). Les patients boulimiques sont plus exposés aux facteurs de vulnérabilité alimentaire que les patients présentant une autre pathologie psychiatrique. Ainsi cinq sous groupes de facteurs de risques sont plus fortement associés au développement de la boulimie, ce qui vérifie l’hypothèse des auteurs, à savoir que les facteurs augmentant le risque de régime et ceux qui augmentent les risques de pathologie psychiatrique en général contribuent à l’émergence de la boulimie. Seuls un faible nombre de facteurs sont communs aux deux groupes pathologiques qui se situent dans le domaine de la vulnérabilité personnelle. Les auteurs concluent que les troubles boulimiques se développent préférentiellement chez les sujets adeptes à des régimes (des régimes), à risque d’obésité et de troubles psychiatriques. Toutefois, ils avouent la reconnaissance du mécanisme d’action de ces facteurs de risque qu’il serait nécessaire d’élucider grâce à des études prospectives. (Toutefois, ils reconnaissent qu’il serait nécessaire d’élucider le mécanisme d’action de ces facteurs de risque par la mise en œuvre d’études prospectives). h-Modèle psychanalytique. [ 37 ] Troubles du narcissisme, hétérogénéité des structures psychiques présentes à l’arrière plan. La clinique montre qu’autour d’un grand nombre de cas de structures narcissique ; le spectre s’étend 42 des marges de la psychose aux économies psychiques à prévalence névrotique. Une pathologie du narcissisme apparaît au centre de la psychopathologie psychanalytique. Selon Jeammet, la vulnérabilité narcissique entraîne un défaut des ressources autoérotiques et un échec partiel des identifications. La dépendance de complétude narcissique dans la relation mère-fille (par défaut du père) s’accompagne d’une dépendance extrême du sujet à l’égard de l’objet et la valeur fusionnelle mère-fille empêche toute intériorisation (prendre des qualités de l’autre revient alors à le détruire, avec le fantasme d’une destruction en retour). Il est nécessaire, pour la patiente, de correspondre au désir de sa mère et elle ne peut se nourrir d’une qualité de cette dernière, juste du désir irrésolu pour elle. Kestemberg souligne le rôle de l’identification primaire en question dans les TCA avec une fixation prégénitale orale mais aussi anale. Il existe un vécu archaïque de la relation fusionnelle à une mère dévorante, ainsi que des troubles sévères de l’identification (troubles de l’image du corps) et de l’identité féminine. La mise à l’épreuve de cette relation fusionnelle entraîne une impossibilité pour la patiente d’élaborer la perte de cette relation, d’où la confrontation à des angoisses dépressives d’abandon. Le comportement boulimique prend l’aspect d’un acte « anti- pensée » qui permet d’éviter la représentation trop crue du conflit. Selon Burset, la nourriture est un objet surinvesti, l’aliment étant le médiateur essentiel de la première expérience relationnelle mère-enfant. Les difficultés dans le processus d’introjection réveillent les fantasmes d’incorporation, cliniquement retrouvés dans la crise de boulimie. L’incorporation est, selon Abraham et Torok, un refus de l’introjection. Il existe un déni de la perte qui permet d’éviter tout le travail de deuil, donc toute élaboration de la perte. L’incorporation de l’objet vient combler le vide insupportable tout en le contrôlant ‘ingestion, expulsion). Pour Jeammet, le comportement boulimique est un piège qui permet d’aménager provisoirement le conflit objectal en un acte. L’incorporation ,qui se différencie de l’introjection dans le sens où il n’y a pas d’assimilation d’images identificatrices stables, empêche la possibilité d’identification et d’autonomisation. Une dépendance à l’égard du comportement boulimique se crée rapidement, le sujet passant ainsi d’une dépendance à une autre. La position dépressive potentiellement source d’élaboration n’est pas activée du 43 fait de la fonction « anti-pensée » de la crise boulimique. Ainsi, le comportement boulimique court-circuite toute représentation et toute élaboration de la perte, tout travail de deuil. Il permet d’éviter des angoisses archaïques et/ou une décompensation dépressive. La conduite boulimique relève de l’agir et vient à la place de la mentalisation. Elle permet de contrôler le monde externe quand celui-ci devient trop sollicitant et que l’objet se fait menaçant pour la conflictualité interne. Quand les sujets se dépriment, le symptôme est renforcé par la prise de conscience du décalage entre l’idéal du Moi et le Moi, mais comme il devient parallèlement de moins en moins efficace, il est de plus en plus pressogène. Afin de briser ce cercle vicieux, une certaine acceptation d’une dépendance à un autre objet est nécessaire. Le symptôme boulimique apparaît échapper à la compréhension psychanalytique classique du symptôme névrotique comme expression d’un conflit intra-psychique. La psychanalyse envisage plutôt comme conduite répétitive de dépendance à l’objet nourriture comme l’expression d’une faille dans le développement du sujet. IL apparaît être l’équivalent d’un objet qui protège de la fusion et de la castration. La psychanalyse aborde également la boulimie à travers le corps comme idéal de complétude. L’individu, dans un comportement addictif, recherche l’objet de complétude autant haï qu’aimé mais toujours idéalisé. L’individu boulimique recherche un objet qui le comblera et lui assurera son narcissisme sans jamais défaillir. La perte de cet objet prend alors une dimension de perte narcissique majeure. La quête relationnelle du patient boulimique est de nature objectale et narcissique dont le but est la satisfaction totale qui protégerait de toute sensation de manque, de frustration et de perte. Le manque est ressenti, la limite corporelle perçue, mais les représentations sont impossibles en lien avec les carences fantasmatiques. Le manque ici n’entraîne pas de processus psychique mais appelle la présence sensorielle de l’objet. Parallèlement la relation de complétude ne doit jamais être atteinte sinon l’anéantissement surgit, la fusion est un danger. Seuls les processus de clivage et d’idéalisation permettent la représentation de l’objet. La crise boulimique relève ainsi d’un paradoxe d’inclusion-exclusion (objet haï et aimé, convoité et rejeté) tel que la représentation mentale est impossible. Mais quel est l’objet d’addiction dans la boulimie ? La nourriture ou le corps ? Dans les TCA, la quête de l’idéal semble porter sur le corps, qui suscite le regard et donc l’assise narcissique. De plus, cet objet 44 corps propre ne menace pas de disparaître ; objet permanent , il ne manque jamais. L’illusion de la complétude ne peut être maintenue qu’avec un corps parfait, beau, désirable, maîtrisant ses appétences et bisexué. Ainsi, l’idéal est toujours à atteindre, dans une grande ambivalence : l’impossibilité génère une sensation majeure d’imcomplétude, la possibilité d’un risque de désidentification. Apfelbaum- Igoin soulignent qu’une configuration oedipienne clivée est fréquemment repérée chez les patientes boulimiques. Le fantasme de la mésalliance parentale est si important qu’il devient un élément de réalité contre lequel la patiente lutte activement afin de justifier son existence. Or la tâche est impossible de faire tenir ensemble ce père et cette mère qui n’ont rien en commun. Pour l’individu boulimique, il est capital de ne pas toucher aux aliments sous peine d’orgie. La crise boulimique prend la place d’une représentation impossible de la scène primitive : à la fois violente source de plaisir, cachée, honteuse, dont l’individu finit par s’exclure. 5°- Associations pathologiques. • Avec les modifications pondérales. Véritable syndrome de remplissage addictif ( B. Brusset), la boulimie ne s’accompagne parfois d’aucune modification pondérale. Assez souvent, une prise de poids assez importante accompagne le début des accès boulimiques. Cependant, seuls 15% des boulimiques sont obèses et 15% environ présentent un déficit pondéral. Le lien avec l’anorexie mentale est complexe, certaines formes semblent succéder à une anorexie mentale typique ; dans d’autres cas on observe une alternance d’état anorexique et de période boulimique. Si de nombreux boulimiques semblent capables de maîtriser un poids qui reste assez stable malgré le chaos des absorptions caloriques, quelques uns présentent des fluctuations pondérales importantes et rapides (plus ou moins 20 kg en quelques semaines). Ces formes seraient de plus mauvais pronostic. • Avec les autres addictions. D’autres conduites addictives sont souvent présentes : - automédication par anxiolytiques ou somnifères (50% de la population selon Aimez). 45 - Alcoolisme régulier ou prise massive d’alcool. - Pharmacodépendance ( aux anoréxigènes ou amphétaminiques). Pour certains auteurs, la boulimie trouve sa place dans les multiples conduites addictives décrites chez l’adolescent et s’inscrit dans une pathologie de la dépendance, véritable « toxicomanie alimentaire ». • Avec la dépression. Certains symptômes dépressifs sont exprimés par une majorité de patients boulimiques (dévalorisation, culpabilité, désespoir ). La dévalorisation de l’image du corps est très fréquente avec le désir de changer de poids (chez les filles c’est toujours le désir de maigrir, chez les garçons c’est parfois le désir de grossir). D’autres symptômes dépressifs sont fréquemment observés : troubles du sommeil, idées suicidaires avec ou sans passage à l’acte. Dès 1979, Russel soulignait la fréquence des dépressions chez les boulimiques (25 à 75% des cas). Les manifestations de dysphorie, d’instabilité affective seraient encore plus fréquentes. Le lien entre dépression et boulimie est sujet à discussion : éléments dépressifs secondaires aux conduites boulimiques ou , au contraire, état dépressif masqué par les troubles alimentaires, la question reste débattue. 6°- Diagnostic différentiel. [ 28 ] Il repose essentiellement sur l’anamnèse. a- Autres hyperphagies grignotages, hyperphagies d’habitude ou familiale, agapes transitoires. Ces différents troubles n’ont pas le caractère compulsif et ego-dystonique de la boulimie. b- La schizophrénie peut comporter une hyperphagie mais le contexte repose sur des rationalisations bizarres .Les structures sous-jacentes aux TCA sont hétérogènes et des syndromes boulimiques authentiques peuvent parfois se rencontrer dans des structures de personnalité psychotique c- Les troubles dépressifs, complications des troubles boulimiques ou bien, la boulimie serait une forme d’extériorisation clinique de la dépression en somme un équivalent dépressif. 46 d- Symptômes somatiques Un trouble somatique est parfois l’élément déclenchant du TCA. Une anorexie, des vomissements de cause somatique sont parfois sur la patiente, une révélation d’une manière de dominer son corps et de maigrir à laquelle elle retournera ensuite . Ainsi, les TCA sont sous-représentés dans les populations diabétiques. e- Affection du SNC (Système Nerveux Central ). -Atteinte organique de zone de régulation des comportements alimentaires. -Epilepsie secondaire aux troubles boulimiques par trouble métabolique. Le syndrome de KLEINE-LEVIN associe une polyphagie chez un homme le plus souvent âgé entre 10 et 30 ans avec des accès d’hypersomnie, de trouble du comportement à type d’agressivité, d’augmentation de la libido. Ces épisodes survenant 1 à 2 fois par an pendant une semaine puis, disparaissant, l’éthiologie reste encore inconnue. Le syndrome de KLUVER-BUCY associe le plus souvent, une hyperoralité, hyperphagie, placidité, hyper-métamorphopsie, trouble de la libido, troubles mnésiques, troubles du langage et démence. Les lésions sont bilatérales , étendues du cortex temporal ,de l’amygdale et de la substance blanche avoisinante f-Complications somatiques Elles peuvent égarer longtemps le diagnostic de boulimie et retarder le diagnostic. -Emaciation -Complications cardiovasculaires : chute de tension chute du poids trouble du rythme cardiaque amyotrophie cardiaque -Complications rénales avec une diminution de la filtration glomérulaire -Complications gastro-intestinales : constipation ballonnement hypoglycémie 47 retentissement pancréatique dilatation ou rupture gastro-intestinal. -Complications hématologiques et hydro-électrolytiques anémie, leucopénie, troubles hydro- électrolytiques : ∗hypokaliémie, ∗ hypocalcémie. -Complications stomatologiques : ∗altération de l’émail, ∗délabrement dentaire, ∗hypertrophie parotidienne. -Complications neurologiques : ∗épilepsie, ∗atrophie corticale. -Complications liées aux vomissements : ∗oesophagite, ∗syndrome Mallory Weiss( hémorragie digestive haute par rupture du cardia lors d’effort de vomissement), ∗complications dentaires (caries par érosion acide de l’émail, hypertrophie parotidienne), ∗hypokaliémie avec risque de trouble du rythme cardiaque, ∗pneumonie par inhalation du liquide gastrique. -Complications liées aux laxatifs : ∗désordres hydroélectriques, ∗syndrome de malabsorption, ∗ hypocalcémie, ∗ostéomalacie, ∗trouble de la fonction pancréatique, ∗entéropathie avec perte protéique, ∗colon spasmodique, - Complications liées aux diurétiques : ∗ troubles hydroélectriques. -Complication des émétiques : si produits à base d’Ipéca, risques de myopathies généralisées 48 avec cardiomyopathie. -Irrégularités menstruelles : dysménorrhées diverses possibles, même quand le poids est normal, avec des conséquences sur la fertilité. -Mort subite par arrêt cardiaque lors d’hypokaliémie sévère. 7°- Evolution ,pronostic. [ 15 ] [ 16 ] Il existe une variabilité des résultats d’une étude à l’autre, liée à la différence des méthodologies et des échantillons. En matière de boulimie, il est encore trop tôt pour avancer des conclusions définitives quant au pronostic. D’une façon générale, les différences méthodologiques et d’échantillons entre les études sont très importantes contribuant partiellement à expliquer la variabilité des résultats obtenus d’une étude à l’autre (cf. tableaux « principales études évolutives sur la boulimie », p 51 et « facteurs pronostiques dans l’évolution de la boulimie », p 52). Alors que l’évolution de l’anorexie est souvent chronique et continue, celle de la boulimie semble plus constituée d’épisodes successifs avec des périodes de rémissions et de rechutes . au moins 1/3 des malades présentant l’un ou l’autre de ces troubles ( boulimie et ou anorexie) en restent atteints après plusieurs années d’évolution.. Cependant les boulimiques présentent les particularités suivantes par rapport aux anorexiques : - le poids moyen reste situé autour de la moyenne statistique de la population. - La présence l’apparition, à un moment de l’évolution, de troubles menstruels. 49 Facteurs facteurs pronostics dans l’évolution de la boulimie. 50 51 - La présence d’affects dépressifs avec retentissement péjoratif sur la vie sociale. - Les éléments péjoratifs dans le pronostic : - antécédents d’alcoolisme, - tentative de suicide , - recrudescence dépressive. - L’absence de corrélation par rapport au pronostic des éléments Suivants : - durée du trouble, - âge lors du diagnostic. 52 II Psychopathologie des conduites centrées sur le corps chez l’adolescent. La psychopathologie de l’adolescent est caractérisée par l’incidence particulière de la maturation biologique et des interactions sociales à un âge où se forment déjà des organisations pathologiques relativement stables. [ 26 ] On ne peut donner une large priorité aux problèmes de développement comme chez l’enfant. On ne peut pas non plus prendre appui sur les seuls cadres nosographiques de l’âge adulte. Il existe également à cette période une difficulté particulière d’établir les limites du normal et du pathologique. A l’adolescence plus qu’à tout autre âge, la gravité des conséquences pratiques des conduites ne dépend pas seulement de l’organisation de la personnalité. La notion de crise ne suffit d’ailleurs pas à expliquer cet écart. Il nous faut mener plus loin une réflexion sur la notion de conduite. Le marginalisme social caractérise, en partie, le statut de l’adolescent dans nos sociétés. [ 1 ] [ 26 ] 1° Le problème du corps chez l’adolescent. [ 26 ] [ 27 ] Dans la majorité des cas, le corps de l’enfant est silencieux, l’enfant est en bonne santé. Brutalement, à l’adolescence le corps fait bruit. Ce sont ces bruits que l’adolescent nous donne à entendre sous forme de plaintes somatiques diverses. Bruits de la croissance pour lesquels les médecins somaticiens sont consultés, ils constituent aussi les premiers points possibles de cristallisation d’une angoisse toujours prête à surgir. Il n’est pas étonnant que le corps joue à l’adolescence un rôle central aussi bien dans le registre des interactions concrètes avec l’entourage que dans le registre de l’activité fantasmatique. Au processus d’adolescence s’associe un besoin d’éprouvé intense, « un sur éveil corporel », comme le montre la place prépondérante de la dimension « recherche de sensation » au travers de nombreux comportements propres à cet âge. Le corps est au centre de la plupart des conflits de l’adolescence. Une de l’INSERM de 1991 a montré, dans la tranche d’âge 11-20 ans scolarisée, que 12,4% des garçons et 37,3% des filles se 53 disaient excessivement préoccupés par leur poids. La transformation morphologique pubertaire, l’irruption de la maturité sexuelle remettent en cause l’image du corps que l’enfant avait pu constituer progressivement. Ces modifications rendent compte, en partie, de la fréquence avec laquelle on se réfère au corps lorsqu’on étudie l’adolescence. A l’importance biologique de l’hypothalamus dans la régulation des hormones sexuelles et de la prise alimentaire s’ajoute d’autres facteurs ; certains sont inhérents aux processus psychiques eux mêmes tel que le travail de deuil ou la rupture de l’équilibre entre investissement d’objet, investissement narcissique ; d’autres font intervenir le cadre familial et social au sein duquel évolue l’adolescent. Parlant du corps, nous retrouvons ici trois axes principaux de compréhension toujours étroitement mêlés mais que , dès 1935 Schilder avait bien distingués. [ 1 ] [ 13 ] [ 26 ] 2° Le schéma corporel. Terme à connotation neurophysiologique et neuropsychologique relèvent du registre sensori-moteur ( sensorialité extéroceptive et proprioceptive). Le schéma corporel correspond aux diverses projections corticales de cette sensorialité. Les modifications pubertaires s’accompagnent d’une modification sensible du schéma corporel. [ 26 ] 3° L’image du corps. [ 13 ] Elle appartient au registre symbolique imaginaire. La base de « l’image du corps » est affective. Son organisation dépend de l’ontogénèse des pulsions libidinales et agressives, de l’importance des points de fixation et des possibilités de régression à tel ou tel stade. Schilder précise « tout ce qu’il peut y avoir de particulier dans les structures libidinales se reflète dans la structure du modèle postural du corps. Les individus chez qui domine telle ou telle pulsion partielle sentiront, comme au centre de leur image du corps tel point du corps ». ainsi l’image du corps dépend des investissements dynamiques, libidineux et agressifs : cette image est en perpétuel remaniement. La constitution de l’image du corps implique la reconnaissance d’une limite. Selon Angelergues (1973), l’image du corps est un processus symbolique de représentation d’une limite qui a fonction « d’image stabilisatrice » et d’enveloppe 54 protectrice. Cette démarche pose le corps comme l’objet d’investissement et son image comme produit de cet investissement. Un investissement qui conquiert un objet non interchangeable, sauf dans le délire, un objet qui doit être à tout prix maintenu intact. L’image du corps est située dans l’ordre du fantasme et de l’élaboration secondaire, représentation agissant sue le corps. A l’adolescence, le problème de limites est d’une accuité toute particulière, d’où les fréquentes incertitudes concernant « l’image du corps » dont témoignent à des degrés divers les dysmorphophobies, les bouffées hypochondriaques aiguës ou les fréquents sentiments d’étrangeté. 4° Le corps social. [ 26 ] [ 27 ] Il constitue le troisième axe de compréhension. Dans une perspective phénoménologique Schilder considérait que le corps représentait le véhicule de « l’être au monde », était au centre des échanges relationnels affectifs entre individus : « toutes les fois que se manifeste un intérêt pour telle ou telle partie du corps d’autrui existe le même intérêt pour telle ou telle partie correspondante dans le corps propre. Toute anomalie d’une partie du corps concentre l’intérêt sur la partie correspondante dans le corps des autres » (Schilder). Les recherches de Schonfeld (1963) ont bien montré l’importance de la norme sociale. Il existe à l’adolescence un paradoxe dans le domaine de la physiologie (taille, âge d’apparition des signes sexuels secondaires, âge des premières règles…) l’écart type par rapport à la moyenne est à l’adolescence particulièrement grand alors même que la pression sociale normative est particulièrement forte pour l’individu ; l’adolescent ne cesse de s’interroger pour savoir si « c’est normal », « ce qu’en pensent les autres ». cette pression de l’environnement, en particulier du groupe des pairs, conduit l’adolescent à utiliser son corps comme support d’un discours social dont le but est, à la fois, de se différencier d’autrui (surtout dans la pyramide des âges et des générations) et de rechercher une ressemblance rassurante avec les autres (en particulier les pairs) : le phénomène de la mode ou à un autre degré , du tatouage, en est une illustration. Chez l ‘adolescent, le corps intervient 55 dans presque tous les types de conduite : passage à l’acte, TS, conversion hystérique, crainte dysmorphophobique, troubles de conduites liées à la sexualité. [ 13 ] Il est difficile de tracer une frontière bien nette qui définisse l’ensemble des conduites centrées sur le corps. Le passage à l’acte dans son rôle de décharge motrice doit en être exclu, mais il est bien évident que toute conduite centrée sur le corps inclut en elle m^me une part d’agir et constitue avec le passage à l’acte une entrave ou une défense relative face à l’élaboration mentale. De même, la conversion hystérique symbolise un conflit déplacé sur un segment du corps de la même manière que peuvent le faire certaines conduites somatiques alimentaires ou d’endormissement.. Néanmoins dans ces derniers cas, la symbolisation paraît moins élaborée, plus proche d’un comportement propre à un enfant très jeune. La référence à l’enfant très jeune témoigne de la place particulière qu’occupe le corps dans la psychologie et la psychopathologie de l’adolescent. Il n’est pas excessif de dire que dans l’interaction sociale le corps de l’adolescent occupe presque la même place que celle du corps du nourrisson ou du jeune enfant dans l’interaction duelle avec sa mère. A titre de comparaison, la référence au corps est beaucoup moins fréquente aussi bien dans la psychopathologie de l’adulte que dans celle de l’enfant en période de latence, si l’on excepte bien sûr, les quelques domaines de pathologie spécifique ( psychosomatique, pathologie psychomotrice de l’enfant). En effet, une des caractéristiques de l’adolescent est de se servir du corps et des conduites dites somatiques comme mode d’expression de ses difficultés mais aussi comme moyen de relation. En ce sens, les conduites à expression somatiques diffèrent à la fois de l’hystérie et de la pathologie psychosomatique : le rôle des relations actuelles, la recherche d’un moyen de pression immédiat sur l’environnement situent ces conduites en deçà de l’hystérie si l’on admet que le conflit hystérique est d’abord et avant tout un conflit interne ; mais le travail de symbolisation, la souffrance psychique fréquemment exprimée situent celles-ci au delà de la pathologie psychosomatique si l’on admet que cette dernière se substitue entièrement à l’élaboration psychique et se caractérise par l’existence d’une pensée opératoire. [ 1 ] Pour résumer, nous définirons les troubles à expression somatique des adolescents comme des systèmes de conduite où les besoins physiologiques du corps ( entendus au sens large : sommeil, alimentation, hygiène, vêture, parure) sont pris comme moyen. L’interaction 56 avec les objets externes, que ces objets soient réels (personnes de l’entourage) ou fantasmatiques (images parentales). D’une manière générale, les conduites centrées sur le corps nous semblent avoir pour première particularité de mettre en question la définition d’un corps sexué : l’adolescent utilise son corps physique, ses besoins physiologiques, en particuliers alimentaires ou de sommeil pour maintenir à distance la sexualité et les bouleversements qu’elle induit dans le corps. L’exemple de l’anorexie mentale est évident, mais l’obésité, certaines difficultés de sommeil peuvent aussi s’accorder à ce type d’explication. Une hypothèse avancé par Canestari pour rendre compte des fréquentes craintes dysmorphophobiques peut être étendue aux diverses conduites centrées sur le corps. Pour cet auteur, la rupture de l’équilibre entre les investissements objectaux et les investissements narcissiques, l’absence transitoire d’objets aux pulsions libidinales et agressives, conduisent l’adolescent à prendre son corps à objet transitoire, transitionnel ou transactionnel afin d’y diriger ses pulsions. Choisir son propre corps à objet d’amour est précisément l’un des paliers du narcissisme secondaire tel que Freud l’a défini. Certes, Freud s’est essentiellement intéressé au destin de la pulsion libidinale ; il est possible d’avancer les mêmes constatations avec la pulsion agressive. Lorsque cette dernière n’a plus d’objet d’investissement à sa disposition, le corps vient prendre un relais transitoire. Ainsi, de nombreuses conduites observée en clinique telles que les automutilations discrètes ou les ébauches de TS ou les vagues craintes dysmorphophobiques, paraissent avant tout témoigner de cette relation particulière et privilégiée de l’adolescent avec son corps. [ 26 ] Ainsi le corps, à l’adolescence, peut être considéré comme une sorte d’objet relais aux diverses pulsions libidinales et agressives, à mi- chemin entre l’objet externe et les objets fantasmatiques internes lieu de projection de ces fantasmes. Le paradoxe du corps à l’adolescence est d’être considéré encore à objet transitionnel c’est à dire faisant à la fois partie du moi et du non moi. Il est aussi le lieu des craintes d’altérité, d’étrangeté, d’aliénation au sens quasi étymologique du terme (transfert d’une propriété ou bien d’une personne à une autre). P. Jeammet (1980) résume la place du corps dans la problématique de l’adolescence : « le recours au corps est à l’adolescence un moyen privilégié d’expression. Le corps est en effet un repère fixe pour une personnalité qui se cherche et qui n’a qu’une image de soi 57 encore flottante ; Il est au point de rencontre entre le dedans et le dehors, en marquant les limites…Le corps est une présence tout à la fois familière et étrangère : il est simultanément quelque chose qui vous appartient et quelque chose qui appartient à autrui notamment les parents…Enfin le corps est un message adressé aux autres. Il signe généralement les rituels d’appartenance notamment sous la forme de la mode ». Lorsqu’on aborde le champ plus spécifique de la psychopathologie, dans le cas des conduites centrées sur le corps, deux types de défense paraissent prévalents parmi tous les autres modes défensifs. 1- Le besoin de maîtrise, défense mise au service de la progression illustré en clinique par l’ascétisme mais qui peut prendre une intensité telle que toute émergence pulsionnelle doit être annihilée ( comme dans l’anorexie mentale). 2- La capacité de régression dans sa dimension temporelle marquée par le retour à des sources de satisfactions pulsionnelles antérieures partiellement abandonnées. 5° Le besoin de maîtrise. [ 1 ] Il est directement lié au besoin de l’adolescent de garder le contrôle à la fois sur les fantasmes qui peuvent surgir en lui et sur les sources d’excitation pulsionnelle interne. Les changements qui s’opèrent en lui « à son corps défendant » risque de désigner le corps comme objet à contrôler, passant d’un simple besoin de maîtrise à l’impérieuse nécessité de conserver l’emprise sur le corps. Comme le signale Gantheret (1981) « l’emprise est d’abord emprise de corps et « emprise au corps… C’est la tâche de maîtriser l’objet pour arrêter la source qui est dévolue à la pulsion d’emprise ». Cette pulsion d’emprise, on peut en observer la traduction clinique à travers ce qu’ A. Freud (1946)décrit dans le comportement ascétique de l’adolescent : « l’ascétisme de la puberté se caractérise par une hostilité innée indifférenciée, primaire et primitive entre le moi et les pulsions, hostilité qui conduit le moi à haïr les instincts s ‘éveillant lors de la puberté : cette crainte de la pulsion ressentie par l’adolescent a un caractère dangereusement progressif et peut, après n’avoir concerné que les véritables désirs pulsionnels, être reportée jusque sur les besoins physiques les plus ordinaires. L’adolescente refuse de se prémunir contre le froid, réduit « par 58 principe » au stricte minimum sa nourriture quotidienne, s’oblige à se lever très tôt, évite de rire ou de sourire ». Chacun connaît ces adolescents qui s’imposent des tâches physiques rudes, se créent une « hygiène » de vie spartiate, se refusent toute satisfaction physique. Généralement il est aisé de constater combien ces préceptes ne sont rien d’autre qu’une tentation rigide de contrôler les pulsions sexuelles et (ou) agressives , en particulier les désirs masturbatoires. Dans l’anorexie mentale cet ascétisme devient caricatural. [ 13 ] 6° La place de la régression. [ 26 ] [ 27 ] Sa qualité, son degré, sa réversibilité constituent l’un des facteurs primordiaux de l’évolution pathologique à cet âge. Cette régression s’exprime de façon privilégiée à travers des conduites centrées sur le corps (perturbation des conduites alimentaires, des conduites d’endormissement) ou par des demandes corporelles distinctes ( demande de soins corporels, craintes hypochondriaques) ; Il est classique de distinguer trois types de régression : 1°- La régression temporelle caractérisée par un retour à des buts de satisfaction pulsionnelle propres à des stades antérieurs au développement. 2°- La régression formelle marquée par l’abandon des processus secondaires de pensée au profit de processus primaires. 3°- La régression topique caractérisée par le passage d’un niveau d’exigence moïque ou surmoïque à un niveau d’exigence du ça. Le concept de régression doit être articulé étroitement avec le concept de point de fixation. A l’adolescence, tous les types de régression s’observent. Mais en ce qui concerne plus particulièrement le corps, on peut dire que la régression temporelle et, à un moindre degré , la régression topique constituent des moyens de compréhension utiles : il est évident que face à l’émergence de la sexualité, le retour protecteur à des buts pulsionnels témoignant de pulsions partielles est fréquent. Les perturbations des conduites alimentaires occupent dans ce domaine une place privilégiée : la fréquence de ces perturbations à l’adolescence témoigne de l’importance des points de fixation oraux et de leurs réactivations concomitantes à la recrudescence pulsionnelle globale. 59 III- Moyens de prise en charge thérapeutique actuels des TCA chez l’adolescent. La majorité des auteurs propose d’appliquer aux TCA des traitements multidimensionnels c’est à dire conjuguant des pratiques dont les bases théoriques sont très différentes les unes des autres : psychothérapie cognitivocomportementale, psychothérapie analytique, mesures diététiques, chimiothérapie. [ 17 ] Cependant, la compréhension de ces traitements est avant tout psychodynamique, la manière d’articuler ces différentes stratégies entre-elles est tout aussi essentielle que les différentes techniques à proprement parler. Schématiquement le premier temps du traitement peut être considéré comme symptomatique, sans rupture des cercles vicieux physio-psychopathologiques ; sans interruption de l’auto entretien des 60 symptômes il semble impossible d’entreprendre une démarche psychothérapeutique. C’est le plus souvent dans un deuxième temps que sont entreprises ces démarches psychothérapeutiques à proprement parler. Au bout d’un certain temps, la prise en charge marque un tournant qui se repère dans le cadre de la relation thérapeutique. Le projet à alors mûri et permet un engagement authentique. La patiente connaît les avantages et les difficultés des traitements, leur longueur, l’astreinte qu’ils représentent, les espoirs dont ils sont porteurs. C’est à ce moment que débutent véritablement les traitements. Le plus souvent la prise en charge bifocale : un thérapeute assure la prise en charge psychothérapeutique psychodynamique, un autre coordonne l’ensemble des autres traitements et du travail avec les familles quand celles ci sont présentes au départ. Anorexie et boulimie, un continuum ? Ces troubles partagent quelque chose en commun, ils sont des états différents d’un même continuum. Au niveau de la prise en charge il existe donc des similitudes. Le caractère spectaculaire de celle-ci, la mise en jeu du pronostic vital qu’elle implique, l’aspect manifeste de la participation somatique l’ont faite rapidement reconnaître comme une maladie sérieuse. La boulimie est bien moins évidente à détecter. Elle peut rester longtemps méconnue de l’entourage, même le plus proche, car elle est le plus souvent normo-pondérale et les crises se déroulent en cachette. Quand elle est découverte, sa signification, sa gravité sont méconnues et elle est volontiers considérée, même dans les milieux médicaux comme le caprice des enfants gâtés d’une société riche. Sa fréquence, maintenant reconnue, est un phénomène récent des 20 on 30 dernières années et les chercheurs s’accordent plus unanimement que dans le cas de l’anorexie pour en reconnaître l’expansion. [ 15 ] Nous pouvons résumer cette prise en charge des TCA (anorexie et boulimie) sous la forme du tableau suivant : [ 15 ] 61 62 A- Hospitalisation. 1°- Cas de l’anorexie Dans le cas de l’anorexie, l’indication d’hospitalisation doit rester exceptionnelle, uniquement quand le pronostic vital est en jeu. Les méthodes contraignantes et coercitives sont peu à peu abandonnées et représentent une redoutable complication pour le traitement au long cours. Actuellement en France, les hospitalisations des patientes anorexiques sont à peu près codifiées et les différents thérapeutes se rejoignent autour de la mesur de « contrat » ( nous y reviendrons plus loin). Les critères d’hospitalisation sont : - amaigrissement important et rapide - épuisement physique ou fatigue intense soulignée par la patiente à fortiori s’il existe des troubles de la vigilance et de la conscience - présence de facteurs d’aggravation dans le domaine relationnel et/ou social : rupture ou séparation même temporaire, échéance sociale ou scolaire. - présence de facteurs d’aggravation somatiques : épisode infectieux, diarrhée… Longtemps considérée comme la pierre angulaire de l’action thérapeutique, sa rigueur fluctue selon les auteurs : de l’isolement quasi carcéral au simple séjour en clinique ou aux séquences de traitement intégratif reposant sur la conjonction des abords médicaux, nutritionnels, psychothérapeutiques et familiaux. Le risque est de centrer cette hospitalisation sur la prise de poids (toujours possible) et d’oublier la nécessité concomitante d’établir une relation thérapeutique (toujours aléatoire). Au cours de cette hospitalisation, un maternage intense et de bonne qualité peut avoir un effet réparateur et permettre à l’anorexique d’amorcer un mouvement authentiquement dépressif sur lequel la psychothérapie trouvera ses premières bases. Etant donné l’intensité des contreattitudes que suscite l’anorexique, l’analyse institutionnelle de ces dernières est indispensable. [ 38 ] L’isolement et l’hospitalisation ne sont 63 jamais une fin en soi. Pour Girard, l’hospitalisation doit avoir des buts limités et précis : - arrêter la chute pondérale, interrompre l’aggravation des comportements réactionnels familiaux, - démontrer la réversibilité possible de la pathologie somatique par l’abord psychologique, - inscrire l’hospitalisation dans l’ensemble d’un projet thérapeutique dont la psychothérapie reste l’élément majeur, - enfin, si nécessaire traiter un état dépressif secondaire. Un contrat d’hospitalisation et de séparation incluant un poids de sortie est en général retenu. Parfois, des paliers de poids sont définis pour la reprise successive des contacts familiaux épistolaires ou téléphoniques, des visites et des .sorties d’essai. [1 ] Les auteurs contemporains insistent sur la valeur symbolique de ce contrat et sur la nécessité de ne pas entrer dans une surveillance d’allure policière de l’anorexique ce qui risque toujours d’induire une relation d’allure perverse. La base de ce contrat est la reprise progressive et modérée du poids ; De ce point de vue, une surveillance pondérale régulière (une fois par semaine environ) effectuée par un membre référent de l’équipe de soins est nécessaire. Il est impossible de fixer la durée probable de l’hospitalisation malgré les demandes insistantes de l’anorexique et de sa famille car cette durée dépend à l’évidence du rythme de la reprise pondérale. L’hospitalisation dure en moyenne entre 3 et 6 mois. IL n’est pas exceptionnel d’observer une stagnation du poids quand celui-ci atteint presque le poids convenu pour la sortie. Cette stagnation temporaire témoigne d’ambivalence inconsciente de l’anorexique désirant sortir (ce qu’elle réclame) mais souhaitant conserver le soutien de l’institution (ce que la stagnation pondérale montre) et angoissée à l’idée de la séparation. Ce traitement s’inscrit dans le « traitement institutionnel» mis en place pendant l’hospitalisation avec l’établissement d’une relation d’étayage régressif avec certains soignants (référents), la diversification des investissements sur la pluralité des lieux et des personnes (ateliers divers, groupes institutionnel, lieux d’expression,…), la réviviscence des angoisses abandonniques au moment de la sortie. Ce traitement institutionnel sert 64 souvent à préparer et étayer la psychothérapie individuelle. [ 38 ] 2° Cas de la boulimie. Dans le cas de la boulimie, l’indication d’hospitalisation est encore plus rare. A la différence de l’anorexie, la boulimie fait l’objet d’une connaissance relativement récente et la façon dont la demande thérapeutique est posée est sensiblement différente des cas d’anorexie : patiente plus âgée et ne vivant souvent plus dans sa famille, demande plus explicite de soins [ 38 ] Cependant il existe de réelles indications à l’hospitalisation d’une patiente boulimique qu’il ne faut pas méconnaître : - état somatique très défavorable (émaciation majeure, troubles somatiques graves comme l’hypokalicémie sévère…) - nécessité d’un bilan somatique complet (trouble très ancien entraînant des complications somatiques importantes - hésitation diagnostique : - somatique : tumeur - psychiatrique : trouble psychotique - épisodes boulimiques itératifs ( patiente ayant perdu le contrôle sur son alimentation ). - situation socio-familiale inextricable et maintenant le symptôme - fragilité psychologique majeure. Le temps d’hospitalisation est beaucoup plus bref que dans l’anorexie. Il n’est pas non plus question de contrat de poids mais d’inscrire cette hospitalisation dans un projet thérapeutique dont la psychothérapie reste l’élément majeur. 3° Déroulement de l’hospitalisation. En France, les hospitalisations à temps 65 plein se font surtout dans des services psychiatriques généraux ou de médecine ( médecine interne et nutritionnelle) et beaucoup moins souvent dans des services spécialisés des TCA organisés en réseau. Le début de l’hospitalisation est caractérisé par la préparation à la prise en charge. Celle-ci est tout aussi essentielle que les moyens spécifiques qui la constituent. Ceci vaut aussi pour le temps de l’hospitalisation. Lorsqu’une patiente entre dans un service spécialisé ou du réseau, une période de transition d’une ou deux semaines lui est proposée. Elle peut alors, sans encore entreprendre son traitement, faire connaissance avec les locaux, l’équipe pluridisciplinaire et les autres patientes. C’est lorsqu’elle se sentira suffisamment prête elle-même que les modalités plus précises de l’hospitalisation seront mises au point avec elle. Il arrive parfois à ce stade que la patiente refuse de poursuivre l’hospitalisation. IL lui est alors signifié qu’il serait souhaitable de poursuivre avec elle une réflexion en externe et que, le cas échéant, lorsqu’elle se sentira plus prête, une nouvelle hospitalisation lui restera offerte . [ 38 ] Il est convenu avec la patiente que le but de l’hospitalisation n’est pas uniquement la réduction du symptôme mais un mieux-être général. Une évaluation en fonction de ce critère est faite avec la patiente. Le moment où elle se sent vraiment préparée à retourner à la vie extérieure ne coïncide pas toujours avec la fin du contrat ou du programme fixé mais peut lui succéder avec un certain décalage. Les buts de l’hospitalisation sont variés. Des programmes ou des contrats peuvent être utilisés. Les programmes se fixent sur une durée de temps. Les contrats sont conçus selon un esprit assez proche des contrats d’anorexiques mais ils visent plutôt l’annulation des conduites de boulimie et de vomissement que la reprise de poids. Des tâches graduées sont poursuivies tout au long de l’hospitalisation allant vers la normalisation des conduites alimentaires. Différentes activités thérapeutiques individuelles et de groupes sont proposées, comparables à celles du programme de jour et de clinique externe dans le cas d’une hospitalisation dans un site clinique en réseau. L’hospitalisation dure en général quelques mois ( deux mois en moyenne). [ 38 ] 66 B- Suivi ambulatoire. Approche plurifocale dans ces deux troubles avec des particularités pour chacun d’entre eux. Les demandes thérapeutiques formulées par les patientes sont souvent nombreuses, diversifiées, diététiques, psychothérapeutiques, médicamenteuses, comportementales… mais rarement poursuivies avec assduité, du moins au début. [1] Tous les auteurs s’accordent à reconnaître la difficulté d’approche et de traitement en profondeur de ces patientes. Le recul manque également pour évaluer la pertinence des diverses méthodes thérapeutiques utilisées. C’est dans un second temps uniquement après une période initiale dominée par les fluctuations transférentielles et l’attaque du cadre thérapeutique que pourra se déployer une relation thérapeutique satisfaisante. En fonction des données psychodynamiques l’approche thérapeutique a intérêt à s’inscrire dans un cadre contractuel. A distance du « tout ou rien » et du « tout », « tout de suite », comme dans l’attente magique d’un traitement miracle qui réglerait tout, qui caractérise le plus souvent le fonctionnement psychique manichéen des patients souffrant de TCA .Il s’agit de créer patiemment les conditions d’une alliance thérapeutique réfléchie conduisant à un contrat de soins sur des objectifs prenant en compte leurs difficultés alimentaires tout en les débordant largement pour intégrer un mal être plus global et ancien, invalidant relationnellement. C’est pourquoi il importe de se dégager le plus possible de situations d’urgence, ou présentées comme telles, pour ouvrir la perspective d’un travail au long cours, souvent sur des années. C’est la visée principale des premiers entretiens qui conduiront le clinicien à être à l’écoute d’une souffrance qui a souvent du mal à se dire, à donner une information suffisante sur les boucles d’auto entretien et d’auto-renforcement des troubles, comme sur les possibilités de soins. Ayant pris la mesure avec le patient de la maltraitance du corps à l’œuvre ( notamment à travers l’évocation des conséquences médicales de la poursuite de la conduite), de l’isolement affectif et relationnel habituel, ainsi que des circuits de dépendance étroite en place avec l’entourage le plus proche, la définition d’objectifs élargis pourra être envisagée. IL s’agira pour le patient de viser, outre 67 la disparition de la conduite alimentaire pathologique, la découverte ou redécouverte d’une relation plus simple et harmonieuse avec son corps et avec les autres, d’un espace personnel suffisamment sécure pour être un terrain d’envies, de choix et de réalisation lui appartenant en propre ; au total donc un objectif de plus de liberté personnelle dans tous les domaines y compris alimentaire. Le déroulement ultérieur du soin ne peut être envisagé de façon stéréotypée, mais dépend au contraire de l’évolution de la spécificité de chaque problématique, à des références et habitudes de chaque thérapeute. [ 16 ] Si dans certaines formes du registre névrotique, dans lesquelles la répétition comportementale n’est pas trop fixée ( par le recours répété aux vomissements en particulier), un abord analytique relativement classique peut être proposé d’emblée, le plus souvent, celui-ci n’est envisageable que dans un second temps, après que les garanties narcissiques aient pu être obtenues par ces patients, réduisant le caractère massif et excitant de leur appétence objectale et donc du lien transférentiel. D’où l’importance des approches thérapeutiques spécifiques et des activités de groupe, médiateurs du soin, permettant au patient d’expérimenter son ambivalence et la massivité de ses mouvements pulsionnels de façon moins menaçante qu’en relation duelle. Divers types de groupes peuvent être proposés : groupe parole, psychodrame psychanalytique de groupe, groupe d’entraînement à l’affirmation de soi. Selon des modalités fort différentes, ces groupes ont en commun l’intérêt de répondre à la fragilité narcissique du patient boulimique et à ses difficultés identificatoires en lui permettant de se reconnaître dans le vécu des autres et de s’en différencier. Il faut souligner l’intérêt dans les formes sévères et en début de prise en charge, des thérapies bi ou plurifocales contribuant à la condition d’une articulation d’une articulation suffisante, à travailler directement avec les clivages à l’oeuvre chez le patient et à prévenir le risque de rupture thérapeutique précoce. [ 16 ] La nécessité de prendre en compte le symptôme dans sa réalité comportementale et corporelle, ou tout au moins de ne pas le laisser hors du champ thérapeutique, doit être soulignée devant l’éventualité non exceptionnelle d’évolutions intermédiaires marquées par la résistance du symptôme, lequel s’auto entretien de façon clivée, alors même qu’à beaucoup d’égards la thérapie semble porteuse d’ouverture significative aux plans émotionnel, affectif et relationnel notamment. Parmi les éléments à évaluer 68 précisément dans le souci de proposer à la patiente le dispositif thérapeutique le plus adapté figurent en particulier : - les aspects purement symptomatiques et liés à l’ancienneté du trouble, l’existence de vomissements fréquents et installés depuis plusieurs années étant en particulier considérée comme de mauvais pronostic par la plupart des auteurs. - la place et la fonction du symptôme dans l’économie psychique du patient, conditionnant ses capacités d’insight et d’intérêt pour son propre fonctionnement psychique. - les caractéristiques de personnalité et le niveau d’adaptation sociale antérieur, à la recherche notamment d’autres troubles du comportement et de manifestations impulsives, évocateurs d’une organisation borderline considérée comme de mauvais pronostic. - le contexte familial, l’entourage, participent souvent à l’entretien de la conduite et de subtiles boucles relationnelles peuvent constituer un obstacle à une évolution favorable lors du traitement , ce qui signifie qu’un travail thérapeutique doive dans de nombreux cas être entrepris avec cet entourage avec qui une alliance suffisante doit être établie. Enfin il est important de faire un inventaire soigneux des traitements antérieurs, de leurs effets comme des modalités de leur interruption, en ayant le soucis d’éviter toute disqualification inutile. Un suivi prolongé est en règle générale nécessaire, même dans les formes pour lesquelles une amélioration importante a pu être obtenue grâce à une intervention thérapeutique brève et peu intensive. Comme avec toutes les conduites de dépendance, il est une garantie essentielle quant au pronostic global à long terme, largement dépendant de la continuité de la relation thérapeutique au delà des vicissitudes évolutives, en terme de rechutes en particulier. Peu d’études ont cherché à comparer de façon méthodologiquement rigoureuse les divers types de thérapie utilisés et leurs résultats. Si certains auteurs concluent à l’efficacité voisine d’approches psychothérapiques différentes individuelles et groupales et à l’intérêt de la conjuguer (Freeman et coll. 1988, Kennedy et Garfinkel, 1992, Rorty et coll. 1993), d’autres insistent surtout sur les difficultés de telles comparaisons eu égard au 69 nombre de paramètres à prendre en compte (Garner 1987, Yager 1988, Mitchell 1993). Les données isolées du réseau de recherche clinique n’échappent à ces difficultés, dont la moindre n’est pas de trouver une information suffisant et un consensus sur la nature exacte du traitement suivi. 1°- Consultation psychiatrique. • Dans le cadre de l’anorexie. La consultation psychiatrique avec des rencontres de l’adolescente seule puis des parents avec l’adolescente (bimensuelle ou mensuelle) fait partie du contrat de soins imposés associant : « guidance parentale » et auprès de l’adolescente une première approche des conflits et des zones de souffrance. Une psychothérapie individuelle est néanmoins présentée comme indispensable, comme un temps de l’abord thérapeutique. Grace à ce cadre accepté par les parents et au début imposé à l’adolescente puis secondairement accepté par elle, les formes modérées régressent souvent. Toutefois le recours à la séparation est nécessaire quand le poids stagne durablement ( trois à quatre mois) ou quand l’amaigrissement se poursuit, l’hospitalisation devient indispensable voire urgente (voir hospitalisation). • Prescription de psychotropes [ 23 ], [ 1 ]. Toujours réduite au stricte nécessaire, la prescription de psychotropes concerne essentiellement les antidépresseurs. Cette prescription ne doit pas entraver le travail psychodynamique d’élaboration dépressive ni à fortiori s’y substituer. En effet, cette élaboration dépressive représente souvent une phase nécessaire et dynamique de la progression thérapeutique. A l’origine de l’utilisation d’une chimiothérapie dans les TCA, on trouve deux modèles théoriques : - Le premier modèle est issu de l’observation clinique, confirmée par les travaux de recherche, qu’il existe une forte prévalence (personnelle et familiale) des troubles de l’humeur dans les TCA et notamment la boulimie. Cette co-morbidité a fait envisager de nombreuses hypothèses quant à la nature des liens entre les deux pathologies : une vulnérabilité génétique 70 pourrait être commune aux deux affections, le trouble alimentaire serait alors considéré comme une variante phénotypique d’un trouble de l’humeur. Le symptôme alimentaire pourrait se concevoir comme une protection vis à vis d’une vulnérabilité dépressive basale. Le trouble alimentaire traduirait l’incapacité du sujet à concevoir un travail de deuil et à élaborer la position dépressive. - Le second modèle est lié à la mise en évidence de l’effet du système sérotoninergique sur le contrôle de la satiété dans l’hypothalamus médian. Il a été à l’origine de nombreux essais médicamenteux utilisant les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ( 5-HT) et les agonistes sérotoninergiques. Cependant, quelque soit le rôle prévalent d’un neurotranmetteur spécifique dans lea physiopathologie des TCA, on ne peut envisager l’hypothèse d’une corrélation biologicoclinique univoque (un neurotransmetteur-un comportement-ou un symptôme). Le mécanisme d’action biochimique (monoaminergique) d’une molécule n’est jamais totalement spécifique et son impact privilégié sur un neurotransmetteur entraîne obligatoirement des variations en chaîne des autres neurotransmetteurs, difficilement mesurables. [ 16 ] La plupart des études concluent à l’efficacité versus placebo des antidépresseurs : - tricycliques (imipramine, désipramine, amitriptiline ) - sérotoninergiques (fluoxétine) Dans la boulimie, l’amélioration observée n’est le plus souvent que partielle et inconstante. Le pourcentage de patientes totalement abstinentes à la fin de la période de traitement restant faible dans la plupart des études. L’échappement au traitement est fréquent. L’effet thérapeutique dépend probablement de la symptomatologie clinique, du moment évolutif de l’affection, de l’importance de la bouche comme zone érogène, comme part déterminante de l’investissement thérapeutique par le biais de l’objet médicament. Les modalités de la prescription, l’investissement du thérapeute pour celle ci, le travail d’implication sur l’impact du traitement et la place concomitante nécessaire à la psychothérapie jouent sur l’effet de la chimiothérapie un rôle non négligeable. [ 16 ] L’efficacité des antidépresseurs pose 71 la question théorique entre boulimie et dépression d’une part, boulimie et impulsivité d’autre part. Si l’association boulimie-dépression existe, elle n’est pas constante et ces deux états ne peuvent être confondus. Le lien entre boulimie et impulsivité étayé par l’aspect clinique des crises boulimiques soulève l’hypothèse sérétoninergique du trouble, reprise par de nombreux auteurs. Toutefois pour Dantchev et coll. (1993) il est difficile de catégoriser les patientes boulimiques selon ce trait comportemental, aussi bien d’un point de vue quantitatif que dimensionnel. Cette hypothèse reste cependant intéressante, ne serait-ce que pour expliquer l’action des AD en particulier sérotoninergiques qui semblent efficaces dans certains cas m^me en l’absence de perturbation thymique . Cependant, il convient de prescrire des produits ayant une large marge de sécurité afin d’éviter les dangers dus à des absorptions impulsives et/ou suicidaires. De plus, les patientes sont souvent réticentes à l’idée de prendre un traitement, craignant une dépendance et des effets secondaires Il existe deux modèles théoriques à l’origine de l’utilisation de chimiothérapie :: - l’observation clinique confirmée par les travaux de recherche montre qu’il existe une forte prévalence (personnelle et familiale) de troubles de l’humeur dans la boulimie. Cette co-morbidité, dépression-boulimie peut s’expliquer : - par une vulnérabilité génétique commune aux deux affections -par le fait que le symptôme alimentaire pourrait se concevoir comme une protection vis à vis d’une vulnérabilité dépressive basale. Le trouble alimentaire traduirait l’incapacité du sujet à concevoir un travail de deuil et à élaborer la position dépressive. Le symptôme alimentaire serait directement à l’origine de la dépression (par les désordres biologiques qu’il induit et le sentiment de faillite narcissique lié à la perte du contrôle de soi), ceci se vérifierait quand la conduite boulimique se chronicise , la dépression secondaire exacerbe le, symptôme alimentaire générant une boucle d’auto-entretien des troubles. - La mise en évidence de l’effet du système sérotoninergique sur le contrôle de la satiété dans l’hypothalamus médian, à l’origine de nombreux essais médicamenteux utilisant les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (5- HT) et les agonistes sérotoninergiques. Mais 72 quelque soit le rôle prévalent d’un neurotransmetteur spécifique dans la physiopathologie des TCA, on ne peut envisager l’hypothèse d’une corrélation biologico-clinique univoque ( un neurotransmetteur- un comportement ou un symptôme). Le mécanisme d’action biochimique ( monoaminergique ) d’une molécule n’est jamais totalement spécifique. Son impact privilégié sur un neurotransmetteur entraîne obligatoirement des variations en chaîne des autres neurotransmetteurs, difficilement mesurables. La plupart des études concluent à l’efficacité versusplacébo des antidépresseurs : - tricycliques ( imipramine, désipramine, amitriptgline), - sérotoninergiques (fluoxétine) - iMAO (phénalzine, isocarboxazide ). Dans la boulimie, l’amélioration observée n’est le plus souvent que partielle et inconstante, le pourcentage de patients totalement abstinents à la fin de la période de traitement restant faible dans la plupart des études. L’échappement au traitement est fréquent. L’effet thérapeutique dépend probablement de la symptomatologie clinique, du moment évolutif de l’affection, de l’importance de la bouche comme zone érogène, comme part déterminante de l’investissement thérapeutique par le biais de l’objet médicament. Les modalités de la prescription ,l’investissement du thérapeute pour celle ci, le travail d’explication sur l’impact du traitement et la place concomitante nécessaire de la psychothérapie jouent sur l’effet de la chimiothérapie un rôle non négligeable. [16] 73 [ 16 ] 2°Consultation en médecine générale. A côté du psychiatre et en collaboration permanente avec les autres partenaires de soin, le médecin généraliste tient une place privilégiée. Véritable thérapeute référent, proche de la patiente, de sa famille et de son environnement, il apporte à la prise en charge un rôle de coordination, de suivi et de dépistage des complications somatiques. Dans les TCA, les complications 74 médicales, psychoaffectives et sociales sont inéluctables au terme de plusieurs années d’évolution spontanée. Elles nécessitent toute une série de mesures thérapeutiques collatérales et la multiplication de consultations auprès de divers spécialistes. Le médecin traitant peut coordonner le recours au consultant et les différentes prescriptions . En pratique, les principaux problèmes rencontrés sont d’ordre digestif, endocrinien, cardiovasculaire et neuropsychique. [ 16 ] a- Complications digestives Due aux vomissements répétés, l’oesophagite de grade I ou II (inflammation + ulcérations) est fréquente, de même que le reflux gastro-oesophagien et parfois la hernie hiatale. L’indication de fibroscopie oeso-gastro-duodénale est posée en cas de douleurs vives rétrosternales, de reflux intense ne cédant pas aux traitements symptomatiques, en cas d’ulcération et/ou de saignement, un traitement par iPP doit être institué avec un contrôle fibroscopique. Les turgescences et/ou douleurs parotidiennes et/ou sous-maxillaires fréquentes chez les patientes vomisseuses sont traitées par pansements alcoolisés et/ou prise d’AINS pendant quelques jours. Les douleurs abdominales intenses après les crises de boulimie peuvent faire évoquer une pancréatite aiguë à minima (dosage des amylases, de la lipase, des triglycérides à jeun) ou très rarement une dilatation ou une rupture gastrique ou oesophagienne, une occlusion intestinale haute, un pince mésentérique, un infarctus du mésentère. Une intervention chirurgicale peut être nécessaire en urgence, survenant le plus souvent chez les anorexiques boulimiques et en cas de crise boulimique massive consécutive à une longue période de jeûne. Diarrhées, mal-absorptions, rectorragies sont secondaires à l’usage intensif de laxatifs. Le colon « irritable » fréquent est traité par pansement digestifs, antalgiques, antispasmodiques régulateurs du transit. b- Complications stomatologiques Toutes les boulimiques vomisseuses présentent des complications gingivales et dentaires avec attaque de l’émail dentaire (face interne), déchaussement, retrait gingival, caries extensives, 75 décalcification. Le bilan dentaire est systématique, le reflux acide répété peut être prévenu par des résines protégeant l’émail dentaire. c- Complications cardiovasculaires et rénales L’hypochlorémie, l’hypokaliémie, l’alcalose métabolique sont secondaires aux pertes hydroélectrolytiques ( vomissements, laxatifs, diurétiques). L’hypokaliémie est responsable de tachycardie paroxystique, d’accès d’arythmie supra ventriculaire, d’extrasystolie parfois de torsades de pointe voire de mort subite. La kaliémie doit systématiquement être contrôlée chez les patientes vomisseuses. Un traitement par supplémentation de K+ et systématique lors de vomissements quotidiens et pluriquotidiens. La fonction rénale (urémie, créatinémie) est régulièrement contrôlée. Si la kaliémie est < ou = à 2,5 m Eq, une hospitalisation de quelques jours est indiquée pour une perfusion de K+ et correction de l’alcalose métabolique. e- Complications carentielles Chez les anorexiques boulimiques et chez les boulimiques normopondérales, on recherche et on corrige systématiquement les déficits nutritionnels : - anémie hypochrome hyposidérémique par carence martiale (fer pendant 3 mois). - Hypogueusie par carence en zinc - Hypophosphorémie par carence en vitamine B1, B6 et risque d’encéphalopathie de Gayet -Wernicke. Prescrire avec modération des supplémentations en vitamines, minéraux et oligoéléments en cas d’anarchie alimentaire ou de restriction calorique chronique inférieure ou égale à 1200 kilocalories par 24 heures. En cas de déficits en fibres, un apport en fibres naturelles suffit (fruits, légumes verts, soja, légumineuses, pain complet, pain au son , céréales). f- Complications endocriniennes Secondaires à la malnutrition, réversibles spontanement sans nécessité de mesure correctrice. S’il existe un dysfonctionnement de 76 l’axe hypothalamo-hypophyso- gonadique avec aménorrhée supérieure à trois mois, on peut prescrire des oestroprogestatifs afin de préserver le capital osseux. Ce traitement sera arrêté en cas de reprise des cycles spontanés. 3°- Approche nutritionnelle. [ 38 ] Elle trouve sa justification théorique dans les observations suivantes : - le dérèglement des conduites alimentaires occupe largement l’avant-scène clinique et supporte bien souvent la plainte des patients. - les conduites alimentaires perturbées entraînent un certain nombre de conséquences morbides. - les désordres endocrino-métaboliques induits contribuent à auto- entretenir les conduites boulimiques. - les conduites alimentaires pathologiques sont des conduites apprises, elles peuvent donc être désapprises. Quel que soit le type de thérapie entrepris, en cas de difficultés il y a risque de retour aux comportements alimentaires perturbés antérieurs si des comportements alimentaires nouveaux (alternatifs) n’ont pas été acquis entre temps. Il existe une étroite connexion entre approche nutritionnelle et thérapie cognitivo-comportementale et plus globalement l’ensemble du dispositif thérapeutique. Une approche nutritionnelle pure des conduites boulimiques est difficile à concevoir. [ 38 ] • La composante informative pédagogique concerne la régulation du poids et de la balance énergétique, les erreurs nutritionnelles, les règles diététiques, les dangers de pratiques de purge et de l’exercice physique non contrôlé, la composition corporelle, la balance hydrique, les conséquences de la restriction et du jeûne. Cette composante peut convenir à des programmes de self-help de prévention primaire, d’aide aux familles. Elle ne suffit cependant pas à elle seule à faire disparaître ou atténuer les troubles. • Composante du traitement qui s’adresse à la correction des erreurs et déficits nutritionnels secondaires aux perturbations comportementales. Fondamental dans l’anorexie, elle ne 77 l’est pas moins chez les anorexiques boulimiques et chez les boulimiques normopondérales qui sont en fait très souvent en situation de « restreinte » alimentaire ( hydrates de carbone), de carences multiples ( acides gras essentiels, vitamines liposolubles), de semi-jeûne, voire de dénutrition inapparente. Environ la moitié des boulimiques normopondérales présentent des troubles de la menstruation et de l’ovulation, vraisemblablement secondaires aux erreurs alimentaires (semi-jeûne). Les troubles de la vigilance, de l’humeur, du sommeil, de la libido sont souvent la conséquence de conduites alimentaires anarchiques. La correction des désordres nutritionnels, métaboliques et électrolytiques entraîne souvent une amélioration spectaculaire des sujets. Ceux-ci comprennent que bien des symptômes qu’ils pensaient être à la source de leur mal être étaient en réalité des conséquences de leurs comportements alimentaires perturbés. Cette observation s’intègre dans le cadre de la restructuration cognitive. De plus, l’amélioration symptomatique renforce beaucoup l’alliance thérapeutique et permet de s’attaquer à des tâches plus difficiles. [ 16 ] En dehors de ces deux composantes qui s’inscrivent en amont ( information, prévention) et en aval ( correction des conséquences des comportements), les autres composants de la thérapie nutritionnelle sont délivrés par la plupart des équipes dans le cadre d’une action comportementale et parfois cognitive. Il en va ainsi du monitoring (carnet alimentaire), de la désensibilisation spécifique ( manger de tout), de l’exposition au stress alimentaire ( absorber des nourritures déclenchantes de crises boulimiques) avec prévention de réponse (applicable également aux vomissements) ainsi que de certaines étapes de la restructuration cognitive ( pensée dichotomique, aliments bons ou mauvais, faisant grossir ou pas, contrôle parfait ou absence de contrôle, corps mince ou obèse). Il est difficile d’évaluer l’efficacité de l’approche nutritionnelle dans la mesure où elle a rarement été administrée et poursuivie isolément. Il semble souhaitable de considérer l’approche nutritionnelle de la boulimie, même normopondérale, comme une composante indispensable de la stratégie thérapeutique globale. Il est nécessaire que nutritionnistes et diététiciens travaillent en étroite collaboration avec le ou les psychothérapeutes, d’où l’intérêt d’une équipe spécialisée au sein de laquelle les rôles sont définis et les interactions contrôlées. Diététiciens et nutritionnistes doivent 78 recevoir une formation spécialisée nécessaire à l’abord des TCA. [ 38 ] Sur le plan pratique, l’approche nutritionnelle actuelle par certaines équipes spécialisées du réseau, en complément d’autres approches, s’appuie sur un bilan initial médical, diététique et nutritionnel complet : - histoire des rapports avec l’aliment depuis l’enfance - histoire pondérale personnelle et familiale - enquête alimentaire actuelle - cartographie des aliments permis ou interdis et des cognitions afférentes - description des pratiques de restreinte et de semi-jeûne, des techniques de purge et d’exercice physique. Le bilan biologique recherche chez les boulimiques : - des troubles de la glycorégulation - des troubles hydro-électrolytiques - des hyperlipidémies (fréquentes) - bilan hormonal en cas d’oligo ou d’aménnorhée. Chez les boulimiques maigres, ex anorexiques ou anorexiques boulimiques, le bilan nutritionnel est plus poussé. Il peut être utile d’étudier la composition corporelle impédancémétrie , IRM ou absorptiométrie biphotonique (DEXA) afin d’évaluer au mieux le déficit relatif de la masse grasse et de la masse maigre. On évaluera aussi le capital osseux des patientes dénutries ou en aménorrhée prolongée par absorptiométrie biphotonique ( densitométrie). L’étude de la dépense énergétique par colorimétrie indirecte confrontée à son calcul théorique par l’équation de Harris-Bénédict, permet d’évaluer le métabolisme de base du sujet et de lui proposer un programme alimentaire adapté. [ 16 ] Toutes ces données doivent être communiquées à la patiente et largement commentées dans un double cadre relationnel :celui d’une relation empathique, chaleureuse et celui d’une collaboration active visant à la correction des dysfonctions cognitives concernant le corps, la physiologie, les métabolismes et les fonctions de l’aliment. Souvent ces données sont peu ou pas du tout intégrées dans les premières phase du traitement, à 79 forte teneur émotionnelle mais elles seront précieuses par la suite la suite. La prescription d’un « cadre alimentaire » par un diététicien intégré à l’équipe thérapeutique ou travaillant en collaboration avec les autres soignants, suppose encore l’instauration d’une relation très ouverte, évitant soigneusement les conflits de pouvoir d’autant plus que la majorité des diététiciens sont des femmes, rapidement identifiables à une image de mère prégénitale interdictrice. De plus, les prescriptions de la diététicienne ne sont généralement pas suivies pendant longtemps, ce qui peut induire des effets contre-tansférentiels néfastes en l’absence de communication suivie avec l’équipe thérapeutique. Il faut savoir attendre de cette prescription, des effets à long terme, dès que les processus de type addictif s’estompent, que l’ « obésitophobie » s’apaise, que le travail de restructuration cognitive et de restauration narcissique s’engage. Mais ceci peut demander des années de travail intensif, en sorte que la prescription nutritionnelle doit être suivie patiemment, « à la carte » et surtout, à la demande du patient. Dans l’approche nutritionnelle, la collaboration de la famille est recherchée car bien sûr, la famille d’origine partage avec la patiente de nombreux schémas et attitudes dysfonctionnelles touchant le corps et l’alimentation. Certains auteurs (Reiff,1992) divisent le processus thérapeutique en trois phases : la phase d’apprentissage (learning stage), la phase de changement (changing stage), la phase d’anticipation ( anticipation stage). La thérapie nutritionnelle suit ces phases pas à pas en s’adaptant. L’ensemble du processus entremêle une dynamique maturative personnelle et des changements comportementaux. [ 16 ] Parmi les objectifs de la première phase figurent : le relevé d’une information complète, l’établissement d’une alliance thérapeutique, la discussion des principes de base de la nutrition et de la régulation pondérale (poids de santé, symptômes du jeûne, métabolisme énergétique, fluctuations hydriques, faim et satiété, stabilité pondérale), l’éducation de la famille. Parmi les objectifs de la deuxième phase : découpler la vie émotionnelle et psychique de la prise de nourriture, optimiser graduellement son poids, se confronter aux difficultés de la vie sociale (repas familiaux, restaurants). En ce qui concerne l’objectif pondéral, il est capital d’aborder sans relâche avec les boulimiques comme avec les anorexiques, sans conflit de pouvoir car bien que rarement abordées spontanément, les 80 idées dysfonctionnelles touchant le poids et la silhouette corporelle perpétuent indéfiniment les conduites boulimiques si l’on n’y prend pas garde. Un poids ou plutôt une fourchette de poids (oscillation de 3% autour d’une moyenne) peut être fixée (à objectif et non à idéal) au terme de la disparition des conduites perturbées (boulimie, purges). Chez les anorexique Garner recommande le retour à un poids égal à 90% du poids prémorbide, objectif que l’on peut proposer aux anorexiques boulimiques. La pesée des patientes est indispensables toutes les semaines ou une semaine sur deux, à la place des contrôles quotidiens, fétichiques, du poids ou de l’évitement total de la balance (tout ou rien). [ 16 ] L’approche nutritionnelle de la pathologie boulimique (et anorexique), bien qu’il soit difficile d’évaluer son efficacité isolément, mérite selon nous d’être plus souvent proposée aux patients en conjonction avec les autres méthodes thérapeutiques. Des recherches ultérieures sont cependant nécessaires. Cette approche est pluridimensionnelle, outre la composante comportementale (modification des comportements pathogènes) et cognitive (rectification des importantes dysfonctions cognitives touchant le corps et l’aliment), elle comporte une dimension somatique (correction des déficits pondéraux, nutritionnels, endocriniens) et subjective : elle prend acte des mauvais traitements infligés au corps, du dégoût, de l’exclusion, voire du déni de ce dernier. Par le biais d’une nourriture adéquate et d’une hygiène corporelle, elle soutient l’objectif d’un réinvestissement narcissique du corps et d’une amélioration d’une image corporelle. [ 16 ] Une dimension relationnelle, transactionnelle, libidinale est également implicite dans ce type d’approche. La reconnaissance du corps, de ses besoins, des ses pulsions, de sa physiologie, de sa souffrance et de sa plainte par le sujet et le thérapeute favorise la réappropriation par le sujet de sa subjectivité charnelle et de l’émergence d’un discours autre, à distance de l’effondrement narcissique. [ 16 ], [ 38 ] 4°- Approche cognitivo comportementale. Individuelle ou de groupe cette approche est une modalité privilégiée dans certains nombre d’unités spécialisées dans le traitement des TCA. Elle est souvent associée à des traitements médicamenteux et/ou psychothérapiques et correspond à la phase initiale du traitement. 81 L’indication est fonction de certains nombre de facteurs liés à l’intensité du trouble alimentaire, à la personnalité du sujet, à l’existence d’autres troubles psychotiques associés et à la motivation du sujet.[15] • En thérapie comportementale, la définition des objectifs et la mise en place des méthodes thérapeutiques sont déterminées par les données de l’analyse fonctionnelle du comportement alimentaire : - évaluation de la fréquence et de l’intensité des comportements mal adaptés (boulimie, vomissements, prise de laxatifs, de diurétiques d’anorexigènes, restrictions alimentaires qualitatives et/ou quantitatives) ; - repérage des comportements bien adaptés (régularité de la prise de repas, diversification de l’alimentation, prise de repas à l’extérieur de la maison) ; - mise en place de nouveaux comportements par des méthodes d’apprentissage. Techniques d’exposition avec prévention de la réponse afin de faire baisser ou de limiter les accès boulimiques et les vomissements et le fonctionnement cognitif « en tout ou rien ». • La méthode d’exposition avec prévention de la réponse est destinée à supprimer les accès boulimiques par l’intermédiaire de la suppression des vomissements dont on connaît le rôle renforçateur des crises de boulimie. Face à des expositions répétées à des aliments « déclencheurs » de crises, sans que le patient ne puisse vomir, celui-ci est contraint des trouver des stratégies alternatives lui permettant à la fois de réduire la composante anxieuse associée à l’exposition et de rompre le cycle boulimie-vomissements par le contrôle des crises. Afin d’augmenter la fréquence des comportements adaptés ( la diversification de l’alimentation et la stabilisation du poids), des techniques telles que l’apprentissage vicariant et le conditionnement opérant sont utilisés. [16] L’instauration de nouveaux comportements fait appel aux méthodes de ré- apprentissage qui s’inscrivent dans le cadre de séances ou de groupes éducatifs et de contrats thérapeutiques associés à 82 des techniques cognitives. L’abord progressif de situations concrètes associées à des émotions ressenties comme pénibles permet une meilleur gestion des événements . • Thérapies cognitivo comportementales individuelles. Une étude de Fairburn et coll. (1991) a tenté de comparer l’efficacité pour les boulimiques : - d’une thérapie cognitivo comportementale visant à modifier les attitudes dysfonctionnelles concernant le poids et les formes corporelles, ainsi que les cognitions relatives à la mauvaise image de soi et au perfectionnisme, - d’une thérapie purement comportementale représentant seulement la première phase de la thérapie cognitivo comportementale, sans se centrer sur les cognitions associées au poids et à l’image du corps, - et d’une thérapie interpersonnelle inspirée des techniques psychodynamiques visant à améliorer les relations interpersonnelles du sujet. Cette étude a montré la supériorité des techniques cognitivo comportementales sur la psychothérapie interpersonnelle, à la fois sur le plan symptomatique et sur le plan de la modification de la perception du corps et de la perception du poids. [16] • Thérapies cognitivo comportementales de groupe. Elles nécessitent selon Rosenving (1990) une homogénéïté clinique et socio démographique des patientes bien qu’il soit nécessaire, au sein d’un groupe, d’inclure des sujets ayant une symptomatologie plus légère que les autres afin de pouvoir rapidement passer du problème alimentaire à d’autres aspects psychologiques liés au trouble alimentaire lui même. Certains thérapeutes suggèrent de séparer dans différents groupes thérapeutiques les patientes anorexiques des patientes boulimiques, ces dernières ayant généralement une plus grande expressivité des émotions et une moindre tolérance aux conflits. La fréquence des antécédents d’anorexie chez les boulimiques est importante et vice versa. [16] Les contre-indications majeures pour l’inclusion dans un groupe thérapeutique restent la présence de complications médicales sévères ou de complications psychiatriques majeures ( 83 décompensation psychotique). Un des premiers bénéfices du groupe pour les patientes est la découverte d’expériences communes même si cela se situe autour des symptômes alimentaires : c’est la première étape qui fait d’une assemblée un groupe. Le premier objectif d’une thérapie cognitive et comportementale de groupe est l’amélioration symptomatique, en l’occurrence une diminution de la fréquence et de l’intensité des crises de boulimie, une restauration avec stabilisation du poids ainsi qu’une rediversification de l’alimentation. Ceci implique la mise en place de stratégies thérapeutiques telles que le self-control, la prise de conscience des cognitions erronées et l’analyse des émotions. Le thérapeute doit encourager les participants à parler entre eux, il reformule à partir d’histoires individuelles, des problèmes et des thèmes communs et incite les patientes à émettre des stratégies de résolution de problèmes. Puis le groupe passe du stade de la prise de conscience des symptômes et des cognitions aux mécanismes qui sous tendent ces troubles du comportement. [15] 5°- Approche analytique. · La boulimie échappe à la compréhension psychanalytique classique du symptôme névrotique comme l’expression d’un conflit intra-psychique. Il s’agit d’une conduite répétitive de dépendance à l’objet nourriture et le caractère addictif de cette conduite va recouvrir progressivement les traits de la personnalité de la patiente. La plupart des boulimiques consulte un psychanalyste à cause de la souffrance provoquée par l’impossibilité de s’empêcher de faire des crises de boulimie et la peur de grossir. La proposition d’une analyse classique, qui consiste à prendre la crise comme un symptôme parmi d’autres, est reçue très souvent avec un manque d’intérêt par ces patientes. Le modèle psychanalytique permet d’inscrire la conduite boulimique comme l’expression d’une faille dans le développement du sujet et de dégager des techniques adaptées à cette pathologie. [16] Les premières rencontres vont permettre d’établir un projet thérapeutique en accord avec l’organisation psychique et la capacité d’insight de la patiente. Ces entretiens doivent aider à provoquer chez elle une ouverture vers son monde interne et la sensibiliser à considérer que 84 sa conduite boulimique peut être l’expression de celui-ci. • Une installation progressive du cadre peut être considérée comme une réponse à la demande massive de la patiente. Le « tout, tout de suite » peut se manifester principalement selon deux modalités différentes. La première est celle des patientes qui, malgré la massivité apparente de la demande, donnent l’impression que l’investissement de la thérapie se fait avec hésitation, le lien qui s’instaure est ambivalent. Ainsi les ruptures sont fréquentes parce que le cadre n’est pas investi commun support à l’élaboration psychique mais plutôt comme mouvement de « corps à corps » dangereux pour la patiente, qui serait l’expression d’une difficulté de différentiation sujet- objet. La deuxième modalité est celle des patientes qui font une sorte d’hyper investissement immédiat du cadre avec un respect scrupuleux de sa définition, mais ce cadre ne semble pas davantage servir d’étayage à l’activité psychique. Le cadre serait chosifié, par exemple, le cas d’une patiente qui peut raconter quatre ou cinq rêves dans une séance avec des associations qui n’ont pas d’effet de lien symbolique. La continuité du cadre prend un caractère de dépendance. On assiste alors à une véritable pervertisation de la thérapie. Ces deux modalités permettent de penser que le cadre doit avoir des caractéristiques mobilisatrices, ce qui est favorisé par les thérapies en face à face avec une fréquence des séances en accord avec les souhaits de la patiente. [16] • L’interprétation de la relation transférentielle avec la patiente boulimique abouti très souvent à une résistance de plus en plus forte, si ce n’est à une rupture de la thérapie. L’interprétation est vécue comme intrusive et menaçante pour des sujets ayant une organisation narcissique très fragile. Ce point est essentiel, dans le sens qu’il incite à la création de techniques particulières mais avec une référence psychanalytique ; par exemple, les thérapies psycho dynamiques interpersonnelles, intégratives ou les psychothérapies d’inspiration psychanalytique. Ces techniques répondent au besoin pour ces patiente de créer les conditions d’une alliance thérapeutique où « la bonne distance est à trouver dans chaque cas et à chaque moment pour éviter l’inanition psychique comme l’excitation excessive ». Brusset 1991 [16]. La thérapie doit servir d’élagage 85 pour l’élaboration de la patiente mais elle se déroule dans un cadre caractérisé par sa discontinuité. Hormis le petit pourcentage de sujets ayant un style obsessionnel, avec un hyper investissement du cadre, la psychothérapie des autres patientes boulimiques, qui sont la majorité, est ponctuée par des absences répétées et, même, des disparitions temporaires qui peuvent durer quelques mois. Le « vécu » de la séparation à travers l’absence est comparable à celui du sentiment corporel d’être rempli ou d’être vide, ce qui lui donne une valeur limitante. La fin de la psychothérapie peut présenter les mêmes singularités. Elle se fait avec une certaine discontinuité et est répétitivement reportée, mais elle permet l’élaboration de la séparation pour le type de patiente dont le cadre est installé progressivement. Les patientes qui ont hyper investi le cadre dès le départ ont tendance à éviter la souffrance de la séparation et veulent terminer précipitamment lorsqu’est abordée la fin de la thérapie. [16] La relation transférentielle massive des patientes boulimique ainsi que leur besoin de s’occuper « corporellement » de leur symptôme nécessite de proposer d’emblée une prise en charge en co-thérapie. La patiente va ainsi se trouver dans une situation triangulaire avec une tiers ( fonction paternelle) qui aura une valeur limitante vis à vis du psychothérapeute, et pourra être, en grande partie, garant de la continuité d’un travail psychologique. Ce tiers pourra être le psychiatre ou le médecin traitant ou la diététicienne etc ? [16] • Il y a des patientes qui ont fait une analyse classique avec des bénéfices évidents, mais sans toucher à la boulimie, celle-ci fonctionnant comme les autres symptômes, elle se prête à un type particulier de résistance qui fait que l’analyse peut se développer sans y toucher. L’utilisation du carnet alimentaire est un moyen d’inclure la boulimie dans la psychopathologie de la vie quotidienne tout comme pouvant l’être les rêves. Les notes de la patiente liées à la crise vont permettre un travail associatif qui a été court-circuité par la boulimie. Le carnet alimentaire peut faciliter l’intégration symbolique de l’activité pulsionnelle répétitive qu’est la boulimie. Il procure du matériel pour l’élaboration des pensées et des sentiments qui accompagnent les crises, il permet d’aborder le problème du contrôle, en donnant aux patientes l’évidence concrète que l’urgence 86 de sa gaver n’est pas un phénomène isolé mais qu’il peut être connecté avec des émotions et des pensées. [16] • A mentionner l’intérêt du travail psychodramatique ; très proche de l’élaboration psychanalytique, il permet d’en élargir les indications grace à l’extériorisation des conflits et ainsi leur mise à distance. Ce type de travail permet à la patiente de jouer plus librement avec ses investissements. Le psychodrame psychanalytique à l’avantage de permettre quelques séances d’essai à la suite desquelles, si une contre indication est à poser, elle peut l’être plus facilement que dans le cadre d’une psychothérapie individuelle où un échec dès le début est une éventualité blessante pour la patiente. Le psychodrame permet aux thérapeutes de soutenir plus facilement un transfert qui les place parfois en position « d’appendice méprisable d’une patiente omnipotente et omnisciente » (Kernberg 1980) et de mieux moduler leur propre contre-transfert. [36] 6°- Thérapies corporelles. Chez les boulimiques il existe des troubles de l’image du corps. L’insatisfaction relative à l’image corporelle a une double composante : auto perceptive, attitudinale et affective. L’augmentation de préoccupations excessives vis à vis du poids et des formes corporelles va de pair avec une augmentation de l’insatisfaction vis à vis du poids et des formes corporelles ; à l’inverse, cette dernière ne s’accompagne que très rarement d’un niveau de préoccupation concernant le poids et les formes corporelles. Cette insatisfaction n’est pas une entité autonome mais une composante spécifique des préoccupations excessives concernant le poids et les formes corporelles. [16] La technique de la distorsion vidéo de l’image pour obtenir une image idéale ne montre pas de différence entre les anorexiques et les boulimiques dans l’estimation de la taille actuelle du corps. L’image idéale est perçue différemment . toute les boulimiques et 93% d’un groupe témoin désirent être plus minces, contre 43% des anorexiques (23% désirent être plus grosses). L’insatisfaction est corrélée négativement avec l’image idéale du corps mais pas avec l’estimation de sa taille actuelle. Si anorexiques et 87 boulimiques surestiment la dimension de leurs hanches et le volume ou la taille de leur corps, l’insatisfaction relative à l’image corporelle est cependant plus grande chez les boulimiques que chez les anorexiques. [1] Les objectifs des différentes approches thérapeutiques corporelles dans la pathologie boulimique rejoignent ceux des thérapies corporelles dans les addictions. Il s’agit pour le boulimique de pouvoir à nouveau de s’occuper de son corps, ressentir des sensations oubliées et arriver à exprimer naturellement ces émotions, de réunifier les différents champs des sensations corporelles : - Soins quotidiens. L’importance du corps est à prendre en compte à travers le quotidien : l’hygiène corporelle, le soin vestimentaire, les bains, les soins aux maux physiques, les massages des zones douloureuses. - Soins médicaux. Sur le plan médical, les conséquences somatiques de la boulimie sont fréquentes, souvent graves. L’examen clinique, les examens complémentaires sont nécessaires aussi bien dans un but diagnostic que thérapeutique. - Travail devant les miroirs ou à partir de photos. - Utilisation de la vidéo. Alors que le miroir met en jeu le corps conscient dans ses représentations plus anatomiques et statiques, la vidéo fait surgir des associations visant des représentations plus socialisée et dynamiques. Le choc vidéo produit par la vue de sa propre image serait une réaction du Moi devant le résurgence d’éléments à l’élimination desquels le boulimique a mis toute son énergie. L’expérience d’inquiétante étrangeté, si elle se produit, laisse des traces importantes dans le psychisme avec un effet déstructurant et structurant. Exhibitionnisme, voyeurisme, sensation d’être sous la domination de l’œil tout puissant de la caméra peuvent amener un matériel associatif important. La caméra est très souvent vécue comme un juge sévère qui force à révéler les pensées coupables, secrètes ou dépressives que l’on voulait taire comme les fantasmes de violation : viol de l’intimité, et souvenirs de viols réels. [16] - Musicothérapie. Elle met en jeu le corps dans un travail d ‘écoute musicale. Les vibrations musicales résonnent dans le corps et mettent en mouvement des émotions et des sensations. Ce vécu n’est pas toujours 88 agréable mais le réveil des tensions internes conduit à la verbalisation autour du corps. - Relaxation, balnéothérapie. 7°- Thérapie familiale. [16], [17] • Chez l’anorexique il est indispensable de procurer aux parents une aide thérapeutique pendant puis au décours de l’hospitalisation de leur fille, celleci étant beaucoup plus fréquente que chez les boulimiques moins souvent hospitalisés. Cette aide doit se situer au plus près de ce qu’ils veulent accepter (soutien, guidance, véritable psychothérapie du couple parental ou de l’un d’eux) mais elle doit être énoncée comme un des éléments indispensables du cadre thérapeutique (équivalent pour les parents du contrat de poids pour l’adolescente). La participation à un groupe de parents d’anorexiques est très bénéfique. • Alors que l’implication de la famille dans le traitement de l’anorexie est démontrée, cette implication dans le traitement de la boulimie est moins facile pour les raisons suivantes : l’âge plus avancé des sujets au moment de la demande de consultation, le secret plus fréquent et plus efficace des patients sur leurs symptômes, la relative rareté de l’hospitalisation qui pour l’anorexie facilite grandement l’implication familiale et les contacts entre les soignants et la famille. Les boulimiques sont spontanément plus réticents à solliciter leur famille soit en raison de l’étape atteinte dans la recherche d’indépendance, à laquelle elles tiennent d’autant plus qu’elle est toujours très fragile, soit par désir de protection de la famille ou de certains de ses membres (souvent la mère) avec une crainte intense des règlements de compte liés à l’impulsivité habituelle de certains membres de la famille et à une violence sous-jacente ou manifeste. Chaque unité spécialisée dans les TCA utilise l’approche familiale pour améliorer les dysfonctionnements et rétablir la communication. Thérapie familiale ou thérapie de couples systémiques ou analytiques ou accompagnement de la famille sous une forme plus ou moins structurée ou groupe de parents sont utilisés parallèlement aux thérapies individuelles au patient ou à son hospitalisation. Une meilleure compréhension de la 89 pathologie et de ses évolutions possibles, d’accompagner au mieux le projet thérapeutique parfois même de l’initier. Cependant actuellement rares sont les boulimiques qui bénéficient de thérapie familiale. [17] Une seule étude évalue les résultats de la thérapie familiale chez des patientes anorexiques et boulimiques (Russel et coll., 1985). • Pour les boulimiques en cours d’hospitalisation, le travail avec les parents se différentie de celui réalisé avec les parents d’anorexiques placés dans une même situation thérapeutique du fait de l’âge moyen plus élevé des boulimiques et de l’isolement thérapeutique beaucoup plus rare. Il permet d’aborder des secrets familiaux, de repérer des lois familiales particulières ou certains types d’alliance. Le lien est souvent très étroit avec l’un des parents ceci étant associé à un conflit ouvert entre les parents. • Les demandes faites par les conjoints de boulimiques pour participer au traitement et être conseillés ne sont pas rares. L’objectif sera de les amener à se distancier d’une mission thérapeutique vis à vis de leur épouse qui était parfois une motivation principale et bilatérale de leur alliance. Les thérapies sont fondamentales pour accompagner le développement de l’autonomie de la patiente. • Les techniques de groupes de parents ou de thérapie familiale chez les boulimiques ne nécessitent pas d’aménagement particulier par rapport aux autres pathologies de l’agir, aux addictions ou à la psychosomatique. L’objectif de soutenir les parents, de favoriser les échanges et une meilleure compréhension de la pathologie et de ses évolutions possibles, de partager les ressentis et d’accompagner au mieux le projet thérapeutique, parfois même de l’initier. [16] 8°- Groupes d’entraide. Il s’agit des groupes de cinq à dix 90 personnes souffrant ou ayant souffert de TCA qui se réunissent régulièrement, une fois par mois, pour réfléchir à leur problématique et mettre en commun questions et solutions. Gratuits et sans thérapeute au singulier, ce ne sont pas des groupes thérapeutiques. Le groupe ne saurait donner prétexte à fuir ou à retarder les démarches thérapeutiques nécessaires. Ils sont souvent animés et dirigés par d’anciennes patientes guéries ou en très bonne voie de guérison. On ne peut évaluer scientifiquement l’efficacité de ces groupes pour les raisons suivantes : petit nombre de participants, chaque participant ayant une prise en charge thérapeutique différente, absence de groupes contrôle. [16] Souvent la boulimie et l’anorexie apparaissent comme des moyens plus ou moins efficaces de maîtriser son existence et de changer des parties de son existence ou de son Moi (Steiger et all. 1987). Le contact avec un médecin apparaît donc comme le risque d’être dépossédé de cette maîtrise : c’est pourquoi, pour un certain nombre de patientes, on peut penser qu’un premier contact avec les moyens thérapeutiques peut se faire plus facilement au travers d’associations d’entraide. Dans ces groupes, l’information peut être plus facile à aborder que si elle est mêlée à l’impression d’être dictée par un autre. [36] En France, il faut mentionner le GEFAB (Groupe d’Etude Français de l’Anorexie et de la Boulimie) qui est une association « loi de 1901 » à but non lucratif. Il s’agit d’une association bipolaire, elle comporte : - un pôle de recherche qui fonctionne sous l’égide d’un comité scientifique - un pôle d’usagers par lequel l’association se propose d’apporter information et assistance aux anorexiques, boulimiques et à leurs familles. Le GEFAB à ainsi développé à l’intention des usagers : • une revue qui comporte des articles de fond sur la sémiologie et le traitement des TCA. • La constitution de groupes d’entraide • Un SOS téléphonique qui fonctionne en permanence : 0145434475 91 • Un site internet : ce sont les patientes guéries ou en cours de traitement qui répondent. Une psychologue clinicienne effectue une réunion et un contrôle mensuel avec elles. • Un comité de lecture qui fonctionne avec les mêmes personnes qui assure la tâche de répondre aux lettres et mails. Le GEFAB* organise épisodiquement des réunoions de thérapeutes et un atelier thérapeutique une fois par an, ainsi que des réunions d’information pour les patientes de la région parisienne, Lille, Besançon et les bénévoles qui travaillent dans l’association. (36] Actuellement le GEFAB supervise cinq groupes d’entraide : trois à Paris, un à Lille et un à Besançon. Si ces groupes n’ont pas de vocation thérapeutique, ce sont néanmoins des lieux de parole, d’échange, d’écoute mutuelle, de réconfort. Au total, ces petits groupes humains chaleureux peuvent arracher l’anorexique ou la boulimique au gouffre de la solitude et au piège mortel d’un narcissisme illimité. Il favorise la resocialisation. Bien que cela ne puisse être encore démontré, il semble que l’adhésion suivie à un groupe d’entraide constitue un facteur prédictif d’évolution favorable. (16] -------------------------------------------------------------------------------------------------GEFAB : - adresse postale : Maison des Sciences de l’Homme 54 BD. Raspail 75270 Paris Cedex 06. - Maison des usagers du centre hospitalier de Ste. Anne. Paris - Téléphone : 0145434475 - Adresse email : http.//ASSO.GEFAB.Free.fr C- Prise en charge dans une structure en réseau. 1°-Définition. La conception même des services où sont traités les TCA détermine le type de soins qui y est distribué. Ce type de structure permet : 92 - de travailler avec un personnel qui acquiert une spécialisation dans le type de pathologie concerné et qui, donc, devient plus efficace auprès des patientes - de développer une palette de soins diversifiés - d’obtenir une meilleure gestion des emplois du temps des personnels concernés. Il est possible de proposer à une proportion importante de patientes des traitements en externe, la possibilité d’effectuer désormais un traitement intensif dans ces conditions et ce, grâce à une organisation institutionnelle qui a permis de surseoir bon nombre d’hospitalisations à temps complet tant pour les boulimiques que pour les anorexiques. Pour établir un service de ce type beaucoup d’équipes se sont inspirées du modèle de la clinique des TCA de Verdun près de Montréal (Canada) des docteurs Leichner et Steiger. [36] 2°-Organisation et fonctionnement en réseau. a- Modèle de réseau. [36]. Le tableau page suivante en donne une vue d’ensemble : 93 Site clinique fonctionnant en réseau b- Organisation et fonctionnement d’un réseau. -Traitements externes. • Programme de jour. Il peut être efficacement mené par un membre d’une équipe soignante formé à ces pathologies, en particulier une diététicienne. Inhabituel encore, le rôle de la diététicienne devrait être systématiquement reconnu. Là encore, il est nécessaire que celle ci connaisse bien ces pathologies. Le programme est établi pour une durée de deux fois douze semaines. Entre les deux sessions de douze semaines, une pause de quatre semaines est effectuée où la patiente peut tester elle-même ses nouvelles capacités de contrôle alimentaire. Le programme réunit cinq à sept patientes à raison de deux demi-journées par semaine. Les patientes viennent à la fois de l’extérieur et de l’hospitalisation à temps plein. [36] Ces demi-journées permettent d’aborder plusieurs domaines : - une activité éducative et nutritionnelle sur l’alimentation, sa physiologie et les troubles alimentaires. - une expérimentation « in vivo » de cette rééducation avec réalisation et consommation de repas en commun ou en individuel. Le « cahier » alimentaire tenu par les patientes est discuté aussi en groupe et en individuel (cf. tableau ci-dessous) 94 - une série d’activités concernant le corps en particulier l’expression corporelle, la gymnastique, la piscine - une série d’activités de re-socialisation est proposée : sorties communes , groupes de discussion, ergothérapie - des thérapies de groupe à orientation cognitivo-comportementale où les patients fixent avec les thérapeutes des buts qu’elles évaluent ensuite. Ces buts sont variés et adaptés à chaque patiente : travail sur l’image corporelle, sur l’affirmation de soi, sur les idéaux perfectionnistes, sur les ressentis intérieurs, sur les difficultés sociales, sur la sexualité, sur la nourriture etc… (36] Ce programme a donc une durée déterminée à l’avance. En cas d’échec relatif, il peut être reconduit. Enfin il accompagne souvent la participation à un où plusieurs traitements de la clinique externe. Les indications thérapeutiques restent ainsi très individualisées. • La clinique externe. Elle fonctionne comme un dispensaire de soins. Les pratiques thérapeutiques spécifiques sont multiples et ont été détaillées dans le chapitre précédent. Il s’agit d’éducation nutritionnelle effectuée par une diététicienne du réseau, de psychothérapie cognitivo-comportementale, psychanalytique ou d’inspiration psychanalytique, de psychothérapie de 95 groupe, de psychothérapie familiale, de psychothérapie conjugale, de travail sur l’image du corps, de travail avec la famille etc… Toutes ces pratiques thérapeutiques sont réalisées par les différents intervenants du réseau qui communiquent entre-eux (staff médicaux, réunions de synthèse sur un cas clinique…). [36] - L’appartement thérapeutique. Il sert de milieu de transition entre le milieu thérapeutique hospitalier et le milieu extérieur. Les problèmes liés au contexte familial ou, dans d’autres cas, les difficultés sociales rallongent souvent la prise en charge hospitalière. L’appartement thérapeutique peut être une mesure intermédiaire, utile et qui diminue le taux de rechute. [36] -Traitements internes. Voir hospitalisation à temps plein (chapitre précédent III A). 3° Différents sites cliniques fonctionnant en réseau. [16] - Institut mutualiste Montsouris à Paris (Pr. P. Jeammet) - Unité addictions Hôpital St. Jacques, CHU de Nantes (Pr. J.L. Venisse) - CHU de Lille (Pr. D. Bailly) - CHU Bichat, Paris (Dr. L. Igoin-Apfelbaum) - Institutions universitaires genevoises de psychiatrie. IuPG Genève (Dr. C. Liengme et N. Reverdin) - Hôpital Ste. Anne, Paris (Pr. B. Samuel-Lajeunesse) - Hôpital de l’Hôtel Dieu,Paris (Pr. B. Guy Grand) - Hôpital Erasme, Bruxelles (Dr. V. Delvenne et Y. Simon) - Hôpital Avicenne, Bobigny (Pr. S. Lebovici) - Groupe d’étude français sur l’anorexie et la boulimie (GEFAB), Paris (Dr. B. Rémy, H. ivan Covsky, P. Aimez) - P. Penteuil, Psychiatre à Besançon - Centre des Lycéens, Fondation des Etudiants de France, Neufmoutiers en Brie ( Dr. O. Halfon et J. Laget) 96 - CHU de Rouen (Pr. M. Amar) - Service Medico-psychologique Universitaire de Grenoble (Dr. A.M. Alleon, O. Morvan, A. Mouchet) - Hôpital Robert Debré, Paris (Pr. M.C. Mouren-Siméoni) - Hôpital Paul Brousse, Villejuif (Dr. C. Vindreau) - CHU de Nancy (Pr. M. Laxenaire) V- Conclusion. - L’objectif de cette thèse est d’apporter une connaissance précise et réactualisée de cette pathologie dont la description clinique ne cesse de se préciser au grés des travaux de recherche. Faire mieux connaître également les nouveaux moyens de prise en charge les plus performants et notamment la prise en charge en réseau qui tend à se développer. 15 à 30 % d’adolescents traversent une crise d ‘anorexie et de boulimie sans jamais consulter de médecins. « Seulement » 0,5 à 1 % seraient anorexiques et 3 à 5 % boulimiques sévères. Neuf fois sur dix sont des filles. Pathologie donc souvent sous-diagnostiquée notamment la boulimie, les généralistes premiers référents ont un rôle majeur dans le diagnostic et le début de la prise en charge. 97 - Une prévention des TCA est-elle possible ? Un enchevètrement de facteurs socioculturels et psychopathologiques individuels participent à la génèse des TCA. C’est le cas pour l’ensemble de la pathologie mentale. On situe l’impact du contexte socioculturel à plusieurs niveaux : la société interviendrait pour précipiter la survenue d’une pathologie sur une personnalité psychiquement prédisposée. Elle peut également influencer les méthodes, le style des échanges entre parents et enfants ainsi que les idéologies du groupe familial. Les idéaux de réussite professionnelle induisent une éducation privilégiant les performances au détriment des échanges affectifs et de la satisfaction des besoins. Les facteurs socioculturels peuvent aller dans le sens d’une pathologie en renforçant les déterminations primaires, en fournissant des déterminations adjacentes ou en cours d’évolution en créant de nouvelles motivations par le biais des bénéfices secondaires accordés par la société. A côté des aspects psychiques individuels et socioculturels, il existe des déterminants biologiques, génétiques et donc à évoquer des causes d’ordre « bio-psycho-social ». [16] Si l’on considère l’anorexie mentale comme un trouble pluridéterminé, on peut évoquer à son origine des facteurs prédisposants tels que le psychisme individuel, la famille , le contexte socioculturel des facteurs précipitants tels que le stress, le régime et la perte de poids et des facteurs de chronicisation liés à l’environnement Dans la boulimie, on peut évoquer une cascade de réactions en chaîne faisant intervenir des facteurs aussi divers que la volonté de réalisation d’un objectif de réussite sociale passant par la minceur, l’impasse psychobiologique et des affects tels que la perte de l’estime de soi, la frustration, le stress Le poids du contexte socioculturel est bien réel et sur lequel il est possible d’agir par des programmes préventifs des TCA. On pourrait obtenir des médias et de l’industrie de la mode qu’ils cessent de faire la promotion d’un corps exagérément mince. On peut proposer des programmes éducatifs destinés à apprendre aux jeunes la réalité staturo pondérale avant que l’influence sociale ne prenne top d’importance et afin qu’ils sachent résister aux aberrations de la mode. Ainsi, Luka (1988) propose d’organiser, dans le cadre scolaire, des cours concernant les données alimentaires et staturo pondérales pour empêcher la fixation chez les jeunes femmes d’un poids idéal subjectif aberrant et prévenir la boulimie. Ces mesures paraissent dérisoires face à la complexité psychopathologique 98 de l’anorexie et de la boulimie. Néanmoins le rôle indéniable de l’idéal de minceur imposé par la mode au moins dans la multiplication des cas de boulimie paraît légitimer ce type de prévention. [36] - Chaque culture met à la disposition de ses membres des défenses culturelles, défenses que l’on pourrait qualifier de spécifiques, tout se passe comme si le groupe disait : « ne le fais pas, mais si tu le fais voilà comme il faut t’y prendre ». L’anorexie mentale de la jeune fille a pu être considérée comme un trouble primaire survenant sur une personnalité spécifique. Or les TCA se développent à présent sur des structures variées allant de la névrose à la psychose. Loin de contredire les hypothèses sociogénétiques, ce polymorphisme reflète l’importance de l’influence des facteurs socioculturels. Ces derniers pourraient à un certain moment peser dans le choix du symptôme tout autant que les facteurs psychiques. Notre société fournit un modèle narcissique, infléchit les habitudes alimentaires, prolonge et aggrave la dépendance et confère à la femme, première candidate aux TCA une place et un rôle inconfortable. Dans ces conditions, les TCA se multiplient au point d’apparaître comme des syndromes liés à un contexte socioculturel donné. Reste que le symptôme est toujours un moyen de communiquer. Les TCA renverraient –elles alors aux folies de nos sociétés ? Dans un univers placentaire où il ne manque rien, l’individu nourri de tout n’a plus besoin de rien, il n’est jamais dans la frustration ni le manque. Seule l’anorexique n’y trouve pas son compte. Pour exister, elle veut du rien. Anorexiques et boulimiques utilisent la nourriture-langage pour s’adresser aux autres. La forme du message est liée au contexte socioculturel dans lequel il est délivré. Au delà de cet aspect, ce qui importe est que cet appel soit entendu. Il revient au psychiatre de savoir discerner derrière les TCA si répandus, un individu dans sa spécificité. Au psychothérapeute alors de faire émerger au lieu du discours promu par la société, la parole du sujet. Mais encore faut-il disposer de psychiatres, de psychothérapeutes, de structures de réseau en nombre pour pouvoir répondre efficacement à cette souffrance. [16] - Les TCA ne sont pas un et la diversité des organisations psychiques sur lesquelles ils s’inscrivent commande le pronostic et les modalités thérapeutiques même s’ils ont une forte propension à 99 abraser les différences initiales et uniformiser la personnalité sous-jacente. C’est cette diversité qui conditionnera la nature de la réponse thérapeutique. A cette diversité de situations, les thérapies bi ou multifocales offrent une réponse intéressante en ce qu’elles associent la souplesse et le caractère contenant. Elles reposent sur un référent qui est souvent celui qui a reçu initialement la patiente et éventuellement sa famille. Il constitue un garant du projet thérapeutique et assure la continuité de l’intérêt pour la patiente. A ce référent sont susceptibles de s’ajouter différentes formes de thérapie individuelles et familiales qui sont autant d’ouvertures possibles sans nécessairement engager la pérennité du traitement qui est assuré par ce référent. Le risque majeur concerne les ruptures itératives du traitement qui isolent de plus en plus la patiente et ne lui offrent plus comme recours que le renforcement de ses conduites alimentaires pathologiques. L’objectif thérapeutique est de redonner à l’appareil psychique sa fonction d’élaboration des conflits, d’aménagement et de médiatisation des contraintes internes et externes et de projection du sujet. 100 BIBLIOGRAPHIE. 1. Alvin P., Marcelli. Médecine de l’adolescent. Paris : Collection pour le praticien, 1999. 2. Bailly D., Venisse JL. Addictologie et psychiatrie. Paris : Collection Médecine et Psychothérapie,1999. 3. Américan Psychiatrie Association, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, third edition. 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Psychanal. 2001 ; 5 : 1537-1549. 42. Waysfeld B. Le poids et le MOI; A. Collin. 43. Winter JP, Dolto F. Les images, les mots, le corps. Paris : Gallimard, 1988 . 107 Connus depuis l’antiquité, définis il y a à peine un siècle selon des critères cliniques précis, les TCA sont médicalisés depuis une trentaine d’années et font l’objet d’une véritable prise en charge depuis 20 ans. Pathologie apparaissant à l’adolescence, 15 à 30 % d’adolescents traversent une crise d’anorexie ou de boulimie mais seulement 0.5 à 1% seraient anorexiques et 3 à 5 % boulimiques sévères. Essentiellement Féminins, les 2 troubles se conjuguent (50% d’anorexiques auraient des épisodes boulimiques et 40% des boulimiques auraient des antécédents d’anorexie). Développés sur des structures variées, allant de la névrose à la psychose, les facteurs socioculturels déterminent la fixation du symptôme à la sphère alimentaire. Le traitement est difficile, la guérison longue et incertaine (1/4 des patientes sont clinicisées, 1% décèdent par dénutrition ou suicide). Le pronostic est lié à la précocité de la prise en charge et à sa spécificité. Une structure médicale en réseau associant un corps médical diversifié, la famille et les patientes tend à se mettre en place. L’alliance entre toutes les parties associées n’est pas toujours facile à réaliser. Caractère espace compris : 988 Caractère espace non compris : 1163 Known ever since antiquity, and defined only one century ago in precise medical terms, Dietary Behavior Disorders have only been taken into account, medically speaking, for around thirty years. Those DBD have been taken care of through Health Care, for only twenty years. This pathology appears with adolescence and 15 to 30% teenagers have to deal with anorexia or boulimia epidodes. Severe troubles seem to appear with 0.5% to 1% of anorexic teenagers and 3 to 5% of boulimic ones. Mainly among women, those two pathologies are combined : 50% of anorexic people experience boulimic episodes, and vice versa, 40% of boulimic people have previous anorexic strokes. Sociocultural factors, that grow from various psychologic pathologies such as neurosis or psychosis, provide the symptoms to focus on alimentation habits. Treatment is harsch, and healing long and uncertain (one fourth of female patients have to join an institution on a full-time basis, 1 percent die with malnutrition or suicide). For a successful way out, diagnosis has to be identified precisely and taken care of early. A medical structure that associates altogether, diversified medical team, family and patients is currently being organised. Alliance between those parts is not always easy to set up. SOUTENANCE A CRETEIL. ANNEE : 108 2005 NOM ET PRENOM DE L’AUTEUR : LUCE Chrystelle DIRECTEUR DE THESE : Dr. BIBAS Jean Pierre TITRE DE LA THESE : Description clinique et moyens de prise en charge actuels des troubles du comportement alimentaire (TCA) chez l’adolescent : anorexie et boulimie. - L’objectif de cette thèse est d’apporter une connaissance précise et réactualisée de cette pathologie dont la description clinique ne cesse de se préciser au gré des travaux de recherche. Faire mieux connaître également les nouveaux moyens de prise en charge les plus performants et notamment la prise en charge en réseau qui tend à se développer. 15 à 30 % d’adolescents traversent une crise d ‘anorexie et de boulimie sans jamais consulter de médecins. « Seulement » 0,5 à 1 % seraient anorexiques et 3 à 5 % boulimiques sévères. Neuf fois sur dix sont des filles. Pathologie donc souvent sous-diagnostiquée notamment la boulimie, les généralistes premiers référents ont un rôle majeur dans le diagnostic et le début de la prise en charge. MOTS CLES : - TCA : anorexie, boulimie Adolescent Clinique et prise en charge actuels. ADRESSE DE L’U.F.R. : 8, rue du Général SARRAIL 94010 CRETEIL CEDEX.