RADICULALGIES POST-OPÉRATOIRES LOMBO-RADICULALGIES : SIGNES CLINIQUES DE NON ORGANICITÉ LUMBAR RADICULAR PAIN: CLINICAL SIGNS OF ITS NON-ORGANIC ORIGIN NATURE P. ANTONIETTI*, C. GILARDEAU** • Chirurgien orthopédiste, .. Médecine rééducation, Institut du Rachis - Clinique Jouvenet, 6, square Jouvenet Il ne faut pas attribuer trop rapidement une douleur de ce type à une anomalie découverte grâce à l'imagerie. Une analyse clinique approfondie est essentielle. - 75016 Paris diennes ou radiculaires, de troubles neurologiques, moteurs ou sensitifs, afin de définir au mieux le traitement à proposer dans l'intérêt du patient. Certains éléments purement cliniques peuvent aider cette démarche. EXAMEN CLINIQUE loureuse en matière de pathologie du rachis lombaire est une étape essentielle de la de l' organicitéLorsque de la plainte doudémarche diagnostique. le patient n'a pas été opéré, et que se pose la question de l'opportunité d'une intervention, l'évaluation de l' organicité est essentielle. En effet, il ne faut pas trop rapidement attribuer la douleur alléguée à une image mise en évidence sur les examens complémentaires ni opérer sur les seules données de l'imagerie; une hernie discale ne justifie pas forcément une intervention chirurgicale, un disque dégénéré n'est pas nécessairement responsable d'une lombalgie. Dans d'autres cas, la possibilité de bénéfices secondaires est à prendre en considération: indemnisation dans le cadre d'un accident du travail, indemnisation après un accident de la circulation, persistance d'une plainte douloureuse après une intervention chirurgicale ... Le praticien doit toujours tenter d'évaluer l'organicité de la plainte, qu'il s'agisse de douleurs rachi- L'évaluation Présentation générale du patient Il est important de regarder le patient arriver, s'asseoir, se lever, se déshabiller, monter sur la table d'examen et en descendre. La non-réalisation à la demande de certains mouvements, effectués correctement de façon automatique, peut orienter vers une majoration non organique des symptômes. Cependant, une présentation théâtrale ne doit pas faire conclure systématiquement à la non-organicité. Plusieurs études (1,12) ont montré que l'expression des symptômes des maladies varie considérablement selon le statut du malade : milieu socio-culturel, type de pathologie, état psychologique, accident du travail ... Enfin, une douleur chronique organique peut être à l'origine d'un syndrome dépressif, et il ne faudrait pas conclure dans ce cas à la non-organicité. • Article publié dans Le Concours Médical 13.03.99-121-10,715-20 . P. ANTONIETTT, La constatation d'une boiterie ne signe pas nécessairement l'organicité, Certaines présentations théâtrales non organiques s'accompagnent volontiers de boiterie, Il est difficile de préciser les caractéristiques précises d'une boiterie organique ou non organique. L'analyse doit être faite sur un sujet déshabillé, en particulier ayant retiré ses chaussettes, afin que l'on puisse étudier la contraction automatique des muscles à la marche, notamment la sollicitation des tendons des releveurs du pied. La douleur, un déficit moteur peuvent entraîner une boiterie: steppage en cas de déficit des releveurs du pied, diminution de la propulsion lors du pas postérieur en cas de déficit du triceps, diminution de l'amplitude du pas antérieur afin de ne pas étirer le sciatique. Il est rare que l'on observe d'autres anomalies de la marche. Interrogatoire, facteurs psycho-sociaux Certains éléments peuvent orienter vers une participation dite « non organique », « fonctionnelle ». M. Morel-Fatio (II) conseille la recherche systématique des éléments suivants: • symptomatologie de type dépressif: anergie, insomnie, troubles de la concentration, quoiqu'il soit souvent difficile d'établir les responsabilités respectives; • comportement anormal vis-à-vis de la maladie, demande insistante de chirurgie, handicap disproportionné; • possibilité de bénéfices secondaires: désir d'indemnisation au décours d'un accident du travail, d'un accident de la voie publique ou dans les suites d'une intervention, le patient ayant l'impression d'avoir subi un préjudice. Examen du rachis Certains patients sont quasiment intouchables lors de l'examen. Les réactions d'évitement, par exemple se saisir du bras ou de la main de l'examinateur lors de la palpation, agripper la zone douloureuse pendant plusieurs secondes, avec des mimiques s'aggravant en présence d'un tiers, plaident pour la non-organicité. Le caractère étendu au rachis cervical et dorsal ou lombaire et dorsal, voire à tout le rachis, de la douleur provoquée par la palpation, de même que la variabilité de la topographie de cette douleur provoquée à différents moments de l'examen, sont en faveur de la non-organicité. L'existence d'une contracture très intense disparaissant lors de la marche sur place plaide également en ce sens . C. GILARDEAU Motricité La possibilité pour le patient de marcher sur les talons et les pointes traduit, en général, l'absence de déficit moteur. Cependant, en cas de déficit authentique du triceps, certains patients peuvent marcher sur la pointe du pied, en raison de compensations par d'autres muscles. Il reste cependant difficile, dans ce cas, de se hausser sur la pointe du pied en appui monopode. Habituellement, les patients croient que cette manœuvre a pour but de réveiller la douleur. Lorsque la marche sur les talons et les pointes est normale, l'incapacité de résister à la pression de la main en position couchée, à condition que la limitation ne soit pas due à la douleur, est en faveur d'une majoration. Il est parfois intéressant de tester simultanément les deux côtés, car il est alors plus difficile de simuler un déficit. De plus, en cas de déficit moteur périphérique authentique, la résistance cède de façon continue et non par à-coups. Sensibilité Il faut répéter rapidement l'étude de la sensibilité superficielle de zones voisines, et rechercher des discordances dans les réponses. La topographie d'une anomalie de sensibilité doit recouvrir à peu de chose près la distribution d'un ou de plusieurs territoires sensitifs radiculaires. Réflexes ostéo-tendineux La recherche des réflexes ostéo-tendineux (ROT) est fiable. Le réflexe rotulien correspond à la racine L4, l'achilléen à la racine SI. On peut également s'intéresser au réflexe ischio-jambier, qui correspond à la racine L5. Il peut se rechercher de deux façons, genou en flexion de 90°, en décubitus dorsal, par percussion des ischio-jambiers : • à la face interne du genou, au voisinage de leur insertion tibiale, par l'intermédiaire du doigt posé sur le tendon; • au voisinage de leur insertion sur l'ischion, hanche et genou fléchis à 90°. La présence d'un réflexe ostéo-tendineux n'exclut pas le diagnostic d'atteinte radiculaire, car les réflexes correspondent généralement à deux racines au moins; l'une est prédominante; par exemple: achilléen = SI (+ S2) ; rotulien = L4 (+ L3). Inversement, l'absence d'un réflexe ostéo- tendineux ne permet pas d'évaluer la date d' appari tion des symptômes ni d'affirmer la persistance d'une douleur. La non-réapparition d'un réflexe ostéo-tendineux n'est pas un signe de gravité. Le réflexe • LOMBO-RADICULALGTES : SIGNES ostéo-tendineux a donc une valeur de localisation, mais ne permet pas de dater la souffrance radiculaire. Signe de Lasègue Le signe de Lasègue traduit l'origine discale d'une radiculalgie L5 ou SI. L'absence de signe de Lasègue est fréquente lorsque la douleur radiculaire est due à une compression osseuse (canal lombaire étroit). Le résultat de la manœuvre de Lasègue est très influencé par la technique: position du patient (inclinaison du dossier de la table d'examen, tête du patient redressée), position du genou, qui doit être maintenu en extension complète par l'examinateur, position du pied, qui doit être maintenu à angle droit par rapport à la jambe lors de la manœuvre. La douleur provoquée par la manœuvre de Lasègue ne doit pas être confondue avec la mise en tension d'ischio-jambiers rétractés. La manœuvre doit être réalisée en position couchée, puis en position assise, sous prétexte, par exemple, de rechercher les réflexes ostéo-tendineux. La discordance entre un signe de Lasègue très « serré» en position couchée et son absence en position assise oriente vers la nonorganicité. CLINIQUES DE NON-ORGAN/CITÉ férents (cercles, croix, tirets, points ... ) le type de symptomatologie (coups de poignard, brûlures ... ) et la topographie. L'examinateur demande de coter sa douleur (actuelle, au maximum, au minimum) sur une échelle graduée de 0 à 10. La profusion qualitative et quantitative des douleurs plaide contre l' organicité. Autres signes de non-organicité Les cinq signes suivants, traduisant la non-organicité dans le cadre de la lombalgie, ont été décrits par G. Waddle (15) en 1980 : • points douloureux superficiels et/ou de topographie non anatomique; • douleur lombaire lors de la pression axiale sur le vertex ou les épaules en position debout, ou lors de la rotation simultanée du bassin et des épaules dans le même sens, en évitant toute mobilisation du rachis lombaire; • différence entre l'angle obtenu par la manœuvre de Lasègue en position couchée et en position assise; • troubles de la sensibilité de topographie inhabituelle (en chaussettes par exemple) ou faiblesse locale; • hyper-réactivité à l'examen. Signe de Léri (Lasègue inversé) Le signe de Léri traduit une souffrance du nerf crural. On le recherche en décubitus ventral, par la mise en flexion du genou, hanche étendue. La manœuvre est positive si elle réveille une cruralgie, quel que soit l'angle de flexion du genou qui déclenche la douleur. Cette douleur ne doit pas être confondue avec une douleur de mise en tension d'un quadriceps rétracté. Certains patients font mal la nuance entre la mise en tension du quadriceps et une authentique douleur. Le test est donc à interpréter avec prudence. La survenue d'une sciatalgie lors de la manœuvre de Léri est en faveur de la non-organicité. • Signe de Hoover (élévation active jambe tendue) On demande au patient, installé en décubitus dorsal, de décoller une jambe du plan de la table d'examen, l'examinateur plaçant une main sous l'autre jambe et essayant de la soulever doucement. Si l'on ne perçoit pas de résistance avec cette main, c'est que le patient simule l'effort de soulèvement. • Dessin de la douleur (13) On demande au patient de dessiner la topographie de ses douleurs en faisant figurer par des symboles dif- D'autres signes ont été récemment décrits pour le rachis lombaire (6) : • la survenue de douleurs lombaires lors des mouvements du cou, en l'absence de mobilisation du rachis lombaire; • la limitation des mouvements de l'épaule, abduction notamment, par la survenue de douleurs lombaires (à condition que la diminution d'amplitude soit supérieure à 20°). Lors de la réalisation de ces deux manœuvres, l'examinateur aura soin de fixer le rachis lombaire, afin que la douleur alléguée par le patient ne puisse être imputable à un mouvement du rachis; la fixation du rachis lombaire doit être réalisée sans appuyer sur des zones réputées douloureuses. Analyse critique Il est nécessaire de faire quelques remarques sur la fiabilité des signes que nous venons d'évoquer. L'examen clinique est d'une interprétation sujette à caution. Aucune manœuvre clinique n'est parfaitement fiable, ni parfaitement reproductible. C'est la raison pour laquelle, parfois, on ne peut arriver à une conclusion qu'en se fondant sur un faisceau d'arguments . • P. ANTONIE1î1, Rappelons qu'un examen est dit fiable s'il est reproductible, c'est-à-dire lorsqu'il a la capacité de donner le même résultat quand il est appliqué à plusieurs reprises au même sujet, par le même examinateur ou par des examinateurs différents, dans les mêmes conditions, La fiabilité est de 90 % si deux examinateurs font les mêmes constatations chez 9 sujets sur 10, Mais la fiabilité n'est pas suffisante, car elle doit s'accompagner de sensibilité (absence de faux négatifs) et de spécificité (absence de faux positifs). Un autre écueil réside dans la difficulté d'établir des normes. Les données de l'examen clinique sont acquises avec la subjectivité de l'observateur. Les exemple ci-après, tirés de la littérature, nous enseignent la plus grande prudence dans l'interprétation des données de l'examen clinique, qui reste cependant l'étape essentielle de la démarche diagnostique, La mesure de l'ampliation thoracique met en évidence des différences pouvant aller jusqu'à 4 cm d'un opérateur à l'autre (5). On ne retrouve que 55 % de concordance dans l'interprétation de l'auscultation pulmonaire par des pneumologues (14), L'interprétation de la même photo de fond d'œil par le même ophtalmologiste à trois mois d'intervalle ne donne le même résultat que dans 68 % des cas (2). Les divergences sont également très importantes en ce qui concerne les données anthropométriques, taille, poids, longueur des membres, périmètre thoracique ... (3), De même, la reproductibilité du signe de Lasègue est controversée (6,8), Les différences intra-observateurs de mesure de l'angle lors de la manœuvre de Lasègue peuvent atteindre 40°, chez 30 % des observateurs. Quant au test de Schoberl, il a été modifié à de nombreuses reprises (4,9) afin d'en augmenter C. GILARDEAU la fiabilité, mais elle resterait très moyenne (10). En particulier, les repères cutanés, sur lesquels est basée la mesure, seraient absents chez 26 % des patients. De même, la mobilité de la peau persiste lorsque les structures osseuses sous-jacentes sont totalement immobiles (10). L'essentiel • Les pathologies non organiques prennent fréquemment le masque de lomboradiculalgies. Le praticien doit être capable de diagnostiquer le caractère anorganique de douleurs qui pourraient le conduire à proposer un traitement inadapté, C'est particulièrement le cas lorsque peut se discuter l'opportunité d'une intervention chirurgicale. La présence d'anomalies radiographiques patentes n'est pas garante de l'organicité, ni d'un bon résultat post-opératoire, • Quelques tests cliniques simples aident à séparer l'organique de l' anorganique : signes de dépression ou bénéfices secondaires à l'interrogatoire; discordance entre la réalisation spontanée de certains gestes et l'impossibilité de leur exécution sur commande; variabilité d'un moment à l'autre des tests de motricité et de sensibilité, déclenchement d'une sciatalgie par la manœuvre de Lasègue inversée ; profusion de topographies et de types de douleurs sur le schéma de la douleur; positivité des critères de Waddle et des signes de Kummel. D'autres points cliniques sont exposés ici : interprétation de la boiterie, interprétation des réflexes ostéo-tendineux. Cependant, pour interpréter les résultats de ces tests, il conviendra de se rappeler que la fiabilité de l'examen clinique est loin d'être absolue. CONCLUSION Nous n'avons pas discuté ici des diagnostics différentiels : dérangement intervertébral mineur, fibromyalgie, algoneurodystrophie, pouvant aboutir au syndrome de « dos forcé », ou à un blindage postérieur majeur, Cependant, les signes que nous avons évoqués doivent permettre au praticien de suspecter la non-organicité, et de décider en conséquence, Enfin, l'un des problèmes les plus difficiles est celui de la décision d'une réintervention chirurgicale, envisagée devant une confrontation radio-clinique convaincante, mais sur un terrain a priori peu favorable. L'expérience du praticien et son intuition seront alors de grande importance .• • BI BLiOGRAPH lE 1. Aiach P, Cebe D.: Expression des symptômes et conduites de maladie. Facteurs socioculturels et méthodologiques de différentiation. Paris, Doin éd., 199]. 2. Aoki N.: Epidemiological evaluation offundoscopic findings in cerebrovascular diseases. Observer variability and reproductibility forfundoscopic findings. 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