2008 2007 -- Numéro Número 2 4 •• ISSN ISSN 1993-8616 1993-8616 Femmes entre deux rives Exilées ou non, elles sont loin de leurs pays de naissance. Elles se déplacent d’un lieu à un autre, de force ou de gré. Elles vivent dans un pays, elles pensent à un autre. Elles tissent des liens entre des mondes opposés. L’entre-deux est leur façon d’être. Leur œuvre est plurielle, universelle. © Laurent Giorgetti À 89 ans, l’Anglaise Doris Lessing reste très attachée au pays de sa jeunesse, l’actuel Zimbabwe, au point de lui consacrer une grande partie de son discours à l’occasion de la réception du Prix Nobel de littérature, en décembre dernier. Et elle saisit l’occasion pour dénoncer notre « culture à fragmentation » où nos certitudes datant d’il y a seulement quelques décennies sont remises en question, et où il est fréquent que les jeunes hommes et les jeunes femmes qui ont bénéficié d’années d’études ne sachent rien du monde ». De son appartement parisien, la romancière Spôjmaï Zariâb raconte le déchirement afghan. Elle était une jeune fille heureuse à Kaboul, entourée de livres, se passionnant pour Don Quichotte, le Comte de Monte-Cristo et autres père Goriot. Mais les talibans sont venus. Elle a fui les bombardements avec ses deux filles. Aujourd’hui, elle se souvient d’une poignante nouvelle sur l’exil de Rabindranath Tagore qu’elle avait presque oubliée : Un Homme de Kaboul. Quant à Michal Govrin, elle a toujours eu besoin d’une certaine distance pour se poser les bonnes questions. De Tel-Aviv sa ville natale en Israël, elle est partie étudier en France, puis s’est installée à Jérusalem, mais réside actuellement dans le New Jersey (États-Unis). Elle fait du théâtre dans ses romans, elle écrit des romans quand elle fait du théâtre, avec des jeunes, Juifs ou Palestiniens, qui expri- Véronique Tadjo, née d’un père ivoirien et d’une mère française, vit en Afrique du Sud. Avant la crise ivoirienne, c’était une grande voyageuse. Depuis, c’est une exilée. « L’exil commence lorsqu’il est impossible de retourner dans le pays que vous avez quitté », ditelle. Elle continue à voyager entre littérature et peinture. Ce document est la version en format PDF du Courrier de l’UNESCO, également disponible en ligne sur : www.unesco.org/fr/courier Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 ment chacun leur propre douleur à travers l’écriture Autant de destins très différents et, quelque part, très semblables. Autant de femmes entre deux rives. Kiran Desai, pour sa part, n’a pas choisi de quitter l’Inde. C’est sa mère, la célèbre romancière Anita Desai, qui l’a emmenée avec elle, à l’âge de 15 ans, d’abord en Angleterre puis aux États-Unis. Et c’est dans le Nouveau Monde que cette jeune femme s’est sentie plus Indienne que jamais, en écrivant La Perte en héritage qui lui a valu le prestigieux Booker Prize en 2006. En marge de ce dossier réalisé avec le soutien de la Division pour l’égalité des genres du Bureau de la planification stratégique de l’UNESCO, ce numéro du Courrier vous apporte également des paroles d’hommes. À l’occasion du 27 mars, Journée mondiale du théâtre, nous publions dans la rubrique « Éclairage », le message international du Canadien Robert Lepage, reconnu comme l’un des plus grands metteurs en scène contemporains. Et pour célébrer la Journée mondiale de la poésie, le 21 mars, nous rendons hommage au grand poète tadjik Abu Abdullah Rudaki. Il est né voici 1150 ans ! ou la mise en scène de pièces. Et que dire de l’Argentine María Medrano ? Elle qui, sans bouger de Buenos-Aires et sa banlieue, construit des ponts de paroles plus longs que celui du golfe de Hangzhou ! Une fois par semaine, depuis cinq ans, elle franchit les grilles de la prison pour femmes d’Ezeiza pour y animer un atelier de poésie. Et de traduction, car ces femmes sont originaires de différents pays et continents. Ce pont entre le dedans et le dehors, qui brise aussi les barrières linguistiques, est devenu pour les prisonnières un espace vital. Dans le cadre de la célébration de son 60e anniversaire, le Courrier vous apporte cette année beaucoup de nouveautés. Le mois dernier, il est devenu interactif et nous remercions tous nos lecteurs qui nous ont envoyé leurs commentaires. Ce mois-ci, nous réintroduisons le format PDF : revisitez les langues, ça compte. Jasmina Šopova Sommaire Doris Lessing : Comment imaginer une pauvreté aussi nue ? 3 Véronique Tadjo, une collectionneuse de souvenirs de voyages 6 Spôjmaï Zariâb et l’homme de Kaboul Michal Govrin : la malédiction de l’errance 11 Kiran Desai : une vie entre Orient et Occident 13 María Medrano : Dedans - Dehors 16 Éclairage : Le théâtre doit se réinventer 18 Hommage : Roudaki, le sultan des poètes 19 Le mois prochain : Année internationale de la Planète Terre 20 Partenaires 21 Pour la petite histoire Zoom 22 9 23 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 Doris Lessing : Comment imaginer une pauvreté aussi nue ? Doris Lessing, Prix Nobel de littérature 2007, a grandi dans l’actuel Zimbabwe, avant de s’établir à Londres en 1949. Très attachée au pays de sa jeunesse qui l’avait jugée indésirable en 1956 en raison de ses positions anti-apartheid, la romancière britannique lui a consacré une grande partie de sa Conférence : « Comment ne pas gagner le prix Nobel ». Extraits. à se remettre. Cette école ne diffère en rien de toutes les écoles bâties après l’Indépendance. Elle consiste en quatre grands cubes de brique, plantés côte à côte directement dans la poussière, un deux trois quatre, avec une moitié de salle à un bout, la bibliothèque. Ces salles de classe ont bien des tableaux noirs, mais mon ami garde les craies dans sa poche, sinon on les volerait. Il n’y a pas d’atlas, pas de globe terrestre dans l’établissement, pas de manuels scolaires, pas de cahiers ni de stylos bille ; la bibliothèque ne contient pas le genre de livres qu’aimeraient lire les élèves, seulement d’énormes pavés d’universités américaines, difficiles même à manier, des ouvrages de rebut des bibliothèques des Blancs, des romans policiers, ou encore des titres tels que Un week-end à Paris ou Félicité trouve l’amour. […] Pendant que je me tiens avec mon ami dans sa chambre, des gens entrent timidement, et tous, tous mendient des livres. « S’il te plaît, envoie-nous des livres quand tu rentreras à Londres. » Un homme m’a dit : « On nous a appris à lire, mais nous n’avons pas de livres. » Tous ceux sans exception que j’ai rencontrés m’ont mendié des livres. © Chris Saunders Doris Lessing : « Le faiseur d’histoires se cache toujours en nous ». Postée sur le pas de la porte, je regarde, entre des nuages de poussière volante, dans la direction où il reste encore des forêts sur pied, c’est ce qu’on m’a dit. Hier, j’ai parcouru en voiture des kilomètres de souches d’arbres et de traces carbonisées d’incendies, là où, en 1956, s’étendait la forêt la plus magnifique que j’aie jamais vue. Entièrement détruite. Les gens doivent manger, ils doivent trouver du combustible pour leurs feux. Je doute que beaucoup de ces élèves se verront décerner des prix J’étais là-bas quelques jours. La poussière volait, il n’y avait pas d’eau parce que les pompes étaient tombées en panne et les femmes allaient de nouveau puiser l’eau à la rivière. Ceci se passe au nord-ouest du Zimbabwe, au début des années quatre-vingts ; je rends visite à un ami qui était enseignant dans une école londonienne. Il est là pour « aider l’Afrique », selon l’expression consacrée. C’est une âme noble et idéaliste ; ce qu’il a découvert ici, dans cette école, l’a choqué au point de lui provoquer une dépression dont il a eu du mal Un autre professeur idéaliste venu d’Angleterre était quelque peu dégoûté après avoir vu à quoi ressemblait cette « école ». Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 Le dernier jour, c’était la fin du trimestre, les villageois ont abattu leur chèvre ; ils l’ont débitée en tas de morceaux et mise à cuire dans un grand plat. Voilà le banquet tant attendu de la fin du trimestre : un ragoût de chèvre garni de semoule. Pendant que la fête battait son plein, j’ai repris la route en voiture, retraversant les traces et les souches carbonisées de l’ancienne forêt. Je doute que beaucoup de ces élèves se verront décerner des prix. Le lendemain, je me trouve dans une école du nord de Londres, un très bon établissement, dont nous connaissons tous le nom. C’est une école de garçons. De beaux bâtiments, des jardins. Ces élèves reçoivent la visite hebdomadaire d’une personnalité. Il est dans l’ordre des choses que celleci peut être le père, un parent ou même la mère d’un des élèves. La venue d’une célébrité est chose normale pour eux. Mais l’école enveloppée de poussière volante du nord-ouest du Zimbabwe est présente à ma mémoire. Je regarde ces visages légèrement curieux et tente de leur raconter ce que j’ai vu la semaine d’avant. […] Je suis sûre que chacun d’entre vous ici […] doit connaître ce moment où les visages que vous regardez deviennent inexpressifs. Vos auditeurs n’entendent pas ce que vous dites : aucune image mentale ne correspond à ce que vous leur expliquez. Dans le cas présent, aucune image d’une école voilée par des nuages de poussière où l’on manque d’eau, et où une chèvre fraîche abattue cuite en ragoût dans un grand faitout constitue la fête de fin de trimestre. © Mark Taber Un enfant tient un manuel scolaire en « shona », langue parlée par 80 % de la population au Zimbabwe. « Vous savez bien comment ça se passe. Beaucoup de nos élèves n’ont jamais rien lu, et la bibliothèque ne fonctionne qu’à moitié. » « Vous savez bien comment ça se passe. » Oui, en effet, nous savons bien comment ça se passe. Tous, nous le savons. Nous sommes dans une « culture à fragmentation » où nos certitudes datant d’il y a seulement quelques décennies sont remises en question, et où il est fréquent que les jeunes hommes et les jeunes femmes qui ont bénéficié d’années d’études ne sachent rien du monde, n’aient rien lu, ne connaissent qu’une spécialité ou une autre, les ordinateurs par exemple.[…] Leur est-il vraiment impossible d’imaginer une pauvreté aussi nue ? Je fais de mon mieux, ils sont polis. Je suis certaine que, dans le lot, il y en aura qui obtiendront des prix. Puis c’est fini. Restée avec les professeurs, je demande, comme toujours, si la bibliothèque marche, et si les élèves lisent. Et ici, dans cette école pour privilégiés, j’entends ce que j’entends toujours quand je me rends dans des écoles ou même des universités. Nous sommes les champions de l’ironie et du cynisme Nous sommes blasés, nous dans notre monde – ce monde si menacé. Nous sommes les champions de l’ironie et du cynisme. Nous hésitons devant l’usage de Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 certains mots et de certaines idées, tant ceux-ci sont usés jusqu’à la corde. Mais pourquoi ne pas réhabiliter certains mots qui ont perdu leur pouvoir d’expression ? Nous possédons une mine – un trésor – de littérature, qui remonte aux Égyptiens, aux Grecs et aux Romains. Tout est là, cette profusion littéraire, prête à être sans cesse redécouverte par quiconque a la chance de tomber dessus. Un trésor. Imaginez qu’il n’ait jamais existé. Comme nous serions vides, pauvres ! Nous avons reçu en partage un legs de langues, de poèmes, d’histoires, et il n’est pas du genre à risquer de s’épuiser. Il est là, toujours. Nous disposons d’un héritage d’histoires, de contes, transmis par les anciens conteurs – nous connaissons les noms de certains, mais pas de tous. Cette lignée de conteurs remonte à une clairière au milieu de la forêt où brûle un grand feu et où les anciens chamans dansent en chantant, car notre patrimoine d’histoires est né dans le feu, la magie, le monde des esprits. Et c’est encore là qu’il est conservé aujourd’hui. © Emma Kinsella Nous sommes blasés ? Pas tous ! conteur sera toujours là, car ce sont nos imaginaires qui nous modèlent, nous font vivre, nous créent, pour le meilleur et pour le pire. Ce sont nos histoires, le conteur de nos histoires, qui nous récréent – qui nous recréent – quand nous sommes déchirés, meurtris et même détruits. C’est le conteur, le faiseur de rêves, le faiseur de mythes, qui est notre phénix, ce que nous sommes au meilleur de nous-mêmes au plus fort de notre créativité. Interrogez n’importe quel conteur moderne, et il vous dira qu’il y a toujours un moment où il est touché par le feu de ce qu’il nous plaît d’appeler l’inspiration, l’enthousiasme, et cela remonte à la naissance de notre espèce, au feu, à la glace et aux grands vents qui nous ont modelés, nous et notre monde. Cette pauvre jeune femme qui chemine dans la poussière en rêvant d’une éducation pour ses enfants, croyons-nous être mieux qu’elle – nous qui sommes gavés de nourriture, avec nos placards pleins de vêtements, et qui étouffons sous le superflu? Le conteur est au fond de chacun de nous, le « faiseur d’histoires » se cache toujours en nous. Supposons que notre monde soit rongé par la guerre, par les horreurs que nous pouvons tous imaginer facilement. Supposons que des inondations submergent nos agglomérations, que le niveau des mers monte... Le C’est, j’en suis convaincue, cette jeune fille et les femmes qui parlaient de livres et d’éducation alors qu’elles n’avaient pas mangé depuis trois jours qui peuvent encore nous définir aujourd’hui. Doris Lessing, Prix Nobel de littérature 2007 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 Véronique Tadjo, une collectionneuse de souvenirs de voyages L’exil commence quand il est impossible de retourner dans le pays que vous avez quitté, dit la poétesse, romancière et peintre Véronique Tadjo, lauréate du Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire 2005. Née en 1955 à Paris et élevée à Abidjan, elle vit en Afrique du Sud, après avoir fait le tour du monde. Propos recueillis par Bernard Magnier, journaliste français et spécialiste de littérature africaine. © Book SA Véronique Tadjo: « Il serait intéressant de voir à long terme où va la littérature écrite par les femmes ». De quelle façon vos multiples voyages ont-ils contribué à votre œuvre ? écrire pour capturer les expériences que je vivais. C’est ce voyage qui a provoqué en moi le véritable déclic de l’écriture. Je pourrais presque mettre un petit drapeau sur chacun de mes textes. Ils ont tous été marqués par les endroits où je vivais au moment de leur rédaction. J’ai emprunté et incorporé des tas d’éléments glanés ici et là, un peu comme une collectionneuse ramenant des souvenirs de ses voyages. Êtes-vous sensible à l’environnement immédiat ? Absolument. À force de vivre parmi des gens, on finit par intégrer leurs espérances et leurs problèmes. On voudrait mieux les connaître, mieux les comprendre. Je n’aime pas m’enfermer à double tour pour écrire. Je veux pouvoir participer à la vie quotidienne, échanger, communiquer, recevoir des idées et en faire passer d’autres. Depuis que je suis née, les voyages font partie de ma vie. J’ai épousé un journaliste et ils ont continué : l’Angleterre, le Mexique, le Nigeria, le Kenya et aujourd’hui l’Afrique du Sud… Je me dis parfois que si je n’avais pas vécu au Kenya, je n’aurais peut-être pas été aussi sensible au génocide du Rwanda. Il y avait tant de réfugiés rwandais à Nairobi et les journaux traitaient souvent du sujet à l’époque où j’y étais. Écrire L’Ombre d’Imana (Actes Sud, 2000), livre qui m’a permis d’exorciser le Rwanda, est alors devenu un aboutissement logique. Mon premier recueil de poèmes, Latérite (Hatier, 1997), est né grâce à la traversée du désert que j’ai entreprise lorsque j’ai quitté Paris, après mes études. J’avais le mal du pays. Je me suis dit que ce serait bien de voyager lentement, de rentrer en Côte d’Ivoire par la route et découvrir le désert dont je rêvais tant. Au lieu de prendre des photos, je me suis mise à Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 Vous avez longtemps vécu loin de la Côte d’Ivoire. Comment vivez-vous la crise ivoirienne ? Pendant longtemps, j’ai voyagé le cœur et l’esprit tranquilles en me disant que je pouvais rentrer chez moi quand je le souhaitais. Les choses ont changé avec la crise ivoirienne. J’ai eu l’impression que la porte s’était brusquement refermée et que je me retrouvais dehors. J’avais du mal à comprendre ce qui se passait, comment on en était arrivé là. Je me suis sentie aliénée, comme s’il fallait tout reprendre à zéro. Je crois que l’exil commence quand il est impossible de retourner dans le pays que vous avez quitté, quand le chemin du retour devient douloureux. Mais d’une certaine façon, je pense que beaucoup d’Ivoiriens ont ressenti la même chose. L’idée d’un changement irrémédiable. Le sentiment que rien ne sera plus comme avant. Bon nombre d’écrivains de par le monde vivent en exil, pensez-vous que l’exil soit une situation propice à l’écriture ? Il y a un exil voulu et un exil forcé. Quand on est en exil, mais serein, alors cela peut être « confortable ». En effet, l’éloignement permet de relativiser les choses, de prendre du recul. On a la possibilité de s’extraire du quotidien et de garder la tête hors de l’eau. On peut adopter une position d’observateur, un luxe que ceux qui vivent en permanence dans l’œil du cyclone ne peuvent se permettre. © Éditions Actes Sud Couverture du livre qui a permis à Véronique Tadjo d’exorciser le Rwanda. Cependant, un exil ne peut être serein que si l’on peut retourner dans son pays régulièrement. Autrement, on finit par fonctionner à partir de souvenirs flous et cela devient une situation inconfortable. Le pays est alors un mythe plus qu’une réalité. considérablement évolué. Quel regard portez-vous sur cette évolution ? Dans le cas d’un exil triste, je ne vois aucun avantage, car c’est un déchirement qui, s’il pousse à l’écriture, peut dans le même temps entraîner une forme de grand désespoir. Au fur et à mesure que la mémoire des petites choses s’efface, la conscience de soi s’émiette. Il ne reste plus alors qu’à faire un choix difficile : tirer un trait sur sa vie d’antan et en adopter une autre ou vivre comme un écorché vif. Les femmes font entendre leur voix et montrent un dynamisme dans l’écriture qui est assez remarquable – et logique. Il a fallu plusieurs générations pour qu’elles accèdent à l’éducation. Il a fallu aussi plusieurs générations pour qu’elles se mettent à prendre la parole dans des sociétés où cela n’était pas encouragé. Avec l’entrée des femmes dans la vie active et dans la politique, les mentalités ont fini par évoluer. Aujourd’hui, la jeune génération bénéficie d’une plus grande ouverture et d’une mobilité accrue. Depuis la parution de votre premier livre, la place des femmes dans le paysage littéraire africain a Il est cependant à regretter que le passage par l’Europe soit toujours une nécessité pour se faire un Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 nom qui puisse dépasser les frontières du pays d’origine. Cela est dû en partie à un manque d’infrastructures éditoriales sur le continent. Je m’inquiète aussi de la mondialisation qui absorbe toutes les formes d’écriture pour mieux les commercialiser. Il serait intéressant de voir à long terme où va la littérature écrite par les femmes. Quels sont ses courants ? Dans quelle mesure le discours des femmes est-il différent de celui de leurs prédécesseurs masculins ? Un peu comme en politique. Qu’en est-il de la littérature de jeunesse ? Quel regard portez-vous sur l’évolution de la production de ces dernières années ? La littérature de jeunesse est à mon avis le maillon manquant de la chaîne. On ne peut pas avoir une littérature vivace qui rencontre son public, si les jeunes n’ont pas été élevés dans le goût de la lecture et des livres. Heureusement, les choses évoluent assez bien. Les éditeurs africains ont compris qu’il y avait un marché local très porteur : les moins de quinze ans forment près de la moitié de la population africaine. ©UNESCO/ Véronique Tadjo « Cycle de vie », tableau de Véronique Tadjo, photographiée par l’artiste dans son jardin à Nairobi (Kenya). il faut permettre aux jeunes d’épanouir leur imagination. Les livres de jeunesse sont de plus en plus variés dans les thèmes et les illustrations. Et c’est bien car Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 Spôjmaï Zariâb et l’homme de Kaboul elle. Nostalgie et souvenirs le poussent, très souvent, à lui rendre visite, les poches pleines de bonbons et de menue monnaie. Mais les méandres de l’exil et les hasards de la vie finissent par le conduire en prison. Il y passera une quinzaine d’années. Une fois en liberté, le cœur battant et les poches pleines de bonbons et de menue monnaie, il reprend la route dans l’espoir de retrouver la petite Hindoue qu’il avait connue autrefois. Arrivé à la porte de sa maison, il est surpris par le brouhaha de la foule et le tintamarre de la musique. Ébloui par les paillettes et les lumières, il cherche la fillette. On lui montre la mariée. © UNESCO/Dominique Roger L’histoire a fait de chaque Afghan l’Homme de Kaboul de Tagore, selon Spôjmaï Zariâb. Spôjmaï Zariâb avait dix ans quand le port obligatoire du voile a été aboli en Afghanistan, en 1959. La future romancière a mené une vie heureuse à Kaboul, entourée de livres. Puis les talibans ont pris le pouvoir. En 1990, elle s’est réfugiée en France avec ses deux filles. Vous me demandez ce qu’est l’exil… Il y a des années, dans un coin tranquille de Kaboul, j’ai lu la traduction persane d’Un homme de Kaboul, une nouvelle de Rabindranâth Tagore. De sa plume magique, cet écrivain indien inégalable m’a fait connaître la douleur de l’exil… mais, il s’agissait d’un exil économique : un Afghan fuit la misère et laisse derrière lui sa femme et sa fille de huit ans pour se perdre dans l’immensité de l’Inde à la recherche d’un travail. © Mercedes Uribe Sa route croise celle d’une fillette. Elle lui rappelle sa propre fille et il ressent une grande affection pour « J’étais jeune et je n’avais d’autres soucis que d’accompagner Don Quichotte dans ses aventures. » Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 avec Kafka et errais derrière les murailles de son château, écoutais les mots de Sartre et le glas d’Hemingway, me lançais avec Proust à la recherche du temps perdu, admirais le Christ recrucifié de Kazantzakis, vivais les cent ans de solitude de Garcia Marquez, oubliant l’homme de Kaboul et ses souffrances de l’exil. Moi, qui étais à l’abri de la misère et qui avais connu la guerre seulement dans les livres, je me voyais à l’abri de l’exil aussi… jusqu’à la fin de mes jours. À cette époque, j’ignorais qu’un jour, hélas, la main injuste de l’histoire ferait de chaque Afghan l’homme de Kaboul de Tagore. Que la folie de l’histoire diviserait toute une nation, dispersant les Afghans aux quatre coins du monde, loin de leurs pères, mères, enfants, sœurs et frères. Dans mon entourage, je ne connais pas une seule famille que le déchirement de l’exil ait épargnée, et qui, sans avoir lu Tagore, n’ait pas vécu l’histoire de l’homme de Kaboul et n’ait pas éprouvé sa douleur dans sa chair. © UNESCO/Neguine Zariab Spôjmaï Zariâb : « Où est le remède à la démence nommée guerre ? ». Vous me demandez à quoi je pense… 4 À quoi pourrais-je penser quand je vois les pays du Tiers-monde, se débattant encore entre les griffes de la misère, tomber de surcroît dans les ravages de la guerre ? À quoi pourrais-je penser quand j’entends reprocher à ces pauvres gens de taper aux portes étrangères pour se sauver ? À quoi pourrais-je penser quand je vois que depuis des siècles ni religion, ni philosophie, ni littérature, ni art, ni sciences, ni technologies n’ont été capables d’apaiser la faim dans le ventre de la Terre et de trouver un remède à la démence nommée guerre ? Ébahi, il songe à la tyrannie du temps, à sa propre fille qui, en son absence, est devenue femme, elle aussi. Il pense à cette enfance volée et à sa paternité perdue pour toujours. Cette nouvelle m’avait bouleversée, mais j’étais jeune à l’époque et je ne savais pas ce qu’était la pauvreté. Je n’avais d’autres soucis que d’accompagner Don Quichotte dans ses aventures, partager la mélancolie de Renée, rire avec Molière, découvrir l’amoureuse Madame de Raynal, m’asseoir au bord du lac avec Lamartine et au bord du Don paisible avec Cholokhov, partager les peines du vieux Goriot, suivre le Comte de Monte-Cristo dans ses vengeances, pleurer avec Fantine et Cosette, scruter la noblesse des paroles de Tolstoï, verser des larmes à la mort de Werther… Hantée par Dostoïevski, je visitais sa maison des morts, me métamorphosais en insecte Pourquoi ne l’ont-ils pas apaisée… ? Pourquoi ne l’ont-ils pas trouvé… ? Cette fois-ci, c’est moi qui vous le demande. Avez vous une réponse… ? Spôjmaï Zariâb, romancière afghane, vivant à Paris 10 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 Michal Govrin : la malédiction de l’errance Michal Govrin révèle la dimension passionnée – voire érotique – du conflit israëlo-palestinien. Cette romancière, poétesse et directrice de théâtre, née à Tel-Aviv, vit aujourd’hui entre Israël et les États-Unis. Elle est lauréate du Prix Acum 2003 de la meilleure œuvre littéraire de l’année dans son pays. Propos recueillis par Jasmina Šopova quasiment rien) dans un appartement au troisième étage de Tel-Aviv ? Je n’avais qu’une seule issue, c’était de prendre la fuite. Je suis donc partie à Paris passer mon doctorat. C’était un moyen de me confronter à moi-même, de poser les questions, à distance. Dans un siècle d’exils et de migrations, je n’étais pas la seule à vivre cette expérience : celle de se mettre à chérir sa propre histoire lorsqu’on est loin de son pays. Je suis devenue une étrangère, une « minoritaire », une exilée, pareille aux clochards du coin de la rue. C’est là, pour la première fois, que j’ai eu le sens de l’autre. À mon retour en Israël, je n’étais plus la même. J’ai quitté Tel-Aviv pour m’installer à Jérusalem. Je sens pourtant la tension qui existe entre ces deux villes, comme un tiraillement entre le sacré et le profane. Depuis, ma vie de famille oscille entre Jérusalem et des séjours périodiques à Paris et dans le New Jersey. Vivre dans l’entre-deux est devenu mon exil d’écrivain, une façon de me remettre perpétuellement en question, d’affronter sans cesse de nouveaux défis. © Forward Association Michal Govrin publie son premier livre en français, Sur le vif, chez Sabine Wespieser éditeur, le 6 mars de cette année. Vous vivez aujourd’hui entre deux continents. Que vous apporte cette expérience ? Ilana Tsouriel, l’héroïne de votre roman Sur le vif (Sabine Wespieser éditeur, 2008), est, comme vous, la fille d’un des fondateurs de l’État d’Israël. Elle se dit frappée par « la malédiction de l’errance ». Vivre « dans l’entre-deux » est une autre définition de ma façon d’être écrivain, d’adopter un point de vue à la fois proche et lointain sur moi-même et sur le monde. J’ai toujours pensé, depuis toute petite, que la « vraie vie » passait par l’écriture. Mais ce rêve s’est effrité, car tous les écrivains que j’admirais parlaient de pays lointains où se vivaient des enfances fascinantes. Alors que moi, comment aurais-je pu décrire l’ennui profond dans lequel se déroulait la mienne, coincée entre deux parents vieillissants (tous deux remariés, avec des familles antérieures vivantes ou disparues, sur lesquelles je ne savais C’est l’expression qu’emploie ironiquement Ilana pour qualifier le caractère cosmopolite de son existence. Il y perce une pointe de critique sioniste de la diaspora juive, ainsi que le rêve de « sauver » les Juifs d’un destin d’exil et d’errance grâce au retour vers la Terre promise et un nouvel État indépendant. Ilana a quitté Israël pour échapper à la violence intrinsèque du processus de construction nationale, et au conflit qu’il a engendré. Mais tout en mûrissant comme 11 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 architecte, elle s’efforce de se dégager de ces contra- mettre en mots ce vécu et ce devoir singuliers et extrêmes. dictions étroites. Dans son projet de Monument pour la paix pour Jérusalem, l’épicentre du conflit, elle a recours à des concepts juifs traditionnels (l’année sabbatique, la hutte sukkah) qui introduisent une dimension d’errance et de renoncement comme mode alternatif de vie dans un lieu. L’amour d’Ilana pour le Palestinien Saïd l’emplit d’un sentiment de trahison vis-à-vis de son père. Pouvez-vous nous parler de ce sentiment ? La liaison entre Ilana et Saïd fait ressortir la dimension passionnée – voire érotique – du conflit israëlo-palestinien. Un conflit qui, au bout du compte, puise ses racines dans les religions abrahamiques, fondées sur l’esprit d’exclusion et une rivalité passionnée entre frères. Votre mère est une rescapée de l’Holocauste. Dans quelle mesure cela a-t-il influencé votre manière d’être et votre œuvre ? Ma mère, une femme solide et pleine de vie, ne m’a jamais parlé de ce qu’elle avait vécu. Lorsqu’elle est arrivée en Israël, en 1948, elle a fait ôter le nombre qui lui avait été tatoué à son entrée à Auschwitz. Enfant, je n’ai donc jamais su que « ma mère avait été victime de l’Holocauste », ni que son fils, dont elle cachait les photos dans son tiroir à lingerie que j’allais ouvrir en cachette, n’était plus de ce monde. Ce conflit politique a des conséquences tragiques, puisque la loyauté envers l’une des histoires est tout simplement perçue comme la trahison inévitable de l’autre. Ilana, qui soutient le camp de la paix, pense pouvoir dépasser cette frontière, même si elle trahit l’engagement sioniste de son père. Mais au fil du roman, en poursuivant sa lecture des archives paternelles, elle comprend que le rêve de paix qu’il a nourri n’est pas si éloigné du sien, alors qu’au moment de la guerre du Golfe et de l’Intifada, elle se sent au contraire trahie par Saïd et par les membres de la compagnie théâtrale palestinienne, qui se détournent peu à peu de leur collaboration. C’est à l’adolescence qu’a commencé pour moi un cheminement long et complexe vers la vérité, sans cesse redéfini par chaque étape de notre vie. C’est une question ouverte avec laquelle je vis, et un engagement que je porte, fidèle à l’éthique de ma mère, celui de me comporter en « être humain véritable ». Et c’est pour moi la seule vraie leçon à tirer face à l’abîme de l’humanité. Où est la trahison, où est la loyauté ? C’est une question cruciale que Sur le vif traite d’un point de vue personnel, érotique et politique. En se demandant, aussi, si trahir des convictions trop rigides n’équivaut pas, dans le fond, à un véritable acte de loyauté. C’est une question qu’une femme est sans doute à même de poser de la façon la plus poignante, dans la mesure où on lui concède rarement le droit de le faire, où les femmes ont rarement la possibilité de maîtriser leur existence et leur corps. La plupart de mes écrits, qu’il s’agisse de romans, de poèmes ou d’essais, tentent, encore et encore, de Vous enseignez à l’École de théâtre visuel de Jérusalem. Le roman et le théâtre, ce sont, là aussi, deux mondes entre lesquels vous naviguez. Il m’arrive souvent, comme un acteur, d’« improviser », d’emmener l’écriture vers des espaces inconnus, y compris de moi-même, uniquement pour traquer et toucher le non-dit. J’ai souvent recours au monologue, qui me permet de capter les subtilités et les fluctuations de la voix vivante, de l’instant qui s’enfuit. Par le rythme, les respirations, la présence corporelle, j’« amène » le lecteur à « interpréter » ce © Riverhead Books Snapshots (Sur le vif), Riverhead Books, 2007. 12 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 monologue, à le vivre avec autant de force qu’un acteur porté par le rôle qu’il incarne. En tant qu’enseignante auprès de jeunes metteurs en scène, en Israël, je travaille avec des étudiants d’horizons aussi différents, sinon opposés, que peut en produire cette région : avec des jeunes qui exprimaient à travers Tchekhov la douleur qu’ils avaient ressentie après le retrait des colonies juives de Gaza, aussi bien qu’avec des jeunes Palestiniens appliqués eux aussi à dire leur douleur, par le biais de l’écriture ou de la direction d’acteurs. Ma démarche a toujours été la même : permettre à ces jeunes de développer leur talent et d’aller jusqu’au bout de leur mission d’artistes, en même temps qu’un engagement viscéral pour l’art théâtral – un engagement sincère et objectif, par-dessus tout, pour la dimension humaine du théâtre, pour l’humanisme. © 2007; Balance Ballet de Danya Elraz, au Théâtre visuel de Jérusalem. Kiran Desai : une vie entre Orient et Occident Avec La Perte en héritage, Kiran Desai est devenue la plus jeune lauréate du Booker Prize (2006). Elle y raconte l’exil, la mondialisation, l’appartenance à deux cultures. Née à New Delhi en 1971, elle a quitté l’Inde en 1986 avec sa mère, la romancière Anita Desai, pour vivre d’abord en Angleterre puis aux États-Unis. Depuis que son deuxième livre, The Inheritance of Loss [paru en français en 2007 aux Éditions des Deux Terres sous le titre La Perte en héritage] lui a valu en octobre 2006 le très convoité Man Booker Prize, la vie de Kiran Desai n’est qu’un tourbillon grisant de voyages et d’éloges. Cette timide et modeste jeune femme de 36 ans, élevée en Inde, mais ayant passé plus de la moitié de sa vie aux États-Unis, est aujourd’hui l’une des voix les plus recherchées des circuits littéraires internationaux. Kiran Desai sillonne donc le globe, de Hay-on-Wye (Royaume-Uni, Pays de Galles) à Copenhague (Dane- © Jerry Bauer Kiran Desai, la plus jeune lauréate du Booker Prize. 13 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 mark), en passant par la Chine, l’Afrique du Sud, le Sri Lanka, le Brésil, le Canada, l’Indonésie, la Colombie – une vie en bonds et rebonds « de personnage de dessin animé », constate-t-elle en riant. Une nouvelle vie aux antipodes des huit années passées à s’échiner sur le roman qui lui a ouvert les portes de la gloire. « Ce fut un long, très long voyage, reconnaît-elle. J’étais triste et abattue d’avoir fini. » Elle a pourtant, dit-elle, vécu avec bonheur le processus souvent solitaire de l’écriture. A cours d’argent lorsque s’est épuisée l’avance de l’éditeur, et trop pauvre pour financer une couverture sociale ou même un logement à elle, Kiran Desai a eu alors sa part de galère. « J’ai été austère et mesquine tout le temps que j’écrivais mon roman, tétanisée par le risque que je prenais », explique-t-elle. Elle espère que le prix qui vient couronner ses efforts changera la donne, lui permettant d’évoluer vers plus « d’excentricité », de « s’amuser davantage », lorsqu’elle reprendra la plume. © Flickr/Sangeet Kothari Le groupe indien Colonial Cousins fait vibrer New York, non loin de Bryant Park. enclenché depuis longtemps, avait décidé que je partirais ». « Pour moi, l’immigration n’est qu’une vaste frime : on se raconte des blagues, on s’invente de nouveaux personnages, et il faut beaucoup de temps pour défaire tout ça », a-t-elle confié au cours d’une interview accordé à CNN. L’immigration n’est qu’une vaste frime Mais la plus rude épreuve qu’ait infligé l’écriture à celle qui est née quelque part mais réside ailleurs, a été l’acceptation de sa propre identité. Fille de la célèbre romancière indienne Anita Desai, Kiran Desai est née en Inde en 1971. Elle avait 15 ans lorsqu’elle a émigré aux États-Unis via la Grande-Bretagne. Au début, Kiran Desai a imaginé que le temps aidant, elle se sentirait plus américaine qu’indienne, et pourtant elle se cramponne à son passeport indien. « On me demande sans arrêt où se trouve ma patrie, mais maintenant que j’ai écris ce livre, je sais encore moins quelle réponse donner », déclare-t-elle. Elle a d’abord cru qu’il s’agissait d’« une migration sans histoires ». C’était avant d’entamer son livre et de découvrir ce que « signifie une vie entre Orient et Occident ». « La littérature n’a que faire des drapeaux et des hymnes nationaux, deux approches simplistes de la loyauté », estime-t-elle. Mais le chemin du livre l’a ramenée vers l’Inde à plus d’un titre. Elle s’est sentie « bien plus indienne » après l’avoir achevé. « Faire partie de la diaspora indienne donne un point d’ancrage émotionnel précis pour commencer le travail, même si ça ne renvoie pas à une géographie précise. Mon livre a été un voyage de retour vers l’indianité, vers la compréhension que ce point de vue était trop fort pour être délaissé. L’Amérique pouvait sans doute me fournir la moitié d’un roman, mais je devais retrouver l’Inde pour y puiser la seconde moitié de l’his- Car l’aventure l’a conduite à s’interroger sur le passé de départs et d’exils de sa famille. Une grandmère maternelle allemande, qui ne revit jamais son pays après avoir opté pour l’Inde, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Un grand-père réfugié du Bangladesh. L’autre, du côté paternel, avait quitté un petit village du Gujarat, dans l’ouest de l’Inde, pour aller étudier en Angleterre, avant de rentrer au pays se mettre au service de l’État. « Je n’ai pas quitté l’Inde par accident, dit-elle. Tout un mécanisme, 14 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 que le mien », a déclaré Kiran Desai en recevant le prix pour laquelle sa mère a été trois fois sélectionnée, sans jamais l’obtenir. La relation mère-fille, explique-t-elle, va bien audelà de la simple relecture des manuscrits. « Lorsque je vais chez elle – elle vit à une heure de route – c’est comme si j’entrais dans une autre dimension, dans un cercle magique où je peux penser et travailler comme nulle part ailleurs », confie-t-elle. « Cela tient à la tranquillité du lieu, à l’immobilité de la lumière, à ce parfum d’exil qui semble indispensable à l’écriture, à ce que tout s’y emploie à ressembler à une maison d’écrivain. C’est un rythme de vie d’écriture né de cinquante années de travail, et de cette époque révolue où en Inde on écrivait pour écrire, pas pour les samoussas des cocktails. » © Regoli Nara La Perte en héritage a ramenée Kiran Desai vers l’Inde, son pays d’origine. 4 toire, pour la profondeur émotionnelle, la densité historique dont j’ai besoin. » Dans un avenir relativement proche, Kiran Desai espère échapper aux projecteurs pour séjourner quelque temps avec sa mère au Mexique, où elles écriront toutes les deux et où elle entamera un nouvel ouvrage. Comme sa mère, Kiran Desai préfère ne pas évoquer ce projet avant de l’avoir fini. Mais son troisième roman a de fortes chances d’être situé « dans un mélimélo d’endroits qui permette de réfléchir à ce que les lieux portent entre eux de vérité et de mensonge », révèle-t-elle. « Son livre est d’une émouvante humanité... C’est un roman magnifique de profondeur humaine et de sagesse, de tendresse comique et d’une grande acuité politique », souligne Hermione Lee, la présidente du jury qui a récompensé Kiran Desai, faisant d’elle la plus jeune femme à se le voir décerner en 40 ans d’histoire du prix. Elle s’éloignera aussi de la fiction pour participer à un ouvrage collectif, « Le soutra du sida : histoire secrète du sida en Inde », récits d’écrivains de renom partis à la rencontre de séropositifs indiens. Ce florilège financé par la Fondation Bill & Melinda Gates, qui sortira chez Random House India en mai, vise à relancer le débat public sur la maladie en Inde et dans le monde. Shiraz Sidhva, journaliste indienne vivant aux États-Unis Ma mère m’a ouvert les portes d’un cercle magique Elle reconnaît d’emblée ses influences : V.S. Naipaul, R.K. Narayan, Salman Rushdie, Chinua Achebe, Naguib Mahfouz, Gabriel Garcia Marquez, Truman Capote, Tennessee Williams, Kenzaburo Oe, Kazuo Ichiguro... Mais c’est sa mère qui a marqué au plus profond son écriture. « J’ai une telle dette envers elle qu’il ne serait pas faux de dire que ce livre est autant le sien 15 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 María Medrano : Dedans - Dehors Une fois par semaine, depuis cinq ans, la poétesse argentine María Medrano franchit les grilles d’une prison près de Buenos Aires pour y animer un atelier de poésie. Elle crée ainsi un pont entre « le dedans » et « le dehors », devenu un espace vital pour ces prisonnières de différentes nationalités. Le mégaphone passe de main en main, et après Silvia Elena, qui revient à la prison pour la première fois depuis sa libération dix mois auparavant, c’est au tour de Laura Ross, une détenue sans date de sortie prévue : « Décidez-vous à cesser d’être soumis... » D’autres détenues, d’autres voix, lisent avec difficulté, timidement, encouragées par les petites tapes dans le dos de leurs camarades. Les applaudissements retentissent. Dehors, le soleil brille, mais les gardiennes de prison n’ont pas l’autorisation d’ouvrir la porte qui donne sur la petite cour. J’ai rien fait © UNESCO/Juana Ghersa C’est l’expression favorite de Bart Simpson [gamin de 10 ans de la série animée Les Simpson], « J’ai rien fait », que les participantes à l’atelier ont choisi, il y a deux ans, pour baptiser leur premier festival. Elles ont donné ce même titre à leur première anthologie poétique aussi. Dans ce livre, María Medrano, poétesse qui, une fois par semaine, avec sa consœur Claudia Prado, franchit les grilles de la prison d’Ezeiza chargée de livres, a écrit : « La plupart des femmes Œuvres exposées au festival « J’ai rien fait ». Les lunettes noires relevées sur la tête, un mégaphone de fer-blanc à la main, elle commence la journée en prononçant ces mots : « L’amitié est un nom sacré, une chose sainte. Elle n’existe qu’entre gens de bien. […] Il ne peut y avoir d’amitié là où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l’injustice. » Silvia Elena Machado lit à haute voix l’une des affiches qu’une petite maison d’édition indépendante, Superabundans Haut, a collée sur les murs roses de la salle polyvalente de l’Unité 31 de la prison pour femmes d’Ezeiza, dans la banlieue de Buenos Aires. Tous les vendredis depuis cinq ans, se tient dans cette salle un atelier de poésie auquel participent entre dix et quinze détenues. Aujourd’hui [le 7 décembre 2007] c’est jour de fête, car on célèbre le deuxième festival de poésie intitulé « J’ai rien fait ». Une nuée de personnes suit Silvia Elena à travers la salle. Elle poursuit la lecture du Discours de la servitude volontaire de l’écrivain français Étienne de La Boétie : « Entre méchants […] ils ne s’aiment pas mais se craignent. Ils ne sont pas amis, mais complices. » © UNESCO/Juana Ghersa Le deuxième festival de poésie « J’ai rien fait » vient de commencer ! 16 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 qui participent à l’atelier n’avaient rique pour se regarder, car dans la prison il n’y a pas de miroirs. jamais eu de contact avec ce genre littéraire. Certaines d’entre elles Par les très hautes fenêtres, on ont décidé de s’inscrire pour “tuer voit des avions : l’aéroport se trouve le temps” ; d’autres, pour voir de à quelques kilomètres, et c’est aussi quoi il s’agissait. Mais ce qui est la raison pour laquelle cette unité sûr, c’est que peu à peu, l’atelier reçoit des femmes accusées de trafic est devenu un espace vital [...] de stupéfiants. Ce sont des « mules », Elles ne veulent pas faire de la des personnes en transit vers poésie “tumbera” [ndrl. tumbera d’autres pays que les douaniers ont est le terme désignant ce qui interceptées avec de la drogue dans appartient au monde carcéral en leurs bagages. Un certain nombre Argentine ; la tumba (tombe) est la © UNESCO/Juana Ghersa d’entre elles sont étrangères. Elles prison], parce que pour elles, ce Les manuscrits des prisonnières n’ont pas pu comprendre les détails langage fait partie du processus de « sortent dehors ». Elles restent de leur jugement. C’est en prison « dedans ». dépersonnalisation dont elles sont qu’elles apprennent l’espagnol. victimes : lorsqu’on entre en prison, on cesse d’être Dans cette petite Babel, elles ont pourtant trouvé une personne pour devenir un “paquet” (c’est ainsi un moyen de participer à l’atelier de poésie. Autour que les appellent les gardiennes), on reçoit un noude l’une des six tables de la rencontre, on entend des veau nom, un surnom “tumbero”, et le langage quotimots polonais, allemands, roumains. Un jour, María dien se transforme peu à peu en langage carcéral. » Medrano est venue à l’atelier avec des textes de Ici, la poésie devient un espace de résistance, poètes écrivant dans la langue maternelle de ces même si, pour le système pénitentiaire, elle fait femmes. Ce sont les détenues qui ont eu l’idée d’appartie des ateliers culturels, c’est-à-dire « non proporter ces textes au festival, de les lire dans leur ductifs » qui ne génèrent pas de revenus, contrairelangue originale et de les traduire pour les partager ment à l’atelier de boulangerie ou de confection de avec leurs camarades et les visiteurs. jouets en peluche (les détenues qui y travaillent Carmen, Roumaine blonde de 52 ans à la voix fière reçoivent un petit salaire qu’elles peuvent dépenser et douce, se souvient que ce jour-là elle avait pleuré : pour elles-mêmes ou envoyer à leurs familles). « Ensuite, j’ai commencé à traduire le texte pour que Il y a deux ans, lorsqu’elle a lu ses textes à l’occales autres puissent comprendre ce qu’il dit. Et sion du premier festival, Liz, jeune femme noire coifaujourd’hui je voulais le chanter, mais j’étais tellefée de petites tresses qui tombent en cascade sur son ment émue que je n’ai pas osé. » Ce n’est pas la peur front, était enceinte. Aujourd’hui, elle regarde son de prendre la parole en « Je l’aime comme fils, Jehová, courir parmi les poètes, poétesses, jourpublic qui l’a découragée, le cancer qui ronge nalistes et visiteurs venus de l’extérieur, tandis qu’elle mais plutôt le souvenir de ma chair attend son tour pour partager ses écrits. Elle dit : « je sa mère, décédée en Rouvais lire quelque chose que j’aime beaucoup, j’espère manie il y a une semaine. Je le déteste autant que ça vous plaira aussi... « Je l’aime comme le cancer que l’air que je En février, Carmen sera qui ronge ma chair... » extradée, l’issue habituelle respire pour les femmes accusées Je le désire autant Briser le mur des langues de trafic de stupéfiants. que la mort Une jeune femme blonde, dont la grossesse est déjà Je le rejette autant Soledad Vallejos, très avancée, demande à une photographe venue assisque le bonheur journaliste au quotidien ter au festival de lui tirer le portrait : elle veut l’envoyer Pagina 12 de Buenos Où es-tu ?… » à son fiancé qui est dehors et ne peut pas toujours lui Aires, Argentine. Liz M. rendre visite. Elle veut aussi profiter de l’appareil numé17 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 Éclairage Le théâtre doit se réinventer La Journée mondiale du théâtre, créée en 1961 à Vienne par l’Institut International du Théâtre (IIT), est célébrée chaque année le 27 mars, un peu partout dans le monde. L’IIT est l’une des plus importantes organisations internationales non gouvernementales dans le domaine des arts de la scène. Actuellement, il existe des Centres nationaux de l’IIT dans une centaine de pays du monde. Traditionnellement, chaque année, l’Institut International du Théâtre invite une person­ nalité de renommée mondiale à rédiger un message international. Cette fois-ci, c’est le célèbre metteur en scène Robert Lepage (Québec, Canada) qui nous raconte la fable de la naissance du théâtre pour rassurer ceux qui craignent le recours aux technologies sur les planches. © Sophie Grenier Robert Lepage : à trop jouer avec le feu, on prend la chance d’éblouir. comme une menace, mais comme un élément rassembleur. La survie de l’art théâtral dépend de sa capacité à se réinventer en intégrant de nouveaux outils et de nouveaux langages. Sinon, comment le théâtre pourrait-il continuer d’être le témoin des grands enjeux de son époque et promouvoir l’entente entre les peuples, s’il ne faisait pas lui-même preuve d’ouverture ? Comment pourrait-il se targuer d’offrir des solutions aux problèmes d’intolérance, d’exclusion et de racisme, si, dans sa pratique même, il se refusait à tout métissage et à toute intégration ? Il existe plusieurs hypothèses sur les origines du théâtre, mais celle qui m’interpelle le plus a la forme d’une fable : Une nuit, dans des temps immémoriaux, un groupe d’hommes s’étaient rassemblés dans une carrière pour se réchauffer autour d’un feu et se raconter des histoires. Quand tout à coup, l’un d’eux eut l’idée de se lever et d’utiliser son ombre pour illustrer son récit. En s’aidant de la lumière des flammes, il fit apparaître sur les murs de la carrière des personnages plus grands que nature. Les autres, éblouis, y reconnurent tour à tour le fort et le faible, l’oppresseur et l’oppressé, le dieu et le mortel. Pour représenter le monde dans toute sa complexité, l’artiste doit proposer des formes et des idées nouvelles et faire confiance à l’intelligence du spectateur capable, lui, de distinguer la silhouette de l’humanité dans ce perpétuel jeu d’ombre et de lumière. De nos jours, la lumière des projecteurs a remplacé le feu de joie initial et la machinerie de scène, les murs de la carrière. Et n’en déplaise à certains puristes, cette fable nous rappelle que la technologie est à l’origine même du théâtre et qu’elle ne doit pas être perçue Il est vrai qu’à trop jouer avec le feu, l’homme prend le risque de se brûler, mais il prend également la chance d’éblouir et d’illuminer. Robert Lepage, Québec, le 17 février 2008 18 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 Hommage Roudaki, le sultan des poètes « Depuis que le monde a surgi des ténèbres, personne encore, sur Terre, n’a regretté d’avoir consacré sa vie à l’étude », écrivait Abu Abdullah Roudaki (858-941), considéré à juste titre comme le fondateur de la littérature tadjiko-persane. Appuyé par l’Afghanistan, la République islamique d’Iran et le Kazakhstan, le Tadjikistan a proposé à l’UNESCO de s’associer à la célébration de son 1150e anniversaire. À l’occasion de la Journée mondiale de la poésie, le 21 mars, le Courrier de l’UNESCO lui rend hommage. poésie écrite en persan. La population se distinguait par son niveau d’érudition, l’islam ayant contribué à une large diffusion de textes sacrés. D’après le philosophe, écrivain et médecin persan Avicenne, la bibliothèque de Boukhara recelait « des livres dont nombre de gens ignoraient jusqu’à l’existence ». Le poète de la simplicité inaccessible À cheval sur deux époques, Roudaki est parvenu à fondre dans son art les traditions musico-poétiques préislamiques, le chant tadjiko-iranien et des formes radicalement nouvelles de versification arabe. Roudaki a écrit en nouveau persan (dari). Le persan existant jusqu’alors a dû, après la conquête de l’Asie centrale par les Arabes et la diffusion de l’islam, passer à la graphie arabe. © all rights reserved Abu Abdullah Roudaki. L’homme dont le nom signifie « petit ruisseau » en persan dari, Roudaki, est né en 858 dans les environs de Pendjakent, à 200 km au nord de Douchanbé, la capitale du Tadjikistan. Dès l’âge de huit ans, il récitait par cœur le Coran. Plus tard, sa renommée de fin poète et de brillant musicien et chanteur étant parvenue à Boukhara (aujourd’hui en Ouzbékistan), on l’invita à la cour en qualité de poète officiel. Il y passa une grande partie de sa vie au service de la dynastie des Samanides (875-999). Les vers du « sultan des poètes », comme on l’appelait communément, sont pénétrés de sa foi dans la force de la raison humaine, dans la sagesse de l’expérience, dans la volonté de maîtriser le savoir et dans l’accomplissement du bien et de la justice. Le laconisme, la simplicité de son expression poétique ont donné naissance à un nouveau style littéraire, connu sous le nom de style horasanien ou style Roudaki, qui a dominé la poésie persane pendant plusieurs siècles. Encore au Moyen Âge, les érudits qualifiaient le style du poète de « sakhle moumtans » (« simplicité inaccessible »). Capitale du premier grand État indépendant du califat arabe, Boukhara était considérée comme le centre de la culture tadjik. Les Samanides ont encouragé le développement des sciences, de l’architecture et de la Célébrant la nature, l’homme, ses sentiments nobles et ses idéaux, il a également abordé les questions de philosophie et de morale, s’efforçant d’améliorer les mœurs de l’époque par la force du verbe poétique. Il a 19 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 4 été le premier, dans la poésie persane, non seulement à porter son regard sur l’homme, mais aussi à le placer au centre de son art : l’homme ordinaire, « terrestre », qui pense de façon simple et limpide. Roudaki a excellé dans différents genres poétiques – roubaï, ghazal, qasida, kitia, masnavi et autres poèmes lyriques galants. Mais de toute son œuvre, il ne subsiste que le qasida « La mère du vin » et une quarantaine de roubaï (quatrains). Le reste est constitué de fragments d’œuvres panégyriques, lyriques et didactiques, notamment du poème « Kalîla et Dimna » et de cinq autres textes. Après avoir servi plus de 40 ans à la cour samanide, le poète est tombé en disgrâce, vers la fin de sa vie, en raison de ses sympathies pour un peuple rebelle, les Qarmates. Et comme on sait qu’il est mort aveugle, d’aucuns pensent qu’on lui aurait crevé les yeux avant de le bannir de la cour. Il a passé le reste de ses jours dans le dénuement. Il est mort en 941 à Pandjroud, son village natal. © Foteh Moukammal Odinaeva et Lola Olimova, journalistes tadjiks. Monument de Roudaki à Panjakent, Tadjikistan. Le mois prochain Année internationale de la Planète Terre Faire de notre planète une Terre plus sûre, plus saine et plus riche pour ses communautés humaines en utilisant de façon plus efficace les connaissances des 400 000 spécialistes en sciences de la Terre – tel est l’objectif principal de l’Année internationale de la Planète Terre, lancée les 12 et 13 février à l’UNESCO. Il s’agit d’une initiative conjointe de l’UNESCO et de l’Union internationale des sciences géologiques (IUGS). Elle appelle les scientifiques à travailler sur dix grands thèmes particulièrement pertinents pour l’humanité : la santé, le climat, les eaux souterraines, les océans, les sols, les profondeurs de la Terre, les mégalopoles, les risques naturels, les ressources naturelles et la vie. Le prochain numéro du Courrier de l’UNESCO consacre son dossier à cette Année internationale. La Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina, en septembre 2005. © UNESCO/NOPD Isidro Magana 20 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 Partenaires Le mois de mars se déroule sous le signe de la femme, à l’UNESCO, qui organise une série de conférences, expositions, concerts et projections de films pour célébrer le 8 mars, Journée internationale de la femme. Parmi les événements : une exposition de 1 000 cartes postales, en collaboration avec le réseau international « Femmes de paix autour du monde » ; une soirée ivoirienne avec la chanteuse, danseuse et percussionniste Dobet Gnahoré, en collaboration avec l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ; et une exposition retraçant la vie d’Alice Guy, en collaboration avec l’association « Les amis d’Alice Guy-Blaché ». Femmes de paix autour du monde En 2005, 1000 femmes venant d’environ 150 pays ont été collectivement nominées pour le Nobel. Les organisatrices de la campagne « 1000 Femmes pour le Prix Nobel de la Paix 2005 » ont par la suite créé un réseau international de femmes travaillant dans différents domaines de la sécurité humaine : « Femmes de paix autour du monde », un partenaire de l’UNESCO pour la célébration du 8 mars 2008. L’objectif de « Femmes de paix autour du monde » est de contribuer à l’émergence d’un mouvement de paix à l’échelle mondiale. Apporter visibilité et soutien aux femmes de paix dans leur travail, faciliter les connections entre femmes de paix, renforcer le mouvement de solidarité et étendre leur champ de connaissances et de compétences sont quelques-uns des objectifs de ce réseau international. © Anna Jalilova Organisation internationale de la Francophonie L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) regroupe 55 États et gouvernements membres et 13 observateurs, répartis sur les cinq continents, rassemblés autour du partage d’une langue commune : le français. Parlé par 200 millions de personnes, le français a statut de langue officielle, seul ou avec d’autres langues, dans 32 États et gouvernements membres de l’OIF. Depuis plus de 35 ans, la Francophonie mène des actions politiques et de coopération en faveur de la diversité culturelle. Le 20 mars 2008, l’OIF célèbre la Journée internationale de la Francophonie. 4 21 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 Les amis d’Alice Guy-Blaché Alice Guy-Blaché, considérée comme la première femme cinéaste, est née en 1873, en France, dans les environs de Paris. Elle est décédée en 1968, à Mahwah, aux États-Unis. Elle tourne son premier court-métrage de fiction, « La Fée aux choux », en 1896, avec le soutien de l’un des pionniers français de l’industrie du cinéma, Léon Gaumont. En 1906, pour son premier long-métrage « La vie du Christ » elle utilise quelque 300 figurants ! Passant du noir et blanc à la couleur, du muet au sonore, Alice Guy-Blaché a réalisé plus de 600 films de genres aussi différents que la comédie, l’opéra filmé, le polar, le documentaire ou le film historique. Thierry Peeters, arrière-petit-fils d’Alice Guy et l’association « Les amis d’Alice Guy-Blaché » veillent sur la mémoire de cette grande dame du cinéma. © Régine Blaché-Bolton Alice Guy est considérée comme la première cinéaste au monde. Pour la petite histoire Proclamée par les Nations Unies en 1977, la Journée internationale de la femme puise ses origines dans les manifestations de femmes, notamment en Europe, qui réclamaient au début du 20e siècle le droit de vote, de meilleures conditions de travail et l’égalité entre les sexes. Le 19 mars, le dernier dimanche de février, le 15 avril, le 23 février : voici quelques dates clés de la Journée internationale de la femme. Mais d’où vient alors la date du 8 mars ? 1910 : à Copenhague (Danemark), des centaines de participantes réunies à la Deuxième conférence internationale des femmes socialistes (la première ayant eu lieu en 1907) décident d’organiser chaque année une journée des femmes visant à renforcer leur lutte pour le droit de vote. 1913 : des femmes russes marquent leur première Journée internationale de la femme le dernier dimanche de février, en organisant des rassemblements clandestins. 1915 : alors que la Première Guerre mondiale fait rage, un gigantesque rassemblement de femmes se tient à La Haye (Pays Bas), le 15 avril. Plus de 1 300 femmes venues de 12 pays y participent. 1911 : une journée des femmes est célébrée dans grand nombre de pays d’Europe et aux États-Unis. C’est le 19 mars qui est choisi en commémoration de la révolution de 1848 et de la Commune de Paris. En 1917 : des femmes travailleuses sortent dans les rues et déclenchent une grève générale annonçant la Révolution Russe. C’était le 23 février. 22 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 d’être reconnu par l’ONU comme Journée internationale de la femme en 1977. Le 19 mars, dernier dimanche de février, 15 avril, 23 février : ces quelques dates clés de la Journée internationale de la femme ne nous expliquent toujours pas d’où vient le 8 mars. Allez donc demander à Jules César et à Grégoire XIII ! Il se trouve qu’avant la Révolution, la Russie n’avait pas encore adopté le calendrier grégorien. Utilisé aujourd’hui dans la grande majorité des pays, celui-ci avait été introduit par le pape Grégoire XIII en 1582 pour pallier les erreurs du calendrier julien, lequel doit son nom à l’empereur romain qui l’avait choisi 46 ans avant la naissance de Jésus-Christ. © Michel de Bock En 1917, le 23 février en Russie correspondait donc au 8 mars des autres pays européens. C’est comme quatre plus quatre font huit ! J.Š. Le 8 mars est célébré à l’échelle mondiale. 4 Après la Seconde Guerre mondiale, le 8 mars commence à être célébré dans de nombreux pays avant Zoom Elizabeth Blackburn, Ana Belen Elgoyhen, Ada Yonath, V. Narry Kim et Lihadh Al-Gazali sont les lauréates des Prix L’ORÉAL-UNESCO pour les Femmes et la Science, en 2008. Photos © Micheline Pelletier Elizabeth Blackburn (États-Unis). Depuis dix ans, cinq prix, d’un montant de 100 000 dollars chacun, récompensent des scientifiques de haut niveau venant de différentes régions du monde. Avec les prix de cette année, 52 femmes de 26 pays ont été primées. 4 23 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 4 Ana Belen Elgoyhen (Argentine) à gauche et Ada Yonath (Israël) à droite. Le Jury international 2008, présidé par Gunter Blobel, Prix Nobel de Médecine 1999, est composé de 18 membres reconnus de la communauté scientifique. Le professeur Christian de Duve, Prix Nobel de Médecine 1974, est le Président-Fondateur du Prix. V. Narry Kim (République de Corée) à gauche et Lihadh Al-Gazali (Émirats Arabes Unis) à droite. Le partenariat L’Oréal-UNESCO inclut également un programme de bourses, destinées à aider de jeunes femmes scientifiques à poursuivre leurs recherches sur des projets prometteurs dans le laboratoire de leur choix. Les bourses, qui représentent 40 000 dollars chacune, sont remises chaque année à 15 jeunes femmes, trois pour ­chacune des régions suivantes : Afrique, Pays arabes, Asie/Pacifique, Europe/Amérique du Nord, et Amérique latine. 24 Le Courrier de l’UNESCO • 2008 • Numéro 2 Le Courrier de l’UNESCO est publié par L’organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. 7, place de Fontenoy – 75352 Paris 07 SP, France Renseignements par courriel : [email protected] Directeur de la publication : Saturnino Muñoz Gómez Rédacteur en chef : Jasmina Šopova Éditeur pour le français : Agnès Bardon Éditeur pour l’anglais : Ariane Bailey Éditeur pour l’espagnol : Lucía Iglesias Kuntz Éditeur pour le russe : Katerina Markelova Assistant éditorial : José Banaag Plateforme web : Stephen Roberts, Fabienne Kouadio, Chakir Piro Éditeur pour l’arabe : Bassam Mansour Éditeur pour le chinois : Weiny Cauhape Photos et rubriques : Fiona Ryan Maquette : Gérard Prosper Les articles et photos sans copyright peuvent être reproduits à condition d’être accompagnés du nom de l’auteur et de la mention « Reproduit du Courrier de l’UNESCO », en précisant la date. 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