Espagne 1 – Système institutionnel La Constitution espagnole, approuvée par référendum le 6 décembre 1978, proclame dans son article 1er que l’Espagne est un « Etat social et démocratique de Droit, qui défend comme valeurs supérieures de son ordre juridique la liberté, la justice, l’égalité et le pluralisme politique. » Ce même article dispose que la souveraineté nationale réside dans le peuple espagnol duquel émane les pouvoirs de l’Etat et que la forme politique de l’Etat est la monarchie parlementaire. L’Espagne comprend 17 communautés autonomes, ainsi que deux villes autonomes qui font pleinement partie du territoire espagnol, Ceuta et Melilla. Symbole de l’unité nationale et de sa permanence (art. 56), le Roi d’Espagne est le chef de l’Etat, et assume la plus haute représentation de l’Etat espagnol dans le cadre des relations internationales. Il est également le commandant en chef des forces armées. Le pouvoir exécutif : Il est exercé par le Président du gouvernement (Presidente del Gobierno, équivalent du Premier ministre dans le système français), chargé par le Roi (le Roi d’Espagne est, depuis 2014, Felipe VI) de la formation du gouvernement. Le candidat à la présidence du gouvernement présente son programme aux Cortes (chambres parlementaires) et est élu à la majorité absolue des votes au premier tour ou à une majorité relative au tour suivant. Le Président du gouvernement forme, avec le ou les vice-présidents qui l’accompagnent et les ministres, le Conseil des ministres, qui est responsable devant le Congrès des députés. L’actuel Président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, est en place depuis 2011, il a été réélu pour un second mandat en 2016. Le gouvernement a comme rôle principal de diriger la politique extérieure, l’administration civile et militaire et la défense exerce aussi la fonction exécutive et le pouvoir règlementaire la constitution et à la loi. Il gère enfin le budget de l’État Le pouvoir législatif (Cortes Generales) : intérieure et de l’État. Il conformément à espagnol. Il est bicaméral. Il comprend le Congrès des députés (Congreso de los Diputados), qui doit compter « un minimum de 300 et un maximum de 400 membres ». Il est composé à ce jour de 350 membres élus au scrutin proportionnel pour 4 ans, et le Sénat (Senado) qui réunit 266 membres, dont 208 sont élus pour quatre ans au scrutin majoritaire et 58 sont désignés pour 4 ans par les communautés autonomes. Le Congrès des députés ou Chambre basse concentre l’essentiel des pouvoirs législatifs : c’est lui, notamment, qui élit le Président du gouvernement, qui vote les questions de confiance et qui peut déposer des motions de censure constructives. Le Sénat dispose de moyens de contrôle du gouvernement (droit de poser des questions par exemple), mais ne peut voter ni la confiance, ni la censure. Le pouvoir judiciaire : Il est indépendant et comprend quatre niveaux de juridictions: les juridictions à compétence nationale, les juridictions compétentes au niveau des communautés autonomes, les juridictions à compétence provinciale et les juridictions compétentes au niveau de la « division judiciaire » (« partido judicial »). Il est important de relever que la justice est d’un point de vue constitutionnel considérée comme un « pouvoir » et non une autorité. L’administration pénitentiaire dépend du ministère de l’intérieur, la protection de l’enfance dépend du ministère des affaires sociales et surtout des communautés autonomes. Le Tribunal constitutionnel est un organe très important de régulation sociale. Il est composé de douze juges qui exercent leur activité pour une période de neuf ans. Quatre d’entre eux sont nommés par le Congrès des députés, quatre par le Sénat sur une liste présentée par les communautés autonomes, deux par le pouvoir exécutif du gouvernement et deux par le Conseil général du pouvoir judiciaire. Un processus de renouvellement partiel de ses membres est en cours qui donnera lieu à l’élection d’un nouveau Président et d’une nouvelle Vice-Présidente. Il contrôle la constitutionnalité des lois, qu’elles soient présentées par le Parlement national ou les parlements régionaux au travers du recours en inconstitutionnalité formé par le Président du Gouvernement, le Défenseur du Peuple, 50 députés ou sénateurs, ainsi que par les Gouvernements et les Parlements des Communautés autonomes. Il exerce un contrôle préventif de constitutionnalité des traités internationaux qui lui sont exclusivement et expressément déférés par le gouvernement, le Congrès des députés ou le Sénat. Les citoyens, qui disposent d’un « intérêt légitime à agir », peuvent également recourir au Tribunal constitutionnel s’ils estiment que leurs droits fondamentaux sont altérés par une décision judiciaire. Ils doivent avoir préalablement épuisé tous les autres recours judiciaires. Il a également pour compétence de trancher les conflits de constitutionnalité entre l’Etat et les Communautés autonomes ou entre les communautés autonomes et les conflits de normes qui portent préjudice à l’autonomie locale constitutionnellement garantie. Le Défenseur du Peuple (Defensor del Pueblo) introduit dans l’ordre juridique espagnol par la Constitution (article 54), n’a réellement été désigné qu’en décembre 1982. Il s’inspire de l’institution de l’Ombudsman suédois, et de l’ancien Médiateur de la République en France. Elu par le Parlement (Cortes Generales), à la majorité des 3/5ème, pour un mandat de 5 ans, il assure la défense des droits fondamentaux et peut superviser à cet effet l’activité des administrations publiques. 2 – Système juridique Le code civil espagnol de 1889 est très influencé par le code civil français. Il a toutefois subi plus de 15 réformes majeures depuis la fin de la guerre civile. Mais contrairement à la France, l’Espagne n’a pas de tradition centralisatrice. La loi reconnaît donc la légitimité des traditions juridiques propres aux territoires « foraux », c’est à dire la Catalogne, l’Aragon, la Navarre, la Biscaye, la Galice et les Baléares. Ces régions restent soumises à leur propre droit d’origine coutumière, appelé « droit foral ». Le code civil et la législation civile générale de l’Etat y jouent un rôle supplétif. 3 – Organisation judiciaire Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (consejo general del poder judicial) La constitution fixe de manière très nette la séparation des pouvoirs entre le Politique et le Judiciaire, avec la création d’un « Conseil Général du Pouvoir Judiciaire » (CGPJ). Il est compétent et de matière exclusive en matière de discipline, de nomination, d’avancement, de recrutement et de formation des juges. Il est le garant de l’indépendance des magistrats du siège dans l’exercice de leurs fonctions. A cet effet, il a un pouvoir d’inspection des juridictions. Les 20 membres sont élus pour 5 ans, dont le Vice-président – magistrat de la Cour Suprême. Une réforme de la loi organique du pouvoir judiciaire a eu lieu en 2013. Désormais, 12 des 20 membres de l’institution sont directement élus par les magistrats et les 8 autres membres sont élus par le Parlement suivant un consensus des groupes parlementaires. Le Ministère public Le statut du Ministère public espagnol (Ministerio Fiscal) résulte de la loi organique du 30 décembre 1981, réformée en octobre 2007, puis récemment en 2015 (Loi du 5 octobre 2015, « de modificación de la Ley de Enjuiciamiento Criminal para la agilización de la justicia penal y el fortalecimiento de las garantías procesales »). Le parquet espagnol est un corps distinct de celui des juges. A sa tête, se trouve le Procureur Général de l’Etat (« Fiscal General del Estado ») qui dirige l’ensemble du ministère public et lui adresse des instructions générales comme des instructions particulières. Le Procureur Général d’Etat est nommé par le Roi sur proposition du gouvernement, après avis du Conseil général du pouvoir judiciaire. Il est choisi parmi les juristes espagnols dont le prestige est reconnu et qui ont exercé pendant au moins 15 années effectives au sein de la profession. Le candidat au poste de Fiscal General del Estado est reçu devant une commission du Congrès des députés qui apprécie ses mérites et l’adéquation du candidat au poste. La révocation sans motif ayant disparu des causes légitimes de cessation d’activité, le nouveau statut fixe un mandat de 4 ans, non renouvelable, au Procureur Général de l’Etat. Le mandat du Procureur Général prend également fin sur sa demande, s’il se trouve dans un cas d’incompatibilité ou d’interdiction prévu par la loi, s’il est ou devient inapte à l’exercice de la fonction en raison d’une incapacité ou d’une maladie, en cas de manquement grave ou réitéré à ses fonctions et lorsque se termine le mandat du gouvernement qui l’a choisi. Un projet de réforme est en cours qui transfèrerait au Ministère Public les pouvoirs d’investigation actuellement dévolus au juge d’instruction. Les juridictions à compétence nationale (situées à Madrid) Le Tribunal Suprême (Tribunal Supremo) est l’organe juridictionnel supérieur en toute matière, sauf en ce qui concerne les dispositions constitutionnelles, qui relèvent du Tribunal constitutionnel. Il est l’équivalent approximatif de la Cour de Cassation française et du Conseil d’Etat. Composé d’une chambre civile, d’une chambre pénale, d’une chambre sociale, d’une chambre du contentieux administratif et d’une chambre militaire, le Tribunal Suprême sanctionne, au titre de la cassation, essentiellement les décisions de l’Audiencia Provincial. Il a aussi en charge les conflits de juridictions et les conflits de compétence. Il exerce également quelques attributions disciplinaires qui relèveraient en France des attributions du CSM. C’est une juridiction collégiale. L’Audiencia Nacional est une juridiction à compétence nationale spécialisée dans des domaines spécifiques dont certains sont sensibles. Elle a notamment compétence exclusive en ce qui concerne les infractions de trafic de stupéfiants d’une certaine ampleur, des infractions de terrorisme, de fausse monnaie, d’atteinte à la couronne. C’est une juridiction qui statue de façon collégiale à 3 magistrats. Elle est également en charge de l’intégralité des dossiers d’extradition passive. Elle se compose d’une chambre pénale, d’une chambre du contentieux administratif, d’une chambre sociale, et d’une chambre d’appel (qui s’occupe des différences entre la loi et les décisions de la Chambre pénale). Elle est par ailleurs dotée de plusieurs juridictions d’instruction spécialisées (en matière économique et financière, pour les affaires concernant le trafic de stupéfiants et le terrorisme.) Les juridictions compétentes au niveau des communautés autonomes Le Tribunal Supérieur de Justice (Tribunal Superior de Justicia) est l’autorité judiciaire suprême au niveau des Communautés Autonomes. Les Tribunaux Supérieurs de Justice sont divisés en chambres : civile et pénale, du contentieux administratif, et sociale (elles-mêmes divisées en plusieurs sections, selon la configuration locale et le volume du contentieux). Ils sont en charge des problèmes de compétence entre les juridictions pénales de leur ressort, statuent sur les appels contre les sentences du Président du « Tribunal del Jurado » (équivalent approximatif de la Cour d’assises française) et jugent certaines affaires qui lui sont attribuées par le statut de la Communauté Autonome ou concernant des personnes bénéficiant d’un privilège de juridiction. Ils ont également une compétence en matière de cassation rationae materiae, en lien avec la spécificité de la législation de la communauté autonome à laquelle ils sont liés. Leurs décisions sont susceptibles d’un recours en cassation lorsqu’ils statuent en première instance. Il existe 19 TSJ en Espagne qui sont des juridictions collégiales. Les juridictions compétentes au niveau de la « Provincia » L’Audiencia provincial, juridiction supérieure de la « provincia », se rapproche approximativement des cours d’appel françaises et du tribunal de grande instance par ses compétences, mais c’est une juridiction mixte puisqu’elle a des compétences en premier et deuxième degré de juridiction. Elle peut juger des recours en appel en matière pénale et civile et possède également une compétence pour juger en premier et dernier ressort les crimes et délits passibles d’une peine de réclusion ou d’emprisonnement supérieure à 9 ans s’ils ne sont pas attribuées spécifiquement par la loi à une autre instance. C’est une juridiction collégiale qui statue à 3 magistrats. Ses décisions sont susceptibles d’un recours en cassation. Le « Tribunal del Jurado » est l’équivalent approximatif de la Cour d’Assises française. Il a une compétence rationae materiae limitative. Il est notamment compétent pour les affaires d’homicide, d’assassinat mais également de trafic d’influence et de corruption. C’est une juridiction mixte qui comprend un Président (qui est un magistrat professionnel) et 9 jurés citoyens. Il a la particularité, au regard du modèle français, de ne pas faire participer le magistrat professionnel au délibéré (seuls les jurés citoyens délibèrent sur la culpabilité et sur la peine). Les juridictions compétentes au niveau de la « division judiciaire » (« partido judicial ») Les tribunaux pénaux (juzgado de lo penal) sont compétents pour juger les délits commis dans leur circonscription territoriale, assortis d’une peine de prison d’une durée inférieure ou égale à six ans, d’amende ou de retrait du permis de conduire. C’est une juridiction qui statue en formation à juge unique. Ses décisions, comme toutes celles qui sont rendues à juge unique, sont susceptible d’appel. Les tribunaux pour mineurs (juzgados de menores) jugent les mineurs de 14 à 18 ans qui se sont rendus coupables de crimes ou délits. C’est une juridiction qui statue à juge unique. Les tribunaux chargés de l’exécution des peines : le contentieux de l’exécution des peines se partage entre le « juez de vigilencia penitenciaria » (« juge de vigilence pénitentiaire ») qui est un juge qui n’intervient qu’en milieu fermé et le juge pénal (juez sentenciador) qui est compétent pour prononcer les suspension, la conversion et l’aménagement de peine en milieu ouvert ainsi que les peines restrictives de liberté. C’est une juridiction qui statue à juge unique. Les tribunaux sociaux (juzgados de lo social) statuent en première instance ou en première et dernière instance, en matière de droit du travail et de sécurité sociale. C’est une juridiction qui statue à juge unique. Les « tribunaux de première instance et d’instruction » ont une compétence en matière civile et pénale. Une ou plusieurs de ces juridictions sont instituées dans chaque circonscription territoriale à l’intérieur d’une province. Ils connaissent aussi des appels introduits à l’encontre des décisions des juges de paix. C’est une juridiction qui statue à juge unique. Les juges de paix (juez de paz) sont à la base de la pyramide judiciaire. Ils sont désignés par le Conseil Municipal pour 4 ans et nommés par le Tribunal Superior de Justicia. Ils ont surtout un rôle de médiation et de conciliation en matière civile et pénale. C’est une juridiction qui statue à juge unique. Les tribunaux spécialisés en matière de violences conjugales – littéralement de « violences contre les femmes » (« Juzgados de violencia contra la mujer ») : créés en 2004, cette institution originale du système judiciaire espagnol traduit la volonté très forte du Politique de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour sanctionner sévèrement cette forme de délinquance. L’une des mesures capitales de la réforme instituée est la possibilité pour le tribunal de garde de prendre à tout moment un « ordre de protection » qui généralement attribue la jouissance du logement familial à la victime et intime l’ordre au conjoint violent de ne pas rentrer en contact avec la victime jusqu’à ce qu’il en soit décidé autrement lors de l’examen au fond des faits. C’est une juridiction qui statue à juge unique. Il existe également des juridictions dédiées au contentieux commercial (juzgados de lo mercantil) et des services communs spécifiques pour tout ce qui concerne les notifications et les saisies. Ce sont des juridictions qui statuent à juge unique. Les juridictions de l’ordre administratif La juridiction administrative espagnole, qui est intégrée au corps judiciaire, a le pouvoir de contrôler tous les actes et décisions des administrations publiques ; ce qui signifie tous les actes et toutes les décisions de niveau inférieur à la loi. En première instance, les « tribunaux du contentieux administratif » ont compétence pour connaître, en première instance ou en première et dernière instance, des recours administratifs non réservés à d’autres juridictions. Ils statuent à juge unique. L’instance de décision suprême de l’ordre administratif est la troisième chambre de la Cour suprême. Elle connaît : en première et dernière instance, des appels administratifs contre les actes et décisions du Conseil des Ministres et des différentes commissions de ce Conseil ; des appels contre les actes et décisions du Conseil général de la magistrature, du Gouvernement et du Parlement ; des appels contre les décisions de la Cour constitutionnelle et de la Cour des Comptes. Elle a également une compétence d’appel contre les décisions de l’Ombudsman dans les affaires personnelles et les actes administratifs. des pourvois en cassation dirigés contre les jugements de la division administrative de la Cour Nationale. des pourvois en cassation dirigés contre les décisions prises en premier et dernier ressort par les divisions administratives des Hautes Cours de justice des dix-sept provinces autonomes contre les actes et décisions de l’Administration centrale. des pourvois en cassation, dans les cas prévus par la loi, contre les jugements en premier et en dernier ressort rendus par les divisions administratives des Hautes Cours de justice contre les actes et décisions des provinces autonomes. Ces pourvois doivent être fondés sur la violation de la loi sur les actes et décisions des administrations centrale et locale. des appels contre les décisions de la Cour des Comptes. des appels en révision prévus par la loi.[ref] Site de la AIHJA : http://www.aihja.org/?view=maps_member&id=40&p=101[/ref] 4 – Formation des magistrats et des personnels de justice L’Espagne comptait en 2015, 5352 juges professionnels en activité, et environ 2500 procureurs, soit quasiment 8000 professionnels de la justice (les espagnols employant de surcroît de très nombreux contractuels) pour environ 47 millions d’habitants, ce qui place le pays au dessus de la moyenne européenne. Toutefois, dans le rapport de la CEPEJ de 2014, le nombre de juges, par rapport à la population concernée apparaît sensiblement identique en Espagne et en France (11,2 juges pour 100 000 habitants en Espagne contre 10,7 en France). Le déséquilibre ne se remarque de façon flagrante que dans les effectifs du parquet (2.9 procureurs pour 100 000 habitants en France contre 5,3 en Espagne). Il existe deux écoles de formation judiciaire – le Centre d’Etudes Judiciaires, historiquement situé à Madrid (Centro de Estudios Juridicos) a en charge la formation initiale et continue des membres du ministère public, des greffiers et des médecins légistes. – l’Ecole Judiciaire (Escuela Judicial) du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire, a été créée en 1997 et est située à Barcelone. Elle a en charge l’organisation des concours de recrutement, la formation initiale, complémentaire et continue des juges (exclusivement). L’école judiciaire est chargée de former les auditeurs de justice. Chaque année, l’Ecole forme en moyenne 153 nouveaux auditeurs au titre de la formation initiale, dont la durée est de 24 mois, et plus de 3500 magistrats au titre de la formation continue. L’objectif de la formation continue est notamment d’accompagner les évolutions législatives et jurisprudentielles, ainsi que la modernisation de l’institution judiciaire. Chaque magistrat peut participer chaque année à 3 activités de formation continue au niveau national et d’autres au niveau décentralisé. Le programme de formation continue comporte près de 200 actions différentes, qu’il s’agisse de stages dans des institutions ou entreprises, de séminaires de réflexion et d’approfondissement des pratiques professionnelles. L’indépendance de la justice est établie par la Constitution (article 117). Les juges doivent pouvoir exercer leurs fonctions en toute indépendance et sont donc inamovibles. Ils sont responsables de leurs actes et soumis exclusivement à la loi. 5 – Justice des mineurs La loi concernant la justice des mineurs a été votée fin 1999 et est entrée en vigueur le 12 janvier 2000. 82 tribunaux pour mineurs ont été créés sur le territoire espagnol et confiés à des magistrats professionnels. La majorité pénale est fixée à 18 ans. Tout mineur de moins de 14 ans est considéré comme irresponsable. A ce titre, il ne peut être ni entendu, ni encore moins jugé par les tribunaux. Il doit par conséquent être orienté vers les services de protection. La protection de l’enfance en danger n’est pas du ressort du « juge des mineurs » (juez de menores) mais de celle du juge des tutelles, du juge aux affaires familiales (juez de familia) ou encore du Tribunal dédié aux violences faites aux femmes (mentionné supra). La procédure judiciaire, qui est mise en œuvre dès que le mineur est âgé de 14 ans, fait intervenir trois acteurs : l’avocat du mineur, la victime et une équipe technique (travailleurs sociaux, psychologues…) chargée d’éclairer la situation psychologique, sociale, éducative et familiale du mineur et de faire des propositions de mesures. Les tribunaux pour mineurs ont pour but la réhabilitation et la réinsertion sociale des mineurs (âgés de 14 à 18 ans) qui ont commis des infractions (crimes ou délits). Cette compétence est exercée par les Juzgados de Menores. La loi prévoit que, dans chaque province, et dans la capitale, il y a un ou plusieurs tribunaux pour mineurs. Toutefois, lorsque la charge de travail le justifie, il est possible d’établir des tribunaux pour mineurs dont la compétence s’étend à deux ou plusieurs provinces de la même Communauté autonome. Dans la ville de Madrid, existe en sus un Juzgado Central de Menores, à compétence nationale. Quand des délits graves sont commis, il peut y avoir incarcération du mineur. Dans ce cas, le mineur n’est pas confié à l’administration pénitentiaire, mais à des centres fermés ou semi fermés qui sont gérées par les communautés autonomes. 6 – Les parties au procès pénal et le déclenchement de l’action publique. Le système espagnol fait une place originale aux acteurs du procès pénal, par rapport à la conception française, puisqu’à côté du Ministère Public, il existe quatre types différents d’intervenants, qui peuvent déclencher l’action publique. Cette situation n’est cependant pas surprenante dans un système mixte comme le système espagnol, où il y a une dichotomie nette entre l’organe juridictionnel qui dirige les investigations (le juge d’instruction) et l’organe étatique, le Ministère Public, qui formule et soutient l’accusation au cours du procès, en assurant la défense de la légalité et de l’intérêt général. Il existe donc, aux côtés du Ministère Public et dans une position d’autonomie complète, tant à l’égard du Ministère public qu’entre eux, des citoyens ou des entités qui formulent et soutiennent l’accusation. L’exercice de l’action publique est obligatoire pour le Parquet et facultative pour les autres parties. A coté de l’action publique coexistent trois autres statuts de poursuites : l’action populaire (« accion popular »), l’accusateur privé (« acusador privado »), l’accusation particulière (« acusacion particular »). Les citoyens peuvent ainsi agir soit parce qu’ils ont été victimes du délit, mus par un intérêt propre, mais ils peuvent aussi agir pour la défense de l’intérêt général en ayant simultanément un intérêt personnel, comme c’est le cas dans le cadre de « l’action populaire ». 7 – Système pénitentiaire En Espagne et à l’exception de la Catalogne, l’administration pénitentiaire ne dépend pas du ministère de la Justice mais du ministère de l’Intérieur. La loi organique générale pénitentiaire du 26 septembre 1979 constitue le cadre juridique en matière de régime carcéral. Le « traitement pénitentiaire » consiste en un ensemble d’activités destinées à la rééducation et à la réinsertion sociale. Un programme individualisé est établi pour chaque détenu à partir de ses capacités et compétences personnelles et sociales. Le principe selon lequel le détenu se soumet toujours volontairement à ces programmes est également énoncé. Le régime de « classification pénitentiaire » est visé à l’article 84 du CP. Il organise une individualisation scientifique du traitement pénitentiaire qui consiste à diviser l’accomplissement de la peine en quatre stades dont le dernier est la libération conditionnelle. Le juge de la vigilance pénitentiaire (juez de vigilencia penitenciaria) peut effectuer des visites dans les prisons, sans avertissement préalable, et s’informer directement de la situation des détenus. Il est compétent en matière d’exécution des peines privatives de liberté, contrôle du pouvoir de discipline des autorités pénitentiaires et protection des droits des détenus. En octobre 2016, la population carcérale comptait 60 112 détenus, un chiffre en nette baisse depuis 2012 (hausse depuis l’année 2000 – 45 309 détenus – jusqu’à 2010 – 76 701 -, puis baisse continue à compter de 2012). La capacité d’accueil des prisons étant de 76 122 places, l’Espagne ne souffre pas de surpopulation carcérale (taux d’occupation actuel : 80,9%). En 2010, on dénombrait 82 établissements pénitentiaires sur le territoire espagnol. 8 – Le traitement judiciaire de la criminalité organisée La Audiencia Nacional est une juridiction spécialisée qui siège à Madrid et dont la compétence s’étend à tout le territoire national pour connaître des investigations et du jugement des infractions de terrorisme, fausse monnaie, infractions contre la Couronne, trafic de stupéfiants en bande organisée et à grande échelle, corruption et graves infractions financières. Elle a été créée en 1977. Elle a compétence en trois domaines : pénal, contentieux administratif, et social. Elle comprend six Juges Centraux d’Instruction qui sont saisis des affaires survenant lors de leurs périodes de service par roulement. Auprès de l’Audience Nationale se trouve un parquet spécialisé composé d’un Procureur-Chef (fiscal jefe), d’un Procureur adjoint (teniente fiscal) et de 14 substituts (fiscales). Il existe trois parquets spécialisés: le parquet “anti drogue” chargé des affaires de stupéfiants et de blanchiment lié aux stupéfiants de grande envergure et le parquet “anti corruption et criminalité organisée” chargé des dossiers concernant essentiellement la corruption et le blanchiment (autre que stupéfiants) de grande envergure et le parquet “terrorisme”. Le 9 juillet 2015, le juge numéro 3 de l’Audience nationale a déclaré recevables deux constitutions de partie civile provenant d’associations de victimes du terrorisme visant des dirigeants de l’ETA du chef de crimes contre l’humanité. C’est la première fois que la justice espagnole retient la qualification de crime contre l’humanité pour appréhender juridiquement des actes commis par l’organisation terroriste ETA. L’Audience Nationale est en charge de poursuite des délinquants en matière de terrorisme. Lorsque les services de renseignement ont connaissance qu’un mineur (ou un majeur) espagnol a intégré l’organisation de l’état islamique et qu’il est sur le point de revenir de la zone irako-syrienne, l’Audience Nationale délivre un mandat d’arrêt international à son encontre, du chef d’intégration à une organisation terroriste. S’il s’agit d’un mineur la section mineurs du dit parquet anti-terroriste diligente l’enquête. Ils sont interpellés sur cette base à leur arrivée à l’aéroport et incarcérés dans des centres de mineurs spécialisés en matière de dé-radicalisation (présence de psychologues, travailleurs sociaux etc..). La période de détention pour les mineurs est A l’issue, le mineur doit être jugé ou remis d’ajouter des mesures de contrôle judiciaire notamment le retrait de l’autorité parentale l’origine du processus de radicalisation. d’une durée maximale de 9 mois. en liberté avec la possibilité spécifiques aux mineurs, et des parents s’ils sont à 9 – Actualité judiciaire Durant l’année 2015, trois lois phares et controversées sont entrées en vigueur. Toutes trois ont trait à la sécurité et l’ordre public: une réforme du code pénal, la loi de sécurité citoyenne, et une loi anti-terroriste. Enfin, des articles du Code pénal relatifs aux actes terroristes sont modifiés, introduisant une définition plus large de ce qui constitue un acte de terrorisme. – Réforme du Code pénal : Le 21 janvier 2015, une importante réforme du Code pénal a été approuvée par la Chambre basse à 186 oui contre 144 non. Cette réforme, qui touche des domaines aussi nombreux que divers, a été validée par la Chambre haute en mars et est entrée en vigueur le 1er juillet 2015. Elle modifie 252 articles et en supprime 32. De nombreuses nouveautés ont été introduites et le code pénal renforcé. Parmi les modifications apportées par la réforme pénale, on peut citer, notamment : – La « Perpétuité » : Est introduit l’emprisonnement à perpétuité (« prison permanente révisable ») pour les acteurs d’infractions très graves (terrorisme, assassinats en série, commis sur un mineur de moins de 16 ans, sur une personne particulièrement vulnérable, à l’encontre d’agents publics dans l’exercice de leur fonction, ou au sein d’une organisation criminelle…). Après 25 à 35 ans de peine purgée, devra être établi un diagnostic. Le condamné pourra bénéficier d’une libération conditionnelle, seulement si son pronostic de réinsertion est favorable. – Durée des enquêtes : A également été introduite dans le nouveau code pénal une date limite quant au temps accordé pour enquêter sur une infraction criminelle : 6 mois seront accordés aux cas jugés « simples », 18 mois pour les plus complexes. Le juge peut cependant élargir cette durée s’il prouve qu’il en a besoin. De nombreuses affaires passeront non pas par procès devant le juge mais seront gérées par la police judiciaire. – Corruption : La réforme s’attaque à la corruption, interdisant notamment les donations anonymes supérieures à 50 000 euros aux partis politiques. Les personnes donnant une somme surpassant 500 000 euros sont susceptibles d’être condamnées à une peine de prison, allant de 6 mois à 4 ans ; et une nouvelle infraction spécifique de financement illégal de parti politique est créée. – Nouvelles infractions : Le nouveau code pénal énonce de nouveaux crimes : organiser un mariage forcé, le harcèlement téléphonique (stalking), le harcèlement sexuel, ainsi que l’utilisation de l’image d’une personne sans son consentement ; et une nouvelle infraction de diffusion de messages incitant à la commission d’une infraction grave violant de l’ordre public, notamment. – Loi relative à la sécurité publique : La loi relative à la sécurité publique, communément appelée « loi bâillon » par ses détracteurs, transforme en sanctions administratives des infractions jusqu’alors sujettes à jugement. – Restrictions du droit de manifester et de la liberté d’expression et de réunion pacifique : Les nouvelles dispositions limitent les lieux et les moments où des manifestations peuvent avoir lieu, et prévoient notamment une interdiction des « rassemblements spontanés » à certains endroits et des amendes pour ceux qui les organisent. Les amendements au Code pénal, qui modifient sensiblement l’infraction de « troubles à l’ordre public », introduisent aussi d’autres restrictions du droit de manifester. Ainsi, certains crimes sont requalifiés d’« aggravés » quand ils sont commis, entre autres, dans le cadre d’une manifestation ou d’un rassemblement de grande ampleur. Il convient toutefois de relever que dans le même temps, la nouvelle loi relative à la sécurité publique impose aux policiers de s’abstenir de toute discrimination fondée sur des motifs ethniques ou autres lors des contrôles d’identité. En mai 2015, le gouvernement a ainsi mis en place un Observatoire de lutte contre la discrimination liée à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, chargé de recevoir les plaintes des victimes et témoins et d’apporter une réponse rapide aux actes de discrimination fondés sur ces motifs. – Restriction de l’information : « L’usage non autorisé d’images ou données personnelles ou professionnelles d’autorités ou de membres des forces et corps de sécurité » devient une infraction. La loi prévoit ainsi une « interdiction de l’image » limitant le droit de filmer des policiers et prévoyant des amendes pouvant aller jusqu’à 30 000 euros pour ceux qui diffuseraient de telles images. Ces dernières années, des vidéos filmées pendant des manifestations avaient été essentielles pour prouver un recours excessif à la force et d’autres violences policières dans le cadre du maintien de l’ordre. – Atteintes au droit d’expression : La loi criminalise enfin la diffusion des nouvelles contestations sur les réseaux sociaux. Elle considère comme « organisateur ou promoteur quiconque par des publications ou appels à des réunions (…) peut raisonnablement être identifié comme meneur de celles-ci ». – Loi anti-terroriste : Enfin, une loi organique visant à faire face aux nouvelles formes de terrorisme a été adoptée. Elle vise à élargir les définitions des délits liés au terrorisme dans les articles du Code pénal afférents, afin d’augmenter le nombre d’infractions qui y sont liées. La définition du terrorisme elle-même a été élargie, pour y inclure des actes tels que la « résistance » aux autorités publiques et le soutien « irréfléchi » à une entreprise terroriste, y compris à son insu. Le fait de se rendre, ou de prévoir de se rendre, à l’étranger dans le but de collaborer avec des groupes extrémistes ou de s’entraîner auprès d’eux, même si la formation en question n’a pas lieu ou si aucun acte criminel n’est commis, devient illégal. La loi permet ainsi de pénaliser les déplacements à l’étranger dont le but est d’intégrer ou de collaborer avec une organisation terroriste. La nouvelle loi anti-terroriste vise en outre à éradiquer toute forme de radicalisation violente, y compris les expressions de racisme, xénophobie ou discrimination. Il est désormais interdit de faire sur les réseaux sociaux des déclarations pouvant être perçues comme des incitations à commettre des attaques violentes, même si aucun lien direct ne peut être établi entre ces déclarations et un acte de violence. Elle punit enfin de la peine maximale de prison les délits de terrorisme entraînant la mort. Ces réformes législatives ont été adoptées malgré le rejet massif classes politiques espagnoles et de la majorité des citoyens. Au niveau international, la condamnation était également quasi unanime. Un groupe d’experts du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations-Unies exhortait l’Espagne, juste avant l’adoption des textes, à rejeter la loi de sécurité citoyenne et la réforme du code pénal pour les menaces qu’elles font peser sur les droits et libertés fondamentales.