Jean-Luc PISSALOUX
Maître de conférences à l’Université
du Littoral - Côte d’Opale
Communes
Commune - Police municipale - Tran-
quillité publique - Liberté du com-
merce et de l’industrie - Référé-
liberté
CE, ordonnance du 8 juin 2005, Commune
de Houilles, req. nº 281084 (décision men-
tionnée aux Tables du
Recueil Lebon)
[extraits]
Considérant qu’en vertu de l’article L. 521-2
du Code de justice administrative,
« le juge
des référés, saisi d’une demande en ce sens
justifiée par l’urgence peut ordonner tou-
tes mesures nécessaires à la sauvegarde
d’une liberté fondamentale à laquelle une
autorité administrative aurait porté, dans
l’exercice d’un de ses pouvoirs, une
atteinte grave et manifestement illégale » ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction
que, par arrêté du 13 avril 2005, le maire de
Houilles a, sur le fondement de ses pouvoirs
de police générale, pris une mesure qui doit
s’analyser comme une interdiction
d’ouverture par la société Cassandre d’un
sex shop, au motif que l’établissement pro-
jeté portait atteinte à la tranquillité de la
population et se trouvait situé à proximité
d’équipements destinés à la jeunesse ;
Considérant que l’article 99 de la loi du
30 juillet 1987 modifiée interdit l’installation
à moins de cent mètres d’un établissement
d’enseignement maternel, primaire ou
secondaire, d’un établissement dont l’acti-
vité principale est la mise en vente ou à la
disposition du public de publications dont
la vente aux mineurs de dix-huit ans est
prohibée ; que l’article 227-24 du Code
pénal réprime par ailleurs le fait de permet-
tre à un mineur de voir un message de
caractère pornographique et interdit en
conséquence la présentation en vitrines
ouvrant sur l’extérieur d’articles présentant
un tel caractère susceptibles d’être vus par
un mineur ;
Considérant qu’indépendamment de ces
dispositions législatives, il appartient au
maire, chargé de la police municipale en
vertu de l’article L. 2212-1 du Code général
des collectivités territoriales, de prendre à
ce titre, conformément à l’article L. 2212-2
de ce code, les mesures permettant d’assu-
rer dans la commune le bon ordre, la
sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ;
que le maire peut faire usage des pouvoirs
de police générale dont il dispose à l’égard
d’un établissement qui, sans tomber sous
le coup ni de l’interdiction édictée par la loi
du 30 juillet 1987 ni de l’incrimination pré-
vue par l’article 227-24 du Code pénal, pré-
senterait, en raison des circonstances loca-
les, des dangers particuliers pour la
jeunesse ou pour la tranquillité de la
population ;
Considérant qu’en l’espèce la décision
d’interdiction du maire de Houilles est fon-
dée sur des motifs tirés d’une part de la
tranquillité de la population, d’autre part de
la présence à proximité du commerce liti-
gieux d’établissements scolaires et d’équi-
pements destinés à la jeunesse ;
Considérant, sur le premier point, qu’il
appartient au juge des référés de se placer,
pour apprécier l’existence d’une atteinte
grave et manifestement illégale à une
liberté fondamentale, à la date à laquelle il
se prononce ; qu’à cet égard, si l’ouverture,
à la suite de la décision du juge des référés
du tribunal administratif, du sex shop n’a
pas entraîné de troubles particuliers, il
résulte de l’instruction que la population du
quartier d’habitation de caractère pavillon-
naire où se situe le projet de la société Cas-
sandre a témoigné d’une hostilité à ce pro-
jet qui s’est traduite par une pétition
signée, à la date de l’audience publique, par
1 600 personnes ;
Considérant, sur le deuxième point, qu’il
résulte de l’instruction, et qu’il a été
confirmé au cours de l’audience publique,
qu’une école maternelle et une école pri-
maire sont situées certes à plus de cent
mètres mais tout de même non loin du
commerce litigieux ; que, surtout, la com-
mune aménage à proximité de ce com-
merce un pôle jeunesse, destiné à abriter
des services d’animation, d’information et
de loisirs à l’intention des jeunes ; que les
travaux de réalisation de cet équipement
public doivent s’achever dans les prochains
mois ;
Considérant qu’eu égard à l’ensemble de
ces éléments, et même s’il n’est pas
contesté que le projet de la société Cassan-
dre ne tombe sous le coup ni de l’interdic-
tion édictée par la loi du 30 juillet 1987 ni
de l’incrimination prévue par l’arti-
cle 227-24 du Code pénal, la mesure prise
par le maire de Houilles, qui repose sur des
motifs qui sont au nombre de ceux que les
autorités chargées de la police municipale
peuvent légalement retenir, apparaît fon-
dée sur des éléments d’appréciation tirés
de la tranquillité de la population et de la
protection de la jeunesse qui ne font pas
apparaître d’atteinte manifestement illé-
gale à la liberté fondamentale que consti-
tue la liberté du commerce et de l’indus-
trie ; que la commune de Houilles est, dès
lors, fondée à soutenir que c’est à tort que,
par l’ordonnance attaquée, le juge des
référés du tribunal administratif de Versail-
les a estimé réunies les conditions auxquel-
les l’article L. 521-2 du Code de justice admi-
nistrative subordonne la mise en œuvre des
pouvoirs qu’il confère au juge des
référés ; (...)
Note
La décision
Commune de Houilles
du
8 juin 2005, qui sera mentionnée aux
Tables du
Recueil Lebon,
est particulière-
ment intéressante dans la mesure où non
seulement elle contribue à fixer l’interpré-
tation à donner aux dispositions de l’arti-
cle L. 521-2 du Code de justice adminis-
trative (CJA) relatif au référé-liberté mais
aussi où elle traite de la conciliation entre
la défense d’une liberté fondamentale, en
l’espèce la liberté du commerce et de
l’industrie, et les nécessités de la tranquil-
lité publique.
Il convient tout d’abord de rappeler briè-
vement les faits de l’espèce.
Par un arrêté du 13 avril 2005, le maire de
la commune de Houilles a, sur le fonde-
ment de ses pouvoirs de police générale,
pris une mesure s’analysant comme une
interdiction d’ouverture par la société
Cassandre d’un sex shop, au motif que
l’établissement projeté portait atteinte à
la tranquillité de la population et se trou-
vait situé à proximité d’équipements des-
tinés à la jeunesse. La société Cassandre a
alors saisi, en application de l’arti-
cle L. 521-2 du CJA, le juge des référés du
tribunal administratif de Versailles : celui-
ci, par une ordonnance du 12 mai 2005, a
fait droit à la requête de ladite société ten-
dant à ce qu’il soit enjoint au maire de
Houilles de suspendre l’exécution de son
arrêté du 13 avril 2005. C’est cette ordon-
nance que le juge des référés du Conseil
d’Etat, statuant avec une remarquable
rapidité il convient de la souligner, casse
avec sa décision du 8 juin 2005.
Cette décision permet de préciser une
nouvelle fois les conditions de mise en
œuvre du référé-liberté (illustrée par
d’importantes décisions survenues
récemment ; cf. notamment : CE, ordon-
nance du 28 février 2003,
Commune de
Pertuis,
req. nº 254411, publié au
Recueil
Lebon ; AJDA
2003, p. 1171, note P. Cassia
et A. Béal ; -, 9 avril 2004, M. Vast c/ Com-
mune de Drancy, req. nº 263759, publié
au
Recueil Lebon ; Gazette du Palais,
nº 11, 12 janvier 2005, note J.-L. Pissaloux
et D. Linotte) au regard des nécessités de
l’ordre public : plus précisément en
l’espèce, étaient en jeu, d’une part, la
défense d’une liberté expressément qua-
lifiée de liberté fondamentale dans l’arrêt,
à savoir la liberté du commerce et de
l’industrie, et, d’autre part, les pouvoirs
de police administrative générale du
maire agissant au titre de la police de la
tranquillité publique.
Quels étaient les arguments en présence ?
D’un côté, la société Cassandre soutenait
que l’arrêté municipal du 13 avril 2005
portait une atteinte grave et manifeste-
ment illégale à la liberté du commerce et
de l’industrie et que la condition
d’urgence était bien remplie ; elle souli-
gnait en effet qu’elle avait réalisé des tra-
vaux d’aménagement importants, qu’elle
152 86eannée - nº 2 - février 2006
avait signé un bail commercial l’enga-
geant à payer à son bailleur un loyer pour
une durée minimale de trois ans et que
l’arrêté litigieux faisait obstacle à l’exercice
de l’activité dont elle tirait ses revenus ;
elle soulignait encore qu’aucun impératif
d’ordre public ne commandait l’interdic-
tion de son activité, et qu’aucune circons-
tance locale particulière ne justifiait selon
elle la décision contestée ; elle faisait
observer que les pétitions invoquées par
la commune pour justifier de l’opposition
de la population locale étaient postérieu-
res à l’intervention de l’arrêté, que la déci-
sion du maire ne pouvait pas non plus être
prise sur le fondement des dispositions
de l’article 99 de la loi du 30 juillet 1987 (le
magasin n’est pas situé dans un secteur
particulièrement fréquenté par des
mineurs) ou de l’article 227-24 du Code
pénal, et que dès lors, elle était dépourvue
de base légale.
De l’autre, la commune mettait en avant
plusieurs points : en premier lieu, l’exis-
tence d’une école maternelle et d’une
école primaire situées non loin du com-
merce en question ; en deuxième lieu, à
proximité de celui-ci, l’aménagement en
cours mais très avancé d’un « pôle jeu-
nesse » destiné à abriter des services
d’animation, d’information et de loisirs à
l’intention des jeunes ; et enfin, en troi-
sième et dernier lieu, l’hostilité de la
population à l’égard de l’implantation de
la boutique, hostilité concrétisée par une
pétition signée à la date de l’audience
publique par 1 600 personnes.
En l’espèce, le problème était en somme
de savoir si, indépendamment des dispo-
sitions législatives particulières consti-
tuées par l’article 99 de la loi du 30 juillet
1987 modifiée et l’article 227-24 du Code
pénal, le maire de la commune avait, dans
l’exercice de ses pouvoirs de police admi-
nistrative générale, pris une mesure
d’interdiction grossièrement illégale sus-
ceptible de justifier la mise en œuvre des
dispositions de l’article L. 521-2 du CJA
relatif au référé-liberté.
Rappelons les principales dispositions de
l’article L. 521-2 du CJA :
« Saisi d’une
demande en ce sens justifiée par
l’urgence, le juge des référés peut ordon-
ner toutes mesures nécessaires à la sau-
vegarde d’une liberté fondamentale à
laquelle une personne morale de droit
public (...) aurait porté, dans l’exercice de
l’un de ses pouvoirs, une atteinte grave
et manifestement illégale (...) ».
La mise en
œuvre du référé-liberté requiert donc la
réunion des conditions cumulatives sui-
vantes : il faut une atteinte à une liberté
fondamentale ; il faut que cette atteinte
soit grave et manifestement illégale ; et il
faut enfin que la demande soit justifiée
par l’urgence, laquelle peut résulter de
circonstances particulières (cf. jurispru-
dence
Commune de Pertuis
précitée)
et semble être d’une signification diffé-
rente de celle exigée pour que soit
prononcée une suspension au titre de
l’article L. 521-1 du CJA (cf. même
jurisprudence).
En l’espèce, il apparaît qu’en raison des
circonstances locales particulières ci-des-
sus rapportées, lesquelles doivent
s’apprécier à la date à laquelle le juge des
référés se prononce (apport de la déci-
sion, d’où prise en compte de la pétition
postérieure à l’arrêté attaqué),
« la mesure
prise par le maire de Houilles, qui repose
sur des motifs qui sont au nombre de
ceux que les autorités chargées de la
police municipale peuvent légalement
retenir, apparaît fondée sur des éléments
d’appréciation tirés de la tranquillité de la
population et de la protection de la jeu-
nesse qui ne font pas apparaître
d’atteinte manifestement illégale à la
liberté fondamentale que constitue la
liberté du commerce et de l’industrie » :
dès lors, l’ordonnance de suspension du
premier juge des référés n’était pas justi-
fiée, et est en conséquence annulée.
Dans cette affaire, le juge des référés du
Conseil d’Etat a fait en quelque sorte, au
vu des circonstances locales appréciées à
la date de la décision, la balance entre les
nécessités de l’ordre public et de la tran-
quillité publique et l’objectif de protection
de la jeunesse d’une part, et la défense
d’une liberté fondamentale, à savoir la
liberté du commerce et de l’industrie,
d’autre part, pour estimer qu’en l’espèce,
il n’y avait pas d’atteinte grave et mani-
festement illégale à cette liberté : de ce
point de vue, cette décision apparaît dans
le prolongement de la jurisprudence bien
connue
Société Les films Lutetia
(CE, Sect.,
18 décembre 1959,
Rec.
p. 693 ;
AJDA
1960, p. 21, chr. Combarnous et Galabert ;
S.
1960, p. 94, concL. Mayras).
Commune - Expropriation d’utilité
publique
CE, 22 juin 2005, Association Clermont-Fer-
rand, Transport en commun et Emploi de
l’agglomération, req. nos 264294, 264771 et
274798 (décision mentionnée aux Tables du
Recueil Lebon)
[extraits]
Considérant que, sous le nº 264294, l’Asso-
ciation Clermond-Ferrand, Transport en
commun, M. YX et la société Centre Spécia-
lités pharmaceutiques demandent l’annu-
lation du décret du 4 décembre 2003 décla-
rant d’utilité publique les acquisitions et
travaux nécessaires à la réalisation par le
syndicat mixte des transports en commun
de l’agglomération clermontoise de la pre-
mière ligne de tramway de l’agglomération
clermontoise ; que, sous le nº 264771, la
SA Transpal Auvergne, la Confédération
générale des petites et moyennes entrepri-
ses du Puy-de-Dôme, l’Association
Clermont-Ferrand, Transport en commun,
demandent l’annulation de la délibération
en date du 19 décembre 2003 par laquelle
le syndicat mixte des transports en com-
mun de l’agglomération clermontoise a
décidé, dans le cadre de la réalisation du
projet de création de la première ligne de
tramway, de porter de 1,6 à 1,7 % à comp-
ter du 1er mars 2004 le taux du versement
destiné au financement des transports en
commun, dit versement transport ; que,
sous le nº 274798, M. et Mme Y, M. BY et
Mme Y demandent l’annulation de l’arrêté
du 3 septembre 2004 par lequel le préfet
du Puy-de-Dôme a déclaré cessibles les
immeubles nécessaires à la réalisation de la
première ligne de tramway de l’aggloméra-
tion clermontoise ; que ces dossiers pré-
sentent à juger des questions semblables ;
qu’il y a lieu, de les joindre et de statuer par
une même décision sur l’ensemble des
décisions attaquées ;
En ce qui concerne les conclusions tendant
à l’annulation du décret du 4 décembre
2003 portant déclaration d’utilité publique
du projet :
Sur les interventions :
Considérant que Mmes Y et Y, MM. Y, CY,
MM. et Mmes ZY et BY ont intérêt à deman-
der l’annulation du décret du 4 décembre
2004 déclarant d’utilité publique les acqui-
sitions et travaux nécessaires à la réalisation
par le syndicat mixte des transports en
commun de la première ligne de tramway
de l’agglomération clermontoise en appli-
cation duquel a été pris l’arrêté du 4 août
2004 prononçant la cessibilité des terrains
nécessaires à la réalisation de la ligne de
tramway dont ils demandent par ailleurs
l’annulation ; que leur intervention dans
l’affaire 264294 est par suite recevable ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la rece-
vabilité des requêtes :
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Sur le moyen tiré de l’irrégularité de
l’enquête publique :
Considérant qu’aux termes de l’article 11-8
du Code de l’expropriation pour cause
d’utilité publique :
« (...) les observations sur
l’utilité publique de l’opération peuvent
être consignées par les intéressés directe-
ment sur les registres d’enquête. Elles peu-
vent également être adressées par écrit, au
lieu fixé par le préfet pour l’ouverture de
l’enquête, au commissaire-enquêteur ou
au président de la commission d’enquête,
lequel les annexe au registre mentionné à
l’article précité » ;
qu’il ressort des pièces du
dossier que les observations adressées le
17 juin 2002 à la commission par M. YX ont
été enregistrées et annexées aux registres
ouverts par les commissaires-enquêteurs ;
qu’aucune disposition ne fait obligation
d’annexer ces observations au rapport de
la commission d’enquête ;
Sur les moyens tirés de l’insuffisance du
dossier soumis à l’enquête publique :
En ce qui concerne l’étude d’impact :
Considérant qu’aux termes de l’article 2 du
décret du 12 octobre 1977 pris en applica-
tion de l’article L. 122-1 du Code de l’envi-
ronnement :
« (...) L’étude d’impact pré-
sente successivement : (...) 2º Une analyse
des effets directs et indirects, temporaires
et permanents sur l’environnement (...) et
le cas échéant sur la commodité du voisi-
nage (...) ou sur l’hygiène, la santé, la sécu-
rité et la salubrité publique ; (...) 6º Pour les
infrastructures de transport, l’étude
d’impact comprend en outre une analyse
des coûts collectifs des pollutions et nui-
sances et des avantages induits pour la col-
lectivité ainsi qu’une évaluation des
consommations énergétiques résultant de
l’exploitation du projet, notamment du fait
des déplacements qu’elle entraîne ou per-
met d’éviter ;
que le document soumis à
l’enquête publique contient en particulier
dans sa partie intitulée impacts directs et
indirects permanents et temporaires
l’ensemble des analyses qui en vertu du 2º
de l’article 2 du décret du 12 octobre 1977
doivent obligatoirement figurer dans
l’étude d’impact au titre des effets tempo-
raires et permanents sur l’environnement
urbain et la santé publique ; qu’il comporte
en outre les données prévues au 6º de cet
article en matière d’analyse des coûts de
pollution ainsi que l’évaluation des consom-
mations énergétiques résultant de l’exploi-
tation du nouvel équipement ; qu’il analyse
chronique administrative
153 86eannée - nº 2 - février 2006
en particulier avec une précision suffisante
compte tenu du caractère prévisionnel des
données en cause l’incidence de la mise en
exploitation du tramway sur les autres
modes de transport et sur la circulation
générale ;
En ce qui concerne les éléments du dossier
relatifs au coût du projet :
Considérant qu’aux termes de l’arti-
cle L. 11-2 du Code de l’expropriation pour
cause d’utilité publique :
« L’expropriant
adresse au préfet pour être soumis à
l’enquête un dossier qui comprend obliga-
toirement : I.- Lorsque la déclaration d’uti-
lité publique est demandée en vue de la
réalisation de travaux ou d’ouvrages :
5º L’appréciation sommaire des dépenses
(...) 7º L’évaluation mentionnée à l’article 4
du décret nº 84-617 du 17 juillet 1984 pris
pour l’application de l’article 14 de la loi
nº 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orien-
tation des transports intérieurs, lorsque les
travaux constituent un grand projet
d’infrastructures (...)
» ; que selon l’article 4
du décret du 17 juillet 1984 :
« L’évaluation
des grands projets d’infrastructure com-
porte : 1º Une analyse des conditions et des
coûts de construction, d’entretien,
d’exploitation et de renouvellement de
l’infrastructure projetée ; Une analyse
des conditions de financement et, à chaque
fois que cela est possible, une estimation
du taux de rentabilité financière » ;
qu’il
résulte de la combinaison de ces disposi-
tions que le dossier d’enquête publique
relatif à un grand projet d’infrastructures
comporte deux analyses financières,
l’appréciation sommaire des dépenses
d’une part et l’évaluation économique et
sociale d’autre part, dont les finalités et les
méthodes de chiffrage sont distinctes ;
Considérant en premier lieu qu’il n’est pas
contesté que le coût global de la réalisation
initiale du projet, estimé à 257 millions
d’euros lors de l’enquête publique menée
du 10 juin au 12 juillet 2002, figure dans le
dossier soumis à l’enquête publique dans la
partie intitulée appréciation sommaire des
dépenses ; que si, selon des données por-
tées ultérieurement à la connaissance des
requérants ce coût s’établissait à la date de
la déclaration d’utilité publique à 290 mil-
lions d’euros, cette évolution de 13 % ne
révèle pas une sous-évaluation manifeste
qui entacherait la régularité de l’enquête
publique ;
Considérant, en second lieu, que l’évalua-
tion économique et sociale figurant à la
page 266 du dossier d’enquête compare les
coûts et recettes annuels d’exploitation de
l’ensemble du réseau de transports publics,
selon qu’il inclut ou non le tramway pro-
jeté ; qu’il en ressort d’une part que les
coûts d’exploitation respectifs de la ligne
de tramway et du réseau d’autobus si cette
ligne est réalisée seront de 41,1 millions de
francs (soit 6,27 millions d’euros) et de
159 millions de francs (soit 24,2 millions
d’euros), soit un coût d’exploitation total
de 200,1 millions de francs (soit 30,51 mil-
lions d’euros) qui, rapproché de recettes
d’exploitation de 105 millions de francs (soit
16 millions d’euros), implique un déficit
d’exploitation annuel de 95,1 millions de
francs (soit 14,5 millions d’euros), et d’autre
part que, en l’absence de tramway, le coût
et les recettes d’exploitation du seul réseau
d’autobus s’élèveraient respectivement à
167 millions de francs (25,46 millions
d’euros) et 72 millions de francs (soit
10,98 millions d’euros), laissant donc
inchangé le déficit d’exploitation de 95 mil-
lions de francs (soit 14,48 millions d’euros),
pour des charges d’exploitation inférieures
de 32,8 millions de francs (soit 5 millions
d’euros) ; que si ne figure pas dans ce chif-
frage une estimation distincte des coûts de
renouvellement de l’infrastructure, cette
circonstance ne l’entache pas d’insuffi-
sance, dès lors qu’il est indiqué au paragra-
phe 3 de la page 265 du même document
que les durées respectives de vie des infras-
tructures, du matériel roulant et des équi-
pements retenues pour évaluer le coût de
leur renouvellement, inclus dans les calculs,
sont respectivement de 50, 30 et 15 ans et
que le coût correspondant contenu dans
l’estimation des coûts annuels d’exploita-
tion peut se déduire de ces informations ;
qu’il suit de là que doit être écarté le moyen
tiré de la méconnaissance de l’article 4 du
décret du 17 juillet 1984 ;
En ce qui concerne les autres indications du
dossier d’enquête publique :
Considérant, en premier lieu, que l’indica-
tion que le matériel roulant retenu pour le
projet de transport en cause n’a pas encore
été exploité sur un réseau urbain n’est pas
une mention obligatoire du dossier
d’enquête ; que le défaut de cette mention
n’entache donc pas la régularité de
l’enquête publique ;
Considérant, en deuxième lieu, que s’il res-
sort des pièces du dossier que le projet
déclaré d’utilité publique n’était plus, à la
date du décret attaqué, assuré de bénéfi-
cier de la subvention de l’Etat de l’ordre de
24 % du coût total d’opération que men-
tionnait l’appréciation sommaire des
dépenses figurant dans le dossier
d’enquête, cet élément nouveau relatif au
financement, eu égard notamment aux
possibilités de recours à l’emprunt et de
hausse du versement de transport, n’impli-
quait pas en l’espèce une modification
substantielle des conditions d’exploitation
de l’ouvrage ni de l’économie générale du
projet, dont le coût global n’était pas sen-
siblement accru et dont les caractéristiques
physiques demeuraient inchangées, et ne
rendait donc pas nécessaire de procéder à
une nouvelle enquête avant la déclaration
d’utilité publique ; qu’ainsi, cette circons-
tance n’est pas de nature à entacher d’irré-
gularité la procédure suivie ;
Sur la légalité interne du décret :
En ce qui concerne la compatibilité avec le
plan de déplacement urbain de la ville de
Clermont-Ferrand :
Considérant que le moyen tiré de ce que la
déclaration d’utilité publique attaquée
serait incompatible avec le plan local de
déplacements urbains manque en tout état
de cause en fait ;
En ce qui concerne l’utilité publique du
projet :
Considérant qu’une opération ne peut être
légalement déclarée d’utilité publique que
si les atteintes à la propriété privée, le coût
financier et, éventuellement les inconvé-
nients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres
intérêts publics qu’elle comporte ne sont
pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle
présente ;
Considérant que la création de la première
ligne de tramway de Clermont-Ferrand a
pour objet d’améliorer sensiblement la des-
serte et la sécurité dans cette aggloméra-
tion de 260 000 habitants, tout en dimi-
nuant les nuisances sonores ; que ni les
atteintes alléguées à la propriété et au
cadre de vie des riverains ou à la fluidité de
la circulation des véhicules particuliers et de
services publics, ni le coût du projet, s’éle-
vant à 290 millions d’euros y compris les
travaux de reconfiguration du domaine
public rendus nécessaires par le projet, ne
sont excessifs au regard des avantages
attendus de l’opération ; que celle-ci n’est
donc pas dépourvue d’utilité publique ;
En ce qui concerne le tracé retenu :
Considérant que si les requérants soutien-
nent que d’autres tracés auraient offert des
avantages supérieurs à ceux du tracé
retenu par le décret attaqué, au prix
d’inconvénients moindres et qu’ainsi aurait
été commise une erreur manifeste
d’appréciation, il n’appartient pas au
Conseil d’Etat, statuant au contentieux,
d’apprécier l’opportunité du tracé retenu ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui pré-
cède que les requérants ne sont pas fondés
à demander l’annulation du décret
attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation
de l’arrêté de cessibilité :
Considérant que les requérants demandent
l’annulation de l’arrêté du 3 septembre
2004 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme
a déclaré cessibles les immeubles nécessai-
res à la réalisation de la première ligne de
tramway de l’agglomération clermontoise
par suite de l’illégalité dont se trouve selon
eux affecté le décret du 4 décembre 2003
déclarant d’utilité publique le projet de
construction de cette infrastructure de
transport ; qu’ils reprennent à l’appui de
leur argumentation les mêmes moyens que
ceux qui viennent d’être écartés ; que par
suite leurs conclusions dirigées contre
l’arrêté mentionné ci-dessus ne peuvent
qu’être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation
de la délibération du syndicat mixte rele-
vant le taux du versement transport :
Considérant que la SA Centre Spécialités
pharmaceutiques tient de sa qualité de
contribuable local un intérêt à l’annulation
de la décision attaquée ; que son interven-
tion dans l’affaire nº 274798 est, par suite,
recevable ;
Considérant, en premier lieu, que la délibé-
ration attaquée en date du 19 décembre
2003 du comité syndical du syndicat mixte
de transports en commun de l’aggloméra-
tion clermontoise comporte le nombre des
personnes ayant délibéré ; qu’aucune dis-
position de ses statuts n’obligeait ledit
comité à mentionner dans sa délibération
son effectif théorique ; qu’ainsi, le moyen
tiré de ce que les mentions de cette déci-
sion ne feraient pas la preuve de la régula-
rité de la composition de l’instance qui l’a
rendue, doit être écarté ; qu’il n’est pas allé-
gué que les conditions statutaires de quo-
rum n’auraient pas été remplies ;
Considérant, en deuxième lieu, que si aux
termes de l’article L. 2333-67 du Code
général des collectivités territoriales, dans
sa rédaction applicable à la date de la
délibération attaquée, l’augmentation du
chronique administrative
154 86eannée - nº 2 - février 2006
versement transport au-delà du taux de
1 % n’est possible qu’à la condition que
l’Etat ait notifié un engagement de principe
sur le subventionnement de l’investisse-
ment correspondant, il ressort des pièces
du dossier que cet engagement de principe
a bien été pris par l’Etat sous la forme d’une
lettre du 15 mai 2002 du préfet du Puy-de-
Dôme annonçant l’éligibilité du projet au
régime des aides de l’Etat aux transports
collectifs urbains de province ; que si ce
régime d’aide a été ultérieurement sup-
primé par la loi de finances pour 2004, ainsi
d’ailleurs que la condition correspondante
pour le relèvement du versement trans-
port, l’engagement de l’Etat sur la subven-
tion à apporter au projet était constitué à
la date de la délibération attaquée ;
Considérant, en troisième lieu, que le
moyen tiré d’une violation de la règle
d’affectation du versement transport des
employeurs édictée par l’article L. 2333-68
du Code général des collectivités territoria-
les ne peut être utilement invoqué qu’à
l’encontre d’une délibération budgétaire
portant utilisation de cette recette et non
de la fixation du taux local de cette contri-
bution, dont la légalité n’est soumise qu’à
la condition d’adoption d’un projet
d’infrastructure de transport conformé-
ment à l’article L. 2333-67 cité plus haut ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui pré-
cède que les requérants ne sont pas fondés
à demander l’annulation de la délibération
attaquée ; (...)
Contentieux
Contrôle de légalité - Délai de
recours - Loi du 12 avril 2000 (art. 18
à 20) - Inapplicabilité des articles 18 à
20 de la loi du 12 avril 2000 aux déférés
préfectoraux
CE, 1er juillet 2005, Ville de Nice, req.
nº 258509 (décision publiée au
Recueil
Lebon)
[extraits]
Considérant qu’aux termes de l’article 18
de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits
des citoyens dans leurs relations avec les
administrations :
« Sont considérées
comme des demandes au sens du présent
chapitre les demandes et les réclamations,
y compris les recours gracieux ou hiérarchi-
ques, adressés aux autorités administrati-
ves. » ;
qu’aux termes de l’article 19 de la
même loi :
« Toute demande adressée à une
autorité administrative fait l’objet d’un
accusé de réception délivré dans des condi-
tions définies par décret en Conseil d’Etat.
(...) Les délais de recours ne sont pas oppo-
sables à l’auteur d’une demande lorsque
l’accusé ne réception ne lui a pas été trans-
mis ou ne comporte pas les indications pré-
vues par le décret mentionné au premier
alinéa. » ;
qu’aux termes de l’article 20 de la
même loi :
« Lorsqu’une demande est
adressée à une autorité administrative
incompétente, cette dernière la transmet à
l’autorité administrative compétente et en
avise l’intéressé (...)
»;
Considérant que le législateur, qui a eu
pour objectif d’améliorer et d’accélérer le
traitement des demandes adressées par les
usagers des administrations, n’a pas
entendu régir par ces dispositions les rela-
tions entre les représentants de l’Etat dans
les départements et les régions et les col-
lectivités territoriales dans le cadre du
contrôle de légalité ; qu’il en résulte que ces
dispositions ne sont pas applicables aux
demandes adressées par le représentant de
l’Etat aux collectivités territoriales dans ce
cadre ;
Considérant qu’il suit de là qu’en jugeant
que le préfet des Alpes-Maritimes était
recevable à demander au tribunal adminis-
tratif de Nice, par un déféré en date du
1er juillet 2002, l’annulation de la délibéra-
tion du conseil municipal de Nice en date
du 20 décembre 2001 et de l’avenant nº 20
à la convention de concession des 11 et
24 juillet 1952 modifiée signé le 24 décem-
bre 2001, au motif qu’aucun délai de
recours contentieux ne lui était opposable
faute pour la ville de Nice, destinataire du
recours administratif qu’il avait formé le
22 février 2002 à l’encontre de cette déli-
bération, de lui avoir adressé l’accusé de
réception prévu à l’article 19 de la loi du
12 avril 2000, et que le préfet était, dès lors,
recevable à demander la suspension de ces
actes, alors que les dispositions de cet arti-
cle n’étaient pas applicables à cette
demande du préfet des Alpes-Maritimes à
la ville de Nice dans le cadre du contrôle de
légalité, la cour administrative d’appel de
Marseille a entaché son arrêt d’une erreur
de droit ; que, par suite, la ville de Nice est
fondée à demandé qu’il soit annulé pour ce
motif ;
Considérant qu’aux termes de l’article
L. 821-2 du Code de justice administrative,
le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation
d’une décision d’une juridiction administra-
tive statuant en dernier ressort peut
« régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une
bonne administration de la justice le justi-
fie » ;
que, dans les circonstances de
l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au titre
de la procédure de référé engagée ; (...)
Considérant qu’aux termes du troisième ali-
néa de l’article L. 2131-6 du Code général
des collectivités territoriales :
« Le représen-
tant de l’Etat peut assortir son recours
d’une demande de suspension. Il est fait
droit à cette demande si l’un des moyens
invoqués paraît, en l’état de l’instruction,
propre à créer un doute sérieux quant à la
légalité de l’acte attaqué. (...) » ;
Considérant que, ainsi qu’il a été dit, les dis-
positions de l’article 20 de la loi du 12 avril
2000 relative aux droits des citoyens dans
leurs relations avec les administrations, en
vertu desquelles une autorité administra-
tive à qui est adressée une demande ne
relevant pas de sa compétence la transmet
à l’autorité administrative compétente et
en avise le demandeur, ne sont pas appli-
cables aux demandes adressées par le
représentant de l’Etat aux collectivités ter-
ritoriales dans le cadre du contrôle de léga-
lité ; que, par suite, la ville de Nice, qui ne
détenait plus la compétence en matière de
distribution de l’eau depuis le 1er janvier
1982, n’était pas tenue de transmettre à la
Communauté d’agglomération Nice-Côte
d’Azur, à qui cette compétence avait été
transférée, le recours gracieux que le pré-
fet des Alpes-Maritimes avait formé le
22 février 2002 à l’encontre de la délibéra-
tion de son conseil municipal en date du
20 décembre 2001 qui autorisait le maire à
signer l’avenant au contrat de concession
pour l’exploitation du service public de
l’eau dans la ville de Nice ; qu’ainsi, le
recours administratif du préfet des
Alpes-Maritimes, adressé à une autorité
incompétente, n’a pu conserver le délai du
recours contentieux ; que dès lors, son
déféré, formé contre la délibération du
conseil municipal du 20 décembre 2001 et
l’avenant du 24 décembre 2001, enregistré
le 1er juillet 2002, était tardif et, par suite,
irrecevable ; qu’ainsi, la ville de Nice et la
Communauté d’agglomération de Nice-
Côte d’Azur sont fondées à soutenir que
c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée,
le magistrat délégué par le président du tri-
bunal administratif de Nice a suspendu
l’exécution de l’avenant du 24 décembre
2001 à la concession des 11 et 24 juillet 1952
modifiée ; (...)
Contrats et marchés
Contrats - Contrat entre un EPIC et
une société commerciale - Présence
de clauses exorbitantes de droit
commun - Contrat administratif
TC, 20 juin 2005, Société hôtelière guya-
naise, req. nº 3446 (décision mentionnée
aux Tables du
Recueil Lebon)
[extraits]
Considérant que le Centre national d’étu-
des spatiales (CNES), propriétaire à Kourou
(Guyane) d’un hôtel et du terrain attenant,
a, à la suite d’une consultation ayant pour
objet l’extension de cet hôtel dont la capa-
cité était devenue insuffisante en raison du
développement de l’activité spatiale, signé
en 1989 avec le groupe Factorim-Vidal,
agissant pour le compte de la Société hôte-
lière guyanaise (SHG) devant être créée,
divers accords et en particulier deux pro-
messes de vente de l’hôtel existant et du
terrain destiné à son extension ; qu’en
1991, la société SHG a assigné le CNES, qui
avait renoncé à la poursuite de l’opération,
aux fins d’obtenir réparation de son
préjudice ;
Considérant que le CNES est, selon la loi du
19 décembre 1961 qui l’institue, un établis-
sement scientifique et technique de carac-
tère industriel et commercial assurant sa
gestion financière et présentant sa comp-
tabilité selon les usages du commerce, et
qu’en conséquence, les contrats qu’il signe
sont soumis au droit privé , à l’exception de
ceux comportant des clauses exorbitantes
du droit commun ; que contiennent de tel-
les clauses les accords conclus qui confè-
rent au CNES un pouvoir de contrôle sur
son cocontractant, en lui imposant des
modalités d’exploitation, en se réservant,
postérieurement à la vente, l’appréciation
de la qualité du projet architectural ainsi
que des normes et du prix des chambres
de l’ensemble hôtelier dont la réalisation
était à entreprendre avant la réitération des
actes définitifs de vente, en garantissant un
taux d’occupation des locaux, et en pré-
voyant des conditions de remboursement
pouvant aboutir à une revente en faveur du
CNES à un coût déterminé et non au prix
du marché ; qu’il suit de là que la demande
en réparation relève de la compétence des
juridictions de l’ordre administratif ; (...)
Note
Le principal intérêt de cette décision du
Tribunal des conflits
Société hôtelière
guyanaise
c/ CNES, qui sera mentionnée
aux Tables du
Recueil Lebon,
est de
chronique administrative
155 86eannée - nº 2 - février 2006
donner une illustration par l’exemple de
la notion délicate à cerner de
« clauses
exorbitantes du droit commun ».
Rappelons brièvement d’abord les faits de
l’espèce.
Dans cette affaire, la Société hôtelière
guyanaise (SHG) avait assigné devant les
juridictions judiciaires le Centre national
d’études spatiales (CNES),
« établissement
scientifique et technique de caractère
industriel et commercial »,
afin d’être
dédommagée du préjudice par elle subi,
à la suite de la rupture par le CNES de
relations contractuelles nouées en vue de
l’extension et de la rénovation d’un hôtel
à Kourou. Mais la cour d’appel de Paris
devait se déclarer incompétente le
5 novembre 1996 ; et la Cour de cassation
rejetait le pourvoi contre cette décision le
16 mars 1999 (cf. Cass. civ. 1re, 16 mars
1999,
B. civ.
1999 I, nº 102).
La Cour de cassation a en effet estimé que
le pouvoir de contrôle du CNES sur la SHG
caractérisait l’existence d’un contrat
administratif.
La décision du Tribunal des conflits, inter-
venue sur renvoi du tribunal administratif
de Cayenne, statue dans le même sens
que la Cour de cassation en énumérant
les diverses clauses, qui, en conférant au
CNES un pouvoir de contrôle sur la SHG,
constitue un ensemble de clauses
exorbitantes.
On le sait, tous les contrats conclus par les
personnes publiques ne sont pas des
contrats administratifs : nombre d’entre
eux sont de droit privé. Dans le silence de
la loi, la jurisprudence qualifie de contrats
administratifs les contrats qui compor-
tent au moins une clause exorbitante du
droit commun ou qui ont un lien étroit
avec l’exécution du service public, étant
rappelé que le critère de la clause exorbi-
tante s’est dégagé à partir du fameux
arrêt
Société des granits porphyroïdes des
Vosges
(CE, 31 juillet 1912, concL. Léon
Blum), même si l’expression n’y est point
employée.
La jurisprudence s’est rarement risquée à
donner une définition de cette notion, à
l’exception notable d’une décision du Tri-
bunal des conflits
Société des combusti-
bles
(TC, 19 juin 1952,
Rec.
p. 628), où l’on
peut lire cette observation :
« La situation
réciproque des contractants n’est pas de
celle qui, normalement, serait résultée
d’un accord conclu conformément au
droit commun ».
En vérité, les conclusions du commissaire
du Gouvernement Léon Blum sur l’arrêt
Société des granits porphyroïdes des Vos-
ges
restent toujours d’actualité pour
essayer de cerner cette notion, et sont du
reste souvent reprises par la doctrine (cf.
notamment, R. Chapus,
Droit administra-
tif général,
tome I, Précis Domat Mont-
chrestien) : il peut s’agir soit de clauses
mettant en œuvre des prérogatives de
puissance publique, soit de clauses inu-
suelles dans les conventions entre per-
sonnes privées.
Néanmoins, l’incertitude subsiste dans
bon nombre de cas, d’autant que les clau-
sesréputéesexorbitantes–caranorma-
les – se sont banalisées comme l’illustrent
en particulier les « contrats » d’assurances.
C’est pourquoi l’on ne peut plus se fier à
la présence d’une seule clause exorbitante
pour estimer que tel ou tel contrat est
administratif : il faut en fait analyser l’éco-
nomie générale du contrat et voir s’il com-
porte une série de clauses inusuelles en
droit privé, par exemple un cahier des
charges (cf. CE, 13 janvier 1984,
Société
Dubigeon-Normandie, Rec.
p. 533.).
Tel est le cas en l’espèce dans cette déci-
sion du Tribunal des conflits du 20 juin
2005, qui n’hésite pas à énumérer les
diverses clauses qui confèrent au CNES un
pouvoir de contrôle sur son cocontrac-
tant, à savoir :
celle imposant des modalités
d’exploitation ;
– celle réservant, postérieurement à la
vente, l’appréciation de la qualité du pro-
jet architectural ;
celle réservant encore le contrôle des
normes et du prix des chambres de
l’ensemble hôtelier ;
celle garantissant un taux d’occupation
des locaux ;
et enfin celle prévoyant des conditions
de remboursement pouvant aboutir à
une revente en faveur du CNES à un coût
déterminé et non au prix du marché.
Il s’agit là d’une véritable batterie ou
panoplie de clauses jugées exorbitantes
du droit commun, dont il est intéressant
de noter qu’elle ne comprend point celle
pourtant souvent citée en exemple, à
savoir la possibilité de résiliation de plein
droit.
Cette décision du Tribunal des conflits est
aussi d’autant plus intéressante que les
EPIC (établissements publics à caractère
industriel et commercial) comme le CNES
ne sont plus soumis au Code des marchés
publics, et qu’en conséquence, les dispo-
sitions de l’article 2 de la loi MURCEF du
11 décembre 2001 aux termes duquel
« les marchés passés en application du
Code des marchés publics ont le caractère
de contrats administratifs »
ne leur sont
point applicables.
Marché public - Procédure adaptée
(art. 28 du CMP) - Ampleur de la publi-
cité dans le cadre de la procédure
adaptée - Référé précontractuel
CE, 7 octobre 2005, Région Nord - Pas-de-
Calais, req. nº 278732 (décision publiée au
Recueil Lebon)
[extraits]
Considérant qu’aux termes de l’arti-
cle L. 551-1 du Code de justice administra-
tive :
« Le président du tribunal administra-
tif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être
saisi en cas de manquement aux obligations
de publicité et de mise en concurrence aux-
quelles est soumise la passation des mar-
chés publics, des contrats de partenariat,
des contrats visés au premier alinéa de
l’article L. 6148-5 du Code de la santé publi-
que et des conventions de délégation de
service public. / Les personnes habilitées à
agir sont celles qui ont un intérêt à conclure
le contrat et qui sont susceptibles d’être
lésées par ce manquement (...). / Le prési-
dent du tribunal administratif peut être
saisi avant la conclusion du contrat. Il peut
ordonner à l’auteur du manquement de se
conformer à ses obligations et suspendre
la passation du contrat ou l’exécution de
toute décision qui s’y rapporte (...). / Le
président du tribunal administratif ou son
délégué statue en premier et dernier res-
sort en la forme des référés. » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dos-
sier soumis au juge des référés
pré-contractuels du tribunal administratif
de Lille qu’afin de sélectionner une entre-
prise pour le marché relatif à la program-
mation de l’implantation d’une antenne du
musée du Louvre à Lens, qu’elle s’apprêtait
à passer en application des dispositions de
l’article 28 du Code des marchés publics, la
région Nord - Pas-de-Calais a, le 7 janvier
2005, procédé à l’envoi d’un avis d’appel
public à la concurrence au journal
La voix
du Nord
et mis en ligne cet avis sur le site
Internet du Conseil régional ; que saisi, sur
le fondement de l’article L. 551-1 du Code
de justice administrative, le juge des référés
pré-contractuels du tribunal administratif
de Lille, après n’avoir admis la recevabilité
de la demande présentée par Mme X au
nom d’un collectif de professionnels qu’en
tant que cette dernière agissait en son nom
et en sa qualité de programmiste en archi-
tecture et en aménagement, ayant intérêt
à conclure le marché, a, par une ordon-
nance du 22 février 2005, annulé l’intégra-
lité de la procédure de passation du marché
objet du litige ; que la région Nord – Pas-
de-Calais se pourvoit en cassation contre
cette ordonnance ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dos-
sier soumis au juge des référés précontrac-
tuels que l’avis d’appel public à la concur-
rence envoyé au journal
La Voix du Nord
et
mis en ligne sur le site Internet du Conseil
régional prévoyait que les dossiers de can-
didature devaient être envoyés par courrier
au service compétent ; que si un des can-
didats a, de sa propre initiative, envoyé son
dossier par télécopie, il a régularisé son
dossier par un envoi ultérieur par courrier,
lequel est parvenu au service compétent du
Conseil régional avant la date limite de pré-
sentation des offres ; que, dès lors, en rele-
vant que la région Nord – Pas-de-Calais a
admis les candidatures adressées par télé-
copie, pour en déduire que, ayant ainsi
modifié au cours de la procédure de pas-
sation du marché les règles de recevabilité
des offres prévues dans l’avis d’appel à can-
didature, elle a manqué à ses obligations de
publicité et de mise en concurrence, le juge
des référés a dénaturé les pièces du dossier
qui lui était soumis ; que, par suite, sans
qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens de sa requête, la région Nord – Pas-
de-Calais est fondée à demander, pour ce
motif, l’annulation de l’ordonnance atta-
quée en tant qu’elle a accueilli la demande
présentée par Mme X en son nom et en sa
qualité de programmiste en architecture et
en aménagement ;
Considérant que, dans les circonstances de
l’espèce, il y a lieu, dans l’intérêt d’une
bonne administration de la justice, de
régler dans cette mesure l’affaire au titre
de la procédure de référé engagée par
Mme X devant le juge des référés précon-
tractuels du tribunal administratif de Lille ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens de la requête ;
Considérant qu’aux termes de l’article 28
du Code des marchés publics :
« I. Les mar-
chés passés selon la procédure adaptée
sont des marchés passés selon des moda-
lités de publicité et de mise en concurrence
déterminées par la personne responsable
du marché en fonction de leur objet et de
chronique administrative
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