Points de vue
Angioplastie stenting carotidienne :
technique et indications personnelles
Emmanuel Houdart
Service de Neuroradiologie, hôpital Lariboisière, 75475 Paris cedex 10
L’angioplastie-stenting carotidienne s’est considérablement dé-
veloppée ces dix dernières années dans la plupart des pays
européens. Ceci s’explique par l’efficacité des protocoles anti-
agrégants plaquettaires et par la miniaturisation des systèmes
porteurs des stents autoexpansibles. Cette intervention présente
pour avantages sur l’endartériectomie de ne pas risquer de
léser les nerfs crâniens, d’interrompre le flux carotidien très
brièvement et de n’être pas limitée par l’état cervical ni le siège
de la sténose. Cette intervention a d’ores et déjà remplacé dans
certaines indications l’endartériectomie carotidienne. Cepen-
dant, les autorités de santé continuent en France à en refuser le
remboursement. Cet article résume nos règles techniques et nos
indications actuelles.
Mots clés :artère carotide, angioplastie, stent, traitement endovasculaire
L’angioplastie stenting carotidienne (ASC) connaît depuis une
dizaine d’années un essor considérable dans la plupart des pays
développés. Ceci peut se mesurer au nombre d’études randomi-
sées actuellement en cours et qui ont pour but de comparer cette
intervention à l’endartériectomie carotidienne (EAC). Cet essor est limité en
France par les décisions de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation
en santé (ANAES) et maintenant de la Haute autorité de santé (HAS) de ne pas
rembourser le matériel utilisé dans cette intervention. Cette position a été
justifiée par le fait que l’ASC n’avait pas fait la preuve - par randomisation - de
résultats équivalents à ceux de l’EAC. Notons que cette décision contient en soi
une contradiction interne car si les résultats de l’ASC étaient totalement incon-
nus, le principe même d’une randomisation serait éthiquement inacceptable : le
prérequis pour toute étude randomisée est d’accepter comme plausible l’hypo-
thèse d’équivalence ce qui suppose d’avoir expérimenté les deux techniques.
Or, cette intervention est parvenue maintenant à maturité et elle a été largement
évaluée [1, 2].
Elle apparaît pour certains patients sélectionnés bien supérieure dans son
concept au traitement chirurgical [3]. Notre intention est de présenter ici les
règles techniques et les indications retenues par le service de Neuroradiologie
de l’hôpital Lariboisière pour ce traitement.
Correspondance et tirés à part :
E. Houdart
Sang Thrombose Vaisseaux 2006 ;
18, n° 3 : 154-9
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Comment expliquer le développement
de l’ASC ?
L’essor de l’ASC s’explique par deux sauts technologi-
ques : la mise au point d’un protocole antiagrégant plaquet-
taire efficace et la miniaturisation des stents auto-
expansibles.
Le régime de double antiagrégants plaquettaires
(clopidogrel + aspirine) est essentiel car deux facteurs dé-
clencheurs de l’hémostase primaire s’associent dans l’ASC.
Le premier est lié à l’angioplastie : l’inflation du ballon
entraîne la rupture de l’endothélium et, de ce fait, un contact
entre les plaquettes circulantes et le sous-endothélium qui
les active. Le second est l’implantation du stent qui, comme
tout corps étranger placé dans la circulation, déclenche
l’activation plaquettaire.
Les stents auto-expansibles et leur miniaturisation sont le
deuxième facteur essentiel de cette intervention. L’implan-
tation systématique d’un stent est cruciale dans cette inter-
vention à plusieurs égards. Le premier est d’exclure la
plaque d’athérome de la circulation carotidienne, condition
essentielle à la prévention d’accidents emboliques distaux.
À l’effet protecteur mécanique du « grillage » métallique
qui s’applique sur la plaque s’ajoute après quelques semai-
nes le recouvrement du stent par des cellules issues de
l’intima. Le second objectif est de prévenir la survenue
d’une dissection à la suite de l’inflation du ballon. En effet,
si une rupture limitée et donc « bénigne » de la plaque
d’athérome est constante après inflation du ballon, elle peut
de façon imprévisible évoluer vers une dissection vraie
avec occlusion du vaisseau. Le taux de dissection caroti-
dienne lorsque l’angioplastie était réalisée sans implanta-
tion systématique d’un stent était inacceptable et s’opposait
au développement de la technique endovasculaire.
Un stent auto-expansible s’étire dans l’artère par rétraction
de la membrane dans laquelle il est enserré. Le stent se
dilate jusqu’à ce qu’il entre en contact avec les parois d’une
artère dont le calibre est inférieur à son calibre maximal. Un
seul stent pourra donc s’adapter à des diamètres artériels
variables et ceci est nécessaire dans le traitement des sténo-
ses de la bifurcation carotidienne : l’artère carotide interne
a un diamètre moyen de 4,5 mm alors que l’artère carotide
primitive a un diamètre moyen de 7 mm (figure 1). Ces
stents étaient jusqu’alors montés sur des guides métalliques
d’un calibre de 0,035 inches relativement traumatisants.
Actuellement, tous ces stents sont montés sur guides 0,014
inches ce qui permet un cathétérisme beaucoup plus
« doux » de la sténose.
Enfin, à ces deux facteurs s’ajoute pour certaines équipes le
développement des systèmes dits « de protection anti-
embolique ». Ces systèmes ont pour but de s’opposer à la
migration éventuelle d’emboles de cholestérol lors du trai-
tement de la sténose. Leur bénéfice reste encore à démon-
trer et ne peut en aucun cas se comparer à celui des deux
facteurs sus-cités.
AB
Figure 1.ASC d’une sténose ulcérée de la bifurcation carotidienne gauche. 1A) Sténose serrée de la bifurcation carotidienne avec un
aspect d’ulcération angiographique ; 1B) Résultat après implantation d’un stent : noter la stase de produit de contraste au sein de
l’ulcération (flèche), aspect tout à fait habituel sur l’angiographie de contrôle immédiate. Noter également que le stent s’est adapté aux
calibres différents de l’artère carotide interne et de l’artère carotide primitive.
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Déroulement de l’ASC
L’ASC se déroule sous sédation-analgésie en salle d’angio-
graphie disposant d’une scopie avec traçage artériel de
bonne qualité. Sauf cas particulier, la voie d’abord est
fémorale et plus rarement radiale ou humérale.Après cathé-
térisme de l’artère carotide primitive, un bilan angiographi-
que cervical est d’abord réalisé afin de calibrer la prothèse
et le ballon d’angioplastie. On effectue également une
angiographie cérébrale qui servira de bilan de référence. Le
cathéter porteur est ensuite introduit et sert à monter les
systèmes coaxiaux : microguide ou système de protection,
stent et ballon. La technique la plus communément admise
est celle du stenting premier de la sténose c’est-à-dire le
déploiement du stent avant la dilatation de la plaque de
façon à éviter toute dissection carotidienne. On effectue
ensuite la dilatation à l’intérieur du stent. Une inflation
progressive à l’aide d’un manomètre est réalisée jusqu’à
obtenir la levée de l’empreinte sur le ballon. Il n’est pas
souhaitable de dépasser la pression permettant d’obtenir la
rupture de la plaque. Habituellement, celle-ci cède à 5
atmosphères. Le cathéter est retiré et le point de ponction
est habituellement fermé à l’aide d’un système de ferme-
ture artérielle. Une intervention standard dure entre une
heure et une heure trente.
Protocole médicamenteux
L’association clopidogrel (1 comprimé par jour)-aspirine
(100 mg par jour) est débutée 5 jours avant l’intervention et
poursuivie pendant 3 mois, délai au-delà duquel l’un des
deux antiagrégants est interrompu. Si l’indication est posée
en urgence, on administre deux doses de charge de 4 com-
primés de clopidogrel 12 heures et 2 heures avant le geste
(soit 8 comprimés au total).
Pendant le geste :
avant ponction artérielle : injection de 1,5 g de cépha-
mendazole ;
bolus de 5 000 unités d’héparine après pose de l’introduc-
teur fémoral ;
atropine 1 mg injection IV lors de la pose du stent.
Au décours immédiat du geste :
chez le normotendu : une hypotension peut se voir pen-
dant les 24 premières heures témoignant d’une stimulation
prolongée du glomus carotidien et peut être traitée d’abord
par atropine et parfois par éphédrine ;
chez l’hypertendu : il est souvent nécessaire d’augmenter
les doses d’antihypertenseurs per os et d’utiliser transitoi-
rement des antihypertenseurs à la seringue électrique car le
risque est ici l’élévation trop importante de la tension
artérielle, cause de syndrome d’hyperperfusion.
Indications personnelles de l’ASC
La voie endovasculaire présente de par son concept certains
avantages sur le traitement chirurgical : pas d’atteinte possi-
ble des nerfs crâniens ni d’hématome cervical, interruption
très limitée du flux carotidien (les 20 secondes nécessaires à
l’inflation du ballon), pas de limitation liée au siège en
hauteur de la sténose sur l’artère carotide ni à l’état cutané
cervical. A contrario, son inconvénient « technique » par
rapport au traitement chirurgical tient à la nécessité de
cheminer au travers d’une crosse de l’aorte parfois athéro-
mateuse, ce qui peut être source de migration embolique
immédiate ou différée. En croisant les avantages de l’ASC
avec les facteurs péjoratifs du traitement chirurgical tels que
Sundt [4]
les avaient évalués (tableau 1), nous pouvons
déduire ce que nous considérons comme les « bonnes indi-
cations » actuelles de l’ASC (tableau 2,figures 2, 3).
Tableau 1.Facteurs péjoratifs de l'EAC selon Sundt
Facteurs médicaux
- insuffisance coronarienne évolutive
- obésité
Facteurs angiographiques
- sténose en tandem : bifurcation et siphon, bifurcation et
carotide primitive
- occlusion carotide controlatérale
Tableau 2.Indications de l'ASC du service
de Neuroradiologie de l'hôpital Lariboisière
Indications de revascularisation carotidienne
- Patient symptomatique (prévention secondaire) : sténose > 60 %
- Patient asymptomatique (prévention primaire) : sténose > 80 %
si espérance de vie de plus de 3 ans
Indications actuelles de l’ASC
- Cou à risque : antécédent de chirurgie cervicale homolatérale,
trachéotomie, brûlure cutanée (toute condition habituellement
retrouvée dans les sténoses post-irradiation cervicale), obésité
importante, paralysie laryngée controlatérale (car l’éventualité
d’une atteinte bilatérale après chirurgie serait catastrophique).
- Sténose à risque : sténose située au-dessus de C2, sténose en
tandem c’est-à-dire associée à une sténose du siphon ou de
l’artère carotide commune, resténose postopératoire (qui ne
correspond pas à de l’athérome mais à une hyperplasie intimale)
- État neurovasculaire à risque : occlusion multiple des artères
cérébrales et notamment de l’artère carotide controlatérale
- État général à risque : insuffisance respiratoire, insuffisance
cardiaque, insuffisance coronaire évolutive
- À part : patients inclus dans l’étude EVA 3S et tirés dans le bras
stenting, patients refusant le traitement chirurgical, certaines
dissections carotidiennes
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Bilan avant ASC
Les indications de la revascularisation dépendent du degré
de sténose qui est habituellement évalué par Doppler cervi-
cal mais dont le résultat doit être confirmé par un angioscan-
ner ou une angio IRM. L’angioscanner présente l’avantage
d’apprécier le degré de calcification de la plaque. Le paren-
chyme cérébral doit être étudié avant traitement (au mieux
par une IRM mais au minimum par un scanner). Enfin, un
bilan préopératoire minimal avec ECG, biologie standard et
radiothoracique est systématique.
À ce bilan minimal peut s’ajouter l’étude de la crosse de
l’aorte qui sera systématique avec le développement des
scanners multibarettes.
Contre-indications à l’ASC
Commune à toute revascularisation cérébrale : infarctus
territorial récent (datant de moins de 6 semaines) prenant le
contraste (figure 4). Cette situation est une contre-
indication temporaire en raison du risque de transformation
hémorragique de l’infarctus.
Spécifique à la voie endovasculaire : la présence d’un
thrombus endoluminal en raison de son risque de migration
après levée de la sténose. Ce thrombus peut être traité par
héparine au long cours ou, comme il nous est arrivé de le
faire, par perfusion d’anti GPII b – IIIa.
Facteurs péjoratifs probables de l’ASC
Deux facteurs morphologiques semblent a priori péjoratifs
(bien qu’on ne puisse pas apporter de démonstration statis-
tique à cette supposition) :
l’existence d’un athérome important de la crosse aortique
en raison du risque de décollement d’une plaque d’athé-
rome lors de la mise en place du cathéter porteur qui peut
s’exprimer par un accident ischémique avant la dilatation et
parfois de façon différée si la plaque se fragmente secondai-
rement ;
une plaque massivement calcifiée (calcifications circon-
férentielles étendues sur une hauteur d’au moins 1 cm) en
raison du risque de rupture artérielle lors de l’inflation du
ballon.
Enfin, un facteur technique semble important quoique non
évalué à ce jour : l’importance de la couverture de la plaque
par les mailles du stent : plus dense est le maillage,
meilleure sera la contention de la plaque et la prévention
d’une migration embolique.
Surveillance post-angioplastie
et complications possibles
L’ASC en ambulatoire a été prônée par certains auteurs
mais ceci est pour nous un non-sens médical. Comme toute
intervention portant sur un vaisseau cérébral, l’ASC expose
à des complications qu’il faut pouvoir prévenir ou traiter et
ceci ne peut être fait qu’en milieu médical spécialisé. Nos
patients sont surveillés en unité de soins intensifs disposant
- si ce n’est d’un médecin de garde – du moins d’une
surveillance infirmière plus rapprochée qu’en salle nor-
male. Les éléments de surveillance sont : l’état neurologi-
que avec un examen sommaire de la conscience et de la
motricité, une surveillance continue de la TA et de la
fréquence cardiaque, et une surveillance du point de ponc-
tion. Si la TA est stable, le patient sort le surlendemain de
l’intervention.
Les complications dans notre expérience sont :
Mineures : hypotension et bradycardie dans le cadre
d’une stimulation prolongée du glomus carotidien. Ceci se
rencontre dans environ 10 % des cas et cède en 24 heures.
Majeures : une hémorragie cérébrale gravissime interpré-
tée comme un syndrome d’hyperperfusion [5]. Il s’agissait
d’un patient dont la tension était irrégulière et qui avait été
traité d’une sténose de plus de 90 % sur carotide unique. La
correction de la TA et son abaissement en dessous des
chiffres habituels sont une règle si une sténose hyperserrée
est traitée.
D’autres complications ont été rapportées dans la littéra-
ture, notamment la survenue d’accidents ischémiques dif-
Figure 2.Exemple de cou défavorable au traitement chirurgical :
patient traité cinq ans auparavant d’un cancer laryngé par chirurgie
et radiothérapie. Noter la présence d’une trachéotomie, source
d’infection du champ opératoire et la brûlure cutanée dans les
champs d’irradiation.
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férés de quelques jours. Ces derniers justifieraient à notre
sens une étude approfondie de ces patients car plusieurs
hypothèses peuvent être formulées : mailles des stents trop
larges ne contenant pas assez la plaque, décollement d’une
plaque d’athérome aortique par le cathéter porteur.
Suivi à distance
Nous effectuons un Doppler cervical de contrôle au rythme
suivant : 1 mois, 6 mois, 12 mois, 24 mois. La fréquence de
ce contrôle est plus rapprochée si des signes de resténose
précoce apparaissent. La fréquence de ces resténoses « pré-
coces » par hyperplasie myo-intimale est dans notre expé-
rience variable selon l’origine de la sténose : elle atteint
jusqu’à 25 % des sténoses radiques mais reste inférieure à
10 % dans les sténoses athéromateuses standards. Le traite-
ment peut être envisagé si la sténose est serrée et fait appel à
une angioplastie seule ou à une angioplastie suivie d’im-
plantation d’un nouveau stent.
En manière de conclusion : plaidoyer pour
une révision du statut de l’ASC
Vers moins d’intransigeance
pour l’inclusion des patients ?
Les études randomisées en cours ont pour objectif de savoir
si l’ASC peut remplacer dans la majorité des cas l’EAC. Cet
objectif n’est pas contradictoire avec celui d’un traitement
sélectif de certaines sténoses. Acceptons un peu de sou-
plesse et définissons les sous-groupes pour lesquels cette
intervention peut être raisonnablement proposée.
AB
Figure 3. Sténoses carotidiennes en tandem traitées dans le même temps par voie endovasculaire. 3A) Sténose de la bifurcation
carotidienne (flèche pleine) associée à une sténose du siphon carotidien (flèche creuse) chez un patient ayant fait un accident ischémique
transitoire ; 3B) Résultat après angioplastie stenting des deux sténoses.
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