Chapitre 1 Arithmétique Partie 7 : Le petit théorème de Fermat On distingue souvent dans la littérature mathématique le petit théorème de Fermat du grand théorème de Fermat qui s’énonce comme suit : « pour tout entier naturel n strictement plus grand que 2, il n’existe pas d’entiers relatifs a, b et c non nuls tels que a n = b n + c n ». Ce théorème simplissime dans son énoncé doit son nom à Pierre de Fermat (1605-1665) qui écrivit en marge d'une traduction de l'Arithmetica de Diophante, à la suite de l'énoncé de ce problème : « ... J’ai trouvé une merveilleuse démonstration de cette proposition, mais la marge est trop étroite pour la contenir. » Après avoir été l'objet de fiévreuses recherches pendant près de 350 ans, n'aboutissant qu'à des résultats partiels, le théorème a finalement été démontré en l’an 2000 par le mathématicien Andrew Wiles, en faisant appel à des outils très puissants de la théorie des nombres : formes modulaires, représentations galoisiennes, cohomologie galoisienne, représentations automorphes, formule des traces… La plupart des mathématiciens estiment aujourd'hui que Fermat s'est trompé en croyant avoir démontré sa conjecture à l’époque. Il n’existe qu’une quinzaine de mathématiciens au monde capables de valider la démonstration de Wiles qui contient plus de 1000 pages d’écrits. Même si le théorème en lui-même n’est d’aucune réelle utilité, il aura monopolisé presque 4 siècles d’intelligence mathématique, permis de développer de nombreux et fructueux domaines en théorie des nombres et des formes modulaires. Comme le disait un homme sage « le chemin emprunté pour arriver au sommet d’une montagne est souvent bien plus prolixe et satisfaisant pour l’esprit que l’image du sommet atteint », rien n’aura jamais été aussi vrai que dans ce cas. Nous nous intéresserons dans le cadre de ce cours au « petit théorème de Fermat » qui bien qu’historiquement hautement moins fantasmatique et beaucoup plus simple à démontrer, connaît aussi un nombre d’applications beaucoup plus importantes et intéressantes. Avant de donner l’énoncé du théorème de Fermat, nous aurons besoin du résultat suivant : Propriété : (Admise) Soit a, b et c des entiers relatifs non nuls : • Si a est premier avec b et a est premier avec c, alors a est premier avec le produit b × c . • Plus généralement, si a et une famille d’entiers relatifs non nuls b1 ; b2 ; ... ; bn ( n ≥ 2 ) sont tels que ∀i ∈ ℕ,1 ≤ i ≤ n a et bi sont premiers entre eux, alors a est premier avec le produit b1 × b2 × ... × bn . Démonstration : Démontrons le premier point : comme a est premier avec b et a est premier avec c, il existe d’après le théorème de Bezout 4 entiers relatifs u, v, u’ et v’ tels que a × u + b × v = 1 et a × u ′ + c × v′ = 1. En faisant le produit membres à membres des égalités précédentes on obtient : ( a × u + b × v ) × ( a × u ′ + c × v′ ) = 1 × 1 ⇔ a ( u × a × u ′ + u × c × v′ + b × v × u ′ ) + b × c ( v × v′ ) = 1 . U ∈ℤ V ∈ℤ Il existe donc deux entiers relatifs U et V tels que aU + b × cV = 1 , et ainsi a et b × c sont premiers entre eux par le théorème de Bezout. TS Spé Lycée Beaussier Mathématiques 1 Démontrons le deuxième point : il s’agit d’une généralisation par récurrence du premier point sur le nombre n ≥ 2 d’entiers relatifs bi mis en jeu. Amorce : Si n = 2, le résultat est donné par le premier point. Hérédité : On suppose la propriété vraie pour un nombre n d’entiers relatifs à savoir : si ∀i ∈ ℕ,1 ≤ i ≤ n a et bi sont premiers entre eux, alors a est premier avec le produit b1 × b2 × ... × bn . Montrons que la propriété est alors vraie pour un nombre n + 1 d’entiers relatifs : si ∀i ∈ ℕ,1 ≤ i ≤ n + 1 a et bi sont premiers entre eux, alors a est premier avec le produit b1 × b2 × ... × bn × bn +1 . Ecrivons b1 × b2 × ... × bn × bn +1 = c × bn +1 avec c = b1 × b2 × ... × bn , par hypothèse de récurrence, a et c sont premiers entre eux et comme a et bn +1 le sont aussi alors a et c × bn +1 = b1 × b2 × ... × bn × bn +1 sont premiers entre eux par le premier point démontré. On a donc bien vérifié que la propriété est vraie au rang n + 1. Conclusion : la propriété est démontrée par récurrence. Nous arrivons maintenant à l’énoncé du petit théorème de Fermat Il en existe deux énoncés équivalents qui sont tous deux à connaître : Petit théorème de Fermat : (Très fortement admis ^^) Soit p un entier naturel premier. • Enoncé 1 : pour tout entier relatif a, a p ≡ a ( p ) • Enoncé 2 : pour tout entier relatif a tel que p ne divise pas a, a p −1 ≡ 1( p ) Démonstration : Montrons déjà l’équivalence des deux énoncés : • Si l’énoncé 1 est vrai, alors pour tout entier relatif a, a p ≡ a ( p ) ⇔ a ( a p −1 − 1) ≡ 0 ( p ) ⇔ p divise a ( a p −1 − 1) si maintenant p ne divise pas a, comme p est un nombre premier, p est premier avec a (Voir « Nombres premiers entre eux », propriété 1) et donc par le théorème de Gauss p divise ( a p −1 − 1) ⇔ a p −1 ≡ 1( p ) ce qui est • l’énoncé 2. Si l’énoncé 2 est vrai : si a est un entier relatif qui n’est pas divisible par p alors a p −1 ≡ 1( p ) en multipliant chaque membre de cette congruence par a, on tire a p ≡ a ( p ) . Si maintenant a est divisible par p, alors a ≡ 0 ( p ) ⇒ a p ≡ 0 ( p ) et donc a p ≡ a ( p ) . Par suite, quel que soit l’entier relatif a, a p ≡ a ( p ) ce qui est notre énoncé 1. L’équivalence des énoncés est démontrée et montrer notre théorème reviendra à montrer uniquement l’énoncé 2. On considère donc un entier relatif a tel que p ne divise pas a. Remarquons que si k et k’ sont deux entiers naturels tels que 0 ≤ k < p et 0 ≤ k ′ < p alors ka et k ′a ont même reste dans la division euclidienne par p si et seulement si k = k ′ . En effet, si k = k ′ alors évidemment ka et k ′a ont même reste dans la division euclidienne par p puisqu’ils sont égaux. TS Spé Lycée Beaussier Mathématiques 2 Réciproquement si ka et k ′a ont même reste dans la division euclidienne par p, alors ka ≡ k ′a ( p ) ⇔ ( k − k ′ ) a ≡ 0 ( p ) ⇔ p divise ( k − k ′ ) a . Or par hypothèse, p est un nombre premier qui ne divise pas a, donc par la propriété 1 de la partie « nombres premiers entre eux » : p est premier avec a. Par application du théorème de Gauss on obtient : k − k ′ est un multiple de p. Or 0 ≤ k < p et 0 ≤ k ′ < p donc − p < k − k ′ < p et comme le seul multiple de p strictement compris entre − p et p est 0, alors k − k ′ = 0 ⇒ k = k ′. On vient donc de montrer que lorsque k décrit toutes les valeurs entières entre 0 et p − 1 , les nombres 0 ; a ; 2a ; 3a ; ... ; ( p − 1) a ont des restes tous deux à deux distincts dans la division euclidienne par p. Par suite les nombres 0 ; a ; 2a ; 3a ; ... ; ( p − 1) a sont congrus à des restes compris entre 0 et p − 1 tous deux à deux distincts. Comme il y a p éléments dans l’ensemble {0 ; a ; 2a ; 3a ; ... ; ( p − 1) a} et p restes possibles dans la division euclidienne par p on peut, en retirant l’élément nul associé au reste nul relier chaque élément de l’ensemble {a ; 2a ; 3a ; ... ; ( p − 1) a} à l’unique reste contenu dans l’ensemble {1; 2 ; ... ; ( p − 1)} dans la division euclidienne par p auquel il est congru. On peut alors écrire 1a × 2a × 3a × ... × ( p − 1) a ≡ 1 × 2 × ... × ( p − 1) ( p ) ce qui équivaut à : ( ) 1 × 2 × ... × ( p − 1) a p −1 ≡ 1 × 2 × ... × ( p − 1) ( p ) ⇔ 1 × 2 × ... × ( p − 1) a p −1 − 1 ≡ 0 ( p ) et qui équivaut finalement à p divise 1 × 2 × ... × ( p − 1) ( a p −1 − 1) (*) Cependant p est un nombre premier et ne peut diviser aucun des entiers naturels 1 ; 2 ; … ; p – 1 qui lui sont strictement inférieurs, par suite p est premier avec chacun des éléments de la liste précédente. (Voir « Nombres premiers entre eux », propriété 1). D’après la propriété montrée au début de cette partie, on déduit que p est premier avec le produit 1 × 2 × ... × ( p − 1) . En conclusion p divise 1 × 2 × ... × ( p − 1) ( a p −1 − 1) (*) et p est premier avec le produit 1 × 2 × ... × ( p − 1) donc par le théorème de Gauss, p divise a p −1 − 1 ⇔ a p −1 ≡ 1( p ) C.Q.F.D. Exercices sur le petit théorème de Fermat Exercice 1 • Montrer que ∀a ∈ ℤ, a 31 − a est divisible par 62. • Montrer que ∀a ∈ ℤ, ∀n ∈ ℕ* , a 30 + n − a n est divisible par 62. Exercice 2 ou le rêve de tout élève face aux identités remarquables réalisé… On considère deux entiers relatifs a et b et p un entier naturel premier, p Montrer que ( a + b ) ≡ a p + b p ( p ) Exercice 3 1. Soit p un nombre premier impair. a. Montrer qu’il existe un entier naturel k, non nul, tel que 2k ≡ 1( p) . b. Soit k un entier naturel non nul tel que 2k ≡ 1( p) et soit n un entier naturel. Montrer que, si k divise n, alors 2n ≡ 1( p) . c. Soit b tel que 2b ≡ 1( p ) , b étant le plus petit entier non nul vérifiant cette propriété. Montrer, en utilisant la division euclidienne de n par b, que si 2n ≡ 1( p) , alors b divise n. TS Spé Lycée Beaussier Mathématiques 3 2. Soit q un nombre premier impair et le nombre A = 2q − 1 . On prend pour p un diviseur premier de A. a. Justifier que : 2q ≡ 1( p) . b. Montrer que p est impair. c. Soit b tel que 2b ≡ 1( p ) , b étant le plus petit entier non nul vérifiant cette propriété. Montrer, en utilisant 1. que b divise q. En déduire que b = q. d. Montrer que q divise p −1, puis montrer que p ≡ 1(2q) . TS Spé Lycée Beaussier Mathématiques 4