REVUE ALGERIENNE DES SCIENCES DU LANGAGE

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NumÉro 2
REVUE ALGERIENNE DES
SCIENCES DU LANGAGE
« Langues, discours et espaces »
Numéro coordonné par
BERGHOUT NOUJOUD
BEDJAOUI WAFA
ISSN : 2507-721X
Directrice de la publication
Pr. Khaoula Taleb Ibrahim
Directrice du laboratoire « Linguistique, sociolinguistique et didactique des langues »
Responsables de la rédaction
Bedjaoui Wafa et Berghout Noudjoud
Comité de lecture N°2
Aci Ouardia (U. Blida 2), Amari Nassima (U. Alger 2), Ammouden M’hand (U.
Bejaia),Amokrane Saliha (U.Alger 2), Amrani Salima (U.Batna), Arezki Abdennour (U. Bejaia),
Asselah-Rahal Safia (U. Alger 2), Barssoum Yasmine (Université française d’Egypte), Bektache
Mourad (U. Bejaia), Boukhannouche Fatima-Lamia (U.Blida 2), Benaldi Hassiba (U.Alger 2),
Bestandji Nabila (U. Alger 2), Boumedini Belkacem (U. Mascara), Boussiga Aissa (U. Bouira),
Djebli Mohand Ouali (U. Alger 2), Dourari Abderezzak (U. Alger2), Guehria Wajih ( U. SoukAhras), Hedid Souheila (U. Constantine), Hessas Hakim (U. Alger 2), Marzouk Sabrina (U.
Bejaia), Merbouh Hadjer (CU. Ain Timouchent), Mfoutou Jean-Alexis (U.Rouen), Morsly Dalila
(U. Angers), Ouaras Karim (U. Mostaganem), Oulebsir Fadila (U. Alger 2), Outaleb-Pellé
Aldjia (UMMTO) Philippou Maria (U. Mostaganem), Sadouni Rachida ( U. Alger 2), Sini Chérif
(UMMTO).
Adresse électronique : revuealgeriennesdl @gmail.com
ISSN : 2507-721X
Alger, novembre 2016
2
Sommaire
Avant-propos………………………………………………………………………….…………..5
Les représentations sociales du code switching arabe dialectal/français chez les locuteurs
algériens (le contexte batnéen)
Radhia HADDADI……………………………………………………………………………..p.7
Le discours de quelques parents de la ville de Bejaia sur la transmission familiale des
langues aux enfants
Mahmoud BENNACER……………………………………………………………..…………p.22
L’emprunt lexical au carrefour des contacts linguistiques : cas de l’intégration de l’emprunt
lexical au français en arabe dialectal tunisien
Inès MZOUGHI………………………………………………………………..………………p.38
Hanoï : langue urbaine et identité
Đang Thi Thanh Thuy …………………………………………………………………..……..p.50
Dynamique et changement des phénomènes migratoires et des pratiques langagières dans
l’espace de la mobilité virtuelle
Hasna SEBIANE………………………………………………………………………….……p.70
L’anaphore pronominale dans le discours journalistique algérien
Nawal MOKHTAR SAIDIA ………………………………………………………….………p.90
L’effet du contexte sémantique dans l’identification, la compréhension et la production des
prépositions abstraites
Fatima Zohra KHALIL……………………………………………………………………p.102
3
Implicite et ambiguïté au service de l’humour : entre sens et argumentation
Kheira MERINE……………………………………………………………………...………p.114
La didactique du FLE : une discipline en construction
Abdelkrim KHETTAB………………………………………………………………………..p128
ً‫ﺧﺼﻮﺻﯿﺎت اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ وﺿﻌًﺎ وﺗﺮﺟﻤﺔ‬
141..................................................................................... ,,,......................................... ‫إﯾﻤﺎن ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‬
Compte-rendu d’ouvrage
Wafa BEDJAOUI…………………………………………………………………………….p.149
Résumés de quelques mémoires de master et de magistère soutenus au département de français
(Université d’Alger 2) au cours de l’année 2016…………………………………………….p.152
4
Avant propos
Le présent numéro de « RASDL » réunit des articles sélectionnés suite à l’appel à contribution
pour rendre hommage à Thierry Bulot traitant la thématique « Langues, discours et espaces ».
Les contributeurs de ce numéro ont voulu rendre hommage à ce grand maître (décédé le mardi
26 janvier à Rennes suite à une brutale maladie). Ce fondateur de la sociolinguistique urbaine
avait mené et dirigé de nombreuses recherches afin de théoriser cette nouvelle discipline qui
problématise l’urbanité et l’urbanisation linguistique. A ce propos, les différentes contributions
composant ce numéro sont inscrites dans des domaines variés : en linguistique, en
sociolinguistique générale, en sociolinguistique urbaine et en didactique des langues et des
cultures.
Le numéro s’ouvre par la contribution de Radhia HADDADI qui propose une étude qui traite des
représentations sociales liées à la pratique du code switching comme modalité discursive adoptée
par les locuteurs bi-plurilingues.
Mahmoud BENNACER s’interroge sur les pratiques de transmission familiale des langues aux
enfants. En effet, la question des langues dans l’espace familial algérien occupe, ces derniers
temps, beaucoup l’intérêt des chercheurs dans le mesure où la société algérienne en général et la
famille en particulier vivent des mutations socioculturelles diverses, liées à la fois aux exigences
socioéconomiques et au phénomène de la mondialisation.
Dans sa contribution, Inès MZOUGHI présente une problématique qui s'articule autour de la
question de l'intégration morphosyntaxique des emprunts lexicaux au français en arabe dialectal
tunisien. Son objectif est d'analyser et de décrire les différentes phases d'adaptation
morphologique et syntaxique par lesquelles passe l'emprunt lexical en s’intégrant dans la langue
d'accueil.
Đang Thi Thanh Thuy a pour objectif d’étudier le contexte urbain de Hanoï, en abordant la ville
par les discours qui la sous-tendent, et en prenant en compte la prégnance de la spatialité
urbanisée en s’appuyant sur l’affirmation de Thierry Bulot pour qui « la ville est donc une
matrice discursive. Elle fonde, gère et normalise des régularités plus ou moins consciemment
éllicitées, vécues ou perçues par ses divers acteurs ; régularités sans doute autant macrostructurelles (entre autres l’organisation sociale de l’espace) que plus spécifiquement
linguistiques et langagières » (Bulot, 2008).
5
Nawal MOKHTAR SAIDIA montre que l’anaphore pronominale constitue un test crucial pour la
problématique des marques de la cohérence et de la pertinence. Elle cherche également à voir à
quoi l’analyse des pronoms anaphoriques peut contribuer à la cohésion et l’organisation textuelle
du discours journalistique algérien.
La contribution de Fatima Zohra KHALIL a étudié les causes qui rendraient l’emploi des
prépositions abstraites difficile à maitriser.
Kheira MERINE a voulu montrer comment le texte combine entre ambiguité et implicite, d’une
part pour instaurer l’incompréhension qui sert l’humour et d’autre part pour débloquer la
situation, toujours à l’aide de mots articulés à deux niveaux : leur signification et leur
représentation.
Abdelkrim KHETTAB pose une réflexion autour de la« didactique », un concept protéiforme
qui est souvent confondu avec des concepts voisins. Il sera plus exactement question d’examiner
les contours de la didactique du FLE en précisant sa genèse ainsi que son évolution tant au
niveau conceptuel qu’épistémologique.
Imane BENMOHAMED étudie les caractéristiques du langage juridique en Algérie en prenant
en considération sa traduction et ses différentes utilisations institutionnelles. A travers un corpus
constitué à partir d’articles de la constitution algérienne, l’auteure fait montre de la francophonie
des discours officiels écrits.
Wafa BEDJAOUI nous fait part de sa lecture de l’ouvrage collectif dirigé par Bruno Maurer,
intitulé « Mesurer la francophonie et identifier les francophones. Inventaire critique des sources
et des méthodes », publié en 2015.
Les responsables de rédaction ont intégré, à la fin de ce numéro, les résumés de quelques
mémoires de master, de magistère et de thèse de doctorat soutenus au département de français de
l’Université d’Alger 2 au cours de l’année 2016.
Noudjoud BERGHOUT
Alger, le 19-11-2016
6
Les représentations sociales du code switching arabe dialectal/français
chez les locuteurs algériens (le contexte batnéen)
Radhia HADDADI
Université Batna 2
Résumé
Cette étude traite des représentations sociales liées à la pratique du code switching comme
modalité discursive adoptée par les locuteurs bi-plurilingues. Ces représentations pèsent
effectivement sur les pratiques langagières car les langues sont incontestablement considérées
parmi les critères indispensables permettant la caractérisation de la conscience collective et
individuelle, notamment dans le cas du plurilinguisme où les tensions idéologiques dûes au choix
d’une langue au lieu d’une autre ou en les alternant deviennent la préoccupation majeure des
locuteurs, au quotidien, entraînant ainsi de leur part, soit une valorisation soit une dévalorisation.
Abstract
This paper deals with social representations related to the practice of code-switching as a
discursive modality adopted by the bi-multilingual speakers. The findings of the study revealed
that these representations actually hanging over the language practices because languages are
undoubtedly considered among the essential criteria for the characterization of the collective and
individual consciousness, particularly in the case of multilingualism or the ideological tensions
due to the choice of a language instead of another where the alternates become the major concern
of the speakers, in their everyday use, thus, resulting from them either a valuation or a
depreciation.
Introduction
Depuis son émergence en tant qu’objet de recherche vers la fin des années 1960 et dont les
principaux initiateurs sont Fishman (1971, 1972), Gumperz (1964, 1967, 1989) et Blom et
Gumperz (1972), le code-switching est au cœur des études portant sur le bi-plurilinguisme, et se
présente comme une modalité discursive inévitable adoptée par les locuteurs.
7
Selon Sophie Alby dans son article «alternance et mélanges codiques » et en retraçant
l’évolution de la recherche sur le code-switching, deux axes peuvent être distingués : le premier
est « un axe plus structural, qui s’intéresse au fonctionnement linguistique des alternances et
cherche à identifier les contraintes systémiques présidant au code-switching (Myers- Scotton,
1993b : Muysken, 1995 ». Le deuxième « un axe plus social, conversationnel, qui porte son
attention sur le fonctionnement discursif des alternances (Auer, 1995) ou sur le rôle joué par le
code-switching dans la construction de l’identité des locuteurs qui le produisent (Myers-Scotton,
1993a ; Li, 2002, Gafaranga, 2001) » (Alby, 2013 : 43-70).
Nous nous inscrivons plutôt dans le deuxième axe car nous nous proposerons dans cette
contribution à connaître les raisons qui motivent les locuteurs à choisir telle ou telle langue dans
leurs pratiques langagières et de répondre à la question suivante : comment les Algériens
considèrent-ils le code-switching arabe dialectal / français? Et quelle image associent-ils à ce
phénomène langagier?
En se référant aux données sociolinguistiques propres à notre contexte, nous pensons que l’image
est doublement représentée. Il s’agit de deux attitudes linguistiques contradictoires : valorisation
d’une part et stigmatisation d’autre part, car selon la façon avec laquelle le code-switching est
appréhendé par les Algériens, les enjeux et les fonctions ne sont pas toujours explicites et doivent
être analysés sur tous les niveaux : linguistique, sociologique, psychologique et pragmatique.
1-
Cadre théorique de l’étude
1-1 Aperçu sur le contexte sociolinguistique algérien
Le paysage sociolinguistique algérien est fortement animé par l'existence de diverses langues.
Cette diversité qui est un atout, est maîtrisée différemment par l'ensemble des locuteurs, suite à
la politique linguistique1 menée et entretenue par l'état algérien au lendemain de l'indépendance.
Une politique linguistique qui a fait écarter indirectement les langues maternelles et a fait
promouvoir un « nationalisme linguistique outrancier » (Miliani, 2004 : 211).

Cette contribution est une synthèse d’une partie des résultats de notre thèse de doctorat en sciences du
langage soutenue en 2015.
1
- L’expression "politique linguistique" est souvent employée en relation avec celle de planification
linguistique. En Algérie la politique linguistique mise en place par l’Etat c’est bien la politique d’arabisation qui
tend à généraliser l’utilisation de la langue arabe.
8
Pour ce qui est de la langue arabe, on a vite agit pour sa valorisation et on lui a attribué le statut
de langue nationale en 1962. Un statut longtemps minimisé pendant la colonisation française. Il
est à rappeler que la langue arabe est divisée en plusieurs variétés.
- La première est l'arabe "classique", langue de la religion et du livre sacré sans altération, ni
modification.
- La deuxième est celle qu'on appelle l'arabe "moderne" ou "standard" est né de cette ouverture
du monde arabo-musulman sur le monde occidental et l'adoption de quelques termes relatifs à la
science et à la technologie. Cette variété est très répandue en termes d'usage (presse, discours
politique, enseignement, administration).
- La troisième variété quant à elle est orale, ne jouissant d'aucun statut politique. Elle est la
langue maternelle de la majorité des Algériens. Cette dernière est subdivisée elle aussi en un
grand nombre de parlers locaux variant d'une région à une autre (le parler algérois, constantinois,
oranais, saharien).
De ce fait, il existe un rapport diglossique entre les deux dernières variétés de la langue arabe : la
première sacralisée, bénéficiant d'un statut supérieur de par son usage, la deuxième, dotée d'un
statut inferieur étant la langue de tous les jours et non celle des institutions, des écoles, ou de
l’administration. Ce rapport diglossique qui, au regard des spécialistes n'a rien d'anodin est
envisagé selon certains comme un dysfonctionnement linguistique et culturel.
Hérité du colonialisme, le français qui s’est étendu dans la même période comme langue de
l’élite et du pouvoir est toujours présent dans l’administration, l’enseignement supérieur, les
écrits littéraires et journalistiques.
Le positionnement du français dans le répertoire linguistique batnéen est important, il en est de
même pour l’attitude linguistique de certains locuteurs qui trouvent que ne pas parler français est
le signe d’une manifeste arriération, même si sur ce point, nous pouvons distinguer en réalité et
d’une manière objective trois types de locuteurs : ceux qui utilisent souvent le français dans la
vie quotidienne , ceux qui l’utilisent d’une façon occasionnelle et ceux qui ne l’utilisent pas.
Malgré toutes les représentations sociales, le français dont le statut de langue étrangère est un
peu discuté « reste en position de force sur le marché linguistique algérien » (Derradji , 2006 :
49) et l’ambiguïté de la place qui lui est assignée est l’un des faits marquants du colonialisme qui
9
reste un facteur déterminant dans la planification et la politique linguistique menée par notre
Etat :
« L’héritage colonial est un facteur récurrent dans les politiques linguistiques des
gouvernements africains. Dans pratiquement tous les domaines (éducation,
communication, administration, politique et développement) la question a toujours
été de savoir s’il était souhaitable ou même possible de rompre avec les pratiques
existantes et si oui à quel prix ? » (Bamgbose, 1991 : 05).
Pour le chaoui qui est une variété de "tamazight", nous pouvons dire qu'il s'emploie
exclusivement dans les massifs des Aurès à l'instar des autres variétés qui sont localisées,
chacune dans sa région; ex: le kabyle en Kabylie, le mozabite dans la région du Mzab etc. Ce
n’est qu’après les pressions du mouvement culturel berbère en 2002 sur le pouvoir, que le
tamazight a été reconnue comme langue nationale et que son enseignement devient possible.
1-2 Le code-switchig comme phénomène résultant du contact des langues
Tout acte de parole est d’abord lié à des motivations langagières et à des excitations
neurologiques provoquant une pulsion communicative qui va être conceptualisée au niveau de la
structuration de l’inconscient. Ce dernier, et pour ce qui est du cas d’un sujet qui connaît
plusieurs langues, est constitué de divers agents structurants qui sont en opposition permanente
concrétisant ainsi l’emploi alterné, tantôt d’une langue, tantôt d’une autre.
Il s’agit, en effet, d’un mécanisme très complexe, auquel plusieurs facteurs peuvent contribuer.
Nous citons à titre d’exemple : l’intention des sujets parlants et les différents éléments
situationnels. Cet usage intercalaire, au sein du même discours est connu sous le terme de code
switching ou alternance codique comme le définit Gumperz (1989 : 57): « la juxtaposition à
l’intérieur d’un même échange verbal, de passages où le discours appartient à deux systèmes ou
sous-systèmes grammaticaux différents ».
10
1-2-1 Les causes du code-switching
Il apparaît, à travers la genèse de l’acte de parole chez le sujet bi-plurilingue que le recours à tel
ou tel code est dicté par un processus d’élimination de certains agents structurants, voire
idéologiques caractérisant chacune des langues existantes au niveau de l’inconscient.
En effet, insérer dans son discours des segments linguistiques différents est loin d’être une
procédure soumise au hasard car le code switching fait référence à différents phénomènes qu’il
est parfois peu aisé de distinguer : « Il ne peut se produire que lorsque certaines conditions sont
réunies : présence d’interlocuteurs bilingues en relation de familiarité, échange personnel plutôt
que transactionnel, et situation informelle » (Dabène, 1994 : 92).
Contrairement à cela Myers Scotton qui a repris les travaux de Gumperz et de Poplack trouve
que « les motivations de l’alternance restent accidentelles et idiosyncrasiques, c'est-à-dire
dépendantes de l’activité langagière du sujet et donc non prévisibles linguistiquement il n’ya pas
de généralisation théorique possible » (Canut & Caubet, 2002 : 10)
Le code switching qui constitue, en fait, une modalité discursive à part entière voire une
stratégie communicative1 adoptée par le locuteur, doit être étudié selon le principe de description
des pratiques langagières, expliqué par Fishman: «qui parle ? Quelle langue ? À qui ? Et quand
?». (1965) 2 , en posant la question autrement: «Qui fait du code-switching ? Avec qui ?
Comment ? Quand ? Et dans quelles conditions?». (Barillot, 2002 : 120)
Plusieurs éléments, sont donc à prendre en considération, entre autres:

La nature des interlocuteurs et le type des relations qui les relient : (relations
familiales, amicales, professionnelles etc).

Le choix du sujet.

L’état émotionnel du locuteur (colère, joie), etc.
1
- Dans les recherches anglo-américaines, ce phénomène est relié aux domaines du bilinguisme et de la
linguistique du contact, tandis qu’en France « ce champ d’analyse est apparu bien plus tardivement [et] s’est
développé tant dans des perspectives sociolinguistiques, interculturelles ou didactiques que linguistiques » (Canut,
2002 : 09).
2
- Cf le titre de son article «who speaks what language to whom and when? » (Fishman 1965)
11
2- Les représentations sociales du code-switching
Dans notre société, les code switchings: arabe dialectal/ français et parfois même (mais plus
rarement), berbère (chaoui)/ français sont les formes les plus récurrentes caractérisant les
pratiques langagières des individus, notamment des intellectuels ; puisque l’insertion du français
dans n’importe quel code (arabe ou berbère) 1 est, selon les différentes représentations sociales,
un signe de culture ou d’un niveau d’étude important.
2-1/ Les représentations sociales
Le sujet des représentations sociales est d’actualité dans les sciences humaines et sociales car elle
renvoie aux questions complexes de la distinction entre systèmes de pensées et systèmes de
valeurs.
Grâce à leur dynamisme, les représentations ont pu s’infiltrer dans plusieurs domaines tels que la
sociolinguistique et la didactique. Leur ancrage en sociolinguistique apparaît à travers les
comportements, les jugements, les préjugés, les stéréotypes, les attitudes (positives ou négatives)
des locuteurs, comme le confirme H.Boyer : « toute représentation implique une évaluation, donc
un contenu normatif qui oriente la représentation soit dans le sens d’une valorisation, soit dans le
sens d’une stigmatisation » (2001 : 42).
2-2 Le code-switching entre appréciation et dépréciation : l’enquête
Pour confirmer nos hypothèses de départ et pour vérifier la justesse de notre réflexion, nous
optons pour une étude de terrain. Nous nous appuyons sur une enquête par questionnaire 2 ciblant
une large population complétée par des entretiens semi-directifs. Une démarche méthodologique
classique combinant macro et micro-enquête. Cette dernière a toujours montré sa fiabilité en
matière de recherche sur les représentations sociales et les phénomènes épilinguistiques.
2-2-1/ Présentation du public : le public ciblé par notre acquête est composé de 84 personnes
appartenant aux différentes couches socio-professionnelles. Nous les avons sollicités et
approchés chacun dans son milieu professionnel.
1
- Le code switching : berbère (chaoui)/ français peut être interprété comme une volonté d’exprimer
une certaine appartenance enthno-linguistique.
2
- Voir annexes.
12
Profession des enquêtés
Sexe
enquêtés
Enseignants
Etudiants
Médecins
08
03
05
Féminin
21
31
16
Total
29
34
21
des Masculin
Total 84
Tableau n° 01 : Distribution des enquêtés selon le sexe et selon l’activité professionnelle
2-2-2/ Analyse quantitative et qualitative des résultats de l’enquête par questionnaire

Interprétation des graphiques
Graphique n°01: Approbation ou désapprobation
du mélange de langues
OUI
Le mélange de langues considéré comme moyen aidant à
mieux transmettre un message dans certaines situations de
communication et pouvant lui assurer efficacité et fiabilité,
est reconnu par la majorité des enquêtés.
En effet, 69.04% de notre public trouvent que le code
switching est une stratégie discursive qui joue un rôle crucial
22
26.19
%
NON
SANS REPONSE
4
4.76%
58
69.05
%
en matière d’intercompréhension, notamment dans les
contextes qui l’exigent.
Contrairement à cette conviction, 26.19% des enquêtés ne semblent pas du tout adhérer à cette
idée.
13
Graphique n°02: Principaux motifs du mélange
de langues
Le recours au code switching est
interprété
en
termes
de
compétence linguistique selon
35.71%
et
en
termes
d’incompétence linguistique par
Sans Réponse
9
10.71%
Autres
20
23.81%
Compétence
30
35.71%
29.76%. D’autres parlent encore
de facteurs extra-linguistiques et
évoquent
les
notions
« d’habitude » et de « nécessité »,
en
explicitant
Incompétence
25
29.76%
de la réponse
"Autres".
Notons qu’à cette question, nous attestons à de multiples réponses expliquant ce phénomène
discursif tant discuté : il pourrait être le résultat de nombreux facteurs : psychiques, linguistique,
sociologique et d’autres.
M68M1 : « On fait appel à une autre langue pour se faire comprendre ».
T41F : « Ils le font pour faciliter la compréhension ».
E01M : « Peut-être par prétention ».
E27F : « L’entourage exige cela ».
E39F : « Dans certaines situations de communication on est obligé de remplacer
quelques mots par leurs équivalents dans l’une ou l’autre langue ».
1
- Codification des enquêtés :
M : médecin, T : étudiant, E : enseignant.
68 : n° d’ordre dans le corpus.
M : masculin, F : féminin.
14
Graphique n°03:Fréquence du mélange de langues selon le
contexte ou la situation de communication
OUI
Concernant la pratique du code-switching, 57.14% soit la
NON
SANS REPONSE
majorité des enquêtés affirment le recours à cette pratique
36
42.86%
langagière face à un pourcentage 00% constaté pour dire
que le code-switching est devenu inévitable.
48
57.14%
Il y a 36 personnes de notre effectif ,soit 42.85% qui ne
donnent pas de réponse.
0
0.00%
Concernant l’usage du code-switching, nous avons relevé
les propos suivants :
E19M : «Je l’utilise (code-switching) dans le cas où mon interlocuteur l’utilise ».
E01M : « Pour moi c’est quand je n’arrive pas à exprimer une idée que requiert une
langue particulière ou plus exactement que je crois pouvoir exprimer plus clairement
dans telle ou telle langue ».
E22F : « Cela vient naturellement lorsqu’on est en face d’une personne bilingue ».
E21F : « Le code-switching s’impose à nous même si on veut être puritain ».
E77F : « Cela dépend du contexte, mais généralement c’est avec mes collègues et ma
famille ».
T63F : « Avec les amis, sur Facebook et dans les SMS ».
Graphique n°04: Les différentes langues mises
en interaction dans le code switching
A propos des différentes langues mises en
11
11
13.10%
13.10%
interaction par nos locuteurs, le type le plus
courant
est
celui
de
44
52.38%
l’arabe
dialectal/français, pratiqué par 52.38% de
18
21.43%
personnes ; vient en deuxième position
par
Arabe Dialectal / français
21.42% des enquêtés. Et en 3ème position
Arabe Classique / français
l’arabe
classique/français,
employé
Chaoui / français
Sans réponse
15
nous trouvons le troisième type de mélange de langues qui est le chaoui/français auquel
recourent 13.09% de notre population.
Cet ordre s’explique par le fait que l’insertion du français dans notre parler quotidien intervient
d’une manière spontanée alors que le 2 ème type d’alternance est souvent employé dans des
situations ou contextes formels.
Pour le dernier type d’alternance, on peut dire qu’il concerne pratiquement, les berbérophones
seulement, et de ce fait ils alternent le chaoui et le français pour confirmer d’un côté leur
appartenance ethnique et d’un autre pour montrer leur niveau intellectuel.
Graphique n°05: Les différentes représentations
liées à l'insertion du français dans le parler quotidien
En interrogeant nos enquêtés sur ce que
représente, pour eux, l’insertion du français
dans le parler quotidien, les réponses ont
affiché diverses représentations qu’on a pu
déceler à travers leurs propos et que nous
avons classées comme suit :

20
23.81%
4
4.76%
13
15.48%
30
35.71%
Façon de s'exprimer
(Habitude)
Aisance linguistique
Confiance et prestige
Domination Culturelle
17
20.24%
Sans Réponse
Une façon de s’exprimer,
pour 35.71% de notre public.

Une aisance linguistique, pour 20.23% de notre public.

Un prestige linguistique, pour 15.47% de notre public.

Une domination culturelle ou acculturation pour 04.76% de notre public.
Ces différentes représentations sociolinguistiques autant individuelles que collectives sont
construites par l’ensemble de la société qui les partage et les légitime, selon un certain nombre de
données, déjà abordées. Ces représentations ne peuvent malheureusement pas être dissociées des
différentes pratiques langagières.
E17F : « Dans ma tête, je ne l’introduis pas, ça va d’emblée ».
16
E21F : « La question ne se pose pas, à des niveaux différents le français s’invite
malgré nous, pour dire merci, non, au revoir ».
E01M : « Je tente toujours d’éviter cet acte, mais si je le fais c’est que cela s’est avéré
indispensable ».
T41F : « C’est pas étrange : tous les Algériens sont habitués à l’utilisation du
mélange de langues ».
E73F : « Démarcation identitaire et culturelle ».
E02F : « C’est normal, du fait de la colonisation ».
E19M : «Une domination culturelle à laquelle nous n’avons pas pu échapper ».
2-2-3/ L’enquête par entretiens semi-directifs ( interactifs ) est conçue en complémentarité
au questionnaire afin d’apporter le maximum d’informations quant aux représentations sociales
que se font les enquêtés concernant, le mélange de langues.
Le public ciblé par les entretiens est réduit au nombre de 12 enquêtés parmi ceux ayant déjà
contribué à notre enquête par questionnaire. Deux questions constituent l’axe principal des
conversations:

Que représente pour vous le mélange de langues ?

Pourquoi vous y optez-vous ?
Le choix entre les différentes langues composant le répertoire linguistique de nos
locuteurs ainsi que leur utilisation alternée selon les situations et les objectifs de communication
fait que le code-switching est différemment jugé en tant que stratégie communicative.
Ci-dessous, les jugements que font nos enquêtés de ce phénomène langagier. Nous les avons
classés, selon qu’ils soient valorisants ou dévalorisants.
17
Tableau n°02: Les différents jugements linguistiques du code-switching
Jugements valorisants
Jugements dévalorisants
- «A mon avis / c’est :: une façon de parler / et - « Franchement euh/ je :: le considère comme
pour dire aussi / que je connais telle langue une impureté linguistique // et personnellement
/// » (ENT n°12)
Euh je l’évite/ surtout dans les contextes
formels /// (cours ; réunions, soutenances) et
- « C’est un plus / ana <moi> je suis pour /
c’est une forme de créativité dans le langage //
et c’est aussi / une carte identitaire de notre
société /// » (ENT n°11)
- «Oui / souvent // ça fait partie de notre :
quotidien // et puis euh le français : évoque
mieux / certaines situations ///» (ENT n°10)
par contre // je le trouve normal / dans les
discussions ordinaires et quotidiennes // parce
qu’il s’agit de notre façon de parler /// » (ENT
n°03)
- « Euh :: d’un côté / je considère ça comme
une euh destruction de notre culture / et d’un
autre côté :: c’est un plus pour notre culture
- «Euh ça fait partie / de notre :: quotidien // /// » (ENT n°06)
c’est devenu \ une habitude // car / il y a
vraiment // des situations / où on doit alterner
/// machi lazem <pas obligatoire> mais de
préférence » (ENT n°09)
- «Si j’alterne ::, c’est généralement euh parce
que je ne trouve pas le mot // et ça ne pose ::
aucun problème pour moi / et puis c’est :: tout
le monde qui mélange les langues /// c’est
devenu une habitude /// ya3ni 3adi <c'est-àdire normal> » (ENT n°08)
- « Euh / c’est bien \ pour moi // c’est un
mélange de cultures /// » (ENT n°07)
- «C’est juste une : façon de parler / ça vient
18
comme ça / tji wah’dha <ça vient toute seule,
c’est-à-dire naturellement> » (ENT n°05)
- «Faire passer efficacement un message / c’est
aussi une question d’habitude /// » (ENT n°04)
- «Une manière de s’exprimer /// » (ENT n°02)
- «Une façon de parler /// » (ENT n°01)
- « Euh :: d’un côté / je considère ça comme
une euh destruction de notre culture / et d’un
autre côté :: c’est un plus pour notre culture
/// » (ENT n°06)
Nous avons remarqué que malgré les jugements dévalorisants du code-switching notés chez
certains de nos enquêtés le considérant comme une forme langagière impure qui pourrait avoir
un impact sur le développement de la langue, la totalité des interviewés confirment leur recours
au code-switching dont le type le plus fréquent reste l’arabe dialectal / français.
Etant majoritairement d’accord que le code-switching est une habitude ou une façon de parler,
les raisons divergent en fonction du contexte et de la situation de communication.

Le code-switching : les raisons !
En répondant à la question portant sur les motifs et les raisons qui pourraient gérer le codeswitching dans les échanges verbaux quotidiens, non formels, les enquêtés semblent être sur la
même longueur d’onde. Les raisons qu’ils ont exprimées les confirment ces propos:
« Faire passer efficacement un message » (ENT n°04)
« Pour renforcer une idée / ou :: pour introduire une connotation particulière qu’une
langue évoque mieux etc. /// » (ENT n°03)
« Oui / souvent // ça fait partie de notre : quotidien // et puis euh le français : évoque
mieux / certaines situations /// » (ENT n°10)
Les réponses relevées, et bien qu’elles soient proches les unes des autres dans leur contenu,
laissent entendre que l’alternance codique présente dans les discussions des enquêtés, qui sont
19
d’une classe socioprofessionnelle favorisée est envisagée comme une "alternance de
compétence".
Cette alternance est visiblement la plus fréquente du moment que nos locuteurs maîtrisent les
différents codes linguistiques, essentiellement, l’arabe et le français.
Conclusion
En guise de conclusion et à partir de notre enquête, nous pouvons dire que le code-switching
arabe dialectal/français considéré comme phénomène langagier issu systématiquement du
contact des langues est différemment jugé par nos locuteurs. Il se présente, le plus souvent,
comme une simple façon de parler voire un comportement langagier habituel , un prestige social
et un luxe oral mais parfois et contrairement à cela, il se présente comme un signe de malaise
culturel vu cette hétérogénéité linguistique qui se dégage et se laisse entendre.
Pour les locuteurs avec qui nous avons enquêté, le français notamment est plus qu’une langue
dite "professionnelle" ou de formation et les représentations qu’ils se font découlent de
l’incompatibilité entre le statut politique et social que requiert cette langue car nul n’ignore que
sur le plan politique le français est déclaré comme première langue étrangère mais sur le plan
social, cette langue a toute la latitude d’une langue seconde. Son cadre d’usage n’est pas
fortement fixé et limité et son brassage avec l’arabe dialectal constitue souvent une variété
linguistique recherchée.
De ce fait, les besoins communicationnels et le souci de se faire comprendre et de faire preuve
d’une compétence linguistique poussent les locuteurs en question à user du code-switching arabe
dialectal / français pour s’exprimer et éventuellement pour marquer une certaine appartenance
socioculturelle.
Références bibliographiques
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mélangent. Codeswitching en Francophonie, Paris, L’Harmattan, pp 119-134.
20
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DABENE, L. (1994). Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues, Paris,
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GUMPERZ, J. (1989). Sociolinguistique interactionnelle, Université de la Réunion,
L’Harmattan.
21
Le discours de quelques parents de la ville de Bejaia sur la transmission familiale des
langues aux enfants1
Mahmoud BENNACER
Université A-MIRA, Bejaia – Algérie
Résumé
Le présent article tentera de mettre en évidence la place des langues dans l’imaginaire
linguistique de quelques parents citadins de la ville de Bejaia. Notre contribution interrogera les
pratiques de transmission familiale des langues aux enfants. En effet, la question des langues
dans l’espace familial algérien occupe, ces derniers temps, beaucoup l’intérêt des chercheurs
dans le mesure où la société algérienne en général et la famille en particulier vivent des
mutations socioculturelles diverses, liées à la fois aux exigences socioéconomiques et au
phénomène de la mondialisation.
Dans le but d’appréhender le discours de quelques parents citadins sur la question de la
transmission des langues à leurs enfants, nous avons tenté de réaliser notre objectif de départ, en
soumettant à notre public d’enquête un questionnaire auto-administré, structuré selon plusieurs
parties distinctes. En prenant en considération la variable d’appartenance linguistique des
parents, ce présent travail nous a permis de déceler, à travers leurs discours sur les langues
transmises à leurs enfants, inscrits au niveau des centres de petite enfance de la ville de Bejaia,
le poids des représentations sociolinguistiques quant aux pratiques de transmission des langues.
Une telle contribution nous a permis, par ailleurs, de confronter les deux choix, d’une part la
politique linguistique familiale initiée au moment de la socialisation langagière de l’enfant;
d’autre part, celle prônée par l’État algérien.
Abstract
This article will attempt to highlight the place of languages in the linguistic imagination of some
citizens of the city of Bejaia parents. Our contribution will question the familial transmission of
practical language to children. Indeed, the language issue in the Algerian family occupies space
1
Nous soulignons que le contenu de la présente contribution a été communiqué au cours d’un colloque
international organisé par l’Université de Constantine et l’Agence Universitaire de la Francophonie du 16 au 18
novembre 2014.
22
in recent times, many researchers' interest in the extent of Algerian society in general and the
families in particular are experiencing various socio-cultural changes, related to both socioeconomic requirements and the phenomenon of globalization.
In order to understand the speech of some parents citizens on the issue of language transmission
to their children, we have tried to achieve our initial objective, subjecting our public
investigation a self-administered questionnaire, structured in several distinct parts. Considering
the variable of linguistic affiliation of the parents, this work allowed us to detect, through their
discourse on language passed on to their children, enrolled at the centers of early childhood in
the city of Bejaia, weight sociolinguistic representations regarding language transmission
practices. This contribution has allowed us also to compare the two choices, first family language
policy initiated at the time of the language socialization of the child; secondly, that advocated by
the Algerian state.
Introduction
On s’accorde beaucoup à dire que la cellule familiale constitue un espace favorable voire
fructueux pour l’analyse des questions linguistiques, surtout quand il s’agirait de la
problématique de la transmission familiale des langues aux enfants. Comme beaucoup de
microstructures, à l’instar de l’école et les organismes de travail, la cellule familiale constitue,
elle aussi, un espace à la fois de productions et d’influences. Elle est non seulement, "propulseur"
de nouvelles pratiques socioculturelles, auxquelles les sources principales sont inhérentes aux
représentations mentales des groupes, mais elle est également le vecteur essentiel de toute
mutation socio-langagière de la société. Nous pourrions admettre le postulat que, préalablement,
le foyer familial est le vecteur principal dans la formation du futur profil linguistique de l’enfant.
Car dans toutes les situations de plurilinguisme sociétal, le poids des parents, quant à la (aux)
première(s) langue(s) de socialisation de l’enfant, constitue un moment de choix décisif. Un tel
éclaircissement nous permet, donc, de mesurer l’importance de cette contribution, dans la mesure
où elle scrute les pratiques et les motivations des parents quant aux premières langues
transmises. Ceci dit que notre visée fondamentale est de pouvoir appréhender la réalité des
langues au sein de quelques familles citadines, car dans beaucoup de situations
sociolinguistiques familiales, l’enfant est préalablement confronté au plurilinguisme familial
avant de connaître celui de la société (IBTISSEM, 2008). Pour ainsi dire que l’intérêt des parents
23
pour les langues dans le milieu familial est dicté par le rôle que jouent les langues à l’échelle
sociétale et mondiale.
Dans cette optique, il est important de noter qu’en raison de plusieurs facteurs, la société
algérienne est aujourd’hui confrontée à des changements divers, touchant ses différents aspects,
notamment socioéconomiques et culturels. L’impact de ces mutations socioculturelles, qui sont
dues à la fois au phénomène de la mondialisation des besoins et aux bouleversements
socioéconomiques, est relativement remarquable au niveau de quelques cellules familiales
algériennes. Les effets de la globalisation des besoins des membres de la famille sont
observables sur le plan compositionnel, voire même fonctionnel, passant ainsi de la famille
traditionnelle à la famille nucléaire. Cette mutation familiale, tant sur le plan structurel que
fonctionnel, aura son poids d’influence sur plusieurs domaines entre autres celui de la
transmission familiale des langues aux enfants. Ainsi, ces différents changements occupent, à
l’heure actuelle, beaucoup l’intérêt des chercheurs, d’autant plus que la structure familiale
algérienne subit des reconstructions de fonds et de formes importants.
Nous considérons qu’en Algérie la problématique de la transmission familiale des langues se
heurte à de multiples interventions, d’autant plus qu’elle est prise entre deux mâchoires. D’une
part, le choix linguistique de l’État algérien qui se résume, jusqu’à aujourd’hui, à promouvoir la
langue arabe comme unique système de communication quotidienne ; d’autre part, le pouvoir
des langues étrangères qui se maintient, entre autres, grâce aux nouvelles technologies de
l’information et de la communication. En plus de ces différents paramètres, nous sommes amené,
par ailleurs, à évoquer l’aspect plurilingue de la société algérienne dont l’hétérogénéité
sociolinguistique est une réalité incontestable. Dans ce parcours, nous nous interrogerons sur la
situation des langues au sein de quelques familles algériennes, en essayant, dans ce cas de figure,
de mettre en évidence ce qui pourrait expliquer le choix linguistique des parents quant aux
langues transmises à leurs enfants (AISSAOUI, 2013). La réponse à cette interrogation nous
permettrait, peut-être d’appréhender
non seulement le degré d’influence de la politique
linguistique officielle, mais aussi de mesurer, en tant que domaine de recherche, l’importance
des représentations assignées aux langues:
« La langue est un savoir fortement lié au monde : à la fois celui de la réalité qui
l’entoure et celui de l’affectivité et de l’identité profonde de l’individu. Ce qui
compte donc, pour les sujets apprenants potentiels c’est autant la représentation
24
qu’ils se font de ce nouvel objet offert à leur apprentissage que l’objet lui-même ».
(DABENE, 1997 : 19)
Il est convenu, par ailleurs, que l’action de la politique linguistique 1 des officiels pourrait se
rapprocher de celle exercée au sein de la famille, car elles sont toutes les deux instaurées par
deux forces autoritaires qui sont l’État et la famille. L’autorité linguistique familiale que nous
associons au concept de politique linguistique familiale est définie par Christine DEPREZ :
« Cette politique linguistique familiale se concrétise dans les choix de langues et dans les
pratiques langagières au quotidien ainsi que dans les discours explicites qui sont tenus à leur
propos, notamment par les parents ». (DEPREZ, 1996 : 155).
Nous pourrions, ainsi, inscrire, d’ores et déjà, les choix linguistiques des parents, quant aux
langues transmises, dans l’optique de valorisation et de mise en place des langues dans l’espace
familial dans la mesure où l’action linguistique des parents - anticipée par rapport à celle exercée
par l’institution scolaire - sur les langues dévoilerait des fonctions hiérarchisées assignées aux
langues en présence. Une telle contribution se proposera, par ailleurs, comme une lecture
anticipée sur le devenir des langues. L’appréhension de la question des langues au sein de la
famille pourrait, peut-être, suggérer à l’échelle sociétale, un portrait linguistique de l’avenir des
langues, voire de leur devenir.
Nous voulons, dans ce présent travail, analyser la dynamique des langues transmises aux enfants
dans un espace géographiquement bien déterminé qui est la ville de Bejaia 2. Nous soulignons, à
ce sujet, que la caractéristique essentielle de notre terrain d’enquête est la pratique linguistique
plurilingue. Bejaia fait partie de la région de Kabylie dont les spécificités sociolinguistiques sont
essentiellement la pratique du kabyle. En plus de cette langue, plusieurs autres langues, à des
degrés différents, se partagent la région. Les deux langues arabes, à savoir le classique et le
populaire, occupent différemment leurs places. Ainsi, l’arabe classique se maintient par le biais
des institutions scolaires et administratives, alors que l’arabe populaire est employé dans
certaines zones urbaines de la ville. Le français, par contre, y est très présent à la fois dans
l’usage formel et informel. Sur le plan institutionnel, le statut de langue officielle en Algérie est
réservé exclusivement à la langue arabe, alors que celui de tamazight est uniquement national.
1
Nous devons souligner que pour des considérations politiques et idéologiques, la politique linguistique
monolingue de l’État algérien concerne l’ensemble des régions du pays.
2
Située au nord centre de l’Algérie, Bejaia est caractérisée par son aspect sociolinguistique plurilingue. Le
kabyle, l’une des variétés essentielles de tamazight, est la langue d’usage quotidien.
25
Cette disparité statutaire, remarquable entre les deux langues, à savoir l’arabe et le tamazight,
met institutionnellement en œuvre une forme de diglossie institutionnalisée, dans la mesure où
nous assistons à une hiérarchisation fonctionnelle des langues.
1. Cadrage théorique et méthodologique
Notre contribution d’article interroge les pratiques de transmission familiale des langues aux
enfants et les motivations des parents quant aux langues adoptées. De façon précise, il sera
question de mettre en exergue l’impact de l’appartenance linguistique des parents quant aux
choix de premières langues aux enfants. Nous considérons que l’appartenance linguistique des
parents, comme paramètres extralinguistiques, détermine leurs choix de langues transmises aux
enfants, car le profil linguistique
exerce une influence considérable dans l’entreprise de
transmission des langues :
« Les différentes études montrent des pratiques variées et variables, où les choix
de langues en famille dépendent des langues parlées respectivement par le père et la
mère, des langues du milieu, des interlocuteurs en présence, de leur sexe, des
moments, des sujets de conversations, de l’âge des enfants, des valeurs accordées aux
langues en présence, des projets d’insertion dans la société d’accueil et de l’idée
qu’on se fait du retour au pays si l’on vient d’ailleurs.» (MOORE, 2006 : 81)
Ceci nous permet d’affirmer que les variables extralinguistiques contribuent à élucider les
sources de variation des pratiques linguistiques au sein d'une communauté ou d'un groupe social
donné, voire même au sein des familles. Dans ce sillage, nous supposons que le choix des
langues est intimement lié aux variables extralinguistiques propres à nos informateurs en
l’occurrence leur(s) première(s) langue(s) de socialisation. Notre démarche, dans ce présent
travail, ne consistera pas uniquement à déterminer, sur le plan quantitatif le pourcentage de
parents qui adoptent telle ou telle langue, mais aussi à saisir, sur le plan qualitatif, leurs
motivations quant aux choix de langue(s).
Il est important de souligner que le milieu familial est un espace difficile à approcher, dans la
mesure où il constitue un espace d’intimité individuelle et sociale des membres d’un groupe. Et,
pour des raisons diverses, de natures socioculturels voire même religieuses, nous avions choisi
de rencontrer notre public d’enquête aux entrées des centres de petite enfance de la ville de
Bejaia, que nous appelons communément la crèche. Pour un besoin méthodologique, nous avions
conduit notre enquête sociolinguistique à l’intérieur de ces centres en choisissant les deux
26
moments de la journée (le matin et le soir). En effet, ce sont les seuls instants qui nous ont
permis de rencontrer notre public d’enquête, à savoir les parents. Et, dans l’objectif d’atteindre
les pratiques et les motivations des parents, nous avions adopté les paramètres méthodologiques
suivants:

Nous avions introduit la technique du questionnaire auto administrée, ayant
l’avantage de libérer l’informateur en lui offrant l’opportunité de remplir lui-même son
questionnaire. Ahmed BOUKOUS souligne les aspects avantageux du questionnaire :
« Le questionnaire occupe une position de choix parmi les instruments de
recherche mis à contribution par le sociolinguiste, car il permet d’obtenir des
données recueillies de façon systématique et se prêtant à une analyse quantitative ».
(BOUKOUS.1999 :15)

Sur le plan structural, notre questionnaire a été structuré en plusieurs parties
distinctes;

Enfin, pour plusieurs avantages d’ordres techniques, nous avions introduit le
logiciel informatique1 Sphinx Plus2 conçu pour plusieurs fonctions :
 Élaboration de questionnaire en fonction des objectifs de recherche ;
 Collecte de réponses : (saisie rapide des réponses) ;
 Traitement et analyses des réponses : dépouillement et analyse des réponses.
Le contenu du questionnaire initialement élaboré, est composé de vingt questions, et dans ce cas
de figure, nous nous sommes intéressé à deux questions principales, dans la mesure où elles
prennent en charge l’objet essentiel de cette contribution. Dans cette optique, nous tenterons
d’énumérer les questions relatives à notre présente contribution:
1
Nous avons introduit le logiciel informatique Sphinx Plus2 , online version 2008, pour garantir une analyse
objective du corpus.
27
Parties du questionnaire
-
L’identification
sociolinguistique
-
de l’informateur ;
Le(s) première(s) langue(s) acquise(s)
des parents informateurs (les deux
conjoints)
-
Les langues transmises à leurs
-
enfants ;
Quelle(s)
langue(s)
avez-
vous
transmises à votre enfant ?
-
Pourquoi ? (justifiez votre choix)
Tableau 1 : Les parties essentielles du questionnaire
Après avoir procédé au dépouillement du questionnaire, le travail d’investigation que nous
avions réalisé au niveau de sept centres de petite enfance de la ville de Bejaia a généré un corpus
de 301 informateurs, ces derniers représentent les parents d’enfants inscrits, soit 78,18% de
l’ensemble des questionnaires distribués.
Comme tout travail de recherche, l’enquête de terrain 1 que nous avions menée a été, pour nous,
une tâche difficile, d’autant plus que les enquêtés sollicités affichent parfois leur indifférence
quant au remplissage du questionnaire. A plusieurs fois, nous étions dans l’obligation de
demander la restitution des questionnaires distribués. L’enquête de terrain s’avère souvent
difficile, car l’enquêteur se heurte à une réalité parfois spécifique, voire complexe dont la raison
de sa complexité est liée, nous-semble-il, à la nature de l’être humain. Ce dernier se montre
souvent méfiant, lorsqu’il est question de déclarations relatives à ses pratiques sociales et
culturelles.
2. Analyse des résultats
2.1. Une transmission intergénérationnelle mélangée
Il est fondamental de souligner qu’à la question relative à leur(s) première(s)
langue(s)
acquise(s) avec leurs parents, nos informateurs se souviennent facilement des langues acquises
dans leur espace familial. Les résultats obtenus par le biais du questionnaire révèlent à la fois des
pratiques et des compétences linguistiques des parents interrogés. Dans cette optique, après avoir
interrogé nos informateurs sur les langues transmises par leurs parents aînés, il a été demandé
1
Nous soulignons, à cet effet, que l’enquête de terrain a été réalisée en avril 2014 ; en conséquence, ce travail a
nécessité un mois de travail.
28
dans un second temps, par l’intermédiaire du même questionnaire de voir " Quelle(s) langue(s)
avez-vous transmises à votre enfants ?" la figure ci-dessous met en évidence les pourcentages
des deux générations comme suit :
En effet, de première lecture, la figure ci-dessous traduit des pourcentages qui révèlent beaucoup
de significations quant à l’évolution des pratiques de transmission des langues entre deux
générations. En ce qui concerne la première génération, les deux tendances des deux langues
(kabyle / arabe populaire) détiennent la première place. La tendance de monolinguisme est
remarquable chez cette génération dans la mesure où les taux de 66% et 26% sont les plus
importants par rapport aux autres tendances. Le cadre linguistique familial de nos informateurs
dévoile une réalité linguistique particulière de leur époque. Les pourcentages de deux langues
(kabyle / arabe populaire) sont significativement importants à considérer d’autant plus ils mettent
en évidence le rôle primordial assuré par les langues vernaculaires dans l’espace familial à cette
époque ; ceci révèle, par ailleurs, la place qu’occupe l’arabe classique dans l’espace familial
algérien dans la mesure où il n’a jamais été une langue de transmission en Algérie.
Contrairement aux indices précédents, enregistrés chez la première génération, dont la tendance
au monolinguisme est remarquable quant aux langues transmises, la deuxième génération révèle,
par
Figure 1 : Langues acquises et langues transmises par les
contre,
la
plurilinguisme.
En
tendance
au
effet,
le
parents
Langue(s) aquises par nos informateurs
bilinguisme (kabyle/arabe populaire)
Langues transmises par nos informateurs à leur enfants
(arabe
kabyle/arabe populaire
français/arabe populaire
français/kabyle
(français/kabyle) enregistre des taux
2.00%
importants comparativement
à la
14%
3%
0%
0%
anglais
0%
0%
français
1%
arabe classique
0%
0%
kabyle
et
2.00%
1,00%
autre langue
arabe populaire
populaire/français)
précédente.
20%
Nous
constatons,
par
ailleurs, la présence exclusive du
français
dans
quelques
cellules
familiales, dont le statut officiel est de
langue étrangère en Algérie. Ainsi,
18%
hormis le français qui enregistre un
indice de 18.27% soit 55 informateurs
26.00%
22%
24%
66.00%
sur le chiffre global de 301, l’arabe
classique, par contre, n’enregistre
29
aucun pourcentage chez la deuxième génération.
Ainsi, à travers cette lecture globale, nous pourrions admettre l’idée de l’évolution des
pratiques de transmission des langues de la première à la deuxième génération, dans la mesure
où les indices recueillis nous montrent deux aspects sociolinguistiques différents. L’un prônant
le monolinguisme comme tendance de transmission, alors que l’autre se réfère au plurilinguisme
familial. Et globalement, la tendance au plurilinguisme dans l’espace familial est la
caractéristique essentielle de la deuxième génération.
2.2.L’appartenance linguistique des parents : source de variation des pratiques
de transmission familiale des langues
Le travail d’investigation que nous avions pu entreprendre, au niveau de quelques centres de
petite enfance de la ville de Bejaia, a révélé une dynamique linguistique au sein des familles.
Les parents ont beaucoup d’intérêt au choix de langues, car elles constituent le premier socle
linguistique et culturel de l’enfant. Cependant, dans cette perspective de recherche, notre travail
consistera essentiellement à confronter les résultats généraux que nous avions pus obtenir, à des
variables extralinguistiques afin de déceler les facteurs qui pourraient spécifier la politique
linguistique familiale de nos informateurs. Dans cette perspective, nous supposons que leurs
profils linguistiques, de première(s) langue(s) acquise(s) pourraient être révélateur de pratiques
de transmissions familiales des langues. Nous voudrions, dans ce cas de figure, mettre en
exergue leurs choix de langues en fonction de deux postures sociolinguistiques opposées : les
couples homogènes et les couples mixtes :
2.2.1. Les couples linguistiquement homogènes
Nous avons opté pour la prise en compte de cette variable afin de voir comment se profile le
choix de langues au sein des couples linguistiquement homogènes. Notre objectif, à travers cette
mise en relation, est de voir comment cette catégorie adopte leur choix quant aux langues
transmises à leurs enfants. La figure ci-dessous présente les pourcentages comme suit :
30
Ainsi, à travers cette représentation graphique, nous pourrions saisir une configuration
systèmatique de choix de langues. Les deux catégories de couples, à savoir les kabylophones et
les arabophones, adoptent leur choix en fonction de leur appartenance linguistique.
Respectivement, chez la première catégorie, le kabyle détient le pourcentage de 34,37% alors
que chez la deuxième catégorie l’arabe populaire détient le pourcentage de 43,75%. La tendance
au bilinguisme, par ailleurs, est plus remarquable chez les couples kabylophones que chez les
couples arabophones soit 43,75% contre 34.42% . Cependant, une telle description nous permet
de
kabyle
français
anglais
français/arabe populaire
français/kabyle
arabe populaire
arabe classqiue
autre langue
kabyle/arabe populaire
43.75%
45.90%
dire
que
l’émergence
du
plurilinguisme commence à partir de la
famille. Nous constatons également,
pour les deux catégories, l’adoption
exclusive du français comme première
34.42%
34.37%
langue de socialisation de l’enfant chez
quelques familles soit 21,87% contre
Figure 2 Les couples linguistiquement homogènes
21.87%
19.67%
19,67%.
Cette comparaison nous permet
d’affirmer que pour les deux catégories,
la variable prise en compte à savoir
0%
0%0%0%0%0%
128 couples kabylophones
0.00%
0%0%0%
0%0%
61 couples arabophones
l’appartenance linguistique des parents
détermine significativement leur choix
linguistique
dans
le
processus
de
transmission des langues. Les premières langues acquises, dans leur environnement familial, ont
un impact
considérable dans leur politique linguistique familiale. En dépit des indices
insignifiants, la tendence au bilinguisme est remarquable chez les deux catégories, leurs
premières langues acquises se trouvent associées à l’introduction du français ce qui permet à
cette langue de s’octroyer le statut de langue "maternelle" 1 au sein de ces cellules familiales.
1
En raison de son ambigüité sémantique, nous avons soigneusement évité d’employer le concept de "langue
maternelle" car, « en fait ce qui est ambigu dans l’expression, ce n’est pas tant les termes qui la constituent que leur
association dans la mesure où ils n’appartiennent pas au même domaine de référence » (DABENE 1994, p.15)
31
2.2.2. Les couples linguistiquement mixtes
Pour un but plus extensif sur le processus de transmission des langues, nous nous sommes
intéressé, par ailleurs, aux couples linguistiquement mixtes dont la première langue acquise des
membres du couple est différente. Un tel éclaircissement aura comme objectif d’éclairer le
processus des pratiques de transmission des langues au sein des ces couples, car la dynamique
des langues, dans ce cas de figure, nous paraît très complexe. Le pouvoir des pratiques de
transmission des langues se trouve confronté aux représentations sociolinguistiques des uns et
des autres à savoir les membres du couple. La figure ci-dessous résume les pourcentages comme
suit :
Après avoir répertorié les données recueillies en fonction de l’appartenance linguistique des
membres du couple, il s’est avéré que les femmes jouent un rôle essentiel dans le choix des
kabyle
français
anglais
français/arabe populaire
français/kabyle
arabe populaire
arabe classqiue
autre langue
kabyle/arabe populaire
langues. Pour les deux catégories, le
profil linguistique de la mère exerce
une influence considérable dans le
processus
40,90%
de
transmission
des
38.88%
langues aux enfants. En effet, le
kabyle
et
l’arabe
populaire,
premières langues de socialisation
23.33%
22.22%
des
18.18%
18.18%
14.44%
détiennent
les
pourcentages les plus importants
respectivement soit de 40.90% et de
9.09%
9.09%
4.54%
0% 0% 0%
mères,
1.11%
0%
0% 0% 0%
3 Les couples
linguistiquement
mixtes
90 PèresFigure
kabylophones
VS
22
Pères arabophones
VS mères
mères arabophones
kabylophone
38.88% ; ces indices sont talonnés
par
le
bilinguisme
(arabe
populaire/français)
(kabyle/français)
et
dont
les
taux
varient entre 23,33% et 18,18%.
Nous pourrions, ainsi, constater que les pourcentages avancés par nos informateurs révèlent
largement le rôle essentiel des mères dans le processus de transmission des premières langues
aux enfants. Pour les deux catégories, les indices des pères (kabylophones ou arabophones)
enregistrent des pourcentages inférieurs à ceux des mères (kabylophones ou arabophones) soit
22,22% contre 40,90% et 18,18% contre 38,88%. Les pourcentages de la figure ci-dessus nous
32
livrent, par ailleurs, une réalité particulière du français au sein de ces familles. En effet, pour les
deux catégories prises en compte, l’intrusion du français dans l’espace familial algérien, en
l’occurrence les familles de la ville de Bejaia, est un paramètre important. Cependant, il se trouve
que chez les mères kabylophones, le français enregistre des indices supérieurs par rapport à la
catégorie des mères arabophone soit 14,44% contre 9,09%. Ainsi, pour quelques familles, le
français est devenu la langue exclusive de transmission familiale, alors que pour les autres, il est
associé aux langues vernaculaires, à savoir le kabyle et l’arabe populaire.
2.3.Les motivations des parents quant aux langues transmises
Après avoir tenté de comprendre l’impact de l’appartenance linguistique des parents quant aux
pratiques linguistiques transmises à leurs enfants, il a été question, par le biais du même
questionnaire, de déceler leurs motivations par rapport à leurs choix. Un tel travail nous
permettra, du coup,
d’appréhender, de façon globale, à la fois leurs représentations
sociolinguistiques et leurs motivations quant à leurs choix de langues. Ainsi, les résultats
suivants, que nous présentons sous forme de représentation graphique, ont été recueillis grâce à
la question « pourquoi » dont l’objectif était d’appréhender leurs motivations :
Langue de l'avenir
Langue de l'université
Langue des études universitaires
Langue utilitaire
Langue de la famille
Langue de mes parents
Langue de notre histoire
55%
Langue maternelle
45%
45%
35%
32%
28%
20%
13%
10%
7%
3%
0%0%0%0%
Le kabyle
7%
0%0%0%0%
L'arabe populaire
0%0%0%0%
Le français
0%0%0%0%0%0%0%0%
0%0%
L'arabe classique
Figure 4 Les motivations des parents quant aux langues transmises
33
Une lecture attentive des réponses recueillies par le biais du questionnaire, nous a permis de
saisir qu’au sein des familles interrogées, leurs choix de langues sont liés à des paramètres
révélateurs d’un fond représentationnel, relatif aux images linguistiques assignées aux langues en
présence. Leurs motivations quant aux langues transmises, à savoir le kabyle, l’arabe populaire et
le français, sont construites selon les fonctions sociales et culturelles jouées par les langues en
Algérie. En guise d’analyse, nous avions pu déceler quelques aspects importants que nous
résumons comme suit :

L’héritage culturel véhiculé par les deux langues, à savoir le kabyle et l’arabe
populaire a marqué leur raisonnement. Ainsi, les choix motivationnels des parents révèlent
leurs attachements et leurs volontés de maintenir ces langues au sein leurs foyers familiaux.
Ils témoignent, entre autres, de l’ancrage et de la volonté de perdurer la tradition linguistique
héritée de leurs parents ;

Eu égard à son utilité sociale, scolaire et professionnelle, le choix du français, en
tant que première langue de transmission familiale a été perçu comme une nécessité, car il
assure l’avenir de leurs enfants. Le choix du français par les parents est lié aux fonctions
qu’il assure dans les différents secteurs d’activité. Une telle mise au point nous permet
d’affirmer, par ailleurs, que la demande sociale du français, exprimée à travers leurs
motivations, est liée à ses fonctions universitaires et socioprofessionnelles ;

L’adoption d’une politique linguistique familiale qui tient compte à la fois de leur
héritage linguistique et de l’avenir linguistique scolaire et professionnel de leurs enfants.
Ceci dit, en plus de leur attachement, exprimé à l’égard des langues vernaculaires, nos
informateurs anticipent également sur le devenir de leurs enfants en optant pour les langues
étrangères, en l’occurrence le français. L’engouement des parents pour cette langue, est
justifié, à notre sens, par leurs inquiétudes quant au projet linguistique de l’institution
scolaire algérienne, qui continue à proposer uniquement l’arabe comme la seule langue de
l’enseignement des matières.
3.
Synthèse
Ainsi, l’analyse des résultats déclarés par le biais du questionnaire, soumis à des catégories
socioprofessionnelles diversifiées, a révélé beaucoup de constatations que nous pourrions
synthétiser comme suit :
34

Le domaine des langues étrangères, en l’occurrence le français, occupe une place
importante dans l’imaginaire des parents d’enfants inscrits au niveau de ces centres. Ainsi,
les résultats que nous avions pus avoir, à travers l’enquête sociolinguistique, ont révélé
l’attachement des parents aux langues étrangères notamment le français comme première
langue de socialisation de leurs enfants. Le français, langue étrangère en Algérie, se trouve
très présent dans les choix linguistiques à la fois des couples (homogènes et mixtes). Ceci dit,
l’enfant algérien est confronté à une réalité plurilingue d’où la pratique quotidienne
plurilingue qui est le fruit de la politique linguistique familiale, favorisant ces dernières
années l’introduction de langue(s) étrangère(s) comme première(s) langue(s) de transmission
familiale ;

Cette présente contribution met en évidence, par ailleurs, la situation de la langue
arabe scolaire dans l’espace familial. En effet, le discours officiel sur les langues, valorisant
l’arabe en tant qu’unique langue d’enseignement des sciences au niveau de tous les paliers,
n’a pas pu influencer
les représentations sociolinguistiques de nos informateurs. Les
résultats obtenus ont mis en exergue l’absence totale de cette langue tant sur le plan des
pratiques linguistiques familiales que sur le plan de leurs motivations épilinguistiques. Ceci
dit, malgré son imposition au niveau des institutions scolaires, notamment à partir du
préscolaire, la langue arabe scolaire n’arrive pas avoir sa place au sein des familles
interrogées.

La variable prise en compte, relative à l’appartenance linguistique des parents, a
révélé des pertinences de différenciations des pratiques de transmission au sein de ces
couples. En ce sens, les femmes dont le rôle est essentiel au sein de leur foyer, exercent
beaucoup d’influence dans le processus de transmission des langues, leur profil linguistique
joue beaucoup d’importance. En effet en plus de l’éducation familiale de leurs enfants, les
mères assurent également leur éducation linguistique ;

Une telle investigation sociolinguistique sur la politique linguistique familiale
invoque la prise en charge de l’enfant algérien sur le plan linguistique, dans la mesure où son
profil linguistique, partagé entre les langues vernaculaires et le français, n’est jamais pris en
considération par l’institution scolaire. Enfin, un tel travail de recherche invoque la remise en
35
question de la dénomination des langues en Algérie faites par le discours officiel sur les
langues.
En guise de conclusion, l’enquête sociolinguistique que nous avions entreprise avec les parents
d’enfants a révélé des aspects importants quant à la question de la transmission familiale des
langues. Le milieu familial s’avère un espace de dynamique linguistique et de rapport conflictuel
entre les langues en présence. En effet, ce travail d’investigation a révélé le pouvoir des parents
sur le domaine des langues quant à la transmission linguistique familiale. Nous pourrions
admettre, à priori, l’affirmation que la problématique de transmission familiale des langues, à
l’heure actuelle, est révélatrice de plusieurs aspects à la fois socioculturels et représentationnels.
La variable prise en compte, dans ce contexte, est déterminante, d’autant plus elle révèle des
choix linguistiques inhérents à leurs profils linguistiques. Ainsi, les deux aspects retenus, comme
objet de cette contribution, pratiques de transmission de langues et les motivations des parents,
ont apporté une nouvelle vision quant à la politique linguistique familiale exercée au sein de
quelques foyers algériens. Les langues étrangères, en l’occurrence le français, semblent
convoitées par l’ensemble des catégories socioprofessionnelles, une telle mise au point nous
conduit, sans aucun doute, à appréhender la place qu’occupe le français au sein de quelques
familles ce qui nous permettra d’affirmer que le statut de langue étrangère, attribué au français,
mériterait d’être repositionné dans la mesure où il constitue, aujourd’hui, l’un des socles
linguistiques de quelques enfants algériens.
Références bibliographiques
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algérienne en France et en Algérie », in Synergie Algérie N°20, p.p 83-92.
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sciences humaines : Insaniyat, n° 41, Oran : CRASC, p.p. 27-39.
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sociolinguistique, Paris, L’Harmattan, p.15.
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langues et leurs images. Neuchâtel, Suisse, IRDP.
DABENE D., (1994), Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues. Paris,
Hachette.
36
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linguistiques. In: Julliard, C. / Calvet Louis Jean (éd.): Politiques linguistiques, mythes et réalités
(les). Actes des premières Journées scientifiques du réseau «Sociolinguistique et dynamique des
langues» de l’AUF, Dakar (Sénégal), 16–18 décembre 1995. AUF, Fiches du Monde Arabe,
155–161.
MOORE D., (2006), Plurilinguismes et école. Paris, Didier.
Annexes
Le tableau suivant met en exergue le nombre de questionnaires en fonction des structures
d’accueille des enfants :
Centres de petite enfance
(Crèche)
Questionnaires
Distribués
Récupérés
Validés
Génération d’espoir
55
52
47
Ma journée
55
51
46
Les Lauréats
55
52
42
Les colombes
55
48
42
Les amis de Dora
55
49
43
Bonne journée
55
54
44
Sara
55
41
37
Total de questionnaires
385
347
301
Les sept centres de petite enfance de la ville de Bejaia
37
L’emprunt lexical au carrefour des contacts linguistiques : cas de l’intégration de
l’emprunt lexical au français en arabe dialectal tunisien
Inès MZOUGHI
EISTI -Cergy
Résumé
Cet article porte sur les emprunts lexicaux au français en arabe dialectal tunisien. Notre
problématique principale s'articule autour de la question de l'intégration morphosyntaxique des
emprunts lexicaux au français en arabe dialectal tunisien. L'objectif de la présente étude est
d'analyser et de décrire les différentes phases d'adaptation morphologique et syntaxique par
lesquelles passe l'emprunt lexical en s’intégrant dans la langue d'accueil.
Abstract
This article deals with lexical words borrowed from the French language by the Tunisian Arabic
dialect. Our main point concerns the integration of lexical items from the French language into
the Tunisian Arabic dialect.
The objective of our research is to analyze and describe the morphological and syntaxic
adaptation of the various phases necessary to the integration of the lexical items borrowed from
the French language by integrating the host language.
Introduction
L’histoire de la Tunisie témoigne d’une pluralité qui s’est toujours exprimée dans la diversité
linguistique (Mejri, Mosbah, & Sfar, 2009, pp. 35-74). Les différentes civilisations qui ont
transité par ce pays ont laissé leurs empreintes dans le patrimoine artisanal, culturel et
linguistique tunisien (UNESCO, 2009).
Ces civilisations ont enrichi le dialecte tunisien en emprunts lexicaux d’origines multiples ;
parmi ces emprunts, nous avons choisi d’étudier principalement les emprunts au français, car ce
38
sont les plus importants d’un point de vue quantitatif, et les plus dynamiques et productifs du
point de vue du lexique (Baccouche, 1994, p. 64).
Dans le cadre de cet article, nous allons exploiter les résultats du dépouillement d’un corpus écrit
en arabe dialectal tunisien (Mzoughi, 2015, pp. 195-220). Ce corpus se compose de trois œuvres
littéraires, de genres et de styles différents, écrites entre 1997 et 2013 en arabe dialectal tunisien :
Klemellil (Jébali, 1997), une pièce de théâtre, Al amirassaghir (Balegh, 1997), une traduction du
Petit Prince (Saint-Exupéry, 1943/2007) en arabe dialectal tunisien, et Kalb ben kalb (Ben Brick,
2013), roman satirique.
À travers la description et l’analyse d’un échantillon d’emprunts lexicaux au français (révélé par
le dépouillement des trois ouvres), notre problématique aura pour but de mettre en évidence les
manifestations morphosyntaxiques les plus constantes qui s’opèrent dans le processus
d’intégration de l’emprunt lexical au français en arabe dialectal tunisien.
En examinant des exemples précis d’occurrences d’emprunts au français, nous nous
demanderons si ces mots « voyageurs » partagés entre la quête d'intégration dans la langue
d'accueil et la fidélité à leur langue d’origine conserveraient dans leur usage des marques de leur
système d’origine.
1. Les contacts linguistiques au cœur de la question de l’emprunt
La notion d’emprunt implique forcément un contact des langues, des peuples et des cultures :
Quand un groupe d’hommes parlant une langue définie se trouve en relation avec un autre
groupe utilisant une langue distincte, il arrive presque toujours que des mots, des éléments
grammaticaux, des significations s’introduisent d’un parler dans l’autre. Cette diversité des
formes de l’emprunt justifie la définition suivante que je reprends, en la traduisant, à Vittore
Pisani : « l’emprunt est une forme d’expression qu’une communauté linguistique reçoit d’une
autre communauté. » (Deroy, 1956, p. 18)
Le contact des langues est placé au cœur de la question de l’emprunt linguistique. Dans
Dictionnaire
de
linguistique,
Dubois
considère
l’emprunt
comme
le
phénomène
sociolinguistique le plus important des contacts de langues.
39
En effet, l’emprunt lexical est un phénomène universel. Il s’agit du moyen d’enrichissement
linguistique le plus observable au niveau des langues.
De son côté, Marina Yaguello affirme :
À de rares exceptions près (peuples isolés), toutes les langues subissent l'influence
d'autres langues en contact avec elles. L'emprunt lexical en est la marque la plus
spectaculaire. (Yaguello, 1988, p. 57)
Comme en témoigne cette citation, à l’exception des peuples isolés, toutes les langues en contact
s’influencent. La preuve la plus pertinente de ces influences est sans doute l’emprunt lexical.
Cependant, comme les contacts linguistiques se sont produits dans des contextes différents, cela
a eu une influence considérable dans l’intégration de l’emprunt. Lorsque des mots ont été
introduits dans un contexte colonial, leur intégration dépendra principalement de leur acceptation
et de leur représentation par les locuteurs.
En réalité, le mot « emprunt » ne décrit pas vraiment ce phénomène qui n'a d'emprunt que le nom
« puisqu'il ne saurait jamais, en la matière, être question de restitution » (Calvet, 1979, p. 87).
Une langue n’emprunte jamais les mots à une autre. L’usage du terme « emprunt » pourrait être
considéré comme un emploi métaphorique.
Comme l’affirme Henriette Walter :
Pour désigner tous ces mots que les langues du monde apportent à l’une d’entre elles,
les linguistes ont un euphémisme plaisant : ils parlent pudiquement « d’emprunts »
chaque fois qu’une langue prend des mots à sa voisine, tout en n’ayant pas la moindre
intention de les lui rendre un jour (Walter, 1997, p. 10).
La langue n’emprunte donc pas des mots à une autre langue pour les restituer, elle les prend etles intègre à son lexique en les adaptant à ses propres règles phonologiques, morphologiques et
syntaxiques. Passés d’une langue à une autre, certains emprunts deviennent difficilement
identifiables.
Dans la langue arabe, il y a de façon générale une reconnaissance de l’existence de l’emprunt.
On retrouve des termes différents désignant l’emprunt linguistique (Baccouche, 1994, p. 27) :
40
[taʕrib] « arabisation », pour distinguer les mots qui ont été adaptés au système de l’arabe, [daχi:l]
« intrus », [muʕarrab] « arabisé », ou encore [muħda θ] au sens de « nouvelle création ».
À l’époque actuelle, nous pouvons dire que le purisme face au phénomène de l’emprunt en arabe
s’est plus ou moins défigé grâce à l’évolution linguistique. Cela se constate aisément dans les
journaux et les médias arabes qui diffusent un arabe moderne et riche en emprunts.
Parallèlement à l’arabe littéral, il existe des dialectes arabes qui continuent d’évoluer et de
s’enrichir en emprunts de toutes sortes et provenant de différentes langues. Cependant, à cause
de la situation de diglossie arabe littéral / arabe dialectal (Laroussi, 2002, pp. 129-153), les
recherches sur les dialectes et sur les emprunts qu’ils contiennent restent encore assez limitées.
Dans le cadre des études sur l’arabe dialectal au Maghreb, nous pouvons citer trois œuvres
phares :

Mots turcs et persans conservés dans le parler algérien (Cheneb, 1922), portant
sur les mots turcs et persans qu’on retrouve dans l’arabe dialectal algérien. L’auteur a
dressé des listes intéressantes comprenant 634 emprunts de mots turcs et persans.

L’emprunt en arabe moderne (Baccouche, 1994) présente une étude des emprunts
en arabe tunisien. Dans cet ouvrage, l’auteur procède à une recherche des occurrences
d’emprunts linguistiques dans les deux registres, littéral et dialectal, de l’arabe tunisien.
On y trouve des listes d’emprunts dégagés d’un corpus écrit, accompagnés de critères
d’identification clairs, et d’une description phonétique, morphosyntaxique et sémantique.

Les questionnaires de l’Atlas linguistique de Tunisie (Baccouche & Mejri, 2004) ;
s’inscrivant dans le cadre de la géographie linguistique, cet ouvrage a pour objectif de
fournir une description systématique de l’arabe dialectal tunisien, en se basant sur trois
questionnaires : phonologique, morphologique et lexical. Bien que cette œuvre ne
concerne pas directement l’emprunt, elle rend compte d’un certain nombre
d’occurrences d’emprunts produits dans le parler spontané des Tunisiens, et fournit des
indications intéressantes pour l’étude de l’intégration de l’emprunt. (Mzoughi, 2015, pp.
56-57)
41
À travers cette recherche, nous espérons contribuer à combler en partie la lacune que l’on
constate dans les études portant sur les emprunts en arabe dialectal.
2. Intégration morphosyntaxique des emprunts lexicaux au français en arabe dialectal
tunisien
En passant d’une langue à une autre, l’emprunt subit des transformations, principalement sur le
plan phonologique/phonétique et morphosyntaxique (Queffélec, 1998, pp. 245-256), ce qui
conduit à parler de son degré d’intégration dans la langue emprunteuse.
L’arabe dialectal tunisien reste globalement assez proche de l’arabe littéral au niveau phonétique
et phonologique, mais présente néanmoins des différences sur le plan lexical et
morphosyntaxique. Les systèmes du français et de l’arabe étant très différents, en intégrant
l’arabe dialectal tunisien, l’emprunt lexical au français subira des adaptations morphosyntaxiques
en plus des adaptations phonologiques. Ces adaptations se manifestent par l’adjonction d’affixes
de l’arabe dialectal tunisien au radical français (Mzoughi, 2015, pp. 278-282).
En intégrant la langue d’accueil, l’emprunt ne conservera en général que son radical. L’affixation
est un élément considérable dans la composition des mots dérivés, elle aura une signification
conséquente au niveau de leur intégration morphosyntaxique. Nous nous intéresserons aux
manifestations les plus pertinentes et les plus productives de cette intégration.
2. 1. Intégration du genre et du nombre
2.1.1. Intégration du féminin tunisien
En arabe dialectal tunisien, le féminin est généralement marqué à la fin du mot par le son [a]
(Caubet, Simeone-Senelle, & Vanhove, 1989, pp. 39-66) qui sert à différencier le masculin du
féminin. Ainsi, on dira [kɛlb] pour « chien » et [kɛlba] pour « chienne».
Les emprunts lexicaux au français ne conserveront pas la marque du genre du français en
intégrant le dialecte tunisien, ils intégreront celle de la langue d’accueil. Les emprunts lexicaux
au français seront donc marqués par l’adjonction du suffixe [a] à la fin du mot pour marquer le
genre féminin. Quant au genre masculin, il n’est pas marqué en arabe dialectal tunisien ; en
42
l’absence de cette voyelle finale au singulier, le mot est considéré par défaut comme masculin
dans la majorité des cas1.
Exemples
« ‫ » اﻟﺒﺎﻧﻜﺔ‬/ [lba:nka] « la banque » (Balegh, 1997, p. 65) et (Ben Brick, 2013, p. 139)
« ‫ » ﺑْﻼﻛﺎ‬/ [blaka] « plaque » (Jébali, 1997, p. 74)
« ‫ » ﻛﻤﯿﻮﻧﺔ‬/ [kɛmju:na] « camionnette » (Jébali, 1997, p. 104)
« ‫ » اﻟﺮوﻧْﺪ ْه‬/ [erru:nda] « la ronde » (Ben Brick, 2013, p. 21)
« ‫ » ﺗ ْﻠﻔْﺰه‬/ [tɛlfza] « télévision » (Jébali, 1997, p. 67) et (Ben Brick, 2013, p. 77)
Bien que cette règle s’applique à la plupart des emprunts au français, on retrouvera certaines
exceptions lorsque l’emprunt lexical est un xénisme, comme c’est le cas dans les emprunts tels
que : [kra:fa:t] « cravate » (Ben Brick, 2013, p. 113), [biskle:t] « bicyclette» (Ben Brick, 2013,
p. 38) et [mu:bi:le:t] « mobylette » (Ben Brick, 2013, p. 172) qui ont gardé la marque du genre
de la langue d’origine.
De même que le nom, l’adjectif intégrera lui aussi cette marque de féminin à l’exemple de
l’emprunt : [mgɛri:sa] « graissée » (Ben Brick, 2013, p. 11).
2.1.2. Intégration du pluriel tunisien
Souvent, c’est la pratique de la langue et le recours au lexique qui servent de références
pour le pluriel en arabe dialectal tunisien. « Néanmoins, nous pouvons distinguer certaines
formes de pluriel assez constantes et fréquentes » (Mzoughi, 2015, p. 129) qui s’obtiennent par le
simple ajout du suffixe [ɛ:t] ou [a:t] à la forme du singulier, de sorte que le radical du mot au
singulier ne se trouve pas réellement affecté. Contrairement à l’arabe littéral, cette forme de
pluriel externe s’applique autant pour le féminin que pour le masculin.
1
Certains cas de noms féminins n’obéissent pas à cette règle et ne porteront pas cette marque du féminin. C’est
le cas du mot [tma:tem] « tomate » qui est un nom féminin, mais qui n’est pas marqué. Dans ce cas, c’est la pratique
de la langue et le lexique qui déterminent le genre.
43
En intégrant l’arabe dialectal tunisien, les emprunts au français vont adopter le plus souvent cette
marque de pluriel externe, à l’exemple des emprunts : [ɛlfa:tu:ra:t] « les factures » (Ben Brick,
2013, p. 77), un nom féminin pluriel et [ɛrru:su:ra:t] « les ressorts », un nom masculin pluriel
(Ben Brick, 2013, p. 165), ou encore [ɛlbi:ru:wɛ:t] « les bureaux » (Jébali, 1997, p. 97), un nom
masculin pluriel et [ʔu:ti:stɛ:t] « des hôtesses » (Jébali, 1997, p. 101).
D’autres emprunts vont intégrer une forme différente de pluriel tunisien, et celle qui contient le
plus de variétés. Il s’agit d’un pluriel avec une modification à la fois interne (infixe) et externe
(suffixe) du mot. Dans le passage du singulier au pluriel, on observe la chute de la première
voyelle courte et un allongement par une voyelle longue en [a:] ou encore en [ɛ:] (Mzoughi,
2015, pp. 136-137). Cet allongement vocalique va entrainer la fermeture de la dernière syllabe
du mot.
Exemples
[bla:ka] « une plaque » → « ‫ » اﻟﺒﻼﯾﻚ‬/ [ɛlbla:jik] « les plaques » (Jébali, 1997, p. 96)
[tɛlfza] « télévision » → « ‫ » اﻟﺘْﻼﻓﺰ‬/ [ɛttlɛ:fiz] « les télévisions » (Ben Brick, 2013, p. 18)
2.1.3. Intégration du duel
En arabe dialectal tunisien, le duel marque surtout les noms utilisés pour des mesures, des
quantités et des durées, ainsi que pour designer certains termes allant généralement par paires.
Cette forme spécifique à l’arabe littéral et dialectal sera elle aussi intégrée par emprunts au
français (Mzoughi, 2015, pp. 283-284). Le duel simple sera marqué en arabe dialectal tunisien
par un suffixe en [i:n] pour les noms masculins et en [ti:n] pour les noms féminins.
Exemples
[bana:na] « une banane » → [bana:nti:n]
[mɛlju:n] « un million » → [mɛljuni:n]
Quant au duel composé, il sera formé de l’adjectif numéral [zu:z] signifiant « deux » suivi du
pluriel de l’emprunt.
44
Exemples
[gattu] « un gâteau » → [zu:zgattuwɛ:t] « deux gâteaux »
[pi:la] « une pile » → [zu:zpi:lɛ:t] « deux piles »
2.2. Intégration syntaxique et changement de genre et de nombre
Dans leur passage en arabe dialectal tunisien, les emprunts au français ne conserveront pas
toujours la même marque de genre et de nombre que dans la langue d’origine. En effet, en
intégrant la syntaxe de l’arabe dialectal tunisien, certains emprunts vont changer de genre. C’està-dire que certains emprunts qui sont des noms masculins dans la langue d’origine deviendront
des noms féminins en arabe dialectal tunisien, à l’exemple de l’emprunt « foulard » qui a donné
un féminin [fula:ra] (Balegh, 1997, p. 65) en arabe dialectal tunisien, et« cartable » qui a donné
un féminin [karta:bla] (Ben Brick, 2013, p. 42).
De même, d’autres noms féminins en français deviendront des noms masculins en passant dans
la langue d’accueil, c’est le cas de l’emprunt « cigarette » qui a donné un nom masculin [siga:ru:]
(Ben Brick, 2013, p. 11) en arabe dialectal tunisien.
On constate le même phénomène qui se produit aussi au niveau du nombre, certains noms
pluriels français en passant dans la langue d’accueil donneront lieu à des noms singuliers, et
réciproquement. Ainsi, le mot « espadrilles », un nom pluriel en français a donné en arabe
dialectal tunisien [sbɛ:dri:] (Ben Brick, 2013, p. 80) qui est un nom singulier dont le pluriel est
[sbɛ:dri:jɛ:t]. De même, le mot « maths » qui est un nom féminin pluriel en français a engendré
un nom singulier en arabe dialectal tunisien [ma:tˤ] (Ben Brick, 2013, p. 68).
2.3. Dérivation et néologisme
On constate, au-delà du phénomène de l’emprunt, la création de mots nouveaux à partir des
emprunts au français intégrés à la langue d’accueil. Grâce à l’affixation, des mots dérivés sont
créés fréquemment en arabe dialectal tunisien, ce qui va favoriser une morphologie nouvelle du
mot, souvent accompagnée d’une extension du sens, ou d’un changement sémantique.
45
2.3.1. Formation de verbes par dérivation
En arabe dialectal tunisien, de nombreux verbes se sont formés par dérivation à partir du lexème
nominal français. C’est le cas des emprunts tels que « crédit » dont dérive le verbe [kɛrdɛ] (Ben
Brick, 2013, p. 23), signifiant faire un crédit, l’emprunt « grève » qui a permis la création du
verbe [gɛrrif] (Ben Brick, 2013, p. 31), signifiant faire grève, ou encore l’emprunt « sauvage »
dont découle le verbe [tsu:fiʒ] (Ben Brick, 2013, p. 140) qui veut dire devenir sauvage. On
remarquera par ailleurs que ces néologismes verbaux n’ont pas leurs équivalents exacts en
français.
2.3.2. Des adjectifs formés sur le lexème nominal français
L’adjectif en arabe littéral, ainsi qu’en arabe dialectal, se forme à partir du nom. Certains
adjectifs attestés dans le dialecte tunisien ont été formés sur ce modèle à partir d’emprunts
nominaux français.
Exemples
- Graisse : nom français, a donné [mgɛri:sɛ] (Ben Brick, 2013, p. 11) qui veut dire « graissée »,
participe à valeur d’adjectif en arabe dialectal tunisien.
- Cirage : nom français, a donné [msˤiriʒ] (Ben Brick, 2013, p. 26), un participe à valeur
d’adjectif en arabe tunisien, signifiant « ciré ».
Nous pouvons rajouter à ces deux exemples un emprunt d’actualité, en rapport avec les nouvelles
technologies et l’informatique plus précisément. Il s’agit de l’emprunt [mverjiss] qui est un
dérivé du mot « virus », et qui signifie avoir été contaminé par un virus informatique. Cet
emprunt a conquis l’ensemble des dialectes maghrébins ces dernières années.
Bien que nous nous soyons appuyés dans le cadre de cette étude sur un corpus essentiellement
écrit, il est néanmoins nécessaire de préciser que ces manifestations morphosyntaxiques se
vérifient aussi aisément à l’oral, dans les médias et dans le parler spontané des Tunisiens.
Comme le prouve le questionnaire morphosyntaxique mené dans le cadre des questionnaires de
L’atlas linguistique de Tunisie (Baccouche & Mejri, 2004, p. 47), des emprunts comme :
46
[karta:bla], [sa:k], [ra:dju] et [tɛlfzɛ] sont employés par des locuteurs d’âge, de sexe et de niveau
culturel et social différents.
De même, les entretiens menés dans le cadre de l’étude de L’intégration des emprunts lexicaux
au français en arabe dialectal tunisien (Mzoughi, 2015, pp. 220-261) démontrent que la
fréquence de production spontanée d’emprunts par minute à l’oral chez une locutrice illettrée et
qui n’a jamais appris le français est la même que chez les locuteurs francophones interviewés du
même âge. Cette locutrice a produit spontanément à l’oral les emprunts : [magazɛ̃] « magasin »,
[tɛksijɛ:t] « des taxis », [trɛ̃] « train », [telifu:n] « téléphone », [marʃi] « le marché », [ga:z]
« gazinière », [telfzɛ] « télévision », [fu:la:ra], « foulard », [ɛtˤtˤablijjɛ] « le tablier », [mu:nikijr]
« manucure », [limɛ:ʃ] « les mèches ». Nous voyons là une belle illustration du phénomène
d’intégration des emprunts au français en arabe dialectal tunisien à la fois sur le plan
phonologique et sur le plan morphosyntaxique.
Conclusion
Pour conclure, nous souhaitons d’abord préciser que la liste d’emprunts que nous présentons
dans cette étude n’est pas exhaustive, de même que nous n’épuisons pas le sujet à travers nos
analyses. Notre ambition dans le cadre de cet article est de faire apparaître, à travers un corpus
précis, les éléments qui nous semblent être les plus constants, les plus fréquents et les plus
pertinents dans l’intégration morphosyntaxique de l’emprunt.
En nous appuyant sur des exemples précis d’emprunts lexicaux au français, nous avons pu
démontrer l’importance du phénomène d’affixation dans le mécanisme d’intégration
morphologique et syntaxique des emprunts, conduisant quelquefois à la formation de
néologismes.
Nous constatons, au terme de cette recherche, que malgré la différence considérable de
l’organisation syntaxique de deux systèmes linguistiques, des mots français ont réussi à intégrer
le dialecte tunisien, au point de devenir indissociables du reste du lexique.
Bien que nous observions dans la majorité des emprunts cités une certaine fidélité à la langue
source qui se traduit par la conservation du radical du mot emprunté, les modifications
morphosyntaxiques constatées prouvent néanmoins que la quête d’intégration demeure plus
grande et bien plus importante.
47
En intégrant la langue d’accueil, l’emprunt lexical intègre non seulement un système linguistique
diffèrent, mais aussi la culture et la psychologie de ses locuteurs. Une fois installé dans la langue
d’accueil, l’emprunt lexical est comme « naturalisé », il se détache de son origine pour
représenter une identité et une réalité nouvelles.
Aujourd’hui, les locuteurs tunisiens, sans distinction de niveau social, d’âge, ni d’instruction,
emploient spontanément et inconsciemment des emprunts au français dans leur communication
quotidienne.
Références bibliographiques
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BACCOUCHE, T. et MEJRI, S. (2004), Les questionnaires de l’Atlas Linguistique de Tunisie,
Sud Éditions & Maisonneuve & Larose.
BALEGH, H. (1997), Al amir assaghir, Tunis, La maison nationale du livre.
BEN BRICK, T. (2013), Kalb bin kalb, Tunis, SOTEPA GRAPHIC.
CALVET, L-J. (1979), Langue, corps, société, Paris, Payot.
CAUBET, D. SIMEONE-SENELLE , M-C. et VANHOVE, M. (1989), « Genre et accord dans
quelques dialectes arabes », Genre et langage (Actes du colloque tenu à Paris X-Nanterre les 1415-16 décembre 1988), Linx, n° 21, pp. 39-66.
CHENEB, M-B. (1922), Les mots turcs et persans conservés dans le parler algérien, Alger :
thèse complémentaire.
DEROY, L. (1956), L'emprunt linguistique, Paris, Les Belles Lettres.
JEBALI, T. (1997), Klem ellil, Tunis, Dar al janoub li al nachr.
MEJRI, S., MOSBAH, S., & SFAR, I. (2009). « Plurilinguisme et diglossie en Tunisie ».
Synergies Tunisie, n° 1, pp. 53-74.
48
MZOUGHI, I. (2015), Intégration des emprunts lexicaux au français en arabe dialectal tunisien
: thèse de doctorat, Université de Cergy-Pontoise.
QUEFFELEC, A. (1998), « Des migrants en quête d’intégration : les emprunts dans les français
d’Afrique », Le français en Afrique, n° 12, pp. 245-256.
SAINT-EXUPERY, A. (1943/2007), Le Petit Prince, Paris, Gallimard.
UNESCO. (2009), Diversité culturelle et dialogue interculturel en Tunisie, Rabat, CLT.
WALTER, H. (1997), L'aventure des mots français venus d'ailleurs, Paris, Robert Laffont.
YAGUELLO, M. (1988), Catalogue des idées reçues sur la langue, Paris, Seuil.
49
Hanoï : langue urbaine et identité
ĐẶNG THỊ THANH THÚY
Université Nationale de Hanoï
Résumé
La sociolinguistique urbaine pose la nécessité de concevoir les espaces dits de ville comme des
lieux de production des normes (socio-spatiales, langagières et identitaires). En analysant des
discours épilinguistiques et topologiques tenus par les jeunes Hanoïens, cet article tente de
montrer que la mise en mots de l’identité hanoïenne catégorise non seulement les lieux de ville
mais aussi les locuteurs du hanoïen. Les habitants attribuent à l’espace des caractéristiques
linguistiques, langagières valorisant l’identité hanoïenne. Nos analyses ont montré que le lien
étroit entre espace, langue et identité hanoïenne obéit au mécanisme de la centralité urbaine.
Abstract
Urban sociolinguistic study the need to conceive urban spaces as places of production of norms
(socio-spatial, linguistic and identity). By analyzing epilinguistic and topological discourses held
by young Hanoians, this article tries to show that the putting into words of the Hanoians' identity
categorizes not only the city space, but also the class-level of the speakers there. The inhabitants
attribute to space linguistic characteristics which enhances the Hanoians' identity. Our analyzes
have shown the close link between space, language and Hanoians' identity based on "the
mechanism of urban centrality."
Introduction
En sociolinguistique urbaine, étudier la ville via des discours épilinguistiques et topologiques et
conceptualiser la ville comme un espace urbain porteur de tensions à la fois (géo)politique,
sociale, identitaire et linguistique… invite les chercheurs à étudier les rapports complexes entre
espace, langue et identité et à construire une approche spécifique en fonction des espaces urbains
étudiés. La sociolinguistique urbaine pose la nécessité de concevoir l’espace dit de ville comme
des lieux de production des normes (socio-spatiales, linguistiques, langagières). Et selon Thierry
Bulot, penser la ville comme un espace plurilingue où se jouent, via les pratiques
linguistiques/langagières, les tensions structurantes dudit espace permet de concevoir la ville
comme un processus, une démarche discursive de référence pour ses différents auteurs (Bulot,
50
2002, 2011). Ainsi les chercheurs pourront-ils appréhender le « poids urbain » de ce qui est
espace, langue et identité de la ville.
Etudier la ville en tant qu’espace urbain selon l’approche de la sociolinguistique urbaine est un
terrain très récent dans le contexte asiatique en général et dans le contexte vietnamien en
particulier. L’objectif de cet article est de soulever, à travers l’analyse des discours
épilinguistiques, le lien entre l’espace, l’identité et la langue de Hanoï. De manière précise, en
abordant les attitudes linguistiques des individus et de différents groupes habitant la ville de
Hanoï et la question identitaire sociale, cet article tente de montrer que dans le contexte de
Hanoï, il existe un lien étroit entre le parler, l’identité hanoïens et l’espace de référence de la
ville.
1. Quelques concepts théoriques
L’identité urbaine. Thierry Bulot conceptualise l’identité urbaine comme la conscience des
habitants d’une ville de leur appartenance à une entité qui est uniforme, isolable et complexe
(Bulot, 2007 : 18). Ce concept permet d’analyser les pratiques langagières des locuteurs urbains
qui se représentent « la tension ainsi posée entre leur indispensable identification à une
communauté et leur propre différenciation par rapport à d’autres lieux communautaires de tous
ordres, signalant une appartenance groupale » (Dang et Bulot, 2015 : 24).
La langue. Thierry Bulot définit la langue comme un processus et affirme qu’une langue est ainsi
non seulement une pratique discursive (une pratique du discours) mais encore des pratiques
discursives sur ce discours (un discours sur la pratique) (Bulot, 2013).
La mobilité spatio-linguistique. La mobilité linguistique et la mobilité sociale sont deux
processus liés certes l’un à l’autre. Selon Thierry Bulot, il s’agit « d’un phénomène de la variété
de langue dominante au détriment de la variété dominée. La variété dominée est délaissée pour
ce que le locuteur estime être l’emploi adéquat de la langue du statut qu’il revendique pour lui ou
le groupe auquel il s’apparie ou s’apparente. C’est un phénomène courant que l’on observe par
exemple chez les locuteurs de parlers dialectaux qui s’installent en ville et assimilent
progressivement la version urbaine de la langue légitime » (Bulot, 1999 : 26). Le concept de
51
mobilité spatio-linguistique nous permet donc d’étudier le lien entre l’espace, l’identité et la
langue.
2. Méthodes d’enquête et échantillon
Nous avons recueilli des données en deux temps : pré-enquête par entretiens semi-directifs en
2011 auprès de dix informateurs 1, d’une durée variant entre trente et quarante-cinq minutes ;
enquête par questionnaire et par test avec des locuteurs masqués en 2012 auprès de soixantequinze enquêtés2.
Le guide des questions utilisé dans les entretiens semi-directifs est élaboré selon trois champs
principaux : le territoire de Hanoï, l’identité hanoïenne et le(s) parler(s) hanoïen(s). Au total, ce
guide se compose de vingt-sept questions réparties en trois grands items : le parler hanoïen ; les
représentations sur le territoire de Hanoï et l’identité hanoïenne ; les informations
ethnosociolinguistiques. Le questionnaire d’enquête est composé de cinquante-cinq questions
dont la plupart sont sous forme de questions à l’échelle d’attitude. Les questions ouvertes ont
pour objectif d’inviter les enquêtés à donner des exemples concrets concernant des usages
linguistiques. Si le guide des questions pour les entretiens semi-directifs est élaboré en
mentionnant les trois parties distinctes afin de rappeler à l’enquêtrice les thèmes à exploiter, le
questionnaire est conçu avec une série de questions où les parties distinctes ne sont pas
identifiées. Cependant, notre questionnaire respecte toujours la logique du guide des questions,
ce qui amène les enquêtés à répondre d’abord aux questions concernant le territoire/espace
urbain de Hanoï, puis à celles concernant l’identité et le parler hanoïens, et enfin aux
informations ethnosociolinguistiques. Le test avec des locuteurs masqués est élaboré dans le but
d’analyser les jugements, les appropriations, les évaluations de nos enquêtés vis-à-vis des
pratiques linguistiques du (non)hanoïen. Nous avons fait entendre dix extraits de dix locuteurs
masqués et dont chacun est suivi de quatre questions interrogeant nos enquêtés sur les
informations ethnosociolinguistiques des locuteurs masqués.
1
Ces informateurs sont étudiants sortants de la promotion QH2007 du département de français de
l’Université de Langues et d’Etudes Internationales de l’Université nationale de Hanoï, Vietnam. QH est le sigle de
Quoc gia Hanoï (Université nationale de Hanoï) et 2007 est l’année de l’entrée à
2
Ces enquêtés sont étudiants sortants de la promotion QH2008 du département de français de l’Université de
Langues et d’Etudes Internationales de l’Université nationale de Hanoï, Vietnam.
52
Nous adoptons la méthode d’analyse du discours et dans le cadre de cet article nos analyses se
basent principalement sur les discours épilinguistiques et topologiques enregistrés lors de la préenquête par entretiens semi-directifs et de l’enquête par questionnaire. Ainsi les évaluations des
pratiques linguistiques relevées à partir du test avec des locuteurs masqués n’y seront pas
abordées.
Nos informateurs et enquêtés 1 âgés de vingt à vingt-quatre ans sont originaires de plusieurs
régions du pays dont Hanoï (dans toutes ses acceptions) et ont une durée de résidence dans cette
ville entre quatre et vingt-quatre ans. Ils déclarent tous avoir des contacts et des échanges avec
les gens vivant à Hanoï et dès lors ils ont à faire des choix interactionnellement devant les
différentes variétés du vietnamien, ce qui suppose qu’ils ont pu intégrer le discours dominant
F1
23
Nord
4
F2
22
Nord
4
F3
22
Sud
4
x
x
x
1
Pour « distinguer » les étudiants qui ont participé à deux étapes de notre enquête, nous appelons
« informateurs » les étudiants qui ont participé aux entretiens semi-directifs et « enquêtés » ceux qui ont répondu
au questionnaire et au test avec des locuteurs masqués. Cette appellation est d’ordre purement technique pour
distinguer nos deux sources de « données ». Elle n’a pas pour intention de « réduire les personnes à un seul statut
2
de fournisseur d’informations pour le chercheur » (Blanchet, 2012 : 45). Pour préserver l’anonymat des
informateurs de notre pré-enquête par entretiens semi-directifs, nous les avons codés selon le sexe et l’ordre
chronologique des entretiens. Ainsi, M1 désigne le premier étudiant interviewé et F1 la première étudiante. Pour
préserver l’anonymat des enquêtés, nous les avons numérotés de EQ1 à EQ75.
53
hanoïen
passeport
de
pas
hanoïen
Ne
possède
du passeport
d’obtention
hanoïen
En cours
« ancienne »
Possède
le
(ans)
passeport
Hanoï
résidence à
Durée de
naissance
Région
Age
Informateur
de
produit par la matrice discursive (Bulot, 1999).
F4
22
Nord
12
x
F5
22
Centre
4
F6
22
Hanoï « ancienne »
22
x
M1
22
Hanoï « ancienne »
22
x
M2
22
Hanoï « élargie »
4
x
M3
22
Hanoï « ancienne »
22
x
M4
22
Centre
4
x
x
Hanoï ancienne et 23
n
d’obtentio
cours
en
hanoïen ni
passeport
Pas
de
hanoïen
passeport
du
n
d’obtentio
cours
En
hanoïen
passeport
le
Ayant
d’enquêtés
Nombre
enquêtés
des
naissance
Lieu
de
Tableau 1 : Profil des informateurs
23
élargie
Dans le Nord du 45
2
7
36
2
2
3
Vietnam
Dans le Centre du 7
Vietnam
54
Dans le Sud du 0
Vietnam
Tableau 2 : Profil des enquêtés
3. Hanoï : identité et langue urbaine
3.1.
Hanoï : une ville, une histoire
Hanoï, la capitale du Vietnam, est un centre politique, économique, culturel et social du pays.
Cette ville, qui a fêté en 2010 mille ans d’accession au statut de capitale du Vietnam, connaît un
accroissement de population sensible et ses limites administratives évoluent vers un
élargissement géographique. Si selon les études de Philippe Papin « depuis 1010, Thăng Long1
avait toujours été définie par les deux districts qu’enveloppaient la rivière et la levée extérieure »
(Papin, 2001 : 199) et il y avait, au XVIe siècle environ vingt mille foyers, Hanoï s’étend sur une
superficie de 3.344,7 km2 avec une population de près de sept millions d’habitants lors du
recensement de 2010. Tout au long de son histoire, Hanoï attire les populations venues d’autres
provinces du pays. Elle est donc un espace de rencontres, d’échanges des personnes venues de
différentes régions du Vietnam, un lieu de contacts de langues et de cultures, et dès lors elle
constitue un laboratoire sociolinguistique manifestant des tensions entre des politiques
unificatrices (parce que les bienfaits du monolinguisme et la purification du vietnamien sont
perçus comme idéologie) et les dynamiques langagières très diverses et hétérogènes. Le
graphique
ci-dessous
permettra
de
mieux
voir
les
changements
géographiques
et
1
Thăng Long est un parmi les anciens noms de la ville de Hanoï actuelle. Le nom Thăng Long est né d’une
légende datant du moment du transfert de la capitale racontant que lors du transfert de la capitale de Hoa Lư à
Đại La, le roi Lý Công Uẩn a vu au-dessus de son bateau un dragon prenant son essor. C’est ainsi qu’il a baptisé
cette ville Thăng Long. Thăng Long est de fait un mot composé : « Long » signifie « Dragon » (c’est aussi le symbole
du Roi et de la puissance du système féodal), « Thăng » désigne l’acte de prise de l’essor ou le développement, le
vol. Thăng Long signifie donc la « ville du Dragon qui s’élève ». Dans l’histoire du Vietnam, par deux fois, cette ville
a porté le nom de Thăng Long. Mais ce nom, donné par le roi Lý Công Uẩn en 1010 et ainsi que celui repris en
1805 sous la dynastie des Nguyễn sont des homophones. En 1805, le roi Gia Long de la dynastie des Nguyễn a
changé l’écriture du mot « Long » en Thăng Long, de sorte que « Long » ne signifie plus « dragon » mais
« prospérité ». Rappelons que sous la dynastie des Nguyễn, la capitale s’est déplacée à Phú Xuân (la ville actuelle
de Huế) et selon les historiens, le roi voulait insister sur le fait que le « Dragon » (le Roi) était à Phú Xuân, Thăng
Long ne pouvait donc plus être la ville du « Dragon », celle de la capitale. Par conséquent, ce mot homophone
Thăng Long signifie la « prospérité qui s’élève ».
55
démographiques de Hanoï depuis 1954, l’année de la victoire de la Révolution d’août suite à
laquelle Hanoï devient la capitale de la République démocratique du Vietnam 1.
Année
Population (d’habitants)
Superficie (km2)
1954
53 000
152
1961
91 000
584
1978
2 500 000
2 136
1991
2 000 000
924
1999
2.672.122
924
2005
3 200 000
924
2007
3 398 889
924
2008
6 233 000
3 344,7
2009
6 451 909
3 344,7
6 913 000
3 344,7
30/10/2010
Tableau 3 : Hanoï : Population et superficie
1
Après la réunification du pays en 1975, Hanoï devient la capitale de la République Socialiste du Vietnam
(depuis le 2 juillet 1976).
56
3.2.
L’identité hanoïenne mise en mots
Habiter une ville se traduit par un besoin d’appartenance des individus, un besoin d’établir leur
identité dans cette ville. Selon Hélène Bailleul et Benoît Feildel, la notion d’habiter ne se limite
donc pas à l’habitat ni à la question du logement, elle recoupe dans son sens phénoménologique
l’idée de la construction signifiante d’un rapport au monde, mêlant un être social et un être
spatial en un « être-là » (Bailleul et Feildel, 2011 : 28). Les individus qui habitent une ville ont
certes le besoin d’y exprimer et d’y affirmer leur identité. Pour Bernard Lamizet, « habiter la
ville ne signifie pas seulement y passer sa vie : cela signifie, surtout, y mettre en œuvre une
activité symbolique par laquelle on exprime notre identité pour les autres habitants […] habiter
une ville c’est y exprimer de façon usuelle, courante l’identité dont on est porteur, dont on est
reconnu par les autres […] habiter une ville c’est élaborer une identité dont on est porteur aux
yeux des autres » (Lamizet, 2008 : 6). Nous adoptons dans nos recherches la notion d’identité
urbaine de Thierry Bulot pour parler de la conscience des habitants d’une ville de leur
appartenance à leur ville.
La ville est le lieu de rencontres, de (re)naissance et de conflits des identités. La ville de Hanoï
n’est pas une exception, elle est par conséquent un espace dans lequel les acteurs sociaux
définissent et montrent leur identité aux « autres ». Et c’est dans la confrontation des identités
dont ils sont porteurs que les habitants de Hanoï définissent et expriment leur identité. Pourtant,
les contacts, les confrontations voire les conflits des identités d’une ville ne provoquent pas
systématiquement l’exclusion de telle ou telle identité et l’identité hanoïenne n’est pas non plus
une addition de toutes les identités existantes dans la ville. La ville conduit ses habitants à
adopter des « codes de la ville », une identité leur permettant de s’identifier et d’être identifiés
comme habitants de la ville tout en leur permettant d’être eux-mêmes différents « des autres ».
Le processus de la construction d’identité est certes complexe. L’identité ne peut exister sans
l’altérité. L’identité urbaine (ici hanoïenne) est de fait construite par et dans les deux processus
contradictoires de l’identification et de la différenciation. Cette identité est reflétée dans la
langue. Elle est mise en mots à la fois par ceux qui y habitent et par ceux qui y effectuent un
passage.
57
Lorsque l’individu exprime son attachement ou au contraire son retrait vis-à-vis des langues /
parlers dont il se déclare être locuteur ou non, il affirme son statut social et son identité. Nous
sommes de l’avis de Thierry Bulot et Nicolas Tsekos affirmant que l’identité urbaine est évaluée
en fonction de la façon de parler des personnes et en rapport avec le territoire que les gens
occupent dans l’espace urbain (Bulot et Tsekos, 1999). Dans le cas de Hanoï, la présence de
langues différentes (des parlers, des façons de parlers différents) des habitants de la ville (ceux
qui sont nés et/ou venus d’ailleurs, ceux qui sont nés à Hanoï) amène à une confrontation
symbolique qui conduit à une sorte de hiérarchisation sociale qui est fonction des sentiments et
des attitudes épilinguistiques des habitants de la ville.
À notre demande de définir une personne hanoïenne, nos enquêtés ont donné plusieurs
désignations non exclusives les unes des autres : « c’est une personne née et qui a grandi à
Hanoï » ; « être né et habiter à Hanoï » ; « la famille habite à Hanoï depuis des générations » ;
« une personne cultivée, intellectuelle, riche, polie … » ; « une personne citadine élégante » ;
« une personne respectant les valeurs traditionnelles » ; « une personne qui se comporte bien » ;
« ils parlent doucement » ; « ils parlent le hanoïen »… D’un point de vue général, nos enquêtés
définissent une personne hanoïenne en se basant sur trois critères : a) l’origine de la personne et
la durée de résidence de la famille à Hanoï ; b) les qualités humaines et c) sa façon de parler.
Le premier critère semble très important car la plupart des enquêtés en parlent quand nous leur
demandons de définir une personne hanoïenne. Pour eux, une personne hanoïenne doit être
d’abord quelqu’un qui est né et qui a grandi à Hanoï. Et puisque nos enquêtés tiennent les
discours affirmant que les arrondissements intérieurs sont le lieu qui représente le mieux Hanoï
et quand on parle de Hanoï, on pense tout de suite aux vieux quartiers du centre de la ville,
l’image d’une personne hanoïenne renvoie à ceux qui sont d’origine hanoïenne et habitent dans
le centre ville. Ceux qui ne répondent pas à ce critère sont par conséquent considérés comme non
Hanoïens. C’est la raison pour laquelle la plupart de nos informateurs ont catégoriquement refusé
de se présenter comme Hanoïens :
-
quand une personne est née à Hanoï / sa famille habite à Hanoï / elle est
originaire de Hanoï / mais si elle n’y habite pas / on parlera simplement d’une
58
personne originaire de Hanoï et elle n’est pas Hanoïenne / les Hanoïens doivent vivre
à Hanoï(F1).
-
Je ne suis pas Hanoïen parce que je suis né à Nghệ An (M4).
-
En général quand les gens me demandent si je suis hanoïenne je ne dis pas que je
suis hanoïenne parce que je suis née dans une autre ville / j’habite à Hanoï… lorsque
les gens me demandent d’où je suis / je réponds en disant que j’habite à Hanoï mais
que je ne suis pas hanoïenne (F4).
-
je ne suis pas Hanoïenne / [euh] premièrement je suis née et j’ai grandi ailleurs /
deuxièmement peut-être que j’habite ici depuis assez longtemps / d’une manière
générale je suis contaminée par la culture d’ici mais on ne peut pas dire que je suis
hanoïenne (F5).
-
Non / je ne suis pas Hanoïenne […] Parce que je suis de Vĩnh Phúc / ma région
n’a pas fusionné avec Hanoï / elle est simplement devenue [euh] une province
voisine de Hanoï (F2).
-
Si je parle de l’origine / moi je ne suis pas hanoïenne / c’est simplement que mes
parents habitent ici et que je suis née ici / mon père est originaire de Nam Định / il
est venu ici faire des études et est resté ici depuis / moi je ne suis pas hanoïenne de
souche / je suis née et j’ai grandi ici tout simplement (F6).
Selon nos informateurs, les gens ne se présentent pas comme Hanoïens, non seulement parce
qu’ils ne sont pas nés à Hanoï mais encore parce que pour eux, le deuxième critère concernant
les qualités humaines est décisif : Non je ne suis pas Hanoïenne / parce que premièrement je ne
suis pas née ici / et deuxièmement mes caractères ne conviennent pas aux critères que j’ai
déterminés chez les Hanoïens / c’est pourquoi je ne suis pas Hanoïenne (F3). L’incarnation de
l’identité hanoïenne renvoie à ceux qui ont des caractéristiques propres aux Hanoïens, des
comportements différents : ils sont plus doux / plus fermés / ils ne sont pas agités / ils ont
quelque chose de très particulier (F6).
59
Les analyses montrent aussi que dans les représentations de nos étudiants, être Hanoïen signifie
être Hanoïen de souche : avoir des qualités humaines, respecter la culture de mille ans de Hanoï,
les traditions familiales hanoïennes et celles du peuple vietnamien :
-
Une personne hanoïenne de souche c’est quelqu’un qui respecte toujours tout ce
qui est ancien et traditionnel / ce sont des gens qui se comportent doucement et
poliment comme les Hanoïens d’autrefois / ils défendent tout ce qui a trait à la
tradition familiale / ils respectent les valeurs traditionnelles / ils ont la nostalgie de la
tradition (F3).
-
Les Hanoïens de souche […] doivent avoir des caractéristiques propres aux
Hanoïens / par exemple leur façon de vivre / de se comporter / ils doivent connaître
les coutumes traditionnelles des Hanoïens qu’aujourd’hui ils respectent toujours […]
par exemple les femmes dans la famille doivent savoir faire des plats traditionnels
lors des fêtes traditionnelles et au Têt / [euh] de génération en génération elles
apprennent aux enfants et aux petits-enfants à préparer ces plats des Hanoïens /
pendant le Têt et aux autres fêtes traditionnelles les gens pratiquent le culte des
ancêtres à la manière des Hanoïens d’autrefois / ils gardent toujours leur façon de
manger d’autrefois par exemple (F6).
Être Hanoïen, selon la majorité de nos informateurs et enquêtés c’est encore avoir la façon de
parler des Hanoïens : doucement, gentiment, poliment. Nos informateurs affirment que les
Hanoïens ont leur propre parler, différent des autres provinces. Cette différence, selon F3 est
évidente parce que « des régions différentes ont évidemment des différences / Hanoï est aussi une
province donc c’est naturel que le parler hanoïen soit différent de celui des autres provinces /
par exemple je suis venue d’une autre province j’ai naturellement une prononciation différente
par rapport aux autres / lorsque l’on est d’une autre province ou d’un autre lieu le parler sera
différent » (F3).
Pendant les entretiens et à plusieurs reprises, nous avons remarqué que nos informateurs avaient
cherché des raisons à leur réponse « dans les livres » ou dans les discours « des autres ».
Autrement dit, leur discours est conditionné par le discours dominant, le discours littéraire,
médiatique valorisant l’identité hanoïenne :
60
-
J’ai lu beaucoup de livres littéraires qui parlent de Hanoï selon lesquels on dit
que les Hanoïens sont depuis toujours des gens civilisés et élégants […] dans les
livres on dit que les Hanoïens de souche sont des gens qui vivent calmement / ce sont
des gens civilisés / élégants (M2).
-
À travers la lecture je suis persuadé que les Hanoïens doivent être des gens
civilisés / élégants / ils sont toujours calmes / patients / ils sont toujours modérés
dans les relations et les comportements entre eux (M3).
3.3.
Le parler hanoïen mis en mots
Tout en affirmant que les Hanoïens ont une prononciation différente et en appréciant « la
douceur » dans la façon de parler des Hanoïens, nos informateurs reconnaissent des « défauts »
du parler hanoïen en insistant sur le fait que « la prononciation des Hanoïens n’est pas conforme
à la norme ».
-
si on parle d’un accent standard / l’accent hanoïen n’est pas standard / les
Hanoïens ne prononcent pas toujours bien selon les règles de prononciation décrites
dans l’alphabet du vietnamien (F1).
-
pour quelques sons les Hanoïens ne prononcent pas correctement comme dans
d’autres régions (F2).
-
peut-être qu’ils ne prononcent pas bien correctement […] on peut dire que leur
prononciation ne se conforme pas aux normes (F3).
-
les Hanoïens confondent parfois des sons […] il y a des sons que les gens ici
n’arrivent pas à bien prononcer (F5).
Pourtant il existe un discours contestant que le hanoïen soit le standard ou la norme. Nos
informateurs notent la différence dans la prononciation de certaines consonnes par les Hanoïens
et celle d’un certain vocabulaire entre les Hanoïens et les gens d’ailleurs.
-
je ne pense pas que ce soit un parler vraiment standard, si on se base sur la dictée
on trouvera qu’il n’est pas vraiment correct (F6).
61
-
dire que le hanoïen est un parler standard n’est pas juste / puisque [euh] ce n’est
pas quelque chose que l’on peut mesurer ou évaluer / cela dépend du point de vue de
chacun / peut-être que pour ceux qui sont dans le domaine culturel ils trouveront que
l’accent de Hanoï est beau / pourtant ce n’est pas sûr que les gens du Sud soient du
même avis / s’ils entendent les gens du Nord parler ils trouveront peut-être que c’est
très difficile à entendre / tout comme les gens du Nord disent qu’ils n’arrivent pas à
comprendre les gens du Sud en raison de leur accent / par conséquent il est
impossible de dire / il ne faut pas dire que c’est un accent standard (F1).
-
en ce qui concerne les normes je pense qu’il ne faut pas considérer le hanoïen
comme norme […] il ne faut pas imposer une norme aux gens originaires d’ailleurs
ni aux autres ethnies / je pense qu’il ne faut imposer aucune norme (F3).
Mais même si la plupart des informateurs citent des « erreurs phonétiques » des Hanoïens, ils
sont d’accord pour dire que c’est un parler « agréable à entendre », « plus agréable que celui des
gens d’autres provinces » :
-
personnellement je trouve que l’accent de quelques Hanoïens est vraiment
particulier / c’est [rire] un bon accent très agréable (F1).
-
j’ai eu des contacts avec des Hanoïens de souche / et je trouve qu’ils parlent
doucement […] ils ont des prononciations différentes […] c’est assez agréable à
entendre et il y a une mélodie montante et descendante assez fascinante (F3).
-
je pense que les Hanoïens ont leur façon de parler […] dans leur accent et dans
leur voix on trouve quelque chose de léger et d’agréable à entendre (F6).
L’acceptation, voire l’appréciation des « erreurs phonétiques » des Hanoïens contribuent à
renforcer le discours valorisant le hanoïen et dévalorisant les autres parlers. Nos informateurs
affirment que les « autres » parlent « plus vite » avec un « lourd accent », « difficile à
comprendre » :
62
-
je pense que les Hanoïens prononcent bien / leur prononciation est très bonne / ce
n’est pas comme les habitants d’autres régions / quand ils parlent on a du mal à
comprendre (M1).
-
je pense qu’ils parlent lentement / pas trop vite comme dans d’autres provinces
dont la mienne (M2).
-
le parler hanoïen a des traits différents des parlers d’autres régions / il est
considéré comme un parler standard / les Hanoïens parlent doucement / poliment /
pas trop fort ni trop bas / le parler hanoïen n’a pas de mots des provinces / pas de
confusions des lettres / pas de bégaiements (F2).
Lors de l’enquête par questionnaire, à notre question : « Pensez-vous que le hanoïen est un parler
standard ? », nos enquêtés sont nombreux à répondre par l’affirmative. Seul EQ-10 affirme que
« le hanoïen n’est pas le vietnamien standard » (EQ-10).
Les informateurs qui disent qu’« il est juste de décider que le hanoïen est un parler standard »
expliquent que « c’est mieux quand tout le monde utilise les mêmes mots et les mêmes sens dans
les dictionnaires que d’utiliser des parlers différents ». Selon eux, le hanoïen est un parler
standard parce que les Hanoïens ont une « bonne prononciation » et qu’ils utilisent « le parler
des médias » avec « des mots dans les dictionnaires » :
-
le hanoïen est un parler standard / d’abord [euh] parce que la prononciation des
Hanoïens est bonne / il n’y a ni confusion ni bégaiement / puis ils parlent doucement
(F2)
-
d’abord les Hanoïens ont un parler facile à comprendre / puis ils utilisent un
lexique standard / standard selon le dictionnaire vietnamien / il n’y a pas de mots
régionaux (M1).
-
je pense que l’on a raison / pour la prononciation et [euh] le sens de la
verbalisation je pense que les Hanoïens ont un parler standard (F4).
Nos informateurs donnent une autre raison pour expliquer que le hanoïen « mérite d’être un
parler standard » : Hanoï est la capitale et le hanoïen est le « parler choisi » auquel on a décidé
63
d’accorder le statut « standard » et ce, même si « le parler hanoïen n’est probablement pas le
parler standard » et malgré des « erreurs sur le plan linguistique et phonétique » commises par
ses locuteurs :
-
Au point de vue administratif / si on dit que le parler de la capitale est le parler
standard / je suis d’accord avec cette idée […] c’est le standard du point de vue
administratif tout simplement (F5).
-
personnellement je suis de cet avis / parce que Hanoï est de toute manière la
capitale / et je pense que la capitale doit être quelque chose de standard / il faut être
standard pour devenir capitale (M3).
Le hanoïen est donc « choisi » parce qu’il a le statut du parler de la capitale. Il est le parler des
médias : « le hanoïen est bien le parler utilisé à la télé et dans les médias » (M3) ; le parler
utilisé à l’école : « il est choisi comme parler scolaire » (M4) et le parler standard dans le
discours quotidien : « lorsque les gens d’autres régions viennent à Hanoï et parlent avec les
Hanoïens ils confirment tous que c’est le parler standard / car ce parler est utilisé à la Voix du
Vietnam / dans tous les médias / c’est pourquoi c’est le parler standard du pays » (M2). Le
statut « choisi » du parler hanoïen fait que toute différence avec les autres parlers devient non
standard : ne pas prononcer comme les Hanoïens signifie avoir une prononciation incorrecte ou
confondre les sons, ne pas parler à la manière hanoïenne signifie avoir un accent très lourd, une
façon de parler difficile à comprendre, ne pas utiliser les mots à la façon hanoïenne signifie
utiliser un vocabulaire régional.
Nos informateurs tiennent le discours affirmant que les Hanoïens utilisent un « vocabulaire
standard comme dans le dictionnaire du vietnamien ». Ils apprécient le fait que les Hanoïens
parlent doucement. Par conséquent, ils disent que les habitants d’autres provinces et surtout ceux
du Centre du Vietnam ont un « accent lourd » et que cela crée « des inconvénients » pour les
locuteurs d’autres parlers et « des sentiments désagréables » pour les locuteurs du hanoïen
lorsque ces personnes sont en communication. Ce type de discours valorise sans aucun doute le
hanoïen, mais il fait aussi de ce parler un élément de distinction identitaire voire un facteur de
stigmatisation identitaire.
64
3.4.
Hanoï : identité et espace de référence
Les discours sur le parler et l’identité hanoïens valorisent voire survalorisent l’identité hanoïenne
et dévalorisent en même temps l’identité non hanoïenne. Les résultats de l’enquête par
questionnaire montrent que nos enquêtés considèrent que les non Hanoïens « ne connaissent pas
bien Hanoï » et « ne peuvent pas exprimer les beautés traditionnelles des Hanoïens ». Plusieurs
enquêtés affirment qu’une personne non hanoïenne est une personne qui n’est pas dynamique ni
élégante ; une personne qui n’a pas un bon comportement, qui ne sait pas se comporter
convenablement ou qui se comporte mal ou cruellement avec les autres ; une personne qui a une
mauvaise façon de vivre (avoir une vie en désordre, jeter les ordures partout)…
Nos informateurs tiennent aussi le type de discours discriminant rejetant l’identité non hanoïenne
à l’extrémité où tout est mauvais : Je pense que les mauvaises images qu’on a de Hanoï sont à
cause des gens d’ailleurs / des gens originaires des provinces ou des gens qui ne sont pas
hanoïens de souche et ce n’est pas à cause des Hanoïens de souche / il est certains que parmi les
Hanoïens de souche il y a aussi de mauvaises personnes / mais je pense que ces personnes ne
représentent qu’un très faible pourcentage (M4).
Ce genre de discours, produit des processus contradictoires de l’identification et de la
différenciation, amène à des confrontations, à des conflits identitaires en ville et participe à
hiérarchiser socialement les habitants de la ville. C’est une des raisons pour lesquelles nos
informateurs expriment à la fois une distance et un attachement à l’identité hanoïenne.
Distance parce que selon nos informateurs, cette population ne représente qu’une minorité et que
Hanoï ainsi que ses habitants ont changé.
-
Avant / à Hanoï il n’y avait que les habitants de la ville / les Hanoïens de souche /
mais maintenant des gens de partout viennent y habiter (F4).
-
Depuis longtemps il y a les Hanoïens de souche qui y habitent depuis plusieurs
générations / ils font partie des Hanoïens / et maintenant beaucoup de jeunes et de
travailleurs viennent gagner leur vie à Hanoï / il y a aussi beaucoup d’intellectuels et
de commerçants / [euh] les étudiants sont les plus nombreux / et puis / après la saison
65
des récoltes une partie des agriculteurs viennent y chercher du travail / en fait à
Hanoï il y a plusieurs classes sociales qui y vivent (M2).
-
Les Hanoïens d’aujourd’hui sont pour la plupart des gens originaires des
provinces voisines et fusionnées / ils ont des empreintes régionales / ils n’ont pas la
façon de vivre des Hanoïens de souche (F2).
-
Les Hanoïens d’aujourd’hui sont venus de toutes les régions / ils viennent vivre et
travailler à Hanoï / ils ont quelque chose de plus trépidant / quelque chose qui rend
cette ville plus animée mais qui en même temps fait que cette ville perd ce côté ancien
qui fait son charme (F3).
Attachement parce que l’identité de référence hanoïenne est attribuée aux Hanoïens de souche
considérés comme les gardiens de la culture et de l’identité de Hanoï, à ceux qui habitent dans
les vieux quartiers, dans les lieux qui représentent un style de vie d’autrefois :
-
Maintenant il y a peut-être des vieux qui habitent dans les lieux peu peuplés ou
dans des lieux très peuplés aussi / mais ces lieux-là représentent toujours un style de
vie d’autrefois / dans les vieux quartiers par exemple / je crois que ces gens-là sont
Hanoïens de souche (M3).
-
À mon avis / la culture et la façon de vivre des Hanoïens sont le mieux
représentées dans les environs du lac de l’Épée restituée / de leur façon de s’habiller
à leur façon de dépenser de l’argent / de leur apparence à leurs comportements
quotidiens / tout s’y exprime / et on peut certainement y rencontrer les Hanoïens »
(M2).
Les analyses des discours épilinguistiques et topologiques montrent que l’incarnation de
l’identité hanoïenne renvoie à une modélisation de l’espace marquée par la présence d’une
population respectueuse des valeurs confucéennes : les personnes qui représentent le mieux
l’identité hanoïenne sont des personnes âgées considérées comme gardiennes des traditions
culturelles. Ce sont les « vieux1 » habitant dans le centre-ville, dans les vieux quartiers.
1
Pour les Vietnamiens, ce terme n’a pas d’aspect péjoratif dans son usage sociolinguistique.
66
-
« En général nous pouvons rencontrer ces vieux Hanoïens dans les vieux
quartiers de Hanoï où ils habitent » (F2).
-
« les vieux je les vois souvent dans les arrondissements de Ba Đình /de Hoàn
Kiếm / de Tây Hồ1 » (F6).
-
« Moi je les rencontre le plus souvent au Petit Lac2 ou dans les parcs / beaucoup
de vieux font du Tai Chi Chuan dans les parcs / ils y sont plus nombreux que dans les
environs » (M2).
Conclusion
La mise en mots de l’identité de référence du parler de la capitale catégorise non seulement les
lieux de ville en valorisant ce centre de référence associé à une population-modèle, mais valorise
aussi son parler, considéré comme « de référence » ou « la norme ». La valorisation via les
discours de l’espace central, de l’identité linguistique rejette donc tout autre parler et identité
hors du centre-ville. Ce genre de discours participe certes à créer et creuser des discriminations et
hiérarchisations sociales.
Nous pouvons dire que par le mécanisme de la centralité urbaine, ce type de discours (la langue),
traversant l’espace urbain de la ville, se cristallise par les pratiques linguistiques/langagières des
habitants de la ville (ceux qui se présentent comme Hanoïens et locuteurs du parler de Hanoï,
comme ceux qui ne se présentent pas en tant que tels), et à son tour a des influences sur la ville et
ses habitants. Ces derniers attribuent à l’espace des caractéristiques linguistiques / langagières
qui font sens pour leur identité, à travers leur langue et leur façon de parler. Ils contribuent par
conséquent à renforcer ce type de discours et participent en même temps à la production des
formations socio-spatiales de la ville. Dans ce sens, la ville est de fait « un espace praxique où les
discours, bien qu’ils ne soient pas la réalité, mais parce qu’ils constituent le seul accès au réel,
finissent par devenir le réel » (Bulot, 2008).
1
Ce sont les arrondissements intérieurs de Hanoï.
Le Petit lac, appelé aussi Le lac de Hoàn Kiếm (qui signifie le lac de l’Epée restituée) se trouve dans
l’arrondissement du même nom et qui est un des arrondissements intérieurs de Hanoï.
2
67
Notre étude du contexte urbain de Hanoï, en abordant la ville par les discours qui la sous-tendent,
et en prenant en compte la prégnance de la spatialité urbanisée, permet de valider l’affirmation
de Thierry Bulot pour qui « la ville est donc une matrice discursive. Elle fonde, gère et normalise
des régularités plus ou moins consciemment éllicitées, vécues ou perçues par ses divers acteurs ;
régularités sans doute autant macro-structurelles (entre autres l’organisation sociale de l’espace)
que plus spécifiquement linguistiques et langagières » (Bulot, 2008).
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identités spatiales : un éclairage par le récit de vie spatialisé et l’herméneutique cartographique »,
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68
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BULOT Thierry, TSEKOS Nicolas, (1999), « L’urbanisation linguistique et la mise en mots des
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en mots de la ville urbanisée » dans BULOT Thierry, (Ed.) et TSEKOS Nicolas, 1999, Langue
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et mobilité(s) : Hanoï ou la circulation des normes », dans SY Kalidou (Dir.), Logiques de
l’hétérogène. Langages de ville et production de singularités, GRADIS 1, Université Gaston
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LAMIZET Bernard, (2008), « La ville, un espace de confrontation des identités », La_Revue,
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PAPIN Philippe, (2001), Histoire de Hanoï, Paris, Fayard, 404 pages
69
Dynamique et changement des phénomènes migratoires et des pratiques langagières dans
l’espace de la mobilité virtuelle
Hesna SEBIANE
Université de Tlemcen
Résumé
Dans notre contribution, nous tenterons de comprendre l’impact des Technologies de
l’Information et de la Communication (TIC) sur les pratiques langagières et migratoires dans une
mobilité virtuelle. En effet, les changements linguistiques, émergés à l’essor des nouveaux
modes de communication informatisée, sont reconfigurés et de nouveaux contacts langagiers y
sont fusionnés dans des sphères géographiquement éloignées. Notre objectif étant d’observer et
de décrire les nouvelles pratiques langagières saillantes de la communication médiée par
ordinateur au cours d’une mobilité virtuelle, nous voulons rendre compte de la façon dont est
(co)construite la mobilité langagière (Van Den Avenne, 2005). Dans ce cadre, nous analysons
des échanges synchrones écrits (notamment des conversations instantanées sur Facebook) où les
internautes algériens et descendants de l’immigration algérienne en France mettent en contact
leur répertoire linguistique pour les mêler à d’autres codes verbaux et non-verbauxen vue de se
faire comprendre et d’établir des relations sociales. Cette analyse nous permet de montrer
comment la communication médiée par ordinateur peut jouer le rôle de médiateur linguistique
entre les internautes bi-plurilingues et contribue au développement de leurs compétences
langagières tout en se constituant en tant qu’espace de mobilité virtuelle favorisantpar-là, la
mobilité langagière.
Abstract
In our contribution, we will try to understandthe impact of Information and Communication
Technologies (ICT) on language and migration practices in virtual mobility. Indeed, language
changes emerged in the development of new methods of computer communication, are
reconfigured and new language contacts are merged in geographically remote areas. Our
objective is to observe and describe new prominent language practices of computer mediated
communication in a virtual mobility, we realize how is (co) constructed a linguistic mobility
(Van Den Avenne, 2005). In this context, we analyze the writings synchronous exchanges
70
(including instant conversations on Facebook), Where Algerian Internet users and descendants of
Algerian immigration to France put their linguistic repertory to combine them with other verbal
and non-verbal codes in order to make themselves understood and to establish social relations.
This analysis allows us to show how the computer mediated communication can act as linguistic
mediator between users (bi) multilingual and contributein the developmentof their language
skills, while building as an area of virtual mobility, thereby promoting language mobility.
Introduction
L’usage massif des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) contribue à de
nouvelles pratiques migratoire, des modes de mobilités contemporaines permettant ainsi aux
langues, par-delà les frontières, de se rencontrer et d’entrer en contact. Nous assistons à une
dynamique linguistique générée par les révolutions récentes des phénomènes migratoires,
survenue dans la foulée des nouveaux modes de communication médiée par la technologie. En
effet, cette forme de communication tout azimut représente un attrait pour de nombreux
linguistes comme les travaux de Herring (1999), Mondada (1999), Anis (2002), Atifi (2007),
Marcoccia & Atifi (2006), Marcoccia (2010), Pierozak (2010),pour ne citer que ceux-là.
De même, cet espace « déterritorialisé », « sans frontières » (Chardenet, 2009) se caractérise par
des pratiques bi-plurilingues dans lequel des communautés diasporiques développent
tendanciellement une « culture du lien » (Diminescu, 2002 : 6)avec le pays d’origine, dans une
mobilité relativement virtuelle. Toujours est-il, cette mobilité, dite « virtuelle », constitue un
espace d’échanges synchrones (chat, messagerie instantanée) et/ou asynchrone (blog, courrier
électronique), n’impliquant toutefois pas de coprésence physique. Cette forme de mobilité,
contribue tout comme la mobilité spatiale, au développement des pratiques plurilinguistiques
dans la mesure où les langues sont reconfigurées, suscitant autant de ressources, de nouveaux
codes et de nouvelles façons d’écrire. De fait, nous nous proposons à partir de cette contribution
d’observer des espaces d’échanges des communautés diasporiques algériennes, précisément des
échanges synchrones entre internautes algériens et les descendants1de l’immigration algérienne
en France afin d’étudier les nouvelles pratiques langagières proéminentes au cours d’une
mobilité virtuelle, en termes d’influences subies et d’influences exercées.
1
Les descendants de l’immigration algérienne en France représentent une situation à part entière, dans la
mesure où ils se retrouvent au carrefour de deux langues et deux cultures (à savoir, le français et l’arabe algérien).
71
Nous inscrivons cette étude dans le champ de l’analyse de la sociolinguistique interactionnelle
(Gumperz, 1989) pour nous interroger sur ce qui ressort de la communication médiée par
ordinateur (Herring, 1999). Cette approche nous permet, d’abord de réfléchir sur la façon dont
les interlocuteurs utilisent les langues et les variétés de langues au cours de ces échanges en
ligne, mais aussi de voir comment les échanges entre des internautes ne pratiquant pas les
langues1 qui leur servent de moyen de communication de la même manière et n’ayant les mêmes
rapports à ces langues. En outre, on se donne comme objectif dans cet article de décrire les
différents phénomènes langagiers mobilisés à partir de l’examen des conversations écrites
synchrones, et ce pour rendre compte de la façon dont se co-construit le code qui renseigne sur la
mobilité langagière dans un espace virtuel. Il ne s’agira pas d’apporter une nouvelle définition à
la notion de mobilité linguistique, déjà définie dans les travaux de certains linguistes (Van Den
Avenne, 2005 ; Veltman, 1997)2 mais plutôt d’analyser les conséquences des contacts de langues
qui se produisent dans ce type d’interaction et de conceptualiser le rôle des TIC dans le maintien
et l’amélioration des répertoires linguistiques des internautes algériens issus ou non de
l’immigration dans un espace de mobilité virtuelle. De ce fait, notre hypothèse est que la
mobilité virtuelle favorise la mise en contact des langues écrites/langues parlées par les
internautes et permet a posteriori, la mobilisation de ressources linguistiques et non-linguistiques
originales. De fait, la communication médiée par ordinateur privilégie les alternances codiques et
les formes néo-codées et participe par-là, au développement du répertoire linguistique des
internautes bi-plurilingues et génère un usage commun d’un code comme marque du pluralisme
linguistique. A cet effet, il convient de se demander si la mobilisation d’éléments de plusieurs
langues dans une situation de contact en ligne fait-elle évoluer les compétences langagières des
internautes. Par quoi sont caractérisées les pratiques langagières des internautes dans une
mobilité virtuelle ? Quelles sont les raisons qui poussent les participants à employer des
alternances codiques dans une conversation en ligne ? Ya-t-il des langues privilégiées plus que
d’autres dans cet espace de mobilité ? Quelles sont les conséquences linguistiques de nouvelle
forme de mise en contact des langues ?
1
Nous nous référons ici au français et à l’arabe algérien.
Nous avons retrouvé la notion de mobilité linguistique dans le dictionnaire de sociolinguistique édité par Moreau
(1997), qui renvoie au même concept que celle d’assimilation linguistique (Veltman 1997 : 2012), tandis que Van
Den Avenne (2005) apporte une conception plus large à la mobilité linguistique pour l’exposer en tant que processus
constitutif de constructions linguistique et identitaire complexes des locuteurs pris dans diverses situations de
pratiques socio-culturelles.
2
72
1- Corpus et méthodologie
Le corpus sur lequel repose cette étude concerne des échanges entre internautes algériens et les
descendants de l’immigration algérienne en France en situation de mobilité virtuelle. Nous avons
donc procédé par un enregistrement des données conversationnelles à partir de l’historique de la
messagerie instantanée du réseau social Facebook. En fait, nous avons conformément cherché à
obtenir chez les différents participants, des enregistrements de l’historique de leurs conversations
avec des internautes algériens issus de l’immigration (des amis ou de la famille immigrants en
France), que nous avons ensuite sauvegardé dans 12 fichiers Word de tailles variables,
enregistrés entre 2012 et 2014.
A fortiori, le chercheur n’est pas confronté au « paradoxe de l’observateur » au sens de Labov
(1976), au contraire il peut être pratiquement certain d’avoir recueilli un corpus authentique, non
influencé et donc représentatif de la pratique spontanée des interlocuteurs, de cette manière on
peut avoir « accès à la façon dont les gens se servent du langage quand on ne les observe pas »
(Labov, 1976, cité par Pierozak, 2010 : 25).
En effet, on a réussi à réunir 12 paires constituées de 46 conversations d’internautes algériens et
descendants de l’immigration algérienne en France –découpées en fonction de la date à laquelle
elles ont été réalisées et dans l’ordre de leur envoi –, composées de 1066 « tours d’écriture »1.
Les internautes de notre corpus, de sexes féminin et masculin2, se situent dans une tranche d’âge
entre 20 et 30 ans, auxquels on a attribué un code, en raison du caractère privé de la messagerie
instantanée. Nous avons donc eu recours aux initiales des pseudonymes de chaque internaute,
notamment de la catégorie socio-culturelle, « i » pour les internautes descendants de
l’immigration algérienne en France et « ni » pour les internautes algériens non-immigré, comme
l’exemple d’une paire de notre corpus : [iAF – niFT].
Notre méthodologie s’inscrit dans le champ de la sociolinguistique interactionnelle (Gumperz,
1989)qui traite de la communication médiée par ordinateur. A ce propos, la messagerie
1
La communication synchrone se rapproche, éventuellement de la communication face à face, dans la mesure où
elle se fonde sur l’alternance des rôles d’émetteur et de récepteur. Ceci dit, la notion de tour de parole propre à la
conversation où deux locuteurs interagissent pour construire ensemble une interaction peut être appliquée à notre
corpus. En effet, la messagerie instantanée, de nature dialogale, se réalise à partir de l’alternance des « tours
d’écriture », décalés dans le temps et dans l’espace.
2
Dans le cas de cette étude nous n’avons pas pris en compte la variable sociale, sexe, car nous n’avons pas repérer
de distinction entre les conversations des internautes de sexe masculin et celui de sexe féminin dans les éléments à
analyser, c’est pourquoi nous avons jugé cette variable non-pertinente pour l’analyse des pratiques langagières des
internautes étudiés.
73
instantanée assure l’archivage des messages et « offre des possibilités méthodologiques
intéressantes, dans la mesure où elle permet l’engagement prolongé et l’observation persistante »
(Marcoccia, 2011 : 58), c’est pourquoi nous procédons en deux temps. La première étape repose
sur une observation persistante (Atifi & Marcoccia, 2006) qui consiste à examiner de près les
conversations recueillies, enregistrées à partir de l’historique de la messagerie instantanée de
Facebook et regroupées dans une même arborescence afin de valider la représentativité du
corpus. La seconde étape relève de l’analyse conversationnelle, fondée sur l’organisation du
système d’alternance des tours d’écriture,qui nous permet de repérer les éléments pertinents à
analyser.
Le corpus ainsi collecté nous permet d’étudier quelques exemples de pratiques et de mise en
contacts des langues produites lors des échanges synchrones par des internautes en mobilité,
appartenant à des sphères socio-culturelles différentes.
2- De nouvelles pratiques langagières à l’œuvre
Le contexte sociolinguistique algérien est incontestablement plurilingue, du fait des mobilités des
différents peuples, civilisations et colonisations qui ont marqué l’Histoire de l’Algérie. Il se
caractérise par la coexistence de plusieurs langues et/ou variétés de langues : l’arabe algérien
comme langue maternelle des locuteurs algériens et outil de communication de la vie
quotidienne ; le berbère représente également la langue maternelle des berbérophones et est
employée par une minorité linguistique des usagers qui la parlent 1 ; l’arabe classique demeure
une langue réservée à la religion, à l’administration et aux institutions formelles ; enfin, les
langues étrangères, comprenant principalement le français, qui conserve une place importante au
sein de la société, et l’anglais et l’espagnol dont l’usage reste encore faible.
Les locuteurs algériens sont désormais confrontés à une pluralité des langues et des variétés de
langues en présence, tendanciellement métissées et alternées, essentiellement de l’arabe et du
français et correspondant à une situation de communication bi-plurilingue.
Toutefois, cette situation linguistique complexifie les pratiques langagières des locuteurs
algériens en général et celles des descendants de l’immigration en particulier du fait de
l’asymétrie croisée des répertoires (Ali-Bencherif, 2009). Plusieurs travaux en sociolinguistique
ont porté un intérêt particulier aux pratiques langagières des populations maghrébines immigrées
1
Dans notre corpus, nous n’avons pas rencontré la langue berbère.
74
ou issues de l’immigration, dans des situations de communication « ordinaire » au sein de la
société française (Billiez, 1985 ; Deprez, 1991 ; Melliani, 1999 ; Ali-Bencherif, 2009) 1 . Ces
recherches ont montré que le contact de la langue se rapportant à la culture
d’origine/d’appartenance des parents et celui de la langue d’accueil/de résidence développe un
bi-plurilinguisme et favorise « une objectivation du langage et une décentration ethnosociolinguistique » (Billiez & Trimaille, 2001 : 112).
Par ailleurs, la pratique bi-plurilingue résulte des contacts d’une ou plusieurs langues de la
culture d’origine reçue(s) en famille. En effet, une enquête menée en 2008 par l’Ined (Institut
national d’études démographiques) et l’Insee (Institut national de la statistique et des études
économiques) sur l’héritage linguistique et le plurilinguisme des descendants d’immigrés vivant
en France (Condon & Régnard, 2010), a montré que la transmission de différentes langues en
famille et leur niveau de maîtrise ne constitue aucun obstacle à l’intégration dans la société
d’accueil, de façon à considérer cette pratique bi-plurilingue comme une ressource
potentiellement mobilisable, qui tend à favoriser le développement des attitudes d’ouverture à la
diversité linguistique et culturelle.
Compte tenu de la situation sociolinguistique en Algérie et, a posteriori, de la présence du
français en Algérie et celle de l’arabe dialectal en France, les locuteurs algériens et descendants
d’immigrés se particularisent par des pratiques bi-plurilingues, impliquant un répertoire
linguistique partagé entre l’arabe et le français, et entraînent par-là à des alternances codiques
régulières.
2-1 Choix et négociation des langues dans l’espace de la mobilité virtuelle
Si la situation de communication socio-langagière en Algérie est marquée par la coexistence et le
contact de plusieurs langues et, par extension, d’un bi-plurilinguisme, les situations de
communication médiée par ordinateur n’en font pas l’exception. En effet, les TIC jouent le rôle
de médiateurs linguistiques (Chardenet, 2005 : 237) et stimulent de part et d’autres l’usage des
langues étrangères et davantage celui des langues maternelles/d’origine et/ou minorées. A ce
propos, Calvet (2002) remarque que l’anglais, langue dominante sur Internet, subit une baisse
lente de son utilisation pour laisser place aux langues supranationales, ainsi qu’à d’autres langues
plus ou moins minoritaires. Seulement, le problème qui se pose est lié au système orthographique
1
Les pratiques langagières en contexte migratoire n’ont pas manqué d’attirer l’attention de nombreux linguistes et
ont fait l’objet de plusieurs travaux que nous n’avons pas cité supra.
75
des langues et leur respect fluctuants sur Internet, conservant ces langues à des fonctions
grégaires.
Par ailleurs, la mobilité virtuelle implique la gestion des langues (Melo & Araùjo e Sà 2008 :
122) que chaque internaute met en œuvre dès les premiers échanges où chacun choisit une ou
plusieurs langue(s) pour communiquer et interagir à partir des compétences linguistiques propres
à lui et des représentations des compétences de l’autre (Chardenet, 2005 : 240), en s’appuyant
sur la localisation, la reconnaissance du nom ou du pseudonyme et la relation entretenue (amis,
famille ou personne étrangère), comme dans les extraits suivants :
Extrait (1)
niFT :
tu c parler un peux arab
iAF :
Non Je vais comprendre un peu Des mots rien de plus
iAF :
la, maca da nach al' arabia (non je ne comprends pas
l’arabe)
Extrait (2)
niSS:
tacompre arab? (tu comprends l’arabe ?)
iYCC :
oui
niSS :
bien alore jiti la blad had el 3am (alors tu es venue au pays cette
année)
Extrait (3)
niSS :
el hmd (Dieu merci je croi tafham bien arbiya (je
comprends bien la
iCFM :
crois que tu
langue arabe)
bien bien sur
Nous relevons à partir des conversations de notre corpus différentes langues en usages à savoir :
le français, l’arabe algérien, l’anglais et l’espagnol. Chacune de ces langues remplit des fonctions
plus ou moins spécifiques dans cet espace de mobilité. D’abord, le français, langue dominante
dans les échanges des internautes algériens et les descendants de l’immigration algérienne en
France, constitue la langue de l’interface du réseau Facebook. En outre, l’usage prégnant de cette
76
langue est dû aux instruments émis par les dispositifs techniques permettant l’accès aux TIC sans
difficultés, par le clavier « latin » des ordinateurs. L’arabe algérien est la langue la plus utilisée
après le français. Malgré les contraintes technologiques, les internautes algériens et leurs
interlocuteurs descendants d’immigrés vivant en France se sont appropriés les mécanismes de la
communication médiée par ordinateur, en employant, à l’aide du clavier « latin », leur langue
maternelle/d’appartenance pour des fonctions grégaires. Ainsi, le choix de cette langue découle
de la nature conviviale et amicale de la communication en ligne (Atifi, 2007 : 40). Sans compter
que l’emploi de l’arabe algérien, langue maternelle des locuteurs algériens et celle
d’appartenance des locuteurs descendants de l’immigration algérienne en France, est réservée à
la communication privée et informelle ; tandis que le français, langue dominante et internationale
dans le cyberespace, est médiatrice de la communication formelle. Quant à l’anglais et
l’espagnol, elles sont utilisées à basses proportions ; d’abord l’anglais est souvent retrouvé dans
des formules de salutations telles que « hellow », « welcome », mais aussi dans une formule très
fréquente dans la communication en ligne « lol » 1 et correspond au procédé graphique de la
langue d’écran (que nous développerons infra) qu’imposent les nouveaux modes de
communication informatisée. En revanche, l’espagnol, retrouvé dans quelques interventions,
n’est employé que par les internautes algériens descendants d’immigrés en France, et ce à un
faible degré, pour amplifier un message par exemple. Nous supposons que l’usage de cette
langue est en rapport avec le statut (L2) qui lui est attribué en France et s’avère être enseignée à
partir de la troisième année du collège. Il est ainsi question de « bi-plurilinguisme scolaire »2.
Cependant, des négociations, voire des revendications, sur le choix des langues entre les
internautes immigrés et les descendants de l’immigration algérienne en France sont repérées au
cours des échanges. Ces négociations concernent substantiellement le français et l’arabe algérien.
En outre, le choix des langues est négocié en fonction du degré de maîtrise et du répertoire verbal
caractérisant chaque internaute, où il se montre faible dans une langue et fort dans l’autre. Cela
1
« laugt out loud », l’équivalent de « mort de rire » (mdr) en français.Ce choix linguistique et graphique entraîne
« le contact de l’anglais et celui de la langue d’écran » (Develotte, 2005 : 159).
2
Colindéfinit le bi-plurilinguisme scolaire comme « la compétence langagièreconstruite uniquement en contexte
scolaire, par le biais d'une langue étrangère qui est le vecteur de tout ou partie de la scolarisation, dans des situations
dites exolingues, autrement dit lorsque la langue d'enseignement n'est pas présente dans la société environnante de
l'élève. Du lieu qu'est l'école découlent à la fois des contraintes interactionnelles, et des buts communicatifs qui
déterminent le type de compétence que l'on peut attendre des enfants scolarisés en enseignement bilingue » (2012 :
56).
77
dépend de leur milieu social et familial favorisant ou non l’emploi de telle ou telle langue. Voici
les extraits suivants :
Extrait (4):sollicitation du choix de langue (arabe dialectal) du fait des
insuffisances linguistiques dans l’autre langue (français)
niAB :
motivation?
iRB:
‫( طﻠﺐ ﻋﻤﻞ‬lettre de motivation)
f3emt? (tu as
compris ?)1
niAB : da oui fhamt (maintenant oui j’ai compris) mais b1
rak tafham l3arbiya (tu comprends bien l’arabe)
iRB :
Chouft hahaha (tu as vu)
Extrait (5) : revendication du choix de langue (français) du fait d’incompétence
linguistique dans l’autre langue (l’arabe dialectal)
niMM :
iMS :
niMM :
bien tu parle l arabe ou francais?
franxais je ne sais pas ecrir le francais
ah oki aler rach mlih ghouya w bach rah mlih w yamach w
khoutech kach
raham w ksikso [surnom] rah yatchitan (tu vas bien
mon frère et ton père va
bien et ta
mère et tes sœurs vont
bien et ksikso fait des sottises)
iMS :
parle en francais
niMM :
toi qui ma dit tu sait pas le
francais
Les pratiques langagières des internautes algériens et des descendants immigrés en France sont
gérées en fonction des rapports de rôle et de place qui s’établissent lors des premiers échanges de
la conversation. Le choix des langues est ainsi fondé sur les déclarations (directes ou indirectes)
des compétences linguistiques spécifiques à chaque internaute, à travers lesquelles des langues
sont négociées, revendiquées voire parfois privilégiées et préférées à d’autres langues. Ce choix
1
Tous les messages écrits en arabe dialectal sont traduits en français et mis entre parenthèses
78
linguistique participe à la construction de l’identité discursive (Atifi, 2007 : 38) des internautes
en mobilité. De même que la mobilité virtuelle se caractérise par la mobilisation des
compétences linguistiques des internautes où « les choix des langues sont avérés comme une
norme partagée, négociés par certains, adoptée et adaptée par d’autres, comme faisant partie de
leurs habitudes communicatives dans l’univers du cyberespace » (Ali-Bencherif, 2015 : 108).
2-2 L’alternance codique : une forme qui s’apparente à celle de l’oral
L’alternance codique, telle qu’elle est décrite par Gumperz est « la juxtaposition à l’intérieur
d’un même échange verbal, de passage où le discours appartient à deux systèmes ou soussystèmes grammaticaux » (1989). Elle représente une stratégie communicationnelle que les
internautes mettent en exergue dans leurs échanges en ligne. Ces derniers utilisent des langues,
détenant ainsi des normes langagières et orthographiques, qu’ils mélangent à d’autres langues,
consacrées seulement à la communication orale et non-codifiées orthographiquement (comme
l’arabe algérien par exemple), avec un certain automatisme dans des alternances
codiquesrégulières.
Dans notre corpus, l’alternance codique remplit des fonctions communicationnelles, déterminées
dans la typologie élaborée par Gumperz. A priori, le choix du passage d’une langue à une autre
n’est pas fortuit, « une telle communication a d’importantes fonctions communicatives et
comporte des significations qui, à bien des égards, sont semblables à celle des choix stylistiques
dans les situations monolingues » (Gumperz, 1989 : 111). Nous relevons quatre fonctions des
conversations analysées.
a)
L’interjection
L’alternance codique peut-être insérée dans une intervention à l’aide d’une interjection pour
exprimer un sentiment ou une émotion personnelle dans la langue choisie. Voici les deux extraits
suivants :
Extrait (6)
niAB :
iRB :
win rak tkoun (où est-ce que tu te trouves ?)
fdar o? (à la maison oh ?) pk?
Extrait (7)
iMS :
si je sais sidi ahmed je par avec moi iwa(alors) la famille sa va
niMM :
bien cous1 et ta famaille cava
79
Le recours à l’interjection dans une langue plutôt qu’une autre profère un sentiment de
mécontentement (comme dans l’extrait 6). Cependant, l’interjection est exprimée dans la langue
d’appartenance (l’arabe algérien) « iwa1 la famille ça va » pour parler de sujets rattachés au pays
d’origine. La fonction de l’interjection accentue les échanges en ligne et accroît la force
expressive.
b)
La réitération
La fonction de réitération est très fréquente dans les conversations des internautes de notre
corpus. Un même message peut être énoncé d’abord dans une langue, puis répétée dans une
autre, comme dans les extraits ci-dessous :
Extrait (8)
iRB
:
Tout va s'arranger
niAB :
iRB :
mafhamtakch (je n’ai pas compris)
Inshallah kah i tha normal (si Dieu le veut tout va s’arranger)
niAB :
iRB :
j'ai rien compré
Mat rafch(ne t’inquiètes pas), tout irga3 normalinchallah (tout
redeviendra normal
niAB :
si Dieu le veut)
no hata haja maraha normal(non il n’ya rien qui va)lol
Extrait (9)
niSS:
yasmin bon 8layla sa3ida (bonne nuit) Nchalah (si Dieu le veut)
iYCC:
merci toi aussi
Les internautes répètent leur message dans chaque langue (c’est-à-dire en arabe algérien puis en
français ou l’inverse) en vue de clarifier ce qui a été exprimé et d’insister sur une information
communiquée. Néanmoins, l’alternance codique semble être utilisée sous forme de
traduction/reformulation (extrait 9) ou d’amplification d’un message. A cet égard, nous dirons
1
Cette interjection prend le sens du mot « alors ».
80
que la fonction de réitération joue un rôle fondamental dans la possibilité d’appropriation de
nouvelles ressources linguistiques.
c)
La modalisation d’un message
Il s’agit de traduire une prise de position du locuteur sur l’importance relative des informations
qu’il transmet dans son message. En fait, le changement du code n’est qu’un procédé pour
indiquer la valeur relative du message, comme dans les extraits suivants :
Extrait (10)
iAF:
Cc ptite sœur j'espère que tu te porte bien, et que le
ramadan se passe bien inchaAllah (si Dieu le veut) ... Nous en
France c long mais subraAllah (la patience de Dieu) le temps est
avec nous Il nous facilite hamdoullah (Dieu merci). Prend soin de
toi ptite sœurqu'Allah (Dieu) veille sur toi... Amine (amen)
Extrait (11)
niAB :
iRB :
mafhamtnich (tu ne m’as pas compris)
si mais yana zit inshallah (moi j’ai ajouté si Dieu le veut) ca vaut
dire stena chouya
d)
(attends un peu)
La fonction de personnalisation versus l’objectivation
Dans le répertoire des locuteurs, certaines langues sont réservées à des faits objectifs tandis que
d’autres langues sont associées à des faits subjectifs, comme dans les extraits ci-contre :
Extrait (12)
iNE :
j'attends mon surci de l'armé en France bach ma nahsselch fle
retour (pour que je
niIS
iNE :
:
ne sois pas coincé au retour)
pourquoi tu dois passe larmee la bas
nn mais je dois renouvelé mon surci au niveau du consulat du
coup, je n'ai pas
encore eu de réponse pas de l'armé en France c
81
seulement bach ki nehbet(comme ça
quand je repars) l'algérie,
yhasslounich (il ne me coince pas) b l'armé c tout je
prends
ma
mes
précaution
Extrait (13)
miAB :
slt cv?
iRB :
oui et toi?
miAB :
cv hmd (si Dieu le veut)
iRB :
la famille?
miAB : rahom mlah hadi simana machoftam (ils vont bien ça
fait une semaine que je ne les ai pas vu )
iRB :
ah ca va l'école?
miAB :
cv pas sm (semaine) trée difficile
iRB :
pourquoi?
miAB :
parce que les modules fondamontale ses le math
w (et) physique chimie w (et) yana (moi) faible math lol
iRB:
hahaha
miAB :
tfou (acte de cracher) 3lik ya lahmar (espèce d’idiot)
loooooooooool
iRB :
Hahahaha Tu veux de l'aide pour les maths?
miAB :
matzidch tathak 3liya (ne ris plus de moi)ou est j'ai trouvé ce
l'aide?
iRB:
Moi
miAB :
oooh mzrci merci ca fais plaisir
Nous remarquons à travers les extraits ci-dessus que le français est réservé à des faits objectifs,
quand il s’agit d’évoquer des thèmes liés aux études, par exemple, alors que les faits subjectifs
sont exprimés en arabe algérien. L’alternance codique marque ici la différence d’implication de
l’internaute par rapport à son message.
Dès lors, l’alternance codique apparaît, dans la communication médiée par ordinateur, comme
une ressource pour la production du sens dans et par l’interaction ; elle est une manifestation
82
significative de développement des compétences bi-plurilingues. De la même manière, les
internautes algériens et descendants de l’immigration algérienne en France recourent à des
alternances et des mélanges de langues pour des raisons multiples et diminuent les asymétries qui
jaillissent dans certains de leurs échanges (Ali-Bencherif, 2015 : 107). Par ailleurs, l’usage
fréquent de l’alternance codique et par conséquent, le contact et le mélange du français et de
l’arabe algérien résulte d’un contact de langue écrite (le français qui est une langue écrite,
codifiée) et langue parlée (l’arabe algérien qui est une langue non-codifiée) (Develotte, 2005 :
157). Il en ressort qu’il faut penser ce contact de langue orale et écrit comme une sorte de
continuum, caractérisant des internautes algériens et descendants d’immigrés en France, comme
un sujet « entre-les-langues » et un « entre-les-cultures » (Chardenet, 2007 : 248). Nous pouvons
ainsi dire que la mobilité virtuelle facilite et rend plus massive l’alternance et le mélange des
langues, constituant par-là une langue transfrontalière.
2-3 L’alternance néo-codique : une solution qui se donne à l’écran ?
Compte tenu de la variable communicationnelle et du cadre spatio-temporel, les internautes
algériens, sont eux aussi amenés à adapter une nouvelle forme de langue métissée produite à
partir d’un contact entre la technologie et la langue parlée (Develotte, 2005 : 153). Develotte fait
référence à la langue d’écran par opposition aux langues naturelles, il en ressort des alternances
néo-codiques caractérisées par des usages langagiers, situées entre l’oral et l’écrit et influencées
entre autres par le caractère synchrone de la communication médiée par ordinateur.
A la suite des travaux d’Anis (2002), nous relevons les différents contacts de langue
parlée/d’écran. En s’appuyant sur la typologie des marqueurs de la cyberlangue 1, proposée par
Anis (2002), le tableau suivant indique les éléments des alternances néo-codiques qui
correspondent aux caractéristiques néo-graphiques et aux particularités morpho-lexicales2 :
1
Les termes de la cyberlangue apparaissent dans l’ensemble des termes qui ne sont pas présents dans le dictionnaire.
2
Les exemples cités dans ce tableau sont tirés du corpus.
83
Néographies
Graphies phonétisantes1
Koi, trankil, kelle, ki, qoi, prochène, minion,
manifique, té, nan, wé, chui, chai, uii, etc.
Squelettes consonantiques
Slt, bjr, cc, hmd (hamdoulillah/ Dieu merci), slm
(salem /bonjour), cv, bzf (bezef/trop), sbh
(sabah/matin), mrc (merci), etc.
Syllabogrammes
C (c’est), g (j’ai), ct (c’était), etc.
Rébus à transfert2
Bon8 (bonne nuit), cous1 (cousin), bi1 (bien),
3ad (encore), 9atlek (elle t’a dit), 3la (sur), etc.
Logogrammes
A++ (à plus), 1peu, 1semaine, koul 2 (mangesen deux), etc.
Paralogogrammes
Lol , mdr, etc.
Etirements graphiques
Bieeeeeeeeeeeeeeensuuuuuuuur,
nnnnnnnnnnnn,
teghwiiiiiiiiiiii
freroooooo,
ssssssssssssiiiiiiiiiii,
(tu
es
beau),
looooool,
waaaaaaaah (oui), baaaaaay, etc.
Particularités morpho-lexicales
Troncation
Num (numéro), mob (mobile), ordi (ordinateur),
cam (webcam), etc.
Anglicisme/hispanismes
Hellow, welcome, playoffs, cool ; bella, pedro
(papa), etc.
Onomatopées
Mouah, waw, tfou (action de cracher), etc.
Tableau : Quelques exemples des alternances néo-codiques
Ce tableau montre que les internautes de notre corpus recourent constamment aux différents
marqueurs de la cyberlangue, faisant intervenir de nouvelles pratiques d’écriture via écran, qui
tirent leur marque de la langue parlée ; opérées ainsi au niveau de l’orthographe, le plus souvent
1
Ce procédé graphique se divise en deux sous-groupes : les réductions graphiques (elles correspondent à un
abrègement en caractères) et les réductions avec variantes phonétiques (elles reprennent les mêmes caractéristiques
de celui qui le précède, mais en y ajoutant des variations phonétiques).
2
Il faut noter que les internautes utilisent certains chiffres pour transcrire des sons de la langue arabe dialectale,
n’ayant pas d’équivalent en langue française. Nous avons pu relever les deux sons [‫ ]ع‬et [‫ ]ق‬représentés par les
chiffres [3] pour le premier son et [9] pour le second.
84
par des graphies abrégées, effectuées à travers les choix des différents procédés cités supra.
Pourtant, cette langue, née des contacts des langues parlée/d’écran, entraîne une convergence
entre les internautes de par son côté socialisant, mais aussi son aspect ludique et familier. Nous
dirons que la mobilité virtuelle implique l’usage des langues disponibles dans ce type de
communication et met en relief des langues en contact, du fait du caractère interculturel de
l’interaction à distance.
Conclusion
En définitif, on peut dire que les nouvelles pratiques langagières des internautes algériens et
descendants de l’immigration algérienne en France se caractérisent par des compétences biplurilingues, permettant ainsi la mobilisation des ressources communicatives spécifiques à
chaque internaute, effectuant d’autant plus des choix de langues négociés, voire parfois
revendiqués à partir des représentations des compétences linguistiques des uns et des autres. De
même que la communication médiée par ordinateur stimule l’usage des alternances codiques et
néo-codiques et joue le rôle de médiateur linguistique dans ce contexte de mobilité virtuelle, ce
qui accroît le maintien d’une culture du lien avec le pays d’origine et contribue au
développement des compétences langagières à la fois dans la/les langue(s) d’origine(s)/
d’appartenance(s) chez les internautes immigrants et dans les différentes langues étrangères
présentes dans le cyberespace.
A cet effet, la mise en contact des langues à la technologie (mélange et alternance des langues
parlées/écrites et de la langue d’écran) apparaît comme le résultat d’une mobilité langagière des
pratiques bi-plurilingues des internautes et tend à favoriser un continuum qui se co-construit au
cours de l’interaction interculturelle à distance. Cet espace de mobilité virtuelle implique, en
effet, la gestion et la circulation des ressources linguistiques et non-linguistiques et prend forme
à travers les nouvelles pratiques langagières suscitées par la technologie.
Néanmoins, si la mobilité virtuelle constitue un vecteur puissant des contacts des langues
(Chardenet, 2009) et permet des représentations gravitationnelles de ces langues, selon les
fonctions qu’elles remplissent dans le cyberespace (le français, langue internationale, de
l’interface ;l’arabe algérien, langue périphérique, maternelle, d’origine), peut-on parler de
situation diglossique dans cet espace « déterritorialisé » ?
Enfin, il semble que la mobilité virtuelle œuvre à une dynamique langagière où des identités
plurielles sont témoignées par les internautes projetés dans cet espace d’interaction plurilingue
85
comme des « électrons libres » (Diminescu, 2002 : 7) et se manifeste par une langue
transfrontalière, contribuant par-là, à de nouvelles pratiques migratoires.
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86
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88
Varia
89
L’anaphore pronominale dans le discours journalistique algérien
Nawal MOKHTAR SAIDIA
Université de Chlef
Résumé
Cette étude porte sur un thème qui a fait couler beaucoup d’encre, à la fois en linguistique et en
psycholinguistique : l’anaphore pronominale. Notre attention s’est fixée sur ce concept car il
constitue un test crucial pour la problématique des marques de la cohérence et de la pertinence.
Elle cherche également à voir à quoi l’analyse des pronoms anaphoriques peut contribuer à la
cohésion et l’organisation textuelle du discours journalistique algérien.
Abstarct
This study focuses on a theme that has spilled much ink, both in linguistics and
psycholinguistics: pronominal anaphora. Our attention is fixed on this concept because it is a
crucial test for the issue of brand consistency and relevance. It also seeks to see what the analysis
of anaphoric pronouns can contribute to cohesion and textual organization of the Algerian
journalistic discourse.
Introduction
L’anaphore pronominale occupe une place importante parmi les éléments d’enchaînement
assurant la cohérence textuelle, c’est pourquoi elle a suscité énormément d’attention depuis
plusieurs années Kleiber (1994, 2001), Corblin (1995), Apotheloz (1995). Notre étude s’assigne
comme objectif de mettre en évidence les contraintes sémantiques et pragmatiques qui justifient
l’emploi de l’anaphore pronominale dans la presse francophone algérienne contemporaine. Les
questions auxquelles nous avons tenté d’apporter des réponses sont les suivantes :
90
-
A quoi sert l’anaphore pronominale dans les pratiques langagières des
journalistes algériens ?
-
Quelles sortes de contraintes (sémantiques et/ou pragmatiques) président à
l’emploi des pronoms anaphoriques dans les faits divers du discours journalistique
algérien ?
Le corpus sur lequel nous avons travaillé est constitué d’un ensemble d’articles de faits divers
tirés de deux journaux algériens d’expression française: le Quotidien d’Oran et El Moudjahid.
Notre choix s’est porté sur ce corpus, car il présente un double intérêt. D’une part, en tant que
dispositif de communication, unité pragmatique du discours dans laquelle nous relatons des
événements en fonction de la situation, c’est le genre qui joue le rôle le plus important dans la
construction du sens dont il nous permet d’obtenir une interprétation pragma-sémantique
adéquate du phénomène de l’anaphore. D’autre part, le fait divers a pour fonction première de
créer des émotions chez son lectorat et non de simplement l’informer comme le font les autres
rubriques. Il joue, pour cela, sur la quotidienneté et la proximité de l’événement. En outre, le
lecteur trouve dans la lecture des récits de faits divers un terrain d’expression de sa perception de
la quotidienneté et de ses aspirations propres. Il y impose une part de sa subjectivité et de sa
représentation des dérapages de la vie quotidienne. De plus, la répétition des événements et les
grandes affaires criminelles dans un récit de fait divers met en valeur la nécessité de recourir aux
procédés de reprise et particulièrement au phénomène d’anaphore. Selon Pierre Larousse (1872 :
52) :
Sous cette rubrique, les journaux groupent avec art et publient régulièrement les
nouvelles de toutes sortes qui courent le monde : petits scandales, accidents de voitures,
crimes épouvantables, suicides d’amour, couvreur tombant d’un cinquième étage, vols à
main armée, pluies de sauterelles ou de crapauds, naufrages, incendies, inondations,
aventures cocasses, enlèvements mystérieux, exécutions à mort, cas d’hydrophobie,
d’anthropophagie, de somnambulisme et de léthargie. Les sauvetages y entrent pour une
large part, et les phénomènes de la nature y font merveille, tels que : veaux à deux têtes,
crapauds âgés de quatre mille ans, jumeaux soudés par la peau du ventre, enfants à trois
yeux, nains extraordinaires. Quelques recettes pour faire le beurre, guérir la rage, détruire
les pucerons, conserver les confitures et enlever les taches de graisse sur toutes sortes
d’étoffes s’y mêlent volontiers ; elles accompagnent à sa dernière demeure le centenaire
91
qui, bien que n’ayant jamais bu de vin ni mangé de viande, a vécu un siècle et demi,
laissant après soi, deux cent soixante-treize enfants, petits-enfants et arrière-petitsenfants.
1. Les pronoms anaphoriques
Nous choisissons comme point de départ la définition traditionnelle de l’anaphore telle que celleci est proposée par Oswald Ducrot( 1995 : 548): « Un segment de discours est dit anaphorique
lorsqu’il fait allusion à un autre segment, bien déterminé, du même discours, sans lequel on ne
saurait lui donner une interprétation (même simplement littérale) […] ».
« Ceux qui usent du terme anaphore s’accordent sur plusieurs points : l’anaphore est un rapport
entre des expressions linguistiques et il s’agit d’un rapport dissymétrique entre un terme, dit
« anaphorique », et un antécédent ou “source”» ( Corblin, 1995 :31). Nous devons la première
définition du phénomène anaphorique au grammairien grec Apollonios Dyscole (IIe siècle) qui
réserve l’anaphore aux pronoms : « Il oppose ainsi les déictiques (pronoms qui renvoient à des
objets) et les anaphoriques (pronoms qui renvoient à des segments de discours), montrant ainsi
que la référence d’un pronom peut n’être pas une chose du monde, mais un dire » (Seriot,
1987 :147-160)
Selon Claude Normand : « Le pronom anaphorique est un élément linguistique reprenant une
autre forme linguistique – lexème (dit antécédent) ou proposition – énoncée précédemment et
désignant un objet du monde ou un état de chose » (1998 : 155). Cependant, le principal
problème que pose toute expression anaphorique est celui de l’identification ou le repérage du
bon antécédent, celui-ci est appelé tantôt « anaphorisé », tantôt « source sémantique » ou même
« interprétant ». Lucien Tesnière( 1965 :86-87) indique pourquoi il préfère la dénomination
« source sémantique » à celle de « l’antécédent » : « Malheureusement, le terme antécédent a
l’inconvénient de désigner le mot en question, non d’après sa nature, qu’on ne recherche même
pas, mais d’après sa position, qui est sujette à toutes les variations que lui impose l’ordre linéaire
de la chaîne parlée. » (Corblin, 1995 : 31)
La dichotomie de Michel Maillard – référé/référant – est difficile à utiliser à cause de la
confusion qu’on peut faire entre le référant (segment linguistique) et le référent (« ce à quoi
92
renvoie un signe linguistique dans la réalité extralinguistique, telle qu’elle est découpée par
l’expérience d’un groupe humain » (Dubois & Lagane, 1973 : 415). De même, le couple
anaphorisé/anaphorisant proposé par Jean Claude Milner( 1982 : 82) restreint l’aire de la
référence cotextuelle à l’anaphore, en négligeant la cataphore.
Denis Apothéloz (1995 :164) utilise le syntagme « précédente désignation » pour dénommer
l’expression linguistique qui introduit explicitement le référent de l’anaphorique dans le discours.
Le véritable antécédent ici n’est pas donc l’expression linguistique antécédente elle-même, mais
la représentation conceptuelle du discours.
En d’autres termes, c’est l’adresse d’une entité discursive formée par cette expression
linguistique. C’est en ces termes que François Cornish (1986 :6) propose de nommer les
occurrences de segments textuels qu’on a appelées souvent antécédent « le déclencheur
d’antécédent (antecedent trigger) », et « antécédent » l’interprétation anaphorique.
Face à ce foisonnement d’appellations et cette divergence entre les auteurs, nous pouvons relever
un point commun aux uns et aux autres : par antécédent, nous entendons donc le segment du
cotexte qui contribue de la façon la plus probable et dans la plus grande proportion à la saisie du
référent d’un anaphorique. Alors que, l’anaphorique est l’élément linguistique qui ne peut pas
être interprété référentiellement de façon non-ambigüe sans l’aide du cotexte.
2. Analyse du corpus
Il nous convient de souligner que les pronoms anaphoriques participent fréquemment aux
chaînes référentielles et qu’ils s’emploient de préférence dans des situations de continuité
référentielle ou topicale. Nous allons donc analyser dans le détail comment l’emploi des pronoms
de reprise contribue à assurer la continuité référentielle dans le discours journalistique.
Les articles que nous commenterons ici pourraient passer pour des exemples types de l’effet de
continuité provoquée par l’emploi du pronom anaphorique.
(T1) « Un ancien employé de la mairie d’Iliten  le mis en cause T. Slimane […] il y
figure comme unique fils. Ces faux documents lui ont permis de se faire établir un
passeport françaisil a nié les faits pour lesquels il a été poursuivi mais a déclaré que
93
suite aux menaces proférées contre lui pour sa participation aux élections de 2001, son
défunt père l'a aidé à obtenir le passeport français qui lui a permis de s'enfuir en France. »
(Le Quotidien d’Oran : 15/7/2010)
A première vue, nous remarquons que l’antécédent masculin singulier animé humain mentionné
sous la forme nominale « Un ancien employé de la mairie d’Iliten » est immédiatement
redéfini sous forme nominale « le mis en cause T. Slimane ». Ce GN donne naissance à une
chaîne anaphorique sur le mode de l’anaphore pronominale assurée par le pronom personnel
sujet de la personne 3, il (3 fois), le pronom régime indirect lui (3fois) et régime direct l’ (1 fois).
Il est à noter que le recours aux pronoms personnels anaphoriques est justifié ici par des
contraintes stylistiques. D’abord, ce sont des outils privilégiés pour accéder aux référents de
discours très focalisés en mémoire de travail. Ainsi, en tant que marqueurs de substitution, ils
jouent des rôles importants dans la réduction du taux des désignations du thème principal. Ils ont
donc une fonction esthétique fondée sur la notion d’économie qui vise l’éviction de la répétition
« non-stylistique » d’un nom et d’éliminer une certaine redondance. A ce propos, Roy (1976 :
44) note que : « La plupart du temps lorsqu’on désire éviter la répétition, on a recours à ce qu’on
appelle traditionnellement un pronom »
(T2) «Trois pêcheursCes malheureux pêcheurs Ils ont pris la mer à partir de la
plage de Beauséjourils ont tenté de remonter les filets Ils auraient été emportés par
les forts courants marins prévalant dans cette zone par mauvais tempsils auraient
risqué, au péril de leur vie, cette sortie en mer en bravant la forte houle avec la conviction
de réussir une bonne prise dans leurs filetsils ont assez d'expérience pour savoir qu'ils
s'exposaient ainsi à un grand danger en décidant cette périlleuse sortie en mer […]»
(Le
Quotidien d’Oran : 3-2-2011)
L’antécédent principal mentionné sous la forme nominale, « Trois pêcheurs », est l’entité
topicale de l’article et est aussi l’antécédent le plus important dans le texte. Les expressions
référentielles qui le désignent sont en majorité des pronoms personnels de la personne 6, « ils »
qui occupent de façon constante la position sujet. Notons que les pronoms personnels ne servent
pas seulement à éviter la répétition, mais ils signalent que le narrateur continue de parler d’un
référent déjà saillant, et qu’il va en parler en continuité avec ce qui l’a rendu saillant. A cet
94
égard, ils jouent un rôle important dans le maintien de la cohésion du texte et dans la
thématisation.
D’après Kleiber : « On peut voir dans le pronom il effectivement un marqueur référentiel moins
coûteux que les SN « pleins » tels que noms propres, expressions définies, etc. » (1994 : 98
L’exemple (T3) présente un cas d’interposition de plusieurs référents co-présents dans la chaîne
anaphorique principale :
(T3) « Un groupe de malfaiteurs Les membres présumés de ce réseau au nombre
de trois ont été identifiés et confondus après une plainte de l'une de leurs victimes, un
commerçant auquel les mis en cause avaient déjà extorqué une importante somme
d'argent dans un premier temps avant de lui réclamer une autre rançon en le menaçant de
mort.
Deux des trois mis en cause sont natifs de Azazga alors que leur troisième complice est
originaire
de
Thénia
(Boumerdès).
Ce dernier a été arrêté en possession d'une arme à feu utilisée dans leurs attaques contre
de paisibles citoyens. Ils ont été placés sous mandat de dépôt avant-hier par le parquet de
Azazga[…] »
(Le Quotidien d’Oran : 20/10/2011)
Nous constatons que les deux antécédents en présence sont pour l’un, masculin pluriel animé
humain « un groupe de malfaiteurs », et pour l’autre, masculin singulier « un commerçant ».
Les deux chaînes anaphoriques s’entremêlent sur le mode de l’anaphore pronominale sans qu’il y
ait ambiguïté référentielle. Nous remarquons que l’antécédent pluriel est repris au début par
anaphore nominale « les membres présumés de ce réseau » et « les mis en cause » et ensuite par
une anaphore pronominale avec le pronom personnel de la personne « ils » après une anaphore
nominale « Deux des trois mis en cause ». En effet, l’introduction de cette anaphore nominale
n’est pas liée à une concurrence référentielle entre les deux référents de nombre différent, mais
elle intervient pour assurer la division explicite d’un hyperthème « les membres présumés de ce
réseau au nombre de trois » en deux groupes anaphoriques : « deux des trois mis en cause » et
« leur troisième complice » qui acquiert une autre anaphore nominale démonstrative « ce
dernier ». Au contraire, la chaîne anaphorique du référent singulier, se prolonge par anaphore
pronominale avec les pronoms personnels lui et le sans aucune ambiguïté référentielle.
95
Il en va de même pour l’article (4) qui présente deux référents co-présents de genre différent :
(T4) « Poursuivi pour le meurtre de son épouse, B.H.---le mis en cause --- sa victime,
H.R.--- Il lui a asséné des coups à la tête à l'aide d'une pierre, avant de tenter de
l'étrangler avec son foulard. La malheureuse---elle a été admise le jour de son agression
dans
un
état
comateux. »
(Le Quotidien d’Oran : 1/7/2010)
Dans cet article, les deux chaînes anaphoriques entrelacées, l’une renvoyant à un antécédent
masculin singulier animé humain « le meurtre de son épouse, B.H », l’autre renvoyant à un
antécédent féminin singulier animé humain « sa victime, H.R » sont susceptibles d’utiliser
simultanément l’anaphore pronominale sans qu’il y ait une concurrence référentielle. En effet,
l'antécédent masculin est repris par anaphore nominale « le mis en cause » et ensuite par
anaphore pronominale avec le pronom personnel de la personne 3, « il » sujet du verbe « a
asséné ». L'antécédent féminin se poursuit par anaphore pronominale avec le pronom personnel
« lui », « l’ »et « elle ». Notons que les formes non marquées en genre comme « lui » sont sans
ambiguïté pour des raisons sémantiques et grammaticales, dans « il lui a asséné » il est clair que
« lui » ne peut être que féminin, puisque le masculin joue déjà le rôle de sujet de ce verbe
renvoyant à la violence.
Analysons maintenant un cas où les référents co-présents sont de nature différente :
(T 5) « Un éleveur de bovins--son petit troupeau constitué de trois vaches et deux
veaux ---il fut --- il--- les --- Il les ---. Il ---Les gendarmes---ils --- Ils ---- Ils --- le
propriétaire de ce garage --- les --- il--- il --- il l'avait conduit là en attendant de trouver
son
propriétaire […] »
(Le Quotidien d’Oran : 14/4/2011)
Dés la première lecture détaillée, il devient évident que ce texte fait également preuve d’un très
haut degré de cohésion. Cette cohésion est assurée par l’entrelacement de deux chaînes
anaphoriques de référent animé humain singulier pour l’un, « un éleveur de bovins », repris par
anaphore pronominale avec le pronom personnel de la personne 3, « il » (4 fois), l’autre est
féminin pluriel animé non humain, « ses bêtes » repris par le pronom personnel conjoint, « les »
96
(2 fois). Il est important de noter que cet antécédent s’intercale dans le courant de la chaîne
anaphorique principale sans déstabiliser la continuité référentielle de celle-ci.
Nous présentons maintenant quelques cas de ruptures et maladresses au niveau de la continuité
référentielle rencontrés lors de l’analyse des textes de notre corpus.
Dans l’article (T6), par exemple, la coréférence n’est pas établie de façon claire :
(T6)
Cinq et trois ans de prison pour les accusés: Il l'agresse à coups de hache pour lui voler
sa voiture
« G. Walid, G. Farid et D. Lehmani ---G. Walid--- D. Lehmani--- la victime Y. Seif
Eddine, --- les --- l'accusé G. Walid ---- l'--- la victime --- Les deux mis en cause --l'accusé G. Walid --- lui --- G. Farid --- lui --- eux --- il --- La victime ---ces jeunes
confrontés au chômage et à l'oisiveté »
(Le Quotidien d’Oran : 01/06/2010)
Nous commençons, par exemple, par le titre « Cinq et trois ans de prison pour les accusés: Il
l'agresse à coups de hache pour lui voler sa voiture » qui donne l’impression que les faits en
question « l’agression et le vol de la voiture » ne semblent pas faire référence aux accusés bien
délimité dans le contexte immédiat. Le lecteur est ainsi dérouté dans ses tentatives de
reconstitution de la réalité en question. Ainsi, il hésite sur l’identification de l’antécédent du
pronom personnel de la personne 3, « il » sujet du verbe « agresser » mentionné dans la
deuxième partie du titre. Une première tendance du lecteur sera de chercher l’antécédent dans la
proximité immédiate. Il aurait tendance à interpréter le « il » anaphorique comme une référence
au SN « les accusés ». D’une certaine façon, cette interprétation se révèle fausse car elle risque
de causer des ruptures au niveau de la continuité référentielle pour tout lecteur. Le rédacteur
aurait pu utiliser le pronom personnel de la personne 6, « ils ». Une autre explication éventuelle
pour cet usage flou : le lecteur peut deviner que le journaliste a voulu parler de « l’accusé G.
Walid » mentionné dans la suite du texte. Mais, si le lecteur doit deviner, c’est que le texte n’est
pas clair parce qu’il y a un décalage des représentations entre les interlocuteurs.
97
Outre les cas que nous avons signalés en ce qui concerne l’ambiguïté référentielle, nous avons
relevé dans notre corpus des situations où deux référents remplissent simultanément les
conditions d’utilisation de la forme morphologique pronominale présente et peuvent entraîner
une perturbation dans la continuité référentielle et une hésitation quant au choix du référent visé.
De même, le rédacteur ne fournit pas suffisamment d’informations de nature à permettre au
lecteur de procéder à une identification aisée du référent en question.
C’est le cas dans l’article que nous proposons d’analyser ici :
(T7)
Une dispute, un mort et 7 ans de prison
TM
Comme si les accidents de la circulation ne suffisaient pas, il a fallu encore que les
disputes sur la route coûtent encore des vies humaines. Ainsi, au mois de
septembre passé, deux cousins se trouvaient dans leur voiture et se dirigeaient
vers Alger. Arrivés à la rue du 1er Novembre à Bou Ismail et plus exactement au
niveau de la gare routière, le conducteur d'un véhicule klaxonna plusieurs fois
avant de les dépasser. S'engagea alors une course-poursuite entre les deux
véhicules, le conducteur de la Volkswagen s'arrêta sur le bas-côté pour
demander des explications. Une dispute s'engagea entre eux et ils en vinrent
rapidement
aux
mains.
Le
cousin,
fort
que
lui.
Il sortit alors pour prêter main-forte à son cousin et s'arma d'un couteau à cran
d'arrêt. Il se dirigea vers les deux adversaires et le conducteur de la Volkswagen
fut tué sur le coup. Ils furent donc arrêtés par les policiers qui les présentèrent au
parquet et ils furent mis sous mandat de dépôt. Après l'instruction menée tambour
battant ils ont été jugés au cours de cette session du tribunal criminel de Blida
qui condamna M.M. à sept ans de prison ferme. A noter enfin que le représentant
du ministère public avait requis la perpétuité contre lui.
(Le Quotidien d’Oran : 2-5-2010)
98
Dans cet article, les deux constituants dont les chaînes anaphoriques s’entremêlent sont les
suivants : « deux cousins » et « le conducteur d’un véhicule ». Leurs chaînes anaphoriques
utilisent l’anaphore pronominale. Mais cette anaphore est un peu plus complexe parce que les
référents co-présents répondent aux mêmes conditions morphologiques et référentielles pour le
pronom personnel (les deux candidats à la reprise sont masculins et animés), ce qui entraîne une
possible ambiguïté référentielle. En premier lieu, la rupture est due à un décalage au niveau des
connaissances partagées entre le rédacteur et le lecteur. Par exemple, les pronoms
personnels eux et ils, peuvent renvoyer soit aux « deux cousins » et « le conducteur de la
Volkswagen », soit aux deux conducteurs, mentionné plus loin sous la forme nominale « les
deux adversaires ». Dans ce cas, il est extrêmement difficile d’établir un lien entre l’anaphore
pronominale et son antécédent puisque le rédacteur ne fournit pas suffisamment d’informations
de nature à permettre au lecteur de procéder à une identification aisée de l’antécédent en
question, à savoir les deux conducteurs, que dans la suite du texte. Il faut alors utiliser à la place
de ces deux pronoms insuffisamment marqués un nom propre ou un SN caractérisant les
référents (une anaphore nominale qui servira à la reprise de chaque constituant s’interposant dans
la chaîne anaphorique des constituants co-présents de mêmes caractéristiques référentielles).
Ensuite, la reprise anaphorique s’accompagne d’un changement du nombre avec le passage
d’une référence plurielle à une référence singulière « le cousin » qui se poursuit par anaphore
pronominale avec notamment le pronom personnel de la personne 3, « il » sujet des verbes
« sortit, s’arma » et « se dirigea ».
Par ailleurs, nous n’avons pas noté d’ambiguïté référentielle entre deux constituants qui
présentent une différence dans l’une de leurs caractéristiques référentielles et grammaticales.
Conclusion
Au terme de cette étude, nous avons relevé quelques spécificités des faits divers journalistiques
algériens, en ce qui concerne l’emploi des anaphores pronominales :

la proportion des pronoms personnels augmente où aucune dénomination du
référent n’est pas disponible ou pour éviter la répétition.

ils ont tendance à se trouver près de leurs antécédents et ils signalent qu’un objet
unique occupe le centre d’attention. Ce constat est un indice fort pour mettre en tête
99
l’emploi des pronoms personnels en tant que marques de la continuité référentielle dans
les récits de fait divers.

les textes des faits divers sont pluri-référentiels (ils contiennent au moins deux
référents humains), ce qui augmente les risques d’ambiguïtés dans l’identification du bon
antécédent de l’expression pronominale. De ce fait, les journalistes algériens tendent à
utiliser les expressions nominales qui se répartissent entre les SN définis et les
démonstratifs pour dénicher le bon candidat et diminuer les ambiguïtés pronominales.

Le journaliste préfère l’usage des pronoms personnels (sujet) au début du
paragraphe dans les textes de faits divers parce que la narration est centrée sur un seul
protagoniste.
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101
L’effet du contexte sémantique dans l’identification, la compréhension et la production
des prépositions abstraites
Fatima Zohra KHALIL
Ecole polytechnique, Oran
Résumé
La préposition s’impose aujourd’hui comme un sujet d’étude incontournable en sémantique,
mais reste un phénomène marginalisé dans l’apprentissage d’une langue étrangère. Les
grammaires scolaires, présentent la préposition comme un mot purement grammatical, elle
est ainsi, réduite à un simple élément de relation. Nous avons fait le choix de l’aborder
autrement en nous intéressant à la représentation de son contenu sémantique hors contexte et
en contexte.
Notre réflexion porte sur l’effet du contexte sémantique dans 1) la
représentation (l’identification) des prépositions, 2) la compréhension des prépositions et 3)
la production des prépositions.
La définition exclusivement grammaticale étant, pour nous, incomplète et ne pouvant
répondre à notre question de recherche, nous nous sommes orientée vers les recherches
menées sur la sémantique de la préposition. Cette dernière représente le fruit de longues
recherches entreprises par des linguistes depuis le début du XXème siècle. Aborder et étudier
la préposition sur le plan sémantique, c’est tout simplement aborder son signifié en tant
qu’unité linguistique.
Le postulat principal sur lequel repose notre travail stipule que les prépositions, aux yeux des
apprenants, sont assimilées à de simples mots de relation servant à relier des éléments sur le
plan phrastique et donc dénuées de sens.
Notre but est de les amener, grâce à nos expériences, à réfléchir et à prendre conscience de
l’importance de la préposition dans la construction du sens. Il s’agit donc de ne plus la
considérer comme un simple « relateur », mais comme une unité ayant sa propre charge
102
sémantique aussi ténue soit-elle. Il s’agit donc d’étudier les multiples sens qu’elle est en
mesure d’activer en emploi, et la relation qu’elle peut entretenir avec son co(n)texte.
Mots clés : Prépositions abstraites, contenu sémantique, contexte sémantique, espace, temps
et notion.
Abstract
The preposition has become today an essential research topic in semantics, although it
remains quite marginalized in foreign language learning. Schoolbook grammar deals with the
preposition as a purely grammatical word, thus reduced to a mere linking tool. This justifies
the choice made here to deal with it differently by focusing on the representation of its
semantic substance in and out of context. This reflexion addresses the role of the semantic
context for prepositions in their 1) representation (identification), 2) understanding and 3)
production.
The exclusively-grammatical definition being, from my standpoint, incomplete and incapable
of answering the research question, research on the semantics of the preposition has been the
recourse. This is the outcome of substantial works undertaken by linguists since the early
20th century. Deal with and study the preposition at a semantic level is simply tackle its
signified as a linguistic unit.
The main postulate underlying this work is the idea that prepositions, according to learners,
are simple linking words used to relate sentence elements and having no meaning.
The objective here is to bring them, through this experiment, to think and be aware of the
importance of the preposition in the making of meaning. It is then an attempt to consider it
no longer as a mere « link », but as a unit having its own semantic content, however small. It
is therefore about studying the multiple meanings it can induce while used, and the relation it
can have with its co(n)text.
Introduction
Notre recherche questionne le rôle du contexte sémantique dans la représentation
(l’identification), la compréhension et la production des prépositions en situation
d’apprentissage du FLE. Nous formulons l’hypothèse générale suivante : le contexte
sémantique joue un rôle important dans la représentation (l’identification), la compréhension
103
et la production des prépositions abstraites. Pour réaliser les trois expériences de notre
recherche expérimentale, nous avons plusieurs variables. D’abord, le groupe des participants
qui constitue une variable aléatoire. Ensuite, trois contextes sémantiques différents, le
premier contexte est représenté par des prépositions décontextualisées, que nous avons
appelé contexte zéro, le deuxième contexte, représenté par des phrases isolées, que nous
avons appelé contexte faible et le troisième et dernier contexte représenté par un texte, le
contexte fort et enfin
les huit prépositions : à, de, par, pour, avec, dans, en et sur
actualisées dans le contexte faible et le contexte fort dans des emplois spatiaux, temporels et
notionnels. Les trois contextes et les huit prépositions
constituent nos variables
indépendantes. Nous signalons que ce sont les mêmes variables pour les trois expériences.
Ces dernières ont été menées entre mai 2010 et mai 2011, la première expérience a été
réalisée début mai 2010, la seconde fin mai 2010 et la troisième début mai 2011 soit une
année après.
Pour étudier le rôle du contexte sémantique, les sujets ont réalisé chacune des
trois
expériences dans un ordre de présentation précis et inchangé pour chacun des quatre groupes,
les participants de chaque groupe sont passés par trois étapes que nous avons appelées
tâches et qui constituent nos variables dépendantes.
Les participants sont des étudiants inscrits en première année à l’ENSET d’Oran au
département des langues en vue de préparer une licence d’enseignement en langue française.
La durée de la formation est de quatre ans. Ils sont au nombre de 80 et viennent de régions
géographiques différentes (Ouest, Est, Centre et Sud algérien), ils sont tous bacheliers
(baccalauréat séries : Lettres et philosophie, Lettres et langues étrangères, Sciences de la
nature et de la vie) et leur âge varie entre 18 et 22 ans.
Ils sont répartis en quatre groupes (G1, G2, G3 et G4)
Dans la première expérience, l’objectif est d’étudier les capacités des apprenants à identifier
les prépositions du point de vue de leurs représentations syntaxiques. Sachant que les
prépositions sont généralement construites par les apprenants à partir des apports de la
grammaire traditionnelle et de la syntaxe des prépositions. Nous posons l’hypothèse que leur
identification dans les trois contextes étudiés ne pose pas de difficulté, car elles font partie
des connaissances déclaratives des apprenants élaborées tout au long de leur cursus scolaire.
104
L’analyse des résultats confirme notre hypothèse, lorsqu’un apprenant connait les
prépositions, il les reconnait et les identifie dans les trois contextes. L’ordre de présentation
des différents contextes n’intervient pas ou peu dans l’identification des prépositions. Les
résultats montrent que les participants font bien la différence entre la catégorie mots
« grammaticaux » et la catégorie mots « lexicaux ». En effet, parmi, ceux qui ont réussi la
tâche c'est-à-dire ont identifié les huit prépositions (à, de, en, sur, dans, pour, par et avec),
ont également identifié, en plus, d’autres unités comme étant des prépositions. Les unités
linguistiques identifiées comme telles sont essentiellement des mots « outils » ou
« grammaticaux », ce sont : où, qui, donc, car, comme, que… que nous avons introduits avec
d‘autres unités lexicales dans les trois contextes et que nous avons appelés distracteurs. Les
grammaires scolaires se basant sur la grammaire traditionnelle, définissent les prépositions
comme mots grammaticaux et les participants en tant qu’apprenants font de même.
C’est la syntaxe, discipline intégrée dans l’enseignement scolaire, qui traite de la
combinatoire grammaticale des mots qui prend en charge la préposition (élément outil
introduisant un groupe prépositionnel). Le groupe prépositionnel est abordé lorsque
l’enseignant traite les différents compléments (complément circonstanciel, complément
d’objet indirect, complément du nom, complément du verbe…). Les apprenants sont souvent
amenés à identifier et à caractériser un mot dans la phrase et à préciser sa fonction
syntaxique (préposition : introduire un groupe prépositionnel complément ; conjonction de
subordination : subordonner une proposition à une principale ; conjonction de coordination :
coordonner ;…).
En consultant les programmes scolaires, mais aussi les tables de matières des ouvrages de
grammaire, (Arrivé et al, 1986 ; Galichet, 1973 ; Grevisse & Goosse, 1995 ; Chevalier et al,
2002 ; Baylon, & Fabre, 2001 ; Grevisse, 2003 ; Poisson-Quinton S., 2004 ; etc.), nous
constatons effectivement que lorsque l’ouvrage fait l’entrée par les « parties de discours », la
préposition est introduite généralement dans un chapitre intitulé « Mots grammaticaux » au
même titre que les conjonctions de subordination ou de coordination. Il la présente comme
simple mot de relation et se limitent à donner des listes de prépositions et des exemples de
bon usage. Et lorsque l’entrée se fait par les « constituants de la phrase », la priorité est
donnée à la fonction syntaxique, la préposition n’étant qu’un élément parmi d’autres pouvant
introduire différents compléments et différents rapports logiques.
105
Par ailleurs, nous constatons dans cette première expérience, que c’est la nature même du
contexte qui est à l’origine des différences de résultats. En effet, ce sont les contextes qui
génèrent des difficultés et non pas leur ordre de présentation. De plus, ils ne permettent pas
aux participants de réussir les tâches de manière égale. Les moyennes obtenues montrent que
tous les participants réussissent à identifier les prépositions dans le contexte zéro et le
contexte faible mieux que dans le contexte fort.
Dans la deuxième expérience, l’objectif est d’analyser l’effet de la prise en compte de la
valeur sémantique des prépositions. Nous posons l’hypothèse générale que la compréhension
des prépositions, autrement dit, l’identification de la valeur sémantique des prépositions est
la plus difficile à construire et notamment celle des prépositions décontextualisées.
Les grammaires scolaires considèrent les prépositions comme des mots outils et les
apprenants ne leur attribuent pas une valeur sémantique. Cette hypothèse a été validée, car
les résultats de cette expérience présentent les taux les plus faibles, comparés à ceux des
deux autres expériences.
Pour le groupe G3 (ce groupe commence par le contexte zéro « prépositions isolées »), la
majorité des participants donne aux prépositions à, dans et sur une valeur primaire, spatiale.
Considérer ces prépositions comme des prépositions spatiales pourrait s’expliquer soit par le
fait que le repérage dans l’espace est un ancrage de base pour la parole, considéré comme
prototype psychologique (Vandeloise, 1986 ; Cadiot, 1997 ; 2000), soit parce que les
apprenants se réfèrent à la grammaire scolaire qui se réfère elle-même à la description
traditionnelle des prépositions qui elle-même représente la meilleure illustration de ce
spatialisme. Ce prototype aurait des corrélats grammaticaux, dont prennent acte-outre les
grammaires scolaires- par exemple les théories de la grammaticalisation (Cadiot, 2001 :
118). Et donc, nous revenons à l’idée que le repérage dans l’espace est un ancrage de base
pour la parole.
Les prépositions sur et dans mobilisent immédiatement et même inévitablement une
représentation spatiale (Franckel & Paillard, 2007). Quand on envisage par exemple la
préposition dans isolément et pour elle-même, une notion d’intériorité, d’inclusion ou d’un
rapport de contenant/ contenu s’impose (Franckel & Paillard, 2007 ; Leeman, 2008).
106
Pour la préposition pour, tous les participants lui ont attribué un sens premier et unique, le
but, aucune autre valeur n’a été donnée. On revient encore une fois à la grammaire scolaire
qui tend généralement à privilégier un emploi parmi d’autres. Pour la préposition pour, c’est
souvent l’expression du but.
(Conséquence souhaitée). En ce qui concerne les autres
prépositions, de, en, par et avec, plusieurs valeurs ont été données, toutes dans le domaine
notionnel.
Contrairement aux participants du groupe G3, les participants des groupes G1, G2 et G4 qui
commencent par les contextes fort et faible, et non pas le contexte zéro, proposent des
réponses plus variées, ils ont attribué aux mêmes prépositions à, dans et sur hormis la valeur
spatiale et la valeur temporelle et pour la préposition pour hormis la valeur notionnelle
« but », d’autres valeurs sans doute reconnues ou identifiées dans les deux autres contextes,
étant donné que leur première étape de l’expérience correspondait soit au contexte fort, soit
au contexte faible. Ceci conforte l’hypothèse que le co-texte joue un rôle dans la
détermination de la valeur sémantique des prépositions qui puisent leur sémantisme dans les
unités coprésentes (Cadiot, 1997 ; 2001 ; 2002 ; Franckel & Paillard, 2007 ; Leeman 2008).
Le plus grand nombre des emplois identifiés sont les emplois spatiaux, les seconds sont
temporels, et viennent en dernière position les emplois dans le domaine dit notionnel. En
effet, la majorité des participants, tous groupes confondus, ont réussi à identifier la valeur
introduite par les prépositions à, dans et sur lorsqu’elles sont actualisées dans un emploi
spatial (nous partirons cet été à Paris ; cet enfant a peur de nager dans la piscine ; le cahier
est sur la table), les participants se basent sur le contexte, à savoir, les unités coprésentes
dans l’environnement des prépositions pour lui attribuer une valeur sémantique. Pour les
exemples ci-dessus, ils reconnaissent les unités Paris, Piscine et Table et leur associent un
signifié qui renvoie à un référent extralinguistique. En revanche, pour l’exemple après cette
déclaration, ce policier se trouve dans l’embarras , exemple dans lequel la préposition dans
introduit une valeur notionnelle « manière », et qui pourrait être paraphrasé par ce policier
est embarrassé la majorité des participants ont attribué à la préposition dans une valeur
spatiale ignorant, sans doute, le sens de l’unité lexicale «embarras » et attribuant à la
préposition dans un sens primaire spatial, sens largement privilégié dans les grammaires
scolaires. Les participants associent au signifiant «embarras » le signifié « lieu ».
107
Rappelons que tous les participants du groupe G3 dont la première étape consiste à préciser
la valeur des prépositions dans le contexte zéro avaient attribué à la préposition pour une
valeur primaire, mais surtout unique celle de l’expression du but. Pour le contexte faible
(phrases), les participants de ce groupe lui associent d’autres valeurs notamment la valeur
spatiale dans la phrase dans quelques jours il part pour l’Europe et la valeur temporelle
dans la phrase mon amie part en voyage pour six mois. Il est clair que les participants dans
ce cas se basent essentiellement sur les éléments environnants et surtout les compléments
introduits par la préposition : Europe et six mois pour donner la valeur. Pour la phrase : ce
bandit a été condamné pour vol, exemple dans lequel la préposition pour introduit une valeur
causale, aucune réponse correcte n’a été donnée. Pour cet exemple, les participants
reconnaissent forcément le sens de l’unité « vol » ne renvoyant, pour eux, ni à un espace ni à
un temps, et l’ensemble ne renvoyant pas à l’expression d’un but (visée, objectif), ils hésitent
et ne savent plus quelle valeur lui attribuer.
Pour le contexte fort (texte), ce sont aussi les emplois spatiaux et temporels qui viennent
respectivement en première et deuxième position, les emplois notionnels arrivent quant à eux
en dernière position. Lorsque les participants identifient clairement dans l’environnement qui
suit la préposition une lexie exprimant un lieu ou le temps, ils reconnaissent et identifient la
valeur sémantique introduite par la préposition (par une journée ; pour toujours ; de la terre
de son rêve ; dans les prochains jours ; à la tombée de la nuit ; en cet endroit ; dans ce lieu ;
…). En revanche, pour les emplois notionnels (en roi des lieux, à bout de force, pour cette
faute, en silence, dans son propre intérêt, dans les difficultés,…), la tâche a été plus difficile,
rares sont les participants qui ont identifié plus de la moitié des emplois. Reconnaitre et
comprendre les unités dans l’environnement immédiat de la préposition ne suffi t plus pour
identifier la valeur de la préposition (le rapport exprimé). C’est tout l’énoncé qui fournit les
éléments nécessaires à la compréhension, ces difficultés sont dues au degré d’abstraction
élevé des prépositions. La charge sémantique de ces dernières étant très ténue et instable
voire insaisissable. (Cadiot, 1997 ; 2001 ; 2002).
Conformément aux résultats des analyses statistiques inférentielles que nous avons réalisées,
nous pouvons généraliser les résultats des participants de notre échantillon à la population
parente et supposer que l’ensemble des apprenants considèrent les prépositions comme
essentiellement des mots outils servant juste à relier les constituants d’un énoncé. Lorsqu’il
108
faut leur attribuer un sens hors contexte, ils font appel à leur intuition et représentations,
autrement dit aux emplois les plus représentatifs. Parler d’un sens hors contexte (confondu
avec l’intuition naïve), c’est sortir de la langue en se pliant à l’ordre des référents (Cadiot,
2001 : 121). Et lorsque les prépositions sont contextualisées, les apprenants font appel au
contexte linguistique, à savoir les unités environnantes (coprésentes) pour en déterminer le
sens (la valeur sémantique). La reconnaissance de cette valeur dépend étroitement de la base
des connaissances lexicales des apprenants, mais aussi du degré de maitrise de la langue.
Dans la troisième expérience, l’objectif est de mesurer la capacité à produire les prépositions
dans deux contextes, le contexte faible représenté par les phrases et le contexte fort
représenté par le texte. Rappelons notre principale hypothèse : les participants réussiront la
tâche concernant le contexte faible « prépositions en phrases ». Produire des prépositions
dans des phrases sera plus facile pour les participants que de les produire dans un texte.
Cette hypothèse a été validée par les résultats de l’expérience. Dans le contexte faible, les
participants gèrent moins d’informations par rapport au contexte fort (texte). En effet, pour le
contexte faible, les phrases sont indépendantes, et les sujets lisent phrase par phrase
(contexte sémantique restreint) pour trouver et produire la préposition adéquate. Les
participants n’ont pas été confrontés à une surcharge cognitive.
Pour le contexte fort (texte), dans lequel les informations à traiter sont beaucoup plus
importantes, les sujets devaient comprendre d’une part, le texte dans sa globalité et
l’enchainement des idées, et d’autre part, comprendre la valeur que devait introduire (coder)
chaque préposition en se référant aux deux éléments X et Y, environnement immédiat de la
préposition, pour pouvoir produire la préposition adéquate et arriver à une cohérence
textuelle.
Pour le contexte fort, et contrairement au contexte faible, certains participants n’ont pas
terminé l’exercice dans sa totalité. Les « trous » qui n’ont pas été complétés se trouvent dans
la deuxième moitié du texte. Ce qui montre que les participants n’ont pas complété les trous
au hasard en ne s’intéressant qu’aux deux éléments dans l’environnement immédiat de la
préposition, mais qu’ils l’ont fait dans un ordre respectant l’enchainement des idées, c’est -àdire en lisant le texte du début à la fin. Par ailleurs, nous avons relevé que face à une
difficulté, l’apprenant opte pour des unités autres que les prépositions abstraites. En effet,
109
malgré l’aide proposée aux participants, à savoir la liste des huit prépositions, toutes
abstraites avec lesquelles ils devaient compléter le texte, certains participants ont complété
les vides par d’autres unités linguistiques. Ils construisent du sens, comprennent le rapport
introduit, mais n’utilisent pas les prépositions proposées, sans doute parce qu’ils les
cantonnent dans un domaine bien spécifique, souvent le plus représentatif (cf. résultats
expérience 2). Les unités retrouvées sont des unités, le plus souvent, considérées comme des
mots « pleins » ou plus précisément des prépositions à charge sémantique stable, par exemple
dans : durant les hivers, plus rudes et plus impitoyables, il était contraint (…) ou encore
dans : (…) il était conscient que le rêve se transformerait facilement en cauchemar si ?
pendant les prochains jours, il ne trouvait pas le moyen de se nourrir.
Pour le contexte faible, certains participants, aussi, optent pour des prépositions autres que
celles attendues : Nous partirons cet été à / pour Paris ; Il arrive à l’heure de / à Annaba ;
Nous sommes passés à / par Mostaganem avant de rentrer à Oran ; il est avec / sur ses
gardes ; mon ami part en voyage pour / dans
six mois ; … Ces phrases sont certes,
syntaxiquement et sémantiquement correctes, mais le choix de la préposition code
automatiquement des différences interprétatives. Ce qui nous amène à nous poser la question
suivante : est-ce qu’en choisissant l’une ou l’autre des prépositions, le participant saisit le
sens activé par la préposition choisie ?
Dans une démarche comparative, où nous comparons pour chaque contexte les trois
expériences nous avons formulé des hypothèses :
La première concerne le contexte zéro, énoncée comme suit : l’expérience de l’identification
sera la plus facile pour le contexte zéro ; identifier des prépositions dans une liste de mots est
plus facile que d’identifier des prépositions dans un texte ou des phrases. Cette hypothèse a
été confirmée, car les résultats, pour ce contexte, représentent les taux les plus élevés.
L’exercice a été réalisé dans un laps de temps très bref comparé aux deux autres contextes.
Nous expliquons ce résultat par la différence de quantité d’informations introduites par les
trois contextes, une simple liste de mots, des phrases et enfin un texte. Pour identifier les
prépositions, il faut effectuer un balayage des unités constitutives de chaque contexte. Ce
balayage se fait, bien sûr, plus facilement de la liste au texte.
La seconde hypothèse concerne le contexte faible, formulée comme suit :
110
L’expérience sur la compréhension serait la plus facile pour le contexte faible. Pour le
contexte zéro, donner une valeur spécifique aux prépositions est quasiment impossible vu
leur polyvalence. Cette hypothèse a été validée par les résultats. C’est dans le contexte faible
que les participants, tout groupe confondu, réussissent à caractériser d’une manière aisée la
valeur introduite par les prépositions, vient en seconde position le contexte fort et en
troisième et dernière position le contexte zéro.
La troisième hypothèse concerne le contexte fort, formulée comme suit : L’expérience sur la
production serait la plus facile pour le contexte fort, car les éléments environnants X et Y
(avant et après la préposition : X prép Y), mais aussi les autres éléments du texte faciliteront
la compréhension et donc la production des prépositions. Cette hypothèse n’a pas été validée
par les résultats, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, le contexte fort a généré
beaucoup de difficultés, et les participants n’ont pas réussi l’exercice. C’est encore dans le
contexte faible que les taux de réussite sont les plus élevés.
Toujours dans une démarche comparative où nous comparons cette fois le niveau de langue
des différents groupes, nous avons formulé l’hypothèse suivante : Contrairement aux groupes
G1, G2 et G3, le groupe G4 réussira mieux les trois expériences, car il bénéficie de deux
années d’apprentissage supplémentaires. Cette hypothèse a été confirmée, car les résultats
des trois expériences montrent qu’il y a une interaction entre le niveau de français et la tâche
à réaliser. Pour l’identification, cette interaction n’est pas significative en revanche, pour la
compréhension et surtout la production des prépositions l’interaction est très significative.
Les participants du groupe G4 sont ceux qui réussissent le mieux la production des
prépositions et notamment dans le contexte fort, contexte qui a généré plus de difficultés
chez les participants des autres groupes.
Nous pouvons conclure que la pratique de la langue que ce soit un enfant qui apprend sa
langue maternelle ou un étranger qui apprend une langue étrangère permet d’enregistrer dans
un premier temps les combinaisons partielles de propriétés conventionnellement acceptées
par la langue qu’il parle pour élargir par la suite l’usage de la préposition. « C’est par ce
choix que les langues diffèrent, rendant ainsi l’apprentissage des prépositions dans une
deuxième langue particulièrement difficile. » (Vandeloise, 1993 : 37)
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113
Implicite et ambiguïté au service de l’humour : entre sens et argumentation
Kheira MERINE, université Oran 2
Résumé
Dans tout acte de communication se pose, à la réception, le problème du sens qui est souvent
perçu autrement que ne le souhaite l’instance productive. Nombreuses sont les causes de ce
« hiatus », causes débattues en grande partie par la pragmalinguistique (Grice, Martin, Ducrot,
Moeschler, Kerbrat-Orecchioni…). Les humoristes, quant à eux, exploitent ce phénomène pour
créer des scènes où les mots sont les outils fabriquant des décalages servant l’humour certes,
mais permettant également une forme de falsification du langage. En nous basant sur le texte
(sketch) de R. Devos « A quand les vacances ? », nous essayons de montrer le fonctionnement de
deux procédés linguistique et pragmatique dans le blocage ou le déblocage communicationnel à
savoir : l’ambiguïté et l’implicite.
Notre travail consistera à montrer comment le texte combine entre ces deux procédés
différents pour en faire des ingrédients, d’une part pour instaurer l’incompréhension qui sert
l’humour et d’autre part pour débloquer la situation, toujours à l’aide de mots articulés à deux
niveaux : leur signification et leur représentation. Notre but dans cette réflexion est de montrer la
dimension communicative du mot qui n’est pas que linguistique mais qui peut reposer sur
d’autres paramètres. Le mot donc sera l’élément clé d’analyse, il sera pragmatisé tel que l’utilise
le texte dans un but d’être soit élément ambiguïsant (Fuchs, 1996), soit élément fonctionnant
implicitement pour aiguiller le sens (Ducrot,Kerbrat-orecchioni) dans une construction
argumentative.
Abstract
In every communication act, during the reception phase, the question of meaning arises, as this
latter is often perceived differently from what the productive instance conceives it. The several
causes of this hiatus have been discussed, for a large part by pragmalinguistics (Grice, Martin,
Ducrot, Moeschler, Kerbrat-Orecchioni…).. On the other hand, comedians make use of this
phenomenon to construct situations where words contribute to create discrepancies serving
114
humour indeed, but allowing a kind of language "falsification" as well. Using R.Devos' sketch
"When would the vacations be?", we shall try to unveil the functioning of the linguistic and
pragmatic processes present in the communication blocking and unblocking, namely ambiguity
and the implicit. We shall aim at showing how the text combines these two processes, on one
hand, to establish the misunderstanding that serves humour, and, on the other hand, to unlock the
situation, thanks to words articulated on both levels of meaning and
representation. The
communicative dimension of the word is not solely linguistic, but is also based on other
parameters. The word will thus be the key element in the analysis, and will be pragmatised, as
the text uses it, either as a factor creating ambiguity (Fuchs, 1996), or as one functioning
implicitly to steer meaning (Ducrot,Kerbrat-Orecchioni) in an argumentative construction.
Introduction
Comme l’humour repose essentiellement sur un langage conçu pour créer des décalages, il fait
appel à des constructions textuelles où sont combinés des procédés sémiotiquement complexes.
Répondant à son aspect majeur qui est de fonctionner autour et à l’aide d’incongruité, il
sélectionne ses ingrédients pour marquer son originalité mais aussi pour répondre à une finalité
qui n’est pas que le rire. Le texte « A quand les vacances ? » de Raymond Devos, texte
constituant notre corpus d’analyse, s’inscrit dans cette logique en se démarquant par sa structure
d’apparence simple mais dont le fonctionnement sémiotique et pragmatique lui confère une
valeur oscillant entre le philosophique et le didactique, rattachant ainsi la notion d’humour à
l’une de ses origines.1 Se servant de procédés traditionnellement connus, tels que le sens ambigu
et l’implicite le texte construit sa logique interne (local logic) en se basant sur le mot et sa portée
aussi bien linguistique que pragmatique. Notre travail consiste donc à analyser la combinatoire
mise en œuvre pour faire du mot l’élément clé du texte, à partir duquel fonctionnent l’incongruité
ainsi que sa théâtralisation. Nous structurons notre texte autour du rapport qu’entretient
l’humour, dans un premier temps, avec l’ambiguïté, dans un deuxième temps, avec l’humour et
dans un troisième temps, avec la distanciation comme principale fonction discursive.
1
Dans son ouvrage intitulé « le sens littéraire de l’humour »(PUF,2010), J-M, Moura montre que la notion
d’ humour permet de montrer comment de la théorie des humeurs médiévale, le concept aboutit à une « tournure
d’esprit » singulière, avant de devenir notion philosophique dans les écrits d’idéalistes allemands… » (cité par
Myriam Bendhif-Syllas, 2011, Humour et littérature in acta Fabula [mis enligne], page consultée le 21septembre
2014)
115
1. L’ambiguïté mise au service de l’humour
L’humour, échappant à une norme définitoire, a toujours été considéré par rapport à des
procédés provoquant le rire. Donnant lieu à des théories, ces procédés, sont définis en fonction
de l’aspect ludique qu’ils engendrent dans un acte communicationnel ; parmi eux figurent le
contraste et l’ambiguïté. Ainsi pour Kant ( Prieogo Valverde1964 :17) « les théories du contraste
sont davantage centrées sur l’humour comme procédé ludique et tentent d’en décrypter le
fonctionnement. Le contraste réside dans l’écart entre ce qui est attendu et ce qui se produit
réellement et c’est la perception de cet écart qui déclenche le rire ». Développant cette idée,
Koestler précise que « c’est non seulement l’écart entre ce qui est logiquement attendu et ce qui
survient qui déclenche les rires mais c’est aussi et surtout le fait que l’élément qui apparait est
compréhensible selon deux niveaux de sens différents, l’un logique et l’autre incongru »
(1964 :21). On comprend que le contraste est causé par deux sens différents présentés par le
même fait de langue ce qui se rapproche du phénomène produit par l’ambiguïté qui se présente
sous forme d’un signifiant renvoyant à plusieurs signifiés, comme le précisent Le Goffic et
Catherine Fuchs, dans les définitions suivantes :
-
« Un énoncé (une phrase) est ambigu quand il possède une description (représentation) à
un niveau donné et deux ou plusieurs descriptions (représentations) à un autre niveau »
(Le Goffic, 1982 :84)
-
« un constituant linguistique est ambigu quand à une seule forme correspondent plusieurs
sens. […]Parler d’“ambiguïté-alternative” (Fuchs : 1996), c’est insister sur le fait que les
différents sens d’un constituant ambigu sont mutuellement exclusifs. Si c’est le sens A,
ce n’est pas le sens B (et inversement) ; il faut donc nécessairement choisir entre les deux
si l’on veut comprendre le message. »
Ce caractère biunivoque de l’ambiguïté (un signifiant renvoyant à au moins deux signifiés, 1Sa
Sé1 et Sé2…), souvent vu comme une dualité va fournir à l’humour l’un de ses éléments clés
à savoir le disjoncteur (Morin, 1966) qui va servir à la mise en place de l’incongruité ; il permet
ainsi, au Sé2 de fonctionner en prenant le dessus sur le Sé1. Dans notre texte, cette disjonction
116
est mise en œuvre à l’aide de l’homophonie qui joue sur « le signifiant (phonique) identique
renvoyant à des signifiés distincts » (Gaudin et Guespin, 2000.).
1.1. L’homophonie : un disjoncteur discursif
Structuré sous forme de dialogue, notre texte installe l’incongruité dès les premiers échanges des
deux interlocuteurs par le biais de l’homophonie :
- [puʀkɑ̃ kɛlœʀ] ?
- [kɔmɑ̃ vulevukәʒәvudizkɑ̃ siʒәnәsɛpau] ?
[puʀkɑ̃ kɛlœʀ] ? présente deux réalités qui peuvent être interprétées ainsi : « Pour Caen,
quelle heure ? » considéré comme étant Sé1 ou « pour quand ? quelle heure ? », considéré
comme étant le Sé2. C’est cette deuxième interprétation qui installe l’incongruité puisqu’elle
engendre une réponse confirmant le décalage instauré par le jeu, du fait que « le disjoncteur
favorise le passage vers S2 sans annuler S1 » ( Prieogo Valverde, 1964 :22) , ce que A. Koestler
appelle « bisociation » qu’il définit comme
« […] la perception d’une situation ou d’une idée
L, sur deux plans de référence M1et M2 dont chacun a sa logique interne mais qui sont
habituellement incompatibles. On pourrait dire que l’événement L, point d’intersection des deux
plans, entre en vibration sur deux longueurs d’onde. Tant que dure cette situation insolite, L n’est
pas simplement liée à un contexte d’association, il est bisocié à deux contextes. » (1964 :21)
Les deux contextes seraient les deux univers sémantiques qui sont confrontés dans l’échange
verbal. Il reste à savoir comment fonctionnent ces univers et qu’est ce qui maintient leur jonction
loin de toute résolution.
1.2. L’homophonie source d’ambiguïté en texte.
L’ambiguïté surtout linguistique, mise en discours, est « épinglée » (Fuchs, 1996) par un
contexte plus ou moins développé, sans ce dernier (contexte), elle serait une ambiguïté virtuelle.
Pourtant l’homophonie (ambiguïté sonore) est entretenue de manière à se servir du contexte
textuel pour fonctionner selon les principes du jeu que s’est assigné le texte. Cet entretien
s’explique par le fait qu’elle est associée à un procédé dénominatif faisant appel soit à des noms
propres (NP) soit à des noms communs (NC).
117
1.2.1. Homophonie et nom propre
Dans le texte le NP est employé pour désigner des lieux et plus particulièrement des villes (Caen,
Troyes, Sète), seulement, si la composante graphique de ces NP leur confère une particularité
distinctive, il n’en est pas de même pour leur composante phonique qui se confond avec celles
d’autres mots renvoyant à d’autres réalités. Ainsi, le nom de la ville se confond-il soit avec un
adverbe interrogatif exprimant le temps ([kã]Caen / quand ?), soit avec un numéral cardinal
([tRwa]Troyes / trois ; [sεt] Sète / sept). Mais ce qui renforce la mise en place du décalage
c’est d’une part le lien établi entre deux éléments linguistiques à valeurs opposées (homophonie
et NP) et d’autre part, leur mise en discours, autrement dit leur contextualisation.
1°) Homophonie/NP : lien ou contamination ?
Si l’homophonie est par essence ambiguë créant, comme nous l’avons vu plus haut, « un
débordement du sens sur la forme » (Fuchs, op.cit), le NP est d’après les différentes thèses qui en
ont débattu, lié directement au référent de sorte à ne pas être confondu avec d’autres
‘’ désignateurs ‘’ 1 , il découle d’une convention beaucoup plus culturelle que linguistique ou
systémique. D’après Kleiber : « le nom propre « N » a pour sens la dénomination ‘’ être appelé
N’’, il est donc la désignation claire et univoque du référent. Et c’est en lui donnant , sur le plan
phonique, l’aspect d’une unité linguistique autre, que le texte dénature le NP et lui fait perdre sa
valeur dénominative référentielle et par ricochet sa représentation culturelle C’est ainsi que le jeu
du texte fonctionne aux deux niveaux de représentation : représentation culturelle, effacée au
profit de la linguistique, effacement dû à la contamination du NP par l’homophonie telle une
pathologie de la langue (Kerbrat-Orecchioni, 1999), et représentation linguistique donnant au
mot tout le pouvoir de dépasser les conventions.
2°) NP et contexte ambiguïsant
Si le mot (ici le NP) a ce pouvoir, il l’acquiert dans son rôle discursif, quand il agit dans un
environnement. Ainsi, concernant la séquence disjonctive [puʀkɑ̃ kɛlœʀ] ?, l’incongruité ne réside
pas uniquement dans l’ambiguïté du mot [kɑ̃ ] , mais dans la formulation de la question où il est
employé, question marquée par une forme elliptique faisant abstraction d’éléments pouvant
1
Néologisme créé par nous-même signifiant ‘’éléments de désignation’’.
118
épingler l’ambiguïté causée par l’homophonie (ex : pour aller à Caen, à quelle heure faut-il
prendre le car ?), le décalage n’est pas le fait de l’homophonie au niveau du NP, mais elle est
due aussi au cotexte qui lui est choisi.
Tout comme le NP, le NC connait le même rapport avec l’homophonie et sa mise en discours.
1.2.2. Homophonie et nom commun
La deuxième réplique dans le texte jouant sur l’homophonie pour maintenir l’incongruité et soustendre l’humour, est [lәkaR] ; elle est composée d’un déterminant accompagnant un NC
(renvoyant à deux interprétations : le car/le quart). Mais ce qui lui permet d’entrer dans la
logique du jeu c’est le fait que son signifiant (ambiguïsant) jouit de la même distribution au
niveau du texte pour les deux sé, (le car était là / je suis arrivé au quart (ou je suis arrivé au car)
/ le quart est passé (ou le car est passé)). Excepté le premier exemple, dans les deux autres,
l’homophonie du mot entraine celle de la phrase :
[ ʒəsɥizaʀiveokaʀ ]  je suis arrivé au quart ou je suis arrivé au car, la deuxième
éventualité s’explique par le fait que l’occurrence [kaR], signifiant moyen de transport
commun, apparaît à plusieurs reprises dans le texte (le car était là, prenez le car…)
[ləkaRεpase]  le quart est passé ou le car est passé.
Dans ce troisième exemple, le phénomène de l’homophonie phrastique s’explique par le fait que
le mot [kaR] s’adapte à la construction sous ses deux formes signifiantes comme sujet du verbe
passer.
1.2.3. L’ambiguïté en contexte au service du texte humoristique.
Le texte, menant au niveau de sa structure ce travail ambiguïsant, semble avoir deux visées,
l’une apparente qui a un lien avec l’humour (plus l’ambiguïté dure, plus l’humour est maintenu)
et l’autre est d’ordre théorique : il cherche à montrer que le contexte peut aider à générer des sens
ambigus, construits d’une manière volontaire, rejoignant ainsi la position de certains linguistes et
philosophes dont Paul Ricoeur qui précise que « par divers procédés, le discours peut réaliser
l’ambiguïté qui apparaît comme la combinaison d’un fait de contexte : la permission laissée à
119
plusieurs valeurs distinctes ou même opposées du même nom de se réaliser dans la même
séquence. »
C’est ainsi que notre texte construit sa progression autour d’une question ambiguë et déroutante
qui connaît deux tensions amplifiant le jeu :
- La première tension se sert de l’ambiguïté du mot [kã] pour transformer le rôle du
questionneur (en quête d’une information) en un rôle d’informateur, pour que le questionné qui
est chargé d’informer devienne demandeur d’informations. C’est l’auteur de la question de
départ qui guide l’échange jusqu’à ce qu’il soit arrivé à une entente avec son interlocuteur.
- La deuxième se construit sur un renversement des rôles où l’informateur (le personnage
principal qui fait une leçon d’histoire et de géographie) se trouve obligé d’écouter les
explications que lui présente son interlocuteur et au terme desquelles il se trouve dans la position
qu’a connue son interlocuteur au début du texte, c’est-à-dire reprenant le terme [kã] sous une
signification alors que la question visait la seconde signification. Ce n’est plus lui qui guide le
débat mais c’est l’autre qui décide de l’orientation de la communication.
Cependant, il faut reconnaitre que si le mot est ici, source d’ambiguïté, son seul aspect formel
n’aurait pu faire de lui l’élément ambiguïsant sans sa pragmatisation qui l’intègre, selon un choix
bien déterminé, dans un processus communicatif engendrant des décalages où il devient, non
seulement informatif mais indicateur de rôle, ce qui permet au texte d’entretenir l’ambiguïté et
de lui permettre d’agir en son contexte.
2. Implicite et humour : le mot pragmatisé
On est presque unanime à l’idée que
-
« Plus que dans toute autre analyse littéraire, l'implicite règne en maître dans celle de
l'humour. Sous la signification de surface de ce que produit l'effet comique, se pressent
les sous-entendus, les non-dits qui contribuent à son efficacité. »1
1
Présentation de la revue Humoresques n°17, « L’humour et L’implicite, hommage à Raymond Devos », janvier
2003 [en ligne] consulté le 7/10/2014 ;
120
C’est ainsi que notre texte s’en sert et en fait une arme à double jeu : servir l’humour mais aussi
et surtout s’en servir comme argument. Pour ce faire, il utilise comme support à cet implicite des
éléments référentiels. Ce sont là deux notions qui s’opposent de par leur nature ainsi que de par
leur fonctionnement : les marques référentielles sont explicites et exposent le référent sans aucun
calcul inférentiel, tandis que l’implicite, qui est défini par Grice (1975) comme étant « ce qui
est communiqué moins ce qui est dit », repose sur l’inférence pour jouer entre ce qui est
linguistiquement apparent et ce qui ne l’est que par le sens. Comment donc le texte arrive-t-il à
concilier ces deux éléments du discours ?
Répondant à son genre (sketch visant le jeu sur scène), le texte pragmatisé, présente un discours
à caractère spontané découlant d’un dialogue (rapporté dans un monologue) où le personnage
principal, étant un usager des transports communs, cherche à s’informer sur l’heure de départ des
cars en partance pour Caen. Cependant, dans les échanges verbaux, quelques répliques sont
conçues pour servir de référence historique (là où a eu lieu le débarquement) qui fonctionne à
deux niveaux : l’argumentatif et l’humoristique
2.1. La référence historique, un argument désambiguïsant
La référence historique apparaît à la suite de NP qui n’ont pas réussi à représenter le lieu cité par
le personnage principal à son interlocuteur ; pourtant la suite de NP respecte une présentation
géographique du lieu progressive, allant du nom global de la région à son nom spécifique
(Normandie / Calvados), et cela pour mieux situer la ville dont le NP se confond avec un autre
mot, comme on l’a déjà vu [kã] (Caen/quand).
C’est donc une référence qui joue beaucoup plus pour la situation du lieu que pour rappeler son
histoire ; ainsi, le seul mot de débarquement 1 a réussi à rendre tous les NP (Normandie,
Calvados, Caen) signifiants avec la présence de relation, aussi bien géographique qu’historique
entre eux. C’est toute la stratégie discursive du texte qui place comme premier référent culturel le
référent historique, en le faisant transcender au référent géographico-spatial. Ainsi fonctionnant
comme noyau sémantique, cette référence va non seulement permettre à l’ambiguïté d’être
épinglée (pour un premier temps) mais en plus, elle met en relief le caractère culturel du texte
1
Il s’agit du débarquement des alliés, en Normandie, lors de la deuxième guerre mondiale, en 1944.
121
humoristique. Ainsi, c’est la connivence du récepteur qui est convoquée par ce rappel historique,
qui montre que le sens de ces trois NP n’est complet, que lorsqu’il est historiquement cadré.
Ce cadrage historique se limite à l’emploi d’un seul mot, celui de débarquement dont l’incidence
au sein du discours est déterminative par rapport au contexte dans lequel il agit en apportant
« une dose massive d’informations ». Son choix n’est donc pas fortuit car « ce n’est pas parce
que le jeu est ludique qu’il est fortuit » (Prieogo-Valverde, 1964 : 45)
Ainsi, profitant de la connivence de son récepteur, le texte se voue un rôle plutôt didactique où,
en plus de données géographiques, il rappelle un fait historique qui ne doit pas être ignoré.
2.2. Référence historique et humour
Là aussi le procédé discursif est mis au service de la référence historique. En effet, le texte, à
vocation théâtrale, s’adresse au récepteur (spectateur et auditeur du texte) qui n’est pas
communiquant, mais qui participe par des réactions extralinguistiques, donc purement
situationnelles (gestes, rires, applaudissements ou silence).
Il convoque donc la présence d’un seul personnage sur scène qui va émettre à deux niveaux :
Locuteur / acteur  public/ spectateur : le locuteur est le narrateur qui présente toute l’histoire
au public avec les répliques discursives intra-textuelles (discours des deux personnages) en
jouant le rôle du personnage principal (c’est lui le concerné par l’histoire), il est donc
narrateur/personnage.
Locuteur / personnage  allocutaire / personnage : il s’adresse à son allocutaire qui est le 2 ème
personnage et qui n’est présent que dans le texte mais absent sur scène.
Ces deux plans de l’énonciation vont jouer en faveur de l’implicite dont les sous-entendus se
déplacent d’un niveau à l’autre. Ainsi, l’emploi du couple verbe/nom : débarquer /
débarquement va fonctionner au niveau du récepteur/spectateur selon deux visées :
- La première, provoquer le rire
- - La deuxième, être invité à partager une référence historique
1°) Le rire résultat d’un décodage culturel.
122
Au niveau de la réplique (ma parole, vous débarquez), le locuteur fait usage d’une expression
figée dont la signification renvoie à un codage culturel (Ducrot et Todorov, 1972) montrant
comment un citadin se démarque d’un provincial, comportement assez dédaigneux établissant
une hiérarchie dans la connaissance en fonction de l’appartenance sociale et géographique de
l’individu (le citadin est plus ‘cultivé’ que le provincial). L’humour se sert de cette figure
populaire satirique en faisant appel à la connivence du récepteur qui doit répondre
favorablement y trouvant son plaisir. Là aussi le choix de l’expression figée est motivé du fait
qu’elle permet, d’une part, de fonctionner sous forme de sous-entendu qui, d’après Martin
(1976), est « un mode d’inférence situationnelle, correspondant à un implicite pragmatique »
(Neveu 2004 :269), et, d’autre part, de servir la suite du texte en lui fournissant, sur la base
d’une contiguïté formelle et sémantique , une isotopie autour du léxème : débarquer et ses
dérivés débarquement et embarqué (« ma parole, vous débarquez », « là où a eu lieu le
débarquement », « les flics m’ont embarqué »). Les trois (pseudo) occurrences ne vont pas
avoir la même incidence au double niveau énonciatif, car, si le premier et le troisième mots
sont mis au service du rire, il n’en est pas du tout pour le deuxième qui permet une tout autre
orientation aussi bien du discours que du texte.
2°) La référence historique : un régulateur textuel et discursif.
L’implicite, au niveau du mot débarquement fonctionne en tant qu’argument montrant la
position de l’énonciateur qui sait préserver tout son sérieux à une référence historique, justifiant
son air moqueur vis-à-vis de l’employé. Mais à un niveau plus profond du texte, cet implicite sert
à expliquer le lien organisationnel du texte où le disjoncteur et la résolution sont liés au mode
référentiel du texte mêlant l’histoire à la géographie, même si cette résolution n’est que partielle
puisqu’elle va servir le jeu dans sa deuxième orientation avec inversement de rôles et continuité
de l’incongruité.
3. Humour et distanciation
Le prolongement de l’incongruité est mis au service d’une distanciation que le locuteur instaure
pour rire de lui mais aussi pour rendre compte d’une certaine réalité qu’il utilise au service de
l’humour. D’après B. Prieogo-Valverde (op.cit. : 29), la réalité est présente dans l’humour et
constitue le point de référence. Pour notre texte, cette réalité n’est autre que la langue qui permet
123
des jeux de mots, tels que ceux utilisés dans et par le texte et qui selon Milner (1982) ont tout à
voir avec la compétence du locuteur. Ce savoir- faire linguistique le locuteur l’utilise non pour
tourner en dérision autrui mais certainement comme moyen de donner à réfléchir sur le pouvoir
du mot, sur la manière dont il (le mot) peut guider la communication en modulant le sens selon sa
forme et son contenu sémantique qui peuvent échapper au non averti. Le jeu de mots n’est-il pas
un « jeu d’esprit » (Mounin, 1974 : 188) qu’il serait bon d’entretenir au même titre que l’histoire
et la géographie, pour éviter d’être égaré dans la recherche d’un sens qui n’aboutit pas, comme
n’a pas abouti la communication au niveau de notre texte-corpus ?
Conclusion
Plaçant le mot et le génie de son utilisateur au cœur des débats, le texte de Devos est, sous
l’apparence d’un texte humoristique (un sketch), une réflexion sur le pouvoir communicatif du
mot qui guide la signification en fonction de paramètres tel que celui de la forme. Il reprend à sa
manière la problématique du sens en la mettant en relation avec l’aspect matériel du mot, c’est-àdire le son, dénonçant « l’ordinaire effacement – illusoire – du signe, transparent, « consommé »
dans l’accomplissement de sa fonction de médiation », car « le mot, le moyen du dire, résiste,
s’interpose comme corps sur le trajet du dire, et s’y impose comme objet »1 sur lequel on doit
s’arrêter pour réfléchir.
Références bibliographiques
Authier-Revuz J., (2003), « Le fait autonymique : langage, langue, discours. Quelques
repères », Parler des mots, Paris, Sorbonne nouvelle, p. 67-96..
Bendhif-Syllas M., (2011), « Humour et littérature », in acta Fabula. [En ligne], consulté le
21septembre 2014)
Fuchs, C., (1996), Les ambiguïtés du Français. Paris : L’essentiel, Ophrys.
Fuchs, C., (2009), « L’ambiguïté : du fait de langue aux stratégies interlocutives » (LATTICE :
CNRS/ENS), Travaux neuchâtelois de linguistique, 50, 3-16. [En ligne] consulté le 21/9/2014
Gaudin, F., Guespin, L., (2000), Initiation à la lexicologie française ; de la néologie aux
dictionnaires. Bruxelles : Duculot/De Boeck.
1
Authier-Revuz, 2003, p. 88-89.
124
Grice, H.-P., (1979). « Logique et conversation ». Communications, n° 30, Paris : Seuil, pp. 5772.
Le Goffic, P., (1982), « Ambiguîté et ambivalence en linguistique ». DRLAV, 27, 83-105
Milner, J.-C., (1982), Ordres et raisons de langue, le Seuil, 1982.
Mounin, G., (1974), Dictionnaire de la linguistique, Presses Universitaires de France
Neveu, F., (2004), Dictionnaire des sciences du langage, Armand Colin.
Prieogo-Valverde B., (2003), L’humour dans la conversation familière, Paris, l’Harmattan.
Annexe
Texte de RAYMOND DEVOS
A QUAND LES VACANCES
J’avais dit : « Pendant les vacances je fais rien, rien, je veux rien faire ». Je savais pas où
aller. Comme j’avais entendu dire « A quand les vacances ? A quand les vacances ? », je dis :
- « Bon, je vais aller à Caen »
Et puis à Caen, ça tombait bien, j’avais rien à y faire. Je boucle la valise, je vais pour prendre
le car.
Je demande à l’employé :
-« Pour CAEN, quelle heure ? »
Il me dit :: » Pour où ? »
Je lui dis : « Pour Caen »
Il me dit : « Comment voulez- vous que je vous dise quand si je ne sais pas où ? »
Je lui dis :: « Comment vous ne savez pas où est Caen ? »
Il me dit si vous ne me le dites pas
Mais je lui dis : « Je vous ai dit Caen »
Il me dit : « Oui, mais vous ne m’avez pas dit où »
Je lui dis : « Monsieur, je vous demande une petite minute d’attention. Je voudrais que vous
me donniez l’heure de départ des cars qui partent pour CAEN »
Je dis : « Mais enfin, Monsieur, CAEN, dans le CALVADOS .»
Il me dit : « C’est vague ! »
125
Je lui dis : « En Normandie .Ah , je dis, ma parole, vous débarquez. »
« Ah ! il me dit, là où a eu lieu le débarquement, en Normandie, à Caen ? »
Je dis : « Voilà ! »
« Eh bien, il me dit, prenez le car. »
Je dis : « Il part quand ? »
Il me dit : « Il part au quart »
Je lui dis : « Le quart est passé ? »
« Eh bien, il me dit, si le car est passé vous l’avez raté »
Alors je lui dis : « Et le prochain ? »
Il me dit : « Le prochain, il part à 7 (sept) »
Je lui dis : « Mais il va à Caen ? »
Il me dit : « Non, il va à SETE »
Je lui dis : « Moi, je veux pas aller à SETE, je veux aller à CAEN »
Il me dit : « D’abord, qu’est-ce que vous allez faire à Caen ? »
Je dis : « Rien, rien je veux rien y faire. »
« Eh bien, il me dit, si vous n’avez rien à faire à Caen, allez à SETE ! »
Je lui dis : »Qu’est-ce que vous voulez que j’aille faire à SETE ? »
Il me dit : « Rien »
« Ah, je dis, si j’ai rien à y faire, alors d’accord »
« Alors je lui dis, pour SETE, il part à combien ? »
« Eh bien, il me dit, il part à 19…mais avec le chauffeur, ça fait 20. »
Il me dit, alors : « Vous l’avez raté »
Alors, je lui dis : « C’est trop tard »
Il me dit : « oui »
« Pour SETE oui, mais si ça vous dit d’aller à TROYES, j’ai encore une place dans ma
voiture ».
Je lui dis : « Qu’est-ce que vous voulez que j’aille faire à TROYES ? »
Il me dit : « Prendre le car »
« Mais, je dis, pour aller où ? »
Il me dit : »Pour Caen »
Je lui dis : « Comment voulez-vous que je vous dise quand si je ne sais pas où ? »
126
Il me dit : « Comment, vous ne savez pas où est Caen ?
Je lui dis : « Mais si, je sais où est CAEN ; ça fait une demi- heure que je vous dis c’est dans
le CALVADOS, que c’est là où je veux passer mes vacances, parce que j’ai rien à y faire.
« Oh, il me dit, ne criez pas, ne criez pas, on va s’occuper de vous ! »
Alors, il a téléphoné au dépôt, mon vieux ! à 22 le car était là, les flics m’ont embarqué…à 3,
et je suis arrivé au quart où j’ai passé la nuit. Voilà mes vacances. Raymond Devos – IPN, 1998.
127
La didactique du FLE : une discipline en construction
Abdelkrim KHETTAB
Université Sidi Mohammed Ben Abdellah-Maroc
Résumé
Le présent article est une réflexion autour de la« didactique », un concept protéiforme qui est
souvent confondu avec des concepts voisins. Il sera plus exactement question d’examiner les
contours de la didactique du FLE en précisant sa genèse ainsi que son évolution tant au niveau
conceptuel qu’épistémologique. Nous verrons, par la suite, que cette discipline est en quête de
scientificité et de reconnaissance académique vu les rapports ambigus qu’elle entretient avec les
disciplines contributoires. Plus encore, le discours didactique, empreint de pluralité, reflète la
diversité des postures chez les chercheurs. Après avoir explicité les différentes modalités de
recherche dans ce domaine, nous exposerons, en définitive, l’état actuel de la recherche en
didactique du FLE au Maroc en tant que discipline naissante.
Abstract
This paper examines the concept of didactics, a protean concept that is often confused with
similar terms. It will issue to consider the contours of the didactics of French as a foreign
language (FFL). We intend to clarify its genesis and its evolution both conceptual and
epistemological. We will see later that it is still looking for academic recognition because of the
ambiguous relationship it has with the contributory disciplines. Moreover, the didactic discourse,
marked by plurality, reflects the diversity of res earchers postures. After explaining the different
research modalities in this field,we finally expose the current state of the didactics of French in
Morocco as an emerging research discipline.
Introduction
La didactique des langues-cultures (désormais DLC) fait partie des didactiques disciplinaires, un
champ d’étude qui s’est développé particulièrement en France et dont l’objet consiste en la
réflexion sur les phénomènes d'enseignement-apprentissage. Il faut reconnaître au passage que la
didactique des sciences, et notamment celle des mathématiques, a irrigué les autres didactiques
128
disciplinaires avec des notions théoriques comme situation didactique, contrat didactique(Guy
Brousseau, 1979) ou transposition didactique1 (Yves Chevallard, 1985).
Depuis son apparition au milieu des années 70, la DLC ne cesse de revendiquer une place parmi
les sciences humaines et sociales. Réputée de « discipline carrefour » (Galisson, 1986 :50) ou
même d’aubergeespagnole, elleest souvent en quête d’assises scientifiques pour raffermir son
statut académique.
Outre la difficulté de son affiliation, aux sciences du langage ou aux sciences de l’éducation, les
rapports ambigus qu’elle entretient avec les disciplines dites contributoires rendent fragiles ses
soubassements épistémologiques.
Au vu de ce qui précède, nous sommes amené à nous interroger sur le statut actuel de la
didactique. S’agit-il d’une science affirmée ou d’un simple domaine regroupant les bonnes
pratiques? S’est-elle constituée en discipline autonome ou est-elle encore en quête de maturité ?
Y a-t-il un type spécifique de recherche à même de répondre aux questionnements du champ ?
C’est à ces questions que nous tenterons d’apporter des éléments de réponse.
I.
Précision terminologique : DidactiqueVsPédagogie
Il nous semble, de prime abord, nécessaire de préciser le sens des termes didactique et
pédagogie, des termes si voisins que très souvent ils sont confondus voire opposés et, plus
encore, chaque terme ne réfère pas toujours au même concept. Avec eux, vient parfois interférer
le terme sciences de l’éducation; néanmoins, ce dernier renvoie, selon Gaston Mialar et à
« l'ensemble des disciplines qui étudient les conditions d'existence, de fonctionnement, et
d'évolution des situations et des faits d'éducation ». Pluridisciplinaires par définition, les sciences
de l’éducation font appel à diverses disciplines : sociologie de l’éducation, psychologie de
l’éducation, psychologie des apprentissages, didactique des disciplines, histoire de l’éducation,
etc.
Pour situer la didactique au regard de la pédagogie, il convient dès lors de distinguer deux
niveaux :
1.
Au niveau étymologique :
1
Utilisée initialement en Sociologiepar Michel Verret (1975).
129
Le mot « pédagogie » dérive du grec (pais, paidos) : « l'enfant », et (agogein) : « conduire,
mener, accompagner, élever ». Dans la Grèce antique, le pédagogue était un esclave qui
accompagnait l'enfant à l'école, lui portait ses affaires, mais aussi l’assistait à réciter ses leçons et
faire ses devoirs. Le mot « Pédagogie » fait son apparition en 1495dans le dictionnaire LeRobert
et en 1762 dans le Dictionnaire de L’Académie française.
D’origine grecque, Didaktikos(de didaskein = enseigner) signifie « propre à enseigner »
(Legendre, 1988 :179), le mot didactique a évolué d’un adjectif vers un substantif. L’adjectif «
didactique », apparu le premier au Moyen âge et plus précisément en 1554 (Rosay, 1988 :16),
caractérise depuis longtemps des œuvres à visée instructive. En tant que substantif, il est défini
par Comenius (1628/1657) comme : « art d’enseigner ». Le même sens traverse les siècles e tse
trouve rapporté par Le Robert (1955) et Le Littré (1960), évoluant ainsi jusqu’à désigner une
discipline, un champ voire une science.
2.
Au niveau sémantique:
Généralement, la pédagogie porte son attention sur la relation fonctionnelle enseignant-élèves et
sur l’action en situation, relation où la dimension affective est très prégnante. La didactique,
quant à elle, renvoie au rapport de l’enseignant au savoir.
Pour ce qui est de la conception actuelle du domaine, beaucoup d’auteurs constatent que la
pédagogie se situe du côté de l’apprenant et fait référence à tout ce qui relève de
l’apprentissage. Elle s’intéresse aux processus intellectuels et perceptifs mis en œuvre au cours
de l’apprentissage ainsi que les principes méthodologiques du « comment faire-apprendre ».
Par ailleurs, la didactique, selon eux, se situe du côté de l’enseignant en tant que spécialiste d’un
contenu d’enseignement. Elle se résume au « quoi enseigner », par le choix du contenu, son
adaptation au public et sa structuration en séquences didactiques cohérentes, tout en obéissant à
une logique de progression dans les apprentissages.
3.
Pédagogie et Didactique en classe :
En effet, dans sa pratique en classe, tout enseignant remplit deux fonctions concomitantes et
complémentaires recouvrant des types de tâches différentes :« une fonction didactique de
structuration et de gestion des contenus, et une fonction pédagogique de gestion, de régulation
interactive des événements en classe »(Altet, Charlier & Perrenoud, 2001 : 32).Comme le
130
souligne Tochon (1989), le fait pédagogique se déroule dans le « temps synchronique » de
l’enseignement alors que le fait didactique est de l’ordre de la « diachronie », du temps fictif de
l’anticipation des contenus. Du coup, « penser séparément le didactique et le pédagogique est
contre-productif » (Bucheton, 2012), et pour le praticien, il est impératif de tenir les deux bouts
de la chaîne.
II.
Didactique du français langue étrangère : évolution d’une discipline
La didactique du français langue étrangère et seconde (désormais DFLES) est une discipline
relativement récente. Elle a vu le jour en France et s’est développée au sein d’institutions
« marginales »(CRÉDIF, BELC)1 pendant une courte durée. Les publics visés ont surtout été des
publics non scolaires situés dans des établissements éducatifs non officiels. Cette caractéristique
lui a permis d’opérer plus librement que les didactiques travaillant sur des disciplines
correspondant à des programmes et à des examens officiels.
En tant que branche de la Didactique des langues étrangères et secondes (Cuq, 2003) ou de la
DLC (Galisson), la DFLES est venue succéder à la « linguistique appliquée2 », vers la fin des
années 70, marquant ainsi un changement à la fois épistémologique et conceptuel. Cependant, il
importe de rappeler les trois perspectives qui ont, selon nous, marqué l’histoire de cette
discipline :
1.
La 1ère perspective : la Pédagogie des langues :
Cette période était propre aux méthodologies traditionnelles, et correspondait à la montée en
puissance de la Psychologie au sein des sciences humaines. Le terme pédagogie fonctionnait
comme un polysème puisque son référé englobait à la fois méthodes, manuels, outils
pédagogiques, etc. En fait, il englobait toute la pratique pédagogique, prenant ainsi valeur
générique englobant, alors que le terme Didactique était tombé en désuétude au cours de ce
siècle. Le noyau dur de cette perspective était axé sur l’enseignant.
1
LeCREDIF : Centre de Recherche et d'Étude pour la Diffusion du Français ; alors que le BELC : Bureau pour
l’Enseignement de la Langue et de la Civilisation françaises à l’étranger.
2
Appellation calquée sur AppliedLinguistics, arrivée en France avec la méthodologie audio-orale américaine et
ses deux références scientifiques, le béhaviorisme et le distributionnalisme.
131
2.
La 2ème perspective : la période Linguistique appliquée
Cette période correspondait à la prédominance de la Linguistique au sein des sciences humaines.
Le noyau dur de cette perspective était axé sur l’objet langue, et il faut signaler, qu’à ce moment
de son histoire, la didactique renvoyait plutôt à un travail autour des
méthodologies
d’enseignement. En effet, pendant les années 60-70, la linguistique a produit des modèles si
élaborés que les chercheurs dans le domaine de l’enseignement des langues ont pu penser que
l’application de ces modèles « scientifiques » dans leur domaine pouvait aplanir les obstacles liés
à l’apprentissage des langues.
C’est une logique « descendante » et « prescriptiviste » (Bigot & Cadet, 2011 : 16) par laquelle
la didactique cherchait alors à construire des modèles d’enseignement généralisables à tous les
contextes.
3.
La 3ème perspective : l’émergence de la didactique/didactologie:
Cette période correspondait à la baisse de l’influence de la linguistique au sein des
sciences
humaines
au
profit
d’autres
disciplines
comme
la
sociolinguistique,
la
psycholinguistique ou l’anthropologie, de sorte que, le noyau dur de cette perspective s’est
déplacé de la discipline enseignée vers le sujet apprenant. Galisson, qui était un lexicologue
particulièrement fécond en matière de néologisme en didactique, « proposa en 1977 de
remplacer “linguistique appliquée” par “la didactique des langues étrangères” » (Cuq, 2003 :
69).En 1986, il reconfigura le champ en avançant que Didactique devient Didactologie du
moment que le didacticien « réfléchit sur sa pratique et produit du discours sur cette pratique »
(Galisson, 1986).
La didactologie s’installe donc comme l’aboutissement d’une évolution, rendue possible grâce
au développement d’un paradigme « ascendant » dans les recherches en didactique, un
paradigme qui s’est construit sur la conviction que « c’est dans la pratique que naît la théorie »1.
4.
Le rapport Langue-Culture en Didactique :
Il revient, encore une fois, à Galisson de proposer le concept de didactique des langues et des
cultures (1989), puis de le faire évoluer en didactique des langues-cultures (1992)(avec un tiret).
1
Resnik citée par Bucheton (1995, p. 207).
132
Par ce passage, il veut marquer l’indissociabilité absolue des deux éléments : Langue et Culture1.
En effet, au sein de cette discipline, la langue est «un objet d’enseignement et d’apprentissage
composé d’un idiome et d’une culture » (Cuq &Gruca, 2002: 80).
Le principe de l’indissociabilité langue-culture trouve sa légitimité dans le rapport établi entre
compétence communicative et compétence (inter-)culturelle. Il faut rappeler que l’ « approche
communicative » et l’ « approche interculturelle » ont fortement préparé le terrain à l’adoption
du double objectif langue-culture de sorte qu’aujourd’hui l’expression «didactique des languescultures » est largement connue et reconnue parmi les spécialistes.
La langue étrangère, au fil du cursus scolaire, devient de moins en moins une finalité et de plus
en plus un moyen pour la découverte et la maitrise de la culture cible. Et il n’est pas un hasard
que les auteurs du Cadre Européen de Référence pour les Langues (2001) instaurent l’objectif de
« compétence plurilingue et pluriculturelle » comme finalité majeure.
En fin de compte, il apparait que chaque nouvelle appellation en didactique est symptomatique
d’une évolution épistémologique et / ou conceptuelle, propre à un moment donné de l’histoire de
la discipline. Dans cette optique, nous pouvons dire que « l’histoire de la discipline c’est aussi
une histoire de concept ». (Benhamla, 2012).
Suite à cette évolution de perspectives, nous serons amené à nous interroger sur les fondements
épistémologiques actuels de cette discipline.
III.
Epistémologie et Objet d’étude en didactique :
Il fut un temps où l’objet de recherche en didactique consistait à aller chercher dans les théories
des sciences du langage et de la psychologie des modèles pour enseigner. C’était un présupposé
épistémologique « descendant »empreint d’applicationnisme. Actuellement, la perspective s’est
inversée et elle est « ascendante »,la didactique a décentré son objet vers les pratiques de classe.
1.
L’objet didactique : un objet complexe
Il faut reconnaitre que l’objet didactique est fondamentalement complexe1dans la mesure où il
est question de réfléchir sur le processus conjoint d’enseignement-apprentissage d’une langue-
1
Sur cette corrélation à lire : Claude Lévi-strauss (1974) et Michael Byram (1992).
133
culture. En effet,« L’objet de recherche [en didactique], qui n’est jamais un item isolé et/ou
isolable, est en fait une interaction d’objets dans des systèmes complexes »(J-P.Narcy-Combes,
2002).
Pour réfléchir sur son objet, la didactique emprunte ses outils d’analyse à des disciplines
appelées jadis « de référence »ou actuellement « disciplines contributoires » 2 telles que la
linguistique, la psycholinguistique, la sociolinguistique, les sciences de l'éducation, etc.
Est-ce là une dépendance épistémologique ? Ou est-ce la nature complexe du champ qui
condamne la didactique à l’emprunt?
2.
Une discipline en quête de scientificité :
Pour certains, la didactique, assimilée à une « science de l’imprécis »(Moles&Rohmer, 1990),
couvre un domaine à la fois trop vaste et trop dépendant des paramètres environnementaux pour
qu’on puisse l’instituer en une véritable « science » dotée de ses propres théories.
Par ailleurs, la didactique souffre d’un manque de reconnaissance académique, voire d’une «
culture du mépris » (Daunay, 2011 : 13), sa scientificité est remise en cause par beaucoup
d’universitaires. Ces détracteurs « ont du mal à concevoir que les didactiques des disciplines
scolaires puissent correspondre à autre chose qu’à un corpus de savoir-faire empirique »
(Puren, 2009).
En outre, la didactique, comme discipline de recherche et de formation universitaire, peut
s’inscrire dans des cursus divers
3
,ce qui entraîne évidemment une difficile lisibilité
institutionnelle de la discipline. Plus encore, un grand nombre de didacticiens, moins zélés,
parait-il, préfèrent se réclamer non de la didactique mais de leurs disciplines mères telles que la
linguistique, la psycholinguistique ou la sociolinguistique ; et du coup le statut de la didactique
se trouve fragilisé par ceux-là-mêmes qui seraient censés la défendre.
1
« Le « paradigme de complexité » que définit E. Morin dans différents ouvrages est particulièrement adapté à la
didactique des langues ». (Puren, 1999, Glossaire)
2
Appelées aussi «disciplines de proximité » (Puren, 2009), ou encore « sciences de fondement » (Narcy-Combes,
2006).
3
Sciences du langage, Littérature, Communication& Nouvelles Technologies, Cognition, Sciences de l’éducation,
etc.
134
3.
Une discipline parvenue à maturité ?
Pour d’autres auteurs, la DLC possède sa propre épistémologie, mais forcément adaptée à la
nature de son domaine. Bien entendu, la didactique ne se suffit pas, et partant, il est parfaitement
légitime qu’elle recoure à d’autres disciplines pour se doter d’outils de travail. Autrement dit, la
nature de ce champ complexe exige que soient prises en compte plusieurs variables enchevêtrées,
à la fois d’ordre : cognitif, langagier, social, psychologique, culturel, éducatif, institutionnel et
anthropologique. Ces différents constituants forment un « tissu interdépendant, interactif et
inter-rétroactif » (Morin, 1999 : 17).
Cependant, l’emprunt théorique, qui est une entreprise hautement périlleuse, requiert de la part
des praticiens beaucoup de vigilance et un souci permanent de spécification (Daunay& Reuter,
2008). C’est là où réside l’enjeu de l’action didactique car il importe de repenser les concepts et
les démarches en fonction des contextes et des objets auxquels ils s'appliquent. Au demeurant, la
contextualisation didactique est un variable déterminant dans les recherches car il prémunit les
acteurs contre les généralisations abusives.
Il faut reconnaitre que la lente autonomisation ou, pour mieux dire, la reconfiguration
disciplinaire de la didactique, qui est un processus actuellement en cours, exige des clarifications
théoriques et méthodologiques de la part des didacticiens.
Ceci étant dit, il convient à présent de nous demander : quels sont les types de recherches en
didactique ? Et Quelle serait donc la modalité de recherche la mieux appropriée à ce domaine?
IV-
Quelle Recherche en didactique ?
La didactique est une discipline à visée praxéologique, discipline où la pratique est à la fois le
point de départ et la finalité de la recherche (Halté, 1992 ; Brassart, Reuter, 1992).Dans cette
optique, la recherche en DLC peut être définie comme un acte d’« observation, d’analyse et
d’interprétation des usages (ressources, pratiques, représentations) relatifs aux enseignements
et
apprentissages
linguistico-culturels
pouvant
déboucher
sur
des
propositions
d'intervention »(Blanchet &Rispail, 2012).
Si la plupart des didacticiens optent pour la recherche-action, il n’en demeure pas moins vrai
que la recherche fondamentale assure un rôle spéculatif indispensable à la discipline en ce
qu’elle lui permet de penser constamment ses objets.
135
Cependant, avant d’expliciter ces deux tendances de recherche, il importe de clarifier une
confusion récurrente, du moins pour un observateur extérieur à ce champ, tant au niveau de la
pratique que de la recherche.
1-
Confusion disciplinaire et discours pluriel:
Face à l'absence d’un paradigme dominant, nous assistons àun foisonnement méthodologique,
ainsi qu’à une pluralité des choix conceptuels. Nous relevons trois causes principales pour
expliquer ce kaléidoscope théorique (Daunay& Reuter, 2011 : 15).
La première est que les paradigmes scientifiques n’ont cessé d’évoluer durant ces 50 dernières
années, au point que les frontières entre savoirs et domaines scientifiques sont devenues moins
étanches que par le passé.
La seconde est que les didacticiens-chercheurs à l’université ont un double ancrage, ils
proviennent d’horizons différents (linguistique, psychologie, sociologie, études littéraires,
sciences de l’éducation,…), et d’où la production d’un discours pluriel reflétant leurs formations
et leurs histoires personnelles.
La troisième cause est que, à côté des chercheurs-universitaires, plusieurs acteurs peuvent
revendiquer à bon droit la didactique: formateurs, enseignants-praticiens, inspecteurs,
méthodologues, innovateurs ou concepteurs de manuel. C’est à ce titre que Michel Develay
(1997 : 62-63) distingue au moins trois attitudes du didacticien :« l'attitude descriptive (du
didacticien universitaire),l'attitude prescriptive (du didacticien inspecteur) et l'attitude
suggestive(du didacticien formateur) ».Cette pluralité d’acteurs et d’espaces de travail conduit
nécessairement à une diversité des postures de recherche. Chacune de ces recherches est amenée
à penser ses problèmes en vase clos dans un contexte spécifique et on assiste dès lors à des
recherches juxtaposées et redondantes.
Il est à signaler que dans un domaine, où « la culture de la capitalisation scientifique n’est pas
encore très ancrée dans les pratiques des chercheurs » (Daunay& Reuter, 2011),la vulgarisation
des résultats des recherches en didactique se heurte, par ailleurs, à l’absence de réseaux
communautaires en mesure de diffuser les savoirs et de mutualiser les expériences.
136
2-
Les types de recherches :
Comme nous l’avons énoncé plus haut, les avis sont partagés quant au type de recherche à
adopter. Bien qu’il y ait différents types, nous relevons pour notre part deux grandes
orientations :
a)
La recherche fondamentale :
C’est une recherche « universitaire »éloignée des directives officielles et qui« vise à accroître les
connaissances d’un domaine, sans se préoccuper de ses applications pratiques» (Angers, 2000
[1996] : 9), autrement dit, en l’entamant, on ne présuppose pas des retombées pratiques qu’elle
pourra avoir.Un autre trait définitoire, c’est qu’elle met l’accent sur la construction théorique
soucieuse d’une cohérence interne, sans se préoccuper d’une confrontation avec le réel.
Elle privilégie les postures descriptive et explicative et prend du recul pour analyser les aspects
positifs comme les dérives des dispositifs et des pratiques d’enseignement-apprentissage en
vigueur. Sa finalité ultime consiste à modéliser les pratiques et à théoriser les phénomènes en vue
de produire un savoir académique. Ce type de recherche, faiblement orienté vers l’intervention,
propose rarement des dispositifs pour l’expérimentation.
b)
La recherche-action:
Elle vise à expérimenter de nouveaux dispositifs d’enseignement, ainsi que le contrôle et
l’évaluation systématique de ces dispositifs. Elle s’inscrit dans une démarche d’intervention
« impliquée », propice à l’innovation pédagogique et au développement d’outils. Elle est la
recherche privilégiée dans les centres de formation des enseignants.
Par ailleurs, la recherche-action est préconisée par un grand nombre de didacticiens de renom 1.
Selon eux, la recherche-action« est la méthodologie de la recherche la mieux adaptée pour
gérer les interrogations que suscite ce domaine ». (J-P Narcy-Combes, 2002)
S’il y a bien divergence au niveau des finalités et des méthodologies entre recherche
fondamentale et recherche-action, la didactique a fortement besoin de leurs apports théoriques
et praxéologiques, pour peu que ces savoirs soient complémentaires et non prescriptifs. Ces deux
versants de la recherche concourent à la compréhension des phénomènes d’enseignement1
Pour n’en citer que quelques uns : D. Coste, Ch. Puren,Dabène, J-.P. Narcy-Combes, D. Macaire, Manesse,
Nunan, Ellis, ...
137
apprentissage et peuvent conduire, in fine, àla prise de décisions politico-institutionnelles en
matière d’éducation, mais ne sauraient en aucun cas se confondre avec elles.
4.
Didactique du FLE au Maroc : états des lieux de la recherche
Au Maroc, et pour des raisons historiques, on parle de DFLE/S pour désigner la didactique qui
réfléchit sur les pratiques de la langue française au sein des institutions scolaires.
En vérité, cette didactique est à ses balbutiements pour ne pas dire qu’elle est à l’état
embryonnaire. Pour autant, les acteurs de la recherche sont de trois ordres : « institutionnels,
scientifiques et associatifs » (Mabrour, 2013) et ils opèrent au sein:
- des Établissements universitaires où les enseignants-chercheurs sont souvent de formation
linguistique et/ou littéraire ;
- des Centres de formation initiale aux métiers de l’enseignement ;
- du Réseau des Instituts français où différentes actions sont menées en matière de formation;
- d’Associations telle que l’AMEF1, ses rencontres annuelles et notamment ses universités d’été.
Il importe de souligner que le REMADDIF2, un réseau récemment installé, a pour objectifs de
mutualiser les recherches en didactique du français au sein des Masters et Doctorats, de soutenir
les structures de recherche universitaires, et enfin de nouer des partenariats au niveau national et
international. D’ailleurs, son dynamisme laisse présager qu’une communauté didactique est en
cours de constitution.
En matière de publications, outre mémoires, thèses et actes de colloques, on signale de temps à
autre des publications individuelles orientation pédagogique. On déplore toutefois l’absence de
revues spécialisées en didactique, et notamment d’une version locale de la revue Synergie3, en
regard de nos deux proches voisins, l’Algérie4 et la Tunisie, qui disposent de leurs versions
locales de la revue, et ce, respectivement, depuis 2007 et 2009.
1
L’Association Marocaine des Enseignants de Français.
REMADDIF : Réseau des Masters et Doctorats en Didactique du Français.
2
3
Le Réseau des revues Synergies du GERFLINT(Groupe d’Études et de Recherches pour le Français Langue
Internationale)est un bouquet d'une trentaine de revues de Sciences Humaines et Sociales et de Didactologie des
Langues et des Cultures. http://gerflint.fr/Base/base.html
4
La revue Synergies Algérie, qui a publié plus de 100 articles en didactique, est actuellement à son 22
ème
numéro.
138
Conclusion
Nous avons vu, à travers cet article, que la DLC est un champ d’étude qui présente plusieurs
tensions. Il y a diversité des postures et une conception plurielle de ce champ par les acteurs. Si
les chercheurs forment une communauté disparate, il n’en demeure pas moins vrai que les
tensions entre théorie et pratique d’une part, entre distanciation et implication, entre visée
scientifique et engagement militant d’autre part, sont des facteurs qui fragilisent la discipline. Il
reste à préciser enfin que le caractère non stable et évolutif de la discipline fait dire à Jacques
Cortès 1 que la didactique est bel et bien « une discipline en construction et reconstruction
permanentes ».
Toutefois, l’avenir de la didactique, comme champ autonome de recherche susceptible
d’apporter des connaissances spécifiques, est tributaire de la capitalisation des recherches, du
travail en synergie et de l’instauration d’un dialogue entre universitaires, formateurs, décideurs et
praticiens. Tel est, à notre sens, le défi que doit relever actuellement la didactique. Il s’agit
d’entretenir entre les différents acteurs des « relations fructueuses et dépassionnées » au lieu de
la défiance et du déni mutuel (Perrenoud, &al., 2008) car, en définitive, tout didacticien
ambitionne d’apporter sinon des solutions, du moins des éléments d’intelligibilité des processus
d’enseignement et d’apprentissage.
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1
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139
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cours ? », Revue Française de Pédagogie, n° 86, Paris, pp. 23-33.
140
‫ﺧﺼﻮﺻﯿﺎت اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ وﺿﻌًﺎ وﺗﺮﺟﻤﺔً‬
‫د‪.‬إﯾﻤﺎن ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‬
‫ﺟﺎﻣﻌﺔ اﻟﺠﺰاﺋﺮ‪2‬‬
‫ﯾُﻤﻜﻦ اﻟﺤﺪﯾﺚ ﻋﻦ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﻤﺘﺨﺼﺼﺔ ﻋـﻨﺪﻣﺎ ﻻ ﯾﻜﻔﻲ اﻟﻤﺨﺰون اﻟﻤﻌﺮﻓﻲ اﻟﺬي ﯾﺸـﺘﺮك ﻓﯿﮫ أﻛﺒﺮ ﻋﺪد ﻣﻦ اﻟﻨﺎس ﻟﻠﻘﯿﺎم ﺑﻌﻤﻠﯿﺘﻲ‬
‫ﺼﺼﺔ )‪ .(380 :2003 ،Lethuillier‬ﻛﻤﺎ إﻧﮭﺎ‬
‫ﻚ رﻣﻮز اﻟﺮﺳﺎﻟﺔ ﻣﺤ ّﻞ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ وإﻋﺎدة ﺗﺮﻣﯿﺰھﺎ‪ ،‬ﻓـﺘـﺘﺪ ّﺧﻞ اﻟﻤﻌﺎرف اﻟﻤﺘﺨ ّ‬
‫ﻓ ّ‬
‫ﺼﺼﺔ ﺑﻄﺮﯾﻘﺔ ﺗﻘﻨﯿﺔ )‪.(29 -21 :1995 ،Lerat‬‬
‫ﺗﺮﺟﻤﺔ ﺗﺘﻌﺎﻣﻞ ﻣﻊ ﻟﻐﺔ اﺧﺘﺼﺎص ﺗﺴﺘﻌﻤﻞ ﻟﻐﺔ طﺒﯿﻌﯿﺔ ﻟﻠﺘّﻌﺒﯿﺮ ﻋﻦ ﻣﻌﺎرف ﻣﺘﺨ ّ‬
‫ﻓﺎﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‪ ،‬ﻣﻦ ھﺬا اﻟﻤﻨﻈﻮر‪ ،‬ﺗﺮﺟﻤﺔ ﻣﺘﺨﺼﺼﺔ ﺑﺎﻣﺘﯿﺎز‪ ،‬إذ ﺗﺘﻄﻠﺐ ﻣﻌﺎرف وﻣﮭﺎرات ﻣﻤﯿﺰة‪ ،‬وﺗﺴﺘﻌﯿﻦ ﺑﻠﻐﺔ ﺗـﻘـﻨﯿﺔ‬
‫ﺼﺼﺔ ﺗُﻌـﺒّﺮ ﻋﻦ اﻟﻤﺘﺼﻮرات واﻟﺤﻘﺎﺋﻖ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ و"ﺗُــﺸﻜّﻞ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت واﻟﻘﻮاﻟﺐ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﯿﺔ اﻟﺪّﻋﺎﻣﺔ اﻟﺮﺋﯿﺴﺔ ﻟﮭﺎ‬
‫ﻣﺘﺨ ّ‬
‫ﺑﺎﻟﻤﻔﺎھﯿﻢ ودﻗﺎﺋـﻖ اﻟﻤﻌﺎﻧﻲ اﻟﺘﻲ ﺗﺤﻤﻠﮭﺎ" )اﻟﺪﯾﺪاوي‪.(45 :2000 ،‬‬
‫ﺑﯿﺪ أن اﻣﺘﻼك اﻟﻘﺎﻧﻮن ﻟﻐﺔً ﯾﻤﻜﻦ وﺻﻔﮭﺎ "ﺗـﻘـﻨﯿﺔ" ﻻ ﯾﻌﻨﻲ أن اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ ﺗﺮﺟﻤﺔ ﺗـﻘـﻨﯿﺔ )ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‪ .(167 : 2013 ،‬ذﻟﻚ‬
‫أنّ اﻟﻤ ﺪﻟﻮل‪ ،‬ﻓﻲ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﺘـﻘﻨﯿّﺔ‪ ،‬ﻏﺎﻟﺒﺎ ﻣﺎ ﯾﻜﻮن واﺣﺪا وﻋﺎﻟﻤﯿﺎ ﺑﻐـﺾّ اﻟﻨﻈﺮ ﻋﻦ اﻟﻠﻐﺎت اﻟﺘﻲ ﺗﻌـﺒّﺮ ﻋﻨﮫ‪ ،‬ﻟﻜﻨّﮫ ﻛﺜﯿﺮا ﻣﺎ ﯾﻜﻮن‬
‫ﻣﺘﻐــﯿّﺮا ﻣﻦ ﻧـﻈﺎم ﻗﺎﻧﻮﻧﻲ ﻓﻲ ﺑﻠﺪ إﻟﻰ آﺧﺮ‪ .‬ﻛﻤﺎ إنّ اﻟﻤﺆﺳﺴﺎت واﻟﻤﻔﺎھﯿﻢ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ ﻟﯿﺴﺖ ﻣﺘﻄﺎﺑﻘﺔ ﺑﺎﻟﻀﺮورة وﻻ ﯾﺸـﺘﺮك ﻓﯿﮭﺎ‬
‫اﻟﻌﺎﻟﻢ ﺑﺄﺳﺮه )‪.(40 :1996 ،Durieux‬‬
‫وﺗُﻌ ّﺪ ﻗﻀﯿﺔ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت "ﻗﻀﯿﺔ أﺳﺎﺳﯿﺔ ﻓﻲ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﺘﺨﺼّﺼﯿﺔ" )ﺣﺠﺎزي‪ ،‬د‪.‬ت‪ ،(204 :‬ﺑﻞ إن ّ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ ھﻮ "ﻋﺼﺐ‬
‫اﻟﻨﺺ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ"‪ ،‬ﻛﻤﺎ ﺗﻘﻮل ﺳﻌﯿﺪة ﻛﺤﯿﻞ )‪ ،(35 :2009‬وﻋﻠﺔ اﺳﺘﻘﺎﻣﺔ ﻣﻌﻨﺎه وﺟﻼء ﻣﻀﻤﻮﻧﮫ‪ .‬ﻟﻜﻦ ھﺬا اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ ﯾﺤﯿﺎ‪،‬‬
‫ﺑﺎﻟﺠﺰاﺋﺮ‪ ،‬ﻓﻲ ﺳﯿﺎق ﺗﺎرﯾﺨﻲ وﻟﻐﻮي واﺟﺘﻤﺎﻋﻲ وﻗﺎﻧﻮﻧﻲ ﺧﺎص وﺗﻄﺒﻌﮫ ﺟﻤﻠﺔ ﻣﻦ اﻟﺴﻤﺎت ﺗﻤﯿﺰه ﻋﻦ ﻏﯿﺮه ﻣﻦ ﻣﺼﻄﻠﺤﺎت ھﺬا‬
‫اﻟﻤﺠﺎل ﺳﻮاء ﻓﻲ دول اﻟﻤﺸﺮق اﻟﻌﺮﺑﻲ أو ﺣﺘﻰ ﻓﻲ دول اﻟﻤﻐﺮب اﻟﻜﺒﯿﺮ‪.‬‬
‫إنّ ﻣﺴﺎھﻤﺘﻨﺎ ھﺬه ﺗﺮوم أﺳﺎﺳﺎ ﺗﺴﻠﯿﻂ اﻟﻀﻮء ﻋﻠﻰ ﻣﺎ ﯾﺘﻤﯿﺰ ﺑﮫ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ ﻓﻲ اﻟﻨﺼﻮص اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﯿﺔ اﻟﺠﺰاﺋﺮﯾﺔ ﺳﻮاء أﻛﺎﻧﺖ دﺳﺘﻮرا‬
‫أم ﻗﺎﻧﻮﻧﺎ أم ﺗﻨﻈﯿﻤﺎ‪ ،‬ﻻﺳﯿﻤﺎ أن ھﺬه اﻟﻨﺼﻮص ﺗﺤﺪﯾﺪا ﻻ ﯾﺰال ﺗﺼﻮرھﺎ وﺗﺤﺮﯾﺮھﺎ ﺑﺎﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ‪ ،‬ﻋﻜﺲ اﻟﻨﺼﻮص اﻟﻘﻀﺎﺋﯿﺔ‬
‫ﻣﺜﻼ‪ ،‬وذﻟﻚ ﻣﻦ ﺧﻼل ﻣﺤﺎوﻟﺔ اﻹﺟﺎﺑﺔ ﻋﻦ اﻟﺘﺴﺎؤﻟﯿﻦ اﻟﺘﺎﻟﯿﯿﻦ‪ :‬ﻣﺎ ھﻲ ﺧﺼﻮﺻﯿﺎت اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ؟ وﻣﺎ طﺒﯿﻌﺔ‬
‫اﻟﺴﯿﺎﻗﺎت اﻟﻤﺆﺛﺮة ﻓﻲ وﺿﻌﮫ وﺗﺮﺟﻤﺘﮫ ﻋﻠﻰ ﺣﺪ ﺳﻮاء؟‬
‫‪.1‬‬
‫اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ‪:‬‬
‫ﯾﻤﻜﻦ أن ﻧﻌ ّﺮف اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﺑﺄﻧﮫ وﺣﺪة ﻣﻌﺠﻤﯿﺔ ﻣﺘﺨﺼﺼﺔ ﺗُﺴﺘﻌﻤﻞ ﻓﻲ ﻟﻐﺔ اﻟﺘﺸﺮﯾﻊ‪ .‬واﻟﺘﺸﺮﯾﻊ – ﻛﻤﺎ ھﻮ ﻣﻌﻠﻮم – ﺛﻼﺛﺔ‬
‫أﻧﻮاع‪ :‬اﻟﺘـﺸﺮﯾﻊ اﻷﺳﺎﺳﻲ )اﻟﺪﺳﺘﻮر( واﻟﺘـﺸﺮﯾﻊ اﻟﻌﺎدي )اﻟﻘﺎﻧﻮن ﺑﺎﻟﻤﻌﻨﻰ اﻟﻀﯿﻖ ﻟﻠﻜﻠﻤﺔ‪ :‬ﻣﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﻘﻮاﻋـﺪ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ اﻟﺼﺎدرة ﻋﻦ‬
‫اﻟﺴﻠﻄﺔ اﻟﺘـﺸﺮﯾﻌﯿﺔ ﻓﻲ اﻟﺪوﻟﺔ( واﻟﺘـﺸﺮﯾﻊ اﻟﻔﺮﻋﻲ )اﻟﺬي ﺗﻀﻌﮫ اﻟﺴﻠﻄﺔ اﻟﺘــــﻨـﻔﯿﺬﯾﺔ‪ ،‬ﻋﻠﻰ ﻏﺮار اﻟﻤﺮاﺳﯿﻢ واﻟﻠﻮاﺋﺢ‪) (...‬ﻗﺎﺳﻢ‪،‬‬
‫‪.(194 -179 :2009‬‬
‫وﻗﺪ وﻗﻊ اﺧ ﺘﯿﺎرﻧﺎ ﻋﻠﻰ دراﺳﺔ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﺗﺤﺪﯾﺪا دون اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ اﻷﺧﺮى ﻟﻌﺪة أﺳﺒﺎب‪ ،‬ﻟﻌﻞ أﺑﺮزھﺎ أنّ‬
‫اﻟﺘـﺸﺮﯾﻊ ھـﻮ أھـ ّﻢ ﻣﺼﺪر ﻟﻠﻘﺎﻋﺪة اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ ﻓﻲ أﻏﻠﺒﯿﺔ اﻷﻧﻈﻤﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ اﻟﻤﻌﺎﺻﺮة‪ .‬ﻛﻤﺎ إﻧّﮫ ﯾﺘﻤﺘﻊ ﺑﻮﺿﻊ ﺧﺎص ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ‪:‬‬
‫‪141‬‬
‫ﻓﻤﺨﺘﻠﻒ اﻟﻨﺼﻮص اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﯿﺔ ﺗﺼﺪر ﻓﻲ اﻟﺠﺮﯾﺪة اﻟﺮﺳﻤﯿﺔ ﻓﻲ ﻧﺴﺨﺘﯿﻦ وﺑﻠﻐﺘﯿﻦ‪ :‬اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ واﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ‪ ،‬ﻋﻠﻤﺎ أن اﻟﻨﺴﺨﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ‬
‫ھﻲ اﻷﺻﻞ وﻣﺎ ﻧﻈﯿﺮﺗﮭﺎ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ إﻻ ﺗﺮﺟﻤﺔ ﻟﮭﺎ )ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‪ .(2013 ،‬وﻣﻦ ﺛَﻢ‪ ،‬ﻓﺈنّ ﻣﺼﻄﻠﺤﺎت اﻟﺘﺸﺮﯾﻊ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ ﺗﺨﺘﺺ‬
‫ﺑﻤﯿﺰات ﻓﺮﯾﺪة ﻗﺪ ﻻ ﻧﺠﺪھﺎ ﻓﻲ ﻣﺼﻄﻠﺤﺎت ﺑﺎﻗﻲ اﻟﻨﺼﻮص اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‪ ،‬ﻛﺎﻟﻨﺼﻮص اﻟﻘﻀﺎﺋﯿﺔ أو اﻟﻨﺼﻮص اﻟﻔﻘﮭﯿﺔ ﻣﺜﻼ‪.‬‬
‫‪.2‬‬
‫ﺧﺼﻮﺻﯿﺎت اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ‪:‬‬
‫إنّ أھ ّﻢ ﻣﺎ ﯾﻄﺒﻊ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ وﺿﻌًﺎ وﺗﺮﺟﻤﺔً أرﺑﻊ ﻣﯿﺰات ﻋﻠﻰ اﻷﻗﻞ‪ ،‬وھﻲ ﺗﺄﺛﺮه اﻟﻤﺰدوج ﺑﺎﻟﻨﻈﺎم اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ‬
‫اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ وﺑﻠﻐﺔ ﻣﻮﻟﯿﯿﺮ وﻣﻌﺎﻧﺎﺗﮫ ﻓﻲ أﻏﻠﺐ اﻷﺣﯿﺎن ﻣﻦ اﻟﻌﺘﺎﻣﺔ )‪ (opacité‬وﻣﻦ ﻋﺪم اﻟﺘﻮﺣﯿﺪ‪.‬‬
‫أ‪.‬‬
‫ﺗﺄﺛﺮ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ ﺑﺎﻟﺘﺸﺮﯾﻊ اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ )ﺗﺜﺎﻗﻒ ﻗﺎﻧﻮﻧﻲ ‪acculturation‬‬
‫‪:(juridique‬‬
‫إنّ ﺗﺄﺛﺮ اﻟﺘﺸﺮﯾﻊ اﻟﺠﺰاﺋﺮي ﺑﻨﻈﯿﺮه اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ ﯾﺪﺧﻞ ﻓﻲ إطﺎر ﻣﺎ ﯾُﻌﺮف ﺑﺎﻟﺘﺜﺎﻗﻒ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ‪ .‬وﻟﻜﻦ ﻗﺒﻞ أن ﻧﺴﺘﺮﺳﻞ ﻓﻲ ﺷﺮح ھﺬه‬
‫اﻟﺨﺎﺻﯿﺔ‪ ،‬ﻓﺈﻧﻨﺎ ﻧﻮ ّد اﺑﺘﺪا ًء ﺗﻌﺮﯾﻒ اﻟﺘﺜﺎﻗﻒ ﻋﻤﻮﻣﺎ )‪ .(acculturation‬ﻓﻘﺪ رأى ھـﺬا اﻟﻤﻔﮭﻮم اﻟﻨﻮ َر ﻷول ﻣﺮة ﻓﻲ اﻟﻮﻻﯾﺎت‬
‫اﻟﻤﺘﺤﺪة اﻷﻣﺮﯾﻜﯿﺔ ﻋﺎم ‪1880‬م‪ ،‬ﺛُـ ّﻢ اﻧـﺘـﻘﻞ إﻟﻰ ﻓﺮﻧـﺴﺎ ﻓﻲ ‪1911‬م )‪ ،(155 :2002 ،El Kaladi‬ﻓﻲ ﻣﺠﺎل اﻷﻧﺜﺮوﺑﻮﻟﻮﺟﯿﺎ ﻗﺒﻞ‬
‫أن ﯾﻜﺘﺴﺐ ﻣﻌﺎﻧ َﻲ اﺧﺘﻠﻔﺖ ﺑﺎﺧﺘﻼف اﻟﻤﺠﺎﻻت اﻟﻌﻠﻤﯿﺔ اﻟﺘﻲ اﺳﺘﻌﻤﻠﺘﮫ‪.‬‬
‫واﻟﺘﺜﺎﻗﻒ‪ ،‬ﻓﻲ ﻋﻠﻢ اﻻﺟﺘﻤﺎع‪ ،‬ھﻮ ﻣﺠﻤﻮع اﻟﻈﻮاھﺮ اﻟﻨﺎﺟﻤﺔ ﻋﻦ اﻻﺣﺘﻜﺎك اﻟﻤﺒﺎﺷﺮ واﻟﻤﺴﺘﻤ ّﺮ ﺑﯿﻦ ﺟﻤﺎﻋـﺘﯿﻦ ﻣﻦ اﻷﻓﺮاد ﻣﺨﺘﻠﻔـﺘﯿﻦ‬
‫ﻓﻲ اﻟﺜـﻘﺎﻓﺔ‪ ،‬ﻣﻊ ﻣﺎ ﺗﺠـﺮّه ھﺬه اﻟﻈﻮاھﺮ ﻣﻦ ﺗﻐـﯿّﺮات ﻓﻲ ﻧﻤﺎذج اﻟﺜـﻘﺎﻓﺔ اﻷﺻﻠﯿﺔ ﻟﺪى إﺣﺪى اﻟﻤﺠﻤﻮﻋـﺘﯿﻦ أو ﻛِـﻠﺘﯿﮭﻤﺎ )اﻟﺸﻤﺎس‪،‬‬
‫‪.(145 :2004‬‬
‫وﻣﻦ ھﺬا اﻟﻤﻨﻄﻠﻖ‪ ،‬ﻓﺈنّ اﻟﻘﺎﻧﻮن – وھﻮ وﻟﯿﺪ اﻟﺜـﻘﺎﻓﺔ – ﯾﺘﻔﺎﻋﻞ ﻣﻊ أﻧﻈﻤﺔ ﻗﺎﻧﻮﻧﯿﺔ ﻣﻦ ﺛﻘﺎﻓﺎت أﺧﺮى‪ ،‬ﻓﺈﻣّﺎ ﯾﺆﺛّﺮ ھﻮ ﻓﯿﮭﺎ أو‪،‬‬
‫ﺑﺎﻟﻤﻘﺎﺑﻞ‪ ،‬ﯾﺘﺄﺛﺮ ھﻮ ﺑﮭﺎ وﯾﺄﺧﺬ ﻋﻨﮭﺎ ﻣﻔﺎھﯿﻤﮭﺎ و‪/‬أو ﻣﺆﺳﺴﺎﺗﮭﺎ و‪/‬أو ﻗﻮاﻋﺪھﺎ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ وھﻮ ﻣﺎ ﯾُﻌْﺮف ﺑـ"اﻟﺘـﺜﺎﻗــﻒ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ"‪.‬‬
‫ﻓﮭﻮ "ﺗﺤﻮّل )‪ (...‬ﻧـﻈﺎم ﻗﺎﻧﻮﻧﻲ ﻓﻲ ﺣﺎﻟﺔ اﺗﺼﺎل ﻣﻊ ﻧﻈﺎم ﻗﺎﻧﻮﻧﻲ آﺧﺮ" )‪ .(84 :1990 ،Rouland‬وﻛﺬا "ﻣﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﻈﻮاھﺮ‬
‫اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ اﻟﻨﺎﺗﺠﺔ ﻋﻦ اﻻﺗﺼﺎل اﻟﻤﺒﺎﺷﺮ واﻟﻤﺴﺘﻤﺮ ﺑﯿﻦ ﻧﻈﺎﻣﯿﻦ ﻗﺎﻧﻮﻧﯿﯿﻦ‪ ،‬وﻣﺎ ﯾﺨﻠّـﻔﮫ ذﻟﻚ ﻣﻦ ﺗﻐﯿّﺮات ﻓﻲ اﻷﻧﻤﺎط اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ ﻟﮭـﺬه‬
‫اﻟﺠﻤﺎﻋﺎت أو ﺗﻠﻚ‪ ،‬أي أنّ اﻟﻨﻈﺎم اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ اﻟﻤﺴﺘـﻘﺒِﻞ ﯾﻘﺒﻞ ﺑﻤﻔﺎھﯿﻢ وﻣﺆﺳّﺴﺎت ﺗـﻨـﺘﻤﻲ إﻟﻰ ﻧﻈﺎم ﻗﺎﻧﻮﻧﻲ آﺧﺮ‪ ،‬وﯾﻘﻮم ﺑﺈدﻣﺎﺟﮭﺎ‬
‫ﻓﻲ ﻧﺴـﻘﮫ" )ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‪.(78 :2013 ،‬‬
‫وإن ﻛﺎن ھـﺬا اﻟﺘﺤ ّﻮل ﻣﺘﺒﺎدﻻ ﺑﯿﻦ ﺑﻠﺪان ﺗــﺘﺴﻢ ﻋﻼﻗﺎﺗﮭﺎ ﺑﺎﻟﻨﺪﯾﺔ اﻟﻔﻌﻠﯿﺔ ﻣﻦ ﺧﻼل ﻋﻤﻠﺘﻲ ﺗﺄﺛــﺮ وﺗﺄﺛـﯿﺮ ﺑﯿﻦ أﻧﻈﻤﺘﮭﺎ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‪ ،‬ﻓﺈﻧﮫ‬
‫ﺑﺎﻟﻤﻘﺎﺑﻞ ﻏﺎﻟﺒﺎ ﻣﺎ ﯾﺮﺗﻜﺰ ﻋﻠﻰ ﻋﻼﻗﺔ ﻗـﻮّة ﺑﯿﻦ اﻟﺜـﻘﺎﻓﺎت اﻟﻤَﻌـﻨـﯿّﺔ ﺑﮭﺎ‪ ،‬ﺑﻤﻌﻨﻰ أن ھﺬه اﻟﻈﺎھﺮة ﻻ ﺗُﺨﺘﺰل ﻓﻲ ﻣﺠﺮد ﻋﻤﻠﯿﺔ اﻟﺘﺄﺛﺮ‬
‫واﻟﺘﺄﺛﯿﺮ "اﻟﻤﺘﻜﺎﻓﺊ" ‪ ،‬ﻷﻧﮭﺎ ﻏﺎﻟﺒﺎ ﻣﺎ ﺗـﺘ ّﻢ ﻓﻲ ظ ّﻞ وﺟﻮد ﺛــﻘﺎﻓﺔ ﻣﮭﯿﻤِﻨﺔ وأﺧﺮى ﻣﮭﯿﻤَﻦ ﻋﻠﯿﮭﺎ‪ ،‬ﻓـﺘُﺆﺛﱢﺮ اﻷوﻟﻰ ﻓﻲ اﻟﺜﺎﻧﯿﺔ أﻛﺜﺮ ﻣﻤّﺎ‬
‫ﺗـﺘﺄﺛﺮ ھﻲ ﺑﮭﺎ ﻓﻲ إطﺎر ﻋﻼﻗﺎت اﻟﻘـﻮى اﻟﺘﻲ ﺗﻌﻄﻲ اﻷوﻟﻮﯾﺔ ﻟﻠﻨـﻈﺎم اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ ﻓﻲ اﻟﺜـﻘﺎﻓﺔ اﻟﻤﮭﯿﻤِﻨﺔ‪.‬‬
‫واﻟﻨﻈﺎم اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮي‪ ،‬ﻻﺳﯿﻤﺎ ﻓ ﻲ ﺷﻘﮫ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ‪ ،‬ﻣﺘﺄﺛّﺮ ﺑﻨﻈﯿﺮه اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ اﻟﺬي أﺧﺬ ﻋﻨﮫ اﻟﻜﺜﯿﺮ ﻣﻦ اﻟﻤﻔﺎھﯿﻢ واﻟﻤﻮاد اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‬
‫وﺗﺒﻨّﻰ اﻟﻌﺪﯾﺪ ﻣﻦ ﻣﺆﺳّﺴﺎﺗﮫ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‪.‬‬
‫وھﻮ ﺗﺄﺛﱡـﺮ ﯾُﻌﺰى أﺳﺎﺳﺎ إﻟﻰ اﻟﮭﯿﻤﻨﺔ اﻻﺳﺘﻌﻤﺎرﯾﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ طﯿﻠﺔ ﻋﻘﻮد ﻣﻦ اﻟﺰﻣﻦ‪ .‬ذﻟﻚ أﻧﮫ ﻟﻢ ﯾﻜﻦ ﻣﻦ اﻟﺴﮭﻞ ﻋﻠﻰ اﻟﺠﺰاﺋﺮ‪،‬‬
‫ﻣﺒﺎﺷﺮة ﺑﻌﺪ ﺧﺮوج اﻻﺣﺘﻼل اﻟﺬي ﺳَـــﯿّﺮ اﻟﺒﻼد ﺑﻘﻮاﻧﯿﻨﮫ طﯿﻠﺔ ‪ 132‬ﺳﻨﺔ‪ ،‬أن ﺗُـﺸﺮﱢع وﻓـﻖ ﻧﻈﺎم ﻗﺎﻧﻮﻧﻲ ﺧﺎص ﺑﮭﺎ‪ ،‬وھﻲ دوﻟﺔ‬
‫ﻓـﺘﯿﺔ ﺑﺈطﺎرات ﻗﻠﯿﻠﺔ ُﺟﻠّﮭﺎ ﻣُﻜﻮﱠن ﺑﺎﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ )ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‪.(80 :2013 ،‬‬
‫‪142‬‬
‫ﺛﻢ إنّ واﺿﻌﻲ اﻟﻘﺎﻧﻮن ﺑﺎﻟﺠﺰاﺋﺮ ﻻ ﯾﻤﻠﻜﻮن‪ ،‬ﺑﺎﻟﻠﻐﺔ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ‪ ،‬طﺮاﺋﻖ اﻟﺘﻔﻜﯿﺮ و"اﻟﻤﺨﺰون" اﻟﻤﻔﺎھﯿﻤﻲ اﻟﺨﺎص ﺑﺎﻟﺪوﻟﺔ اﻟﺤﺪﯾﺜﺔ‬
‫وﺑﻜﯿﻔﯿﺔ ﺗـﻨﻈﯿﻢ أﺟﮭﺰﺗﮭﺎ وﺑﺘﺤﺪﯾﺪ ﺣﻘﻮق ﻣﺨﺘﻠﻒ اﻷطﺮاف ﻓﯿﮭﺎ وواﺟﺒﺎﺗﮭﺎ – وإن وُﺟﺪ ھﺬا اﻟﻤﺨﺰون‪ ،‬ﻓﺈﻧﮫ ﯾﺘﻌﻠّﻖ ﺑﻤﺠﺎﻻت ﻣﻌﯿﻨﺔ‬
‫ﻣﺜﻞ ﻗﺎﻧﻮن اﻷﺳﺮة اﻟﻤﺴﺘـﻨﺒﻂ ﻣﻦ أﺣﻜﺎم اﻟﺸﺮﯾﻌﺔ اﻹﺳﻼﻣﯿﺔ –‪ ،‬ﻣﻤّﺎ ﺟﻌﻞ وﻟﻮج ﻋﮭﺪ "اﻟﺤﺪاﺛﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ" وﺗﺒﻨّﻲ ﻣﺆﺳﺴﺎت وھﯿﺎﻛﻞ‬
‫وﻣﻔﺎھﯿﻢ ﻏﺮﺑﯿﺔ اﻷﺻﻞ أﻣﺮا ﻻ ﻣﻨﺎص ﻣﻨﮫ‪.‬‬
‫وﻟﻢ ﯾﺴﻠﻢ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ ﻣﻦ ظﺎھﺮة اﻟﺘﺜﺎﻗﻒ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ‪ ،‬ﻓﮭﻮ ﻣﺘﺄﺛﺮ ﺑﻌﻤﻖ ﺑﺎﻟﻘﺎﻧﻮن اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ‪ ،‬ﻛﯿﻒ ﻻ وھﻮ ﯾﺤﻤﻞ‬
‫ﺟ ّﻞ اﻟﻤﻔﺎھﯿﻢ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ‪ ،‬وﻧﺬﻛﺮ ﻋﻠﻰ ﺳﺒﯿﻞ اﻟﻤﺜﺎل ﻻ اﻟﺤﺼﺮ‪:‬‬
‫‪"loi organique", "garde à vue", "droit commun", "éligibilité", "incompatibilité des mandats",‬‬
‫‪"saisine"," pouvoir exécutif, législatif, judiciaire", "Conseil Constitutionnel", "collectivités‬‬
‫…"‪locales", "mandat", "motion de censure", "détention provisoire", "juridiction‬‬
‫ب‪.‬‬
‫ﺗﺄﺛﺮ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ ﺑﺎﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ )ﺗﺜﺎﻗﻒ ﻟﻐﻮي ‪acculturation‬‬
‫‪:(linguistique‬‬
‫إنّ ﺳﻄﻮة ﻓﺮﻧﺴﺎ "اﻟﻤﺴﺘﻤﺮة واﻟﺜﻘﯿﻠﺔ" )‪ (1983 ،Fitouri‬ﻋﻠﻰ اﻟﺠﺰاﺋﺮ إﺑّﺎن اﻻﺳﺘﻌﻤﺎر وﺑﻌﺪ اﻻﺳﺘـﻘﻼل وﻋـﺪم ﺗﻤﻜّـﻦ ھﺬه‬
‫اﻷﺧﯿﺮة ﻣﻦ اﻟﺘﺤ ّﺮر ﻣﻨﮭﺎ ﻷﺳﺒﺎب ﻋـﺪّة – ﯾﺘﻌﺬّر ﻋﻠﯿﻨﺎ اﻟﺘـﻔﺼﯿﻞ ﻓﯿﮭﺎ ھُﻨﺎ – ﻋﺎﻣﻼن ﻣﮭﻤّﺎن اﻧﻌﻜﺴﺎ ﻋﻠﻰ اﻟﻤﺠﺘﻤﻊ اﻟﺠﺰاﺋﺮي وﻋﻠﻰ‬
‫ﺛــﻘﺎﻓــﺘﮫ وﻗﺪ ﺗﺠﻠّـﯿﺎ أﺳﺎﺳﺎ ﻓﻲ اﻟﻘﺎﻧﻮن واﻟﻠﻐﺔ‪.‬‬
‫ﻓـﺰﯾﺎدة ﻋﻠﻰ ﺗﺄﺛﺮ اﻟﺠﺰاﺋﺮ ﺑﻨﻈﺎم ﻓﺮﻧﺴﺎ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ‪ ،‬ﻣﻦ ﺧﻼل "اﻟﺘـﺜﺎﻗـﻒ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ"‪ ،‬ﻓﮭﻲ ﻣﺘﺄﺛﺮة ﻛﺬﻟﻚ ﺑﻠﻐﺘﮭﺎ‪ ،‬ﻣﻦ ﺧﻼل ﻣﺎ أطﻠﻘﻨﺎ‬
‫ﻋﻠﯿﮫ "اﻟﺘـﺜﺎﻗـﻒ اﻟﻠﻐﻮي" )‪ ،(327 :2014 ،Benmohamed‬وﻧﻌﻨﻲ ﺑﮫ اﻟﺘﺄﺛﯿﺮ اﻟﻠﻐﻮي ﻟﺸﻌﺐ ﻋﻠﻰ ﺷﻌﺐ آﺧﺮ ﻓﻲ ﺣﺎﻟﺔ اﺣﺘﻜﺎك‬
‫وﺗﻮاﺻﻞ وﻣﺎ ﯾﻨﺠﻢ ﻋﻦ ھﺬا اﻟﺘﺄﺛﯿﺮ ﻣﻦ ظﻮاھﺮ ﻟﻐﻮﯾﺔ‪.‬‬
‫وﺑﺎﻟﻨﺴﺒﺔ إﻟﻰ اﻟﺠﺰاﺋﺮ‪ ،‬ﻓﺈنّ اﻟﻈﻮاھﺮ اﻟﻠﻐﻮﯾﺔ اﻟﺘﻲ ﺗﻤ ّﺨﻀﺖ ﻋﻦ اﻻﺣﺘﻜﺎك اﻟﻄﻮﯾﻞ واﻟﻌﻨﯿﻒ ﺑﯿﻦ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﯿﻦ واﻟﺠﺰاﺋﺮﯾﯿﻦ – داﺋﻤﺎ‬
‫ﻓﻲ ظﻞ ﻏﯿﺎب اﻟﻌﻼﻗﺔ اﻟﻨﺪﯾﺔ واﻟﺘﺄﺛﯿﺮ "اﻟﻤﺘﻜﺎﻓﺊ" – ھﻲ ﻋﻠﻰ اﻷﻗﻞ ﺛﻼﺛﺔ‪:‬‬
‫أوﻻ‪ ،‬اﻻزدواﺟﯿﺔ اﻟﻠﻐﻮﯾﺔ ﺑﯿﻦ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ واﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ اﻟﺘﻲ ﺗُـﺸﻜّﻞ أﺣﺪ أوﺟﮫ اﻟﺨﺮﯾﻄﺔ اﻟﻠﻐﻮﯾﺔ ﻓﻲ اﻟﻤﻐﺮب اﻟﻜﺒﯿﺮ ﻋﻤﻮﻣﺎ وﻓﻲ اﻟﺠـﺰاﺋﺮ‬
‫ﺑﺸﻜــﻞ ﺧﺎص‪ ،‬وﺗـــﺘﺠﻠّﻰ ﻓﻲ ﻣﺠﺎﻻت ﻛﺜﯿﺮة‪ ،‬ﻣﻦ ﺑﯿﻨﮭﺎ اﻟﺘﺸﺮﯾﻊ – ﻣﻮﺿﻮع ھﺬا اﻟﻤﻘﺎل‪.‬‬
‫ﻓﺎﻟﺠﺰاﺋﺮ ﺗﺸﮭﺪ وﺿﻌﯿﺔ ازدواﺟﯿﺔ ﻟﻐﺔ اﻟﺘﺸﺮﯾﻊ ﺑﺄﻧﻮاﻋﮫ اﻟﺜﻼﺛﺔ‪ .‬ﺑﻤﻌﻨﻰ أن ﺟ ّﻞ اﻟﻮﺛﺎﺋﻖ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﯿﺔ ‪ -‬ﻻﺳﯿﻤﺎ ﺗﻠﻚ اﻟﺼﺎدرة ﻓﻲ‬
‫اﻟﺠﺮﯾﺪة اﻟﺮﺳﻤﯿﺔ ‪ -‬ﺗﻜﻮن ﻓﻲ ﻧﺴﺨـﺘﯿﻦ واﺣﺪة ﺑﺎﻟﻌﺮﺑﯿﺔ واﻷﺧﺮى ﺑﺎﻟﻔﺮﻧـﺴﯿﺔ )ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‪ ،(66 :2013 ،‬وھﻮ اﻟﻮاﻗﻊ اﻟﺬي ﯾﻔﻨﺪ‬
‫اﻟﻤﻮاﻗﻒ اﻟﺮﺳﻤﯿﺔ اﻟﺘﻲ ﻻ ﺗﺴﺄم ﻣﻦ ﺗﻜﺮار ﻣﻘﻮﻟﺔ ﻛﻮن اﻟﻘﺎﻧﻮن ﻗﺪ َﺣﺴَﻢ ﻣﺴﺄﻟﺔ ازدواﺟﯿﺔ اﻟﻠﻐﺔ ﺑﺎﺳﺘـﺒﻌﺎدھﺎ وإﻋــﻄﺎء اﻟﻠّﻐﺔ اﻟﻮطﻨﯿﺔ‬
‫واﻟﺮﺳﻤﯿﺔ اﻷوﻟﻮﯾﺔ‪ ،‬وﺑﺄنّ اﻟﻨﺴﺨﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ اﻟﺘﻲ ﺗُﺮاﻓﻖ ﻧﻈﯿﺮﺗﮭﺎ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ ﻓﻲ ﻛ ّﻞ ﻣﺮة ﺗﺼﺪر ﻓﯿﮭﺎ اﻟﺠﺮﯾﺪة اﻟﺮﺳﻤﯿﺔ ﻣﺎ ھﻲ إﻻّ‬
‫ﺿﺢ ﻓﻲ ﺻﻔﺤﺘﮭﺎ اﻷوﻟﻰ‪ .‬ﻓـﺎﻟﻘﺎﻧﻮن ﻻ ﯾـﺰال ﺗَﺼ ّﻮرُه ﺑﺎﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧـﺴﯿﺔ وﺗﺤﺮﯾﺮه ﺑﻠُـﻐﺘﯿﻦ إﺣـﺪاھـﻤﺎ اﻷﺻﻞ‬
‫ﺗﺮﺟﻤﺔ‪ ،‬ﻛﻤﺎ ھﻮ ﻣﻮ ّ‬
‫)اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ( واﻷﺧﺮى ﻟﻐﺔ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ )اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ(‪.‬‬
‫ﺛﺎﻧﯿﺎ‪ ،‬اﻟﻄﺒﯿﻌﺔ اﻟﺘﻨﺎﻓﺴﯿﺔ ﺑﯿﻦ اﻟﻠﻐﺘﯿﻦ ھﻲ ﺛﺎﻧﻲ ظﺎھﺮة ﻟﻐﻮﯾﺔ ﺗﻤﺨﻀﺖ ﻋﻦ ﺗﺄﺛﯿﺮ ﻓﺮﻧﺴﺎ ﻋﻠﻰ اﻟﺠﺰاﺋﺮ‪ .‬وﯾﺮى اﻟﻤﺨﺘﺺ ﻓﻲ اﻟﻘﺎﻧﻮن‬
‫اﻟﺠﺰاﺋﺮي‪ ،‬رﻣﻀﺎن ﺑﺎﺑﺎﺟﻲ )‪ ،(209 -207 :1990 ،Babadji‬ﻓﻲ ھﺬا اﻟﺴﯿﺎق‪ ،‬أنّ دراﺳﺔ ھـﺬه اﻟﻮﺿﻌﯿﺔ ﺗﺴﻠّﻂ اﻟﻀﻮء ﻋﻠﻰ‬
‫‪143‬‬
‫وﺟﻮد ﺗﻮﺗﺮات ﺑﯿﻦ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ اﻟﺘﻲ ﺗُﻌ ّﺪ ﻟﻐﺔً رﺳﻤﯿﺔ ووطﻨﯿﺔ وﯾُﻄﺎﻟَﺐ ﺑﮭﺎ ﻛﺄﺣﺪ ﻣﻜﻮﻧﺎت اﻟﺸﺨﺼﯿﺔ اﻟﺠﺰاﺋﺮﯾﺔ اﻹﺳﻼﻣﯿﺔ‪ ،‬وﺑﯿﻦ‬
‫اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ ﺑﻜﻮﻧﮭﺎ ﻟﻐﺔ اﻟﺤﺪاﺛﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‪.‬‬
‫ﺛﻢ إنّ ﻣﺎ ﺗﺘﺴﻢ ﺑﮫ اﻟﻮﺿﻌﯿﺔ اﻟﻠﻐﻮﯾﺔ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ ﻣﻦ ﺗﻌﻘﯿﺪ وﺗﻨﺎﻗﺾ ﻟﯿﺲ ﺳﺒـﺒﮫ ﺗﻌـﺪّد اﻟﻠﻐﺎت ﺑﻘﺪر ﻣﺎ ھـﻮ اﻟﺘـﻨﺎﻗﺾ اﻟﻜﺒﯿﺮ ﺑﯿﻦ‬
‫"اﻟﻨﻈﺮي" ‪ ،‬أي ﻣﺎ ھﻮ ﻣﺼﺮّح ﺑﮫ رﺳﻤﯿﺎ ﻓﻲ اﻟﺨﻄﺎب اﻻﯾﺪﯾﻮﻟﻮﺟﻲ ﻟﻠﺴﻠﻄﺔ‪ ،‬وﺑﯿﻦ اﻻﺳﺘﻌﻤﺎل اﻟﺤﻘﯿـﻘﻲ ﻟﮭﺬه اﻟﻠﻐﺎت‪ .‬وھﻮ ﻣﺎ ﺗﺆﻛﺪه‬
‫ﺑﺎﻷرﻗﺎم دراﺳﺎت )‪ (2002 ،Queffélec, Derradji‬ﺳﻠّﻄﺖ اﻟﻀﻮء ﻋﻠﻰ اﻟﺒﻮن اﻟﻜﺒﯿﺮ ﺑﯿﻦ اﻟﻄﺎﺑﻊ اﻟﺮﺳﻤﻲ ﻟﻜـ ّﻞ ﻣﻦ اﻟﻠﻐﺘﯿﻦ‬
‫اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ واﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ وﺑـﯿﻦ اﻻﺳﺘﻌﻤﺎﻻت اﻟﺤﻘﯿـﻘﯿﺔ واﻟﻔﻌـﻠﯿﺔ ﻟﻜﻞ واﺣـﺪة ﻋﻠﻰ أرض اﻟﻮاﻗﻊ‪ .‬وﻗﺪ ﺗﺒﯿّﻦ ﻟﻨﺎ أنّ اﻟﻔﺮق ﺑﯿﻦ ﻣﻜﺎﻧﺔ اﻟﻠﻐﺔ‬
‫اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ اﻟﺮﺳﻤﯿﺔ )‪ 52.10‬ﺑﺎﻟﻤﺎﺋﺔ( وﻣﻜﺎﻧﺘﮭﺎ اﻟﺤﻘﯿﻘﯿﺔ ﻋﻠﻰ أرض اﻟﻮاﻗﻊ )‪ 21.9‬ﺑﺎﻟﻤﺎﺋﺔ( ﯾﺠﺰم ﺑﺄنّ ﺣﻀﻮرھﺎ ﻓﻲ اﻟﺴﻮق اﻟﻠﻐﻮﯾﺔ‬
‫اﻟﺠﺰاﺋﺮﯾﺔ أﻗ ّﻞ ﺑﻜﺜﯿﺮ ﻣﻤﺎ ھﻮ ﻋﻠﯿﮫ ﻓﻲ اﻟﺨﻄﺎب اﻟﺮﺳﻤﻲ‪ ،‬ﺑﻌﻜﺲ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ اﻟﺘﻲ ﺗــﻘــﺘﺮب ﻛـﺜﯿﺮا ﻣﻦ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ ﻣﻦ ﺣﯿﺚ‬
‫اﺳـﺘﻌﻤﺎﻟﮭﺎ اﻟﺤﻘﯿـﻘﻲ )‪ 16.1‬ﺑﺎﻟﻤﺎﺋﺔ(‪ ،‬ﻣﻊ أﻧﮭﺎ – رﺳﻤﯿﺎ – ﻻ ﺗﺤﺘﻞ اﻟﻤﻜﺎﻧﺔ ذاﺗﮭﺎ اﻟﺘﻲ ﺗﺤﻈﻰ ﺑﮭﺎ ﻟﻐﺔ اﻟﻀﺎد‪Queffélec, ) .‬‬
‫‪(105 -104 :2002 ،Derradji‬‬
‫أﻣﺎ ﺛﺎﻟﺚ ظﺎھﺮة ﻟﻐﻮﯾﺔ ﻧﺎﺗﺠﺔ ﻋﻦ ﺗﺄﺛﺮ اﻟﺠﺰاﺋﺮ ﺑﻔﺮﻧﺴﺎ ﻓﺘﺨﺺّ ھﺬه اﻟﻤﺮة اﻟﺘﺪاﺧﻞ اﻟﻠﻐﻮي )‪(interférence linguistique‬‬
‫اﻟﺬي ﯾُﻘﺼﺪ ﺑﮫ ﻋﻤﻮﻣﺎ اﺳﺘﻌﻤﺎل ﺧﺼﺎﺋﺺ ﻟﻐﺔ ﻣﻌﯿﻨﺔ ﻓﻲ ﻟﻐﺔ أﺧﺮى‪ ،‬وھﻮ ﻣﺎ ﯾﺘﺠﻠﻰ أﺳﺎﺳﺎ ﻓﻲ ﻣﯿﻮل اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ‬
‫إﻟﻰ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻤﻨﻘﻮﻟﺔ‪ ،‬أي اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ ﺑﺎﺗّــﺒﺎع اﻟﻄﺮﯾﻘﺔ اﻟﺸﻜﻠﯿﺔ اﻟﺘﻲ ﺗُﺤﺒّـﺬ أﺳﺎﻟﯿﺐ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﻤﺒﺎﺷﺮة وﻧﺴﺦ اﻟﺒﻨـﯿﺔ اﻷﺻﻠﯿﺔ‪.‬‬
‫وﻣﺜﺎﻻ ﻋﻠﻰ ذﻟﻚ‪ ،‬ﻧﺬﻛﺮ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ "ﺗﻮﻗـﯿﻒ ﻟﻠﻨﻈﺮ" اﻟﺬي ﻧُﺴﺦ ﻋﻦ اﻟﺘﻌﺒـﯿﺮ اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ "‪ "garde à vue‬ﻣﻦ ﺧﻼل‬
‫ﻧَــــﻘْـــﻞ ﻣـﻌـﻨﺎه وﺗﺮﻛـﯿــــﺒﮫ ﻣﻦ اﻟﻘﺎﻧﻮن اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ إﻟﻰ اﻟﻘﺎﻧﻮن اﻟﺠﺰاﺋﺮي‪ ،‬ﺑﺘﻄﺒﯿﻖ اﻟﻌﻤﻠﯿﺔ اﻟﻤﺰدوﺟﺔ اﻟﺘﻲ ﺗﺮﺗﻜﺰ ﻋﻠﯿﮭﺎ ﻋﺎدةً آﻟﯿّﺔ‬
‫اﻟﻨـﺴﺦ‪ :‬ﺗﺤﻠـﯿﻞ ﻋـﻨﺎﺻﺮ اﻟﺸﻜﻞ اﻷﺟﻨـﺒﻲ )ﻣﺼﺪر ‪ +‬ﺣــﺮف ‪ +‬ﻣﺼﺪر(‪ ،‬ﺛُــ ّﻢ ﺗﻌﻮﯾﻀﮭﺎ ﺑﻌﻨﺎﺻﺮ ﻣُﻤﺎﺛﻠﺔ ﻓﻲ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻤﻨﻘﻮل إﻟﯿﮭﺎ‬
‫)ﺗﻮﻗﯿﻒ‪ +‬ﻟـ‪ +‬اﻟﻨﻈﺮ( )ﻣﺼﺪر ‪ +‬ﺣــﺮف ‪ +‬ﻣﺼﺪر(‪ .‬ﻓﺄ ُﻋﯿﺪ‪ ،‬ﺑﺬﻟﻚ‪ ،‬ﺑـﻨﺎء اﻟﻨﻤﻮذج اﻷﺟﻨــﺒﻲ ﺑﺎﻟﻠّﺠﻮء ﻣﺒﺎﺷﺮة‪ ،‬ﻓﻲ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻤﻨﻘﻮل‬
‫إﻟﯿﮭﺎ‪ ،‬إﻟﻰ اﻟﻨﺴﺦ اﻟﺸﻜﻠﻲ اﻟﻤﺤﺾ دون ﻣﺮاﻋﺎة ﺧﺼﻮﺻﯿﺎت اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻤﻨـﻘﻮل إﻟﯿﮭﺎ أو ﻣﺎ ﻗﺪ ﯾﻨﺠﻢ ﻣﻦ ﻋﺠﻤﺔ دﻻﻟﯿﺔ ﺗُﺴﻲء إﻟﻰ اﻟﻤﻔﮭﻮم‬
‫أﻛﺜﺮ ﻣﻤّﺎ ﺗﺨﺪﻣﮫ )ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‪.(366 :2013 ،‬‬
‫وﻧﺸﯿﺮ ھﻨﺎ إﻟﻰ وﺟﻮد ﻣﻘﺎﺑﻼت ﻋﺮﺑﯿﺔ أﺧﺮى ﺗﺒﻨﺖ ﺧﯿﺎرات أﺧﺮى ﻏﯿﺮ اﻟﻨﺴﺦ اﻟﺸﻜﻠﻲ‪ ،‬ﻋﻠﻰ ﻏﺮار "اﻟﻮﺿﻊ ﺗﺤﺖ اﻟﺤﺮاﺳﺔ"‬
‫ﺑﺎﻟﻤﻐﺮب‪ ،‬و"اﻻﺣﺘﻔﺎظ" ﺑﺘﻮﻧﺲ‪ ،‬و"اﺣﺘﺠﺎز ﻋﻠﻰ ذﻣﺔ اﻟﺘﺤﻘﯿﻖ" ﺑﻠﺒﻨﺎن‪ ،‬وﻏﯿﺮھﺎ‪.‬‬
‫ﻛﻤﺎ ﯾُﻌــــ ّﺪ ﺗﻌﺒﯿﺮ "ﻗﺎﺑﻠﯿﺔ اﻻﻧﺘﺨﺎب" ﻧﺴﺨﺎ ﻟﻠﺘﻌــــﺒﯿﺮ اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ "‪ "éligibilité‬اﻟﺬي ﯾﻘﺼﺪ ﺑﮫ " ‪،"aptitude d’être élu‬‬
‫ﺑﻤﻌﻨﻰ أن ﯾﻜﻮن اﻟﺸﺨﺺ أھﻼ ﻟﯿُـﻨــﺘَﺨﺐ‪ ،‬أو ﻟﯿﻜﻮن ﻣﻨﺘَﺨﺒﺎ‪.‬‬
‫ﻓﺘﺤﻠﯿﻞ ﻣﺼﻄﻠﺢ "‪ "éligibilité‬إﻟﻰ وﺣﺪات ﺻﺮﻓﯿﺔ‪ ،‬ﯾُـﺒـــﯿّﻦ ﺗﺸﻜّﻠﮫ ﻣﻦ اﻟﺠﺬر )‪ (élire‬ﺑﻤﻌﻨﻰ اﻧـﺘﺨﺐ‪ ،‬واﻟﻼﺣﻘﺔ اﻟﻤﺮﻛﺒﺔ‬
‫)‪ (ibilité‬اﻟﺘﻲ ﺗﻀ ّﻢ ﻻﺣﻘـﺘﯿﻦ‪ (ible) :‬اﻟﺪاﻟﺔ ﻋﻠﻰ ﻣﻔـﮭﻮم اﻹﻣﻜﺎن واﻟﻘﺎﺑﻠﯿﺔ واﻷھﻠﯿﺔ‪ ،‬و)‪ (ité‬ﻟﻠﺪﻻﻟﺔ ﻋﻠﻰ اﻟﻤﺼﺪر‪ ،‬ﺑﺘﺤـﻮﯾﻞ‬
‫اﻟﺼﻔﺔ إﻟﻰ اﺳﻢ‪.‬‬
‫ﻟﻜﻦّ واﺿﻊ اﻟﻤﻘﺎﺑﻞ اﻟﻌﺮﺑﻲ "ﻗﺎﺑﻠﯿﺔ اﻻﻧﺘﺨﺎب" اﻋﺘﻤﺪ اﻟﻨﻘﻞ اﻟﺤﺮﻓﻲ ﻟﻠﻌﻨﺎﺻﺮ اﻟﻤﻜﻮﱢﻧﺔ ﻟﻠﻤﺼﻄﻠﺢ‪ :‬اﻟﻔﻌﻞ )‪) (élire‬اﻧﺘﺨﺐ(‬
‫واﻟﻼّﺣﻘﺔ اﻟﻤﺮﻛﺒﺔ )‪) (ibilité‬ﻗﺎﺑﻠﯿﺔ ‪ +‬ﻣﺼﺪر(‪ ،‬دون أن ﯾﺮاﻋﻲ ﻋﺪم دﻗﺔ ھﺬا اﻟﻤﻘﺎﺑﻞ ﻓﻲ أداء اﻟﻤﻔﮭﻮم اﻷﺻﻞ‪ ،‬وﻛﺬا ﻏﻤﻮﺿﮫ‬
‫ﻛﻮﻧﮫ ﯾﻮﺣﻲ ﺑﻘﺮاءﺗــــﯿﻦ ﻣﺨﺘﻠﻔـــﺘﯿﻦ‪ :‬ﻓﺎﻟﺸﺮوط اﻟﺘﻲ ﺗُﺆھّﻞ اﻟﻨﺎﺋﺐ ﻷن ﯾﻜﻮن ﻧﺎﺧــﺒًﺎ ﻟﯿﺴﺖ ھﻲ اﻟﺸﺮوط اﻟﺘﻲ ﺗُﺆھّـــﻞ اﻟﻨﺎﺋﺐ ﻷن‬
‫ﯾﻜﻮن ﻣُﺮﺷﱠﺤﺎ‪ ،‬ﻻﺳﯿﻤﺎ أن اﻟﻔﻌﻞ "اﻧﺘﺨﺐ" ﯾﺤﺘﻤﻞ اﻟﻔﺎﻋﻠﯿﺔ واﻟﻤﻔﻌﻮﻟﯿﺔ‪) .‬ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‪(367 :2013 ،‬‬
‫‪144‬‬
‫ﻛﻤﺎ إنّ اﻟﺘﻌﺮﯾﻔﺎت اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ اﻟﺘﻲ ﺧُﺺّ ﺑﮭﺎ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ ﺗــﺘﺤﺪث ﻓﻲ ﻣﻌﻈﻤﮭﺎ ﻋـﻦ ﺳــﻤﺔ "‪ ،"aptitude‬ﺑﻤﻌﻨﻰ ﻗــﺪرة‬
‫اﻟﺸﺨﺺ ﻋﻠﻰ اﻟﻘﯿﺎم ﺑﺸﻲء ﻣﻌــﯿّﻦ ﻋﻠﻰ اﻟــﻮﺟﮫ اﻷﻛﻤﻞ‪ .‬وﻋﻠﯿﮫ‪ ،‬ﻓﺈﻧّــﻨﺎ ﻧﺮى أنّ ﻣﻔﺮدة "أھﻠﯿﺔ"‪ ،‬ﺑﻤﻌﻨﻰ اﻟﺼﻼﺣﯿﺔ واﻟﺠﺪارة‬
‫واﻟﻜﻔﺎءة‪ ،‬أﻓﻀﻞ ﻓﻲ ﺗﺄدﯾﺔ اﻟﻤﻌﻨﻰ اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ ﻣﻦ ﻣﻔﺮدة "ﻗﺎﺑﻠﯿﺔ"‪ ،‬اﻟﺘﻲ ﺗﻮﺣﻲ ﺑﺎﻻﺳﺘﻌﺪاد واﻟﺘﮭـﯿﺆ واﻟﻘـﺪرة‪ .‬ﺛُــ ّﻢ إنّ "اﻷھﻠﯿﺔ"‬
‫اﻟﻤﻘﺼﻮدة ھُــــﻨﺎ ذات طﺎﺑﻊ ﻗﺎﻧﻮﻧﻲ‪ .‬وﻣﻦ ھﻨﺎ‪ ،‬ﻓﮭﻲ – ﻓﻲ اﻋﺘـــﻘﺎدﻧﺎ – أدّق دﻻﻟﺔً ﻣﻦ ﻣﻔﺮدة "ﻗﺎﺑﻠﯿﺔ"‪.‬‬
‫وﻟﻠﺘﻌﺒﯿﺮ ﻋﻦ ﻣﻔﮭﻮم "‪ ،"conditions d’éligibilité‬اﺧﺘﺎر اﻟﺘﺸﺮﯾﻊ اﻟﺘﻮﻧﺴﻲ ﻣﺜﻼ ﻣﺼﻄﻠﺢ "ﺷﺮوط اﻟﺘﺮﺷّﺢ"‪ ،‬ﻓﻲ ﺣﯿﻦ آﺛﺮ ﻛﻞ‬
‫ﻣﻦ ﻣﺼﺮ وﺗﻮﻧﺲ اﻟﻌﺒﺎرة اﻟﺸﺎرﺣﺔ "اﻟﺸﺮوط اﻟﻮاﺟﺐ ﺗﻮاﻓﺮھﺎ ﻓﻲ‪"...‬‬
‫ج‪.‬‬
‫ﻋﺘﺎﻣﺔ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ ‪:‬‬
‫ﻻ ﺷﻚّ أنّ اﻟﻤﺘﺄﻣﻞ ﻓﻲ ﻧﺼﻮص اﻟﺘﺸﺮﯾﻊ اﻟﺠﺰاﺋﺮي ﻛﺜﯿﺮا ﻣﺎ ﯾﻘﻒ ﻋﺎﺟﺰا أﻣﺎم ﻓﻚ ﺷﻔﺮات اﻟﻌﺪﯾﺪ ﻣﻦ ﻣﺼﻄﻠﺤﺎﺗﮫ ﺑﺴﺒﺐ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ‬
‫اﻟﺴﻄﺤﯿﺔ اﻟﺘﻲ ﺗﻔﺘﻘﺪ ﻷي دﻻﻟﺔ‪ ،‬وﺗﻐﯿﺐ ﻓﻲ ﻋﻤﻠﯿﺔ ﺗﺴﻤﯿﺘﮭﺎ اﻟﺴﻤﺎت اﻟﻤﻔﺎھﯿﻤﯿﺔ أو ﯾﻈﮭﺮ ﺑﻌﺾٌ ﻣﻨﮭﺎ ﻟﻜﻦ دون أن ﯾُﻌِـــﯿﻦ اﻟﻤﺘﻠﻘّﻲ‬
‫ﻋﻠﻰ ﻓــﮭﻢ اﻟﻌﻨﺎﺻﺮ اﻟﻤﻜﻮﱢﻧﺔ ﻟﻠﻤﺼﻄﻠﺢ‪ ،‬وھﻲ اﻟﺼﻔﺎت ذاﺗﮭﺎ اﻟﻤﺘﻮﻓﺮة ﻓﻲ ﻣﺎ أطﻠﻖ ﻋﻠﯿﮫ ﻓﯿﻠﯿﺐ ﺗﻮارون )‪(1994 ،Thoiron‬‬
‫"اﻟﺪال اﻟﻤُﻌـﺘِﻢ" أو "ﻣﻌﺪوم اﻟﺸﻔﺎﻓﯿﺔ" )‪ (signifiant opaque‬وھﻮ ﻋﻜﺲ اﻟﺪال "اﻟﺸﻔﺎف" )‪ (signifiant transparent‬اﻟـﺬي‬
‫ﯾـﺪﺧـﻞ ﻓﻲ ﻋﻤﻠﯿﺔ ﺗﺴﻤﯿـﺘﮫ أﻛﺒﺮ ﻋﺪد ﻣﻤﻜﻦ ﻣﻦ اﻟﺴﻤﺎت اﻟﻤﻔﺎھﯿﻤﯿﺔ‪.‬‬
‫ﻓﺎﻟﻤﻔﮭﻮم ھﻮ اﻟﻘﺎﻋﺪة اﻟﺘﻲ ﯾُـﺒﻨﻰ ﻋﻠﯿﮭﺎ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ واﻟﻌﻨﺼﺮ اﻷﺳﺎس ﻓﻲ ﺗﺤﺪﯾﺪ دﻻﻟﺔ ﻣﺼﻄﻠﺢ ﻣﻦ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت‪ .‬واﻟﻨــﻈﺮ ﻓﻲ‬
‫اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ واﻟﺴـﻌﻲ إﻟﻰ اﺧﺘﯿﺎره ﯾـﺒﺪأ ‪ ،‬وﻓﻘﺎ ﻟﻨﮭﺞ ﺗﺴﻤﯿﺔ اﻟﻤﻔﺎھﯿﻢ‬
‫)‪ (démarche onomasiologique‬ﺑﺎﻟﻤﻔﮭﻮم اﻟﺬي ﯾﻤﺜّﻞ‬
‫اﻟﻨـﻘﻄﺔ اﻟﺘﻲ ﯾﻨﻄﻠﻖ ﻣﻨﮭﺎ واﺿﻊ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ ﻟﻠﺒﺤﺚ ﻋﻦ ﻟﻔـﻆ ﻗﺎدر ﻋﻠﻰ ﺣﻤﻠﮫ وﺗﺄدﯾﺘﮫ ﺑﺼﻮرة ﻣﻨﺎﺳﺒﺔ )اﻟﺤﯿﺎدرة‪ 2003 ،‬ب‪.(139 :‬‬
‫ﺛﻢ "إنّ ﺗﺤﺪﯾﺪ اﻟﻤﻔﮭﻮم ﻋﻤﻠﯿﺔ ﻣﺰدوﺟﺔ‪ ،‬إذ ﯾﻨﺒﻐﻲ ﻋﻠﻰ واﺿﻊ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ أن ﯾﺤﯿﻂ ﺑﺪﻻﻟﺘﮫ ﻛﺎﻣﻞ اﻹﺣﺎطﺔ‪ ،‬ﻓﯿﺠﺪ ﻣﺎ ﯾﺪ ّل ﻋﻠﻰ ذﻟﻚ‬
‫ﺑﺤﯿﺚ ﯾﺴﺘﻄﯿﻊ ﻣﻦ ﯾﺼﺎدﻓﮫ أن ﯾﮭﺘﺪي إﻟﻰ ﻣﻔﮭﻮﻣﮫ ﺑﮫ وﻣﻨﮫ" )اﻟﺪﯾﺪاوي‪.(111 :2005 ،‬‬
‫ﻟﻜﻦ ھﻞ أدرك واﺿﻊ – أو ﺑﺎﻷﺣﺮى ﻣﺘﺮﺟﻢ – ﻣﺼﻄﻠﺢ "ﻗﺎﻧﻮن ﻋﻀﻮي" )‪ ،(loi organique‬ﻣﺜﻼ‪ ،‬أھﻤﯿﺔ اﻟﻨﻈﺮ ﻓﻲ اﻟﺴﻤﺎت‬
‫اﻟﻤﻔﺎھﯿﻤﯿﺔ واﻟﺒﺤﺚ ﻋﻦ ﺗﺴﻤﯿﺔ ﺗﻌﻜﺲ أﺑﺮزھﺎ؟‬
‫اﻟﺠﻮاب ھﻮ ﻻ‪ .‬ذﻟﻚ أﻧﮫ اﺳﺘﻌﻤﻞ اﻟﻤﻌﻨﻰ اﻷول ﻟـﻜﻠﻤﺔ "‪ "organe‬وھﻮ "اﻟﻌﻀﻮ" وﺑﻨﻰ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ ﻋﻠﯿﮫ دون ﻣﻌﺮﻓﺔ ﺣﻘﯿﻘﯿﺔ ﺑﺄنّ‬
‫ﺗﺴﻤﯿﺔ أﺟﮭﺰة اﻟﺪوﻟﺔ وھﯿﺌﺎﺗﮭﺎ ﺑﺎﻷﻋﻀﺎء أﻣﺮ ﻏــﯿﺮ ﻣﺄﻟﻮف ﻓﻲ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ‪ .‬ﻛﻤﺎ إﻧﮫ ﺧﻠﻂ ﺑﯿﻦ اﻟﻤﻔﮭﻮم )اﻟﺪﻻﻟﺔ اﻟﻌﻠﻤﯿﺔ( واﻟﻠﻔﻆ‬
‫)ﻣﺠ ّﺮد اﻟﺪﻟﯿﻞ اﻟﻠﻐﻮي( ﻓﻲ ﻋﻤﻠﯿﺔ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﺤﺮﻓﯿﺔ واﻟﺴﻄﺤﯿﺔ اﻟﺘﻲ ﻻ ﺗﻌﻤّﻖ اﻟﺒﺤﺚ ﻓﻲ دﻻﻟﺔ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﻌﻠﻤﯿﺔ‪ ،‬ﻣﻤّﺎ ﯾﺆدي إﻟﻰ‬
‫ﻓﮭﻢ ﺧﺎطﺊ ﯾﻨﻌﻜﺲ ﻋﻠﻰ ﻛﯿﻔﯿﺔ ﻧـﻘﻞ اﻟﻌﻠﻮم إﻟﻰ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ )اﻟﺤﯿﺎدرة‪ 2003 ،‬أ‪ .(27 :‬ﻓـ»‬
‫« )اﻟﻘﺼﺎر‪.(40 :2008 ،‬‬
‫ﺑﯿﺪ أنّ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ "‪ "loi organique‬ﺟﺎء "ﺷﻔﺎﻓﺎ"‪ ،‬ﻋﻠﻰ ﺣ ّﺪ ﺗﻌﺒﯿﺮ ﻓﯿﻠﯿﺐ ﺗﻮارون اﻟــﺬي ﯾﺨﺺّ ﺑﮭـﺬه اﻟﺼﻔـــﺔ اﻟـﺪّال‬
‫اﻟﺬي ﯾﺪﺧـﻞ ﻓﻲ ﻋﻤﻠﯿﺔ ﺗﺴﻤﯿـﺘﮫ أﻛﺒﺮ ﻋﺪد ﻣﻤﻜﻦ ﻣﻦ اﻟﺴﻤﺎت اﻟﻤﻔﺎھﯿﻤﯿﺔ‪.‬‬
‫وﻣﺮ ّد ھﺬه "اﻟﺸﻔﺎﻓﯿﺔ" )‪ (transparence‬إﻟﻰ أن اﻟﺼﻔﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ "‪ "organique‬اﻟﺘﻲ ﺗﺼﻒ ھﺬا اﻟﻨﻮع ﻣﻦ اﻟﻘﻮاﻧﯿﻦ ﺗُﺤﯿﻞ ﻓﻲ‬
‫اﻷﺻﻞ ﻋﻠﻰ اﻻﺳﻢ "‪ ،"organe‬أي ﺟﮭﺎز أو ھﯿﺌﺔ ﻓﻲ اﻟﺪوﻟﺔ‪ ،‬و‪/‬أو ﻋﻠﻰ اﻟﻔﻌﻞ "‪ "organiser‬واﻟﻤﺼﺪر "‪"organisation‬‬
‫ي‪ ،‬ﻛﻤﺎ ﺟﺎء ﻓﻲ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﺠﺰاﺋﺮﯾﺔ‬
‫ﺑﻤﻌﻨﻰ ﻧﻈّﻢ وﺗـﻨﻈﯿﻢ اﻟﺴﻠﻄﺎت‪ .‬وﻓﻲ ﻛﻠــــﺘﺎ اﻟﺤﺎﻟﺘﯿﻦ‪ ،‬ﻻ ﻋﻼﻗﺔ ﻟﮭﺬه اﻟﺼﻔﺔ ﺑﻤﺎ ھﻮ ﻋﻀﻮ ّ‬
‫اﻟﺮﺳﻤﯿﺔ "ﻗﺎﻧﻮن ﻋﻀﻮي"‪).‬ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‪.(212 :2013 ،‬‬
‫‪145‬‬
‫د‪.‬‬
‫ﺗﻌﺪد ﻣﺼﻄﻠﺤﺎت اﻟﻤﻔﮭﻮم اﻟﻮاﺣﺪ ) ‪Pluralité des équivalents arabes pour un seul‬‬
‫‪:(terme français‬‬
‫ت ﻗﺎﻧﻮﻧﯿﺔ ﯾﻨﺒﻐﻲ أن‬
‫إنّ ﻟﻠﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ – ﻋﻤﻮﻣﺎ – واﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ – ﺧﺎﺻﺔ – ﻗﯿﻤﺔً دﻻﻟﯿﺔ ﯾﺠﺐ أن ﺗُﺤﺘﺮم وﺗﺒﻌﺎ ٍ‬
‫ﺗُـﺼﺎن‪ ،‬وﻣﻊ ذﻟﻚ ﻓﺎﻻﺳﺘﻌﻤﺎل اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﻲ ﻓﻲ ھﺬا اﻟﻤﺠﺎل ﺑﺎﻟﺠﺰاﺋﺮ ﻏﯿﺮ ﻣﻮﺣﺪ‪ ،‬ﻓﻨﺠﺪ ﻟﻠﻤﻔﮭﻮم اﻟﻮاﺣﺪ ﻋﺪة ﺗﺴﻤﯿﺎت ﻓﻲ اﻟﻮﺛﯿﻘﺔ‬
‫اﻟﻮاﺣﺪة‪ ،‬ﻣﻤﺎ ﻗﺪ ﯾﺆﺛﺮ ﺳﻠﺒﺎ ﻋﻠﻰ ﻓﮭﻢ اﻟﻘﺎﻋﺪة اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﯿﺔ وﺑﺎﻟﺘﺎﻟﻲ ﺗﻄﺒﯿﻘﮭﺎ‪.‬‬
‫وﻣﺜﺎل ذﻟﻚ‪:‬‬
‫‪‬‬
‫‪ = Mandat‬ﻣـﺪّة‪ ،‬ﻣﮭـﻤّﺔ‪ ،‬ﻧـﯿﺎﺑﺔ‪ ،‬ﻋﮭﺪة‬
‫‪‬‬
‫‪ = Juridiction‬ﺟﮭﺔ ﻗﻀﺎﺋﯿﺔ‪ ،‬ھﯿﺌﺔ ﻗﻀﺎﺋﯿﺔ‪ ،‬ﻣﺤﻜﻤﺔ‪ ،‬اﻟﻘﻀﺎء‬
‫‪‬‬
‫‪ = Collectivités locales‬ﻣﺠﻤﻮﻋﺎت ﻣﺤﻠﯿﺔ‪ ،‬ﺟﻤﺎﻋﺎت ﻣﺤﻠﯿﺔ‬
‫‪‬‬
‫‪ = Conditions d’éligibilité‬ﺷﺮوط اﻟﻨﯿﺎﺑﺔ‪ ،‬ﺷﺮوط ﻗﺎﺑﻠﯿﺔ اﻻﻧﺘﺨﺎب‪ ،‬ﺷﺮوط ﺻﻼﺣﯿﺔ اﻻﻧﺘﺨﺎب‬
‫‪‬‬
‫‪ = Détention‬اﻟﺤﺒﺲ‪ ،‬اﻟﺤﺠﺰ‬
‫وﯾﻌﺰى ھﺬا اﻟﺘﺒﺎﯾﻦ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﻲ‪ ،‬ﻓﻲ رأﯾﻨﺎ‪ ،‬إﻟﻰ ﺳﺒﺒﯿﻦ رﺋﯿﺴﯿﻦ ﻋﻠﻰ اﻷﻗﻞ‪ ،‬وھﻤﺎ‪:‬‬
‫أوﻻ‪ ،‬ﻏﯿﺎب اﻟﺘﻨﺴﯿﻖ – وھﻮ أﺣﺪ أوﺟﮫ اﻟﻤﺮاﺟﻌﺔ – رﻏﻢ أھﻤﯿﺘﮫ ﺑﺎﻟﻨﺴﺒﺔ إﻟﻰ ﻧﺺّ ﻗﺎﻧﻮﻧﻲ طﻮﯾﻞ ﯾﺘﻀﻤﻦ اﻟﻌﺪﯾﺪ ﻣﻦ اﻟﻤﻮاد اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‬
‫وﺗﻘﺘﻀﻲ ﺗﺮﺟﻤﺘﮭﺎ ﺗـﺪ ّﺧﻞ أﻛـﺜﺮ ﻣﻦ ﻣﺘﺮﺟﻢ‪ ،‬ﻛ ّﻞ ﯾﺨﺘﺎر اﻟﻤﻘﺎﺑﻞ اﻟﺬي ﯾﺮاه اﻷﻧﺴﺐ ﻣﻦ وﺟﮭﺔ ﻧﻈﺮه‪.‬‬
‫ﺛﺎﻧﯿﺎ‪ ،‬ﻏﯿﺎب ﺑﻨﻚ ﻣﺼﻄﻠﺤﻲ ﻓﻲ ﻣﺠﺎل اﻟﻘﺎﻧﻮن ﺑﺎﻟﺠﺰاﺋﺮ ﯾﻜﻮن ﻣﺮﺟﻌﺎ أﺳﺎﺳﯿﺎ ﻟﻜ ّﻞ اﻟﻤﺘﺮﺟﻤﯿﻦ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﯿﻦ ﻓﻲ ﺷﺘﻰ ﻓﺮوع اﻟﻘﺎﻧﻮن‪،‬‬
‫ﻓﯿﺠﻨّﺒﮭﻢ‪ ،‬ﻋﻦ طﺮﯾﻖ ﺗﻮﺣﯿﺪ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ‪ ،‬اﻟﻮﻗﻮع ﻓﻲ ﻓ ّﺦ اﻟﺘﺒﺎﯾﻦ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﻲ اﻟﻔﺎدح اﻟﺬي ﻧﺸﮭﺪه اﻟﯿﻮم ﻣﻦ وﺛﯿﻘﺔ‬
‫ﻗﺎﻧﻮﻧﯿﺔ إﻟﻰ أﺧﺮى‪ ،‬ﺑﻞ ﻓﻲ اﻟﻮﺛﯿﻘﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ اﻟﻮاﺣﺪة‪.‬‬
‫اﻟﺨﺎﺗﻤﺔ‪:‬‬
‫ﺣﺎوﻟﻨﺎ ﻣﻦ ﺧﻼل ھﺬا اﻟﻤﻘﺎل اﻟﺘﺮﻛﯿﺰ ﻋﻠﻰ أھ ّﻢ ﻣﺎ ﯾﻄﺒﻊ ﻣﺼﻄﻠﺤﺎت اﻟﺘﺸﺮﯾﻊ اﻟﺠﺰاﺋﺮي‪ ،‬ﺗﺤﺪﯾﺪا‪ ،‬وﺿﻌًﺎ وﺗﺮﺟﻤﺔً‪ ،‬ورأﯾﻨﺎ ﻛﯿﻒ أن‬
‫اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت اﻟﻤﺴﺘﺤﺪﺛﺔ ﻓﻲ اﻟﻨﻈﺎم اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮي ﻣﺘﺄﺛﺮة ﻓﻲ ﻣﻌﻈﻤﮭﺎ ﺑﮭﺬا اﻟﻨﻈﺎم ﻣﻦ ﺟﮭﺔ وﺑﺎﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ ﻣﻦ ﺟﮭﺔ ﺛﺎﻧﯿﺔ‪،‬‬
‫ﺑﺎﻹﺿﺎﻓﺔ إﻟﻰ ﻛﻮﻧﮭﺎ ﻛﺜﯿﺮا ﻣﺎ ﺗﻌﺎﻧﻲ ﻣﻦ اﻟﻌﺘﺎﻣﺔ وﻣﻦ ﻋﺪم ﺗﻮﺣﯿﺪ اﺳﺘﻌﻤﺎﻟﮭﺎ‪ ،‬وﻛﻞ ذﻟﻚ راﺟﻊ إﻟﻰ اﻟﺴﯿﺎق اﻟﺨﺎص واﻟﻤﻌﻘﺪ اﻟﺬي‬
‫ﺗﺤﯿﺎ ﻓﯿﮫ ھﺬه اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت‪ ،‬ﻻ ﺳﯿﻤﺎ ﻓﻲ ظﻞ ﺗﻨﺎﻣﻲ ظﺎھﺮة ازدواﺟﯿﺔ ﻟﻐﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮن وﺗﺤﺮﯾﺮ اﻟﻜﺜﯿﺮ ﻣﻦ اﻟﻘﻮاﻧﯿﻦ ﺑﺎﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ ﻗﺒﻞ‬
‫ﺗﺮﺟﻤﺘﮭﺎ إﻟﻰ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ‪.‬‬
‫وﺑﻐﯿﺔ ﺳ ّﺪ ﻣﻮاطﻦ اﻟﻨﻘﺺ اﻻﺻﻄﻼﺣﯿﺔ‪ ،‬ﻓﻼﺑ ّﺪ أوﻻ ﻣﻦ اﻻﻋﺘﺮاف ﺑﻮﺿﻌﯿﺔ ازدواﺟﯿﺔ ﻟﻐﺔ اﻟﺘﺸﺮﯾﻊ ﺗﺤﺪﯾﺪا وﺑﺄﺻﻞ ﺗﺤﺮﯾﺮ ﻣﻌﻈﻢ‬
‫ﻧﺼﻮﺻﮫ ﺑﺎﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ‪ ،‬وﻣﻦ ﺛ ّﻢ اﻟﺘﺮﻛﯿﺰ أﻛﺜﺮ ﻋﻠﻰ اﻟﻨﺴﺨﺔ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ اﻟﻤﺘﺮﺟﻤﺔ وﺗﻜﻮﯾﻦ ﻣﺘﺮﺟﻤﯿﻦ أﻛﻔﺎء ﺗﻜﻮﯾﻨﺎ ﻣﺰدوﺟﺎ ﺟﺎدا‬
‫وﻓﻌﺎﻻ‪ :‬ﻓﻲ اﻟﻘﺎﻧﻮن )أﺑﺠﺪﯾﺎت اﻟﻤﺠﺎل‪ ،‬اﻟﺘﺨﺼﺺ( وﻓﻲ اﻟﻠﻐﺔ )اﻟﺘﺤﻜﻢ اﻟﺤﻘﯿﻘﻲ ﻓﻲ اﻟﻠﻐﺘﯿﻦ(‪.‬‬
‫‪146‬‬
‫ﺼﺺ اﻟﻤُﻠ ّﻢ ﺑﺎﻟﻤﻮﺿﻮع‪ ،‬اﻟﻮاﻗـﻒ ﻋﻠﻰ‬
‫وﯾﺎ ﺣﺒﺬا ﻟﻮ ﯾﺴﺘﻌﯿﻦ اﻟﻤﺘﺮﺟﻢ أﺛﻨﺎء ﻧﻘﻠﮫ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت ﻣﻦ ﻟﻐﺔ إﻟﻰ أﺧﺮى ﺑﺎﻟﻌﺎﻟِﻢ اﻟﻤﺘﺨ ّ‬
‫ﻣﻀﺎﻣﯿﻨﮫ واﻟﻘﺎدر ﻋﻠﻰ اﻟﺘﺤﻜّﻢ ﻓﻲ اﻟﻤﻔﮭﻮم واﺳﺘﺨﺮاج أھ ّﻢ ﺳﻤﺎﺗﮫ‪ ،‬وﺑﺎﻟﻤﺼﻄﻠﺤﻲ اﻟﺨﺒﯿﺮ ﺑﺎﻟﻤﺠﺎل اﻟﻤﻌﺮﻓﻲ ﻟﻼﺻﻄﻼح‪.‬‬
‫وﺑﺎﻟﻨﺴﺒﺔ إﻟﻰ ﺗﻌﺪد ﻣﺼﻄﻠﺤﺎت اﻟﻤﻔﮭﻮم اﻟﻮاﺣﺪ‪ ،‬ﻓﺈﻧﻨﺎ ﻧﺮى أن اﻟﺤﻞ اﻷﻣﺜﻞ ﯾﻜﻤﻦ ﻓﻲ إﻧﺸﺎء ﺑﻨﻚ ﺟﺰاﺋﺮي ﺧﺎص ﺑﺎﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت‬
‫اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ ﯾﻜﻮن ﻣﺮﺟﻌﺎ ﻷھﻞ اﻻﺧﺘﺼﺎص‪ ،‬ﻓﯿﺴﮭﻞ ﻋﻠﯿﮭﻢ ﻋﻤﻠﯿﺔ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ وﯾﻨﻌﻜﺲ إﯾﺠﺎﺑﺎ ﻋﻠﻰ ﻧﻮﻋﯿﺘﮭﺎ وﯾﻀﻊ ﺣﺪا ﻟﻠﺘﺮﺟﻤﺎت‬
‫اﻟﺴﻄﺤﯿﺔ وﻟﻔﻮﺿﻰ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﺎت‪.‬‬
‫ي ﻟـﻐﺔ ﺳﻠﯿﻤﺔً ﻣﻦ ﻋﻤﻠﯿﺔ‬
‫وﻟﻌﻞ أﺣﺴﻦ ﻣﺎ ﯾﻤﻜﻦ أن ﻧﺨﺘﻢ ﺑﮫ ﻣﻘﻮﻟﺔ ﻟـﻠﻮﯾﺲ ﺑﻮدوان )‪ (172 :2007 ،Beaudoin‬ﻧﻔﻰ ﻓﯿﮭﺎ ﺧﺮوج أ ّ‬
‫اﺣﺘـﻜﺎك اﻟﻠﻐﺎت واﻷﻧﻈﻤﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‪ ،‬ﺑﻌـﺪ أن ﻧَﻘَـﻞ اﻟﺤﺴﺮة اﻟﺘﻲ أﻋﺮب ﻋﻨﮭﺎ اﻟﻤﻔﻜّﺮ اﻟﻔﺮﻧﺴﻲ أﻟﻜﺴﻲ دو ﺗﻮﻛﻔﯿﻞ ‪Alexis De‬‬
‫‪ Tocqueville‬ﻋﻨﺪ ﺣﻀﻮره‪ ،‬ﺳﻨﺔ ‪ ، 1831‬ﺟﻠﺴﺔ ﻣﺤﺎﻛﻤﺔ ﻓﻲ اﻟﻜﯿﺒﯿﻚ وﺳﻤﺎﻋﮫ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﺘﻲ ﺗﺤﺪّث ﺑﮭﺎ اﻟﻤﺤﺎﻣﻮن واﻟﺸﮭﻮد‪ ،‬ﺣﯿﺚ‬
‫ﻋﻠّﻖ ﻗﺎﺋﻼ‪:‬‬
‫‪« Je n’ai jamais été convaincu (en sortant du tribunal) que le plus grand et le plus irrémédiable‬‬
‫» ‪malheur pour un peuple c’est d’être conquis.‬‬
‫أي "ﻟﻢ أﻛﻦ أﺑﺪا أﻛﺜﺮ اﻗـﺘﻨﺎﻋﺎ ﻗﺒﻞ اﻟﯿﻮم )وأﻧﺎ ﺧﺎرج ﻣﻦ اﻟﻤﺤﻜﻤﺔ( ﺑﺄن أﻛﺒﺮ ﺷﺮّ ﻗﺪ ﯾﻠﺤﻖ ﺑﺸﻌﺐ وﻻ ﯾُﺸﻔﻰ ﻣﻨﮫ ھﻮ أن ﯾﻜﻮن‬
‫ﻣﺴﺘَﻌﻤَﺮا" )ﺗﺮﺟﻤﺘﻨﺎ(‪.‬‬
‫ﻗﺎﺋﻤﺔ اﻟﻤﺼﺎدر واﻟﻤﺮاﺟﻊ‪:‬‬
‫ﺑﺎﻟﻠﻐﺔ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ‪:‬‬
‫ﺑﻦ ﻣﺤﻤﺪ‪ ،‬إﯾﻤﺎن‪ .(2013) .‬إﺷﻜﺎﻟﯿﺔ ﺗﺮﺟﻤﺔ اﻟﺨﻄﺎب اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ ﻓﻲ اﻟﺠﺰاﺋﺮ‪ .‬دراﺳﺔ ﺗﺤﻠﯿﻠﯿﺔ ﻣﻘﺎرﻧﺔ ﻟﻠﻨﺴﺨﺘﯿﻦ اﻟﻌﺮﺑﯿﺔ‬
‫واﻟﻔﺮﻧﺴﯿﺔ ﻟﻠﺪﺳﺎﺗﯿﺮ اﻟﺠﺰاﺋﺮﯾﺔ ﺑﻌﺪ اﻻﺳﺘﻘﻼل‪ .‬أطﺮوﺣﺔ دﻛﺘﻮراه ﻓﻲ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ‪ .‬ﻣﻌﮭﺪ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ‪ .‬ﺟﺎﻣﻌﺔ اﻟﺠﺰاﺋﺮ‪.2‬‬
‫ﺣﺠﺎزي‪ ،‬ﻣﺤﻤﻮد ﻓﮭﻤﻲ‪) .‬د‪ .‬ت(‪ .‬اﻷﺳﺲ اﻟﻠﻐﻮﯾﺔ ﻟﻌﻠﻢ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ‪ .‬اﻟﻘﺎھﺮة‪ :‬دار ﻏﺮﯾﺐ ﻟﻠﻄﺒﺎﻋﺔ‪.‬‬
‫اﻟﺤﯿﺎدرة‪ ،‬ﻣﺼﻄﻔﻰ طﺎھﺮ‪ 2003) .‬أ(‪ .‬ﻣﻦ ﻗﻀﺎﯾﺎ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﻠﻐﻮي اﻟﻌﺮﺑﻲ‪ ،‬اﻟﻜﺘﺎب اﻷول‪ ،‬واﻗﻊ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﻠﻐﻮي اﻟﻌﺮﺑﻲ‬
‫ﻗﺪﯾﻤﺎ وﺣﺪﯾﺜﺎ‪ .‬ط‪ .1 .‬اﻷردن‪ :‬ﻋﺎﻟﻢ اﻟﻜﺘﺐ اﻟﺤﺪﯾﺚ‪.‬‬
‫اﻟﺤﯿﺎدرة‪ ،‬ﻣﺼﻄﻔﻰ طﺎھﺮ‪ 2003) .‬ب(‪ .‬ﻣﻦ ﻗﻀﺎﯾﺎ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﻠﻐﻮي اﻟﻌﺮﺑﻲ‪ ،‬اﻟﻜﺘﺎب اﻟﺜﺎﻧﻲ‪ ،‬ﻧﻈﺮة إﻟﻰ ﺗﻮﺣﯿﺪ اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ‬
‫واﺳﺘﺨﺪام اﻟﺘﻘـﻨﯿﺎت اﻟﺤﺪﯾﺜﺔ ﻟﺘﻄﻮﯾﺮه‪ .‬ط‪ .1 .‬اﻷردن‪ :‬ﻋﺎﻟﻢ اﻟﻜﺘﺐ اﻟﺤﺪﯾﺚ‪.‬‬
‫اﻟﺪﯾﺪاوي‪ ،‬ﻣﺤﻤﺪ‪ .(2000) .‬اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ واﻟﺘﻮاﺻﻞ‪ ،‬دراﺳﺔ ﺗﺤﻠﯿﻠﯿﺔ ﻋﻤﻠﯿﺔ ﻹﺷﻜﺎﻟﯿﺔ اﻻﺻﻄﻼح ودور اﻟﻤﺘﺮﺟﻢ‪ .‬ط‪ .1 .‬اﻟﺪار‬
‫اﻟﺒﯿﻀﺎء‪ :‬اﻟﻤﺮﻛﺰ اﻟﺜﻘﺎﻓﻲ اﻟﻌﺮﺑﻲ‪.‬‬
‫اﻟﺪﯾﺪاوي‪ ،‬ﻣﺤﻤﺪ‪ .(2005) .‬ﻣﻨﮭﺎج اﻟﻤﺘﺮﺟﻢ ﺑﯿﻦ اﻟﻜﺘﺎﺑﺔ واﻻﺻﻄﻼح واﻟﮭﻮاﯾﺔ واﻻﺣﺘﺮاف‪ .‬ط‪ .1 .‬اﻟﺪار اﻟﺒﯿﻀﺎء‪ :‬اﻟﻤﺮﻛﺰ اﻟﺜﻘﺎﻓﻲ‬
‫اﻟﻌﺮﺑﻲ‪.‬‬
‫اﻟﺸﻤﺎس‪ ،‬ﻋﯿﺴﻰ‪ .(2004) .‬ﻣﺪﺧﻞ إﻟﻰ ﻋﻠﻢ اﻹﻧﺴﺎن )اﻷﻧﺜﺮوﺑﻮﻟﻮﺟﯿﺎ(‪ .‬دراﺳﺔ‪ .‬دﻣﺸﻖ‪ :‬ﻣﻨﺸﻮرات اﺗﺤﺎد اﻟﻜﺘﺎب اﻟﻌﺮب‪.‬‬
‫ﻗﺎﺳﻢ‪ ،‬ﻣﺤﻤﺪ ﺣﺴﻦ‪ .(2009) .‬اﻟﻤﺪﺧﻞ ﻟﺪراﺳﺔ اﻟﻘﺎﻧﻮن‪ .‬اﻟﻘﺎﻋﺪة اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ وﻧﻈﺮﯾﺔ اﻟﺤﻖ‪ ،‬اﻟﺠﺰء اﻷول‪ :‬اﻟﻘﺎﻋﺪة اﻟﻘﺎﻧﻮﻧﯿﺔ‪.‬‬
‫ﺑﯿﺮوت‪ :‬ﻣﻨﺸﻮرات اﻟﺤﻠﺒﻲ اﻟﺤﻘﻮﻗﯿﺔ‪.‬‬
‫اﻟﻘﺼﺎر‪ ،‬ﻣﺤﻤﺪ‪" .(2008) .‬اﻟﻤﺼﻄﻠﺢ اﻟﻌﻠﻤﻲ اﻟﻌﺮﺑﻲ ﺑﯿﻦ ﻣﻨﮭﺠﯿﺔ اﻟﻮﺿﻊ وﺿﺮورة اﻟﺘﻮﺣﯿﺪ"‪ .‬ﻣﺠﻠﺔ ﺗﺮﺟﻤﺎن‪ .‬م‪ .17 .‬ع‪.2 .‬‬
‫أﻛﺘﻮﺑﺮ‪ .‬طﻨﺠﺔ‪ .‬ص‪.‬ص ‪.61 -38‬‬
‫‪147‬‬
.18 .‫ م‬.‫ ﻣﺠﻠﺔ ﺗﺮﺟﻤﺎن‬.‫ ﻣﻘﺎرﺑﺔ ﺗﺄوﯾﻠﯿﺔ ﻓﻲ ﺗﺮﺟﻤﺔ اﻟﺨﻄﺎب اﻟﺘﺸﺮﯾﻌﻲ‬.‫ دﯾﺪاﻛﺘﯿﻚ اﻟﺘﺮﺟﻤﺔ اﻟﻤﺼﻄﻠﺤﯿﺔ‬.(2009) .‫ ﺳﻌﯿﺪة‬،‫ﻛﺤﯿﻞ‬
.44-11 ‫ص‬.‫ ص‬.‫ طﻨﺠﺔ‬.‫ أﻛﺘﻮﺑﺮ‬.2 .‫ع‬
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Compte- rendu d’ouvrage
Wafa BEDJAOUI
U. Alger 2
Bruno Maurer
Mesurer la francophonie et identifier les francophones
Inventaire critique des sources et des méthodes
Paris, Editions des archives contemporaines, 2015.
Coordonné par Bruno Maurer, cet ouvrage, à la fois statistique et épistémologique, met l’accent
sur les réalités sociolinguistiques hétérogènes en francophonie. Il s’agit de dresser les résultats
de recherches menées dans plusieurs disciplines (sociolinguistique, lexicologie, démographie) et
dans plusieurs contextes (médias, écoles, internet, famille, monde du travail) en situations
francophones multilingues. Objets et méthodes d’enquêtes sont donc soumis à un examen
critique afin d’aider les chercheurs débutants, doctorants ou confirmés soit de travailler sur des
données déjà existantes ou de construire leurs propres corpus.
A l’initiative de l’Observatoire de la langue française de l’organisation international de la
francophonie (OIF), en partenariat avec l’Agence universitaire de la Francophonie ( AUF) et
l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF) de l’Université
de Laval (Québec) , le 2e Séminaire international sur les méthodologies d’observation de la
langue française tenu à l’OIF en octobre 2014 concrétisé par la publication de cet ouvrage
s’inscrit dans la lignée des rencontres scientifiques visant à la promotion de la recherche
francophone.
Scindé en trois parties, ce livre se propose dans la première partie, sous la plume d’Alexandre
Wolff, Responsable de l’Observatoire de la langue française, d’appréhender la définition de
« locuteur francophone ». L’auteur s’attarde aux notions de «
francophones réels »,
« francophones partiels », « francophiles », « les francophones de naissance » et appuie ses
propos par des exemples de situations multilingues dans lesquelles cette typologie de
« francophones » est recensée à la suite de données recueillies par des quelques organismes ou à
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l’aide des acteurs du terrain « universitaires, coopérants et autorités administratives des pays ».
Or, ces sources ne tiennent pas compte de toutes les situations et doivent être examinées avec
prudence et recoupées.
Il est vrai que chaque source a son intérêt, mais aussi ses limites ; d’où l’importance de cet
ouvrage qui constitue une ossature méthodologique à exploiter dans les enquêtes de terrain en
francophonie.
La deuxième partie est consacrée à l’ « inventaire critique des sources et méthodes ». Sont ainsi
débattues les méthodes d’observation afin de délimiter les différentes dimensions à même de
décrire l’ensemble des réalités relatives à la langue française. Pour ce faire, trois chapitres
constituent cette deuxième partie. Dans le premier chapitre, il s’agit de recenser les sources
mobilisables pour le recueil de données relatives à l’observation de la langue française dans le
monde (pp. 14-60). Dans le deuxième chapitre (pp.61- 175), une analyse des différents types
d’enquête sur les réalités francophones est amorcée. Chaque enquête est présentée par objet
d’étude et porte successivement sur les points suivants :
-
Le comptage des francophones ;
-
Les pratiques langagières en francophonie ;
-
Les représentations des langues en francophonie ;
-
Le français dans un contexte plurilingue ;
-
Les usages du français en francophonie ;
L’intérêt de ce chapitre réside dans le fait de présenter chaque enquête selon un canevas commun
qui met en exergue ses principales dimensions et pointe à la fois mérites et limites. Nous jugeons
indispensable d’exposer ledit canevas qui est constitué de :
-
Nom de l’enquête
-
Discipline concernée
-
Niveau(x) de recherche
-
Objets (s)
-
Modalités et conditions de mise en pratique
-
Intérêt
-
Limites ou points à améliorer en aménageant le protocole de recherche.
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Les 16 enquêtes étudiées sont numérotées par objet pour permettre leur identification.
L’importance de cette partie se situe dans la diversité des situations analysées et analysables,
puisque d’aucunes présentent des limites en matière de protocole de recherche.
Quant au troisième chapitre de cette partie (pp. 177-182), il synthétise, sous forme de tableaux,
les objets de recherche et les méthodes d’enquêtes précédemment mentionnés. Deux tableaux
sont ainsi mis en avant ; le premier focalise l’intérêt sur les méthodes d’enquêtes( Grille
d’analyse, Baromètre de Calvet, Méthode d’analyse combinée des représentations, enquête par
questionnaire sur les compétences, recensement et autres sources statistiques), tandis que le
deuxième prend comme point de départ le type de données relatives « à la langue recherchée »
(Connaissance et compétence, usages et pratiques, images et représentations, présence et statut).
La troisième et dernière partie (pp.180-200) résume le 2e Séminaire international sur les
méthodologies d’observation de la langue française. Bruno Maurer y excelle dans sa synthèse
des débats qui ont porté sur les définitions de « francophones ». L’on retrouve, à cet effet, une
proposition de « francophones initiaux » plutôt que de langue maternelle. Sans oublier l’intérêt
accordé la question des représentations attachées à la langue française, puisqu’elle est
déterminante dans les pratiques langagières. Les plus importantes recommandations auxquelles
ont aboutis les différents chercheurs qui ont contribué à la publication de cet ouvrage peuvent
être récapitulé en ces points :
-
Distanciation quant à l’exploitation des sources de données en général ;
-
Croisement et recoupement- autant que possible- des différentes informations
(sources et études) ;
-
Recherche de données qualitatives (transmission familiale, la présence numérique,
etc.) ;
-
Actualisation des grilles d’appréciation des situations de francophonie ;
Etude des pistes de recherche qui privilégie les champs suivants : la transmission familiale et les
espaces privés, le monde du travail, les industries culturelles et le numérique.
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Résumés de quelques mémoires de master, de magistère et de thèses de doctorat soutenus
au département de français (Université d’Alger 2) au cours de l’année 2016
Mémoires de master en « Didactique »
BOUMAIZA Soumaya, « Les pratiques enseignantes de la compréhension de l’écrit en 5 e
année primaire », dirigée par Pr. AMOKRANE Saliha.
Melle Boumaiza nous donne à lire un travail remarquable de master
sur les pratiques
enseignantes de la compréhension de l’écrit en 5 e année primaire. Pour mener à bien son travail
de recherche, elle tentera de répondre à plusieurs interrogations à savoir : En quoi consistent les
pratiques enseignantes de la compréhension écrite en classe de 5e AP ? Comment est-elle
enseignée et par quel moyen pédagogique ?
Réalisé en plus de 100 pages et avec une table des matières extrêmement détaillée, nous avons
pu constater l’intelligence de Melle BOUMAIZA à exploiter toutes les informations, concepts et
outils pour répondre aux questionnements précédemment formulés. Une très grande objectivité
se dégage également de cette appréciable recherche. Avec une souplesse
stylistique
remarquable, l’étudiante excelle dans la présentation de l’état de l’art de la question ainsi que
des techniques d’investigation (observation et questionnaire).
Deux parties scindent cette étude. La première partie qui est constituée de trois chapitres se veut
une partie théorique dans laquelle la candidate s’attarde aux notions de « compréhension de
l’écrit », « les processus de ladite compréhension » et « son enseignement selon les instructions
officielles ». La deuxième partie est consacrée à la méthodologie du recueil des données et à leur
analyse. A vrai dire, un effort considérable est fourni par l’impétrante tout au long du cette
recherche. Son analyse est faite en trois temps puisque son corpus est constitué de trois « minicorpus » à savoir : le programme de la compréhension, les données recueillies de l’observation
de classe et les réponses récoltées à la suite de la distribution du questionnaire.
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Mémoires de master en « Analyse du discours et interactions verbales »
BRAKTIA Sara, « Analyse des interactions verbales sur le réseau social « Facebook », Cas
des groupes estudiantins du département de français de l’université d’Alger2 », dirigée par
HESSAS Hakim
Mlle BRAKTIA Sara se propose d’étudier les interactions verbales d’étudiants internautes dans
le cadre du réseau social « Facebook ». Pour ce faire, elle a réparti son travail de recherche, qui
contient plus de 90 pages, en deux chapitres clairement détaillées et délimitées. Elle consacre le
premier chapitre à quatre points essentiels qui font l’objet de son cadre méthodologique et
théorique. Elle nous présente, de prime abord, le corpus collecté, le cadre d’étude et le contexte
d’analyse. Nous estimons que cette façon de faire (commencer par la présentation du corpus puis
aller vers la théorie) est originale et adéquate à sa thématique.
Elle fait ensuite appel aux concepts qui lui serviront de fondement théorique à son analyse
interactionnelle. Il s’agit donc de l’analyse du discours, de l’analyse thématique, de l’analyse
pragmatique et de l’énonciation. Nous tenons à signaler que l’impétrante a déployé des efforts
louables quant à ses lectures théoriques, ce qui lui a permis de cerner les notions clés de son
travail de recherche.
Le chapitre pratique nous a également permis de confirmer ce constat notamment au travers de la
lecture de la l’analyse des interactions. Presque toutes les notions théoriques ont été exploitées
intelligemment. Sans oublier la grille d’analyse conçue sur la base du modèle S.P.E.A.K.I.N.G
de Hymes pour analyser les compétences communicationnelles des étudiants, et ce afin de
dégager les caractéristiques conversationnelles de ce groupe social dans un cadre numérique.
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CHIKHI Assia, « Les générateurs de la violence verbale dans un forum de discussion pour
poètes », dirigée par GRINE Nadia.
Un imposant mémoire de master de 174 pages nous a été donné à lire. Dès les premières pages,
cette recherche met en branle une implacable rigueur scientifique par la présentation détaillée de
la table des matières.
Il s’agit d’appréhender les générateurs de la violence verbale dans un contexte numérique précis,
celui des forums de poésie. La candidate puise son socle théorique dans la communication
médiatisée par ordinateur (Marcoccia, Baym, Parker) et dans l’analyse des interactions verbales
(Grice, Orecchioni, Vion, Goffman).
Pour mener à bien son travail de recherche, l’impétrante a divisé son travail en deux parties. La
première partie est scindée en trois chapitres dans lesquels elle cernera les notions de
communication médiatisée par ordinateur, de forums de discussion et de violence verbale. Elle y
présentera également, dans le troisième chapitre de cette partie, la méthodologie de travail
adoptée.
La deuxième partie, dans laquelle elle expose les résultats de son étude, est divisée en deux
chapitres. Le premier chapitre se veut « contextualisant » de ladite situation de communication
qui s’inscrit en interactions verbales numériques, voire « virtuelles ». On y observe l’analyse de
la violence verbale sous toutes ses formes sur le forum en question. Le deuxième chapitre met en
exergue l’analyse des différents déclencheurs de la violence verbale.
Nous tenons à préciser que ce travail de recherche louable s’inscrit dans le cadre des travaux
« synchrones » dans la mesure où la candidate a choisi d’analyser un corpus « authentique »
d’actualité.
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IHADADENE Maya, « Altérité et stéréotypes dans le discours de presse française autour
de l’affaire de la burqa », dirigée par Ait Dahmane Karima
Melle Maya Ihadadene nous présente un travail original relatif à la question des représentations
véhiculées sur la burqa en France. Ce travail académique comporte 116 pages suivies d’annexes
dans lesquelles est inséré le corpus constitué d’articles tirés du journal français « le Monde ».
Respectant les démarches requises dans tout travail scientifique, Melle Ihadadene répartit son
mémoire de magistère en quatre chapitres. Elle donne un aperçu diachronique de son objet de
recherche, à savoir « la burqa » dans les différentes religions célestes. Or, nous aurions souhaité
voir l’étudiante expliquer le choix du terme « burqa », dans le titre, par rapport aux autres mots
ayant une même signification, d’autant plus que « burqa » est rarement utilisée dans le mémoire,
et est remplacé par « voile ».
Dans le deuxième chapitre, la candidate met en avant ses outils conceptuels et méthodologiques
de l’analyse du discours. Cependant, elle ne fait point le lien entre les différentes approches
énumérées et leur intérêt par rapport à son objet d’étude et à son objet scientifique, à savoir
l’altérité et les stéréotypes.
Quant au troisième chapitre, il est consacré à l’étude épistémologique des représentations, du
discours journalistique et de l’altérité.
Ce chapitre théorique est indispensable pour une
meilleure appréhension de tous les concepts clés du mémoire. Le quatrième chapitre contient les
résultats de l’analyse discursive des articles recueillis sur la question de la burqa.
Mémoires de master en « Sémiotique »
HARDI Amel et LAGGOUN Amel, “Etude sémiotique des stratégies icono-linguistiques
des caricatures d'Ali Dilem, Dirigées par Mme BEDJAOUI Wafa.
Hardi Amel et Laggoune Amel ont réussi à nous présenter un mémoire de master de grande
qualité scientifique qui fait montre de rigueur et de d’exigence de la démarche méthodologique et
du raisonnement analytique. Sur 126 pages, elles ont pu « complexifier » un thème qui parait, de
prime abord, sans intérêt. Leur réflexion a suivi un cheminement logique qui nous a permis de
comprendre le choix des outils méthodologiques et des choix épistémologiques. Les impétrantes
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ont conjointement travaillé le processus « déconstruction- construction » de l’objet de recherche
qu’est les caricatures de Dilem pour parvenir à leur analyse et leur interprétation que nous
estimons à la hauteur d’une recherche académique.
L’objectif de ce travail de recherche est donc de comprendre comment la caricature de Dilem, ce
système sémiotique complexe, s’élabore en tant que communication médiatique dans laquelle
interagissent plusieurs aspects qui donnent du sens. Ainsi, les constituants de la caricature sont
excellemment inventoriés, répertoriés dans une grille élaborée à cet effet. L’analyse se veut une
analyse descriptive et interprétative divisée en deux parties : une première partie consiste à
comparer les constituants des caricatures sélectionnées afin de repérer les redondances et de
dégager une quelconque morphologie dans les caricatures de Dilem. La deuxième analyse
consiste à étudier tous les messages portés par les différents systèmes de signes qui composent
chaque caricature pour arriver au message que le caricaturiste souhaite véhiculer.
Afin de répondre à leur problématique, les candidates ont divisé leur travail en trois chapitres
dont les deux premiers sont consacrés à l'élaboration du cadre théorique sur lequel reposera
l'application.
En effet, le premier chapitre, intitulé « Le signe : éléments théoriques ». Il est consacré à cette
science, son évolution, ses premières écoles, ses théories pionnières, ainsi que les différentes
approches du signe.
Le deuxième chapitre, intitulé « Image et caricature », est consacré,
ensuite, à l’objet de recherche, la caricature. Ainsi, il s’agit d’abord de l’image, son histoire, son
évolution, ses types, ses formes, pour arriver à la caricature, ses procèdes, ses fonctions et ses
techniques. Le troisième chapitre, intitulé « Analyse et interprétation de la caricature », constitue
la partie pratique. Il s’agit, de prime abord, de la présentation des journaux et des 13 caricatures
sélectionnées. Par la suite, les candidates entament l’interprétation minutieuse et l’analyse
détaillée des composantes des caricatures (les vêtements des personnages, les gestes des mains et
des pieds des personnages, les émotions des visages, les textes des titres et des bulles et la
relation texte/image) en utilisant des tableaux et des grilles.
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