Introduction
« Après toutes nos complaintes quant à la fréquence des faillites, le malheureux qui subit cette
infortune n’est autre qu’une toute petit partie de ceux qui se livrent au commerce, ou toute autre sorte
d’affaires ; peut être pas plus d’un parmi mille. La faillite est peut être la plus grande et la plus humiliante
des calamités qui puisse s’abattre sur un innocent. C’est pourquoi la majorité des hommes est suffisamment
prudente pour l’éviter. Certains pour autant ne parviennent pas à l’éviter et certains n’évitent pas le gibet »1.
Le mot d’Adam Smith, dans ses célères Recherches sur la nature et les causes de la richesse des
nations, surprend aujourd’hui comme elle a surement surpris hier. Aujourd’hui l’insolvabilité ne concerne
bien évidemment pas qu’un commerce sur mille et les gibets et échafauds ne trônent plus à la sortie des
tribunaux de commerce pour sanctionner ceux qui n’ont échoué dans les affaires. Notre vocabulaire n’en est
cependant pas moins marqué de cette tradition sanctionnatrice. La faillite, de fallere, qui signifie manquer,
tromper, marque la déchéance du failli, soumis à l’humiliation par ses pairs. Ainsi la banqueroute, délit pénal
aujourd’hui, est née en Italie du nord et a pour origine la banca rotta, signifiant le banc rompu. A l’époque,
les commerçants se jugeant entre eux au cours des foires rompaient solennellement et publiquement le banc
réservé au commerçant insolvable à l’assemblée des commerçants. L’insolvabilité, d’apparence plus neutre,
renvoie à l’expression moyenâgeuse « au sol la livre », décrivant à la procédure selon laquelle le failli se
voyait départir de tous ses biens pour payer ses créanciers2.
Pour autant, l’obsolescence du contexte n’exclut pas la modernité de la pensée : l’insolvabilité est une
calamité qui touche les malheureux et les innocents et pas seulement les fraudeurs. La défaillance des
entreprises ne saurait être aujourd’hui imputée à la seule incapacité des gérants, mais en premier lieu aux
crises, si lointaines et obscures qu’elles soient, aux cycles commerciaux, aux dynamiques d’échanges
internationales, aux marchés de capitaux, dématérialisés et insaisissables. La sauvegarde des entreprises, du
tissu économique et de l’emploi s’est imposée dans les plus grandes économies européennes comme un
impératif excluant la sanction du failli. L’entreprise malade doit être soignée et cette maladie devrait faire
l’objet d’un traitement aussi neutre que la vie des entreprises. La mort de l’entreprise doit également laisser
place à une seconde chance et une réallocation efficient des richesses, plus qu’à la sanction afin de ne pas
dissuader l’entreprenariat sur lequel repose nos économies libérales.
Le sauvetage de l’entreprise peut alors prendre plusieurs formes, en fonction des difficultés connues
par l’entreprise. Pour Michael Jensen3, quatre types de difficultés peuvent exister. Certaines (i) seront très
bien dirigées mais en raison d’un démarrage plus difficile que prévu, elles connaissent un décalage entre les
prévisions de rentrées de trésorerie et les échéances de paiement de la dette. Un simple rééchelonnement de
la dette permettra alors une sortie de crise. Pour d’autres, (ii) c’est la structure du capital qui, bien qu’adaptée
à l’origine, ne l’est plus du fait d’une modification de la conjoncture ou de difficultés opérationnelles, de
sorte que la dette ne puisse plus être couverte par les entrées de trésorerie prévues ; une modification de la
structure du bilan est alors à mettre en œuvre pour effacer une partie de la dette. Parfois, (iii) les difficultés
naîtront de l’équipe dirigeant qu’il faudra changer. Enfin, certaines (vi) seront inadaptées tant au regard de la
structure du capital et de la dette, que de leur activité opérationnelle et l’équipe dirigeante, si bien que seule
une procédure liquidative doive être mise en place. En toute circonstance, la restructuration devra donc
imposer une modification des droits des créanciers, des actionnaires ou des dirigeants. Tour à tour donc, la
législation en matière d’insolvabilité, au nom de la préservation de l’entreprise et de l’emploi, viendra
modifier, voire sacrifier, les droits des parties. En ce sens, la législation nationale, au gré de son histoire et de
son consensus politique et culturel réalisera une synthèse entre l’impératif de sauvegarde de l’entreprise et le
respect des droits des créanciers et actionnaires, sans lequel l’imprévisibilité juridique découragerait toute
initiative, toute prise de risque et tout esprit d’entreprise. Les législations nationales en matière
d’insolvabilité apparaissent donc, à certains égards, quasi régaliennes et intimement liées aux objectifs et aux
choix politiques opérés par les Etats et leur histoire. Ainsi, le droit de l’insolvabilité fait-il l’objet de fortes
disparités en Europe4 et peut donc apparaître, selon la formule de Jacques Beguin, comme « un ilot de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1 Adam Smith, An Inquiry into nature and causes of the Wealth of Nations Book II, Chap III. Of the accumulation of capital or of
productive and unproductive labour, p. 279, 1779, Electronic classic series publication, Penn state Univeristy (téléchargement libre).
Traduction personnelle.
2 Pierre Michel le Corre, Droit et Pratique des Procédures collectives, Dalloz Action 2012 2013, 6ème édition, p. 17 et s.
3 M.C. Jensen, Corporate Control and the politics of finance, Journal of Applied Corporate Finance, Summer 1991, Vol 4. N°2, p. 29
4 considérant 19, Règlement 1346/2000 du 29 mai 2000, v infra et J.L. Vallens, L’insolvabilité des entreprises en droit comparé,
Joly, 2010