être certain sans démontrer ? L`ordinateur : une

10/05/98
J.-P. Delahaye
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Reconnaître les constantes :
l'inverseur de Plouffe
être certain sans démontrer ?
75 millions des constantes fondamentales !
ou
L'ordinateur : une machine à explorer le
monde mathématique
Jean-Paul Delahaye
Université des Sciences et Technologies de Lille
Laboratoire d'Informatique Fondamentale de Lille, URA. CNRS 369, Bât M3
59655 Villeneuve d'Ascq Cedex
tel : 03-20-43-47-22 (université)
tel : 03-20-22-17-29 (domicile)
fax : 03-20-43-65-66
Le tableau de Mendeleïev des constantes mathématiques
Identifier les constantes mathématiques nécessite des tables
numériques, de bonnes idées et d'excellentes machines
De nouvelles pratiques expérimentales en mathématiques
L'ordinateur est l'accélérateur de particules du
mathématicien
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J.-P. Delahaye
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À la suite de divers calculs numériques, par exemple pour l'intégrale de
sin(77x)sin(5x)/x2 entre 0 et l'infini, on a trouvé la valeur approchée
suivante :
M ~ 7,853981634
On soupçonne que M possède une expression simple. C'est peut-être :
une fraction p/q avec p et q entiers ;
ou une fraction multipliée par 2 (c'est-à-dire quelque chose de la forme
p2/ q avec p et q entiers) ;
ou une fraction multipliée par Pi (quelque chose de la forme p Pi / q avec
p et q entiers) ;
ou une fraction multipliée par e (quelque chose de la forme p e / q avec p
et q entiers). Rappelons que la constante e vaut 2,71828182845904523...
C'est l'une des constantes le plus fréquemment rencontrée en
mathématiques avec Pi. On peut définir e comme la somme infinie des
inverses des factoriels e = 1+1/1! +1/2! + 1/3! + ... ou comme la limite
quand n tend vers l'infini de [(n+1)/n)]n.
Comment faire pour reconnaître M ?
Première méthode : énumération et comparaison
La première idée consiste à calculer tous les nombres p/q, p 2/q, pPi/q, pe/q
puis à rechercher celui qui se rapproche le plus de M.
Il y a une infinité de tels nombres et parmi eux certains sont aussi proches
qu'on le veut de M. Abordons donc le problème progressivement en faisant
le pari que la solution n'utilisera pas une fraction p/q très compliquée.
Essayons en supposant que p et q sont tous les deux compris entre 1 et 10.
Cela fait 100 essais pour comparer M aux nombres de la forme p/q, 100
autres pour ceux de la forme p 2/q, etc. Il y a donc au total 400 essais à
faire. Si on ne trouve rien, il faudra essayer en faisant l'hypothèse que p et q
sont tous les deux des entiers situés entre 1 et 100. Cela conduira alors à 40
000 essais. Puis si nécessaire on passera à l'intervalle de 1 à 1000 ce qui
conduira à 4 millions de calculs, etc. Le nombre d'essais en fonction de
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l'intervalle de recherche de 1 à n augmente très rapidement (précisément
comme le carré de n).
Ici, dès la première tentative, avec p et q entre 1 et 10, on découvre que
parmi les 400 nombres essayés pour approcher M, le nombre 5Pi/2 se trouve
situé à un milliardième de M alors que les 399 autres nombres sont tous
situés à une distance de M plus grande que un dixième (le plus proche est 8/1
situé à 0,15 de M).
Vérité probable ?
N'a-t-on pas une bonne raison de croire que M est exactement 5 Pi/2 et que
ce sont les erreurs de calcul et d'arrondi qui expliquent qu'il n'y a pas une
égalité parfaite ?
La question est très délicate et constitue le coeur d'une certaine pratique
expérimentale des mathématiques dont nous allons parler. Que 5Pi/2
ressemble fort à M n'est bien sûr pas une preuve mathématique rigoureuse
que les deux nombres sont égaux. On sent cependant qu'on prend peu de
risque en acceptant d'identifier les deux nombres. On peut raisonner ainsi.
“Si M était choisi au hasard entre 0 et 40 (tous les nombres que nous
considérons sont dans cet intervalle) alors la probabilité pour qu'il se
trouve à un milliardième d'un des 400 nombres essayés serait inférieure
à :
400.2.10-9/40 = 2.10-8
car la longueur totale de l'intervalle considéré est 40 (les cas possibles) et
qu'il y a 400 petits intervalles chacun de longueur 2.10-9 correspondant
aux cas favorables (les nombres situés à moins de 10-9 d'un des 400
nombres essayés) ce qui au total constitue un ensemble d'intervalles d'une
longueur cumulée de 400.2.10-9.
Si M était choisi au hasard, la probabilité de le trouver aussi proche d'un
des 400 nombres essayés serait donc inférieure à 2.10-8. C'est vraiment
très peu, donc ce n'est pas par hasard que cela s'est produit, c'est parce que
M vaut 5Pi/2.”
Ce raisonnement n'est pas adapté ici car M n'est pas tiré au hasard.
L'utilisation du modèle probabiliste (ou d'autres modèles du même genre
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basés sur la formule de Bayes des probabilités conditionnelles) ne prouve
rien dans l'absolu. Il s'agit de ce qu'on appelle un raisonnement heuristique :
il guide l'intuition, il donne une forte présomption, incite fortement à
penser... mais il ne démontre pas !
Seconde méthode
La méthode par énumération et comparaison n'est pas très efficace en
pratique si on dispose de peu d'informations sur le nombre qu'on cherche à
reconnaître ou si on a moins de chance que dans l'exemple précédent et qu'on
est obligé d'aller explorer des valeurs de p et q plus grandes.
Une idée naturelle différente est de calculer M / 2, M / Pi et de M / e et de
multiplier les quatre nombres M, M / 2, M / Pi et M / e par q = 1, 2, 3, ...,
10, en regardant à chaque fois si le résultat est un entier (si par exemple pour
q = 2 je trouve que q M / Pi ~ 5 cela signifiera que vraisemblablement M ~
5Pi / 2).
Si on recherche comme tout à l'heure le nombre M en imposant à p et q
d'être entre 1 et 10 cette méthode conduit à faire 43 multiplications (trois au
départ, puis 10 pour chaque nombre). Pour p et q entre 1 et 100 il y a 403
multiplications à faire, etc. L'augmentation est plus modérée que
précédemment.
Cette seconde méthode est plus efficace que la première, elle aboutit bien plus
rapidement au résultat que vraisemblablement M vaut 5Pi/2. Bien sûr comme
avec la première méthode on n'obtient qu'une forte présomption.
Troisième méthode : repérage de période
Une troisième idée consiste à utiliser qu'un nombre est rationnel si et
seulement si son développement décimal est périodique à partir d'un certain
moment. On pourrait donc tenter de reconnaître la période de M, M/ 2,
M/pi et M/e. On serait amené à faire quatre multiplications puis quatre
recherches de périodes ce qui semble encore meilleur que la seconde idée.
Malheureusement la période du développement d'un nombre p/q peut être de
longueur q-1. C'est le cas par exemple pour p/q avec 0<p<q et q = 7, 17, 19,
23, 29, 47, 59, 61, 97, 109, 113, 131, 149, 167, 179, 181, 193 (il s'agit de ce
qu'on appelle les entiers premiers longs, voir article du mois d'avril). Cela
veut dire que si M = 13/109 on ne reconnaîtra la période que si on dispose de
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sensiblement plus de 109 chiffres (disons 200) ce qui risque de se produire
rarement.
Même si elle apparaît astucieuse dans un premier temps la méthode du
repérage de période est mauvaise car elle demande trop de chiffres pour
aboutir.
Les fractions continues
La quatrième idée (qui va nous conduire aux techniques les plus modernes de
l'identification des constantes) provient d'une méthode ancienne de recherche
d'approximations des nombres par des fractions disposées sur de multiples
étages et appelées fractions continues. Elle mérite qu'on s'y arrête un
moment.
Les fractions continues sont des expressions de la forme :
1
01
a
a+
2
1
01
1
a
a
a+
+
3
2
1
0
1
1
1
a
a
a
a
+
+
+...
n
à
a
a
a
a
a
1
...
...
1
1
1
3
2
1
+
+
+
+
+
où a0, a1, etc. sont des nombres entiers positifs.
On considère la limite de ces expressions, c'est un nombre qu'on peut voir
comme une sorte de fraction infinie. On le note :
1 / 32 100%

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