discours philosophique contemporain est décidément plus difficile à comprendre que la valeur de
s’y confronter foncièrement. Ce cours sera consacré à la tâche première de prise de conscience et
de compréhension textuelle des principaux concepts de la pensée de Bergson et des problèmes
qui les animent par la voie d’une analyse soignée de ses ouvrages fondamentaux. Afin d’en saisir
la portée, on peut les situer contre un arrière-plan plus vaste.
On trouve chez Bergson une philosophie proprement critique, dans la mesure où il
s’aligne avec et poursuit le but kantien de déployer un discours qui veut secourir la
métaphysique, perçue comme moribonde, captive d’une dialectique épistémologiquement nocive
entre points de vue dogmatique et sceptique. Il y a dans ce projet général une méthode pour la
critique de la métaphysique qui implique une épistémologie, une théorie morale et une esthétique
qui visent, chacune sur son propre plan, un horizon ontologique des pratiques humaines. Or, tout
comme chez Kant avant lui et Merleau-Ponty après lui, l’unité de la pensée de Bergson se
comprend bien autour d’une reprise du problème cartésien de la relation entre l’âme et le corps,
pour en faire une interrogation du fait d’être affecté. Étant donné l’irréductible état affecté de
notre expérience de la réalité, comment décrire plus ou moins formellement, plus ou moins
abstraitement, les pouvoirs-faire — en d’autre termes, les facultés, les capacités — dont
l’exercice aurait pu faire ce fait, et d’abord des pouvoirs réceptifs, la forme des sens,
abstraitement décrite comme le temps et l’espace.
La caractéristique distinctive de la reprise du problème chez Bergson est l’introduction de
la durée et du mouvement comme des facteurs déterminants de l’expérience vécue, à la fois au
premier ordre de considération - celui de nos capacités d’être affecté, de sentir la réalité, ainsi
qu’au deuxième ordre — celui de la théorie, de la méthode, de la conceptualisation. Ce
déplacement requiert, par rapport à Kant, une descente du niveau d’abstraction, afin de tenir le
discours philosophique sur un plan formel suffisamment concret pour pouvoir, dans la
description, tenir compte du fait de la durée et du mouvement. Avant Bergson, indigne d’une
attention proprement philosophique, ce plan fut occupé presque exclusivement par la
psychologie. Chez Bergson, il n’est nullement question d’isoler abstraitement les conditions
universelles et nécessaires de la connaissance, des principes catégoriques de la morale, ni même
de l’horizon d’une universalité subjective, mais plutôt d’expliciter des formes de la vie, telles que
l’on peut y avoir accès de façon immanente. Sur ce plan, des formes d’expérience vécue qui ont
traditionnellement été considérées en dessous du socle de l’étude philosophique - tels le rire, le