La présence de ma famille, des amis qui venaient souvent l’après-midi, m’aidait à sortir de
l’isolement et de la dépression.
Il a fallu recommencer tout à ZERO tel un enfant. Je souhaitais, j’étais sûr que je pourrais
reprendre mon travail dans quelques mois. C’est je pense l’anosognosie (Anosognosie: le patient ne se rend
pas compte réellement de son état). C‘est pour cette raison que j’ai participé de toutes mes forces aux
séances d’orthophonie. Mais en me présentant devant Odile la première fois, je croyais que c’était une
institutrice, je ne savais ce qu’était une orthophoniste.
Odile: Je peux vous dire que c’était un sacré élève! Je n’ai jamais vu un patient aussi volontaire! Avant
d’être aphasique, il avait déjà un tempérament de battant, ça lui a énormément servi pendant la rééducation.
Je m’asseyais, j’essayais de bouger mes lèvres. Je savais ce que je voulais mais je ne pouvais
pas le dire. Au bout de quelques mois, j’ai enfin pu dire quelque chose. C’était plus facile avec des
mots concrets. Des mots comme « univers »… je ne comprenais pas ce que c’était. Ma pensée, à ce
moment là, c’était manger, aller mieux, apprécier des petits moments agréables quand ma femme était
là… mais la vraie pensée n’était pas là. Je n’avais que des flashs, que des images.
En plus ma voix s’est modifiée. Elles est devenue plus aiguë comme celle d’un adolescent. Je me suis
forcé à lire, à écrire. Ce fut long et fatiguant. Chaque jour, après les séances de kiné, d’ortho et mes
tentatives personnelles, je m’écroulais. Les séances d’orthophonie avaient lieu 4 fois par semaine, le
kiné tous les jours.
Je suis sorti fin décembre 1992, un jour avant Noël. Un bon signe. A l’hôpital, j’étais comme
dans un cocon. L’hôpital était ma mère. A domicile, il a fallu s’organiser. Je n’étais pas capable de
répondre au téléphone. Le journal, je lisais une phrase, j’étais fatigué. A la télévision, un film même si
je l’avais déjà vu, je n’arrivais pas à suivre. Je suis allé tout seul à la COTOREP, c’était très difficile
pour me présenter… Chez le boulanger, c’était stressant.
Je retournais à l’hôpital de jour. C’est bien car ça fait un passage entre l’hôpital et la maison. La
même année, je suis parti à Giens, un an après mon AVC. Là, formidable, j’étais obligé de me
débrouiller dans la vie quotidienne: la toilette, l’habillage, les chaussures. J’avais des activités
manuelles avec une ergothérapeute. L’orthophoniste a essayé de me faire écrire avec la main gauche.
La fatigabilité rend ma voix monotone, c’est la dysprosodie (Dysprosodie : altération du rythme et de la
mélodie de la parole) en fait. Ça augmente mes difficultés à sortir les mots correctement. Ma fonction
intellectuelle a été altérée avec diminution de la mémoire. Mes performances étaient très variables d’un
jour à l’autre. Un jour tout allait bien et le lendemain, j’étais abattu physiquement et psychiquement.
Parfois la violence s’installe, quand on ne peut pas s’exprimer ou quand on ne comprend pas et
surtout avec la baisse de la vigilance, le soir.
Il m’a fallu plusieurs années de rééducation orthophonique: j’ai commencé à mieux parler et
aussi à lire et à écrire. Je faisais de l’auto rééducation: le matin à 4h 1/2, avec GEO. Si je ne
comprenais pas un mot dans l’article je cherchais dans le dictionnaire. Souvent dans l’explication, il y
avait un autre mot que je ne comprenais pas alors je cherchais encore. En 3h, je lisais une phrase!
J’avais un agenda et d’un côté je marquais tout ce que je devais faire dans la journée et de l’autre les
mots que j’avais cherchés. Ça m’aidait à les retrouver à un autre moment. Ça m’obligeait à écrire et je
comprenais mieux en écrivant. J’ai essayé aussi de me plonger dans les livres de médecine mais
j’avais une fatigue… je ne sais pas si c’était la peur de recommencer...
En 1995, j’ai participé au groupe de parole au MPR, pendant 4 mois en plus de la rééducation en
ville. Depuis 1996, j’ai arrêté l’orthophonie pour des activités que vous connaissez dans l’association
puis plus tard dans la Fédération. Actuellement, je continue les séances de kiné, 2 fois par semaine.
Ce qui m’a aidé, c’est la volonté de me sortir de l’isolement, bien sûr ma famille, ma femme et
ma fille. Je m’occupais de la maison, des repas. Au niveau sport, même si c’est pas facile, j’ai repris la
marche (Le Tour du Mont Blanc avec le groupe PH7, le jogging qui me permet d’évacuer le stress.
L’ordinateur, c’est formidable avec le courrier électronique, la préparation de tables rondes avec des
professionnels.
La souffrance psychologique fut la première endurance ensuite la fatigue et enfin la souffrance
physique. Cela a été difficile pour moi de retrouver ma place c'est-à-dire mon rôle familial, social et
professionnel.
Il faut accepter que les choses soient différentes, il y a avant et maintenant … et à partir de là
vous aurez une nouvelle vie.