UN CANCER, UN ÉPISODE DE SOIN, UNE ÉQUIPE SOIGNANTE
ou
UNE ÉQUIPE MULTIDISCIPLINAIRE DISCIPLINÉE
On a tendance, nous qui nous intéressons à la médecine de la personne, à dire
que, dans le traitement des cas complexes, impliquant l’intervention de
plusieurs expertises et donc de plusieurs experts, la relation médecin-malade
est sérieusement malmené.
Tout prête dans nos systèmes de soin à ce que cette relation soit mise à mal
dans le traitement de cas complexes : Surcharge et organisation du travail,
rentabilité économique, intervention de disciplines de pointe connexes et
complémentaires, obligation de se conformer aux normes de pratique,
protocoles de soin exigeants, formation déficiente, etc. Qui, donc de l’équipe,
face au patient, prendra sur lui d’exposer le diagnostic, de l’expliquer,
d’explorer ce que le patient en comprend, sa réaction émotionnelle, recevra
les résultants des examens, puis coordonnera les interventions, en expliquera
les raisons, le pourquoi et le comment, les mettra en cohérence ?
Cela me mène à raconter une anecdote.
Un médecin de mes amis est atteint d’un cancer du rein. Il est donc pris en
charge par l’équipe oncologique d’un hôpital. Il rencontre plusieurs médecins
qui, généraliste, oncologues, radio-oncologue, intervenants divers... Mais il ne
sait toujours pas ce qui est en train de lui arriver. Le diagnostic précis, le
pronostic, les chances de survie avec ou sans traitements, etc. Désespéré, il se
résigne à aller frapper à la porte d’un de ces médecins pour le supplier de lui
expliquer ce qui lui arrive.
On aurait pu penser, qu’étant médecin, on aurait eu soin de le prendre
vraiment en charge, prit le temps de lui expliquer les interventions, de le
traiter finalement comme une personne. Mais non.
****
J’ai été moi même atteint d’une de ces maladies graves : un cancer du
poumon.
Voulant faire un bilan, après trois ans de suivi, j’ai eu envie de me pencher sur
le type de rapport que j’avais eu avec mes médecins. J’étais poussé à faire
cette réflexion en raison des rapports que j’entretiens avec mon collègue et
ami, Daniel Kipman, et de nos préoccupations communes en lien avec la
médecine de la personne.
*****
J’anticipais de trouver la confirmation de ce que je pensais sur le parcours
éprouvant du patient dans l’univers hospitalier spécialisé.
À ma grande surprise, je ne trouvai rien à redire sur mes rapports avec les
médecins qui m’ont traité.
Après deux ans et demi, je dois dire, que je me suis félicité d’avoir eu affaire à
un tel groupe de médecins. A aucun moment, n’ai-je eu l’impression que l’on
m’avait oublié comme personne dans mes rapports avec cette équipe de
soignants (pneumologues, chirurgien, radio-oncologue). De plus, après deux
et demi de suivis trisannuels, jamais sûr de voir le même pneumologue, je
pouvais dire que c’était quand même un peu comme si j’avais toujours vu le
même.
Si bien que je m’étais plu à imaginer qu’ils tenaient, comme groupe de
médecins, des réunions eu vue de concerter leurs interventions de suivi. J’ai
aussi pensé que l’on m’avait donné un traitement particulier du fait que j’étais
moi-même médecin, en plus d’être un universitaire.
À mon dernier contrôle, je me décidai d’éclaircir cette question.
À la fin de mon rendez-vous, j’ai demandé au pneumo-oncologue qui me
voyait si je pouvais lui poser quelques questions sur le type de suivi que l’on
m’avait prodigué.
Il a accepté.
*****
- Docteur, j’ai été directeur du département de psychiatrie pendant des
années. J’avais aussi la responsabilité de l’enseignement de la relation
médecin-malade au futur médecin. La littérature sur ces traitements par des
équipes surspécialisées, démontre que, comme elle implique plusieurs
personnes, aucune ne se sent particulièrement concernée par la personne
traitée. Ce qui donne à penser que, si on traite bien une maladie, on oublie
facilement la personne qui en souffre. Dit autrement, on traite une maladie,
non une personne malade.
Traité donc, par une équipe hyperspécialisée comme la vôtre dans le cancer
du poumon, impliquant beaucoup d’intervenants, j’avais la certitude que je
découvrirais qu’on m’avait surement oublié comme « personne ».
Je dois dire que ce ne fut pas le cas, à ma grande surprise !
Je me suis alors demandé si c’était parce que j’étais moi-même médecin, et
que l’on m’avait donné un traitement spécial.
J’ai aussi pensé que vous étiez une équipe spéciale de7 pneumo-oncologues
qui tenait compte de cet aspect, et que, je le supposais, lors de vos réunions
d’équipes, vous vous donniez la peine de prévoir les rencontres de suivi pour
vous assurer de tenir, pour chaque patient, le même langage, assurer une
certaine continuité.
- Non, m’a-t-il répondu. D’abord, on ne vous a pas traité différemment des
autres patients parce que vous étiez médecin et on ne tient pas non plus de
réunions particulières, comme vous le supposez.
Cependant, nous sommes une équipe tissée serrée. On s’entend bien. On a la
même formation. On participe aux mêmes projets de recherche, et de toute
façon, chaque publication porte le nom de chacun d’entre nous.
Laissez-moi ajouter que nous faisons tous partis d’un « plan de pratique » et
que nos revenus sont donc tous dans un « pool » (revenus regroupés et
partage selon des critères précis). Ce qui fait disparaître bien des frustrations
et bien des sources de conflits.
Je pense aussi que c’est un peu la philosophie de l’hôpital.
- Mes félicitations, docteur.
*****
Il faut ajouter qu’au centre du processus thérapeutique, une infirmière,
désignée infirmière-pivot, joue le rôle d’intermédiaire entre les pneumologues
et les autres intervenants de sorte que les patients ont toujours une personne
à qui se référer au cours du processus thérapeutique. Personnage
intermédiaire, mais aussi tampon.
Durant l’hospitalisation, par contre, les équipes soignantes ( ici, infirmières et
autres intervenants non médecins) fonctionnaient selon un principe qui
répondait plus à une décision administrative et organisationnelle qu’aux
besoins des patients. La personne qui me traitait tel jour, ne me prenait en
général pas en charge le lendemain, même si elle était présente sur l’unité. Je
n’ai au demeurant, pas compris le rationnel de ce choix institutionnel. Dieu
sait pourtant combien ce personnel est important. Étant présent toute la
journée et tout au cours du traitement, on lui reconnaît, en général, un rôle de
confident, d’accompagnant par excellence: le rôle le plus humain.
On pourra lire ci dessous, la réponse du Docteur Simon Martel, pneu-
oncologue de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de
Québec, à un mail lui demandant de lire ce texte et de le commenter. Avec son
autorisation de citation.(1)
****
Conclusion
Être traité pour une maladie grave et nécessitant des traitements complexes
est très éprouvants pour le patient. Atteint dans son intégrité, devant faire
face à la perspective d’un grave handicap ou de la mort, il a un besoin aigu de
compassion, d’écoute et d’accompagnement.
Du côté des médecins de ces équipes hyperspécialisées, tous les efforts
devraient être fait pour que le patient ne disparaisse derrière sa maladie.
Cela, à mon avis, passe par l’adoption, par les divers membres d’une équipe
de soins hyperspécialisées, d’une philosophie du traitement impliquant des
notions du type de celles décrites dans cet article et qui se retrouvent dans la
note du docteur Martel. Le tout étant facilité par l’intégration des médecins à
un plan de pratique.
Ainsi, ce n’est plus une maladie qui sera traitée, mais une personne malade.
J’ai voulu témoigner de cette expérience exemplaire.
( 1) Effectivement nous ne tenons pas de réunions de planification de la visite d’un patient.
J’ajouterais cependant que nous avons des réunions plutôt de concertation sur divers aspects de
la prise en charge des patients avec cancer du poumon.
Le but est de partager les expériences et d’homogénéiser le plus possible la pratique. Les
infirmières et pharmaciens sont les bienvenus à ces rencontres.
Une discipline s’est également installée dans la façon de rédiger les notes; le médecin doit
toujours penser qu’il s’adresse également au médecin suivant qui verra le patient.
J’insisterais sur le rôle au quotidien de l’infirmière pivot qui apporte des informations
essentielles aux médecins sur divers aspects du cheminement du patient.
Vous avez raison de mentionner que nous avons atteint un bon niveau d’intégration en
ambulatoire pour faciliter la trajectoire du patient mais que cela est encore déficient en
hospitalisation.
Diverses contraintes s’ajoutent en hospitalisation dont la fluctuation parfois importante du
nombre de patients hospitalisés et la localisation du patient dans l’hôpital. La gestion des lits en
2016 est un exercice complexe et la préoccupation de la continuité des soins n’est
malheureusement pas toujours priorisée par les divers intervenants.
Hospitalisé pendant presqu’un mois sur une unité de soin, je dois dire que j’ai eu
le même sentiment que durant mon suivi en ambulatoire, vraisemblablement
parce que mon hospitalisation fut assez longue.
Noël Montgrain md. FRCPC, FAPA, psychiatre et psychanalyste, professeur
émérite
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