Développement des compétences en santé de la population et des patients dans le cadre de la formation des professionnels de santé Rapport de recherche exploratoire Philippe Lehmann 13 novembre 2009 Rapport à l’intention de l’Office fédéral de la santé publique Domaine de direction Politique de santé Division Projets multisectoriels 2 Impressum Projet réalisé sur mandat et avec le financement de l’Office fédéral de la santé publique Domaine de direction Politique de santé Division Projets multisectoriels Cheffe de division : Mme Ursula Ulrich Partenaire de projet : Mme Elvira Keller Contrat No 09.001011 / 704.001 / .329 Auteur : Philippe Lehmann [email protected] Tel 021 314 67 50 HECV santé Haute Ecole Cantonale Vaudoise de la Santé Avenue de Beaumont 21 1011 Lausanne 13 novembre 2009 3 Avant propos Le développement des compétences en santé de la population est reconnu comme un objectif des politiques de santé modernes depuis une dizaine d’années environ, et cette orientation concerne également la politique suisse de la santé. Une telle vision implique que de nombreux acteurs s’engagent dans cette nouvelle orientation, alors que par le passé les rôles dominants de la médecine ou de la politique traitaient souvent les individus, et à plus forte raison les personnes malades et les patients s’adressant à des professionnels de santé, comme des personnes impuissantes. Pour favoriser un tel revirement, il est essentiel que les structures du système de santé et les manières d’agir des professionnels de santé s’adaptent et développent des rôles nouveaux. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) s’inscrit comme le promoteur d’un tel développement et diffuse sa définition et sa conception dans ce domaine. Il souhaite cependant mieux connaître la réalité du terrain dans ce domaine, notamment sous l’angle de la formation des professionnels de santé. La présente recherche s’inscrit dans cette interrogation, au carrefour entre les évolutions des métiers et des formations, et celles des références théoriques et programmatiques. Plusieurs séquences de l’histoire récente des métiers de la santé doivent être passées en revue. On les abordera au travers du regard que des professeurs des hautes écoles des métiers de la santé jettent sur leur propre pratique, à partir des sources théoriques qui ont accompagné leur histoire personnelle ou qui alimentent leur enseignement aujourd’hui, et de l’interaction permanente entre professeurs et étudiants de métiers voisins. Cette recherche garde un caractère exploratoire, dans la mesure où un échantillon modeste de Hautes écoles et de professeurs a été retenu, et où l’on n’a pas cherché à vérifier si les postures et compétences enseignées dans les écoles se retrouvent ensuite agir effectivement dans la pratique professionnelle. On a ici exploré surtout les fondements retenus par des enseignants qui ont généralement une longue carrière de praticiens et d’enseignants dans leur domaine. Ils et elles représentent une des facettes du moule qui forme les professionnels actuels et futurs du système de santé en Suisse. Par son analyse, cette recherche montre que l’approche des compétences en santé de la population renvoie à des modèles professionnels et théoriques très divers, parmi lesquels on trouve aussi, mais assez rarement, les concepts retenus actuellement par les autorités de la santé publique. Mettre en évidence cette pluralité des approches et la réalité de l’engagement pour les compétences de la population représente l’apport spécifique de ce travail. 4 Remerciements Cette recherche a été commandée par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui en a donné l’idée, la motivation, le périmètre et le financement, et qui en attend des résultats utiles pour la poursuite de ses efforts dans ce domaine. L’auteur remercie l’OFSP et particulièrement ses collaboratrices, Mmes Therese Stutz, Elvira Keller et Ursula Ulrich pour leur soutien et leur intérêt pour les résultats de cette recherche. La recherche a trouvé place dans le cadre de la Haute Ecole Cantonale Vaudoise de la Santé (HECVsanté), qui a manifesté son intérêt aux niveaux de la Direction, des Doyens et d’un grand nombre d’enseignants qui se sont volontiers laissé interroger sur leurs pratiques d’enseignement. L’auteur remercie la HECVsanté et ses professeurs pour son soutien et sa coopération. Par extension, les Hautes écoles de santé de La Source à Lausanne, Berner Fachhochschule (bfh) – Gesundheit à Berne et Zürcher Hochschule für angewandten Wissenschaften (ZHAW) – Gesundheit à Winterthur ont également participé et certains de leurs professeurs ont coopéré à ce projet en se laissant également interroger. Ces hautes écoles et leurs professeurs sont également remerciés ici pour leur appui. 5 Résumé Développement des compétences en santé de la population et des patients – est-ce une matière enseignée dans la formation des professionnels de la santé en Suisse ? Dans le cadre du développement d’une stratégie et de mesures visant à promouvoir les compétences en santé de la population suisse, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) souligne le rôle que peuvent jouer les professionnels de la santé et s’intéresse particulièrement à leur formation dans les écoles des sciences de santé. Ce projet de recherche exploratoire identifie des professeurs dans les domaines des soins infirmiers, des sages-femmes et de la physiothérapie dans quatre Hautes écoles des professons de santé dans les régions de langue française et de langue allemande de Suisse qui se vouent explicitement aux sujets concernant les compétences en santé, à l'éducation de patient, à la centration sur le patient ou sur le famille, à la promotion de santé et à la santé communautaire. Des interviews avec 20 professeurs rendent comptent de leur indiquent leurs références théoriques, leur expérience pratique, leurs méthodes d'enseignement et les résultats, ainsi que leur jugement sur l'importance de ces aspects dans les curricula de formation pré-graduée et postgrade dans les Hautes écoles des professionnels de la santé. L’hypothèse selon laquelle la définition et la conception que défend l’OFSP tendrait progressivement à se répandre dans l’ensemble de la Suisse en tant que dénominateur commun n’est pas confirmée. Au contraire, on observe qu’il existe une grande diversité de conceptions différentes. L’analyse montre que le développement des compétences des patients et/ou de la population est effectivement un contenu de la formation. Il n'y a cependant ni une conceptualisation commune ni un fond théorique unique dans ce domaine, et les professeurs qui ont de l'intérêt pour ce domaine ne communiquent pas entre eux par des réseaux locaux ou nationaux (chap. 4). Il n’y a pas de différence majeure entre les régions linguistiques ni entre les professions de santé. Les divergences de conception se trouvent plutôt entre les démarches de santé publique et l’approche clinique, entre un focus individuel et un focus sur la communauté, ou entre une base scientifique psychosociale et une référence aux sciences de soins infirmiers (chap. 5). Au-delà de la grande diversité des modèles de référence, on peut observer un engagement fort pour les approches centrées sur la personne ou le patient (chap. 6). La conclusion de cette recherche est un plaidoyer pour intensifier le dialogue entre les stratégies de santé publique et le champ de la formation des professionnels de la santé (chap. 7). 6 Zusammenfassung Gesundheitskompetenz der Bevölkerung und der Patienten - ist das ein Thema in der Ausbildung der Gesundheitsberufe in der Schweiz? Im Rahmen der Entwicklung einer Strategie und Massnahmen zur Förderung der Gesundheitskompetenz der Schweizer Bevölkerung weist das Bundesamt für Gesundheit (BAG) auf die Rolle der Gesundheitsberufe und insbesondere auf deren Ausbildung in Fachhochschulen und Höheren Fachschulen für Gesundheit. Dieses exploratorische Forschungsprojekt identifiziert Dozentinnen und Dozenten aus den Gebieten der Krankenpflege, der Geburtshilfe und der Physiotherapie in vier Fachhochschulen in der Romandie und in der Deutschschweiz, welche sich ausdrücklich auf Themen der Gesundheitskompetenz, der Patientenbildung, der Zentrierung auf Patienten bzw. auf die Familie, der Gesundheitsförderung und der „Community Health“ konzentrieren. Interviews mit 20 Dozenten widerspiegeln ihren theoretischen Hintergrund, ihre praktische Erfahrung, ihre Unterrichtsmethoden und deren Resultate, sowie ihre Auffassung bezüglich der Bedeutung dieser Aspekte in Curricula der Fachausbildung bzw. der Fortbildung der Gesundheitsberufe. Die Hypothese, dass die Definition und Begrifflichkeit von Gesundheitskompetenz sich im Sinne des BAG schrittweise in der Schweiz als gemeinsamer Nenner verbreitet, wurde nicht bestätigt. Vielmehr wurde deutlich, dass weiterhin eine bunte Vielfalt von Begrifflichkeiten bestehen. Die Analyse zeigt, dass die Entwicklung der Gesundheitskompetenz der Patienten und/oder der Bevölkerung tatsächlich ein Ansatz in der Fachausbildung ist. Es gibt aber weder ein gemeinsames Konzept noch einen einheitlichen theoretischen Hintergrund in diesem Feld, und Dozenten mit Interesse am Thema stehen nicht mit den lokalen oder nationalen Netzwerken in Verbindung (Kap. 4). Es gibt kein wesentlicher Unterschied zwischen den Sprachregionen und auch zwischen den Gesundheitsberufen. Der definitorische Graben liegt aber eher zwischen Public Health vs. klinischer Ansatz, zwischen Patientenzentrierung und Fokus auf das Gemeinwesen, zwischen Psycho- und Sozialwissenschaften vs. Pflegewissenschaft als Wurzeln des theoretischen Hintergrunds der Dozenten (Kap. 5). Über die grosse Vielfalt der Referenzmodelle kann man ein starkes Engagement für Personen/Patienten zentrierte Ansätze beobachten (Kap. 6). Die Schlussfolgerung dieser Forschung führt zu einen Plädoyer für eine Intensivierung des Dialogs zwischen Strategien in der Gesundheitspolitik und dem Bereich der Fachausbildung der Gesundheitsberufe (Kap. 7). Zitathinweis des Forschungsberichtes : Philippe Lehmann: ‘Développement des compétences en santé de la population et des patients dans le cadre de la formation des professionnels de santé’, November 2009, 75 Seiten (Franz., mit Zusammenfassung auf Deutsch und Englisch). 7 Summary Health literacy of population and patients - is this a topic in the training of health professionals in Switzerland? In the context of developing a strategy and measures to promote the health literacy of the Swiss population, the Federal Office of Public Health (FOPH) points to the role that health professionals can play and especially their training in Schools of Health Sciences. This exploratory research project identifies teachers in the fields of nursing, midwifery and physiotherapy in four Schools of Health Sciences in the French and German speaking parts of Switzerland who explicitly focus on the topics of Health Literacy, Health Competence, Patient Education, Patient or Family Centeredness, Health Promotion and Community Health. Interviews with 20 teachers reveal their theoretical background, practical experience, teaching methods and outcomes, as well as a judgment on the importance of these aspects in the pregraduate or postgraduate curricula of health professionals. The hypothesis that definition and conception of health literacy s in the sense chosen by the FOPH spread gradually in Switzerland as a common denominator was not confirmed. Rather it became clear that further exists a large variety of conceptions and approaches. The research analysis shows that Health Literacy and Competence of patients and/or population is effectually a matter of teaching. There is neither a common concept nor a unique theoretical background in this field, and teachers with interest in the field don’t communicate in local or national networks (chapter 4). There is no major difference between linguistic areas or between the three professions. The major gap is to be observed between public health vs. clinical approaches, between individual vs. community focus, and between psycho-social vs. nursing sciences roots of the theoretical backgrounds of the teachers (chapter 5). Beyond the great diversity of reference models, one can observe a strong commitment for person/patient centered approaches (chapter 6). The conclusion of this research is a plea to intensify the dialogue between public health strategies and the field of training of health professionals (chapter 7). Quotation of the research report: Philippe Lehmann : ‘Développement des compétences en santé de la population et des patients dans le cadre de la formation des professionnels de santé’, November 2009, 75p. (French, with a summary in German and English) 8 9 Sommaire 1. Introduction ................................................................................................................... 11 a. Contexte et mandat, nature exploratoire de l’étude ................................................... 11 b. Objectifs de l’étude .................................................................................................... 14 c. Construction et délimitation de l’objet ....................................................................... 15 2. Méthode :....................................................................................................................... 18 a. Opérationnalisation de l’étude ................................................................................... 18 b. Échantillon ................................................................................................................. 18 c. Guide d’entretien ........................................................................................................ 20 d. Transcription des interviews ...................................................................................... 22 e. Accueil de l’enquête ................................................................................................... 22 f. Données complémentaires : Plans d’étude cadre, littératures de référence, matériel d’enseignement ............................................................................................ 23 g. Travaux de recherche et Mémoires de fin d’étude ..................................................... 25 3. Compétences en santé : définitions de départ ............................................................... 27 a. OFSP et littérature de santé publique : Nutbeam et Kickbusch ................................. 27 b. Programmes nationaux et internationaux de santé publique ...................................... 28 c. Paradigme infirmier du « caring » et le patient acteur ............................................... 30 d. Paradigmes similaires dans les autres professions de santé ....................................... 33 4. Résultats ........................................................................................................................ 37 a. Compétences en santé, partie intégrante des Plans d’étude cadre des professions HES ......................................................................................................... 37 b. Développement des Compétences en santé dans le cadre de la formation aux professions de santé, réponses données par les professeurs interrogés ............... 43 c. Les références des professeurs interrogés .................................................................. 53 d. Méthodes d’enseignement des professeurs interrogés ............................................... 54 e. Intégration ou décalage par rapport au contexte des écoles HES .............................. 56 5. Analyse .......................................................................................................................... 57 a. Axe de polarisation 1 : micro vs. macro .................................................................. 57 b. Axe de polarisation 2 : santé vs. maladie ................................................................. 57 c. Axe de polarisation 3 : santé vs. société .................................................................. 58 d. Axe de polarisation 4 : nursing/therapy vs. psychologie/sociologie/psychanalyse 58 e. Axe de polarisation 5 : instruments/modèles vs. philosophie, perception, posture 59 f. Axe de polarisation 6 : normatif vs. paradoxal ........................................................ 60 g. Concepts préférés pour signifier les compétences en santé ....................................... 60 10 h. Concepts peu ou pas nommés .................................................................................... 61 6. Tendances générales ...................................................................................................... 63 a. Orientation vers les compétences en santé des patients et de la population .............. 63 b. Diversité des orientations, polarisations et convergences .......................................... 63 c. Importance dans la formation des futurs professionnels de santé .............................. 64 d. Obstacles .................................................................................................................... 64 e. Opportunités ............................................................................................................... 65 7. Conclusions et recommandations .................................................................................. 67 Annexes ................................................................................................................................ 69 a. Tableau des professeurs interrogés ............................................................................ 69 b. Présentation faite à la Conférence suisse de Santé publique...................................... 71 11 1. Introduction a. Contexte et mandat, nature exploratoire de l’étude L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) développe depuis quelques années un axe d’orientation stratégique vers le développement des compétences en santé de la population, un objectif vers lequel devraient tendre plusieurs mesures de la politique de santé en Suisse, de manière transversale et concernant aussi bien l’OFSP que les autres acteurs du système de santé. Cette dimension est clairement exprimée dans la Vision fondamentale et à long terme de l’OFSP ainsi que dans ses objectifs stratégiques pour 2007-2011 : Vision: „Das Bundesamt für Gesundheit (BAG) hat auf nationaler Ebene den Lead in der Gesundheitspolitik der Schweiz sowie in der Gestaltung des Gesundheitswesens. Damit will das BAG einerseits die Gesundheitskompetenz der Menschen fördern und sie damit befähigen, die Verantwortung für die eigene Gesundheit und das Gesundheitsverhalten wahrzunehmen. Andererseits beeinflusst das BAG die staatlich-strukturellen Rahmenbedingungen nachhaltig so, dass Gesundheitsförderung, Prävention und Gesundheitsschutz sowie Heilung und Linderung von Krankheiten und Unfällen ganzheitlich und konsistent im Hinblick auf den grösstmöglichen Gesundheitsgewinn für alle realisiert werden können.“ 1 Cette orientation générale est confirmée par la réponse donnée par le Conseil fédéral à plusieurs interventions parlementaires. Selon le « concept stratégique Gesundheitskompetenz » de l’OFSP2, en cours d’élaboration de 2007, le développement des compétences en santé de la population et des patients est promu plus ou moins activement par de nombreux acteurs du système de santé en Suisse. Il manque cependant un cadre d’ensemble à ce développement et des exemples concrets pour sa mise en œuvre par le réseau des acteurs concernés. Le secteur de la formation est particulièrement appelé à fournir une contribution : « Gesundheitskompetenz ist ein Konzept, das hauptsächlich an der Schnittstelle zwischen dem Gesundheits- und Bildungssektor anzusiedeln ist. Konsumentinnen und Konsumenten bzw. Patientinnen und Patienten haben eine neue Rolle in der Gesellschaft, auf die sie beständig vorbereitet werden müssen. Der Staat muss sich deshalb der Frage stellen, welche Rolle er hier übernehmen will und kann. » (BAG, Förderung der Gesundheitskompetenz – Statusbericht, 2008). Les actions à mener dans une stratégie nationale à définir devraient agir sur les plans de : - la politique/les politiques de santé, la création de conditions cadre pour la promotion de la responsabilité personnelle des citoyens, des patients et des acteurs du système de santé, le développement de programmes de prévention et l’accès à l’information sur le système de santé 1 Vision de l’OFSP,citée dans le rapport « Förderung der Gesundheitskompetenz – Statusbericht », Bundesamt für Gesundheit Direktionsbereich Gesundheitspolitik, Sektion Neue Themen, März 2008 2 « Gesundheitskompetenz – Strategisches Konzeptpapier», Bundesamt für Gesundheit Direktionsbereich Gesundheitspolitik, texte en cours d’élaboration, version en l’état en novembre 2007 12 - - la recherche scientifique, surtout la recherche appliquée et le transfert des connaissances scientifiques, et en particulier la recherche sur l’éducation et la formation professionnelle dans le domaine de la santé la mise en œuvre des compétences en santé dans la pratique, en particulier dans les pratiques de prévention, de traitement et de réhabilitation, dans la communication sur la santé, dans l’éducation scolaire, et enfin dans l’éducation thérapeutique des patients. Pour la mise en œuvre, un accent particulier est à mettre sur la formation initiale et continue des professionnels de la médecine et de la santé. Le rôle de la formation est souligné sur le tableau ci-après, extrait du concept stratégique de l’OFSP (2007)3 : Politique/Stratégies Recherche scientifique/appliquée Mise en œuvre dans la pratique - Promotion des compétences en santé de la population - La politique prend conscience des inégalités sociales dans la société et s’engage et s’engage pour l’égalité des chances face à la santé - La politique renforce la responsabilité des individus dans leur rapport à leur santé et crée les conditions cadre nécessaires à cet effet. - Recherche sur les connaissances fondamentales pour promouvoir les compétences en santé - Développement d’indicateurs pertinents concernant les compétences en santé - Recherche sur la formation visant à développer les compétences en santé - Instruments d’orientation sur le système de santé - Recherche sur les aspects économiques liés aux compétences en santé - Information et communication - Développement des compétences par l’éducation dans le cadre de vie des enfants - Soutien social dans les diverses circonstances de la vie; éégalité des chances - Programmes de prévention et de promotion de la santé - Soutien aux patients et aux aidants professionnels - Formation initiale et continue dans les professions de médecine et de santé - Cybersanté / eHealth - Marché et défense des consommateurs L’OFSP a par ailleurs travaillé à une définition du concept des compétences en santé de la population par des mandats antérieurs : « Denkanstösse für ein Rahmenkonzept zu Health Literacy », Peter Schultz, Health Care Communication Laboratory, Lugano 2006. « Ökonomische Aspekte der Gesundheitskompetenzen. Konzeptpapier » Stephan Spycher, Büro BASS, Bern, 2006. « Gesundheitskompetenz : eine konzeptuelle Einordnung », T. Abel, Univ. Bern 2007. et a fait le point à l’interne sur l’avancement de la prise en compte de cette thématique dans les activités de l’OFSP: « Gesundheitskompetenz – Strategisches Konzeptpapier», Bundesamt für Gesundheit Direktionsbereich Gesundheitspolitik, texte en cours d’élaboration, version en l’état en novembre 2007 3 Traduction et mise en évidence par l’auteur. 13 « Förderung der Gesundheitskompetenz – Statusbericht », Bundesamt für Gesundheit Direktionsbereich Gesundheitspolitik, Sektion Neue Themen, März 2008 « Die Förderung der Gesundheitskompetenz bietet neue Chancen – für Patienten und Health Professionals / La promotion de la culture sanitaire offre de nouvelles possibilités aux patients et aux professionnels de la santé », Th. Zeltner, Directeur OFSP, exposé à la Journée de Politique nationale de la santé, 20 novembre 2008. La présente étude exploratoire a pour mission, dans ce cadre défini au préalable et selon le mandat de l’OFSP élaboré à fin 2007, d’explorer les composantes de développement des compétences en santé de la population et des patients telles qu’elles ressortent de la pratique actuelle dans la formation des professionnels de la santé (sans les professions médicales universitaires), et de vérifier si elles sont en concordance avec les conceptions de l’OFSP en matière de promotion des compétences en santé de la population. Il faut d’emblée souligner que l’orientation vers le développement des compétences en santé de la population est aussi présente dans les efforts récents visant à moderniser les formations universitaires des professions médicales et apparentées (médecins, médecins-dentistes, pharmaciens et vétérinaires) ainsi que les formations tertiaires supérieures dans les HES du domaine de la santé (soins infirmiers, diététique, ergothérapie, physiothérapie, sages-femmes, techniciens en radiologie médicale). Cette évolution est ancrée dans les éléments suivants : Loi fédérale sur les professions médicales, 2006 : (articles 7 et 17) les objectifs de compétence définis pour la formation initiale et postgrade des professionnels de la médecine et des autres professions médicales universitaires, tels que nouvellement définis, visent notamment à améliorer la communication et la coopération avec les patients et à accroître leurs compétences en santé. Dans la foulée de la modernisation de la formation tertiaire des professions de la santé, que ce soit dans les Hautes écoles spécialisées (HES) ou dans les Ecoles professionnelles supérieures (ES), l’orientation vers le développement des compétences en santé des patients et de la population commence également à prendre place. Voir à ce sujet en particulier : Haute école spécialisée de la Suisse occidentale (HES-SO), Plans d’étude cadre Bachelor des formations en soins infirmiers, sages-femmes, physiothérapeutes, techniciens en radiologie, ergothérapeutes et diététiciennes de la HES-SO, version 20074 et Rapport sur les compétences finales des professions de santé HES (KFH, Projekt Abschlusskompetenzen FH-Gesundheitsberufe – Abschlussbericht vom 25.6.2009 zuhanden dem Bundesamt für Bildung und Technologie) Ces documents seront analysés au chapitre 4 a. Par ailleurs, l’OFSP travaille aussi à développer les compétences en santé de la population dans le cadre de plusieurs autres programmes, en particulier : 4 Plans d’étude cadre et référentiels de compétences HES-SO, Filière Soins infirmiers, Filière Physiothérapie, Filière Sages-femmes, voir http://www.hecvsante.ch 14 - Stratégie suisse en matière de cybersanté (« eHealth ») pour la période allant de 2007 à 2015, approuvée par le Conseil fédéral en juin 2007 - Stratégie du Conseil fédéral « santé et migrations » 2008-2013 - Projet de Programme national « alimentation et activité physique » 2008-2012 Ces domaines importants ne seront pas explorés dans le cadre de la présente étude exploratoire, dans la mesure où ils affectent très peu le domaine particulier de la formation des professions de la santé. b. Objectifs de l’étude Le projet a pour intention d’une part de contribuer aux travaux de l’OFSP visant à développer les compétences en santé de la population et des patients par une exploration ciblée sur les méthodes de formation des professionnels de santé (soignants et professions thérapeutiques). L’identification d’acteurs potentiels d’un tel développement en Suisse romande est aussi particulièrement visée. Une comparaison avec la Suisse allemande a été ajoutée par la suite à la demande de l’OFSP. D’autre part, le projet a également pour intention d’examiner si, comment et dans quelle mesure les principes inscrits dans les plans d’étude cadre de la formation aux professions de santé dans les HES visant à construire des compétences professionnelles ciblées sur le développement des compétences des patients et de la population peuvent être réalisés dans la pratique. Dans le cadre du présent mandat de l’OFSP, qui a le caractère d’une étude exploratoire, il s’agira donc de - préciser les objectifs scientifiques de l’étude et le cadre de recherche - élaborer un plan de recherche détaillé - rechercher et obtenir la coopération des directions et responsables d’enseignement des HES-santé en Suisse Romande - tester la faisabilité d’une telle étude en coopération avec des enseignants de si possible au moins deux filières de formation dans si possible au moins deux HES-santé en Romandie - récolter des données sur la pratique et sur les cadres de référence des enseignants versés sur cette question - explorer les parallèles dans deux HES-santé en Suisse allemande ; récolter des données sur la pratique et sur les cadres de référence des enseignants et comparer avec la Romandie - analyser les résultats et les comparer aux positions avancées par l’OFSP - tirer des conclusions et recommandations à l’intention de l’OFSP - examiner s’il serait pertinent d’élargir dans une étape ultérieure la démarche de recherche vers d’autres formations aux professions de santé (notamment en médecine) et vers la pratique de terrain dans les institutions de santé. On a notamment cherché à vérifier les hypothèses avancées par l’OFSP, à savoir premièrement que la définition et la conception que défend l’OFSP en s’appuyant sur les références de I. Kickbusch et D. Nutbeam tendraient progressivement à se répandre dans 15 l’ensemble de la Suisse en tant que dénominateur commun, et deuxièmement qu’il y aurait un fossé entre les conceptions retenues en Suisse romande et en Suisse alémanique. c. Construction et délimitation de l’objet Le plan de recherche détaillé vise à atteindre les objectifs scientifiques suivants : - Décrire et analyser la façon dont la problématique des compétences en santé de la population et des patients est abordée dans l’enseignement théorique, dans l’enseignement par problèmes et par compétences, et dans l’enseignement pratique des professions soignantes, thérapeutiques et techniques5 dans les HES-santé en Suisse romande6, et comparer avec l’enseignement dans les HES-santé en Suisse allemande7 - Explorer si et comment les travaux de recherche et les travaux de diplôme dans ces professions abordent les compétences en santé de la population et des patients. Questions scientifiques et pratiques particulières : - Identifier les références théoriques et pratiques internationales et nationales choisies par les enseignants, les formateurs et les élèves - Identifier des activités spécifiques et des supports/moyens de formation mis en œuvre pour les futurs professionnels visant au développement des compétences de la population et des patients (situations/problèmes, documentations, didacticiels, procédures, etc.) et examiner si leur mise en œuvre sur les apprenants a des résultats mesurables - Identifier des institutions/unités dans l’enseignement et dans la pratique pouvant jouer le rôle de centres de compétences et de bonne pratique à cet égard en Suisse romande ; explorer les liens existants entre telles institutions de différentes régions de la Suisse ; susciter l’émergence d’un réseau en Suisse romande ou au niveau national - Identifier les aspects communs ou spécifiques aux différentes filières professionnelles (soins infirmiers, sages-femmes, physiothérapeutes) - Explorer les actions conduites dans le cadre de la formation post-grade - Examiner les potentiels existant en Suisse romande pour une coopération en réseau sur cette thématique avec les acteurs concernés de l’ensemble de la Suisse - Examiner l’opportunité et la faisabilité dans un deuxième temps d’une enquête sur cette problématique dans les la pratique des institutions soignantes et médicales en Suisse romande (hôpitaux, cabinets médicaux et de physiothérapie, services de soins à domicile, EMS) ; le cas échéant, élaborer une esquisse destinée à un financement externe. 5 Sont retenues pour cette étude exploratoire les formations HES aux professions d’Infirmiers et infirmières, sages-femmes, physiothérapeutes. Les trois autres professions HES : ergothérapeutes, diététiciens, techniciens en radiologie, n’ont pas été explorées. 6 Sont retenues pour cette étude les sites HES-SO suivants : HES-santé VD (HECV-santé), HES-la Source. Les autres sites santé de la HES-SO (HES-santé GE, HES-santé FR, HES-santé VS, HESsanté ARC-BeJuNe) n’ont pas été interogés. 7 Sont retenues pour cette étude les HES santé suivants en Suisse allemande : Berner Fachhochschule, Bereich Gesundheit (Bern) et Zürcher Hochschule für angewandten Wisschenschaften, Bereich Gesundheit (Winterthur). Les autres HES santé de Suisse allemande (StGall, Kalaidos-WE’G) n’ont pas été interrogés. 16 Limites de l’étude (définies dans le mandat de l’OFSP): - - - - - Dans le cadre de l’étude projetée, on n’abordera que les aspects de la formation des professionnels à développer les compétences en santé de la population et des patients, et non la réalité de ces compétences telles qu’elles sont présentes dans la population ni non plus la pratique professionnelle en activité dans les institutions de santé. On n’examinera pas les aspects relatifs à la formation des médecins (formation de base, postgrade et continue), des pharmaciens, des dentistes, ni des assistants en santé communautaire et autres auxiliaires. On évoquera, dans la mesure où ils sont pertinents pour la formation, les aspects institutionnels des hôpitaux et autres institutions où se passe la formation pratique des élèves. Mais on n’examinera pas la pratique des institutions de manière systématique. On examinera en priorité les aspects relatifs aux soins donnés aux adultes ; les aspects relatifs aux soins donnés aux enfants ou aux jeunes et aux personnes très âgées seront seulement survolés. Les aspects spécifiques à la migration seront seulement survolés, sans étude approfondie (car ils sont déjà traités dans plusieurs projets du Programme national Migration et santé). Le champ d’exploration et d’analyse peut être illustré par le schéma ci-après. On y voit que les compétences en santé des individus et des patients reçoivent de nombreuses influences, en particulier - par l’éducation scolaire et professionnelle des individus - par la transmission des valeurs et des savoir-faire au sein de la famille - par l’exercice de la médecine, au cabinet médical ou à l’hôpital, ainsi que par la vulgarisation médicale - par les moyens du droit (droit des patients et droit des assurances sociales par ex.), par les rapports sociaux et par l’action culturelle - par le canal des médias, presse, télévision, internet, etc. L’influence sur les compétences en santé qui résulte de la formation des professionnels de santé (professions soignantes et thérapeutiques) fait également partie de ce tissu d’influences. Elle procède par un parcours où on relèvera les séquences suivantes : - conditions cadre des écoles HES, notamment les Plans d’étude cadre et conceptions pédagogiques - enseignement dispensé par modules thématiques, basés en particulier sur le modèle de l’apprentissage par problème - professeurs intervenant dans ces modules - élèves qui effectuent ces formations professionnelles aux professions de santé ; il s’agit en principe - évolution des élèves vers le statut de futurs professionnels, puis de professionnels diplômés, qui exercent dans les institutions de santé Il faut donc garder conscience que la contribution de chaque enseignant (interrogé pour cette étude) se mêle de manière diffuse dans un programme de formation d’une durée de 4 années, comprenant des formations en école (env. 60%) et des formations en stages pratiques (env. 40%). Il devient alors difficile d’évaluer combien l’apport d’enseignants individuels influe de manière spécifique sur la pratique future des professionnels et comment cela se retransmet ensuite sur les compétences effectives des patients ou personnes qu’ils et elles auront à traiter. 17 Schéma : champ d’exploration et d’analyse de l’étude Education… Famille… Elèves Futurs professionnels Ecoles HES Modules Professeurs Compétences en santé des patients et des individus Médecine… Droit, social, culture… Médias… 18 2. Méthode : a. Opérationnalisation de l’étude - - - - - Préciser le questionnement, - sa convergence avec les attentes de l’OFSP en vue de ses travaux de stratégie - sa convergence avec les intérêts des enseignants de la HECV-Santé de Lausanne (et sur cette base avec les enseignants des autres HES Santé) - rédaction d’un document descriptif Explorer les modalités et la faisabilité de la récolte d’informations Explorer de manière pragmatique auprès d’enseignants comment la problématique relevant de l’enseignement théorique, par problème et pratique tel qu’effectué dans la HECV-santé peut être abordée, compte tenu de la complexité des pans d’étude Explorer l’intérêt des enseignants à s’engager activement dans une telle étude et à créer éventuellement une équipe de recherche multidisciplinaire Rassembler les informations sur la pratique d’enseignement et sur ses références auprès d’un échantillon d’enseignants dans au moins 2 écoles en Romandie et 2 en Suisse allemande. Explorer la littérature professionnelle et scientifique de référence sur le sujet, recommandée par les formations HES, et explorer les travaux de diplômes sur ce sujet Analyser les contenus pertinents Identifier les potentiels d’éventuels centres de compétence/de bonnes pratiques et examiner leur intérêt et capacité à jouer un rôle actif accru sur cette problématique en Suisse romande et dans l’ensemble de la Suisse Rédaction d’un rapport de synthèse sur l’ensemble de l’étude et ses conclusions y compris résumé français et allemand Présentation des résultats de l’étude aux institutions impliquées dans la recherche Examiner l’opportunité d’une recherche élargie, à mener ultérieurement par exemple dans les institutions de formation des médecins et dans les institutions de soins et cabinets médicaux et le cas échéant élaborer une esquisse. b. Échantillon La principale source d’information de cette étude est constituée par 20 entretiens ciblés avec des professeurs des HES-Santé : HECVsanté et HEdS La Source à Lausanne, BFHGesundheit à Berne et ZHAW-Gesundheit à Winterthur. Critères de choix des professeurs interrogés : - Professeurs activement motivés dans leur enseignement par la thématique des compétences en santé des patients et de la population - Professeurs enseignant dans les formations de base (bachelor) et postgrade (CAS, DAS, MAS) - Professeurs enseignants dans les filières soins infirmiers, sage-femme et physiothérapie - Professeurs avec une bonne intégration dans les écoles HES et une expérience professionnelle de plus de 10 années. 19 Il ne s’agit donc pas d’un échantillon représentatif de l’ensemble des professeurs, mais d’un choix orienté vers des professeurs concernés et motivés par la problématique des compétences en santé des patients et de la population, celle-ci vue sous des facettes diverses. Le recrutement des professeurs échantillonnés a été effectué de la manière suivante : - - - - - Les directions de la HECVsanté et HEdS La Source ont signalé leur intérêt et leur appui pour la réalisation de cette étude exploratoire avec la collaboration active de professeurs pour des interviews relatives à leur pratique d’enseignement et leurs références en matière de compétence en santé HECVsanté : appel en premier lieu à un groupe de 4 professeurs constituant un Groupement d’intérêt en soins de premier recours ; appel au professeur responsable de l’établissement des programmes dans la filière soins infirmiers ; ensuite, demande à chaque professeur interrogé de signaler d’autres collègues, dans la filière soins infirmiers et les filières sage-femme et physiothérapie, qu’ils recommandent pour leur intérêt pour l’aspect des compétences en santé -> 10 interviews, -> 6 professeurs en soins infirmiers, 2 en filière sage-femme, 2 en physiothérapie HEdS La Source : appel à la professeure responsable des programmes de formation Bachelor en soins infirmiers, qui a fait circuler la demande d’intérêt à ses collègues ; constitution d’une liste d’une dizaine de professeurs susceptibles d’être interrogés en raison de leur intérêt personnel ; -> 5 interviews, domaine soins infirmiers BFH Gesundheit : appel ciblé à une professeure particulièrement active sur le thème, par ailleurs responsable du secteur recherche en soins infirmiers / repérée par les abstracts soumis à la Conférence suisse de santé publique 2009 sur le thème Compétences en santé -> 1 interview ZHAW-Gesundheit : appel ciblé à 4 professeures particulièrement actives sur ce thème, notamment - deux professeurs issues de l’Ecole de soins infirmiers du Lindenhof à Berne, où elles avaient développé des formations de base et postgrade sur le domaine des compétences en santé ; transférées par la suite à la HES zurichoise ZHAW avec des missions en formation de base et postgrade - une professeure en soins infirmiers, particulièrement active sur le thème, repérée par les abstracts soumis à la Conférence suisse de santé publique 2009 - la doyenne de la filière sages-femmes, également repérée par les abstracts soumis à la Conférence suisse de santé publique 2009 -> 4 interviews. En résumé, la composition de l’échantillon interrogé (détails, voir annexe a, page 69) : HECVsanté Soins infirmiers Sages-femmes Physiothérapie Total 6 2 2 10 HEdS La Source 5 BFH Gesundheit 1 ZHAW Gesundheit 3 1 5 1 4 Total 10 3 2 20 20 Les professeurs interrogés sont 18 femmes et 2 hommes. Compte tenu des règles de la grammaire française, on continuera à parler de « professeurs » et « enseignants » au masculin pluriel, même s’il y a une nette majorité de femmes. Les noms recueillis lors des interviews pour signaler d’autres professeurs qui pourraient avoir également un avis sur la thématique constituent une liste de plus de 60 personnes supplémentaires au sein de ces écoles. On a néanmoins renoncé à prolonger la liste des interviews réalisés ; ceci d’une part pour des raisons de budget, mais d’autre part et surtout par un constat de saturation des informations reçues. Non pas que les interviews réalisés répètent à l’identique ce que les personnes interrogées précédemment avaient déjà dit, mais plutôt du fait d’un éclatement toujours plus large des thèmes, avec des références toujours différentes et de expériences pédagogiques également différentes. Cette dispersion – on le montra dans l’analyse des résultats – représente la principale « découverte » de cette démarche de recherche. Les interviews ont été réalisées entre avril 2008 et juin 2009. L’étalement dans la durée vient d’une part du processus de mûrissement progressif du questionnement, d’autre part de la recherche de disponibilité des professeurs à interroger, en procédant école après école, et par ailleurs aussi en raison de collision avec d’autres priorités. L’extension de l’échantillon à la Suisse allemande a été explicitement demandée par l’OFSP en février 2009. Cet étalement n’a pas nui à l’unité de perspective de la recherche. c. Guide d’entretien Tous les professeurs interrogés ont reçu à l’avance un document de 5 pages comprenant : - Contexte et objectifs de l’étude, y compris le tableau OFSP des domaines d’action (cf. pages 11-12) et le schéma du champ d’analyse (cf. page 17) - Définitions des compétences en santé, repris de I. Kickbusch, et Niveaux des compétences en santé, repris de D. Nutmbeam, les deux cités dans les documents de conception de l’OFSP (cf. page 28) - Extraits des plans d’étude cadre HES-SO des filières les concernant (soinsinfirmiers, sage-femme, physiothérapie) où étaient soulignées les composantes concernant le développement des compétences en santé (cf. page 38-39) - Intentions et démarche de la recherche - Contenu et fil conducteur pour la discussion « enseigner les compétences en santé» Ce dernier contenu et fil conducteur est reproduit ci-après : - Lesquels des domaines/aspects/catégories/concepts ci-après abordez-vous principalement dans la formation de base des futurs professionnel/les de santé : 1. la capacité (*) des professionnel/les de santé à développer les compétences des individus à savoir se soigner et à soigner leurs proches (autodiagnostic, automédication, autotraitement) ; y compris pour commencer compétence des professionnel/les de santé à se soigner elles/eux-mêmes 2. la capacité des professionnel/les de santé à développer les compétences des patients à participer au traitement professionnel qui leur est apporté (consentement, choix, observance, compliance…) 21 3. la capacité des professionnel/les de santé à développer les compétences des individus à recourir aux moyens du système de santé (choix du médecin, de l’hôpital, etc. + utilisation des assurances sociales) 4. la capacité des professionnel/les de santé à développer la compétence des individus à comprendre les informations relatives à la santé, à la maladie, à la médecine, etc. (health literacy) 5. la capacité des professionnel/les de santé à développer les compétences des individus à se maintenir en santé / à promouvoir leur santé (promotion de la santé et prévention) (*) J’ai écrit ici « capacité » des professionnel/les de santé plutôt que « compétence » pour éviter un malentendu dû à la répétition du terme, mais je pense « compétence des professionnel/les de santé» au sens du vocabulaire de la formation tel qu’il apparaît dans les plans d’étude cadre des HES. - Est-ce que les catégories ci-dessus sont pour vous des catégories pertinentes ? Est-ce que les termes utilisés sont adéquats ? Est-ce qu’ils recouvrent des traditions distinctes ? Dans quelle mesure vous identifiez-vous particulièrement avec l’une ou plusieurs de ces catégories ? - Quelles sont pour vous les références basiques de ce domaine ? Et quelles doivent êtres les références basiques connues par les étudiants ? - Quelles sont pour vous les avancées actuelles pertinentes dans ce domaine ? Y a-t-il aussi des régressions actuelles ? - Comment procédez-vous pour l’enseignement de ces capacités ? Comment cela s’articule avec vos autres séquences d’enseignement à ces mêmes étudiants ? - Cet aspect de la formation de base est-il ou non en décalage avec le reste de l’enseignement des soins infirmiers ? - Dans quelle mesure avez-vous l’impression que « ça passe bien » (grâce à quels éléments facilitateurs ?) ou bien que cet aspect d’enseignement se heurte à une résistance (à cause de quels éléments de frein ?) - Avez-vous connaissance de modèles plus efficaces ailleurs pour enseigner ces types de capacités à des soignants ? (en Suisse ou à l’étranger) Et finalement : - Etes-vous intéressé/e à creuser les questions ci-dessus dans le cadre de l’élaboration d’une esquisse puis d’un projet de recherche ? Pourquoi ? Comment ? Comment verriez-vous votre contribution ? - Voyez-vous d’autres professeur/e/s de l’Ecole qui font un apport pertinent sur ces questions et qu’il faudrait aussi interroger ? Et qui pourraient aussi être intéressés par ce projet de recherche ? Et à la Source ? Et dans d’autres écoles de la HES-SO ? Les professeurs de Suisse allemande ont reçu une version partiellement traduite de cette documentation, mais n’avaient aucune difficulté à comprendre les parties laissées en français. Les 5 interviews de Suisse allemande ont été effectuées entièrement en allemand. Les interviews se sont en majeure partie déroulées en parcourant tout d’abord les aspects de contenu des compétences en santé, tels que listés dans les 5 domaines des compétences en santé, en alternant des aspects professionnels et pratiques d’une part, et des aspects conceptuels et des références théoriques d’autre part. Dans un deuxième temps, qui était souvent déjà évoqué par les interviewés, on abordait des modalités concrètes de cet enseignement, la manière de procéder dans les cours et modules, les réactions des étudiants avec une appréciation des résultats, et les difficultés de cette démarche. 22 Enfin, on discutait de la manière dont cette composante de la formation trouvait place dans le contexte général de la formation initiale (Bachelor) et postgrade (CAS, DAS, MAS) des écoles en question. d. Transcription des interviews Les 20 interviews ont donné lieu à une prise de notes manuscrites, visant le sens du message. Ont été relevés en particulier mot-à-mot : les expressions, les terminologies choisies, les concepts, les références, les exemples, etc. Ces notes manuscrites ont été ensuite retranscrites rapidement sur ordinateur. Les procès-verbaux d’interview peuvent être consultés auprès de l’auteur, mais restent sous le sceau de la confidentialité. e. Accueil de l’enquête Tous les professeurs invités à participer à cette enquête exploratoire l’ont accueillie avec un intérêt positif et un grand degré de transparence et d’ouverture à la discussion. Ils et elles ont préparé les discussions par des notes personnelles et en préparant des documents à me remettre. La compréhension du sujet de recherche n’a posé de difficulté à personne, mais il a été rappelé à plusieurs reprises que la contribution personnelle d’un ou une professeur/e sur l’ensemble d’une formation aux professions de santé, généralement de 4 ans, reste assez modeste. Cela d’autant plus que les professeurs travaillent beaucoup en groupes par modules et que d’autre part env. 40% de la formation des étudiants a lieu lors de stages pratiques dans des institutions de soins. Contrairement à une intention première, on n’a pas cherché à interroger des « praticiensformateurs », c'est-à-dire les professionnels des institutions de soins qui accompagnent les étudiants en stage pratique. En revanche, il y été clairement indiqué que les stages ne constituent pas seulement un « terrain d’exercice » mais également un lieu où les étudiants doivent approfondir des thématiques particulièrement définies au préalable dans l’école, qui sont ensuite retravaillées au cours de leur formation. A la question de constituer un groupe de recherche et un projet collectif d’étude sur cette thématique dans une deuxième étape, les professeurs sont restés sur leur réserve, préférant d’abord attendre les résultats de la présente étude. Il a été promis à toutes et tous qu’ils recevraient le rapport final de l’étude exploratoire. Comme cette étude convergeait avec le sujet de la Conférence suisse de santé publique, qui a eu lieu à Zurich les 27 et 28 août 2009 sur le thème général des Compétences en santé, on a pu présenter une première synthèse du questionnement et des analyses8 au cours d’un workshop « Compétences professionnelles pour les compétences en santé », organisé d’ailleurs par l’une des professeures de la HEdS La Source interviewée dans l’étude. Ce workshop a permis de tester les hypothèses d’analyse et d’en débattre avec une quinzaine de participants. 8 L’OFSP a reçu au préalable la présentation powerpoint de cette présentation à la Conférence suisse de santé publique. Elle est par ailleurs accessible sur le site de Santé publique suisse : www.publichealth.ch comme toutes les présentations à la Conférence. Voir annexe b, pages 71 à 79. 23 f. Données complémentaires : Plans d’étude cadre, littératures de référence, matériel d’enseignement Aux interviews sont venus s’ajouter des documents d’enseignement et des références écrites données par les professeures interrogées. Ces documents et références ont été intégrés dans l’analyse des résultats des interviews. Plans d’étude cadre L’étude a pour l’un de ses fondements les référentiels de compétence professionnels spécifiques établis sous forme de Plans d’étude cadre (PEC) par la HES-SO, dans leurs versions 2006, 2007 ou 2008, lesquels indiquent formellement des compétences relatives au partenariat à établir avec les futurs patients, la prise en compte de leurs ressources, de leurs attentes et de leur capacité de décision partagée. Ces Plans d’étude cadre ont notamment servi à l’élaboration du guide d’entretien. Ils ont ensuite été réexaminés au jour des affirmations des professeurs, car ils constituent un fondement théorique et didactique de la formation. Il faut souligner cependant qu’au cours des 15 dernières années les Ecoles des professions de la santé ont connu une succession rapide de révisions de leurs plans d’étude et référentiels de compétences, à l’exemple de ce qui s’est passé en Romandie pour les soins infirmiers : - Plans d’étude Infirmier/infirmière diplômé en soins généraux (1966), en pédiatrie (1972), en psychiatrie (1980), Croix Rouge Suisse - Plan d’étude Infirmier/infirmière diplômé (généraliste), Niveau I et Niveau II, Croix Rouge Suisse, 1992 - Plan d’étude d’Infirmier/infirmière diplômé ES, Croix-Rouge Suisse, 2002 - Plans d’étude d’Infirmier/infirmière HES, dès l’intégration des filières ‘social’ et ‘santé’ dans la HES-SO en 2004 - Plan d’étude HES Bachelor HES-SO, dès 2006 - Programme commun en soins infirmiers, HEdS la Source et HECVsanté dès 2009. Des modifications assez similaires se sont également succédées dans les autres filières de formation, sages-femmes et physiothérapeutes par exemple, aussi bien en Romandie qu’au niveau national. La situation est différente en Suisse allemande du fait que les HES ont été créées de toutes pièces et ne représentant pas la transition/continuité des formations antérieures de niveau ES. Les HES santé alémaniques, créées plus tard qu’en Romandie, à partir de 2006, ont chacune construit leur propre Plan d’étude Bachelor et défini les compétences à atteindre à partir de documents de référence suisses et internationaux. C’est ainsi que la responsable de filière soins infirmiers de la HES santé zurichoise, Lilli Mühlherr (Studiengangleiterin, Institut für Pflege ZHAW Gesundheit) précise : "Wir verfügen nicht über einen solchen Rahmenlehrplan [wie bei der HES-SO]. Die Curricula wurden auf der Basis diverser Papiere entwickelt, z.B. Best Practice, Pflegedefinition Univ. Basel, EUVorgaben, FH-Gesetz, Vorgaben der ZHAW, mit den Ergotherapie und Physiotherapie gemeinsam entwickelte Abschlusskompetenzen in den studiengangübergreifenden Modulen und einer Keval (Konzeptevaluation, 2006). Die sagt aber vermutlich zu Ihrer Fragestellung 24 wenig aus und ist gegenwärtig auch nur noch am Rande relevant, da ja eben Entwicklungsarbeit geleistet wurde.“9 On notera que la mise en place de la filière sages-femmes à Winterthur (ZHAW) étant très récente, il a été décidé d’adopter immédiatement le référentiel de compétences issu du rapport Abschlusskompetenzen FH-Gesundheitsberufe de la KFH. A noter que les Ecoles de soins infirmier de niveau ES, qui jusqu’à récemment avaient construit leur plan de formation sur la base du Plan d’étude d’Infirmier/infirmière diplômé ES de la Croix-Rouge Suisse (2002), ont reçu en 2008 un nouveau cadre de référence : le plan d’études cadre d'infirmière diplômée ES / infirmier diplômé ES a été édicté le 4.9.2007 par l'OdASanté et la Conférence suisse des formations en soins infirmiers de niveau tertiaire (CSFI). 10 L’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT) a approuvé le plan d’études cadre d'infirmière dipl. / infirmier dipl. ES le 24.9.2007. Le plan d'études cadre est entré en vigueur le 1.1.2008. Ce plan d’étude cadre constitue la référence pour la formation de 90% env. des infirmiers et infirmières en Suisse allemande (où les HES ont pour mission de former 10-15% de soignants au niveau tertiaire A). En Suisse romande ce plan d’étude cadre ES n’a aucune application vu que la totalité des infirmiers et infirmières sont formés en HES. Parallèlement à notre étude, l’OFFT a mandaté en février 2008 la KFH, Conférence des recteurs des Hautes écoles spécialisées de Suisse, pour formaliser sur le plan national un référentiel des compétences professionnelles finales à atteindre par les formations HES. Ce travail, réalisé jusqu’en juin 2009, est également pris en considération11. On comparera notamment les PEC de la HES-SO et le référentiel de compétences KFH sous l’angle de l’accent mis ou non sur la formation à développer les compétences en santé des patients, des individus et de la population. Au chapitre 4a ci-après, on comparera les différents plans d’étude et référentiels de compétences sur ce qu’ils disent du développement des compétences en santé des patients et de la population. Documents d’enseignement des professeurs interrogés Certains professeurs interrogés ont mis à disposition divers supports d’enseignement qu’ils utilisent dans leurs cours, aussi bien au niveau Bachelor que dans les cours postgrade, afin d’aborder les sujets relatifs aux compétences en santé de la population et des patients. Ces documents assez disparates sont inclus dans l’analyse des interviews et ne font pas ici l’objet d’une étude systématique. Littérature de référence sur le thème d’étude, signalée par les professeurs interrogés La plupart des professeurs interrogés ont signalé les ouvrages de référence qui rejoignent leurs positions sur le sujet de l’étude. Il s’agit de sources très variées : des études scientifiques et professionnelles, des manuels d’enseignement dans leurs disciplines, des ouvrages philosophiques et de développement personnel, des exemples d’actions de terrain, des mémoires de fin d’études, etc. 9 Communication personnelle, 24 septembre 2009 Le PEC inf.dipl. ES est accessible sous : http://odasante.ch 11 KFH, Projekt Abschlusskompetenzen FH-Gesundheitsberufe – Abschlussbericht vom 25.6.2009 zu Handen des Bundesamtes für Bildung und Technologie 10 25 Ces sources et références sont particulièrement utiles pour identifier les terrains d’identification et d’appartenance des professeurs par rapport à la question traitée. On les citera à titre d’exemples dans l’analyse des résultats des interviews. g. Travaux de recherche et Mémoires de fin d’étude Le plan de recherche prévoyait de faire une revue systématique des travaux de recherche et mémoires de fin d’études des HES santé relatifs à la question du développement des compétences en santé de la population et des patients. Cette revue systématique a donné des résultats particulièrement maigres. Cela tient d’abord aux priorités de recherche et priorités de formation que les Ecoles des professions de santé poursuivent, qui concernent principalement le cœur de métier des professions de santé. L’approche des compétences en santé des patients y est presque toujours secondaire en regard de l’approche des compétences professionnels des soignants et thérapeutes. En revanche, faisant partie de l’approche des compétences professionnelles, l’analyse des besoins des patients, de leurs perceptions, attentes, ressources, possibilités de coopération, etc. fait toujours partie de ce qui est défini comme « projet de soins infirmier » ou « projet d’intervention en physiothérapie » ou « projet d’accompagnement et d’intervention sage-femme ». Il n’y a donc quasiment pas de travaux spécifiquement voués à l’approche des compétences en santé des patients et de la population. Travaux de recherche Il y a eu très peu de travaux de recherche sur le thème qui nous intéresse dans les HES santé. On peut néanmoins citer ici quelques travaux isolés : HECVsanté - Catherine Borel, Marie-Christine Follonier; Corinne Schaub : Soins aux personnes âgées démentes en institution : analyse de l’influence des représentations des soignants sur leurs pratiques du toucher (recherche en cours) - Veronika Schoeb, C. Pichonnaz : Elaboration d'objectifs physiothérapeutiques en partenariat avec le patient: quels effets sur la satisfaction et les résultats fonctionnels? (recherche terminée) - Veronika Schoeb : Analyse de l’interaction entre patient et physiothérapeute dans la prise en charge ambulatoire des problèmes musculo-squelettiques (recherche en cours, 2009-2010) - Veronika Schoeb : Communication in physiotherapy : Conversation analysis of patient-physiotherapist interaction (recherche en cours) - Barbara Rau (et E. Bürge, HEdS Genève) : Pertinence des interventions en physiothérapie pour la personne avec atteinte vasculo-cérébrale : le point de vue des usagers et des physiothérapeutes genevois (projet déposé) HEdS La Source - Marianne Chappuis et al : Point de vue de la personne âgée et de ses proches sur leur participation à la décision de sortie d’un centre gériatrique de réadaptation (recherche terminée) - Delphine Roulet Schwab et Mercedes Pône : Transfert de compétences et amélioration des pratiques avec les personnes âgées : quel rôle pour la recherche-action ? (recherche terminée) BFH-Gesundheit - Sabine Hahn, Kathrin Sommerhalder et al. : Bestandsaufnahme der Patienten- und Angehörigen Edukation: eine Studie zur Gestaltung, Inhalt, Häufigkeit und 26 - Evaluationsstand von Bildungsprogrammen in Spitäler der deutschsprachigen Schweiz (Recherche en cours, 2008-2009) Sabine Hahn, Kathrin Sommerhalder et al. : Erfassung und gezielte Förderung von Patienten mit geringer Gesundheitskompetenz im Akutspital (Recherche en cours, 2009-2010) ZHAW-Gesundheit - Peter Rüesch et al. : Information needs of patients with curable adenocarcinoma of the prostate and professionals’opinions: an internationale study (recherche en cours) - Lorenz Ihmof et al.: Ambulante pflegerische Nachbetreuung von Menschen mit Diabetes mellitus / Patientenedukation und Selbstpflegemanagement-Fähigkeiten der Patienten und Angehörigen (recherche en cours) - Romy Mahrer Imhof: Einbezug familialer Systeme in die Pflege von EpilepsiePatientInnen - Hansjörg Künzli: tuduu.net - ein Online Disease management für Patienten mit Diabetes Mémoires de fin d’étude Quelques mémoires de fin d’étude (MFE) peuvent être cités en annexe, mais il est très difficile d’en tirer des apports pour notre problématique. La plupart d’entre eux traitent d’éducation thérapeutique des patients, dans des types divers de maladie chronique, ou de prise en soins de personnes provenant d’horizons culturels différents de celui des soignants. Certains MFE abordent les aspects d’autosoins et de conduites de santé de la population dans diverses situations normales ou pathologiques et la façon dont les professionnels favorisent ces pratiques ou en tiennent compte lors de traitements. Il faut cependant reconnaître que les MFE des Ecoles de santé ont jusqu’ici surtout été l’occasion d’une exploration de terrain très limitée à partir de quelques concepts approfondis sur le plan théorique. La situation est en phase de changer complètement dans les HECVsanté et HEdS La Source, avec un accent mis beaucoup plus systématiquement sur la recherche et la lecture critique de littérature scientifique dans le champ des sciences infirmières / nursing sciences. Il n’y a par ailleurs quasiment pas de MFE groupés par thèmes. La situation à Berne est différente, dans la mesure où des professeurs ont dirigé de manière groupée des MFE sur des thématiques voisines. C’est notamment le cas avec notre sujet, en lien avec l’intérêt de quelques professeures. Ainsi, en juin 2009, des MFE ont été présentés sur les sujets ci-après : - Analyse des Konzepts Gesundheitskompetenz / Health Literacy Kolorektales Karzinom und Gesundheitskompetenz Patienten- und Angehörigenedukation von Erwachsenen mit Rheumatoider Arthritis Pflegerische Interventionen zur Unterstützung pflegender Angehörigen onkologischer Patienten Coaching: die Anwendung des Konzeptes in der Pflege Geringe Gesundheitskompetenz im Akutspital – eine Herausforderung für die Pflege Gesundheitsförderung durch Pflegende – Empowerment als Antwort auf das wie ? Hilfsmittel für die Kommunikation mit Fremdsprachigen Patienten Soit 8 MFE groupés sur ce sujet, sur un ensemble de 34 MFE de la formation Bachelor en soins infirmiers en 2009 (44 étudiants). 27 3. Compétences en santé : définitions de départ a. OFSP et littérature de santé publique : D. Nutbeam et I. Kickbusch Pour cette recherche exploratoire, on est parti du concept de compétence(s) en santé tel qu’il est adopté par l’OFSP, et qui se réfère essentiellement aux développements théoriques et pratiques conduits par Dan Nutbeam et Ilona Kickbusch depuis la fin des années 1990. Rappelons ici l’hypothèse avancée par l’OFSP, à savoir que la définition et la conception que défend l’OFSP en s’appuyant sur les références de Nutbeam et Kickbusch tendraient progressivement à se répandre dans l’ensemble de la Suisse en tant que dénominateur commun, et que qu’il y aurait tout au plus un décalage entre les conceptions retenues en Suisse romande et en Suisse alémanique. Par « culture sanitaire/compétences en santé12 » (« health literacy »), selon Ilona Kickbusch (2004)13, on entend la capacité de prendre, dans la vie quotidienne, des décisions qui influent positivement sur la santé. Cette notion touche cinq domaines principaux: a) la santé personnelle: la gestion de la santé au niveau individuel. Connaissance et mise en pratique d’un mode de vie sain, et capacité à prendre soin de ses proches; b) la connaissance du système de santé: compréhension du système et capacité de collaborer en connaissance de cause avec les spécialistes de la santé; c) le comportement en tant que consommateur: capacité de tenir compte d’éléments sanitaires dans le choix des produits et des prestations proposés; d) le monde professionnel: prise de mesures pour éviter les accidents et les maladies professionnelles, pour créer des conditions de travail favorisant la santé et la sécurité ainsi que pour bien concilier travail et vie privée. e) la politique de la santé: action politique en faveur de la santé (engagement en faveur des droits en matière de santé, prises d e position par rapport aux questions sanitaires, participation à des organisations de patients ou autres organismes actifs dans le domaine de la santé). Pour Dan Nutbeam (2000)14, la culture sanitaire comprend trois niveaux de compétence: − compétences fonctionnelles, à savoir des connaissances suffisantes en lecture et en écriture; − compétences communicationnelles et interactives, c’est-à-dire les aptitudes cognitives et sociales permettant de participer activement à la vie de tous les jours, de recueillir des informations et de les interpréter en interaction avec d’autres acteurs, ainsi que de les appliquer dans un contexte différent; 12 On ne gardera pas ici le terme de « culture sanitaire » en français même si c’est le terme officiellement retenu par certaines institutions (l’OFSP, par analogie avec l’OMS), car il induit en erreur. Le terme de compétences en santé est beaucoup mieux compréhensible du point de vue scientifique comme du point de vue opérationnel, et cela par de très larges mileux. Il est par ailleurs bien apparenté avec le terme allemand de Gesundheitskompetenz. 13 Ilona Kickbusch 2004: Improving Health Literacy – A key priority for enabling good health in Europe. European Health Forum Gastein 2004 – Special Interest Session Ilona Kickbusch 2001 : Health Literacy : adressing the health and education divide, Health Promotion International, vol 16, Nr 3, 289-297, 2001 14 Dan Nutbeam 2000: Health literacy as a public health goal: a challenge for contemporary health education and communication strategies into the 21st century. Health Promotion International, 15 (3), 259-267, 2000. 28 − compétences critiques, autrement dit des aptitudes cognitives et sociales poussées servant à l’analyse critique d’informations, afin de mieux maîtriser certaines situations de la vie. Ces définitions inspirent directement les travaux et discours de l’OFSP déjà cités, notamment les documents de stratégie de 2007 et 2008 ainsi que le discours du Directeur Th. Zeltner lors de la Journée de travail de politique nationale de la santé en novembre 2008. Définition des compétences en santé, selon le document OFSP de novembre 2007 (trad. PhL) : « Nous entendons par compétences en santé la compétence des individus de prendre, dans la vie quotidienne, des décisions relatives à la santé et à se comporter en conséquence. (…) « … les compétences en santé / Health Literacy sont à distinguer selon trois niveaux: fonctionnel, interactif et critique. Dans tous les efforts visant à créer des conditions cadre pour les compétences en santé et leur développement, il importe de prendre en considération ces trois niveaux des compétences des citoyennes et citoyens. Une amélioration continuelle des compétences individuelles en santé ne peut être atteinte que par une communication appropriée à chacun de ces niveaux. « Dans le discours actuel de politique de santé, on évoque souvent la nécessité d’une „responsabilitsation“ des individus. Assumer une responsabilité est cependant lié à certaines conditions cadre. Il s’agit entre autres de l’accès à des informations fiables et compréhensibles. En outre il faut mettre à disposition des individus des aides à l’orientation afin que non seulement ils comprennent les informations, mais aussi qu’ils puissent les appliquer dans des contextes de vie spécifiques et s’y référer pour prendre des décisions qui soient favorables à leur santé. En renforçant les compétences en santé, on peut ainsi influencer de manière positive aussi bien le comportement de santé individuel que la responsabilité collective pour la santé. (…) « Les compétences en santé sont un sujet qui est à la charnière entre le champ de la santé et le champ de l’éducation/ formation. Les consommatrices et consommateurs, les patientes et patients ont un rôle nouveau dans la société et il doivent s’y préparer par eux-mêmes. Pour cette raison, il sera toujours plus nécessaire que la santé collabore de manière accrue avec le secteur de la formation. » Ces mêmes définitions ont également constitué la toile de fond de la Swiss Public Health Conference des 28 et 29 août 2009, qui a été conçue en coopération avec l’OFSP et à laquelle ont participé notamment I. Kickbusch et D. Nutbeam. b. Programmes nationaux et internationaux de santé publique Les efforts de la politique nationale de santé en Suisse dans ce domaine rejoignent de manière explicite les politiques de santé explicites, et souvent bien plus avancées et largement communiquées, de plusieurs autres pays. C’est notamment le cas de l’Australie, en particulier de l’Etat de South Australia où Ilona Kickbusch a récemment travaillé comme Thinker in Residence pour une stratégie inspirée du modèle Health in all policies : « Addressing 21st Century Health Challenges »15. On retrouve également cette même orientation en Allemagne : le groupe de travail „Gesundheitliche Kompetenz erhöhen, Patient(inn)ensouveränität stärken“ du projet „Gesundheitsziele.de“ a développé depuis 2003 cette même orientation avec l’appui du Ministère fédéral de la santé à la suite des recommandations du Sachverständigungsrat für die 15 Voir : Ilona Kickbusch : Healthy Societies: Addressing 21st Century Health Challenges; State of South Australia, May 2008; en particulier le chapitre Health Literacy: addressing the double inequity, pp. 44-47. 29 konzertierte Aktion im Gesundheitswesen de 2001, 2002 et 2003. On s’interroge actuellement comment mesurer les résultats de ces efforts16. Il faut relever que les travaux allemands ne se réfèrent pas explicitement aux définitions de Kickbusch et Nutbeam, mais évoquent quatre domaines précis où des améliorations sont attendues : - améliorer la transparence et l’information sur les produits et les prestations de santé et sur les structures du système - développer et augmenter les compétences individuelles (selbsbewusste und selbstbestimmte Handlungsweisen von BürgerInnen und PatientInnem, Selbsthilfemöglichkeiten, kommunikative Kompetenzen von Institutionen) - renforcer les droits des patients (kollektive Beteiligung von BürgerInnen und PatientInnen in Beratungs- und Entscheidungsgremien ; individuelle und kollektive PatientInnenrechte) - améliorer la gestion des plaintes. Ces éléments sont à rapprocher de la mise en place d’instance de participation des patients et du soutien donné aux organisations d’entraide (Selbsthilfegruppen, NAKOS17) par le Ministère de la santé allemand depuis plusieurs années.18 En revanche, le terme de Gesundheitskompetenz est relativement peu utilisé par le Ministère de la santé allemand, à part dans sa stratégie de promotion de la santé et prévention des enfants et des jeunes (Strategie der Bundesregierung zur Förderung der Kindergesundheit, 2008, avec les termes clef : Stärkung der Elternkompetenz, Erziehungskompetenz, allegemeine Lebenskompetenz, Stärkung von gesundheitsrelevanten Ressourcen und Kompetenzen, Stärkung individueller Gesundheitskompetenz) et dans des mesures de sensibilisation pour lutter contre l’abus de médicaments. En France, la politique de santé ministérielle a mis l’accent depuis 2002 (Loi Kouchner) sur le respect des droits des usagers du système de santé et la démocratie sanitaire. On vise en particulier à diminuer « l’asymétrie d’information qui pèse défavorablement sur les usagers face aux financeurs ou à ceux qui ont la charge de produire des soins » et à garantir l’effectivité de ces droits19. On n’utilise pas dans ce concept le terme de « compétences en santé » ; on leur préfère les droits, notamment la lisibilité et la visibilité des droits, la promotion et le respect des droits, la dignité, l’information, l’accès au dossier médical, la nondiscrimination, la participation et la représentation des usagers et la démocratie sanitaire. On rencontre par ailleurs la notion de compétences en santé, mais pas le vocable lui-même, dans deux champs d’intervention spécifiques très présents en France depuis une quinzaine d’années : - la promotion de la santé et - l’éducation thérapeutique des patients. On retiendra à ce sujet deux expressions : les Compétences psychosociales, définies comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la 16 Voir : K. Horch, G. Hölling et al. : Ansätze zur Evaluation des Gesundheitsziels „Gesundheitliche Kompetenz erhöhen, Patient(inn)ensouveränität stärken“ Bundesgesundheitsblatt Online, Sept. 2009. 17 Nationale Kontakt- und Informationsstelle zur Anregung und Unterstützung von Selbsthilfegruppen 18 Voir http://www.patientenbeauftragte.de/; le poste de Patientenbeauftragte a été créé en 2004. 19 Voir le Rapport de la Conférence nationale de santé sur le respect des droits des usagers de juin 2009, qui a fait l’objet d’une publication officielle en août 2009 dans la collection éditoriale «Droits et accueil des usagers». http://www.sante-sports.gouv.fr/dossiers/sante/conference-nationale-santec.n.s./conferencenationale-sante-c.n.s.-sommaire.html 30 vie quotidienne »20, et l’Éducation du patient, définie comme « un processus par étapes, intégré dans la démarche de soins, comprenant un ensemble d’activités d’apprentissage et d’aide psychologique et sociale, concernant la maladie, les traitements, les soins, l’organisation et procédures hospitalières, les comportements de santé et ceux liés à la maladie, et destinées à aider le patient (et sa famille) à comprendre la maladie et les traitements, collaborer aux soins, prendre en charge son état de santé, et favoriser un retour aux activités normales »21. On peut citer à ce sujet le manuel de référence en français sur cette question22, qui disait en 1995 que « la notion de compétences d’un patient est relativement nouvelle ». « On passé pourtant du stade du malade qui reçoit et accepte sans le discuter le traitement qui lui est prescrit au stade du consentement éclairé, puis au stade ultime du patient qui participe activement à son traitement ». On relèvera enfin que le Livre blanc de la Communauté européenne « Ensemble pour la santé: une approche stratégique pour l’UE 2008-2013 »23 ne traite pas du développement des compétences en santé de la population ou des patients. c. Paradigme infirmier du « caring » et le patient acteur La littérature de référence de la profession infirmière a traité de la notion des compétences en santé des patients et des individus depuis plus d’un siècle, avec des conceptions qui ont marqué le paradigme des soins infirmiers jusqu’ici. On s’attardera en particulier aux séquences fondatrices, de 1860 à 1980, donc bien avant que le terme des « compétences en santé » soit mis en avant par les spécialistes en santé publique. C’est ainsi que Florence Nightingale, vers 1860 déjà, affirmait (citée et résumée par MarieFrançoise Collière en 198224) : « Soigner, c’est mobiliser chez quelqu’un tout ce qui vit en lui, tout ce qui est porteur de vie, toute sa vitalité, sa ‘vital power’, c'est-à-dire toute sa puissance de vie, mais aussi toute la vie qu’il a en puissance et qui demande à se développer, comme pour l’enfant, ou toute la vie qui demeure encore en puissance y compris jusqu’au seuil de la mort, non pour la prolonger à tout prix mais pour chercher à quoi la personne accorde encore du prix. » M.-F. Collière résume ainsi : « Mettre en œuvre l’action soignante, c’est donc, à partir de l’analyse de tout ce qui existe comme capacité de vie et de celles qui sont à compenser, 20 Pierre Arwidson. Le développement des compétences psychosociales. In : Brigitte Sandrin-Berthon. Apprendre la santé à l’école. Paris : ESF, 1997 ; cité par le Thesaurus en Education pour la santé, Editions INPES, 2005 21 Alain Deccache et Éric Laverdhomme. Information et éducation du patient. Bruxelles : De Boeck Université, 1989 Voir aussi le rapport du Ministère de la santé « Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique du patient » de septembre 2008. 22 ème J.-F. d’Ivernois et R. Gagnayre. Apprendre à éduquer le patient, Maloine, Paris, 2008 (3 édition) p. 26; cité par plusieurs professeurs interrogés 23 Commission des communautés européennes: Livre blanc – Ensemble pour la santé: une approche stratégique pour l’UE 2008-2013, COM(2007) 630 final 24 Marie-Françoise Collière, Promouvoir la vie – De la pratique des femmes soignantes aux soins infirmiers, 1982, InterEditions (Marie-France Collière a condensé en 1982 le développement du savoir en soins infirmier élaboré aussi bien par l’histoire séculaire de la profession soignante que par les travaux scientifiques occidentaux des XIX et XXème s. Cette référence a été souvent citée par les professeurs interrogés). Citation de la page 315. 31 mobiliser tout ce que la personne peut faire par elle-même ou avec une aide, et ceci par rapport au stade de sa vie ainsi qu’à ce qui y fait obstacle ou qui l’entrave. La construction du projet de soins se fait autour de cette mobilisation des forces de vie et du type d’aide à mettre en œuvre pour l’assurer. » On retiendra de cette approche la notion de puissance et de capacité de vie qui est présente chez chacun, y compris de manière très affaiblie par la maladie, et qui est le point de départ d’un processus d’amélioration et/ou recouvrement de la santé. La « compétence en santé » de la personne n’est pas isolée de manière explicite, en soulignant son aspect d’intelligence et de décision, mais est inclue dans un certain « vitalisme » qui s’inscrit en opposition à la perception d’une personne malade, faible, diminuée, incapable par elle-même de venir à son propre secours. Collière renforce cette position quelques pages plus loin, en synthétisant l’ensemble de la pensée soignante, de Nightingale aux années 1980, et se distançant ainsi définitivement du rôle de l’infirmière comme l’auxiliaire du médecin : « Le pouvoir des soins infirmiers est libérateur à chaque fois que, s’appuyant sur les forces en présence, il libère d’autres possibilités ou permet aux capacités existantes de se développer ou tout simplement d’être utilisées. (…) « Le pouvoir véhiculé par les soins infirmiers est libérateur à chaque fois : - qu’il permet aux usagers des soins d’utiliser le pouvoir qui leur reste, de mobiliser tout ce dont ils sont encore capables, y compris leur désir, et de voir avec eux ce qui en permet et/ou en limite la réalisation ; - qu’il rend ou accroît un pouvoir d’être, d’autonomie : en gagnant en capacité à assurer la réponse à ses propres besoins, en apprenant à compenser les déficits fonctionnels, en développant des facultés physiques, affectives, psychiques qui diminuent la nécessité d’aide ; - qu’il reconnaît le savoir des personnes soignées, qu’il utilise ce savoir et leur permet de l’accroître ; - qu’il permet aux usagers des soins d’avoir eux-mêmes un pouvoir thérapeutique pour les autres … »25 Cette position « vitaliste » rejoint d’une part les thèses de l’OMS au troisième quart du XXème siècle illustrées par la Conférence d’Alma Ata sur les Soins de santé primaire (1978)26, mais rejoint aussi les réflexions philosophiques et sociopolitiques de penseurs tels que Ivan Illich27, François Jacob28, Henri Laborit29, qui tous soulignent les compétences de l’individu face aux systèmes institutionnalisés. Une autre synthèse des modèles de pensée dans le domaine des soins infirmiers, proche aussi bien de Nightingale que de Collière et des modèles universitaires de nursing science aux USA, a été introduite en Europe en 1978 par Rosette Poletti dans sa vue d’ensemble des théories et concepts en soins infirmiers, qui fait date pour les formations dans ce domaine en Suisse et en Europe30. 25 Marie-Françoise Colière, ibid, citation de la page 323. Souligné par l’auteur. Voir à ce sujet une lecture « suisse » d’Alma Ata, transposant les soins de santé primaire dans le contexte de notre pays : Jean Martin « Le Patient actif, une évolution nécessaire » Chronique OMS, 32, 1978, 55-61 (à propos de la Conférence d’Alma Ata). 27 Ivan Illich « Nemesis médicale » 1975 28 François Jacob « La logique du vivant » 1970 29 H. Laborit « La nouvelle grille » 1974 30 Rosette Poletti « Les soins infirmiers, théories et concepts » Ed. le Centurion, 1978 26 32 Une autre référence professionnelle incontournable de la formation aux soins infirmiers, le manuel québécois de Kozier et Erb31, n’utilise certes jamais le terme de « compétences en santé » des patients ou des individus, mais il l’évoque de diverses manières en relation avec d’autres concepts : après avoir défini le diagnostic infirmier (détermination des facteurs de risque, besoins et problèmes et détermination des forces et ressources de la personne soignée, p. 375 ff.), il présente le plan de soins infirmiers (p. 403 ff.) qui doit tenir compte [une fois dépassés les besoins de soins en urgence pour maintenir les fonctions vitales] - des valeurs et croyances de la personne soignée au sujet de la santé [notamment ses fausses croyances et les obstacles culturels], - des priorités de la personne soignée, - des ressources de l’infirmière et de la personne soignée, - et du traitement médical. La notion de «caring» est aussi centrale pour la profession. Kozier et Erb la définissent comme incluant « la compassion, le réconfort, la communication thérapeutique, la relation d’aide, le soutien, les interventions physiques » ; elle « favorise la réalisation de soi et la croissance personnelle, préserve la dignité et le sens de la valeur personnelle, stimule l’autoguérison et diminue le stress » (p. 561 ff.). Enfin, Kozier et Erb soulignent le rôle d’enseignante et éducatrice : « les soins infirmiers aident la personne à apprendre comment accroître le répertoire de ses ressources personnelles pour assumer ses responsabilités en matière de santé et acquérir des habitudes d’autosoins » (p. 593 ff.). L’approche de Kozier et Erb, à l’opposé de celle de Collière, est très proche du modèle de soins infirmiers fondé sur les besoins des patients défini par Virginia Henderson : « Principes fondamentaux des soins infirmiers », modèle repris ensuite en 1958 par le Conseil international des infirmières. Il faudrait encore citer le modèle des soins de santé et soins infirmiers centrés sur le patient (patient centredness)32, qui est décliné depuis une quarantaine d’années dans tous les domaines de la médecine et des professions soignantes et thérapeutiques. Cette approche examine principalement les attentes et les objectifs définis par les patients, les ressources qu’ils peuvent mettre en œuvre au présent et au futur pour recouvrer la santé, et l’interprétation qu’ils en donnent. Cette démarche fonde un partenariat dans les relations de soins et de traitement, dans lequel la compétence et la décision des patients tient une place importante. 31 Barbara Kozier, Glenora Erb et al. Soins infirmiers – Théorie et pratique, Ed. ERPI, Québec, 2005 ; Manuel obligatoire pour les étudiants en soins infirmiers de nombreuses écoles dont la HECVsanté ; cité par plusieurs professeurs interrogés. 32 Faye Abdellah. Patient-Centred approaches to Nursing, 1961 33 d. Paradigmes similaires dans les autres professions de santé La relation médecin-patient L’un des documents suisses les plus pertinents définissant de manière programmatique le rôle futur de la médecine et sa relation avec les personnes malades est le rapport du groupe d’experts de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM), de la Fédération des médecins suisses (FMH) et des cinq Facultés de médecine «Buts et missions de la médecine au début du 21e siècle »33, publié en 2004. Au sujet de la relation médecin-patient, définie comme basée sur l’échange et la confiance réciproque, on en citera les paragraphes suivants (page 25) : « Le dialogue et la relation entre les professionnels de la médecine et les patients sont fondés sur le respect de la personnalité et de la dignité de l’autre, sur la responsabilité personnelle et la responsabilité partagée, ainsi que sur la compétence spécifique. Etant donné que les intervenants et les patients ne connaissent pas la même situation de départ, ce dialogue est asymétrique et présuppose impérativement un échange et une confiance mutuelle. L’initiative d’instaurer ce rapport de confiance et la responsabilité de le préserver incombent en premier lieu aux acteurs de la prise en charge. (…) « L’instauration de ce partenariat implique, du côté des acteurs de la prise en charge, le souci de satisfaire aux conditions suivantes: - disponibilité (temps et engagement) pour s’informer suffisamment sur le patient et ses conditions de vie (écoute!); - capacité de se mettre à la place du patient et de prendre au sérieux ses réticences ; - disponibilité (temps et engagement) pour informer suffisamment le patient sur sa maladie, sur le diagnostic et sur le traitement, ainsi que sur les possibilités de choix; - respect des décisions prises par le patient, même dans les cas où l’intervenant n’aurait pas pris les mêmes décisions s’il s’était agi de lui-même; - confiance dans les capacités du patient mentionnées précédemment, avec comme corollaire l’acceptation d’une éventuelle carence dans ces mêmes capacités; - disposition à vivre un tel dialogue comme un plus. « Du côté du patient, les préalables souhaitables, qui sont aussi fonction de ses possibilités personnelles, sont les suivants: - établissement et maintien d’un lien de confiance avec le médecin/le professionnel; - intérêt pour sa maladie et compréhension (éventuellement connaissance) de celle-ci; - connaissance de ses propres besoins, de sa volonté d’en savoir plus, de ses objectifs et de ses limites; - capacité et volonté d’assumer une responsabilité personnelle; - capacité d’examiner la justesse des décisions prises dans le cours de la maladie et d’intégrer au dialogue le résultat de cet examen; - disposition à supporter les conséquences des décisions prises et, finalement, à vivre en étant conscient que ces décisions résultent d’un choix, donc de l’exclusion d’autres solutions. 33 Buts et missions de la médecine au début du 21e siècle, par l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM), la Fédération des médecins suisses (FMH) et les cinq Facultés de médecine, ASSM, 2004 34 « Si ces préalables sont satisfaits, on peut parler d’«empowerment» (émancipation, responsabilisation) du patient. ». Au sujet de cette dernière notion d’empowerment, le rapport ajoute une précision intéressante en note de bas de page, en signalant les trois filières historiques par lesquelles cette notion s’est développée depuis les années 1970 (mais sans mentionner la filière de la santé publique, illustrée par excellence par la Charte d’Ottawa) : « L’«empowerment», qui est devenue une notion-clé mais difficilement traduisible, est une des composantes de la relation médecin-patient. Cette notion puise ses racines dans trois mouvements de fond: l’un est issu de la lutte contre les institutions, notamment médicales (Illich), l’autre était porté par le scepticisme (Cochrane) et le troisième dénonçait une bureaucratisation de la médecine. On relèvera encore cette remarque, qui fait la distinction entre « pouvoir » et « capacité/compétence » : « La médecine ne peut avoir pour objectif, contrairement à ce que la notion d’«empowerment» peut suggérer, de doter le patient d’un «pouvoir». En revanche, le médecin a besoin, pour pouvoir de manière optimale mettre ses connaissances spécifiques au service du patient, que ce dernier soit un partenaire responsable. Dans le meilleur des cas, il parvient, par son attitude vis-à-vis du patient, à aider quelque peu celui-ci à améliorer sa capacité – peut-être sous-utilisée – de participer aux décisions et d’assumer une responsabilité personnelle. Le rapport ajoute que ces exigences « s’appliquent mutatis mutandis et dans une mesure variable à toutes les professions médicales et paramédicales impliquant un échange direct avec les patients ». Sur ce même sujet, on citera également la Charte du professionnalisme médical34 , qui est reconnue par les instances participant au rapport nommé ci-dessus comme la « doxa » de la profession : « 2. Principe de l'autonomie des patients « Les médecins doivent respecter l'autonomie des patients. Ils doivent être honnêtes avec ceux-ci et les habiliter à prendre des décisions avisées sur leur traitement. Les décisions des patients sur leurs soins doivent être d'une suprême importance, sous réserve qu'elles soient conformes à la déontologie et qu'elles ne donnent pas lieu à des demandes de soins inadaptés. » 34 Traduction française de la «Physician’s Charter», parue dans le Bulletin des médecins suisse 2003; 84 (No 45): 2350 –2352. Sous le titre «Medical Professionalism in the New Millennium – a Physician Charter», cette charte a été élaborée par trois organisations de médecins internistes : la Fédération européenne de médecine interne, l’American College of Physicians et l’American Board of Internal Medicine. La Société suisse de médecine interne (SSMI), en tant que membre de la première nommée a coopéré à cette rédaction. Cette charte a été saluée partout dans le monde et vise à compléter, à l’échelle internationale, les documents historiques tels que le Serment d’Hippocrate par un texte qui tienne compte des défis que doit relever le corps médical d’aujourd’hui (Commentaires de W. Bauer, président de la SSMI en 2003). 35 Physiothérapie Le Profil professionnel des physiothérapeutes suisses, publié sur le site internet de l’Association suisse des physiothérapeutes35 indique les aspects essentiels du travail du physiothérapeute, en précisant d’emblée : « Le physiothérapeute travaille avec des êtres humains et sur des êtres humains. Il agit sur leur corps, assouplit des articulations raides, masse et détend des muscles crispés, fait exercer une meilleure posture, entraîne des muscles faibles, décongestionne des bras enflés et libère des ‘nerfs coincés’ ». Dans sa relation avec les patients, « Le physiothérapeute enseigne, donne des conseils et des informations à ses patients et clients. Il explique (…) comment (…), pourquoi (…). Il montre comment soulever de lourdes charges sans se faire mal au dos et comment marcher correctement avec des béquilles. Il donne des conseils sur le choix d’un sport après une opération du genou ou après une crise cardiaque. » La participation des patients est néanmoins décisive, s’agissant du processus de traitement : « Un diagnostic physiothérapeutique est établi en fonction des résultats de l’examen. Le physiothérapeute fixe les objectifs du traitement conjointement avec le patient (et éventuellement avec les proches ou d’autres soignants), puis il planifie le traitement. » Sages-femmes La Fédération suisse des sages-femmes fait référence au Code international de déontologie des sages-femmes, établi par la Confédération internationale des sages femmes en 1993 et adopté par la Fédération suisse en 199436. Ce code guide l’éducation, la pratique et la recherche des sages-femmes. Il établit en particulier que : « Les sages-femmes respectent le droit de la femme à choisir en connaissance de cause et l'encouragent à assumer la responsabilité de ses choix. » « Les sages-femmes travaillent avec les femmes, soutiennent leur droit de participer activement aux décisions concernant leur prise en charge. Elles leur donnent la possibilité de s'exprimer sur les questions touchant à la santé des femmes et de leurs familles en lien avec leur culture ou leur société. » « Les sages-femmes encouragent des attitudes réalistes face à la naissance tenant compte de l'appartenance sociale des femmes et partant du principe minimal qu'aucune femme ne devrait être mise en danger par la conception ou l'accouchement. » « Les sages-femmes font prévaloir un développement professionnel basé sur des activités qui garantissent les droits individuels des femmes. » Le terme de « compétence » ou de « capacité » des femmes n’apparait pas explicitement dans ce code, lequel met bien plus l’accent sur le « droit » des femmes à choisir et à décider « en connaissance de cause » et à assumer leur responsabilité. 35 www.physioswiss.ch Profil professionnel, Brochure élaborée par le groupe de travail profil professionnel de l'Association Suisse de Physiothérapie (sans date). 36 Code international de déontologie des sages-femmes, publié sur www.sage-femme.ch 36 Les points communs de ces paradigmes Ces références aux paradigmes professionnels révèlent une diversité qui correspond aux profils de compétences et de rôles de chaque profession, mais font aussi référence à un fonds commun : - le respect du patient, de sa dignité, ses droits, ses besoins, ses possibilités, sa culture, ses valeurs et croyances, et ses attentes, - la mobilisation des forces vives et des capacités du patient pour participer à un processus de traitement ou pour maintenir sa santé, et dans les deux cas pour maintenir son autonomie ; en faisant appel à la participation ou au partenariat des patients, on souligne alors leur part de responsabilité dans les processus professionnels et personnels de soins, - la nécessité d’une information circonstanciée sur les troubles, les possibilités de traitement, les moyens de recouvrer la santé ; selon les cas, la nécessité de conseils et d’une éducation thérapeutique, - la protection des patients contre les interventions envahissantes de la bureaucratie ou de la technologie, - en résumé, la conception d’un traitement ou de soins s’adressant à la personne dans sa globalité, somatique, psychique, culturelle, spirituelle et sociale - en revanche, les références citées retiennent dans leur quasi-totalité exclusivement une approche centrée sur l’individu et ne pensent que très rarement – à l’exception du code des sages-femmes – à une approche sociétale, politique et collective des facteurs déterminants de la santé. On remarquera par ailleurs qu’un grand nombre des références théoriques des paradigmes évoqués renvoient à de la littérature des années 1960 et 1970, soit bien avant que la notion actuelle de « compétences en santé » ait été popularisée par les spécialistes en santé publique. 37 4. Résultats On présentera les résultats en deux étapes : d’abord ce que recommandent les plans d’étude, les cadres de référence concernant les compétences à atteindre et la construction des modules, y compris les offres proposées par les cours postgrade, et ensuite ce que les professeurs interrogés rapportent effectivement de leur pratique dans l’enseignement initial de niveau bachelor et dans les enseignements postgrade où ils sont actifs. a. Compétences en santé, partie intégrante des Plans d’étude cadre des professions HES Plans d’étude cadre HES-SO Les HES santé, depuis leur création au début des années 2000, se réfèrent, pour définir le niveau à atteindre par la formation initiale Bachelor, à des documents propres construits à partir de standards nationaux (notamment la loi sur les HES) et internationaux (notamment pour assurer la compatibilité avec l’Union européenne). Ces documents ne sont pas encore unifiés au niveau national dans les filières de la santé, mais cela devrait être prochainement le cas. Chacune des 7 HES a ainsi développé plus ou moins formellement des Plans d’étude cadre pour les filières qui y sont enseignées. La HES-SO (Haute Ecole Spécialisée de la Suisse Occidentale) a ainsi formalisé en 2007 des plans d’étude cadre pour les 6 professions de santé qui sont enseignées dans les six sites santé de Genève (HEdS), Lausanne (HECVsanté et HEdS La Source), Valais (HES-SO-Valais), Fribourg (HEdS FR) et BeJuNe (HES-ARC). Formation donnée à : - Soins infirmiers HEdS-GE, HECVsanté, HEdS La Source, HES-ARC, HEdS-FR, HES-SO-VS Sages-femmes HEdS-GE, HECVsanté Physiothérapie HEdS-GE, HECVsanté, HES-SO-VS Techniciens en radiologie médicale HEdS-GE, HECVsanté Ergothérapeutes HEdS-GE, EESP-VD Diététiciennes HEdS-GE Ces plans d’étude pour le niveau Bachelor sont construits sur une approche par compétences génériques et principes pédagogiques. Ils se différencient des plans d’étude précédents qui recouvraient des matières à enseigner et des habiletés professionnelles, ce que fait toujours le du plan d’étude cadre des ES édicté par l’OFFT. On le voit à travers les citations d’extraits significatifs qui suivent, les Plans d’étude cadre HES-SO font une large part au développement des compétences en santé des patients et des individus/de la société en général, même si le terme spécifique « compétences en santé » n’est jamais utilisé : 38 Plan d’étude cadre HES-SO Soins infirmiers : compétences génériques et principes pédagogiques (2007, Extraits, souligné par l’auteur) : - Concevoir une offre en soins en partenariat avec la clientèle, inscrite dans une démarche de soins Appréhender la complexité de l’intégration de l’histoire et du contexte de vie de la clientèle dans l’analyse de la situation et la détermination du projet de soins Maîtriser des stratégies d’interventions différenciées et créatives (éducatives, de promotion de la santé,…) dans la gestion des situations rencontrées Conduire une relation professionnelle appropriée à chaque situation de soins Intégrer dans chaque situation relationnelle les caractéristiques propres à la clientèle concernée (âge, état de santé, situation sociale, culture, etc.) S’impliquer personnellement dans le respect de l’altérité du client Accompagner le client dans la construction du sens de l’expérience vécue Promouvoir la santé et accompagner la clientèle dans son processus de gestion de la santé Accompagner la clientèle dans la clarification de ses demandes et dans la recherche et le choix de solutions Orienter et motiver la clientèle dans ses démarches et son utilisation du système de santé Le but de la pratique infirmière consiste à rendre la personne (famille, groupes, collectivités) apte à prendre en charge sa santé selon ses capacités et les ressources que lui offre son environnement. L’offre en soins infirmiers s’élabore dans un partenariat avec un/e client/e, une clientèle, une équipe de travail pluriprofessionnelle, dans un système de soins et de santé en réseau Plan d’étude cadre HES-SO Physiothérapie : compétences génériques et principes pédagogiques (2007, Extraits) : - - - Identifier les besoins et attentes des usagers en matière de santé et de capacité fonctionnelle En prenant en considération la personne, sa culture, son projet, ses choix et son environnement En tenant compte des ressources et des besoins perçus par l’usager En garantissant les conditions pour le choix éclairé des usagers Définir les objectifs, stratégies et moyens de prévention, de maintien, restauration ou amélioration des capacités fonctionnelles en définissant avec les usagers les objectifs en lien avec leurs besoins et attentes fonctionnelles ; en établissant le plan d’intervention en lien avec les besoins et attentes des usagers Mettre en œuvre les prestations de prévention, de maintien, de restauration ou d’amélioration des capacités fonctionnelles en favorisant le partenariat et l’autonomie des usagers ; en incluant les principes d’éducation… ; en utilisant les méthodes d’enseignement et de communication appropriées Contribuer au développement et à la promotion de la santé dans le système sociosanitaire en communiquant les informations utiles au public Plan d’étude cadre HES-SO Sages-femmes : compétences génériques et principes pédagogiques (2007, Extraits) : - - Décider des actions propices au soutien, au maintien et/ou à la restauration du processus physiologique de la maternité, durant la grossesse, la naissance et le postpartum, en respectant les demandes, les besoins, les ressources et les limites de la femme, de sa famille et de l'environnement Ajuster ses prestations dans une démarche éthique, en offrant aux différents partenaires une information permettant un choix éclairé ; en coordonnant son action avec la femme, le couple et l'équipe de santé ; en accompagnant la femme, le couple et leur famille dans leurs décisions ; en soutenant les droits de la femme, de l'enfant, de la famille 39 - - Accompagner la femme, le couple et leur famille dans le vécu de l'événement en cours quel que soit le contexte, en instaurant et maintenant une relation de confiance ; en faisant émerger les ressources individuelles et socioculturelles de chacun ; S'engager pour la promotion et la prévention de la santé des femmes et des familles,, en développant un enseignement accessible et adapté à chaque femme et à sa famille ; en concevant des stratégies pédagogiques spécifiques et variées. Les plans d’étude cadre de ces trois professions (on ne citera pas ici ceux des professions de diététicienne, ergothérapeute et technicien en radiologie médicale, mais la tendance est assez similaire) mettent particulièrement l’accent sur - la prise en compte des situations, des ressources, des attentes, et des conditions socioculturelles des usagers/patients - le partenariat dans les relations de soins et traitement, l’information appropriée et la décision éclairée et partagée - la promotion de la santé individuelle par les patients/usagers - et, mais moins clairement, la capacité à s’orienter dans le système de santé. En revanche, le développement de la « health literacy », capacité d’obtenir et de comprendre les informations relatives à la santé et la maladie, n’est pas explicitement mentionnée en tant que composante des compétences professionnelles de ces professions de santé. HES de Zurich (ZHAW-Gesundheit) : Comme on l’a vu plus haut au chapitre 2 lettre f au sujet des plans d’étude comme source de la présente recherche, la ZHAW à Winterthur ne possède pas d’équivalent du plan d’étude cadre Bachelor de la HES-SO. Elle se réfère à différents textes suisses et étrangers et prévoit d’adopter prochainement le référentiel de compétences qui sera défini à partir du rapport de la KFH pour l’OFFT (voir ci-après). Il en est de même à la HES bernoise (BFH-Gesundheit) Rapport de la KFH sur les compétences finales des professions de santé HES Le rapport réalisé en 2008-2009 par un groupe de projet de la KFH (Conférence des recteurs des Hautes Ecoles Spécialisées suisses) sur mandat de l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT), en coopération avec les cantons (Conférence des directeurs cantonaux de la santé, CDS), l’organisation du monde du travail dans le secteur de la santé (ODAsanté), les institutions de formation et les organisations professionnelles37, établit une systématique des compétences requises des professionnels de santé issus des formations en HES (ergothérapie, diététique, sages-femmes, technique en radiologie médicale, soins infirmiers, physiothérapie). Cette systématique tient compte des obligations constitutionnelles et légales de protection de la santé, des standards professionnels internationaux, et des modèles retenus pour les professions médicales universitaires (LPmed et ordonnances). Elle est construite en adaptant aux professions de santé HES suisses la grille de compétences médicales canadienne CanMEDS 2005, comme ce fut déjà le cas pour la révision des dispositions pour la formation universitaire en médecine (en application de la LPMed) : 37 KFH, Projekt Abschlusskompetenzen FH-Gesundheitsberufe – Abschlussbericht vom 25.6.2009 zu Handen des Bundesamtes für Bildung und Technologie + Annexe 1 Liste des Compétences finales des professions de la santé HES. 40 • • • • • • • Rôle d’expert en (désignation de la profession) Rôle de communicateur Rôle de collaborateur Rôle de manager Rôle de promoteur de la santé (Health Advocate) Rôle d’apprenant et de formateur Rôle de professionnel Les compétences génériques, pour l’ensemble des 6 professions de santé HES au niveau Bachelor, recouvrent (extraits, souligné par l’auteur) : - - - Un savoir approprié aux défis de la politique de santé Une expertise professionnelle et des compétences méthodologiques Notamment : (3) elles connaissent les déterminants qui maintiennent et favorisent la santé individuelle et de la population et elles sont capables d’initier des mesures qui contribuent à l'amélioration de la qualité de vie (4) elles maîtrisent le raisonnement clinique et elles sont aptes à élaborer des mesures qui s'insèrent de manière systémique dans la prise en charge et l'accompagnement de la personne (5) elles sont capables d'être des acteurs du système de santé qui garantissent la qualité de la prise en charge conformément aux spécificités et à la meilleure pratique de la 38 profession Un comportement professionnel et responsable Notamment : (2) elles démontrent un engagement envers les individus, la société et l'environnement par une pratique respectueuse de l’éthique et elles respectent le droit à l’autodétermination des personnes Des aptitudes à communiquer, à interagir et à documenter Notamment : (2) elles sont capables de conduire une relation professionnelle appropriée envers les personnes et leur entourage et de les conseiller de manière appropriée Les compétences spécifiques pour les filières soins infirmiers, sages-femmes et physiothérapeutes (niveau Bachelor) donnent chacun quelques éléments se rapprochant de la perspective du développement des compétences des patients, reflétés par les extraits suivants : Soins infirmiers : B. Rôle de communicateur : En tant que communicateurs, les infirmiers facilitent les relations et le rapport de confiance avec les personnes et transmettent les informations pertinentes. (Bsc) B1 : [les personnes qui ont suivi une filière d’études bachelor en soins infirmiers] établissent des relations professionnelles de confiance avec les patients et leurs proches et adaptent la communication à la situation tout en favorisant une prise de décision partagée (shared decision makting) B2 : elles développent une compréhension partagée des situations de soins et gèrent si nécessaire les conflits B4 : elles communiquent avec les patients et les professionnels… 38 Où on peut supposer que les « compétences en santé des patients et des individus » sont sousentendues parmi les déterminants (3), comme composantes du raisonnement clinique (4) et facteurs de qualité selon les bonnes pratiques de la profession (5), mais ce serait certainement «surinterpréter» ces notions telles qu’elles sont mentionnées ici par le groupe d’experts de la KFH. 41 E. Rôle de promoteur de la santé (Health Advocates) En tant que promoteurs de la santé, les infirmiers s’appuient sur leur expertise et leur influence pour promouvoir la santé et le mieux-être des patients et des collectivités (Bsc) E1 : [les personnes qui ont suivi une filière d’études bachelor en soins infirmiers] s’engagent en faveur de la santé et de la qualité de la vie et soutiennent les intérêts des patients et de leurs proches E2 : elles intègrent dans leur pratique professionnelle des concepts de promotion de la santé et de prévention de la maladie pour les individus et les groupes et participent activement à leur mise en œuvre E3 : elles encouragent les patients et leurs proches à utiliser, de manière différenciée et individuelle, les moyens disponibles pour surmonter la maladie ou la prévenir dans le souci d’assurer la meilleure qualité de vie possible E4 : elles participent au développement des approches de promotion de la santé et de prévention de la maladie F. Rôle d’apprenant et de formateur F2 : [les personnes qui ont suivi une filière d’études bachelor en soins infirmiers] identifient les besoins de formation des patients, de leur entourage et de la société et proposent, dans le cadre de la politique de la santé, un soutien efficace. G. Rôle de professionnel En tant que professionnels, les infirmiers s’engagent pour la santé et la qualité de la vie de la personne et de la société, ainsi que pour une pratique respectueuse de l’éthique et un engagement pour leur propre santé. G1 : [les personnes qui ont suivi une filière d’études bachelor en soins infirmiers] démontrent une attitude respectueuse de l’éthique professionnelle et un engagement envers les patients, leurs proches et la société Ce référentiel de compétences finales pour les soins infirmiers ne mentionne jamais le terme de « compétences en santé » des patients, ni d’ailleurs de compétences en santé des professionnels à l’égard de leur propre santé, mais préfère les concepts suivants : - Communiquer avec les patients - Favoriser une prise de décision partagée (shared decision makting) - Soutenir les intérêts des patients et de leurs proches - Intégrer dans la pratique professionnelle les concepts de promotion de la santé et de prévention de la maladie pour les individus et les groupes - Encourager les patients et leurs proches à utiliser, de manière différenciée et individuelle, les moyens disponibles pour surmonter la maladie ou la prévenir - Identifier les besoins de formation des patients, de leur entourage et de la société - S’engager pour leur propre santé. Le référentiel de compétences spécifiques pour la filière soins infirmiers (niveau Master) présuppose que les compétences de niveau Bachelor sont acquises. Il ne mentionne aucune compétence additionnelle qui s’inscrit dans la perspective du développement des compétences en santé des patients. On peut faire des constatations similaires dans les référentiels de compétences pour les professions de sages-femmes et de physiothérapeutes au niveau Bachelor : 42 Sages-femmes : B. Rôle de communicatrice En tant que communicatrices, les sages-femmes facilitent les relations et le rapport de confiance avec les personnes et transmettent des informations pertinentes B1 en se référant à des informations de la médecine factuelle, elles conseillent des jeunes, des femmes et des familles pendant la phase de reproduction et les renforcent dans leur autonomie et leur autodétermination ; B2 elles accompagnent la femme, l’enfant à naître/le nouveau-né, le conjoint, le couple et la famille… B4 elles utilisent les techniques et les technologies de communication de manière adaptée à la situation, emploient un langage compréhensible… E. Rôle de promotrice de la santé (Health Advocate) En tant que promotrices de la santé, les sages-femmes s’appuient sur leur expertise et leur influence pour promouvoir la santé et le mieux-être des patients et des collectivités E2 elles encouragent et renforcent la femme et la famille à être responsable de leur propre santé et de celle de leurs enfants Ces extraits du référentiel de compétence de sages-femmes, les plus parlants concernant notre sujet, ne mentionnent pas non plus la notion de « compétences en santé » mais les évoquent diversement, par le biais de l’information appropriée et surtout le renforcement de l’autonomie, de l’autodétermination et de la responsabilité des jeunes, des femmes et des familles. Physiothérapeutes : B. Rôle de communicateur En tant que communicateurs, les physiothérapeutes facilitent les relations et le rapport de confiance avec les personnes et transmettent des informations pertinentes. B1 dans le cadre de vrais dialogues, elles établissent une relation thérapeutique axée sur le client/patient marquée par le respect, l’écoute active et l’empathie ; Bb2 elles disposent d’une compétence réelle dans le transfert d’informations, de la formation à l’accomplissement d’exercices, d’avis professionnels donnés à des collègues, aux clients/patients, à leurs proches… B3 lors des consultations, elles s’expriment de manière claire et compréhensible, elles adaptent leurs techniques de communication aux besoins et aux possibilités du client/patient E. Rôle de promoteur de la santé (Health Advocate) En tant que promoteurs de la santé, les physiothérapeutes s’appuient sur leur expertise et leur influence pour promouvoir la santé et le mieux-être des clients/patients et des collectivités E3 elles sont capables de sensibiliser des personnes ou des groupes à la nécessité d’une vie saine et à les encourager à développer leurs connaissances et optimiser leur attitude dans ce domaine ; E4 elles disposent des aptitudes de base dans le domaine du conseil et sont capables de les utiliser avec divers types de clients/patients. F. Rôle d’apprenant et de formateur En tant qu’apprenants et formateurs, les physiothérapeutes démontrent, de manière continue, un engagement professionnel fondé sur une pratique réflexive, ainsi que sur l’utilisation, la cration et la diffusion de données probantes. Fb2 elles encouragent les clients/patients à apprendre dans le sens de l’éducation des patients ; 43 Ici également, la notion de « compétences en santé » des patients n’est jamais utilisée, mais on lui préfère : la relation thérapeutique axée sur le client/patient, le transfert d’informations leurs techniques de communication adaptées aux clients, la sensibilisation à la nécessité d’une vie saine, le développement des connaissances, l’optimisation de l’attitude des patients. On retiendra de cette observation que les concepts et la terminologie des compétences en santé de la population et des patients ne trouvent pas, comme tels, un ancrage explicite dans les orientations souhaitées pour la formation des professionnels en santé de niveau HES en Suisse selon le rapport de la KFH, mais que seulement certaines composantes importantes, en particulier la tâche d’information adaptée à la situation, l’orientation vers une décision partagée des traitements et des soins, la composante de promotion de la santé et prévention de la maladie par les comportements des individus, et la formation des patients et de leur entourage, font partie du noyau de compétences attendu de ces professionnels. D’autres composantes essentielles des compétences en santé de la population ne sont en revanche jamais mentionnées dans le référentiel des compétences finales de la KFH, alors qu’elles sont explicites dans le référentiel actuel de compétences de la HES-SO : - Aider les individus à savoir obtenir et à comprendre les informations relatives à la santé et à la maladie - Aider les individus à savoir s’orienter dans le système de santé et dans le système des assurances sociales - Développer la capacité des individus à se soigner soi-même et à savoir faire appel en situation opportune aux professionnels des soins. b. Développement des Compétences en santé dans le cadre de la formation aux professions de santé, réponses données par les professeurs interrogés Motivations des professeurs Les 20 professeurs interrogés, qui sont tous sensibilisés par et engagés pour les aspects liés aux compétences en santé des patients et des individus, ont commencé par justifier leur motivation, d’une part par leurs valeurs personnelles, d’autre part par leur parcours professionnel de formation, de pratique et d’enseignement. 13 professeurs inscrivent leur démarche professionnelle dans la lignée de l’éducation et de la communication, de la centration sur le patient et du partenariat pour le processus de soins et de traitement. Dans cette démarche d’éducation et de soins, ils incluent la mobilisation des ressources personnelles des individus, qui ne sauraient être réduits au seul statut de « patients ». Il s’agit pour eux donc essentiellement de co-construire avec des partenaires une connaissance et des instruments pour faire face aux situations de la vie et de la maladie, à partir des valeurs, des attitudes, des habitudes, des objectifs et des ressources des personnes. L’écoute, l’analyse et l’empathie sont des moyens essentiels pour élaborer une plateforme commune avec ces personnes, qu’elles soient en bonne santé ou malades. Ces professeurs adoptent une posture de modestie dans le champ des savoirs, admettant leurs limites et élaborant les interventions dans un terrain où les incertitudes sont nombreuses. Ils ne rejettent pas les connaissances fondées sur l’évidence, au contraire, mais ils en reconnaissent le caractère partiel et tiennent compte de la diversité des autres déterminants. Les connaissances 44 et représentations des patients doivent donc être pris en compte comme une ressource, et non comme « obstacles potentiels » à un traitement ou à adopter une conduite jugée nécessaire pour des raisons médicales, thérapeutiques, hygiéniques, scientifiques ou autres. 9 professeurs sur les 20, dont certains déjà comptés dans le groupe ci-dessus, inscrivent leur démarche professionnelle dans une perspective de santé communautaire, qui prend en considération sur la durée la santé des groupes de population et non la seule santé des malades présents à un moment donné (toujours plus court) dans les institutions de soins. Ils se réfèrent aux déterminants sociaux, économiques, culturels et structuraux de la santé. Dans cette perspective communautaire, on considère toujours les membres de la population comme acteurs, individuels et collectifs, avec leurs propres ressources, sur le plan social, éducatif, économique, etc. et on reconnait leurs droits à participer comme citoyens et comme usagers. Ils sont respectés en tant que personnes responsables (ou co-responsables) de leurs parcours de vie et de leurs comportements dans un contexte socialement et structurellement défini par la société, l’économie, l’éducation, la médecine, le cadre de vie, etc. Les rôles et les ressources en matière de santé sont liés aux rôles et ressources au sein de la famille, de la vie associative, de la vie citoyenne, du travail ou de l’environnement. Dans cette orientation, ces professeurs accordent une importance tout aussi grande aux aspects de soins curatifs, de réhabilitation, de palliation, etc. qu’à la promotion de la santé, la prévention des maladies et des risques, et qu’au maintien de l’autonomie. Un troisième groupe, de 6 professeurs, peut être caractérisé par leur démarche fondamentalement scientifique, faisant interagir modèles théoriques et vérifications empiriques dans des contextes d’intervention professionnelle. En analysant les processus de travail, la négociation ou la coopération, les résultats des interventions, les compétences mises en œuvre par tous les acteurs, ils cherchent à identifier le comment et le pourquoi de l’efficacité d’un traitement ou d’un apprentissage, d’un changement ou non-changement de comportement, etc. Leur prise en compte du rôle actif des patients et des individus, dans des circonstances de santé ou de maladie, est une variable parmi d’autres, qui se reconnaît par rapport à son effet précis sur les résultats observés empiriquement. Ces trois sous-groupes de professeurs se chevauchent diversement. On n’a rencontré aucun professeur qui n’appartiendrait pas à au moins l’une de ces trois orientations. Certains combinent les trois pistes dans leur discours et/ou dans leur pratique. On ajoutera qu’au moins 12 des professeurs interrogés ont mis en pratique des réformes innovantes dans le système de santé qui tendant à une meilleure prise en compte des patients et des individus comme acteurs actifs : soutien à des groupes d’aidants, réseaux d’échanges de savoirs, « assessment » des ressources et participation des familles au traitement des malades, formation continue des professionnels de santé dans les institutions, mise en place de programmes éducatifs, travail avec les associations de malades, etc. Enfin, on notera aussi que la plupart des professeurs interrogés ont effectué, en plus de leur formation de base dans les métiers de la santé, des formations supérieures comme enseignants ou de niveau master ou doctorat dans leur spécialité, et aussi en assez grand nombre des formations additionnelles en sciences de l’éducation, en pédagogie de la santé, en sciences sociales ou en santé publique. Néanmoins, tous ont pratiqué pendant des années leur métier de santé propre, dans des contextes divers, et peuvent ainsi rester étiquetés comme infirmiers, sages-femmes ou physiothérapeutes. Peu d’entre eux ont uniquement une carrière 45 hospitalière ; les activités extrahospitalières (soins à domicile, entreprise, université, aide au développement, etc.) sont aussi très nombreuses. Leur implication dans l’enseignement est diverse, certains se consacrent essentiellement à la formation initiale de niveau Bachelor, d’autres en majorité à la formation postgrade de niveau CAS, DAS ou MAS39 ou à des formations continues. Plusieurs ont des positions hiérarchiques dans les HES comme responsables de formation ou de recherche dans leur filière, responsables de conception de formations postgrade, etc. Enfin, 8 d’entre eux sont également actifs, principalement ou accessoirement, sur le plan de la recherche scientifique - notamment mais pas seulement sur le sujet des compétences en santé. Ces divers facteurs de motivation convergent tous vers une prise en compte particulièrement attentive des compétences des patients, mais également des étudiants, des individus ou de groupes de population dans le système social. Néanmoins, on ne saurait décrire le collectif des professeurs interrogés comme homogène. Ils sont différents par leurs métiers, par leur âge, par leur région linguistique et leur région d’enracinement, par leurs parcours professionnels ; et ils diffèrent peut-être encore plus par les références théoriques spécialisées dont ils se servent pour construire leur position. On reviendra plus loin particulièrement sur ce point (chapitre 4 c). Champ de compétences 1 selon le guide d’entretien : Développer les compétences des individus à savoir se soigner et à soigner leurs proches (autodiagnostic, automédication, auto-traitement, auto-soins) Il faut d’abord noter que le terme même de « compétences en santé » des individus n’a presque jamais été utilisé par les professeurs interrogés, et cela au sujet des 5 champs d’application qui vont être ensuite déclinés. Ils s’expriment quasiment toujours par des périphrases, par de verbes, par des actions, mais presque jamais par le concept générique des compétences en santé40. La plupart des professeurs interrogés déclarent que cette dimension domestique des « compétences en santé des patients et des individus » est très peu enseignée en tant que telle dans les Hautes écoles des professions de la santé. La santé vécue au quotidien par les individus et les familles, l’identification des signes de maladie, et en particulier des signes d’alerte qui demandent de faire un diagnostic médical précis et un traitement professionnel peut-être urgent, les soins à donner aux blessures, la gestion des maladies chroniques et des handicaps, tous ces aspects des compétences individuelles, familiales et domestiques ne sont pas ou plus des matières d’enseignement dans les écoles destinées aux professionnels. La formation professionnelle est historiquement, et encore aujourd’hui, pour l’essentiel focalisée sur les interventions de professionnels de santé dans les institutions de santé spécialisées, et en premier lieux dans l’hôpital pour soins aigus. Ce qui se passe en dehors de la prise en soins, avant ou après, n’est pas du champ de la profession et n’est pas valorisé par celle-ci. 39 Certificate of Advanced Studies, Diploma of Advanced Studies, Master of Advanced Studies Même si l’intitulé de la recherche et le guide d’entretien utilisent ce terme. L’auteur ne les pas à forcés à recourir à ce terme et a plutôt noté leurs propres expressions. 40 46 En revanche, dans toutes les écoles, la formation commence par une réflexion des étudiants sur eux-mêmes, sur ce qu’ils jugent leur faire du bien ou du mal, sur leurs conduites de santé personnelles et sur la relation d’aide, afin de leur permettre de se situer ensuite dans une posture professionnelle distincte de la posture personnelle. Cette réflexion inclut leur santé physique et santé psychique, leur position dans les relations sociales, une réflexion spirituelle, la relation à soi et à l’autre, qu’il soit professionnel ou non. Par la bande, on évoque l’autodiagnostic et l’auto-soin, ou les soins donnés à son entourage. Au-delà, cette démarche réflexive est un instrument d’apprentissage au sein des écoles pour élaborer avec les étudiants la relation d’aide et de soins et pour développer de manière consciente un plan de soins. Certains professeurs observent cependant que les savoirs familiaux en la matière ne se transmettent plus simplement de mère, tante, cousine à fille, et que les jeunes générations se trouvent démunies pour savoir soigner, consoler, rassurer, allaiter, protéger sans l’aide des professionnels, qu’on ira chercher dans les institutions, mais aussi dans les livres, les magazines ou sur internet. Il y aurait une déperdition des compétences personnelles. D’autres pensent plutôt que « les gens » savent se soigner, savent ce qui est bon ou mauvais, et peuvent mobiliser les savoir-faire et savoir-être pour se soigner par eux-mêmes. C’est pareil pour les « aidants familiaux » des petits enfants ou des personnes âgées. Ceux-ci sont souvent étiquetés par les professionnels comme « dépassés », « insécurisés », « épuisés », mais plusieurs professeurs s’insurgent contre cette stigmatisation de l’incompétence par des professionnels qui ne veulent pas partager leur position de détenteurs du savoir. On évoque de même le recours par de nombreuses personnes – y compris de nombreux soignants – à des médecines et thérapies complémentaires. Plusieurs professeurs souhaiteraient établir, dans le cadre de la formation initiale pour postgrade, des cours visant à savoir évaluer la valeur des médecines complémentaires, à connaître la signification de leur utilisation pour les patients, et à pouvoir mettre en garde la population et les malades contre des recours lorsqu’ils les jugent néfastes. Parmi les professeurs interrogés, quelques-uns font appel au concept de degré d’« autoefficacité / Selbstwirksamkeit » pour clarifier les ressources et les fragilités des individus, qui est un facteur tout particulier du « sens de cohérence » et d’une démarche de « salutogénèse » (cf. Antononwski). Ce concept se décline à des niveaux personnel (niveau micro), collectif (méso) ou sociétal (macro), et ses déterminants sont alors très différents. On le rapprochera du concept de « capital social » (cf. Bourdieu, repris par Abel), qui renvoie aux mécanismes de la reproduction de la société et de la répartition des ressources. Ces aspects ne sauraient être ignorés des étudiants car ils forment, de l’avis des professeurs, un tout cohérent avec les compétences nécessaires dans des situations de maladie grave ou chronique et dans un partenariat avec les professions de santé. Les professeures de la filière sages-femmes insistent sur le caractère de « normalité / Regelrichtigkeit » de la grossesse et de la sexualité, qui est essentiel pour une approche professionnelle correcte de leur profession. De là découle qu’autonomie, empowerment (développement des ressources pour l’autonomie) et salutogénèse (développement des ressources pour maintenir et promouvoir la santé) sont des piliers essentiels à la formation des sages-femmes. Les professeures en physiothérapie ne s’engagent que très peu dans le domaine de l’auto-soin, car il ne leur parait pas pertinent pour leur intervention professionnelle. Néanmoins, elles sont 47 conscientes de son importance pour les personnes souffrant de troubles chroniques ou pour la prévention de la récidive de troubles aigus. En résumé, on observe aussi bien une forte valorisation des compétences de soins domestiques à soi-même (sur les plans théorique et pratique) et une forte dévalorisation de ce champ dans les curricula de formation, parce qu’il est loin de la pratique professionnelle. Champ de compétences 2 selon le guide d’entretien : Développer les compétences des malades à participer au traitement professionnel qui leur est apporté (consentement, choix, observance, compliance…) Ce registre des compétences en santé s’inscrit dans le domaine central de la formation aux soins et aux thérapies. Il y a unanimité pour considérer le patient comme devant être (si possible) partenaire des soins et des traitements, et pour mobiliser sa participation au travail de guérison et rétablissement (recovery). En théorie, depuis plus de 30 ans, le paradigme soignant et celui des professions voisines a quitté le paternalisme médical et le maternage infirmier pour entrer dans l’ère du patient actif. Le « métier de patient » doit cependant faire l’objet d’une formation : l’éducation thérapeutique des patients. Celle-ci a pris place initialement dans le traitement du diabète, et l’unité de diabétologie et d’éducation thérapeutique des Hôpitaux universitaires de Genève, sous la conduite pendant de longes années du Professeur Assal et de son équipe, puis maintenant du Professeur Golay, est une référence absolue en Suisse (romande) et sur le plan mondial pour ceux qui s’intéressent à ce domaine. D’autres références célèbres sont les professeurs d’Ivernois et Gagnyère, Bury et Deccache. L’université française de Bobigny est aussi reconnue pour ses formations spécialisées en éducation thérapeutique et pédagogie de la santé. Enfin, l’OMS a élaboré des recommandations largement acceptées, et certains pays, dont la France, ont orienté fortement les politiques de santé pour englober formellement cet aspect de la médecine et des soins. 7 des professeurs interrogés s’identifient par excellence dans la démarche de l’éducation thérapeutique, en tant que méthode visant à construire, avec la coopération des patients et l’engagement des thérapeutes, des conduites appropriées pour gérer les maladies chroniques. L’éducation thérapeutique devient partenariale, évite les injonctions et prend en compte le vécu du malade et l’entourage des patients. Elle part d’un diagnostic éducatif, qui mesure les ressources et les faiblesses des capacités d’apprentissage des patients. Certains élaborent un plan éducatif très cohérent, parfois jusqu’à la rigidité, alors que d’autres s’en distancient. Le terme de « compliance » est ainsi rejeté par les uns comme historiquement et moralement dépassé, et ils le remplacent par l’« observance » ou l’« adhésion » au traitement. Néanmoins, les attentes des soignants restent très fortes pour que le traitement qu’ils conduisent soit respecté par des « bons patients », c'est-à-dire des patients compliants. D’autres professeurs se situent sur une tout autre position : il ne s’agit pas d’abord d’éduquer les patients, mais de penser leur altérité par rapport aux médecins et soignants, d’identifier leurs objectifs qui peuvent différer de ceux du traitement planifié. Il faut que les professionnels respectent les choix et les responsabilités des patients, même s’ils ne les approuvent pas. Ils doivent aussi penser le patient dans sa globalité, qui ne se limite pas à la maladie. Elle est bio-psycho-sociale, spirituelle, mais aussi familiale, économique, culturelle et affective. 48 On prend aussi conscience de la capacité de « coping » de certains patients, laquelle peut être apprise et entraînée, ou même de la « résilience » inattendue de certaines personnes face à des difficultés majeures. Certains professeurs soulignent aussi l’importance du travail avec l’instabilité et avec l’inconnu de l’évolution de la maladie, et insistent pour que les futurs soignants ne s’illusionnent pas de leur pouvoir professionnel. Ils cherchent plutôt à leur faire réfléchir au processus de changement chez le malade et à ne pas imposer de force des changements de comportement. Les concepts d’acceptation de la maladie et le modèle du processus progressif de changement (cf. Prohaska et di Clemente) sont alors utilisés pour décrire la situation et pour baliser les interventions accompagnantes ou éducatives. Une troisième posture est celle de la négociation des objectifs de traitement avec le patient. L’une des professeures en physiothérapie en fait son sujet de thèse de doctorat41, en cherchant comment les différentes attitudes des professionnels sur ce sujet peuvent conduire (ou non) à des différences d’efficacité des traitements. Cette démarche est aussi celle que vise le traitement centrée sur le malade et sa famille (Patienten- und Familienzentrierte Betreuung), en particulier s’agissant de personnes âgées malades et de la contribution de leur entourage. Ce modèle (et l’utilisation du Calgary Family Assessment Model) s’est répandu dans plusieurs hôpitaux alémaniques, à partir d’un programme pilote au Lindenhofspital à Berne (qui était lié à l’école de soins infirmiers de la Croix rouge suisse), et forme maintenant l’essentiel de cours postgrade de niveau CAS, DAS et MAS à la ZHAW à Winterthur. Enfin, tous adhèrent à la règle du consentement éclairé des patients et à la nécessité de leur fournir toute l’information nécessaire pour l’obtenir. Mais quelques-uns vont plus loin et s’interrogent sur la nature du contrat de soins : qui est au service de qui ? qui commande ? N’est-ce pas le patient qui mandate le médecin, l’hôpital, les soins, les thérapeutes pour lui fournir des prestations ? Que reste-t-il de son pouvoir ? Les professeurs sont par ailleurs forcés de constater que – dans le contexte des soins aigus à l’hôpital – le temps et le personnel manquent toujours plus pour accompagner le malade dans un processus d’élaboration et de coopération à sa guérison. La durée des séjours hospitaliers – de 7 jours en moyenne en hospitalisation pour soins aigus – et la rotation du personnel soignant et médical ne permettent pas souvent un partenariat dans le traitement et une éducation thérapeutique sérieuse. Celle-ci se limite au traitement de malades chroniques. On regrette que les futurs soignants, lors de leurs stages pratiques, ne puissent pas concrétiser les aspirations que les professeurs voudraient leur transmettre. Dans ce domaine central, on voit bien la diversité des positions théoriques et des choix d’intervention des professeurs interrogés. Pour certains il s’agit surtout d’éducation, adaptée aux ressources et aux faiblesses des patients. Pour d’autres il s’agit d’une construction partenariale, d’un plan de traitement et de soins élaboré avec le patient, son entourage et avec l’ensemble des professionnels qui interviennent sur son cas. D’autres soulignent la persistance d’une position professionnelle dominante, aussi bien de la médecine que des professionnels des soins, et s’interrogent si le patient ne disparaît pas devant la puissance des moyens mis en œuvre, même les plus bienveillants. Enfin, tous récitent avec conviction la vulgate du 41 Voir Veronika Schoeb, Elisabeth Bürge: Patient participation in physical therapy: A systematic review of quantitative and qualitative studies, article soumis pour publication dans Physical Therapy, 2009 49 consentement éclairé, de l’information appropriée, et quelques-uns vont parfois rappeler le statut de client du malade, qui mandate les professionnels pour lui venir en aide. Se pose enfin la question de la relation de ce type de partenariat avec l’orientation vers l’EBM (evidence based medicine), l’EBN (evidence based nursing) et les évidences en « midwifery » et en physiothérapie. Cette orientation a pris pied dans les Hautes écoles et constitue toujours plus la référence fondamentale d’une démarche scientifique dans les interventions en santé. Elle implique cependant une standardisation des procédures vérifiables qui ne laisse pas beaucoup de place à l’ajustement en fonction de la personne du malade, de ses objectifs, de ses ressources, de ses perceptions et de la coopération qu’il veut ou ne veut pas engager en vue de rétablir sa santé. Les professeurs interrogés expriment leur ambigüité en face d’une « vague EBM » qui effacerait tout humanisme. Certes, il s’agit là d’une caricature, car les soins et traitements basés sur l’évidence scientifique devraient pouvoir aussi prendre en compte une démarche salutogénétique qui se fonde sur les déterminants de la santé, et une démarche coopérative qui tient compte de toute la complexité des déterminants subjectifs et sociaux du patient. On retiendra à ce sujet la réflexion de la doyenne de la filière sage-femme de la ZHAW à Winterthur au sujet de ce qui constitue une « best practice »42 : Celle-ci est résumée ainsi lors de l’interview : Best Practice = - das Bestmögliche praktisch anbieten - welches Modell: zB. salutogenetisch - aktuelles Wissen (EB und Expertise) + interdisziplinär - in welchem Kontext: was will die Frau; was will die Gesellschaft - welche Werte haben die Frau und die Hebamme, - was prägt das eigene Verhalten der Hebamme - und dazu, die Werte der Dozentin. Champ de compétences 3 selon le guide d’entretien : Développer les compétences des individus à recourir aux moyens du système de santé (choix du médecin, de l’hôpital, etc. et utilisation des assurances sociales) Pour un grand nombre de professeurs interrogés, ce domaine fait partie à l’évidence du curriculum de formation des professionnels de la santé et des parties de modules d’enseignement y sont explicitement consacrées. En fait, ce qu’ils abordent le plus souvent dans l’enseignement, que ce soit par des cours, des APP (apprentissage par problème) sur des situations emblématiques, et aussi par les stages pratiques, ce sont des situations qui commencent à l’entrée dans un service hospitalier (urgences, policlinique, service d’hospitalisation), ou le transfert vers un service ambulatoire/à domicile ou une institution de soins de longue durée (EMS). Le processus préalable d’orientation dans le système de santé qui amène le malade vers la demande de soins n’est 42 Ursina Bavier und Mona Schwager. Best Practice in der Hebammenarbeit – Eine Anleitung für die bestmögliche praktische Arbeit; Master Thesis zur Erlangung des akademischen Grades Master of Science im Universitätslehrgang Management in Einrichtungen des Gesundheitswesens mit Vertiefung Midwifery; Donau-Universität Krems, 2009. 50 généralement pas abordé, car ne faisant pas concrètement partie du champ d’intervention des infirmiers, des sages-femmes ou des physiothérapeutes. Ainsi, la problématique d’orientation médico-sociale et thérapeutique qu’ils approfondissent le plus souvent avec les étudiants concerne les suites de traitement, à partir de la sortie de l’hôpital, et ceci vu sous l’angle de la planification de la continuité d’un traitement ou d’un suivi. En revanche, l’entrée dans le processus de soins, du point de vue de la demande du malade et la compétence du malade à choisir et à s’orienter dans le système de santé pour accéder aux soins sont presque toujours escamotées. Un autre aspect relevant de cette compétence, relevé par plusieurs professeurs, est la connaissance du système d’assurance maladie, assurance accidents, assurance invalidité, prestations complémentaires, etc. Les étudiants reçoivent tous sur ces domaines une formation qui leur permet de comprendre le système des assurances, et ils devraient pouvoir fournir aux patients des explications sur ces questions. Néanmoins, l’approche est différente selon qu’on examine la question en tant que prestataires de soins ou en tant qu’assuré. Les cours donnés gardent cependant un caractère assez basique, pour fournir une compréhension du système assuranciel, et devraient permettre ainsi de renseigner aussi les patients. Les enseignements abordent aussi, de manière plus générale, la compréhension du système de santé, ses logiques de fonctionnement, les relations de pouvoir, les réformes politiques, les effets de ségrégation sociale ou d’équité d’accès aux soins, etc. Plusieurs professeurs insistent pour donner une bonne perception et compréhension des obstacles sociaux et économiques qui peuvent rendre difficile un accès au système de santé pour certains groupes sociaux, et pour explorer des pistes pour développer les compétences des plus défavorisés afin d’avoir malgré tout accès aux prestations de santé. Ces aspects de connaissance du système de santé et d’assurance sont traités dans la formation comme des connaissances générales, qui ne sont pas directement mises en œuvre dans la pratique soignante ou thérapeutique, et sont donc relativement peu valorisées. Dans les stages pratiques, les futurs professionnels peuvent constater que le travail d’orientation est souvent effectué par des travailleurs sociaux rattachés à l’hôpital ou au centre médico-social et donc peuvent consacrer leurs forces spécifiquement aux prestations de soins. Pour ce domaine 3 des compétences en santé de la population et des patients, la formation est donc essentiellement basique et, comparée à d’autres sujets, assez peu valorisée. L’effet sur le développement des compétences en santé de la population est donc probablement modeste. Champ de compétences 4 selon le guide d’entretien : Développer la compétence des individus à comprendre les informations relatives à la santé, à la maladie, à la médecine, etc. (health literacy) Aux yeux de presque tous les professeurs interrogés, ce domaine fait aussi partie à l’évidence du curriculum de formation des professionnels de la santé. Des enseignements spécifiques y sont consacrés. Plus concrètement, on apprend que la principale thématique abordée par les professeurs est celle de la communication en éducation pour la santé ou en éducation thérapeutique. Les étudiants sont par exemple invités à examiner et critiquer le contenu, la forme, le langage et 51 l’utilisation de brochures explicatives sur un problème ou un comportement de santé, et à proposer des améliorations. Par là ils réfléchissent aux représentations et perceptions de la santé dans la population, aux connaissances et ignorances, aux difficultés de lecture, de langue et de compréhension, particulièrement pour les personnes avec un faible bagage éducatif ou avec des décalages linguistiques et culturels. Se pose alors par exemple la question des traductions adaptées à la culture de santé ou du recours aux interprètes et médiateurs culturels. Une étude de terrain menée par l’Unité de recherche de la HES santé bernoise traite spécifiquement des besoins de communication et information pour les patients ayant un faible niveau de compréhension en matière de santé43. Cet exemple illustre bien l’angle d’approche durant la formation : les futurs professionnels doivent être capables de communiquer sous diverses formes, oralement ou par des écrits, des films, etc. afin de permettre aux patients de comprendre les messages qu’on leur apporte. En revanche, la situation renversée, à savoir la compétence des individus pour chercher et trouver des informations pertinentes et de qualité, face à la myriade de sources d’informations disponibles et face aux discours qui leurs sont tenus aussi bien au cabinet médical, à l’hôpital que dans les médias, cette situation-là est rarement abordée. Elle est indirectement enseignée aux étudiants lorsqu’on leur apprend à se documenter euxmêmes, notamment pour distinguer entre information scientifique, vulgarisation solidement validée, informations non validées, publicité, commentaires personnels, etc. Cela par exemple pour préparer un travail d’étude personnel et par excellence pour élaborer leur Mémoire de fin d’études. L’usage des banques de données d’articles scientifiques, de préférence à un « surf » indifférencié sur des sites internet de vulgarisation ou des communications publicitaires, est spécifiquement appris. Il leur est en revanche difficile de transposer simplement ce savoirfaire en documentation scientifique pour accroître la capacité des patients et des individus en général à s’informer sur la santé. Champ de compétences 5 selon le guide d’entretien : Développer les compétences des individus à se maintenir en santé / à promouvoir leur santé Prévention et promotion de la santé font partie des compétences nécessaires définies dans les plans d’étude des professions de la santé et dans quantité de standards professionnels. Ces domaines se retrouvent donc en bonne place dans la formation des professions de santé offerte par les HES, particulièrement dans les filières soins infirmiers et sages-femmes. Plusieurs des professeurs interrogés sont responsables de modules consacrés à ce thème et ont développé des activités d’enseignement. Ils s’appuient sur les conceptions modernes telles qu’elles ont été formalisées depuis 1986 dans la Charte d’Ottawa de l’OMS et dans les chartes successives de Sundsvall, de Mexico et de Bangkok, La considération des déterminants sociaux, culturels, économiques et environnementaux de la santé y est essentielle, de même qu’une approche multisectorielle. Les institutions de santé – dont la charte d’Ottawa demandait une réorientation afin de renforcer leur capacité à soutenir la prévention et la promotion de la santé – sont censées 43 Sabine Hahn: Erfassung und gezielte Förderung von Patienten mit geringer Gesundheitskompetenz im Akutspital. Recherche en cours. 52 pouvoir fournir leur contribution, même si elles restent essentiellement ancrées dans leur fonction curative, peut-être plus fortement en Suisse que dans d’autres pays comparables. De fait, les professionnels des soins et des interventions thérapeutiques ne consacrent qu’une très faible part de leur travail à ce domaine, à l’exception de personnes engagées dans des services spécialisés. Néanmoins, leur formation devrait fournir aux futurs professionnels des compétences dans ce domaine et leur permettre de voir comment des facteurs de prévention et de promotion de la santé peuvent également prendre place dans le cadre d’une prise en charge curative. La formation donnée dans les Ecoles s’intéresse donc beaucoup à la prévention ou la promotion de la santé qui peut se faire au sein d’une relation 1/1 soignant/soigné. Elle aborde également des séquences d’éducation à la santé destinées à des petits groupes (santé scolaire, santé en entreprise). L’approche multisectorielle de la santé communautaire est en revanche beaucoup moins abordée, à l’exception de certains cours postgrades. Plusieurs professeurs reconnaissent que la formation qu’ils et leurs collègues dispensent à ce sujet est parfois restée assez normative, visant essentiellement des changements de comportements considérés comme à risque. La prise en compte des déterminants sociaux, de la perception des individus et des groupes, des ressources personnelles des individus ou des familles est souvent faible, et le risque de « blaming the victim » reste toujours assez grand. La suprématie professionnelle est critiquée par quelques professeurs, qui plaident pour des approches orientées vers plus de relativité, impliquant d’une part un partage des savoirs, d’autre part une réflexion sur les modèles normatifs de qualité de la vie et les objectifs prioritaires de santé. Le développement de compétences propres des individus et des groupes de population afin de promouvoir la santé aux niveaux micro, méso et macro devrait à leurs yeux être encouragé, mais il ne trouve pas vraiment de place dans les curricula et dans les contenus de la formation. Pourtant, affirme une professeure de la filière sages-femmes, les professionnelles de ce domaine gagneraient en reconnaissance et en légitimité si elles développaient plus les réflexions et les interventions aux niveaux méso et macro et si elles étaient mieux équipées pour en débattre. Les professeurs de la filière physiothérapie se sentent peu concernés par ce domaine, car il intervient dans leur pratique essentiellement comme prévention tertiaire et mesures palliatives. Néanmoins, elles reconnaissent l’importance croissante d’une pratique préventive, par exemple dans le travail postural auprès d’écoliers ou de travailleurs. Plusieurs professeurs soulignent l’imbrication très forte entre les composantes de soins, par exemple aux malades chroniques, et de maintien de la santé (« Selbstmanagement, Selbstpflege, Selbstwirksamkeit ») des malades et de leur entourage familial. Des actions concertées qui prennent en compte les ressources et les besoins de l’ensemble du réseau familial sont ainsi mises en avant dans une perspective salutogénétique. L’équilibre changeant des plans d’études et la place toujours plus grande qu’y prennent par exemple les sciences infirmières, a pour effet de réduire la visibilité de ce thème dans la formation. C’est ainsi qu’aucun module du programme commun des HES santé lausannoises ne porte plus spécifiquement sur l’action de prévention et promotion de la santé, mais que ces sujets sont disséminés dans les autres modules. 53 c. Les références des professeurs interrogés Les références indiquées par les professeurs interrogés, à l’appui de leurs apports à la formation sur le thème des compétences en santé sont extrêmement diverses. On peut les citer et classer de la manière suivante44 : - - - - - Les chartes et déclarations de l’OMS d’Alma Ata (1969 – santé pour tous), Ottawa (1986 – promotion de la santé), de Sundsvall (1991 – santé et environnement), de Jakarta (1997 – responsabilité partagée pour la promotion de la santé), de Mexico (2004 – recherche en santé) et de Bangkok (2005 – santé à l’heure de la mondialisation), ainsi que les Déclarations de Dublin et de Luxembourg sur la santé au travail Les manuels de santé publique : Bury, Deschamps, etc. Les auteurs de modèles en prévention et promotion de santé : Pender, ‘proceedprecede’, Nutbeam, Kickbusch, etc. Les manuels de soins infirmiers : Kozier-Erb, Goulet-Dallaire, et les autres manuels canadiens ; les situations emblématiques pour l’enseignement développées au Québec Les ouvrages théoriques de référence en soins infirmiers : Collière, Kerouac, etc. Les modèles d’intervention en soins avec participation du milieu : Wright-Lahey (Calgary), Friedmann, etc. Les modèles de bonne pratique en « midwifery » : Dunkey, Cignacco, Wittigstein, etc. Les manuels d’éducation thérapeutique : Assal, Lacroix, Golay (Genève), d’Ivernois, Gagnyère (Bobigny), Deccache (Belgique), Simon, Traynard, Bourdillon, Grimaldi (France), Rochon (Canada), rapport d’experts OMS, Revue Patient Education and Counselling, etc. Les sociologues : Weber, Bourdieu, etc. Les sociologues et anthropologues de la santé : Herzlich, Abel, Barth, Young, Fassin, Cuche, Good, Kleinmann, Massé, etc. Les sociologues, psychologues et psychanalystes de l’expérience quotidienne : de Gaulejac, Dejours, Molinier, Benasayad, Clot, etc. Les psychologues et psychosociologues de la santé : Bandura, Miller, ProhaskadiClemente, Rogers, l’école comportementale, Schwarzer, Ajzen-Fischbein, Liebermann, Klie, etc. Les psychiatres sociaux : Ciompi, Heim, etc. La pédagogie communautaire : Freire, Pigault, Desroches, etc. Les travaux sur le « shared decision making » et « patient centredness » en médecine : Chares, Stewart, Thompson, Lewin, Entiwtle, etc. et l’American Academy of Communication in Health Les réflexions critiques sur le système de santé : Illich, Domenighetti, etc. On notera aussi des références liées à l’action locale : - Groupes de soutien aux aidants naturels (Genève) - Ligue VD et suisse contre le rhumatisme - Réseaux d’échanges de savoirs - Promotion santé suisse – domaine santé au travail - Promotion santé suisse – modèle de bonnes pratiques en promotion de la santé - Verein Pflegeforschung 44 On d’établira pas ici une liste bibliographique précise et complète, car tel n’est pas le but. Il s’agit d’indiquer les grandes orientations de référence. 54 - Réseau suisse travail et santé – IFA Mathis-Jaggi USZ Patientenorganisationen & Patientenstellen, KOSCH etc. Cette longue liste de références, et les catégories qu’elle contient, indique la grande diversité des sources et modèles de pensée des professeurs interrogés. On remarquera en particulier les caractéristiques suivantes : - la pluridisciplinarité, et l’intérêt des professeurs pour des références provenant de plusieurs disciplines différentes - la présence de travaux anciens (années 1970 et 80) et de sources beaucoup plus récentes - certains cloisonnements linguistiques : quelques professeurs lausannois ne lisent jamais l’anglais et l’allemand ; les professeures alémaniques ne lisent pas les auteurs en français - la place que prennent les manuels professionnels, notamment en soins infirmiers ; parmi ceux-ci, ce sont les manuels canadiens qui ont la préférence, car ils se réfèrent aux sciences infirmières ; les manuels français sont rejetés car trop orientés vers les pathologies et les soins délégués - très peu ont mentionné les réflexions faites dans le champ de la médecine de premier recours, et notamment l’étude « future patient / Gesundheitskompetenz.ch » (Wang et Schmid) n’a jamais été mentionnée - plusieurs professeurs nomment des « maîtres » avec lesquels ils se sont formés ou ont collaboré directement - d’autres professeurs nomment de la littérature scientifique qui inspire et rejoint leurs propres travaux de recherche ou qui leur servent pour l’enseignement ; - on observe dans les 4 Ecoles une tendance très marquée à utiliser toujours plus la littérature scientifique ; pour certains professeurs, cette tendance risque d’impliquer un cloisonnement : nursing science, physical therapy science, midwifery science… ; mais cela n’est le cas pour aucun des professeurs que nous avons interrogés pour cette étude. En contraste avec la thématique des compétences en santé telle qu’elle est avancée par l’OFSP, par Santé Publique Suisse et par certains experts de ce pays qui se réfèrent essentiellement aux définitions proposées depuis 2000 par Dan Nutbeam et Ilona Kickbusch, on observe que ces deux auteurs ne sont cités ici que par 4 sur les 20 professeurs interrogés, et qu’un grand nombre des autres professeurs ne les connaissent pas45. d. Méthodes d’enseignement des professeurs interrogés L’enseignement de niveau Bachelor dans les HES est structuré par modules (6 modules par semestre) qui sont conduits par des groupes de professeurs. La formation se répartit entre enseignement frontal, travaux de groupes en APP (apprentissage par problème – situations emblématiques), séminaires et ateliers, apprentissage en laboratoire de simulation, stages pratiques avec des thématiques ciblées, et apprentissage personnel sur la base de manuels et 45 La question a été posée explicitement à un grand nombre d’entre eux, mais pas systématiquement. Les références à Nutbeam et Kickbusch étaient par ailleurs clairement mentionées dans la présentation de l’étude liée au guide d’entretien. 55 littérature scientifique. Cette variété de formes pédagogiques – à part les stages pratiques – est identique dans les cours postgrades de niveau CAS, DAS et MAS. Les professeurs interrogés utilisent toutes les formes d’enseignement citées ci-dessus pour transmettre l’aptitude à développer les compétences des patients et de la population, selon les 5 groupes de thèmes évoqués ci-dessus. Il n’y a presque aucun module – sous réserve de Patienten- und Familienorientierte Betreuung (ZHAW) – qui soit spécifiquement voué à cette thématique. Plusieurs professeurs disent traiter cet aspect « en filigrane » de leur enseignement tout au long du cursus. Il y a néanmoins des temps plus forts et des exercices ou ateliers spécifiques. Ceux-ci se retrouvent, par exemple dans les deux écoles lausannoises, qui ont adopté depuis 2008 un programme commun pour les soins infirmiers, dans des modules de : - sciences de la santé - sciences infirmières - sciences humaines - fonctions, démarches, outils - habiletés cliniques - intégration - et dans la formation pratique Le travail de réflexion sur soi est surtout présent au cours de l’Année préparatoire, mais se poursuit dans les 3 années de Bachelor. Les professeurs ne se concertent généralement pas entre eux – sauf un groupe de 4 professeurs d’orientation « soins de santé primaires » à la HECVsanté – pour la manière dont ils abordent le sujet des compétences en santé, lequel n’est d’ailleurs jamais nommé sous cette étiquette, mais précisé selon les domaines particuliers (éducation thérapeutique, prévention, soins et accompagnement en gériatrie, etc.) L’Ecole de Soins infirmiers de la Croix Rouge Suisse au Lindenhof, à Berne, avait initié un « Master in Gesundheitskompetenz », élaboré par les professeures Margrit Hodel et Barbara Preusse. Suite au changement du paysage de la formation avec la création des HES, cette offre de formation postgrade et les deux professeures ont été rattachés dès 2008 à la HES santé zurichoise (ZHAW à Winterthur). Le MAS a été reconstruit sous de nouvelles appellations, par étapes successives : - CAS I Gesundheits- und Selbstmanagementkompetenzen fördern / 3 Module - CAS II Systemische Beratung im klinischen Umfeld / 3 Module = DAS in Patienten- und Familienedukation - CAS III Edukation und Changemanagement / 3 Module - + Master Arbeit = MAS in Patienten- und Familienedukation La Haute Ecole de Santé La Source offre, en coopération avec les autres Hautes écoles de santé et de travail social de la HES-SO, un DAS en Promotion de la santé et action communautaire. La Haute école de santé bernoise offre pour sa part un DAS Angehörigen- und FreiwilligenSupport. 56 e. Intégration ou décalage par rapport au contexte des écoles HES On l’a déjà évoqué, la formation HES des professions de la santé connait actuellement une tendance (mainstream) vers un renforcement de la maîtrise des sources scientifiques, des modèles et des standards de pratique basés sur l’évidence. Cette nouvelle orientation n’empêche pas la persistance d’un certain pluralisme, qui est résumé ainsi, à l’exemple de la ZHAW : - approche clinique basée sur l’évidence - approche systémique, interdisciplinaire, considérant l’individu dans sa globalité et dans les divers contextes de vie - approche de l’éducation thérapeutique et de l’empowerment - prévention et promotion de la santé - contributions concurrentes des modèles en « nursing science » et en « public health » - approche réflexive - et démarche éthique. Cette diversité d’approches, et notamment la tension entre « nursing science » et « public health », fait régulièrement l’objet de discussions internes, notamment dans le Cercle de qualité de l’Unité de recherche de la ZHAW. Les avis reçus des professeurs des deux écoles lausannoises évoquent une situation similaire, même si elle n’est pas formellement mise en discussion au sein des écoles. Il apparait cependant, sur la base d’avis souvent répétés, que les compétences en santé des patients sont une thématique assez secondaire dans l’ensemble de la formation, en contraste avec les habiletés cliniques et les sources scientifiques relatives au traitement des malades dans les institutions de soins, en particulier dans les hôpitaux de soins aigus qui sont les partenaires les plus directs des Ecoles. Ce fait est consolidé par les demandes des employeurs, qui sont également les pourvoyeurs des places de stages de formation pratique. Le quotidien de l’hôpital, à l’ère de la pression sur les coûts, de l’accélération des processus et de la pénurie de personnel soignant, laisse très peu de temps pour l’éducation thérapeutique, et encore moins pour la promotion de la santé. La prise en compte personnalisée des ressources et des attentes des patients s’en trouve très limitée. Cette réalité transparait dans les besoins de formation et aussi dans les demandes des étudiants. Même si les professeurs sont unanimement convaincus par l’importance des compétences des patients, quand bien même ils les évoquent toujours sous d’autres termes, ce sujet reste plutôt secondaire. Non pas en conflit avec d’autres matières, mais plutôt au second plan. 57 5. Analyse La transcription des réponses données par les professeurs (chapitres 4 b, c, d et e), et l’analyse des documents cadre que sont les plans d’étude et référentiels de compétence (chapitre 4 a) montrent que le thème du développement des compétences des patients et de la population est présent dans la formation des professionnels de santé. Mais cette présence est d’une part très diverse et dispersée, et en outre ne recouvre pas terme à terme la conception des « compétences en santé de la population » que défend l’OFSP dans ses textes stratégiques. L’analyse qui suit va d’abord montrer les axes de polarisation qui traversent les différentes formes que prend le développement des compétences dans le contexte des HES de la santé. a. Axe de polarisation 1 : micro vs. macro {micro} vs. {macro} Soi-même -> Patient 1/1 -> Team -> Institution -> Système de santé -> Population et société Les situations dont parlent les professeurs ainsi que les plans d’étude et référentiels de compétence, et de même la littérature qu’ils ont citée, évoquent des contextes d’intervention qui se situent sur un continuum allant de soi-même (réflexivité de l’individu et de l’étudiant) jusqu’à une approche sociétale. Selon les cas, on aborde la relation idéal-typique entre un soignant et un soigné (1/1), le colloque singulier sans contraintes institutionnelles ; ou alors on évoque une équipe soignante dans un service hospitalier, un EMS ou un centre de soins ambulatoires ; ou encore le fonctionnement institutionnel d’un établissement de santé, avec ses mécanismes structurels et interprofessionnels, voire ses partenaires dans des réseaux de soins organisés ; ou plus largement encore l’ensemble du système de santé, y inclues les institutions de l’assurance sociale par exemple. Ces situations diverses ne se différencient pas seulement pas une question d’échelle, mais par la nature des rôles et des missions qui y sont en jeu, et par les structures de pouvoir et de régulation. Il ne s’agit donc pas de la même action de « promotion des compétences en santé », et on n’envisage pas non plus les mêmes compétences. b. Axe de polarisation 2 : santé vs. maladie {santé} Promotion de la santé Protection de la santé vs. {maladie} Participation au traitement Education thérapeutique des patients Les deux pôles de la santé et la maladie définissent un deuxième axe. Certains professeurs mettent surtout l’accent sur la promotion de la santé, y compris le maintien d’une bonne santé chez les personnes avec une maladie chronique ou un handicap. Il s’agit là de mobiliser des ressources dans les déterminants de la vie quotidienne, au niveau individuel comme au niveau collectif. D’autres professeurs s’intéressent surtout à ce qui se passe « au lit du malade », dans un processus de traitement professionnel ou d’auto-soins, en mobilisant surtout les comportements de guérison et de réhabilitation, et notamment en organisant la prise en soins professionnelle de manière congruente avec ce que veut et peut le malade. 58 Même si ces deux pôles peuvent parfois se superposer, comme dans le cas de la maladie chronique et plus encore dans l’approche centrée sur la famille, en impliquant les aidants naturels, il est clair que ce ne sont pas les mêmes compétences et pas non plus les mêmes acteurs qui sont concernés. c. Axe de polarisation 3 : santé vs. société {santé} Soins, santé vs. {société} Communauté, citoyenneté, valeurs sociales Plusieurs professeurs ont inscrit leur engagement pour les compétences en santé des patients et des individus dans une démarche citoyenne, fondée sur des valeurs de participation à la communauté et à la démocratie sociale. Dans cette figure, les compétences citoyennes en santé rejoignent les compétences citoyennes en gestion de l’environnement et du cadre de vie, en éducation, en politique, dans le monde de la consommation ou de la culture, etc. Les valeurs et références et les instruments qui en découlent sont fondamentalement différents de la démarche des professeurs qui concentrent leurs efforts sur le seul champ de la santé, de la médecine ou des soins, que ce soit pour la protéger, la promouvoir ou la rétablir. d. Axe de polarisation 4 : nursing/therapy vs. psychologie/sociologie/psychanalyse {nursing/therapy} Projet de soins, plan de traitement prise en charge vs. {psychologie/sociologie/psychanalyse} trajectoires de vie, sujet, rôles sociaux intégration Les bases scientifiques mobilisées par les différents professeurs sont aussi multiples. On l’a vu au sujet de leurs références dans la littérature, ils puisent souvent à plusieurs traditions et disciplines scientifiques, et ne se sentent pas prisonniers d’un seul savoir. Néanmoins, il y a actuellement une réelle concurrence entre les concepts et théories particuliers du monde du nursing, de la physiothérapie, de la midwifery et de la médecine d’une part, et les concepts et théories des sciences sociales. Tout particulièrement, la construction récente des sciences particulières des professions soignantes tend à écarter les facteurs relevant des sciences sociales. Et inversement les spécialistes en sciences sociales dénient volontiers le caractère spécifique de ce qui se nomme aujourd’hui « sciences infirmières » et les sciences spécifiques de la physiothérapie ou du domaine des sages-femmes. Cette concurrence scientifique actuelle est très sensible dans plusieurs milieux, et notamment dans les HES. Elle se reflète dans les choix de littérature, de revues et de bases de données scientifiques. Elle peut tendre à l’exclusion ou à l’occultation des apports des autres sciences, même si les professeurs concernés sont des personnes effectivement ouvertes à plusieurs courants scientifiques. 59 e. Axe de polarisation 5 : instruments/modèles vs. philosophie, perception, posture {instruments, modèles} Assessment, diagnostic, objectifs, plans, projets, technique de communication, psychodrame vs. {philosophie, perception, posture} attitude altruiste, sens de l’action pour le client, être l’hôte du patient La manière de concrétiser l’engagement des professeurs et leur conception de la formation des étudiants au sujet des compétences en santé des patients et de la population est aussi très diverse. On retiendra à ce sujet deux positions extrêmes, entre lesquelles on peut observer tout un continuum. Certains professeurs se situent avant tout sur une position philosophique à partir de laquelle ils définissent une posture personnelle, professionnelle et didactique : il s’agit de considérer l’individu-acteur au sein de la société, de comprendre les relations de pouvoir, et de reconnaître le droit / la possibilité de chacun à participer à la définition de son parcours de vie dans toutes sortes de circonstances. L’individualité des perceptions, des objectifs de vie, des attentes dans une situation donnée, des ressources personnelles et de l’engagement à les mobiliser est une donnée essentielle. Il s’agit de la prendre en considération en respectant l’altérité (la différenciation inter-individuelle et inter-groupes) des personnes. Un monopole du pouvoir, même à un niveau sectoriel comme dans un processus de soins, est alors hors de question. De cette position découle l’obligation pour les professionnels d’intégrer, dans leur pratique, la considération de la responsabilité autonome de l’usager, y compris lorsqu’il est diminué par la maladie ou le handicap, y compris dans la prime enfance ou dans le grand âge, et y compris si la capacité d’exercer cette responsabilité est restreinte, par exemple par la démence ou la crise psychique. La tâche des professionnels est alors de faciliter autant que possible l’exercice de cette responsabilité en limitant leur propre pouvoir et en offrant des procédés facilitateurs. De cette position fondamentale découle ensuite une grande diversité de moyens d’action à mettre en œuvre, y compris dans un répertoire d’instruments clairement établis et standardisés. Pour d’autres professeurs, le focus est principalement instrumental. Partant de convictions assez similaires que ci-dessus, ils s’intéressent surtout aux instruments, à leur efficacité et à leur validité. Il s’agit de maîtriser un diagnostic des ressources et des besoins sur le plan des soins ou des compétences, il s’agit de formaliser la participation de l’usager et de l’entourage à la définition du projet thérapeutique et à ses composantes, il s’agit aussi de trouver un langage approprié pour que la communication professionnelle ait des chances à être reçue, entendue, comprise et assimilée. L’élaboration des instruments et l’apprentissage de leur utilisation passe par des exercices tels que jeux de rôles, psychodrame, écoute active, repérage des représentations et des difficultés de compréhension, mesure du niveau de compétences, etc. Selon les professeurs, ces exercices et les instruments retenus peuvent être très dirigés sur des modèles éprouvés ou alors faire place à beaucoup d’ouverture et d’inventivité. L’opposition entre ces deux démarches n’est pas fondamentale, car il y a un fonds commun de valeurs et d’engagements. Mais il est patent que la démarche choisie, notamment le point de départ et le point d’arrivée, a des effets sur l’apprentissage que peuvent faire les étudiants. En outre, le dialogue entre professeurs positionnés à des lieux différents de cet axe peut aussi être difficile. 60 f. Axe de polarisation 6 : normatif vs. paradoxal {normatif} Prescrire la participation, exiger la compliance, règles types de ‘patient centredness’, mettre les patients au travail vs. {paradoxal} croire implicitement qu’on prend en compte les besoins/demandes des patients Certains professeurs ont soulignés le fait que la participation des patients et la pédagogie de la santé peuvent revêtir des aspects très normatifs. Cela vaut aussi bien pour la promotion de la santé – par des comportements conformes – et pour l’éducation thérapeutique et la gestion de la maladie. En « mettant au travail » les patients ou les individus afin de se maintenir en santé ou de guérir, on rencontre parfois des tendances très dominantes, voire autoritaires et très peu différenciées. D’autres professeurs s’intéressent beaucoup aux perceptions subjectives ou culturelles des individus et des patients au sujet de la santé et de la maladie, et jugent par exemple nécessaire d’adapter la communication à la capacité de compréhension des destinataires. En adaptant la communication, ils permettent à l’usager de maîtriser une information considérée comme pertinente et nécessaire. Mais en se limitant à adapter des messages qui restent néanmoins univoques, ils ne peuvent entendre les demandes et les projets des individus ou des patients qui peuvent être très différents de leur projet professionnel de santé. On arrive ainsi à une situation paradoxale où l’effort pour tenir compte de l’altérité de compréhension ne laisse pas de place à l’altérité de projet ou de perspective. Ces deux exemples de « dérapages » d’une action voulant développer les compétences des individus illustrent les limites possibles d’un effort en vue de développer les compétences des patients et de la population, dont les acteurs n’ont pas eux-mêmes conscience. g. Concepts préférés pour signifier les compétences en santé En résumé, on retiendra les notions suivantes, par lesquelles les professeurs interrogés expriment leur engagement pour développer les compétences en santé de la population et des patients : - reflexivité - ressources - perceptions - écoute - histoires de vie – projets de vie - diversité culturelle, ethnique et linguistique (référence à la migration) - citoyenneté - participation - négociation - partenariat - salutogénèse - empowerment - promotion de la santé - déterminants collectifs de la santé / responsabilité individuelle 61 - santé communautaire pédagogie de la santé éducation thérapeutique compliance (!), observance, adhésion non-directivité diagnostic infirmier, diagnostic professionnel, diagnostic éducatif partenariat dans le processus de soins et traitement consentement éclairé patient centredness co-décision, co-construction family assessment implication des patients et des familles dans le plan de traitement soutien aux aidants familiaux éviter la stigmatisation, éviter le blaming the victim best practice limite de l’intervention professionnelle, limite de l’influence sur les comportements non-intervention modestie, incertitude… - et : compétences, mais dans le sens du « référentiel de compétences professionnelles » des professionnels de la santé. h. Concepts peu ou pas nommés On relèvera par ailleurs que certains termes et concepts, et certaines réalités du domaine de la santé, ont très rarement voire jamais été cités par les professeurs interrogés au cours des interviews, même si elles étaient suggérées par le guide d’entretien et l’intervieweur. C’est en tout premier lieu le cas du terme « compétences en santé », en français surtout46. Les professeurs interrogés se servent rarement ou jamais de ce terme pour recouvrir d’un concept précis et générique l’ensemble des notions qu’ils incluent dans cette perspective, et qui viennent d’être nommées au paragraphe précédent. Ils donnent la préférence à leur action en tant qu’intervenants dans le champ de la santé plutôt qu’aux ressources propres des usagers. Le terme de « health literacy » n’est pas non plus utilisé par les professeurs en question. On relèvera de manière logique que les définitions précises que donnent Dan Nutbeam et Ilona Kickbusch des compétences en santé sont ignorées de quasi tous les professeurs interrogés, à l’exception de 3 d’entre eux. Ces deux auteurs ne sont d’ailleurs pas connus d’un grand nombre des professeurs interrogés. 46 La situation est différente pour les 5 professeurs interrogés en Suisse allemande. Mais ce n’est pas peut-être une différence linguistique au premier plan, plutôt un effet de sélection. Ces 5 professeures alémaniques ont été repérées d’une part par leur participation au MAS Gesundheitskompetenz de l’Ecole de soins infirmiers du Lindenhof, dorénavant rattaché à la HES santé zurichoise (ZHAWGesundheit), d’autre part par leur partipation (soumission d’abstracts) à la Conférence suisse de santé publique d’août 2009, sous le titre Gesundheitskompetenz / Compétences en santé. Il n’est pas certain qu’un recrutement procédant de manière identique à ce qu’on a fait en Romandie aurait conduit au même résultat en terme de choix des concepts. 62 On observe par ailleurs que les notions ci-après sont très peu ou jamais employées par les professeurs interrogés : - s’orienter / naviguer dans le système de santé - inégalités (sociales) dans les compétences en santé - inégalités dans l’accès aux prestations de santé - inégalités face à la prévention et à la promotion de la santé - organisations de défense des patients - groupes d’entraide de malades ou de proches - organisations de consommateurs - droits des patients - droit à la santé, droit aux prestations de santé - e-health, portails santé, carte de santé, dossier électronique de patient - communication santé des médias - associations professionnelles (ASI, Physiosuisse, Fédération suisse des sages-femmes) - etc. Enfin, il faut relever que les professeurs interrogés se sont extrêmement peu exprimés au sujet de la manière dont la médecine – en tant que science médicale, facultés de médecine, corps professionnel, associations professionnelles, et institutions de médecine (hôpitaux, policliniques…) – se préoccupe ou non des compétences en santé des patients et de la population. L’une des professeures particulièrement engagée dans la thématique « patient centredness » fait exception, en citant expressément les développements dans ce domaine, et remarquant que la littérature de sa profession, la physiothérapie, est bien retard par rapport aux réflexions faites dans la littérature médicale et les réseaux médicaux spécialisés. Pour l’ensemble des autres, le territoire de la médecine est – volontairement ou involontairement – occulté et ses préoccupations sur ce sujet ignorées. 63 6. Tendances générales A l’issue de l’analyse, on retiendra les faits principaux suivants : a. Orientation vers les compétences en santé des patients et de la population Il est évident qu’un nombre important de professeurs des écoles des professions de la santé de niveau HES en Suisse sont sensibilisés et fortement engagés pour développer, à travers la formation des futurs professionnels, les compétences en santé de la population et des patients. On ne saurait généraliser cette observation à l’ensemble des professeurs, car notre échantillon était volontairement orienté vers les personnes sensibilisées. Mais on peut supposer que cet engagement des professeurs est assez largement répandu, bien au-delà des personnes que nous avons interrogées. Elles en ont témoigné en parlant de leurs collègues. On peut aussi supposer que ce qui a été observé à Lausanne (HECVsanté et HEdS La Source), à Berne (BFHGesundheit) et à Winterthur (ZHAW-Gesundheit) se trouve de manière approchante dans les autres hautes écoles des professions de santé HES en Suisse, et probablement aussi dans les écoles de soins infirmiers de niveau ES. Une partie importante des professeurs HES interrogés étaient d’ailleurs précédemment des professeurs dans le régime ES, et le fond de pensée qu’ils révèlent n’est pas directement relié au statut et au niveau actuel des écoles des professions de santé. Certes, des tendances nouvelles apparaissent dans les HES en lien avec l’exigence accrue de bases scientifiques, mais cela n’influence pas de manière déterminante les orientations constatées chez les professeurs. b. Diversité des orientations, polarisations et convergences Il faut constater que les orientations des professeurs révèlent une très grande diversité, qu’il s’agisse - du niveau individuel ou sociétal où se situe le focus de leur pensée et leur action en matière de compétences en santé, - de la focalisation sur la santé ou sur la maladie, autrement dit sur la promotion de la santé ou sur le processus de traitement et de soins, - de la concentration sur des aspects de santé ou de l’élargissement à une perspective sociale et de citoyenneté dans tous les domaines - de la référence aux sciences spécifiques des domaines professionnels en santé ou de l’appui sur les sciences sociales et humaines - de la concentration sur des instruments et des processus professionnels particuliers ou plutôt de la clarification d’une posture dans le rapport aux acteurs et aux usagers - d’une attitude finalement normative qui instrumentalise la participation des patients et les comportements de la population, ou d’une dérive communicationnelle parfois trop ciblée sans prise en compte de l’altérité des besoins et des objectifs. Ces différents axes de polarisation, et on pourrait en repérer encore d’autres, montrent bien les différences dans les orientations choisies, mais montrent également la richesse intrinsèque du discours et de la pratique de chaque professeur, qui ne peut jamais être caractérisé par une position simpliste. La prise en compte des compétences des individus et des patients exige une ouverture vers l’altérité, la différence des perceptions, des objectifs, des préférences, des 64 comportements et des ressources. La rencontre entre les interventions professionnelles (diverses elles aussi) et les conduites des usagers du système de santé se fait en effet à des niveaux très divers. Au-delà des différences ou divergences, on découvre néanmoins une très forte convergence sur des valeurs semblables de respect, de partage, de citoyenneté et d’autonomie, qui dépassent l’expertise et les savoir-faire professionnels. Les professeurs reflétés par la présente étude constituent une force d’argumentation pour faire comprendre l’importance des compétences des individus et des patients à leurs étudiants et donc aux futurs professionnels. c. Importance dans la formation des futurs professionnels de santé Les aspects explorés ici sont l’un des piliers de la formation aux professions de la santé. Les développements de ces 20-30 dernières années en ont fait une dimension essentielle de l’éthique professionnelle et du savoir-faire. D’autres tendances s’imposent aussi dans la conception des programmes et contenus de formation, qui peuvent venir concurrencer l’orientation vers les compétences en santé des patients et individus. La technicité des soins et des thérapies, le souci de la vérification scientifique, l’adaptation aux conditions de travail dans les institutions de santé, l’évolution des conceptions pédagogiques, etc. Les programmes de formation aux professions de santé ont subi un nombre incroyable de changements au cours des 20 dernières années, sous l’effet des nouvelles dispositions constitutionnelles et légales, des réformes de la formation supérieure sur le plan international, mais aussi sous l’effet des changements de conceptions pédagogiques. Simplement dit, on n’enseigne plus des matières mais on développe dorénavant des méthodes et des compétences. Dans ce renversement de perspective, les valeurs représentées par l’orientation pour les compétences en santé de la population et des patients n’ont pas disparu, mais sont parfois moins visibles ou lisibles. Il pourrait être pertinent de nourrir un débat permanent entre les différentes composantes des programmes de formation et entre les thématiques et valeurs abordées. d. Obstacles La prise en compte des compétences des patients et des individus n’est pas la première priorité de programmes de formation des professionnels de la santé, qui développement traditionnellement des capacités d’intervention dans les soins et les traitements. Elle fait néanmoins partie au plus profond du concept de « diagnostic infirmier » et de « projet de soins » depuis le début de la professionnalisation de ce domaine au XIXème siècle, et a été ravivée dans les théories infirmières de la deuxième moitié du XXème siècle. Le développement des autres professions et de leurs savoirs propres a connu les mêmes évolutions, et s’est aussi construit dès l’origine sur un partenariat avec les usagers. Aujourd’hui cependant, la pression technique, scientifique, économique et organisationnelle sur les professions de la santé rend difficile la prise en compte des compétences des patients et le partenariat dans les processus de soins. Cet aspect devient parfois « irréel » si l’on 65 considère les conditions de travail dans les lieux de stage pratique en soins aigus. Les étudiants ont aussi parfois de la peine à rendre concret ce qui leur paraît être une abstraction. Et la difficulté à en évaluer facilement et précisément les résultats ajoute au caractère insaisissable de cet aspect. La comparaison avec les évidences scientifiques documentées dans d’autres domaines de la médecine, des soins et des thérapies est parfois difficile à tenir. Une autre difficulté serait à voir dans l’hétérogénéité des positions décrites ci-dessus, et l’absence de réseaux de débat permanent entre les différentes tendances et pratiques. Les professeurs rencontrés ne savent souvent pas précisément ce qu’enseignent leurs collègues et comment cela s’inscrit dans un programme d’ensemble. Ils connaissent aussi peu les personnes intéressées à la même démarche dans les écoles similaires à l’intérieur de la Suisse. Enfin, les changements successifs de programmes de formation, de référentiels de compétences, de statut des écoles et des enseignants, etc. a épuisé les enseignants et a apporté une incertitude permanente sur la durabilité des matières enseignées et des modalités de formation. Il est à craindre que cette « valse » des programmes ne se prolonge encore quelques années, au vu des rapprochements entre écoles et de l’adoption d’un référentiel nouveau selon le rapport de la KFH (cf. chapitres 2 f et 4 a). e. Opportunités On pourrait cependant justement saisir l’opportunité de ces changements de programmes pour réexaminer en profondeur ce qu’implique l’orientation de la formation vers le développement des compétences en santé de la population et des patients. Pour cela il faudrait qu’une intention forte soit exprimée au sein des Hautes écoles et un dialogue avec les autres acteurs intéressés, notamment l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT), l’Organisation du monde du travail dans le domaine de la santé (ODAsanté), la Conférence des directeurs cantonaux de la santé (CDS) et les organisations de patients ou de consommateurs. L’OFSP, dans sa stratégie nationale pour développer les compétences en santé de la population, pourrait opportunément prendre cette initiative. On a rendu compte au cours de cette étude de plusieurs projets réunissant des Hautes écoles et des institutions de soins, notamment des hôpitaux. On pense par exemple au centre de compétence universitaire en éducation thérapeutique des HUG à Genève ou à la difusion du modèle de Familienzentrierte Betreuung und Pflege initié à l’Hôpital du Lindenhof. D’autres projets pourraient être cités. On en retiendra que l’élaboration d’une bonne pratique (best practice) exige la coopération entre l’expertise, les responsables des services, les collaborateurs membres de plusieurs professions, les enseignants et les chercheurs. Cette forme de développements est particulièrement riche pour le domaine qui nous intéresse ici. On devrait voir dans quelle mesure l’OFSP ou la CDS souhaitent favoriser de telles initiatives à une échelle plus large que locale. La mise en place des formations postgrade HES de niveau CAS, DAS et MAS est aussi une opportunité importante pour diffuser des connaissances, compétences et expertises professionnelles dans le champ qui nous intéresse. Il importera de vérifier l’impact de ces formations postgrades offertes notamment à Lausanne et à Winterthur. 66 La recherche scientifique est également un facteur important pour que des pratiques jusqu’ici assez floues et diverses soient évaluées et approfondies. Les travaux scientifiques récents concernant les compétences en santé se sont toutefois plutôt orientés vers la description du niveau de compétences de la population, et moins intéressés aux processus qui favorisent l’exercice de ces compétences. Ce serait là aussi une initiative à prendre par les instances de politique de santé, afin d’inciter à mener des recherches dans le champ décrit par cette étude. Il s’agirait alors d’explorer aussi comment les médecins sont formés, comment les institutions de santé sont engagées, et comment les organisations de malades peuvent aussi être mieux impliquées. Une dernière opportunité est à voir dans la mise en place d’un réseau suisse « Allianz Gesundheitskompetenz »47 qui réunit des acteurs publics et privés, des chercheurs, des praticiens, des formateurs. 47 Voir les efforts de Promotion santé suisse, OFSP, CDS, MSD, ISPM Zurich, etc. : http://www.gesundheitsfoerderung.ch/pages/Gesundheitsfoerderung_und_Praevention/Programme_P rojekte/allianz_gesundheitskompetenz.php?lang=f 67 7. Conclusions et recommandations A l’issue de la présente recherche exploratoire, on peut tirer les conclusions et recommandations suivantes : - Le cadre de référence stratégique de l’OFSP pour le domaine de la promotion des compétences en santé a mis opportunément le doigt sur la place de la recherche et de la formation professionnelle. Ce sont en effet deux secteurs particulièrement importants à mobiliser si l’on veut améliorer la prise en compte des compétences en santé de la population. La présente recherche exploratoire a permis de constater que le thème des compétences en santé est bel et bien présent dans la formation des futurs professionnels, mais que cet axe est très peu documenté. - Le cadre conceptuel avancé par l’OFSP, à partir des définitions et des recommandations de Nutbeam et Kickbusch, relayés par de nombreux experts en santé publique, est très peu connu lorsqu’on quitte le champ de la santé publique. L’hypothèse avancée par l’OFSP qui verrait sa conception se diffuser progressivement comme dénominateur commun dans l’ensemble de la Suisse n’est pas confirmée. Cela ne veut pas dire que les acteurs des autres champs que celui de la santé publique, en particulier ici le champ de la formation aux professions de santé, ne seraient pas engagés pour développer les compétences en santé, mais ils le font à partir qu’une grande diversité de concepts, de théories, de références et d’expériences scientifiquement documentées. La prise en compte de cette pluralité d’approches et de concepts, et aussi de la pluralité des formes de mise en œuvre serait un enrichissement pour l’élaboration d’un projet de stratégie nationale par l’OFSP. En sens inverse, il serait opportun de faire mieux connaître les efforts de l’OFSP dans ce domaine aux différents milieux professionnels et de ne pas se restreindre au champ des acteurs en santé publique déjà impliqués. L’ouverture d’un large débat serait aussi pertinente. - L’autre hypothèse avancée par l’OFSP, selon laquelle il y aurait surtout un fossé de conception entre la Suisse romande et la Suisse alémanique n’est pas non plus confirmée. Il y a plutôt une très grande diversité de conceptions. Néanmoins, il est vrai qu’il y a peu d’échanges entre les deux grandes régions linguistiques, et que le dialogue et le réseautage entre les acteurs engagés dans ce domaine sont à favoriser, comme l’a fait notamment la Conférence suisse de santé publique en août 2009. - Les Hautes écoles du domaine de la santé, de même que les Ecoles professionnelle supérieures (formation ES des infirmières) et les Facultés de médecine, devraient être encouragées à mener un débat ouvert sur leurs orientations, leurs références, et leur pratique dans le champ des compétences en santé de la population et des patients. La présente étude exploratoire montre que ce sujet ne fait pas l’objet de grands débats et que des lignes parallèles se côtoient sans beaucoup dialoguer. Pour l’efficacité de cette orientation, il serait préférable d’ouvrir une discussion approfondie, en y faisant participer la théorie, la recherche scientifique, la pédagogie, la formation pratique et l’exercice dans les institutions de santé. Il serait maladroit de limiter cette discussion à un seul groupe de professions, par exemple les professions de santé HES, car la 68 question est clairement interprofessionnelle. Une telle discussion pourrait être rattachée par la bande aux discussions actuellement conduites entre l’OFSP et l’OFFT au sujet de l’opportunité de légiférer sur les professions de santé non universitaires, mais en faisant le lien avec ce qui concerne les professions médicales universitaires. Un lien avec les efforts conjoints de l’Académie suisse des sciences médicales de la FMH et de l’ASI sur les rôles du médecin et du soignant de demain serait aussi pertinent. - Au sein des Hautes écoles, et notamment des 4 Hautes écoles où cette étude exploratoire a été menée, il serait également pertinent de promouvoir une discussion approfondie sur ces questions. - Les observations faites ici ont montré la diversité des approches, mais aussi leur imbrication « en filigrane » dans l’ensemble des curricula de formation. Il est donc difficile d’identifier quelle séquence de formation particulière peut avoir quelles conséquences sur les savoirs et savoir-faire des futurs professionnels. Une approche des fondements scientifiques et professionnels principaux de la formation pourrait permettre de mieux connaître l’impact des diverses tendances actuelles de la formation sur les compétences des futurs professionnels. - L’approche des compétences en santé des individus implique le risque d’un regard porté trop exclusivement sur la dimension individuelle et sur les processus de prise en soins individualisés, en négligeant le regard sur les déterminants sociaux, économiques, culturels et structurels des compétences en santé de la population, et audelà l’impact sur les résultats de santé. Il serait important de ne pas focaliser exclusivement l’attention sur ce qui se fait directement dans des processus interindividuels, et de garder en parallèle une démarche de santé publique qui regarderait les choses au niveau des populations. - Enfin, il y a une opportunité à faire converger les efforts de stratégie, de recherche, de discussion, de promotion et d’évaluation en Suisse dans le cadre d’un réseau, tel que l’Allianz Gesundheitskompetenz. Ce regroupement d’intérêts peut être porteur d’une réflexion interinstitutionnelle et interprofessionnelle particulièrement favorable pour ce sujet. Ph. Lehmann, 13 novembre 2009 69 Annexes a. Tableau des professeurs interrogés No Formations HECV santé, Lausanne 1 ♀M Infirmière CF 2 ♀A Infirmière G 3 ♂JP Infirmier M + Education des patients Infirmier 5 ♂Y D ♀CB 6 ♀PD 7 ♀M PP ♀PP Infirmière, + Sciences sociales + Ressources humaines Sage-femme + Sciences de la santé Sage-femme + Sciences de l’éducation + Thèse en anthropologie en cours Physiothérapeute 4 8 9 ♀M T 10 ♀VS Infirmière Physiothérapeute + Thèse en Physiothérapie en cours HEdS La Source, Lausanne 11 ♀JW Infirmière + Dr Education de la santé 12 ♀M P Infirmière en psychiatrie + DHEPS 13 ♀ED 14 ♀M S Infirmière + Santé publique + Sciences éducation + IDHEAP politiques publiques Infirmière en pédiatrie + Infirmière du travail + Lic. Santé au travail Domaines d’activité Enseignement Bachelor Soins infirmiers, prévention et promotion de la santé Enseignement Bachelor Soins infirmiers, santé communautaire Enseignement Bachelor Soins infirmiers, prévention et promotion de la santé, éducation thérapeutique Responsable des programmes de formation Bachelor Soins infirmiers Enseignement Bachelor Soins infirmiers, prévention et promotion de la santé Responsable admissions en formation Bachelor Soins infirmiers Enseignement Bachelor Sage-femme, santé publique, santé communautaire Enseignement Bachelor Sage-femme Recherche Responsable des programmes de formation Bachelor Physiothérapie Enseignement Bachelor physiothérapie : analyses de situation, théorie Enseignement Bachelor Physiothérapie Recherche sur négociation des objectifs de traitement avec les patients Enseignement Bachelor Soins infirmiers : Santé communautaire, théories Enseignement DAS Santé communautaire Enseignement Bachelor Soins infirmiers : gérontologie Enseignement DAS Gérontologie Enseignement Bachelor Soins infirmiers : système de santé, politique de santé et politique sociale Enseignement DAS santé communautaire / santé scolaire Enseignement Bachelor Soins infirmiers : santé au travail Enseignement CAS Santé au travail Infirmière du travail 70 15 ♀IJ Infirmière + Sciences de l’éducation + Sciences du travail ZHAW Gesundheit, Winterthur 16 ♀M Infirmière H + Psychologie et organisation du travail 17 18 19 ♀RN Infirmière Master Public Health ♀BP Infirmière + Master Pflegewissenschaft ♀M S Sage-femme + Pedagog. Ausbildung + Master Hebamme / Management BFH Gesundheit, Berne 20 ♀SH Infirmière + Master Nursing + These en cours Enseignement Bachelor Soins infirmiers : santé communautaire, analyse du travail Enseignement Bachelor Soins infirmiers, développement des programmes Responsable CAS DAS, MAS Gesundheitskompetenz / Patienten- und Familienedukation Responsable MAS Gerontologie Développement MAS Pädiatrie Enseignement Bachelor Soins infirmiers : Prévention I II III + GesFörd. Enseignement DAS Familienzentrierte Pflege/Betreuung Studiengangleiterin Hebamme Forschungsleiterin Bereich Pflege Enseignement Bachelor Soins infirmiers 71 b. Présentation faite à la Conférence suisse de Santé publique Formation aux professions de santé et développement des compétences en santé de la population Philippe Lehmann Swiss Public Health Conference 28 août 2009 Recherche exploratoire réalisée sur mandat et avec le financement de l’Office fédéral de la santé publique, Unité Politique de la santé qu’il en soit remercié. 2 Ph. Lehmann 28 août 2009 72 Contexte du mandat de recherche Selon le concept stratégique de l’OFSP « Développement des compétences en santé de la population et des patients » le développement des compétences en santé devrait être promu activement par de nombreux acteurs du système de santé en Suisse. Il manque cependant un cadre d’ensemble à ce développement et des exemples concrets pour sa mise en œuvre par les acteurs concernés. Le secteur de la formation est particulièrement appelé à fournir une contribution. Notamment la formation aux professions de santé. Question: quelle est la pratique actuelle dans les écoles des professions de santé? 3 Ph. Lehmann 28 août 2009 Délimitation du champ d’étude Education… Famille… Elèves Futurs professionnels Ecoles HES, PEC, Modules, Professeurs Compétences en santé des patients et des individus Médecine… Droit, social, culture… 4 Médias… Ph. Lehmann 28 août 2009 73 Méthode exploratoire Interviews qualitatives sur les références théoriques et les pratiques d’enseignement 20 professeur/e/s de HES à Lausanne (HECVsanté et La Source), Berne (BFHGesundheit) et Winterthur (ZHAW-Gesundheit), soins infirmiers, sages-femmes, physiothérapeutes Analyse des discours et des modèles Travaux de fin d’études Bachelor Rapport sept. 2009 5 Ph. Lehmann 28 août 2009 5 champs de compétences en santé développer les compétences des individus à savoir se soigner soi-même et à soigner leurs proches (autodiagnostic, automédication, auto-traitement) développer les compétences des patients à participer au traitement professionnel qui leur est apporté (consentement, choix, observance, compliance…) développer les compétences des individus à recourir aux moyens du système de santé (choix du médecin, de l’hôpital, etc. + utilisation des assurances sociales) développer la compétence des individus à comprendre les informations relatives à la santé, à la maladie, à la médecine, etc. (health literacy) développer les compétences des individus à se maintenir en santé / à promouvoir leur santé 6 Ph. Lehmann 28 août 2009 74 Autres questions Quelles sont vos références basiques de ce domaine ? Quelles sont les avancées dans ce domaine ? Y a-t-il aussi des régressions? Comment procédez-vous pour enseigner ces capacités ? Cet aspect de la formation de base est-il ou non en décalage avec le reste de l’enseignement des soins infirmiers etc. ? Avez-vous l’impression que « ça passe bien » ou que ça se heurte à une résistance? 7 Ph. Lehmann 28 août 2009 Extraits du Plan d’étude cadre HES-SO Soins infirmiers : Compétences génériques (2007) Le but de la pratique infirmière consiste à rendre la personne (famille, groupes, collectivités) apte à prendre en charge sa santé selon ses capacités et les ressources que lui offre son environnement. L’offre en soins infirmiers s’élabore dans un partenariat avec un-e client-e, une clientèle, une équipe de travail, un réseau… concevoir une offre en soins en partenariat avec la clientèle, inscrite dans une démarche de soins appréhender la complexité de l’intégration de l’histoire et du contexte de vie de la clientèle dans l’analyse de la situation et la détermination du projet de soins maîtriser des stratégies d’interventions différenciées et créatives (éducatives, de promotion de la santé…) dans la gestion des situations rencontrées 8 Ph. Lehmann 28 août 2009 75 PEC HES-SO Soins infirmiers, suite intégrer dans chaque situation relationnelle les caractéristiques propres à la clientèle concernée (âge, état de santé, situation sociale, culture, etc.) s’impliquer personnellement dans le respect de l’altérité du client accompagner le client dans la construction du sens de l’expérience vécue promouvoir la santé et accompagner la clientèle dans son processus de gestion de la santé accompagner la clientèle dans la clarification de ses demandes et dans la recherche et le choix de solutions orienter et motiver la clientèle dans ses démarches et son utilisation du système de santé 9 Ph. Lehmann 28 août 2009 Axes de polarisation - 1 {micro} Soi-même -> Patient 1/1 -> Team -> Institution -> Système de santé -> Population et société {macro} {santé} Promotion de la santé {santé} Soins, santé vs Education thérapeutique des patients {maladie} vs Communauté, citoyenneté, valeurs sociales {société} 10 Ph. Lehmann 28 août 2009 76 Axes de polarisation - 2 {nursing/therapy} Projet de soins, plan de traitement, prise en charge vs trajectoires de vie, sujet, rôles sociaux, intégration {psychologie/sociologie/psychanalyse} {instruments, modèles} Assessment, diagnostic, objectifs, plans, projets technique de communication, psychodrame vs attitude altruiste, sens de l’action pour le client, être l’hôte du patient {philosophie, perception, posture} {normatif} Prescrire la participation, exiger la compliance, règles types de ‘patient centredness’, mettre les patients au travail vs croire implicitement qu’on prend en compte les besoins/demandes des patients {paradoxal} 11 Ph. Lehmann 28 août 2009 Concepts préférés Promotion de la santé, salutogénèse Globalité, systémique, bio-psycho-social Déterminants de la santé, vulnérabilité Responsabilité personnelle, ‘Health belief model’ Santé communautaire, communauté et citoyenneté Projet de soins infirmiers, diagnostic infirmier / éducatif Patient partenaire, ‘patient centredness’, ‘family model’ Participation à la décision et au traitement, négociation, empowerment, choix éclairé, écoute Education thérapeutique, soutien aux aidants familiaux Limite de l’intervention professionnelle, limite de l’influence sur les comportements Culture, multiculturalité, sociologie clinique, histoire de vie Eviter la stigmatisation des personnes sans compétences 12 Ph. Lehmann 28 août 2009 77 Concepts très peu ou pas évoqués Compétences en santé Literacy Compétence fonctionnelle -> interactive -> critique I. Kickbusch, D. Nutbeam Compétence collective (vs individuelle), ressources pour les compétences en santé S’orienter dans le système de santé (sauf sortie d’hôpital) E-Health, internet, dossier/carnet de santé, médias Organisation de patients, de malades, groupes d’entraide, org. de consommateurs Inégalités sociales face à la santé et à la maladie, face au système de santé; inégalités des compétences en santé ……. 13 Ph. Lehmann 28 août 2009 Méthodes de formation Apprentissage par problème, par situations emblématiques, pratiques simulées, jeux de rôles Réflexivité, travail sur soi-même, entretien motivationnel Echanges de savoirs, transfert/contre-transfert Analyse concepts, chartes, théories (intermédiaires) Manuels de référence: éducation à la santé, éducation thérapeutique, compétence/science infirmière Préparation de situations de stage, bilan de stage Analyse transactionnelle, coping, Modèles: Perception de la maladie, Prohaska, ‘geplantes Verhalten’, ‘Selbstwirksamkeit’, ‘Precede-Proceed’ Compétence critique à réfléchir et analyser les pratiques professionnelles (vs. contenus spécifiques) ……. Ph. Lehmann 28 août 2009 14 78 Obstacles, tendances contraires Concepts abstraits, approche théorique (vs. soins 1/1) Orientation prioritaire vers les habiletés opérationnelles, situations d’hôpital/EMS, besoins du marché du travail Nursing sciences, EB nursing / midwifery / physiotherapy Programmes en changement continu, tout change Pas de priorité dans le terrain des stages (hôpital), résistance de la pratique, de la médecine, pas de postes Patients qui demandent un paternalisme médical Pas d’évaluation des résultats, difficile de savoir ce qui est efficace Pas de réseau de référence et de partage Discours normatif et paradoxal (les professionnels savent ce que devraient penser les patients/individus) Les soignants ne savent pas se soigner eux-mêmes…! 15 Ph. Lehmann 28 août 2009 Opportunités Plans d’étude cadre de la formation Bachelor (selon Compétences finales, rapport OFFT) Projets partagés entre écoles et institutions (cf. Lindenhof: familienzentrierte Betreuung und Pflege) Formation post-grade CAS DAS MAS (ZHAW, BFH, HEdS La Source) Recherche (BFH) Allianz Gesundheitskompetenz Schweiz 16 Ph. Lehmann 28 août 2009 79 Best practice Best Practice = - das Bestmögliche praktisch anbieten - welches Modell: zB salutogenetisch - aktuelles Wissen (EB) + interdisziplinär - in welchem Kontext (was will die Frau) - welche Werte (haben die Frau + die Hebamme + prägt das eigene Verhalten der Hebamme) - Werte der Dozentin Gezielte und reflektierte Nicht-intervention 17 Ph. Lehmann 28 août 2009 Conclusions et recommandations Echanger entre les diverses approches et les métiers (soins / santé publique) Clarifier des contenus de référence: PEC, compétences (inter-)professionnelles, ‘best practice’ Développer des concepts et modèles -> compétences collectives, communautaires, structures/ressources Elargir le focus à la formation en médecine, à la pratique en hôpital et en spitex Elargir le focus à la formation scolaire, médias, internet Essayer de mesurer comment + combien les compétences des patients/individus peuvent être efficaces pour leur santé (pas seulement pour diminuer les coûts) Ne pas tout focaliser sur l’individu / public health = population (conditions cadre nécessaires) Structure de réseau: Allianz Gesundheitskompetenz 18 Ph. Lehmann 28 août 2009