Coûts sociaux de la transition. Une analyse comparative entre le

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iuédgenève
institut universitaire
graduate institute
d’études du développement
of development studies
Etudes courtes
Coûts sociaux de la transition.
Sculpture en céramique et photos de Claude Albana Presset, Rivière, 2004.
Une analyse comparative entre
le Kirghizistan et l’Ouzbékistan (1991-2001)
Altynay ABDIEVA SCHUET
Etudes courtes no 8
ETUDES COURTES
nº 8
Coûts sociaux
de la transition
Une analyse comparative entre
le Kirghizistan et l’Ouzbékistan
(1991-2001)
Altynay ABDIEVA SCHUETZ
© IUED, novembre 2005
CHF 12.–
INSTITUT UNIVERSITAIRE D’ÉTUDES DU DÉVELOPPEMENT
Service des publications
Case postale 136 – CH-1211 GENÈVE 21
http://www.iued.unige.ch – [email protected]
Mémoire de diplôme d’études approfondies en études du développement,
présenté en août 2004
Directeur de mémoire : Mohammad-Reza DJALILI
Jury : Jean-Luc MAURER
Les idées exprimées dans la collection des Etudes courtes ne reflètent pas nécessairement
celles de l’Institut universitaire d’études du développement (IUED).
Table des matières
Carte de l’Asie centrale
7
Introduction
9
I. Les Etats d’Asie centrale :
de l’histoire précoloniale à la fin de l’époque soviétique
L’espace et la population d’Asie centrale avant la colonisation russe
La conquête russe et l’inclusion dans l’Union soviétique
Le modèle économique du système soviétique en Asie centrale
La politique sociale et le niveau de vie de la population
II. Le processus de transition : quelle voie emprunter ?
La transition ou les transitions
La thérapie de choc
L’approche graduelle
La mondialisation et son impact
Le processus de la transition en Asie centrale
Le Kirghizistan
L’Ouzbékistan
III. Des principaux facteurs de détérioration des conditions de vie
au Kirghizistan et en Ouzbékistan
Le développement économique
La croissance ou la décroissance
La redistribution sectorielle de l’emploi
Le taux d’inflation et les salaires réels
Le chômage et le secteur informel
La balance des paiements
Les flux des investissements et l’aide publique au développement
L’endettement
La privatisation et les réformes agraires
La privatisation de l’agriculture
La privatisation agricole au Kirghizistan
Les réformes agraires en Ouzbékistan
La politique sociale
IV. Les conséquences sociales de la transition au Kirghizistan et en Ouzbékistan
L’évolution de la pauvreté
La pauvreté au Kirghizistan
La pauvreté en Ouzbékistan
L’évolution des inégalités de revenu
Les inégalités au Kirghizistan
Les inégalités en Ouzbékistan
Les indicateurs du développement humain
Les soins de santé
Les indicateurs de l’éducation
En guise de conclusion
11
11
12
13
15
19
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60
62
63
5
V. Les relations entre les stratégies choisies et les conséquences sociales
Le cas du Kirghizistan
La stabilisation macroéconomique
La libéralisation
La privatisation
Le cas de l’Ouzbékistan
Bilan
VI. Les perspectives
65
65
65
65
66
66
67
69
La population face aux changements
72
Conclusion
73
Bibliographie
75
Tableaux
Tableau 1.
Tableau 2.
Tableau 3.
Tableau 4.
Tableau 5.
Tableau 6.
Tableau 7.
Tableau 8.
Tableau 9.
Tableau 10.
Tableau 11.
Tableau 12.
Tableau 13.
Tableau 14.
Tableau 15.
Tableau 16.
Tableau 17.
Tableau 18.
Tableau 19.
Tableau 20.
Tableau 21.
Tableau 22.
Tableau 23.
Tableau 24.
6
Deux conceptions de la transition
Taux de croissance du PIB au Kirghizistan et en Ouzbékistan,
1990-2001
Redistribution sectorielle de l’emploi au Kirghizistan
et en Ouzbékistan, 1990,1995, 2000
Taux d’inflation au Kirghizistan et en Ouzbékistan, 1990-2001
Variation du salaire réel au Kirghizistan et en Ouzbékistan, 1989-2000
Taux de chômage au Kirghizistan et en Ouzbékistan, 1992-2001
Balance des paiements au Kirghizistan et en Ouzbékistan, 1991-2001
Investissements directs étrangers (1989-2000) et aide publique
au développement (1998 et 2001) au Kirghizistan et en Ouzbékistan
Dette extérieure du Kirghizistan et de l’Ouzbékistan, 1994-2000
Dépenses réelles dans les secteurs de l’éducation et de la santé
au Kirghizistan et en Ouzbékistan
Dépenses de l’Etat pour l’éducation, la santé et les retraites
au Kirghizistan et en Ouzbékistan
Pauvreté de revenu au Kirghizistan et en Ouzbékistan
Pauvreté au Kirghizistan, 1989-2000
Taux de pauvreté dans les régions du Kirghizistan, 1998
Sources de revenu des ménages kirghiz, 2001
Taux de pauvreté en Ouzbékistan, 1997-2000
Sources de revenu des ménages ouzbeks, 1996-1999
Evolution de l’indice de Gini au Kirghizistan, 1989-2001
PIB annuel par habitant en PPA des régions du Kirghizistan,
1996-1999
Indice de Gini basé sur le revenu salarial en Ouzbékistan, 1991-2001
PIB annuel par habitant en PPA dans les régions
de l’est de l’Ouzbékistan, 1999
Indicateurs du développement humain au Kirghizistan
et en Ouzbékistan
Indicateurs de santé en Ouzbékistan et au Kirghizistan
Indicateurs de l’éducation au Kirghizistan, 1989-2001
23
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62
Carte de l’Asie centrale
7
8
Introduction
Suite à la dissolution de l’Union soviétique en 1991, cinq nouvelles républiques
indépendantes, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le
Turkménistan, sont apparues en Asie centrale. Ces pays, comme les quinze autres Etats
issus de l’URSS, se sont lancés dans des changements politiques, économiques et
institutionnels de leurs systèmes. Ces changements ont eu des conséquences socioéconomiques majeures : effondrement de la production, baisse de l’emploi et du niveau
des salaires réels, diminution des dépenses publiques, appauvrissement de la
population, accroissement des inégalités et détérioration du niveau de vie. Chacun de
ces pays a choisi un chemin différent et connaît divers degrés de déclin économique et
social.
Le Kirghizistan et l’Ouzbékistan, comme leurs trois autres pays voisins d’Asie
centrale, étaient complètement intégrés dans le système politique et économique de
l’Union soviétique. D’ailleurs, ils avaient été constitués en entités politiques par les
planificateurs soviétiques pendant les années 1920. La désintégration de ces multiples
réseaux soviétiques fut très douloureuse pour les nouvelles républiques centreasiatiques qui n’avaient même pas revendiqué leur indépendance. Dès lors, elles
durent assumer seules les multiples héritages du passé, leurs transformations
politiques et socio-économiques et l’intégration dans l’espace géostratégique mondial.
Dans ce contexte du passage vers l’économie de marché, les pays d’Asie centrale
ont connu une grave crise sociale, qui s’est traduite par une précarisation des
conditions de vie et par une fragmentation de la société. Bien que l’Ouzbékistan et le
Kirghizistan aient été soumis à la même pression pour adopter une économie de type
néoclassique, chaque pays a connu son propre rythme dans le processus de transition ;
le contenu des réformes effectuées a aussi varié de l’un à l’autre. L’Ouzbékistan a
choisi l’approche du passage graduel à l’économie de marché, tandis que le
Kirghizistan a adopté le programme radical qu’est la « thérapie de choc » conçue et
préconisée par les instances économiques mondiales.
Ce travail a pour but d’explorer dans quelle mesure les réformes politiques et
économiques menées par le Kirghizistan et l’Ouzbékistan ont entraîné des
répercussions sociales sur la population de ces deux pays pendant la première
décennie de la transition. Deux questions principales guident ce travail : Quelles sont
les conséquences sociales majeures des dix premières années de la transition (19912001) sur les sociétés du Kirghizistan et de l’Ouzbékistan ? Jusqu’à quel point peut-on
comprendre ces conséquences sociales comme des résultats des deux stratégies
choisies ?
Il ne s’agit pas de juger les choix politiques, économiques et stratégiques
effectués par l’Ouzbékistan et le Kirghizistan, mais de tenter de mesurer leur impact
sur les conditions sociales à travers le champ d’une analyse historico-comparative.
L’étude se concentre sur la première décennie du processus de transition pour pouvoir
reconstituer les changements socio-économiques survenus et ainsi atteindre une
meilleure compréhension des interrelations entre les stratégies, les facteurs de
changement et les conséquences sociales. Elle se base sur des données statistiques, des
rapports économiques et des livres théoriques, tout en gardant à l’esprit que derrière
ces statistiques se trouvent de multiples vécus personnels.
9
Le premier chapitre retrace le parcours historique des pays d’Asie centrale et leur
développement politique, économique et social alors qu’ils faisaient partie du système
soviétique. Le deuxième chapitre est consacré aux multiples facettes de la notion de
transition et montre les traits principaux du processus de transition au Kirghizistan et
en Ouzbékistan. Dans le troisième chapitre sont traités les facteurs majeurs susceptibles
d’avoir influencé les changements des conditions sociales, puis, dans le chapitre
suivant, la conséquence de la période de transition sur le bien-être de la population.
Les deux derniers chapitres sont construits autour d’une réflexion, d’abord sur
l’éventualité d’un lien entre les stratégies mises en œuvre par l’Ouzbékistan et le
Kirghizistan et les réalités sociales observées dans ces deux pays, et ensuite sur des
problèmes socio-économiques récents qui nous permettent de dégager quelques
perspectives de ce que pourrait être le développement futur de ces pays.
10
I. Les Etats d’Asie centrale :
de l’histoire précoloniale à la fin de l’époque soviétique
Tout d’abord, un bref parcours historique dans ce chapitre permettra de retracer la
trajectoire de cinq nouveaux Etats sur l’espace de l’Asie centrale. Ensuite, il s’agira
d’explorer leur développement pendant la période soviétique pour restituer leurs
multiples héritages dans les domaines politique, économique et social.
L’espace et la population d’Asie centrale avant la colonisation russe
Aujourd’hui, le terme d’« Asie centrale » s’applique de façon étroite à la région
occupée par cinq ex-républiques soviétiques, maintenant indépendantes : le
Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan. C’est
ainsi que nous entendrons ce terme dans le présent travail. Pourtant, dans un sens plus
large qui tient compte du peuplement, le terme était utilisé pour « tout l’espace où le
monde turc des steppes est entré en contact avec la civilisation persane et musulmane :
en ce sens l’Asie centrale irait de l’Anatolie au Sin-Kiang chinois, en passant par le nord
de l’Afghanistan » 1. Au cours de son histoire, cette région a reçu plusieurs
dénominations, en commençant par l’expression « Transoxiane » 2, le « Mawarah-alnahr » 3 ou le « Touran », mais aucune ne définissait de contour territorial précis, car
elles étaient utilisées plutôt par les Arabes ou les Persans, soit pour marquer les
frontières – « au-delà de », « de l’autre côté de » –, soit pour marquer le monde turc,
nomade. L’expression plus récente pour définir cette région est « Turkestan », en
persan « pays des Turcs », mais elle non plus ne désigne pas une région précise car
selon les uns, elle « dépendait des conditions politiques du moment » 4 et selon les
autres, elle constituait un vaste territoire occupé par les Turcs entre la Sibérie, la mer
Caspienne et le nord de l’Inde.
Ce territoire était riche en interactions entre différents peuples, cultures et idées,
notamment suite aux multiples conquêtes : l’Empire perse achéménide y exerça le
pouvoir entre 500 et 300 avant Jésus-Christ, mais disparut suite à la domination
d’Alexandre le Grand. Après avoir connu l’islamisation (plus le sud que le nord), puis
l’invasion des Mongols de Gengis Khan et de la dynastie Timouride, cette région
s’intègra, au XIXe siècle, à l’Empire tsariste russe. Ces interactions sont aussi dues à son
emplacement géographique entre la Chine, l’Occident, la Russie et le monde arabe : le
territoire était ainsi devenu un des passages principaux de la fameuse « Route de la
Soie ». Habitée par des nomades et par des groupes sédentaires, la région connaît une
véritable dualité qui remonte à la période du VIe siècle avant Jésus-Christ5. A l’arrivée
1
ROY Olivier, L’Asie centrale contemporaine, coll. Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France,
2001, p. 7.
2
L’expression signifie « au-delà de l’Oxus » et remonte à l’Antiquité. Pour des explications détaillées,
voir DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry, Géopolitique de la nouvelle Asie centrale. De la fin de
l’URSS à l’après-11 septembre, Paris, Presses Universitaires de France, 2003 [2001], pp. 19-23.
3
Signifie « ce qui [se trouve] de l’autre côté du fleuve ».
4
DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry, op. cit., p. 24.
5
FOURNIAU Vincent, Histoire de l’Asie centrale, coll. Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France,
1994, p.13.
11
des Russes, les trois émirats ouzbeks (de Khiva, de Kokand et de Boukhara) occupaient
une place importante dans l’espace de l’Asie centrale. En outre, les diverses tribus
nomades également turcophones, comme les Ouzbeks, les Kazakhs, les Karakalpaks,
les Kirghiz, les Turkmènes, etc., se sont partagé cette région, ainsi que la population
sédentaire persanophone (notamment les Tadjiks).
La conquête russe et l’inclusion dans l’Union soviétique
Après avoir vaincu les Tatars en 1552, conquis les terres du sud de l’Oural et à l’est de
la Volga, et consolidé les frontières de la Sibérie, les Russes poursuivirent leurs
conquêtes vers le sud pour rechercher de nouveaux marchés et accéder aux matières
premières. Ils occupèrent progressivement les terres du présent Kazakhstan, puis
soumirent les khanats ouzbeks et les peuples nomades. En 1867, ces territoires
devinrent la province du Turkestan. « Partout, la soumission des peuples passe par
l’édification de lignes de fortifications, par l’installation de paysans-soldats et de
paysans ayant fui le renforcement du servage. » 6 A la fin du XIXe siècle, environ un
million de paysans slaves et allemands furent implantés sur les terres conquises.
Les soulèvements contre le pouvoir colonial débouchèrent, dans les années 19181919, sur une famine volontairement provoquée, qui entraîna la mort d’un million de
personnes au sein des populations musulmanes. En 1918, le Turkestan devint la
République soviétique du Turkestan mais, à partir des années 1920, pour faciliter
l’assimilation et briser les résistances religieuses et ethniques, le territoire du Turkestan
subit de multiples découpages. Cinq nouvelles républiques soviétiques furent ainsi
créées en trois étapes sur une base ethnonationale : le Kazakhstan, le Kirghizistan,
l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan. Cette politique, qui se traduit par la
formule « différencier pour assimiler » 7, est bien expliquée par Olivier Roy : « Les buts
étaient cohérents mais complexes : casser les grandes identités transnationales (islam,
panturquisme, civilisation persane), diviser pour mieux régner en mettant les groupes
ethniques en compétition pour la terre (et l’eau), créer de nouvelles catégories de
populations qui doivent tout (y compris leur identité) au système soviétique, enfin se
donner les moyens d’intervenir au-delà des frontières en jouant sur les solidarités
ethniques transnationales (mais bien sûr dans le seul sens de l’influence soviétique vers
l’extérieur). » 8 Le découpage a divisé les pays de telle façon que la République tadjik et
la République kirghize, pays montagnards, avaient un grand surplus en eau, alors que
les trois autres pays, le Turkménistan, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, manquaient
d’eau pour leurs activités agricoles. Les populations nomades furent sédentarisées et
fortement traumatisées par la collectivisation forcée. La construction de l’identité
soviétique et de l’Homo sovieticus menée dans ces Etats coïncidait avec une politique
d’identification nationale : ainsi, les découpages étaient présentés comme des
regroupements naturels, basés sur une affinité linguistique et culturelle. Chaque
république fut dotée de sa langue nationale (mais réformée : l’alphabet introduit est
d’abord arabe, puis latin et finalement cyrillique), de son histoire nationale et de ses
héros, ainsi que d’une université nationale, d’une académie des sciences, d’un musée
historique, etc. L’identité soviétique – que Moscou tentait de créer en même temps –
passa par le processus de russification, de sédentarisation et d’éducation.
« Sovietisation became increasingly related to Russification in Central Asia as Moscow
sought to impose the language, industry, society, culture and “glory” of the Russian
6
KARAM Patrick, Asie centrale : le nouveau grand jeu. L’après-11 septembre, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 168.
7
Ibid., p. 171.
8
ROY Olivier, op. cit., p. 23.
12
people upon an “inferior” civilisation. » 9 Les citadins des pays d’Asie centrale parlaient
souvent mieux le russe que leur langue nationale.
L’ordre colonial imposé par la Russie à cette région a eu des particularités à
plusieurs niveaux. Il n’y eut pas de tentative d’introduire le christianisme parmi les
populations d’Asie centrale : « Unlike some West European colonial powers, it made
no efforts to proselytize the Muslim population of Central Asia. » 10 La religion est
restée l’islam, majoritairement sunnite 11 mais très institutionnalisé, avec un mufti
principal qui se charge de la Direction spirituelle, basée à Tachkent pour toute l’Asie
centrale. Les relations n’étaient pas de maîtres à esclaves car la population locale put se
mélanger avec les nombreux nouveaux arrivés slaves ou d’autres ethnies. En outre,
après la création de nouvelles nations, les républiques furent complètement intégrées
dans l’Union soviétique et, par conséquent, elles ont « profondément subi les méthodes
marxistes-léninistes pratiquées par Moscou durant plus de soixante-dix ans » 12.
Le modèle économique du système soviétique en Asie centrale
Dans tout le bloc des pays ex-communistes, l’Etat, représenté par le Parti communiste,
déterminait les activités économiques du pays. En Asie centrale, chaque pays avait
aussi son Parti communiste, son gouvernement et ses propres élites, mais pratiquement
il était dénué d’autonomie de décision. Comme l’explique Alex Stringer, « in particular,
the responsibility for a large proportion of the duties and concerns of a modern state
lay with the central administration » 13. Les relations étrangères, la sécurité, la définition
de la politique nationale dans le domaine de l’économie, le budget national, la
législation et le droit criminel, le transport et l’industrie lourde, et bien d’autres
domaines encore étaient sous le contrôle direct du centre. Il en allait de même des
membres de la nomenklatura locale, soumis au système de nomination décidé par
Moscou. Ainsi, c’était la règle que le premier secrétaire du Parti fût une personne
d’origine (ethnique) du pays, et le deuxième secrétaire en général un Russe ou un
Ukrainien.
La clé du système économique était la planification centrale, déterminée par
l’Etat et plus précisément, dans le cas de l’Union soviétique, par la Commission du
Plan d’Etat, créée en février 1921 14. Néanmoins, l’essentiel n’était pas dans la
préparation du plan, mais dans le contrôle administratif excessif. Il existait une forme
dominante de propriété, la propriété d’Etat. La structure, le volume de la production et
les prix étaient ainsi déterminés par l’Etat, en l’absence de toute concurrence. Le
système de la croissance extensive fut mis en œuvre grâce à l’utilisation de sources
sans cesse nouvelles de facteurs de production, c’est-à-dire de main-d’œuvre et de
matières premières. Les républiques centre-asiatiques possédaient ces facteurs de
production et elles devinrent les principaux fournisseurs de matières premières pour
9
EVERETT-HEATH Tom (ed.), Central Asia : Aspects of Transition, London, Routledge Curzon, 2003, p. 110.
10
KAUSHIK Devendra, « The Post-Soviet Central Asia and Russia : Emerging Contours of a New
Relationship », Central Asia : Emerging New Order, WARIKOO Kulbhushan (ed.), New Delhi, Har-Anand
Publications, 1995, p. 228.
11
Au Tadjikistan, dans la région du Haut-Badakhchan, l’islam chiite ismaélien.
12
DJALILI Mohammad-Reza, « Républiques méridionales de l’ex-URSS : nouveaux Etats du Sud », Du
socialisme à l’économie de marché. Errances de la transition, NOVEMBER Andràs (dir.), Nouveaux Cahiers de
l’IUED, nº 12, Paris, Presses Universitaires de France ; Genève, IUED, 2001, p. 75.
13
STRINGER Alex, « Soviet Development in Central Asia : The Classic Colonial Syndrome ? », Central Asia :
Aspects of Transition, EVERETT-HEATH Tom (ed.), London, Routledge Curzon, 2003, p. 159.
14
SEUROT François, Le système économique de l’URSS, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, p. 56.
13
les autres républiques. La politique de spécialisation était aussi pratiquée à l’excès dans
ces républiques : « The role of the Central Asian republics was to provide the
agricultural basis for the Soviet economy, particularly cotton (Uzbekistan), wheat
production (Kazakhstan), and animal husbandry (Kazakhstan, Kyrgyzstan). » 15 Un des
buts de cette répartition était de créer une interdépendance économique entre les
républiques soviétiques, les unes spécialisées dans les industries de transformation et
les autres chargées de produire et de fournir les matières premières. Moscou tirait
avantage de cette complexité en se présentant comme un intermédiaire indispensable.
Si l’exploitation des ressources minières a été développée dans pratiquement toutes les
républiques, le pétrole et le gaz ont été exploités surtout au Kazakhstan et au
Turkménistan, alors que les deux pays montagnards, le Tadjikistan et le Kirghizistan,
se sont spécialisés dans la mise en valeur des ressources hydroélectriques.
La priorité du développement économique était donnée au développement
industriel, et plus précisément à l’industrie lourde. Le premier Plan quinquennal de
1929 était particulièrement ambitieux et irréaliste : il prévoyait le développement de
pas moins de 50 branches industrielles, prioritairement les industries extractives, le
secteur de l’énergie et des transports ainsi que la production de machines16. Le monde
rural et agricole était mis au service de l’industrie : Staline exportait un million et demi
de tonnes de céréales pour acheter les équipements industriels, alors même que des
millions de gens mouraient de faim.
Une première tentative de collectivisation de l’agriculture fut effectuée tout de
suite après la révolution de 1917, mais elle échoua. La deuxième fut entreprise par
Staline en 1928-1929 après une faible collecte de céréales auprès des paysans, due à une
mauvaise récolte. On ferma les marchés pour les paysans et des brigades ouvrières
furent mises sur pied pour réquisitionner les récoltes. Cette période a été marquée par
la déportation des koulaks 17, la famine de 1933 et la détérioration des conditions de vie
des paysans18. La collectivisation s’acheva en 1935 : 83,2% des paysans étaient alors
« collectivisés » 19, et les fermes individuelles regroupées en kolkhozes ou en
sovkhozes20. La collectivisation a entraîné des effets dramatiques, comparables
d’ailleurs à ceux de la décollectivisation des années 1990. Au Kazakhstan par exemple,
le cheptel ovin est passé de 19 millions de têtes en 1928 à 2 millions en 193521, comme
au Kirghizistan dans les années 1990, où les ovins et caprins sont passés de 9,5 millions
de têtes en 1991 à 4 millions en 1998 22.
Dans la région, le développement de monocultures, spécialement le coton, était
aussi une stratégie de spécialisation poussée pour obtenir le maximum de productivité
et d’efficacité. En Ouzbékistan, les bénéfices tirés des plantations cotonnières ont
couvert 60% de son produit intérieur brut (PIB)23. Mais le paradoxe du système
15
JONES LUONG Pauline, Institutional Change and Political Continuity in Post-Soviet Central Asia, Cambridge,
Cambridge University Press, 2002, p. 67.
16
SEUROT François, op. cit., p. 63.
17
Au XIXe siècle, koulak désignait le paysan riche qui prête aux autres à des taux d’usure, puis, après la
révolution, celui qui possède un peu de bétail, des chevaux. Voir SEUROT François, op. cit., p. 50.
18
Ibid., pp. 40 et 60-63.
19
NOVE Alec, An Economic History of the USSR, Paris, Economica, 1972 [1969], p. 174.
20
Les sovkhozes sont les fermes d’Etat et les kolkhozes les fermes coopératives.
21
SEUROT François, op. cit., p. 72.
22
RADVANYI Jean (dir.), Les Etats postsoviétiques. Identités en construction, transformations politiques,
trajectoires économiques, Paris, Armand Colin, 2003, p. 171.
23
SHARMA Ram Rattan, « Paradoxes of Transition », Central Asia : Emerging New Order, WARIKOO
Kulbhushan (ed.), New Delhi, Har-Anand Publications, 1995, p. 38.
14
soviétique a fait que 90% de la production de coton de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan
étaient utilisés en dehors de ces républiques, envoyés dans les usines de textiles en
Russie, en Ukraine ou dans d’autres républiques, voire exportés à l’étranger. Les pays
producteurs de coton devinrent fortement dépendants des importations de produits
alimentaires – et cela dans des régions où les conditions climatiques sont très
favorables pour cultiver de tels produits ! « By the end of the Soviet period, Central
Asia was producing 92 per cent of all Soviet cotton and had become one of the world’s
leading cotton-growing regions, accounting for around 17 per cent of global
production. Two-thirds to three-quarters of Soviet cotton was grown in
Uzbekistan… » 24 Les conséquences d’un tel développement ont été dramatiques. La
surutilisation des deux rivières Syr-Daria et Amou-Daria, sources principales
d’irrigation de cette culture, a conduit à l’assèchement catastrophique de la mer d’Aral.
La santé des populations de ces régions a été affectée par une grave pollution chimique
due à une utilisation excessive d’engrais et de pesticides. Ainsi, le modèle soviétique de
développement a eu our conséquences la surutilisation des ressources, l’accroissement
constant des coûts de production et la baisse de la productivité et de l’innovation.
Les républiques européennes de l’Union soviétique bénéficiaient du revenu le
plus élevé, dû à la domination des produits à valeur ajoutée, tandis que les républiques
asiatiques, qui vendaient majoritairement des produits bruts (ressources naturelles),
souffraient de revenus inférieurs. Pour équilibrer quelque peu cette situation, le centre
opérait des transferts de subsides aux républiques d’Asie centrale.
A partir de la perestroïka, les débats s’ouvrirent sur l’autofinancement et
l’autosuffisance des régions (parties européennes et asiatiques). Les entreprises
jouissaient d’une plus grande liberté de gestion, mais recevaient par contre moins de
subventions. Des investissements furent attribués aux entreprises rentables, mais la
production, concentrée sur les matières premières et les produits semi-finis, n’obtint
pas de bons résultats. L’agriculture, qui reposait sur la monoculture et était confrontée
à de nombreuses difficultés, et le secteur industriel partiellement basé sur l’industrie de
la défense (Kirghizistan, Kazakhstan) se retrouvèrent sans plan ni marché.
La politique sociale et le niveau de vie de la population
Dans les républiques de l’Union soviétique, le niveau de vie de la population
dépendait d’une part du montant des revenus (salaires mais aussi gains grâce au
travail au noir) et, de l’autre, des prix fixés pour les biens de consommation et les
services publics et sociaux mis à la disposition des citoyens.
Si l’on accepte que le chômage « officiel » n’existait pas du temps de l’Union
soviétique, la totalité des travailleurs avaient un revenu régulier. Comme les
entreprises étaient largement subventionnées par l’Etat, elles ne pouvaient être mises
en faillite, ce qui signifie qu’une personne était sûre de garder son emploi à vie. Mais ce
système entravait l’efficacité des entreprises par la charge d’une main-d’œuvre
beaucoup trop nombreuse. Il avait entraîné une précarisation des salaires et un
« chômage caché ». La différence de revenu existait aussi bien entre les divers secteurs
économiques qu’entre les différentes régions soviétiques. Par exemple, les travailleurs
dans l’industrie percevaient un salaire moyen de 212 roubles alors que les agriculteurs
devaient se contenter de 153 roubles. Quant à la différence régionale, les habitants des
républiques baltes, surtout de l’Estonie, jouissaient d’un revenu largement supérieur à
celui obtenu dans certaines républiques asiatiques. Ces écarts étaient plus conséquents
24
STRINGER Alex, op. cit., p. 149.
15
dans le secteur agricole : « En 1974, le revenu moyen du kolkhozien tadjik était le quart
de celui du kolkhozien estonien. » 25 Une explication parmi d’autres de cette différence
est que l’Ouzbékistan, par exemple, « was forced to sell cheap raw cotton while having
to buy textiles at inflated prices and that prices for some foodstuffs were higher than in
other parts of USSR » 26. Dans les kolkhozes, les salaires des travailleurs n’étaient pas
fixes, mais dépendaient des prix d’achat décidés et payés par l’Etat. La différence de
revenu dépendait aussi du produit cultivé : les agriculteurs cultivant les graines étaient
beaucoup mieux payés que les agriculteurs cultivant le coton (respectivement 60.5 et 16
kopecks par heure).
De ces exemples d’écarts, on peut déduire que les inégalités de revenu, de même
que la pauvreté, ont bel et bien existé dans le système soviétique. Selon Alastair
McAuley, en 1968, 35% à 40% des citoyens de l’URSS avaient un revenu inférieur au
seuil de pauvreté (environ 50 roubles soviétiques par mois)27. Néanmoins, il ne faut pas
omettre l’importance des revenus supplémentaires, comme les transferts sociaux et les
revenus tirés du travail au noir ou de l’accès préférentiel aux biens de consommation.
Dans le cas de l’Union soviétique, les différences salariales sont probablement de
moindre ampleur que « les accès inégaux aux différents canaux de distribution des
biens » 28 entre les divers groupes sociaux. La culture politique en Asie centrale,
marquée par le clanisme, le régionalisme et le clientélisme, a considérablement renforcé
cette inégalité. L’appartenance territoriale, à un groupe proche du pouvoir ou aux
réseaux de solidarité peut apporter des avantages non négligeables en facilitant l’accès
aux ressources matérielles ou immatérielles29.
Il faut souligner à quel point les services publics et sociaux ont joué un rôle
important pour le bien-être des gens et ont pu compenser l’insuffisance des revenus.
Tout d’abord, les citoyens bénéficiaient de la gratuité de l’enseignement scolaire et
universitaire ainsi que de la formation continue ; en outre, le système médical était
accessible à tous. Plusieurs services sociaux intermédiaires étaient aussi fournis par
l’Etat ou directement par l’entreprise, tels que le logement, la crèche, le centre de
vacances, les activités culturelles, l’approvisionnement alimentaire ou en biens de
consommation30. Une « consommation sociale » venait ainsi pallier les salaires bas ou
moyens.
Il ne fait pas de doute que la population d’Asie centrale a pu bénéficier du
généreux système social mis en place dans les républiques depuis leur intégration dans
l’Union soviétique. L’alphabétisation est passée de 3,6% en 1926 à 52,1% en 195931 de la
population locale centre-asiatique pour atteindre la quasi-totalité de la population à la
fin des années 1980. Le système de santé s’est développé dans toutes les républiques et
ses régions, avec l’accès gratuit aux soins médicaux. Le personnel médical a
considérablement augmenté, dépassant même le niveau moyen de l’Union soviétique.
25
SEUROT François, op. cit., p. 267.
26
STRINGER Alex, op. cit., p. 152.
27
MCAULEY Alastair, Economic Welfare in the Soviet Union : Poverty, Living Standards, and Inequality,
Madison, University of Wisconsin Press, 1979, p. 70.
28
SEUROT François, op. cit., p. 268.
29
PÉTRIC Boris-Mathieu, Pouvoir, don et réseaux en Ouzbékistan post-soviétique, Paris, Presses Universitaires
de France, 2002, p. 52.
30
CHAVANCE Bernard, La fin des systèmes socialistes. Crise, réformes et transformations, Paris, L’Harmattan,
1994, p. 163.
31
STRINGER Alex, op. cit., p. 156.
16
Ces services ont permis la diminution de la mortalité infantile dans toutes les
républiques et l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance. Cependant, en dépit
de ces progrès en matière d’éducation et de santé, les républiques d’Asie centrale
présentaient des résultats inférieurs à ceux de la partie européenne de l’URSS.
17
18
II. Le processus de transition : quelle voie emprunter ?
Depuis les années 1990, tous les pays de l’ex-bloc soviétique sont regroupés sous la
dénomination de « pays en transition », dont font partie les cinq pays d’Asie centrale.
Cependant, on trouve dans la littérature de multiples sens à l’expression « transition » :
pour les uns purement économique, elle signifie pour les autres un double passage, à la
fois économique et politique. Dans ce chapitre, nous allons examiner quelques-unes
des multiples facettes de la transition, dans une perspective d’abord générale, puis
appliquée aux anciennes républiques de l’URSS et enfin plus particulièrement au
Kirghizistan et à l’Ouzbékistan.
La transition ou les transitions
La « transitologie » est devenue une sous-discipline de la science politique après que
plusieurs ouvrages, concepts et hypothèses eurent analysé les expériences sudeuropéennes (comme celle de l’Espagne) et latino-américaines de transformation de
régimes politiques. Ainsi, l’objet de la « transitologie » est constitué par « le
changement des procédures politiques au cours d’une période couvrant l’effacement
d’un régime autocratique et les efforts pour implanter une démocratie » 32. Cette
période se caractérise par l’absence de règles claires, ce qui rend les évolutions
politiques hautement imprévisibles et accroît nettement la probabilité de commettre
des erreurs durant cet intervalle. Les expériences des transitions sud-américaines et
sud-européennes représentent l’objet de la première vague de la transitologie, ou
« transitologie classique ». Cette théorie traite des choix faits par les acteurs des
transitions, de leurs dilemmes tactiques face à d’autres acteurs politiques ou à d’autres
forces sociales.
La path dependence, ou seconde étape de la transitologie, celle qui nous intéresse,
se construit sur le terrain empirique des transitions en Europe centrale et orientale
faisant suite au basculement de 198933, soit la chute du mur de Berlin et l’effondrement
de l’URSS. Les deux théories (transitologie classique et path dependence) explorent les
chemins par lesquels ces sociétés se sont dégagées des systèmes autoritaires, mais la
path dependence y ajoute l’analyse des transformations imposées par l’éclatement du
système communiste et l’héritage « en pièces détachées » d’institutions et
d’organisations dispersées. Comme le dit Michel Dobry, la « transitologie » n’étudie
pas seulement les ruptures politiques, mais l’ensemble des transformations qui
affectent lourdement non seulement le secteur économique mais tous les rapports
sociaux, tous les secteurs, sphères sociales ou « champs » différenciés des sociétés dans
lesquelles elles ont pris place 34.
Néanmoins, les définitions qui se profilent pour désigner la notion de transition
comportent majoritairement des dimensions politiques et économiques et occultent en
32
GUJIHOT Nicolas, SCHMITTER Philippe C., « De la transition à la consolidation. Une lecture rétrospective
des democratization studies », Revue française de science politique, vol. 50, nº 4-5, août-octobre 2000, p. 618.
33
DOBRY Michel, « Les voies incertaines de la transitologie. Choix stratégiques, séquences historiques,
bifurcations et processus de path dependence », Revue française de science politique, vol. 50, nº 4-5, aoûtoctobre 2000, p. 585.
34
DOBRY Michel, « Les transitions démocratiques. Regards sur l’état de la “transitologie” », Revue française
de science politique, vol. 50, nº 4-5, août-octobre 2000, p. 579.
19
quelque sorte la dimension sociale. Ainsi, la dimension politique s’attache aux
définitions qui désignent « la trajectoire que les pays ex-communistes suivent pour
adopter un régime démocratique » 35. Mais l’exemple des pays centre-asiatiques (que
l’on verra plus loin) montre que dans leurs cas, ce passage ne se fait pas forcément vers
la démocratie, mais plutôt vers un régime autocratique 36. La dimension économique,
quant à elle, prend « un sens très particulier dans le vocabulaire orthodoxe » 37 en
désignant, « pour les économies qui relevaient d’un modèle de centralisation
autoritaire, une évolution obligée […] vers le modèle de l’économie de marché » 38. Le
domaine social, enfin, occupe encore une place très marginale dans les discours sur le
processus de transition.
L’analyse historique montre que dans le cas des pays du sud de l’Europe et de
l’Amérique latine, la démocratisation est venue comme une étape suivant le
capitalisme et a coïncidé avec la libéralisation économique d’ordre capitaliste. Dans le
cas de la Chine, les réformes ont touché seulement le système économique, tandis que
le système politique est demeuré inchangé et stable. Dans le cas des pays excommunistes, c’est la simultanéité des réformes économiques et politiques qui rend le
processus de transition très complexe. Plusieurs analystes partagent même le point de
vue selon lequel l’interaction entre le processus de démocratisation et celui des
réformes économiques dans le contexte du postcommunisme pourrait devenir
explosive, entraînant des troubles politiques, voire l’effondrement économique 39. On
pourrait alors finalement assister à une crise sociale de la société dans son ensemble.
Michel Dobry note pourtant que si les processus politiques ont un rapport avec les
« performances » économiques, les crises ou récessions économiques – et les
frustrations, mécontentements ou « déséquilibres sociaux qui leur sont souvent
associés – ne se transforment pas automatiquement en des révoltes ouvertes, des
mobilisations contestataires et des crises politiques. Ils n’ont pas davantage pour effet
corollaire l’effondrement de nouveaux systèmes démocratiques » 40.
Comme l’explique Valerie Bunce, la corrélation entre les deux réformes (politique
et économique) peut être très ambiguë : « Dans un contexte de difficultés économiques,
les jeux politiques peuvent se polariser et les publics de masse peuvent se mobiliser.
Ces types de développements peuvent inciter les autoritaristes à tenter de réaffirmer
leur pouvoir […], lorsque les régimes politiques en place sont de forme présidentielle,
et non parlementaire. » 41 L’auteure souligne aussi que les réformes économiques
tendent à accentuer les inégalités socio-économiques, qui avec le temps produisent des
différences dans la distribution du pouvoir politique – ce qui peut finalement miner la
démocratie. C’est pourquoi elle préconise de mettre en place d’abord des institutions
démocratiques, d’entreprendre ensuite les réformes de la politique sociale et de finir
par les réformes économiques.
35
NOVEMBER Andràs, « Voies multiples et incertaines de la “transition” », Du socialisme à l’économie de
marché. Errances de la transition, NOVEMBER Andràs (dir.), Nouveaux Cahiers de l’IUED, nº 12, Paris,
Presses Universitaires de France ; Genève, IUED, 2001, p. 14.
36
Voir aussi DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry, op. cit., p. 53.
37
COMELIAU Christian, « Transition et développement : le risque de myopie », Du socialisme à l’économie de
marché. Errances de la transition, NOVEMBER Andràs (dir.), Nouveaux Cahiers de l’IUED, nº 12, Paris,
Presses Universitaires de France ; Genève, IUED, 2001, p. 281.
38
Ibid.
39
BUNCE Valerie, « Quand le lieu compte », Revue française de science politique, vol. 50, nº 4-5, août-octobre
2000, p. 644.
40
DOBRY Michel, « Les transitions démocratiques… », op. cit., p. 580.
41
BUNCE Valerie, op. cit., p. 643.
20
Selon une autre hypothèse, avancée par un certain nombre de théoriciens, la
démocratisation et les réformes économiques sont en étroite corrélation et le rythme de
la démocratie détermine les performances économiques : la démocratie lente
correspond à une transition économique lente, et la shock democracy à une transition
rapide vers le capitalisme avec de bonnes performances économiques. Les théoriciens
de la path dependence mettent en question l’homogénéité de la transition, qui dépend
des particularités de chaque pays, et soulignent la pluralité des chemins qu’elle peut
emprunter. Claus Offe va encore plus loin en proposant de prendre en considération
l’histoire du pays à long terme : « […] il faut nous attendre à une inévitable pluralité de
voies de transition spécifiques aux différents pays, dont le cours ne sera pas déterminé
uniquement par l’histoire du communisme propre à chacun d’eux durant les cinquante
dernières années, mais bien plus et au-delà de cela, par les préconditions économiques,
politiques et culturelles antérieures, créées à l’intérieur de chacun de ces pays par son
histoire particulière durant les cinq cents dernières années. » 42 Malheureusement, cet
avis important n’a pas été pris au sérieux par les organisations économiques
internationales. Or, ce sont leurs économistes de l’école néolibérale qui définissent les
lignes directrices de la transition économique, présentées comme la meilleure solution
des problèmes qui se posent à tous les pays en transition.
Les adhérents du courant néolibéral ainsi que les organismes internationaux
négligent ainsi la diversité des pays et proposent des stratégies et des
recommandations alignées strictement sur ce courant : « Dès les premiers jours des
réformes, on a pu constater le désir de certains organismes internationaux et de
chercheurs qui leur sont liés de démontrer qu’il n’y a pas d’autre solution que le
modèle de transition proposé. » 43 Ils se sont inspirés du « consensus de Washington »,
développé à l’origine pour les pays d’Amérique latine à la fin des années 1980 puis
repris pour d’autres régions du monde. Bien que l’application de ce « consensus » n’ait
pas toujours donné de bons résultats en Amérique latine, on le présente comme une
sorte de panacée aux pays en transition. Les idées principales des dix postulats du
consensus peuvent être regroupées en trois grands domaines : la stabilisation, la
libéralisation et la privatisation. Il suffirait de les appliquer pour aboutir à la croissance
économique, qui à son tour améliorerait la vie de la population dans son ensemble.
Giovanni Cornia note qu’il n’est pas surprenant que la plupart des prescriptions
politiques aient mis l’accent sur ces trois postulats, qui ont été perçus comme les
conditions nécessaires et suffisantes du succès de la transition44. Voici leurs traits
principaux :
1) une libération des prix, immédiate ou progressive, mais aboutissant toujours
au même résultat, la suppression de tout contrôle des prix ;
2) une politique budgétaire visant à la réduction du déficit, voire au dégagement
d’un excédent ;
3) une politique monétaire fortement restrictive, combinant une forte hausse des
taux d’intérêt et un ancrage nominal de la devise nationale sur le dollar ou sur l’euro (à
l’époque, sur le DEM). Ainsi, les réformes touchent le système bancaire car son bon
fonctionnement est nécessaire à une bonne application de la politique monétaire ;
42
OFFE Claus, Varieties of Transition : The East European and East German Experience, Cambridge
(Massachusetts), MIT Press, 1997, p. 138, cité dans DOBRY Michel, « Les voies incertaines de la
transitologie… », op. cit., p. 597.
43
SAVITCH Pavel, « La transition à l’économie de marché : la politique ou les politiques ? », Du socialisme à
l’économie de marché. Errances de la transition, NOVEMBER Andràs (dir.), Nouveaux Cahiers de l’IUED,
nº 12, Paris, Presses Universitaires de France ; Genève, IUED, 2001, p. 264.
44
CORNIA Giovanni Andrea, « Neglected Issues : An Overview », MOCT-MOST : Economic Policy in
Transitional Economies, vol. 8, nº 1, March 1998, pp. 1-2.
21
4) une politique des revenus ;
5) une ouverture rapide de l’économie au commerce international par le
démantèlement des droits de douane et le passage à la convertibilité de la devise 45.
Pour que le pays s’intègre dans le commerce international, une politique de taux de
change est indispensable.
Si les directions des réformes sont clairement définies, les débats s’ouvrent sur la
vitesse souhaitable des réformes : faut-il les mettre sur les rails à la vitesse maximale ou
les introduire progressivement ? Les deux méthodes ont leurs partisans : les uns sont
adeptes de la solution de la « thérapie de choc » et les autres des réformes graduelles.
La thérapie de choc
La thérapie de choc détermine la voie la plus courte pour remplacer l’ancien
système et ses institutions par l’économie de marché. Les réformes doivent s’effectuer
rapidement car l’introduction de réformes partielles ne donne pas l’effet désiré. Cette
voie est la plus fréquemment préconisée, spécialement par les institutions de Bretton
Woods. La Pologne a été la première à l’appliquer, notamment selon les conseils de
l’économiste Jeffrey Sachs (« père fondateur » de cette approche). Un autre exemple est
la Russie, qui a commencé à la mettre en œuvre en 1992 sous la surveillance attentive
du Fonds monétaire international (FMI). Les pays qui ont choisi la voie de la
transformation rapide ont bénéficié d’un large soutien financier de la part des
institutions financières internationales. Un argument qui nous intéresse
particulièrement dans ce travail était mis en avant : selon les adeptes des mesures
radicales, « le rétablissement de l’économie après la chute de l’activité économique liée
à l’implantation de politiques de choc se fera si rapidement que les coûts sociaux et
économiques seront moindres que ceux engendrés par une politique gradualiste » 46.
Néanmoins, ce ne sont pas les seuls soucis socio-économiques qui guident ces adeptes,
mais aussi des préoccupations d’ordre idéologique visant à rompre définitivement
avec le passé communiste. Aujourd’hui encore, le résultat est mitigé : « Certains
considèrent [que le cas de l’Europe centrale et des Etats baltes] a confirmé l’approche
du mainstream, d’autres qu’au contraire il l’a réfuté. » 47 Les conséquences varient d’un
pays à l’autre, comme le montrent les expériences différentes des deux pays
mentionnés plus haut.
L’approche graduelle
Selon l’approche graduelle, la transition ne se conçoit pas comme le
remplacement d’un système par un autre, mais elle est perçue comme un processus au
cours duquel les réformes sont conduites progressivement. Ainsi, les adeptes de la
politique du gradualisme, notamment János Kornai, Bernard Chavance, Grzegorz
Kolodko, promeuvent une progression plus lente vers l’économie de marché, qui est
selon eux moins douloureuse pour la société. Leurs raisons se basent sur le fait que
45
SAPIR Jacques, Les économistes contre la démocratie. Pouvoir, mondialisation et démocratie, Paris, Albin Michel
Economie, 2002, p. 251.
46
SAVITCH Pavel, op. cit., p. 267.
47
CHAVANCE Bernard, Les théories économiques à l’épreuve de la transformation post-socialiste, document de
travail, s.l., s.d., <http://www.ehess.fr/centres/cemi/pages/documents/chavance-theories.pdf>, p. 5.
22
« the attempt to do too much may end up in a failure to accomplish anything » 48. En
mettant le doigt sur les effets négatifs de la thérapie de choc (notamment
l’accroissement des inégalités, de la pauvreté, du chômage, etc.), ils attribuent à l’Etat
un rôle plus important en tant que responsable du développement économique,
promoteur du processus d’une privatisation plus juste et garant de la protection
sociale. Un exemple caractéristique est représenté par la Hongrie, qui a entrepris une
telle transformation en 1988 et qui est considérée aujourd’hui comme l’un des pays qui
ont le mieux réussi la transformation de leur système politique et l’établissement d’une
économie de marché sociale (modèle de reconstruction et de croissance économique
qui inclut aussi la promotion sociale)49. La Chine et le Vietnam effectuent également
des réformes graduelles (leurs stratégies diffèrent néanmoins de celle de la Hongrie)
qui enregistrent une croissance élevée et une augmentation du niveau de vie – mais
également un fort accroissement des inégalités.
Le tableau 1, élaboré par Bernard Chavance, illustre la différence entre les deux
conceptions majeures de la transition.
Tableau 1 – Deux conceptions de la transition
Optimisme libéral
Prudence institutionnaliste
Quel but ?
Economie de marché libérale
Capitalisme moderne
A quel rythme ?
Rapide
Diversifié selon les domaines,
généralement graduel
Comment ?
Par destruction radicale de l’ancien
ordre et jeu du marché
autorégulateur
Par recomposition progressive et
interaction entre processus
spontanés et interventionnisme de
transition
Mode de coordination
Le marché étendu aux différents
Une imbrication entre marchés et
domaines : produits, travail, capital… autres modes de coordination
Hypothèses sur les
comportements
Rationalité absolue de l’Homo
economicus, libéré du carcan
totalitaire
Apprentissage à partir d’une
rationalité limitée dans une situation
d’incertitude
Stabilisation à court terme Monétaire
Monétaire et réelle (production,
emploi)
Durée de la transition
Une ou deux décennies
Quelques années
Source : CHAVANCE Bernard, La fin des systèmes socialistes. Crise, réformes et transformations, Paris,
L’Harmattan, 1994, p. 13.
Finalement, la question qui se pose pour ces nouveaux Etats est la suivante : Quel
type de réformes, graduelles ou rapides, sera-t-il le moins douloureux du point de vue
du déclin économique et social dans le pays ? Les adeptes des deux approches
s’accordent sur le fait que les activités économiques, et par conséquent le niveau de vie,
baisseront pendant la transition. Mais les tenants de la thérapie de choc ont supposé
qu’une chute importante suivie d’un rétablissement économique et de la croissance
48
SCHIAVO-CAMPO Salvatore (ed.), Institutional Change and the Public Sector in Transitional Economies, WB
Discussion Papers, nº 241, Washington, D.C., World Bank, 1994, p. 7.
49
Pour plus de détails sur la transition en Hongrie : HIERONYMI Otto, « Du communisme à l’“économie de
marché sociale” : le cas de la Hongrie », Du socialisme à l’économie de marché. Errances de la transition,
NOVEMBER Andràs (dir.), Nouveaux Cahiers de l’IUED, nº 12, Paris, Presses Universitaires de France ;
Genève, IUED, 2001, pp. 187-204.
23
résoudrait les problèmes sociaux. Aujourd’hui, on parle de la « grande dépression
postsocialiste » qui a touché la majorité des pays en transition et qui s’est avérée
beaucoup plus profonde et longue que prévu. De plus, à partir du milieu des années
1990, le retour à la croissance n’a pas forcément résolu les problèmes sociaux. En
analysant les raisons de la chute, on peut constater qu’elles ont des traits communs.
Néanmoins, aujourd’hui, les pays qui ont adopté les réformes graduelles ou la thérapie
de choc connaissent chacun des « coûts de la transition » différents. La Russie, par
exemple, présente une situation où les coûts économiques, sociaux et démographiques
de la transition ont été particulièrement lourds.
Pour faire un choix, les républiques ont dû prendre en considération leurs
conditions initiales, leur degré de dépendance économique et politique, leurs positions
stratégiques possibles. En outre, elles ont aussi été confrontées à des difficultés à
différents niveaux :
– la perception ou l’attente de la population vis-à-vis de l’Etat : selon la logique
socialiste à laquelle la population s’était habituée, l’Etat doit continuer à procurer le
plein-emploi et l’« égalité » socio-économique. Or, dans une économie libérale, l’Etat ne
peut plus exercer cette fonction. Le sentiment d’insécurité individuelle qui en découle
pour la population est encore accentué par le manque de règles institutionnelles et
socio-économiques claires ;
– la rupture du système d’interdépendance entre les pays socialistes : l’arrêt
brutal des échanges organisés et institutionnalisés entre « pays frères » fragilise
également l’économie des nouveaux Etats postcommunistes. La combinaison de
plusieurs facteurs, tels que les conditions initiales du pays, le niveau de son
développement au moment de l’éclatement et sa situation géographique, détermine les
chances de ce pays de s’adapter à la nouvelle donne ;
– le genre d’attentes après l’éclatement et la volonté de changement : les attentes
différaient d’un pays à l’autre. Pour les pays d’Europe de l’Est, « la transition devait
aboutir à l’indépendance nationale, […] à l’établissement d’un système politique
démocratique et à l’ouverture des frontières vers l’Ouest »50. Les républiques de l’exURSS n’ont pas souhaité une coupure trop brutale avec l’ancien régime et peuvent
maintenant éprouver « beaucoup de difficultés à s’adapter à la transformation rapide
de la société » 51, spécialement en ce qui concerne le changement politique. Par contre,
les anciennes élites ont souvent pu conserver leur pouvoir dans le nouveau régime en
accédant aux positions importantes – tout en conservant leurs anciennes habitudes
bureaucratiques.
La mondialisation et son impact
Au processus de transition déclenché à la suite de l’éclatement du bloc communiste et
entraînant le passage à une économie de marché et à la démocratie succède
l’intégration dans le système des échanges mondiaux. Pour comprendre l’importance
de ce facteur, il vaut la peine de donner quelques indications au sujet de ce mouvement
mondial ainsi que sur ses côtés positifs et négatifs.
Bien que la mondialisation ne soit pas un fait nouveau, elle a pris de nouvelles
formes depuis la Seconde Guerre mondiale : « Ce qui est nouveau dans le phénomène
de mondialisation, ou de “globalisation”, ce n’est pas l’existence des échanges
50
NOVEMBER Andràs, op. cit., p. 15.
51
Ibid.
24
internationaux, c’est d’abord leur formidable accélération. » 52 Cette accélération rapide
des échanges financiers et commerciaux influence de diverse manière les pays du
monde, et la majorité de ces échanges se déroulent entre les pays du Nord. La
mondialisation n’est pas seulement un processus économique, elle inclut aussi les flux
transnationaux sur les plans culturel, informationnel, religieux et même humain. Si les
conséquences négatives prévalent à nos yeux sur le plan économique, la
mondialisation a aussi des côtés positifs. On peut par exemple évoquer les
mouvements qui luttent au niveau mondial pour l’amélioration et le respect des droits
humains, pour le respect des considérations écologiques et pour la diminution de
l’injustice et des inégalités dans le monde : l’accélération des échanges d’information et
des déplacements augmente leur capacité à se coordonner et à agir simultanément. La
découverte et la rencontre de cultures différentes peuvent aussi aboutir à une meilleure
compréhension entre les peuples et les pays.
Néanmoins, la mondialisation conduit à une certaine uniformisation des
pratiques sociales et des modes de consommation et elle réduit considérablement le
rôle de l’Etat et de l’économie nationale. L’Etat n’a pas d’autre choix que celui de
« “s’ajuster” aux nouvelles exigences de l’économie mondiale, notamment en termes de
spécialisation
de
ses
productions,
de
compétitivité
et
d’équilibres
macroéconomiques » 53. C’est dans cet environnement que les Etats ex-communistes
doivent s’efforcer d’augmenter leurs capacités concurrentielles (par exemple, en
mettant en place l’infrastructure nécessaire au développement des nouvelles
technologies de l’information). Avec l’entrée dans ce système, ils ouvrent aussi leurs
frontières aux entreprises transnationales qui fonctionnent sur le principe de l’avantage
comparatif et exercent parfois une influence démesurée sur leurs politiques
économiques, financières, commerciales et même juridiques. « A travers le monde,
quelques firmes transnationales réalisent plus du tiers des exportations mondiales, et
50% des exportations américaines et françaises, et 80% des exportations britanniques
ou 90% de celles de Singapour. » 54
Il faut rappeler que cet ordre dominé par l’économie néolibérale a des
conséquences sociales très importantes. Selon les estimations de la Banque mondiale,
au début de 2004 1,1 milliard de personnes vivaient avec moins d’un dollar par jour et
2,7 milliards avec moins de 2 dollars par jour. Mais c’est la polarisation de notre monde
qui est alarmante : la cohabitation de la richesse et de la misère, de la surproduction et
de la faim. L’écart de revenu par habitant entre les pays riches et les pays pauvres a été
de 15’400 dollars en 1993. « Au cours des quinze dernières années, le monde a été le
théâtre de progrès économiques spectaculaires dans certains pays et d’une dégradation
sans précédent dans d’autres. » 55 Ainsi, l’aggravation des inégalités entre et à l’intérieur
des pays est aussi un fléau de la mondialisation. Giovanni Cornia et Julius Court
montrent les facteurs à leurs yeux responsables de l’explosion des inégalités dans le
monde, facteurs qu’ils regroupent en « causes traditionnelles » – « land concentration,
urban bias and inequality in education » – et en « causes nouvelles », liées à l’économie
libérale 56.
52
COMELIAU Christian, « Les défis de la mondialisation », Perspectives, vol. 27, nº 1, mars 1997, p. 27.
53
Ibid., p. 28.
54
GAILLARD Jean-Michel, « Comment la planète est devenue un village », L’Histoire, nº 270, novembre
2002, p. 37.
55
PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR
1996, Paris, Economica, 1996, p. 1.
56
CORNIA Giovanni Andrea, Macroeconomic Policies, Income Inequality and Poverty : Uzbekistan, 1991-2002,
<http://www.networkideas.org/featart/mar2004/uzbekistan_1991_2002.pdf>, p. 1.
LE DEVELOPPEMENT,
Rapport mondial sur le développement humain
25
Le processus de la transition en Asie centrale
Après 1991 et suite à l’effondrement de l’URSS, les cinq républiques d’Asie centrale se
sont trouvées devant un triple défi :
1) l’établissement de nouvelles institutions politiques (démocratiques ou autres) ;
2) la réorganisation du système économique national ;
3) la recherche identitaire, afin de légitimer la nouvelle configuration de l’Etat.
Or, l’indépendance obtenue n’avait pas été revendiquée ni même voulue par ces
républiques. Il y avait une absence totale « d’un véritable mouvement politique
réclamant l’indépendance à l’intérieur des pays. Le passage à l’indépendance, la
rupture avec la “métropole” est le fait de l’effondrement politique du centre et non pas
la conséquence d’une volonté politique exprimée par les populations de la
périphérie » 57. Ainsi, l’héritage politique du temps soviétique était constitué par un
système extrêmement bureaucratique et centralisé, et le pouvoir était concentré dans
les mains de la nomenklatura centrale et locale. Comme ces pays n’avaient pas connu
de mouvement de libération ni d’alternatives sur le plan politique, les mêmes élites
sont restées aux postes dirigeants. Aujourd’hui, les systèmes politiques dans ces pays
sont organisés autour d’un régime présidentiel fort. Les « timides ouvertures de la fin
de la perestroïka ont été refermées dès l’indépendance acquise pour donner place à des
régimes autoritaires, voire dictatoriaux »58. Le cas le plus extrême est celui du
Turkménistan, où le parlement a nommé le président Niyazov à la « présidence à vie ».
Par conséquent, les mouvements d’opposition et les médias se retrouvent soit mis sous
le contrôle de l’Etat, soit poursuivis s’ils compromettent le pouvoir en place.
La réorganisation du système économique s’est elle aussi heurtée à de grandes
difficultés. D’abord, le mode de fonctionnement en vigueur à l’époque soviétique,
caractérisé par la collectivisation, la planification et la centralisation, n’est pas
compatible avec l’économie de marché ; puis, les structures économiques, telles les
monocultures ou l’industrie lourde, ciblaient non pas les besoins internes du pays mais
essentiellement les besoins du marché soviétique, et elles ne résistent pas à la
mondialisation. On peut relever en outre que le réseau routier, orienté principalement
vers la métropole ou d’autres régions soviétiques de la partie européenne, ne facilite
pas les échanges entre les pays d’Asie centrale. La rupture brutale des liens
commerciaux entre les républiques de l’ex-URSS, mais aussi la diminution des
subventions aux industries artificiellement stimulées sous l’hégémonie de l’Union
soviétique, ont eu des conséquences négatives pour les Etats centre-asiatiques. Le
processus de changement a été d’autant plus difficile que les pays ont été confrontés
pour la première fois, et sans préparation, à un nouvel environnement politique et
économique. Auparavant, les républiques centre-asiatiques n’avaient pas de liens
politiques et économiques directs avec les autres Etats du monde ; quant à leurs
relations avec les autres républiques ex-soviétiques, elles ont souffert de la
désorganisation qui a suivi l’effondrement du système de planification centrale. Enfin,
les économies nationales ont dû prendre en considération la forte croissance
démographique.
En ce qui concerne la recherche identitaire, chacun de ces pays essaie d’établir un
pont avec le passé où puiser sources et explications pour l’unité et la continuité de son
histoire. Le discours idéologique se concentre à la fois sur les mythes fondateurs que
chaque pays tente de reconstruire et sur l’appartenance religieuse, notamment l’islam
57
DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry, op. cit., p. 51.
58
RADVANYI Jean (dir.), op. cit., p. 10.
26
sunnite modéré, de plus en plus contrôlé par les Etats. Le retour des langues nationales
et le rejet de la langue russe renforcent aussi les sentiments nationaux. Pourtant, la
population de chaque pays n’est pas composée d’une seule ethnie (l’ethnie titulaire),
mais de multiples groupes ethniques venus de toute l’URSS, comme le voulait la
politique soviétique. Cette mise en valeur des racines de la seule ethnie titulaire,
ajoutée aux nouveaux problèmes économiques, a poussé la population slave à migrer
vers ses républiques d’origine. Et cette migration, à son tour, a handicapé de nombreux
secteurs car la population slave fournissait une grande partie de la main-d’œuvre
qualifiée.
Après avoir retracé le cadre général de l’évolution récente des pays d’Asie
centrale, nous allons nous concentrer sur le Kirghizistan et l’Ouzbékistan pour
examiner de près les démarches que chacun d’eux a entreprises pendant la transition.
Le Kirghizistan
Le Kirghizistan compte aujourd’hui 4,9 millions d’habitants59. La composition
ethnique était constituée en 1999 par 64,9% de Kirghiz, 13,8% d’Ouzbeks, 12,5% de
Russes et plus de 80 groupes ethniques différents (en 1989, les Kirghiz représentaient
58%, les Russes 20% et les Ouzbeks 14%). Dans ce pays montagnard, où 90% du
territoire environ se situe à une altitude supérieure à 1000 mètres, les terres arables ne
constituent que 7% de tout le territoire du pays, mais plus de 60% de la population vit
dans les régions rurales. Le Kirghizistan est relativement pauvre en ressources
naturelles, qui sont principalement le charbon, l’or, l’énergie hydroélectrique, le
mercure et une petite quantité de gaz naturel difficilement accessible. L’agriculture a
fourni 34% du PIB en 1990 et 39% en 2002, le taux du secteur de l’industrie s’est abaissé
de 38% à 26% pendant la même période, alors que le secteur tertiaire passait de 30% à
35%60.
Les changements politiques
La transition politique s’est heurtée aux difficultés mentionnées plus haut. Ainsi,
le Kirghizistan n’a pas revendiqué son indépendance et, par conséquent, ce sont les
anciennes élites et les mêmes cadres du Parti communiste qui ont pris l’administration
de l’Etat entre leurs mains. Ils se sont contentés de changer rapidement leur discours,
sans pour autant modifier leurs comportements ni leurs mentalités. Néanmoins, à la
différence des quatre autres républiques centre-asiatiques, ce n’est pas un ancien
premier secrétaire du Parti communiste qui a accédé au pouvoir après l’indépendance
du pays, mais un scientifique, en la personne d’Askar Akaev, précédemment président
de l’Académie des sciences de la République. Sous sa direction, le Kirghizistan a
annoncé sa détermination d’entreprendre sa transformation politique en une
démocratie et des changements économiques rapides vers l’économie de marché. Elu
président pour la première fois en octobre 1990, Askar Akaev a été réélu en octobre
1991, après l’indépendance proclamée le 31 août 1991. Une nouvelle constitution fut
adoptée le 5 mai 1993, proclamant la république démocratique et le système politique
présidentiel. Les attributs nationaux ont été créés : le drapeau, l’hymne national, la
langue kirghize devenue langue nationale et officielle (plus tard, le russe sera désigné
deuxième langue officielle). Les premières années ont été marquées par l’avènement de
59
4,254 millions d’habitants en 1991 et 4,908 en 2001.
60
TORM Nina, The Nexus of Economic Growth, Employment and Poverty during Economic Transition : An
Analysis of Armenia, Kazakhstan, Kyrgyzstan, Moldova, Tajikistan and Uzbekistan, Discussion Papers, nª 13,
Geneva, ILO (International Labour Office), October 2003, p. 7.
27
plusieurs partis politiques, l’émergence d’une société civile et la création de médias
indépendants. La liberté religieuse s’est traduite par la construction de nouvelles
mosquées, spécialement dans le sud du pays où l’islam joue un rôle plus important
dans la vie des gens que dans les autres régions du pays. On estime qu’en quelques
années, un millier de mosquées environ ont été érigées. En même temps, de multiples
groupes religieux se sont efforcés de profiter d’un terrain religieusement parlant quasi
vierge : « In consequence, numerous American, European, and South Korean
missionary groups have been active, […] Bahais and other groups often denied access
to other republics in the region. » 61 Pendant un certain temps, ce petit pays a attiré
l’attention de l’opinion publique mondiale car il était considéré comme un « îlot de
démocratie » en Asie centrale, ce qui, parmi d’autres raisons, incita de nombreuses
organisations internationales de coopération à s’installer dans le pays. Néanmoins,
assez rapidement, le régime est devenu de plus en plus autoritaire, avec le
renforcement du pouvoir présidentiel, un contrôle accru sur les médias62 et une
pression toujours plus forte sur l’opposition.
L’identité kirghize s’appuie sur la culture nomade, qui était le mode de vie du
peuple kirghiz présoviétique, sur l’appartenance au monde musulman sunnite (même
si le sentiment religieux n’est pas très fort chez la population kirghize) et sur l’épopée
Manas, de plus en plus représentée comme le mythe fondateur de la nation kirghize. En
outre, les relations sociales sont construites autour de « clan, tribal and regional
affiliations » 63, l’appartenance régionale étant d’ailleurs un pilier de la vie politique et
des forces sociales encore plus important que ne le sont les liens claniques. Les deux
entités régionales majeures sont constituées par le Sud (plutôt rural) et le Nord (plus
urbanisé). C’est dans le Nord que se trouve la région de Chuy, d’où est originaire le
président et où se concentre la vie politique et économique.
Les réformes économiques : application d’une thérapie de choc
Sous le régime soviétique, le Kirghizistan, comme les autres pays d’Asie centrale,
connaissait un niveau économique relativement faible. Dans le système économique
soviétique, le pays jouait presque exclusivement le rôle de fournisseur de matières
premières, surtout de produits agricoles. En retour, il bénéficiait de transferts financiers
pour l’amélioration de l’infrastructure du pays. Le secteur de production était géré par
Moscou. De tous les pays centre-asiatiques, le Kirghizistan a été le plus intégré
commercialement aux autres républiques soviétiques puisqu’il réalisait 98% de son
commerce extérieur à l’intérieur même de l’URSS (40% de tous les produits importés
provenaient de la République soviétique de Russie). « N’ayant pas tissé des liens
économiques avec l’extérieur, on pouvait s’attendre à une sortie du système soviétique
parsemée d’écueils pour le Kirghizistan devenu indépendant. » 64 La Russie est
aujourd’hui encore un partenaire important pour le commerce extérieur ; c’est ainsi
que la crise économique et financière de 1998 en Russie a eu une influence très
défavorable sur l’économie kirghize. Une autre dépendance à l’égard du système
soviétique résidait dans le secteur de l’énergie, car la république importait la quasitotalité du gaz et du pétrole dont elle avait besoin. Cette dépendance vis-à-vis des pays
voisins, notamment l’Ouzbékistan et Kazakhstan, se poursuit d’ailleurs de nos jours.
61
ANDERSON John, Kyrgyzstan : Central Asia’s Island of Democracy ?, Amsterdam, Harwood Academic
Publishers, 1999, p. 33.
62
En 1994, le journal Svobodnye Gory était fermé pour la première fois.
63
EVERETT-HEATH Tom (ed.), op. cit., p. 111.
64
RADVANYI Jean (dir.), op. cit., p. 170.
28
En 1998, le Kirghizistan a importé 99,3% du gaz, 88% du pétrole et 67% du charbon
consommés65.
Prenant en compte les ressources limitées du pays et la nécessité d’attirer du
capital étranger pour « revitalising the economy and raising the living standards of the
population » 66, Askar Akaev a opté pour une voie de libéralisation rapide de
l’économie en vue d’accomplir le vaste processus de transition d’une économie
planifiée à une économie de marché. Soutenu par les organisations financières
internationales, il commence à mettre en œuvre le modèle de la « thérapie de choc »,
soit le chemin qui semble le plus court pour atteindre la stabilisation, la libéralisation et
la privatisation.
Le Kirghizistan est le premier pays en Asie centrale à avoir introduit sa propre
monnaie, en mai 1993, puis la convertibilité en 1995. Dès le début de la transition, il a
commencé à libéraliser les prix, maintenant toutefois jusqu’en 1994 le
subventionnement des produits essentiels afin de préserver le niveau de vie de la
population. Mais, à partir de 1994, la totalité des prix dépendait déjà du marché libre.
La privatisation a commencé en 1993 par la privatisation des terres et celle des petites
et moyennes entreprises ; elle doit se terminer en 2005 par la privatisation des grandes
entreprises stratégiques. Ces changements rapides ont rencontré de multiples
critiques : « A number of political commentators were critical of the mad dash to the
market and what they saw as a tendency to throw out the baby with the bathwater in
the economic sector. » 67
Depuis 1993, le Kirghizistan a bénéficié d’un prêt systématique du FMI pour la
transformation de sa structure économique et la mise en œuvre des plans d’ajustement
structurel. Il est devenu le pays centre-asiatique le plus soutenu financièrement par
habitant, par la communauté internationale 68. Il est aussi l’un des premiers pays de la
Communauté des Etats indépendants (CEI), et à ce jour encore le seul parmi les pays
d’Asie centrale, à avoir été admis à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en
décembre 1998.
Voici les progrès accomplis par le Kirghizistan dans la voie de la transition vers
l’économie de marché selon les indicateurs de transition, présentés par la Banque
européenne pour la reconstruction et le développement69 (BERD ; 1 = peu de progrès,
4+ = standard) :
– privatisation à large échelle
– privatisation à petite échelle
– libéralisation des prix
– commerce et système de change
– réforme bancaire et libéralisation des taux d’intérêt
– réforme des infrastructures
3
4
3
4
2+
1+
65
Ibid., p. 171.
66
ANDERSON John, op. cit., p. 69.
67
Ibid.
68
Voir, dans le chapitre III, la partie « Endettement ».
69
EUROPEAN BANK FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT, Transition Report : Agriculture and Rural
Transition : Economic Transition in Central and Eastern Europe and the CIS, London, EBRD, 2002, p. 20.
29
L’Ouzbékistan
L’Ouzbékistan est le pays le plus peuplé de la région et connaît une croissance
démographique annuelle de 2,9% environ70. La population se compose de 120
différents groupes ethniques, parmi lesquels les Ouzbeks (80% de la population), les
Russes (5,5%) et les Tadjiks (5%)71. 60% environ vivent dans les régions rurales et
autant ont moins de 18 ans. La population bénéficie de larges ressources naturelles,
comme le gaz et l’or, et de la production de coton. Le secteur de l’agriculture
représentait 33% du PIB en 1990 et 34,9% en 2001, tandis que l’industrie baissait de 33%
en 1990 à 21% en 2002 et que le secteur des services, lui, grimpait de 34% à 46% dans le
même intervalle 72. Le pays est doublement enclavé et 7% de son territoire se compose
de déserts.
Les changements politiques
Dès les premiers jours de l’indépendance, le président de l’Ouzbékistan, Islam
Karimov73, instaure un régime de type présidentiel, approuvé par la Constitution en
1992. Il impose une approche autoritaire, masquée par certaines pratiques
démocratiques comme les élections « libres ». « Bien que la Constitution en vigueur
limite les mandats présidentiels à deux mandats consécutifs, l’actuel président dirige
cette République depuis 1989 et restera vraisemblablement au pouvoir au moins
jusqu’en 2007. » 74
Pendant les élections de 1991, le nationalisme et la religion musulmane ont été
utilisés par Islam Karimov comme une arme pour se démarquer de l’ancien processus
de russification et également comme un moyen de reconstruire l’identité nationale et
culturelle de la société ouzbek. Cette politique a favorisé l’épanouissement de l’islam,
comme l’attestent la construction de nombreuses mosquées et une fréquentation de
plus en plus élevée des établissements religieux, mais aussi l’avènement de
mouvements religieux : l’organisation Taouba milite pour l’instauration d’une
république islamique et le mouvement Adolat, initialement non religieux et qui luttait
pour la restauration de l’ordre public, s’est rapproché par la suite des groupes
wahhabites et a pris une coloration religieuse. L’attitude du gouvernement envers
l’islam se modifia assez rapidement : « La reprise en mains s’effectue d’abord contre
l’opposition démocratique puis dans la vallée du Ferghana contre des organisations,
débordant du terrain purement religieux pour empiéter dans la sphère politique. » 75
Ainsi, le régime s’est transformé et réprime toute forme d’opposition en Ouzbékistan,
en utilisant la force contre les opposants, en mettant leurs familles sous pression et en
interdisant l’édition de journaux : « Les responsables de ces partis (partis Erk et Birlik)
sont surveillés et leurs membres sont harcelés par les services de sécurité. Inspirer une
terreur aveugle, tel est le but recherché. » 76 Les islamistes se réfugient en Afghanistan,
où le Mouvement islamiste d’Ouzbékistan gagne en vigueur77. En 1999 et 2000, ce
70
20’613 millions d’habitants en 1991 et 24’813 en 2001.
71
Données de 1996.
72
TORM Nina, op. cit., p. 7.
73
Ancien premier secrétaire du Parti communiste d’Ouzbékistan, élu président pour la première fois en
mars 1990 et réélu après l’indépendance en décembre 1991.
74
RADVANYI Jean (dir.), op. cit., p. 180.
75
KARAM Patrick, op. cit., p. 245.
76
Ibid., p. 246.
77
Patrick Karam (op. cit., p. 253) estime les troupes de ce mouvement à 3000 hommes.
30
mouvement essaya de traverser les frontières du Tadjikistan et du Kirghizistan pour
atteindre son but : renverser le président Karimov.
Malgré la dérive autoritaire du régime, il existe cinq partis politiques, mais tous
soutiennent le président, pour lequel ils ne constituent aucun danger car ils sont
dénués de poids politique réel. Andrew Apostolou remarque que sur le plan politique
il n’y a pas eu de rupture réelle avec le régime communiste en Ouzbékistan : « For
President Karimov, a product of the Rashidov78 political machine, the Brezhnev-era
represents the “good old days”, while that tepid reformer, Mikhail Gorbachev, was a
dangerous radical. » 79 Dans d’autres expériences de transition aussi, on a vu des excommunistes revenir au pouvoir, mais c’était souvent en tant que démocrates alors
qu’en Ouzbékistan il n’y a pas eu une telle mutation. « Notre République peut vivre
soit dans la démocratie, soit dans l’ordre… Il n’est pas nécessaire de reprendre la
démocratie occidentale qui nous est étrangère. Chez nous, nous aurons notre propre
démocratie nationale qui élèvera l’Ouzbékistan au rang des plus grandes puissances
du monde. » Voilà le discours que tient le président Karimov80.
Les dix premières années d’indépendance ont été marquées par l’établissement
d’un régime fort, axé sur une stratégie de développement économique « ne laissant
place à aucune réforme démocratique des institutions » 81. Encore plus fortement que
dans les autres républiques centre-asiatiques, c’est par le retour de la langue ouzbek
dans les domaines politique, économique et culturel et par la réduction du rôle de la
langue russe que l’identité nationale ouzbek essaie de se forger. D’ailleurs, l’écriture de
la langue est passée du cyrillique au latin et les noms des villes et des rues ont été
« dérussifiés ». En Ouzbékistan, les représentations identitaires se construisent
majoritairement autour de l’appartenance régionale, mais celle-ci s’articule avec
« d’autres considérations sociales comme le rapport au passé, au pouvoir, au sacré, aux
relations économiques et sociales » 82. Sur le plan général, les quatre régions du pays ont
chacune leur grand clan : le clan de la vallée de Ferghana, le clan du sud du pays, le
clan de Boukhara et Samarkand, et le clan de Tachkent. L’appartenance locale est aussi
une dimension importante dans la vie sociale, qui se construit autour d’un ou plusieurs
villages, d’une ville ou d’une région entière.
Les réformes économiques
L’Ouzbékistan a suivi une trajectoire différente de celle du Kirghizistan pour son
développement économique. Le président Karimov a choisi l’approche graduelle du
développement économique et proclamé les principes suivants pour réaliser la
transition :
– priorité de l’économie sur la politique ;
– suprématie de la loi ;
– rôle essentiel de l’Etat dans les transformations ;
– mise en place progressive des réformes ;
– organisation de la protection sociale.
78
Sharaf Rashidov, secrétaire du Parti communiste d’Ouzbékistan de 1959 à 1982, fut accusé d’avoir
détourné des bénéfices de la filière cotonnière.
79
APOSTOLOU Andrew, State Failure and Radicalism in Central Asia, Foundation for the Defense of
Democracies, a Nixon Center Conference, Ankara, 20-21 February 2004, <http://www.
defenddemocracy.org/usr_doc/State_Failures_and_Radicalism_in_Central_Asia_.pdf>, p. 4.
80
Interview avec le président Karimov, Le Monde, 8 mars 1993, cité dans KARAM Patrick, op. cit., p. 255.
81
RADVANYI Jean (dir.), op. cit., p. 179.
82
PÉTRIC Boris-Mathieu, op. cit., p. 121.
31
C’est ainsi que le gouvernement de l’Ouzbékistan est devenu l’acteur principal
du développement et qu’il a opté pour le démantèlement très progressif du système
économique planifié et pour l’autonomie du pays sur le plan agricole et énergétique.
D’importants atouts jouaient en sa faveur : peu industrialisé, le pays est
majoritairement agricole et, à l’époque soviétique, les exportations représentaient
moins de 30% du PIB. En outre, les richesses du sol ouzbek ont permis d’atteindre une
autonomie énergétique et, dans une certaine mesure, agricole.
L’Ouzbékistan a introduit la libéralisation des prix en janvier 1992. La même
année, pour attirer des capitaux, il libéralise les conditions pour les investisseurs
étrangers, qui ont le droit d’acheter des usines et des bâtiments et se voient exonérés
d’impôts sur le revenu pendant cinq ans. Mais le contrôle sur le prix de certains articles
et services de base était maintenu. « Depuis 1993, l’accent a été mis sur une politique de
substitution à l’importation, doublée de mesures protectionnistes pour la production
nationale. En ce qui concerne le secteur agricole, l’Ouzbékistan se doit ainsi de
moderniser son agriculture afin de valoriser sa principale ressource d’exportation, le
coton […]. » 83
En ce qui concerne la politique monétaire, une monnaie nationale a été créée en
juillet 1994, ce qui a permis de stabiliser la situation macroéconomique. La même année
a été réalisée la privatisation des maisons privées. En 1995, le gouvernement adopta un
programme proposé par le FMI, mais ce programme fut suspendu en 1996. En effet,
pour protéger le marché intérieur contre la concurrence étrangère, l’Ouzbékistan
réintroduisit le contrôle du marché des changes. Cette mesure augmenta les ressources
de l’Etat : « In 1995–97, the current revenues of the state budget averaged some 32,5
percent of the GDP compared to 15 percent in Kyrgyzstan. » 84
A la fin des années 1990, le problème du déséquilibre croissant de la balance des
paiements poussa les autorités ouzbeks à adopter un programme de privatisation des
grandes entreprises et « les deux taux de change étatiques, le “taux de change officiel”
et le “taux commercial”, sont unifiés à partir de novembre 2001. Depuis juin 2001, les
petites et moyennes entreprises sont autorisées à garder leurs recettes en devises » 85.
Les indicateurs de transition pour l’Ouzbékistan, présentés par la BERD, sont les
suivants86 :
– privatisation à large échelle
– privatisation à petite échelle
– libéralisation des prix
– commerce et système de change
– réforme bancaire et libéralisation des taux d’intérêt
– réforme des infrastructures
3–
3
2
2–
2–
2–
83
MEIER Michael, « L’Asie centrale en transition. La privatisation de l’agriculture en Ouzbékistan », Du
socialisme à l’économie de marché. Errances de la transition, NOVEMBER Andràs (dir.), Nouveaux Cahiers de
l’IUED, nº 12, Paris, Presses Universitaires de France ; Genève, IUED, 2001, p. 220.
84
ZHUKOV Stanislav, « Adapting to Globalisation », Central Asia and the New Global Economy, RUMER Boris
(ed.), Armonk (New York) ; London, M.E. Sharpe, 2000, p. 161.
85
RADVANYI Jean (dir.), op. cit., p. 183.
86
EUROPEAN BANK FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT, op. cit., p. 20.
32
III. Des principaux facteurs de détérioration des conditions de vie
au Kirghizistan et en Ouzbékistan
Avant d’analyser les principaux facteurs de détérioration des conditions sociales, qui
sont liés au choix de la politique économique, il nous paraît important de revenir aux
facteurs qui ont pu influencer l’Ouzbékistan et le Kirghizistan dans leur choix respectif
d’une stratégie de transition.
Le développement économique du Kirghizistan est désavantagé par l’absence de
richesse énergétique, qu’il faut importer en grande quantité, par le manque de terre
cultivable (celle-ci ne représente que 7% du territoire mais emploie autour de 40% de la
population), par les structures de production industrielle, qui ne correspondent guère à
celles de l’économie nationale, et par l’absence de produits que le pays peut proposer
au marché mondial (à l’exception peut-être de l’or, qui entraîne toutefois des coûts
d’exploitation élevés). Ainsi, le pays a eu besoin d’un grand soutien financier, qu’il a
obtenu de la part des institutions financières internationales et des investisseurs grâce à
la rapidité de son ouverture politique et économique.
L’Ouzbékistan, en comparaison du Kirghizistan, avait des atouts importants : des
ressources naturelles (particulièrement l’or et le gaz), une main-d’œuvre nombreuse et
la production de coton (malgré les effets écologiques néfastes des plantations
cotonnières), facilement transportable et susceptible de susciter l’intérêt du marché
mondial. Ces atouts lui ont permis de mettre en œuvre une politique
d’industrialisation par substitution des importations et, plus progressivement, d’ouvrir
ses frontières à l’économie de marché.
Ci-dessous, nous avons réuni les principaux facteurs de détérioration des
conditions de vie dans les deux républiques en trois sous-groupes : le niveau de
développement économique ; la privatisation et les réformes agraires ; la politique
sociale.
Le développement économique
La croissance ou la décroissance
En dépit des chemins différents choisis, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan ont tous
deux subi un déclin important de leur PIB. Pourtant, de 1991 à 1995, le PIB a enregistré
une baisse beaucoup plus prononcée au Kirghizistan (–49%) qu’en Ouzbékistan
(–19%)87. Cette diminution a affecté tous les secteurs de l’économie : la production
agricole a baissé de 38% au Kirghizistan et de 12% en Ouzbékistan ; dans le cas de la
production industrielle, la chute fut encore plus spectaculaire, atteignant 68% au
Kirghizistan contre seulement 7% en Ouzbékistan88. Le Kirghizistan n’était pas
87
Les données statistiques sont sujettes à caution dans le cas de l’Ouzbékistan. Selon les spécialistes des
agences internationales, beaucoup de composants statistiques élaborés par les agences nationales ne
sont pas fiables.
88
ZHUKOV Stanislav, « Central Asia : Development under Conditions of Globalisation », Central Asia : A
Gathering Storm, RUMER Boris (ed.), Armonk (New York) ; London, M.E. Sharpe, 2002, pp. 333-334.
33
seulement touché par un déclin économique, mais aussi par la « demodernisation of its
economy » 89.
A partir de 1996, on assiste à une croissance du PIB très importante de 7,1% au
Kirghizistan. Elle est positive dans les deux secteurs précités, mais elle atteint 9,9% en
1997 avant tout grâce à la production industrielle et tout particulièrement grâce à la
production de l’or. « In Kyrgyzstan, industrial production grew by 55 percent and
agricultural production by 41 percent between 1996 and 2000. » 90 En Ouzbékistan, la
croissance liée à la production industrielle est de 1,6% en 1996. En 2001, l’Ouzbékistan
a atteint 105% du niveau du PIB de 1989 et le Kirghizistan 71% seulement. Le tableau 2
montre la croissance du PIB dans les deux pays pendant la première décennie de la
transition.
Tableau 2 – Taux de croissance du PIB au Kirghizistan et en Ouzbékistan, 1990-2001
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
Croissance du PIB
Kirghizistan
3.0
–5.0
–19.0 –16.0 –20.1 –5.4
7.1
9.9
2.1
3.7
5.1
5.3
Ouzbékistan
1.6
–0.5
–11.1 –2.3
1.6
2.5
4.4
4.1
4.0
4.5
–24.4 –25.3 –28.0 –17.8
3.9
39.7
5.3
–4.2
6.0
—
–6.7
0.1
2.6
4.1
3.6
6.1
6.4
—
–10.0 –18.0 –2.0
12.0
3.0
9.0
8.0
4.0
—
–6.0
6.0
4.0
5.9
3.2
—
–4.2
–0.9
Production industrielle
Kirghizistan
—
–0.3
Ouzbékistan
—
1.5
3.6
1.6
Production agricole
Kirghizistan
—
–10.0 –5.0
Ouzbékistan
—
–1.0
–6.0
1.0
–8.0
2.0
Sources :
– croissance du PIB : E UROPEAN BANK FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT), Transition Report :
Agriculture and Rural Transition : Economic Transition in Central and Eastern Europe and the CIS,
London, EBRD, 2002, p. 58 ;
– productions industrielle et agricole : ZHUKOV Stanislav, « Central Asia : Development under Conditions of
Globalisation », Central Asia : A Gathering Storm, RUMER Boris (ed.), Armonk (New York) ; London,
M.E. Sharpe, 2002, p. 334.
Il existe des facteurs communs qui ont joué un rôle important dans
l’effondrement initial de la production des deux pays lors de la première moitié des
années 1990. A l’ère soviétique, les républiques soviétiques ont bénéficié de prix très
bas sur les ressources énergétiques : « At the market rate, the cost of oil in December
1991 was only 0.4 percent of the world price. » 91 Par conséquent, les coûts de transport
étaient aussi insignifiants, ce qui a permis de stimuler les activités économiques sur
tout le territoire de l’Union soviétique. Après l’indépendance, la dérégulation des prix,
l’augmentation des prix sur les ressources énergétiques et le transport ainsi qu’un
exode massif de la population slave ont été les causes les plus importantes du déclin
économique au Kirghizistan. Stanislav Zhukov montre que beaucoup d’entreprises
agraires, industrielles ou dans le domaine des services, « with new configuration of
domestic prices and production costs – were from the outset doomed to bankruptcy
89
INTERNATIONAL CRISIS GROUP, Central Asia : Crisis Conditions in Three States, Asia Report, nº 7, Brussels,
7 August 2000, <http://www.crisisweb.org/home/index.cfm?id=1435&l=1>, p. 11.
90
ZHUKOV Stanislav, op. cit., p. 336.
91
Ibid., p. 360.
34
and liquidation »92. L’introduction rapide des mesures libérales a exposé les
producteurs domestiques à la compétition globale en matière de coûts de production,
que seule une minorité des producteurs pouvait assumer. Les autres ont connu la
liquidation car ils ne pouvaient pas résister à l’arrivée de produits importés bon
marché.
Par contre, l’Ouzbékistan n’a connu qu’un faible recul de ses capacités
productives après l’indépendance. Selon les mots de Michael Meier, cela s’est fait grâce
à « la réorientation rapide des exportations de matières premières vers un marché
mondial en demande »93 – elles concernent en effet 75% de toutes les exportations – et
au rôle prédominant de l’agriculture dans l’économie ouzbek, qui est utilisée comme
une « source de ressources ». Le secteur agricole emploie 40% environ de la population
active et représente approximativement 33% du PIB. Grâce au surplus agricole, le pays
a pu maintenir son secteur industriel qui, par conséquent, n’a que légèrement reculé.
Ses ressources énergétiques lui ont aussi permis d’adoucir le choc lié à l’augmentation
des produits énergétiques.
La redistribution sectorielle de l’emploi
A la suite des différentes approches de politique économique des deux pays, on
observe des différences dans la redistribution sectorielle de l’emploi. Dans le cas du
Kirghizistan, la structure de l’emploi a subi un changement radical : entre 1990 et 2000,
la part du secteur industriel dans l’emploi a baissé de 28% à 11% tandis que celle de
l’agriculture a considérablement augmenté, passant de 33% à 53%. Ces changements
s’expliquent d’une part par l’effondrement initial de la production et par le processus
de privatisation des entreprises étatiques, qui ont provoqué une forte
désindustrialisation menant à son tour à la perte d’emploi. D’autre part, la
privatisation de la terre a donné la possibilité aux gens de trouver un refuge dans le
secteur de l’agriculture pour assurer leur subsistance.
Dans le cas de l’Ouzbékistan, les changements dans la structure de l’emploi sont
peu importants et coïncident avec le taux de proportion des secteurs dans le PIB. Ainsi,
le démantèlement du secteur industriel a été moindre qu’au Kirghizistan et la
proportion de la force de travail dans l’industrie a baissé de 24% en 1990 à 21% en 2000,
passant par 19% en 1995. La part du secteur agricole dans l’emploi, elle, est passée de
39% à 36%. Ces changements modérés peuvent être attribués au détournement de la
part des profits du secteur agricole vers celui de l’industrie, ce qui a permis de
sauvegarder les emplois.
Dans les deux pays, le secteur tertiaire emploie une part importante de la
population, mais cette proportion augmente en Ouzbékistan alors qu’elle diminue au
Kirghizistan.
92
Ibid.
93
MEIER Michael, op. cit., p. 221.
35
Tableau 3 – Redistribution sectorielle de l’emploi au Kirghizistan et en Ouzbékistan,
1990,1995, 2000 (en pourcentage)
1990 1995 2000
Kirghizistan
Ouzbékistan
Agriculture
33
46
53
Industrie et construction
28
16
11
Services
39
38
36
Agriculture
39
41
36
Industrie et construction
24
19
21
Services
37
40
43
Source : ZHUKOV Stanislav, « Central Asia : Development under
Conditions of Globalisation », Central Asia : A Gathering Storm,
RUMER Boris (ed.), Armonk (New York) ; London, M.E. Sharpe,
2002, p. 342.
Le taux d’inflation et les salaires réels
La crise économique s’est aussi traduite par une explosion du taux d’inflation
dans toutes les républiques centre-asiatiques de 1990 à 1994. Au Kirghizistan, où les
réformes étaient plus progressives, le niveau le plus haut de l’inflation a été de 855% en
1992 ; en 1995, il s’est abaissé à 40,7% et n’était que de 7% à la fin de 2001. En
Ouzbékistan, l’inflation a atteint jusqu’à 1568% en 1994, avant de diminuer
progressivement jusqu’à 26,2% en 2001, taux cependant toujours important.
Tableau 4 – Taux d’inflation au Kirghizistan et en Ouzbékistan, 1990-2001
(en pourcentage)
1990
1991
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
Kirghizistan
—
85.0
1992
855.0 772.4 228.7
1993
40.7
31.3
25.5
12.0
35.8
18.7
7.0
Ouzbékistan
3.1
82.2
645.0 534.0 1568.0 304.6
54.0
58.9
17.8
29.1
24.2
26.2
Source : EUROPEAN B ANK FOR RECONSTRUCTION AND D EVELOPMENT, Transition Report : Agriculture and Rural
Transition : Economic Transition in Central and Eastern Europe and the CIS, London, EBRD, 2002, p. 60.
Le tableau 5 montre l’évolution du salaire réel. La baisse du niveau des salaires a
considérablement touché l’Ouzbékistan à cause du niveau élevé de l’inflation tout au
long des années 1990. En 1994, l’inflation de 1568% susmentionnée (tableau 4) a fait
fondre le pouvoir d’achat et le niveau est descendu jusqu’à 9,9%. Au Kirghizistan, la
baisse s’est produite pendant la période de haute inflation de 1992 et 1993, a atteint
jusqu’à 42% en 1994 puis s’est maintenue dans le même décile les années suivantes
(hormis une légère progression en 1998). En outre, comme le remarque Katharina
Müller, il faut prendre en considération le fait qu’en Asie centrale les salaires sont
souvent payés avec un grand retard, voire ne sont pas payés du tout, ce qui augmente
encore l’érosion de la valeur réelle 94.
94
36
MÜLLER Katharina, Poverty and Social Policy in the Central Asian Transition Countries, Reports and
Working Papers, nº 2, Bonn, GDI (German Development Institute), 2003, p. 37.
Tableau 5 – Variation du salaire réel au Kirghizistan et en Ouzbékistan, 1989-2000
(indice ; année de base = 100)
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
—
100.0
70.7
59.4
49.6
42.0
43.5
44.5
49.1
54.1
49.4
48.6
Ouzbékistan 100.0 108.7
95.9
94.7
17.8
9.9
9.2
12.1
12.8
16.2
20.8
20.4
Kirghizistan
Source : UNICEF, Social Monitor 2002 : The MONEE Project : CEE/CIS/Baltics, Florence, UNICEF
Innocenti Research Centre, 2002, p. 91.
Le chômage et le secteur informel
Le chômage est officiellement apparu comme un nouveau phénomène après
l’indépendance. Bien entendu, il existait déjà dans ces républiques pendant les années
1980 mais c’était un chômage caché 95. Selon les statistiques nationales, le chômage dans
les deux pays est très bas, mais on doit prendre en considération le fait que les chiffres
recensent les chômeurs officiellement enregistrés. Or, peu de chômeurs s’enregistrent
officiellement, probablement découragés par le fait que les prestations sont très basses
et ne sont accordées que pendant une très brève période. Une autre explication peut
être qu’après l’indépendance, dans le cas du Kirghizistan, plusieurs entreprises d’Etat
ont été abandonnées ou partiellement restructurées et, dans ce cas, les employés ont dû
prendre un congé forcé non payé ou rester seulement à temps partiel. Jane Falkingham
affirme aussi que pour beaucoup de gens « there is little incentive to register as few are
entitled to any benefits and few vacancies are available. Furthermore, official registered
unemployment does not take account of the very extensive underemployment in many
state owned enterprises and agriculture collectives » 96.
Tableau 6 – Taux de chômage au Kirghizistan et en Ouzbékistan, 1992-2001
(en pourcentage du nombre de travailleurs)
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001
Kirghizistan
0.1
0.2
0.7
2.9
4.3
3.1
3.1
2.9
3.0
3.2
Ouzbékistan
0.1
0.2
0.3
0.3
0.3
0.3
0.4
0.4
0.4
0.4
Source : UNICEF, Innocenti Social Monitor 2004, Florence, UNICEF Innocenti
Research Centre, 2004, pp. 111 et 124.
Le marché du travail dans les pays en transition est caractérisé par un nombre
important de personnes employées dans le secteur informel. Au Kirghizistan, « it is
estimated that the “grey economy” accounts for as much as 50% of GDP » 97.
L’impossibilité de survivre en étant au chômage et le manque de travail formel ont
incité les gens à chercher des possibilités dans le secteur informel. Ils se sont mis à
gagner de l’argent sur les marchés ou à monter de petites affaires commerciales ; un
95
POMFRET Richard, The Transition to a Market Economy, Poverty, and Sustainable Development in Central Asia,
Adelaide, University of Adelaide, 1998, p. 4.
96
FALKINGHAM Jane, From Security to Uncertainty : The Impact of Economic Change on Child Welfare in Central
Asia, Innocenti Working Papers, nº 76, Florence, UNICEF Innocenti Research Centre, May 2000, p. 10 ;
WORLD BANK, Kyrgyz Republic : Enhancing Pro-poor Growth, Report nº 24638-KG, Washington, D.C.,
World Bank, 2003, p. 51.
97
TORM Nina, op. cit., p. 20.
37
grand nombre de professeurs, de médecins et d’autres personnes qualifiées ont
abandonné leur profession pour travailler sur les marchés et faire leur possible pour
nourrir leur famille.
La balance des paiements
La fin du système économique de planification centrale a plus particulièrement
touché les républiques d’Asie centrale, car elles dépendaient fortement de
l’importation. N’ayant pas tissé de liens avec les autres pays du monde, elles ont dû
chercher de nouveaux partenaires. Une des difficultés qui les attendait,
particulièrement problématique pour les Etats riches en pétrole et en gaz comme le
Kazakhstan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan, tenait au fait que les pipe-lines existants
sont liés aux pays ex-soviétiques, qui ne sont pas toujours en mesure de payer en
devises et proposent souvent le système de troc98. Les prix sur le marché mondial
peuvent aussi exercer une influence positive ou négative sur la balance des paiements.
L’Ouzbékistan, qui exporte principalement du coton, du gaz et de l’or, voit sa
prospérité économique affectée en grande partie par les fluctuations des prix de ces
produits sur le marché mondial. Par contre, le Kirghizistan comme le Tadjikistan n’ont
pas grand-chose à proposer sur le marché mondial.
Tableau 7 – Balance des paiements au Kirghizistan et en Ouzbékistan, 1991-2001
(en pourcentage du PIB)
Kirghizistan
Ouzbékistan
1991
1992
1993
—
—
—
395.6 –12.0
–8.4
1994
1995
1996
–6.9 –13.9 –21.4
2.1
–0.2
–7.8
1997
2000
2001
–7.8 –25.0 –19.5 –11.6
1998
1999
–3.4
–5.4
–0.5
–0.4
–2.0
2.8
Source : EUROPEAN BANK FOR RECONSTRUCTION AND D EVELOPMENT, Transition Report : Agriculture and
Rural Transition : Economic Transition in Central and Eastern Europe and the CIS, London, EBRD,
2002, p. 64.
Les flux des investissements et l’aide publique au développement
Il est intéressant d’étudier les flux des investissements directs étrangers (IDE) et
de l’aide financière dont les pays d’Asie centrale ont bénéficié tout au long des années
1990. Hormis le Kazakhstan, qui a bénéficié de 577 dollars par habitant de 1989 à 2000
grâce à sa richesse pétrolière et à la progression de ses réformes économiques, les
quatre autres républiques n’ont suscité qu’un faible intérêt de la part des investisseurs.
Pendant la même période, les IDE du Kirghizistan équivalaient à 93 dollars par
personne et ceux de l’Ouzbékistan à seulement 28 dollars par personne. Il faut noter
que dans leur ensemble, les pays d’Europe centrale et les Pays baltes ont attiré,
toujours pour la même période, environ 1154 dollars par personne 99.
Par contre, en ce qui concerne l’aide publique au développement, c’est le
Kirghizistan qui était soutenu le plus fortement depuis son engagement à suivre la voie
vers la démocratie et l’économie de marché. Ainsi, en 1998 et en 2001, il a bénéficié
respectivement de 50 et de 38 dollars par personne contre 7 et 6 dollars par personne
en Ouzbékistan.
98
MÜLLER Katharina, op. cit., p. 27.
99
Ibid., p. 28.
38
Tableau 8 – Investissements directs étrangers (1989-2000) et aide publique
au développement (1998 et 2001) au Kirghizistan et en Ouzbékistan
(en dollars par personne)
Kirghizistan
Ouzbékistan
Investissements directs étrangers (1989-2000)
93
28
Aide publique au développement
1998
2001
50
38
7
6
Sources :
– investissements directs étrangers : MÜLLER Katharina, Poverty and Social Policy in the
Central Asian Transition Countries, Reports and Working Papers, nº 2, Bonn, GDI
(German Development Institute), 2003, p. 28 ;
– aide publique au développement : World Economic Indicators Database, <http://
devdata.worldbank.org/data-query>.
L’endettement
L’arrêt des transferts financiers vers les budgets des Etats centre-asiatiques par
l’URSS, à la suite de sa dissolution, et les balances de paiement négatives ont poussé les
pays vers une nouvelle dépendance : celle envers les bailleurs de fonds internationaux.
Les républiques d’Asie centrale n’ont pas eu de dettes dans leurs actifs au début du
processus de transition car c’est la Russie qui en avril 1993, a assumé l’ensemble des
dettes de l’Union soviétique 100. A la fin de 1994, les dettes du Kirghizistan constituaient
déjà 33,8% du PIB et elles se sont aggravées progressivement jusqu’à atteindre près de
132,5% du PIB à la fin des années 1990. C’est un sujet préoccupant surtout pour le long
terme, puisque les pays donateurs recourront toujours plus à cette dépendance. Par
exemple, « à la veille d’un nouveau rééchelonnement de la dette en octobre 2000, la
Russie a préféré acquérir quatre combinats métallurgiques importants dont celui
d’Orlovka pour les métaux rares et celui de Khaidarkan pour le mercure » 101. En
Ouzbékistan, l’endettement est aussi important en valeur absolue mais sans porter
autant à conséquence pour l’économie du pays qu’il ne le fait au Kirghizistan.
L’Ouzbékistan est aussi le seul pays d’Asie centrale à ne pas consacrer plus d’argent au
service de la dette qu’aux secteurs de l’éducation et de la santé102.
Tableau 9 – Dette extérieure du Kirghizistan et de l’Ouzbékistan, 1994-2000
(en pourcentage du PIB)
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
Kirghizistan
33.8
45.2
57.9
76.0
88.4
132.5
127.0
Ouzbékistan
19.5
19.3
19.0
24.1
32.4
52.1
66.0
Source : EUROPEAN BANK FOR RECONSTRUCTION AND DEVELOPMENT,
Transition Report : Agriculture and Rural Transition : Economic Transition
in Central and Eastern Europe and the CIS, London, EBRD, 2002,
pp. 169 et 217.
100
UNITED NATIONS DEVELOPMENT PROGRAMME , Macroeconomika sokrashenia bednosti v Kyrgyzskoi respublike,
Bishkek, UNDP/Kyrgyzstan, 2002, p. 23.
101
RADVANYI Jean (dir.), op. cit., p. 172.
102
MÜLLER Katharina, op. cit., p. 60.
39
La privatisation et les réformes agraires
Le Kirghizistan a commencé sa première phase de privatisation des petites et
moyennes entreprises (PME) en 1992-1993 par l’intégration du système des vouchers,
qui permet aux citoyens d’obtenir les actions de ces entreprises. 600 entreprises étaient
concernées par cette première phase. A la même époque, tous les citoyens ont reçu le
droit de privatiser les maisons où ils étaient domiciliés officiellement avant
l’indépendance. La deuxième phase, entamée en 1994, vise la privatisation de 1500
moyennes et grandes entreprises (mais l’Etat est l’actionnaire principal de certaines
entreprises exploitant l’or et l’énergie). La privatisation doit s’achever en 2005 par la
privatisation des entreprises stratégiques comme l’agence de télécommunications
nationale, les entreprises de distribution de gaz et d’énergie et la compagnie aérienne
nationale. Comme indiqué dans le National Poverty Reduction Strategy 2003-2005, 75%
des fonds de cette privatisation serviront à couvrir la dette du pays103. La privatisation
touchera aussi les bâtiments des institutions médicales restructurées.
En Ouzbékistan, c’est le comité de propriété de l’Etat qui gère le programme de
privatisation. Une première phase a concerné la privatisation d’habitations ; les
citoyens ont eu le droit de privatiser les maisons et les appartements où ils avaient
vécu pendant longtemps, mais pas la terre qui se trouvait autour de leur maison.
Quant aux petites entreprises, « from late 1992 until mid-1995 47’000 businesses had
been sold by cash auction or leased (mainly to employees) » 104. La privatisation des
grandes entreprises a débuté en 1994, mais les branches d’exploitation des plantations
de coton, de l’énergie, des métaux, de l’industrie minière et des transports aériens et
ferroviaires sont restées propriété de l’Etat.
Dans les deux pays, le processus de privatisation d’entreprises publiques s’est
accompagné de multiples irrégularités. La privatisation a largement profité aux
fonctionnaires occupant des positions importantes et à leurs proches. Les entreprises
rentables ont été souvent vendues moins cher que leur prix réel et les résultats des
appels d’offres décidés à l’avance. Un rapport d’International Crisis Group (ICG)
conclut que le résultat de tels procédés est l’apparition d’une économie de type féodal,
gérée par un nombre restreint de personnes105
La privatisation de l’agriculture
La majorité de la population de l’Ouzbékistan et du Kirghizistan vit dans les
régions rurales. Le taux de pauvreté étant plus élevé parmi la population rurale, il nous
semble important d’examiner les changements liés à la transformation du mode de
production agricole, de l’organisation du travail et de l’appropriation des terres et des
moyens de production.
Après avoir vécu pendant soixante ans le mode de fonctionnement au sein des
collectivités agricoles, les agriculteurs font face à une nouvelle rupture : la
« décollectivisation ». C’est une rupture car « de nouveaux modes d’articulation entre
terre, capital et travail prennent la succession des rapports de production collectiviste,
103
GOVERNMENT OF THE KYRGYZ REPUBLIC, National Poverty Reduction Strategy 2003-2005. Expanding the
Nation’s Potential, Bishkek, 2002, p. 262.
104
KASER Michael, « Economic Transition in Six Central Asian Economies », Central Asian Survey, vol. 16,
nº 1, 1997, p. 19.
105
INTERNATIONAL CRISIS GROUP, The Failure of Reform in Uzbekistan : Ways Forward for the International
Community, Asia Report, nº 76, Brussels, 11 March 2004, <http://www.crisisgroup.org/home/index.
cfm?id=2537&l=1>, p. 29.
40
au sein des exploitations privatisées »106, et cette transformation demande beaucoup de
temps pour s’habituer à une nouvelle logique marchande et à de nouveaux titres et
droits de propriété. En outre, les kolkhozes et les sovkhozes n’étaient pas qu’une place
de travail organisé ; avec le temps, le système de groupes traditionnels de solidarité
(par exemple, dans le cas de l’Ouzbékistan, les mahallas, auxquelles nous revenons plus
loin) s’était véritablement transmis à ces entreprises agricoles, devenues ainsi « des
groupes de solidarité, territorialisés dans le cadre du système soviétique » 107.
La privatisation agricole au Kirghizistan
Aujourd’hui, l’agriculture représente approximativement 40% du PIB du
Kirghizistan et occupe la moitié de sa main-d’œuvre. C’est donc un secteur important
dans l’économie kirghize. Mais il s’agit d’une agriculture à risque à cause des
conditions climatiques et de la nécessité de systèmes d’irrigation pour une production
stable. En outre, l’élevage constitue un secteur important de l’agriculture. Depuis
l’indépendance, le secteur de l’agriculture a connu une réduction des transferts
étatiques et la suppression du système de couverture des dépenses pour l’irrigation.
Par conséquent, celle-ci devient de plus en plus difficilement utilisable. Un autre
problème est l’augmentation du prix des machines agricoles, de leurs pièces détachées
et du pétrole. A présent, les anciens équipements de l’ère soviétique sont usés et
l’agriculture de moins en moins mécanisée.
A partir de 1993, l’année où le Kirghizistan a adopté le programme de
stabilisation du FMI et a effectivement entamé la transformation de son économie, la
politique budgétaire a été soumise à des corrections : diminution des dépenses sociales
ainsi que des transferts budgétaires aux entreprises et au secteur agricole. En même
temps, le processus de privatisation a commencé par la restructuration des collectivités
agricoles et par la privatisation des terres arables. Plusieurs sources indiquent que ce
processus a été équitable au Kirghizistan. « This “small country” model has produced a
highly equitable land ownership structure, but the average land plot is very small,
ranging from 0,5 hectare to 1,5 hectares in most cases. » 108 72% des terres arables ont été
partagés entre 510’000 ménages habitant dans les régions rurales109. Cela a créé des
secteurs ruraux pratiquant l’agriculture de substitution. Les petites fermes familiales
n’ont souvent pas les moyens d’investir dans l’équipement et n’ont plus l’accès aux
crédits comme les grandes entreprises. D’autres sources toutefois montrent que
beaucoup d’erreurs ont été commises pendant le processus de privatisation : des
personnes n’ont pas reçu la terre qu’elles étaient en droit de recevoir, et certaines des
parcelles attribuées n’avaient pas d’accès à l’eau.
Ainsi, les grandes entreprises agricoles dirigées par l’Etat ont été transformées en
petites exploitations indépendantes. On assiste alors à la naissance de « nouveaux
agriculteurs », qui sont toutefois très peu au courant des pratiques de gestion ; ils n’ont
pas suivi la formation nécessaire pour travailler la terre et ne possèdent ni les
équipements indispensables ni les capitaux pour mettre en œuvre les innovations qui
se sont imposées. Ces agriculteurs n’ont pas appris à gérer la terre individuellement
pendant la collectivisation soviétique. Ils n’ont pas non plus un héritage plus ancien,
106
MAUREL Marie-Claude, La transition post-collectiviste. Mutations agraires en Europe centrale, Paris,
L’Harmattan, 1994, p. 13.
107
ROY Olivier, op. cit., p. 46.
108
WORLD BANK, Making Transition Work for Everyone : Poverty and Inequality in Europe and Central Asia,
Washington, D.C., World Bank, 2000, p. 159.
109
UNITED NATIONS DEVELOPMENT PROGRAMME, Macroeconomika…, op. cit., p. 45.
41
contrairement aux agriculteurs ouzbeks, par exemple, car ils étaient des nomades avant
d’être intégrés dans le système de sédentarisation soviétique. Par ailleurs, il n’était pas
possible de distribuer équitablement les grandes machines agricoles héritées des
kolkhozes et des sovkhozes. L’état des paysans kirghiz est très bien expliqué par Max
Spoor : « At the moment, most peasant farms are in a very poor state, producing for
self-consumption or barter trade. […] There is no affordable transport for output
produced in mountainous areas. […] Where peasant farmers started to produce,
problems arose because of the near total collapse of support services in the case of
Kyrgyzstan. » 110 D’où l’appauvrissement des familles paysannes, qui sont certes
devenues des propriétaires indépendants, mais sans pouvoir tirer d’avantages de cette
situation tout au long des années 1990 en raison de leur manque d’expérience dans le
fonctionnement du système de marché. En outre, dès septembre 2001, les agriculteurs
ont eu le droit de vendre leurs terres. C’est un processus dangereux car il peut
conduire à la concentration croissante des terres dans les mains de quelques-uns, ce qui
agrandira les inégalités déjà existantes.
Les réformes agraires en Ouzbékistan
Comme nous l’avons déjà indiqué, l’agriculture de l’Ouzbékistan est dominée
par la production du coton, qui utilise 40% environ de la terre cultivée et emploie plus
de la moitié de la main-d’œuvre rurale du pays. Déjà dans les années 1980,
« Uzbekistan developed itself as the fourth largest cotton exporter in the world,
although it lagged behind in terms of quality » 111. Son industrie agroalimentaire est
aussi importante dans l’exploitation des légumes que des fruits car le sol et le climat
permettent une variété végétale très riche. En outre, l’élevage est une ressource
importante, spécialement pour les régions non irriguées.
Les réformes agraires en Ouzbékistan n’ont pas été aussi brusques qu’au
Kirghizistan. En 1992-1993, 12% de la terre arable étaient distribués aux familles ayant
fait partie des kolkhozes et sovkhozes et presque toutes les fermes d’Etat (sauf celles
qui étaient spécialisées dans les plantations de coton) ont été transformées en
entreprises collectives. « By the law on dekhan (private) farms of July 1992 the land
and assets of these and all remaining collectives were to be divided among members
and by mid-1996 there were 19’300 private farms which were producing 67 percent of
agricultural output. » 112 Une grande différence par rapport à la privatisation effectuée
au Kirghizistan, où la terre distribuée est devenue propriété des paysans, c’est qu’en
Ouzbékistan les terres restent propriété de l’Etat. La terre peut être louée, mais non
vendue. Les agriculteurs des exploitations privées sont passablement limités dans leurs
activités de production car ils « doivent participer aux quotas de production annuels
du Plan, fixés par les autorités du rayon. L’achat d’intrants, la commercialisation de la
production et sa transformation hors de la structure du kolkhoze constituent autant
d’obstacles supplémentaires » 113. Ces conditions ne permettent pas le développement
d’une agriculture indépendante et les agriculteurs préfèrent entrer dans les entreprises
d’Etat, où ils peuvent bénéficier de revenus médiocres mais stables.
Le bénéfice réalisé par le secteur agricole, spécialement les revenus tirés de la
production cotonnière, a été mis au profit d’autres priorités économiques, comme les
110
SPOOR Max, Agrarian Transition in Former Soviet Central Asia : A Comparative Study of Uzbekistan and
Kyrgyzstan, The Hague, ISS (Institute of Social Studies), 1995, p. 8.
111
Ibid., p. 3.
112
KASER Michael, op. cit., p. 25.
113
MEIER Michael, op. cit., p. 226
42
différentes branches industrielles. « Les entreprises industrielles ont été, à elles seules,
déficitaires cette même année (1998) de plus de 200 millions de dollars tandis que les
entreprises agricoles et agroalimentaires dégageaient un bénéfice de plus de 450
millions de dollars. Le régime subventionne donc les grandes unités pour maintenir
une certaine paix sociale en limitant les licenciements. » 114 D’un côté, ce système de
« paix sociale » bénéficie aux personnes employées dans le secteur de l’industrie mais,
de l’autre, il pénalise les producteurs agricoles, qui se retrouvent très mal payés pour
leur production, avec un salaire de moitié inférieur à la moyenne salariale nationale.
Les paysans qui travaillent dans la production cotonnière touchent seulement un quart
environ du bénéfice de la vente sur le marché mondial, le reste étant absorbé par
l’appareil d’Etat115. Devant la quasi-impossibilité de vivre de ces rendements
cotonniers, les paysans se lancent dans le secteur informel qui permet la diversification
des revenus. Ainsi, le développement des lopins familiaux, l’élevage privé, la
viticulture permettent à la fois d’améliorer l’approvisionnement privé et d’augmenter
les rendements financiers.
Les conséquences écologiques de l’agriculture cotonnière sont aujourd’hui bien
connues. L’irrigation excessive et l’utilisation des intrants en grande quantité se sont
traduites par l’assèchement de la mer d’Aral116, la désertification des terres autour de ce
lac et la dégradation de la santé de la population : « Environ 100’000 personnes y
auraient également contracté la tuberculose ces dernières années, en raison de la
désertification du lac d’Aral. » 117
Actuellement, le système économique ouzbek est très fragile, ses exportations
dépendent en grande mesure des prix sur le marché mondial, et le coût élevé pour le
maintien d’entreprises industrielles non compétitives pèsera de plus en plus lourd sur
le pays.
La politique sociale
Nous avons vu dans le premier chapitre que le système de protection sociale était
largement développé pendant la période soviétique, malgré les coûts excessifs qu’il
entraînait. La particularité de ce système consistait en la gratuité des services publics et
sociaux, qui étaient fournis soit par l’Etat, soit directement par l’entreprise étatique.
Après l’éclatement de l’Union soviétique, les républiques n’ont pas pu continuer à
maintenir ce système car, d’un côté, leurs budgets ne recevaient plus les subventions
du budget central et, de l’autre, elles se trouvaient face à l’effondrement des capacités
de production et à l’impossibilité de changer immédiatement les règles
institutionnelles (par exemple dans le domaine fiscal). Il faut y ajouter l’éclosion du
secteur informel, qui a aussi réduit les capacités budgétaires. Ainsi, le Kirghizistan et
l’Ouzbékistan ont dû repenser leurs politiques également dans le domaine social.
Dans le cas du Kirghizistan, des changements ont été introduits dans la politique
sociale d’une part sous la pression relativement forte exercée par la communauté
internationale, d’autre part en raison des faibles capacités budgétaires du pays.
Bénéficiant au début d’un grand nombre de crédits et d’une aide financière importante,
le Kirghizistan a dû simultanément répondre aux exigences des « conditionnalités »
imposées par les bailleurs de fonds. Et, comme le disent Charles Becker et Sergey
114
RADVANYI Jean (dir.), op. cit., p. 184.
115
MEIER Michael, op. cit., p. 223.
116
Le niveau de la mer a diminué de 14 mètres, la superficie de 40% et le volume de 60%.
117
DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry, op. cit., p. 347.
43
Paltsev, beaucoup de pays en transition « have commenced dramatic social welfare
reforms aimed at reducing government spending commitments and simultaneously
strengthening capital markets » 118. Ainsi, les programmes dans le secteur public,
soutenus par la Banque mondiale et le FMI, visaient à couper les dépenses publiques
tout d’abord dans le domaine des prestations sociales et à arrêter le subventionnement
des prix des produits de base. Une autre pression s’est exercée en faveur de la
privatisation d’une partie des services sociaux, c’est-à-dire essentiellement les
établissements préscolaires et les biens dans le domaine de la santé.
Pour toutes les allocations sociales et les paiements de retraites, le Fonds social a
été créé en 1993 ; il est majoritairement approvisionné par les impôts sur les retraites et
le travail. Les revenus qu’il accumule ne lui permettent cependant pas de couvrir
toutes les dépenses : en 1997 par exemple, il n’en a couvert que 76%119. Le système de la
protection sociale a été considérablement réduit et orienté vers le ciblage de certains
groupes de la société. Par exemple, seules les familles dont le revenu ne dépasse pas le
seuil établi par le Fonds social ont droit aux allocations pour leurs enfants. Un nouveau
système d’allocation mensuelle unique a été créé pour les personnes en situation
précaire, qui leur permet de recevoir cette aide unique mais seulement au cas où leur
revenu n’excède pas une certaine somme, qui en 2001 était fixée à 140 soms, soit
3,4 dollars par mois, ce qui ne représente que 22% du seuil de pauvreté défini cette
année-là 120. Ainsi, cette allocation n’est pas un soutien important pour les pauvres, et
on connaît des cas où les gens l’ont même refusée. En ce qui concerne le système de
retraite, il a subi des réductions budgétaires importantes, notamment sous la pression
du FMI, dont la préoccupation première n’est pas vraiment la question sociale, mais
plutôt que la politique sociale ne crée pas davantage d’instabilité macroéconomique.
De sorte que la majorité des retraités (environ 11% de la population) se trouve audessous du seuil de pauvreté officiel : « The average pension is only two-third of the
general poverty line ; and the base pension is about two-third of the extreme poverty
line – which in turn covers only the food budget incorporated within the general
poverty line. »121 A la fin des années 1990, l’âge de la retraite a été repoussé de trois ans
pour les hommes et pour les femmes.
On peut conclure que le but de la politique sociale kirghize consiste d’une part à
maintenir le niveau de subsistance de la population, avec au besoin quelques
interventions pour que les citoyens ne se soulèvent pas contre les réductions constantes
des prestations sociales, et, d’autre part, à éviter à tout prix que cette politique ne nuise
à la stabilité macroéconomique.
Le gouvernement ouzbek, dès le début de la période de transition, a proclamé
une politique visant à protéger la dimension sociale – on est d’ailleurs en droit de se
demander si cet objectif n’est pas conçu pour maintenir une certaine paix dans le pays
afin de pouvoir mener une politique restrictive. Néanmoins, il a aussi dû diminuer les
dépenses dans le système de protection sociale. Giovanni Cornia montre que
l’Ouzbékistan a pu très vite changer le système fiscal et générer des revenus pour le
secteur social. Les dépenses publiques des transferts sociaux (sauf les retraites) ont
même augmenté pendant les premières années de la transition. En 1996, elles ont
atteint le même volume que pendant la période soviétique. L’Ouzbékistan a préservé
les allocations pour les soins des enfants jusqu’à 2 ans et les allocations pour les enfants
118
BECKER Charles, PALTSEV Sergey, « Macro-Experimental Economics in the Kyrgyz Republic : Social
Security Sustainability and Pension Reform », Comparative Economic Studies, vol. 43, nº 3, 2001, p. 2.
119
Ibid., p. 3.
120
UNITED NATIONS DEVELOPMENT PROGRAMME, Macroeconomika…, op. cit., p. 74.
121
WORLD BANK, Kyrgyz Republic…, op, cit., p. 147.
44
jusqu’à 16 ans, et il a introduit la compensation pour le chômage et l’assistance
financière pour les familles à bas revenu (notamment par le système de la mahalla, qui
sera expliqué ci-dessous). Ainsi, les dépenses publiques ont aussi été réduites à cause
de problèmes budgétaires mais, comme le montre Giovanni Cornia, « Uzbekistan was
able to contain the retrenchment of key social expenditures that affect poverty and
human well-being over both the short and long term. […] No doubt, of all CARs,
Uzbekistan is the one that has exhibited the most pro-active social policy during the
last decade » 122.
En outre, l’Ouzbékistan a mis en place un nouveau modèle d’assistance sociale
en 1994, basé sur des associations de voisinage, les mahallas, qui s’inscrivent dans une
longue tradition historique de résolution des conflits locaux et de maintien des liens
entre les générations. Elles constituent l’exemple de l’assistance sociale la plus
décentralisée dans la région d’Asie centrale. Ces associations sont présentées dans la
Constitution comme des institutions autogérées de citoyens. Chaque mahalla choisit un
président et un comité des « Anciens » (majoritairement des hommes), qui choisissent
les familles nécessiteuses. Mais des « guidelines instruct the Mahallas on what
indicators of living standards to take into account, which are varied, but no rigid
formula is laid down »123. Un aspect qui mérite d’être souligné, c’est que ce système
évite des coûts administratifs supplémentaires. Les fonds pour l’assistance sociale
proviennent du budget de l’Etat. Le Ministère des finances verse, par l’intermédiaire de
ses bureaux régionaux, une somme ajustée au nombre de familles sur le compte de
chaque mahalla. Par conséquent, les régions pauvres ne reçoivent pas un soutien plus
élevé que les régions prospères. Pour obtenir ce soutien, les familles doivent soit
adresser une demande écrite, soit être recommandées par le président de la mahalla. En
1995, les allocations moyennes représentaient deux salaires minimaux et 30% des
personnes du quantile le plus pauvre en ont bénéficié 124.
Le système de santé à l’époque soviétique offrait certes à tous l’accès gratuit à ses
services, mais on doit admettre qu’il était très coûteux, « with inefficient use of
resources » 125, comme, par exemple, la quantité élevée de personnel médical. Il ne fait
aucun doute qu’après l’indépendance les pays devaient changer le système en vigueur
sous le régime soviétique pour le rendre plus flexible et moins onéreux, car ils ne
disposaient pas du financement nécessaire pour le maintenir tel quel en place.
Au Kirghizistan, le changement le plus négatif dans le système de santé a été
l’apparition des paiements formels et informels pour les services, de sorte que
beaucoup de gens pauvres ne peuvent plus se permettre, faute d’argent, de suivre un
traitement médical. Il n’est pas surprenant de constater que les familles vendent leurs
biens ou s’endettent pour pouvoir soigner un des leurs : « 45 percent of households
who had at least one member experience an inpatient day in hospital during the
previous year had sold livestock to raise the money to pay for that health care. […]
Among urban households, the most common strategy was to borrow money and 15
percent had sold valuables. » 126 Les subventions dans le secteur public ont été
122
CORNIA Giovanni Andrea, Macroeconomic Policies, Income Inequality and Poverty : Uzbekistan, 1991-2002,
<http://www.networkideas.org/featart/mar2004/uzbekistan_1991_2002.pdf>, p. 2.
123
COUDOUEL Aline, MARNIE Sheila, MICKLEWRIGHT John, Targeting Social Assistance in a Transition
Economy : The Mahallas in Uzbekistan, Innocenti Occasional Papers, EPS (Economic and Social Policy
Series) nº 63, Florence, UNICEF, 1998, p. 3.
124
POMFRET Richard, ANDERSON Kathryn, Uzbekistan : Welfare Impact of Slow Transition, Working Papers,
nº 135, Helsinki, UNU/WIDER, 1997, p. 25.
125
FALKINGHAM Jane, Welfare in Transition : Trends in Poverty and Well-Being in Central Asia, CASE Paper,
London, CASE (Centre for Analysis of Social Exclusion), 1999, p. 27.
126
Ibid., p. 38.
45
fortement réduites tandis que grimpait le coût des services sociaux pour chaque
personne. Des réformes dans le système de santé sont en cours, qui visent à
l’introduction de l’assurance médicale et d’un modèle de médecin de famille, mais elles
ne sont pas encore répandues partout dans le pays.
La notion de service public reste beaucoup plus présente en Ouzbékistan qu’au
Kirghizistan. Le gouvernement ouzbek a préféré conserver le système médical étatique,
qui d’ailleurs ne diffère pas grandement du système soviétique. Le service de santé
reste encore gratuit, mais les citoyens ouzbeks ne sont pas protégés contre le paiement
informel.
Comme nous l’avons déjà mentionné, l’incapacité des budgets nationaux à
mobiliser des ressources a eu une répercussion négative sur les secteurs sociaux. La
réduction des dépenses réelles dans des domaines comme l’éducation et la santé a
accru la vulnérabilité des pauvres. Cependant, il ressort qu’en Ouzbékistan, la situation
est moins alarmante qu’au Kirghizistan (tableau 10).
Tableau 10 – Dépenses réelles dans les secteurs de l’éducation et de la santé
au Kirghizistan et en Ouzbékistan (indice ; année de base = 100)
Education
Santé
1990 1996 1990 1993 1995
Kirghizistan
Ouzbékistan
100
38
100
40
36
a
67
100
77
72
100
Source : FALKINGHAM Jane, Welfare in Transition :
Trends in Poverty and Well-Being in Central Asia,
CASE Paper, London, CASE (Centre for Analysis of
Social Exclusion), 1999, p. 7.
a
1992.
L’exemple des dépenses de l’Etat pour les besoins sociaux en dollars par
personne et par an nous montre l’importance de la réduction au Kirghizistan
(tableau 11).
Tableau 11 – Dépenses de l’Etat pour l’éducation, la santé et les retraites
au Kirghizistan et en Ouzbékistan (en dollars par personne et par an)
Education
Santé
Retraites
1995
1999
1995
1999
1995
1999
Kirghizistan
21
12
12
6
24
14
Ouzbékistan
33
27
16
10
23
36
Source : MÜLLER Katharina, Poverty and Social Policy in the
Central Asian Transition Countries, Reports and Working
Papers, nº 2, Bonn, GDI (German Development Institute),
2003, p. 61.
46
Il nous a semblé opportun de montrer que des facteurs importants de la
détérioration du niveau de vie des gens ont été le fait de choix de politique
économique. Il n’est plus tabou d’affirmer que « la transition économique a produit de
nombreux effets négatifs : inflation galopante, chômage, renforcement des inégalités,
corruption, pauvreté endémique, autant de problèmes qui ont abouti à une véritable
crise sociale en Asie centrale » 127.
127
DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry, op. cit., p. 15.
47
48
IV. Les conséquences sociales de la transition
au Kirghizistan et en Ouzbékistan
Pour mesurer l’impact social de la transition sur la population du Kirghizistan et de
l’Ouzbékistan, nous allons nous pencher dans le présent chapitre sur l’évolution des
indicateurs sociaux des dix premières années de la transition. Il nous faut d’emblée
préciser que nous nous sommes heurtée au problème de l’insuffisance des données sur
le niveau de vie de la population, particulièrement en Ouzbékistan, où les enquêtes sur
cette évolution n’ont pas été menées systématiquement. Ainsi, les indicateurs
n’englobent pas toujours toute la période de 1991 à 2001.
L’évolution de la pauvreté128
La pauvreté n’est pas un phénomène nouveau dans les pays d’Asie centrale ; elle
existait déjà à l’ère soviétique, mais cette existence n’était pas officielle. Le terme utilisé
était « des personnes ou des familles aux ressources modestes » et le seuil de revenu
pour ces familles en 1989 était fixé à 81 roubles soviétiques par mois129. Anthony
Atkinson et John Micklewright ont estimé à 75 roubles le seuil de pauvreté en Union
soviétique 130. C’est ce seuil de pauvreté qui a été pris comme référence dans les exrépubliques soviétiques. En Asie centrale, la population vivant au-dessous de ce seuil à
l’époque soviétique était estimée à 58,6% au Tadjikistan alors qu’au Kazakhstan elle
n’atteignait que 15,9% ; le Kirghizistan et l’Ouzbékistan ont aussi connu un taux élevé
de personnes au revenu inférieur à 75 roubles en 1988-1989 : 37,1% et 44,7%
respectivement.
Les informations données dans le tableau 12 sont les seules sources qui nous
permettent de suivre l’évolution de la pauvreté monétaire en Ouzbékistan et au
Kirghizistan en utilisant la même mesure du seuil de pauvreté (120 dollars par mois)
pendant la première décennie de la transition. Néanmoins, on doit noter que ce chiffre
représente une somme très élevée par rapport à ce qui avait été fixé comme seuil de
pauvreté dans les deux pays. Par exemple, le salaire moyen au Kirghizistan se montait
à seulement 34 dollars par mois en 1995 131. Selon ces données, nous observons un
appauvrissement catastrophique de la population dans les deux pays pendant les
premières années de la transition, encore plus spectaculaire au Kirghizistan, dont la
population pauvre en 1987-1988 ne représentait que 12% de la population totale alors
qu’en Ouzbékistan elle était déjà de 24%. Ainsi, au cours des trois ou quatre premières
années de la transition, la pauvreté atteint jusqu’à 88% de la population kirghize et 63%
de la population ouzbek. Une évolution très intéressante se produisit en 1998-1999,
lorsqu’on assista à une diminution de la pauvreté jusqu’à 40% en Ouzbékistan et à un
recul peu significatif à 84,1% au Kirghizistan. Durant ces deux années, seulement 15,9%
128
Tout en étant consciente des multiples facettes et dimensions de la pauvreté, nous nous concentrons
dans ce chapitre sur la notion de pauvreté monétaire.
129
FALKINGHAM Jane, Welfare in Transition…, op. cit., p. 15.
130
ATKINSON Anthony, MICKLEWRIGHT John, Economic Transformation in Eastern Europe and the Distribution
of Income, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, 464 p., cité dans FALKINGHAM Jane, Welfare in
Transition…, op. cit., p. 15.
131
TABYSHALIEVA Anara, Kyrgyzstan : Common Country Assessment, Bishkek, IRS (Institute for Regional
Studies), 2001, p. 85.
49
de la population kirghize a perçu un revenu supérieur à 129 dollars par mois132. Cidessous, l’étude plus approfondie de l’évolution de la pauvreté au Kirghizistan et en
Ouzbékistan nous permettra affiner les informations à ce sujet.
Tableau 12 – Pauvreté de revenu au Kirghizistan et en Ouzbékistan
(en pourcentage de la population ; seuil de pauvreté : 120 dollars par mois)
1987-88
1993-95
1998-99
Kirghizistan
12.0
88.0
84.1
Ouzbékistan
24.0
63.0
40.0
Sources :
– chiffres pour 1987-88 et 1993-95 : MÜLLER
Katharina, Poverty and Social Policy in the
Central Asian Transition Countries, Reports and
Working Papers, nº 2, Bonn, GDI (German
Development Institute), 2003, p. 28 ;
– chiffres pour 1998-99 : CORNIA Giovanni
Andrea, Macroeconomic Policies, Income
Inequality and Poverty : Uzbekistan, 1991-2002,
<http://www.networkideas.org/featart/mar2004/
uzbekistan_1991_2002.pdf>, p. 2.
De la période de transition ont émergé de nouveaux groupes de pauvres ; il s’agit
souvent de personnes qualifiées mais qui ne peuvent plus subvenir à leurs besoins en
raison de salaires très bas ou faute d’un emploi. Les familles nombreuses ne reçoivent
plus les prestations complémentaires de la part de l’Etat, tandis que les services
médicaux et l’éducation exigent de plus en plus de dépenses personnelles. Les retraités
touchent des retraites qui ne suffisent même pas à satisfaire leurs besoins de base. Les
personnes âgées d’origine slave sont doublement désavantagées car la plupart se
trouvent seules à la suite du départ des plus jeunes membres de leur famille. La
pauvreté dans les régions rurales est plus élevée que dans les régions urbaines. Dans
les deux pays, plus de la moitié de la population pauvre habite dans les régions
rurales. Les habitants de « one-compagny towns where the entire labour force was
dependent on one or a few entreprises during Soviet times and which have since
closed »133 sont aussi très affectés par le chômage et la pauvreté.
La pauvreté au Kirghizistan
Le Kirghizistan est un des pays en transition les plus touchés par la pauvreté
endémique. Le seuil de pauvreté défini par le Kirghizistan est basé sur un panier de
produits d’alimentation donné, qui procure la quantité quotidienne de 2100 calories. Le
tableau 13 présente l’évolution de la pauvreté dans la république pendant les années
1990.
132
Calculé à partir du tableau dans MÜLLER Katharina, op. cit., p. 28. Seuil de pauvreté : 4,30 dollars par
jour.
133
FALKINGHAM Jane, Welfare in Transition…, op. cit., p. 21.
50
a
Tableau 13 – Pauvreté au Kirghizistan, 1989-2000 (en pourcentage de la population)
1989 1991 1993 1995 1996 1997 1998 1999 2000
Kirghizistan 32.9
b
40.0
45.4
57.3
43.5
42.9
54.9
55.3
52.0
Source : UNITED N ATIONS DEVELOPMENT PROGRAMME, Macroeconomika
sokrashenia bednosti v Kyrgyzskoi respublike, Bishkek, UNDP/Kyrgyzstan,
2002, p. 8.
a
Population en deçà du seuil national de pauvreté.
b
Le seuil de pauvreté en 1989 est de 75 roubles soviétiques.
Comme nous l’avons déjà montré, le Kirghizistan a connu une chute massive de
la production après l’indépendance et c’est seulement en 1996 qu’il a renoué avec une
croissance positive de 7,1%, puis de 9,9% en 1997, due à l’exploitation des gisements
d’or et à l’accroissement de la production agricole. Ce qu’on peut dégager du tableau
13, c’est que le taux de pauvreté s’est progressivement accru jusqu’en 1995 puis a
diminué de 57,3% à 43,5% en 1996. La croissance dans le secteur de l’agriculture a
vraisemblablement exercé une influence positive sur le niveau de vie de la population.
Le rapport de la Banque mondiale et du FMI pour l’initiative CEI-7 134 constate que
« countries where the poor benefited most from the economic growth were the Kyrgyz
Republic and Moldova » 135. Néanmoins, en 1998, le taux de pauvreté grimpe encore à
54,9% ; on peut l’expliquer par la crise financière qui s’est produite en Russie et qui a
eu des répercussions néfastes sur l’économie kirghize. Suite au rétablissement
économique, on assiste à un léger recul de la pauvreté à 52% en 2000.
Au Kirghizistan, la population rurale est la plus touchée par le phénomène de
l’appauvrissement. Cependant, plus encore que la différence ville-campagne, ce sont
les différences régionales qui jouent un rôle marqué dans ce phénomène. Dans
certaines régions du pays, par exemple Naryn, Talas et Osh, on a compté entre 70% et
80% de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté, contre « seulement »
31,1% dans la région de Chuy. Le tableau 14 montre la répartition, en 1998, du taux de
pauvreté entre les régions et entre la campagne et la ville.
Le PNUD précise aussi dans un rapport que la pauvreté est plus élevée dans les
ménages où les enfants sont nombreux, dans ceux où il y a des personnes handicapées
à charge ou encore dans les familles monoparentales (surtout s’il s’agit de mères
célibataires). Le nombre d’années d’instruction chez les pauvres est moins élevé que
dans le reste de la population. Les ménages pauvres dépensent 65% de moins pour
l’éducation que la moyenne des ménages136.
134
L’Initiative CEI-7 concerne les sept pays les plus pauvres de la CEI : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la
Géorgie, la Moldova, la République kirghize, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan.
135
INTERNATIONAL MONETARY FRONT , WORLD BANK, Recent Policies and Performance of the Low-Income CIS
Countries : An Update of the CIS-7 Initiative, Washington, D.C., Europe and Central Asia Region of the
World Bank ; Middle East and Central Asia Department of the IMF, 2004, p. 9.
136
UNITED NATIONS DEVELOPMENT PROGRAMME, Macroeconomika sokrashenia…, op. cit., p. 10.
51
Tableau 14 – Taux de pauvreté dans les régions du Kirghizistan, 1998
(en pourcentage du nombre de ménages)
Régions
1998
Ville
Campagne
Total
Chuy
30.4
31.3
31.1
Issyk-Kul
42.0
63.9
58.1
Naryn
81.1
83.5
83.0
Talas
47.2
80.8
77.0
Jalal-Abad
36.4
74.9
65.2
Osh
78.3
66.3
70.1
—
—
—
42.2
62.4
54.9
Batken
Kirghizistan
Source : TABYSHALIEVA Anara, Kyrgyzstan : Common
Country Assessment, Bishkek, IRS (Institute for
Regional Studies), 2001, p. 89.
Si l’on considère le fait que le seuil de pauvreté se base sur un panier de biens
donné, la consommation s’avère insuffisante chez un nombre élevé de personnes. Selon
les calculs sur l’extrême pauvreté effectués par la Banque mondiale (92 dollars par
personne et par an), en 1996 19,1% et en 1999 23% des personnes se sont retrouvées
dans la misère 137. L’effondrement des salaires réels, l’hyperinflation, la montée du
chômage jusqu’à 20% (selon l’Organisation internationale du travail – les chiffres
officiels cependant n’enregistrent que 2,9% en 1999), le paiement irrégulier des salaires,
la forte diminution des subventions dans le secteur social, la restructuration des
entreprises agricoles ont contribué à une augmentation importante de la pauvreté dans
les régions urbaines et rurales.
Les salaires ne constituent plus la principale source de revenu des ménages
kirghiz, qui survivent surtout en faisant de « petits boulots », du commerce, ou en
exploitant un lopin de terre. Les sources de revenu se diversifient et les gens sont forcés
d’avoir plusieurs occupations. On voit dans le tableau 15 que la composition du revenu
n’est pas pareille en région rurale et en région urbaine. A la campagne, la vente des
produits faits à la maison constitue la moitié du revenu total tandis qu’à la ville les
salaires constituent encore plus de la moitié du revenu.
137
52
WORLD BANK, Kyrgyz Republic : Poverty in the 1990s in the Kyrgyz Republic, Washington, D.C., World
Bank, 2001, p. 5.
Tableau 15 – Sources de revenu des ménages kirghiz, 2001
(en pourcentage du revenu total)
Sources de revenu
Total
Ville
Campagne
Travail salarié
38.4
64.9
24.1
Revenu privé (biens produits, vente
de produits alimentaires, bétail)
39.5
14.7
52.8
Retraite et transferts sociaux
7.6
9.1
6.9
Transferts privés
5.0
7.1
3.9
Revenu sur les biens immobiliers
7.0
1.5
10.0
Autres revenus
2.5
2.8
2.4
100.0
100.0
100.0
Revenu total
Source : WORLD BANK, Kyrgyz Republic : Enhancing Pro-poor Growth, Report
nº 24638-KG, Washington, D.C., World Bank, 2003, p. 186.
La pauvreté en Ouzbékistan
Comme dans le cas du Kirghizistan, la pauvreté était aussi connue en
Ouzbékistan avant l’indépendance. En 1988, 44,7% de sa population vivait avec un
revenu inférieur à 75 roubles. Néanmoins, cette modicité était en quelque sorte
compensée par des services publics et sociaux gratuits et par la distribution des
produits alimentaires à bas prix.
Nous avons déjà mentionné que dans le cas de l’Ouzbékistan, le manque de
données rend impossible la reconstitution de l’évolution de la pauvreté tout au long
des années 1990. L’Ouzbékistan n’a pas non plus déterminé officiellement un seuil
national de pauvreté après l’indépendance. En 1999, le salaire minimal officiel
atteignait 17 dollars (selon le taux de change officiel). Les familles nécessitant
l’assistance sociale ont été définies comme celles bénéficiant d’un salaire et demi au
maximum. Selon ces calculs, seulement 14% de la population a eu besoin de
l’assistance sociale. Nina Torm constate que « this figure seems to be highly
underestimated » 138, tandis que le Center for Economic Research (CER), centre de
recherche économique situé en Ouzbékistan, a estimé le taux de pauvreté à 58% de la
population en 1996, selon un seuil de pauvreté basé sur un panier de produits
d’alimentation donné.
Selon Giovanni Cornia, pendant les premières années de l’indépendance, le taux
de la pauvreté en Ouzbékistan a augmenté temporairement et atteint 75% de la
population, malgré la récession économique moins importante que dans les autres
pays centre-asiatiques. Les enquêtes sur le revenu des ménages conduites en 1994-1995
ont constaté que 44,5% de la population touchait un revenu inférieur au salaire
minimal139. En ce qui concerne la seconde moitié des années 1990, selon les chiffres
donnés par Giovanni Cornia – mais jugés « trop optimistes » par ce dernier –, le taux
de pauvreté a baissé en Ouzbékistan jusqu’à 15% en 1999 (tableau 16 ; l’auteur me
précise pas l’élaboration de ces chiffres) ; néanmoins, cela confirme les données du
tableau 12, où le seuil de pauvreté utilisé était de 120 dollars par mois.
138
TORM Nina, op. cit., p. 16.
139
CORNIA Giovanni Andrea, Macroeconomic Policies…, op. cit., p. 7.
53
Tableau 16 – Taux de pauvreté en Ouzbékistan, 1997-2000
(en pourcentage de la population)
Ouzbékistan
1997
1998 1999 2000
23.3
19.1
15
21.6
Source :
CORNIA
Giovanni
Andrea,
Macroeconomic Policies, Income Inequality
and
Poverty :
Uzbekistan,
1991-2002,
<http://www.networkideas.org/featart/mar200
4/uzbekistan_1991_2002.pdf>, p. 12.
Ces données, malgré leur état très fragmentaire, nous permettent de tirer la
conclusion suivante : l’Ouzbékistan a lui aussi connu une augmentation de la pauvreté
pendant les premières années de l’indépendance, mais elle était moins importante que
dans le cas du Kirghizistan. Dans la seconde moitié des années 1990, le taux de
pauvreté a considérablement baissé en Ouzbékistan et, comme le montre Giovanni
Cornia, il suit en grande partie la courbe du PIB140.
Les familles des régions rurales, les familles qui ne possédaient pas de terre et les
familles monoparentales ont été les plus touchées141. Comme dans toutes les autres
républiques centre-asiatiques, la majorité de la population pauvre d’Ouzbékistan vit
dans les régions rurales : 69,4% en 2001. Giovanni Cornia écrit à ce propos :
« Uzbekistan has not escaped the “urban bias” of public policy, a bias that leads to the
allocation of a disproportionate share of public expenditure, credit, foreign exchange,
private investments and other scarce resources to urban centers, Tashkent in particular.
Even a brief visit to the rural areas reveals immediately the huge – and apparently
growing – infrastructural and investment gap between relatively prosperous Tashkent
and rural areas. » 142 Les régions les plus pauvres d’Ouzbékistan sont la République
autonome de Karakalpakie et la région de Surkhandaria ; leur PIB en parité de pouvoir
d’achat (PPA) atteint respectivement 67,6% et 74,3% du niveau moyen du pays. En
Karakalpakie, 50% à 70% de la population vit dans la pauvreté et 20% dans la pauvreté
extrême.
A la suite de la chute du salaire réel, les sources de revenu se diversifient
également en Ouzbékistan, où les salaires ne représentent que 35% environ du revenu
total des ménages pendant la seconde moitié des années 1990 (tableau 17). L’activité
entrepreneuriale et le revenu privé (de son potager par exemple) sont aussi devenus
des ressources importantes pour la subsistance de la famille.
140
Ibid., p. 12.
141
MÜLLER Katharina, op. cit., p. 53.
142
CORNIA Giovanni Andrea, Macroeconomic Policies…, op. cit., p. 22.
54
Tableau 17 – Sources de revenu des ménages ouzbeks, 1996-1999
(en pourcentage du revenu total)
Sources de revenu
1996
1997
1998
1999
Travail salarié
30.6
33.7
35.3
36.7
Activité entrepreneuriale
26.5
29.3
25.2
25.8
Retraite et transferts sociaux
13.6
8.3
9.2
12.1
1.8
0.7
0.4
0.3
20.1
17.1
18.7
16.5
7.4
10.9
11.2
8.6
100.0
100.0
100.0
100.0
Revenu sur les biens immobiliers
Revenu privé
Autres revenus
Revenu total
Source : UNITED N ATIONS DEVELOPMENT PROGRAMME, Human
Development Report : Uzbekistan, Tashkent, 2000, <http://www.cer.
uz>, p. 7.
L’évolution des inégalités de revenu
Le passage à l’économie de marché s’est traduit aussi par une explosion des inégalités
de revenu dans toutes les républiques centre-asiatiques. Sous le régime soviétique,
l’indice de Gini143 oscillait autour de 0,26. Mais l’accroissement des inégalités n’est pas
seulement inhérent à l’Asie centrale, car le passage à l’économie de marché « has
everywhere increased inequality » 144. Comme le montre le rapport de la Banque
mondiale sur la pauvreté et les inégalités en Europe et Asie centrale, l’augmentation
des inégalité de revenu était attendue lors du passage de l’économie planifiée à
l’économie de marché, « as wages and incomes moved to reflect individual
productivity and effort ». Ainsi, les disparités de revenu entre les riches et les pauvres
se sont renforcées dans tous les pays en transition pendant les années 1990, avec
cependant des variations d’un pays à l’autre. Par exemple, « with Ginis around 0,5 or
above, inequality in Russia, Armenia, Tajikistan and the Kyrgyz Republic is now
comparable to that observed in some of the most highly unequal economies in Latin
America » 145.
Les inégalités au Kirghizistan
En 2000, le revenu annuel par personne se montait à 270 dollars au Kirghizistan,
soit un PIB par habitant en PPA de 2540 dollars, de sorte que ce pays fait aujourd’hui
partie du quantile le plus pauvre des pays du monde. Ce fort accroissement des
inégalités s’est produit pendant les premières années de la transition, au moment de la
chute de la production et des revenus de l’économie nationale, de la libéralisation des
prix, de l’inflation, de l’érosion des salaires réels et de la privatisation, dont ont
principalement bénéficié la minorité des travailleurs situés aux échelons supérieurs.
Giovanni Cornia montre que l’abandon du système centralisé de régulation des prix
allait augmenter les inégalités de revenu dans les pays de l’ex-bloc soviétique 146. Ainsi,
143
L’indice de Gini indique la répartition du revenu ou de la consommation entre les individus ou des
ménages, où 0 signifie l’égalité parfaite et 1 l’inégalité absolue.
144
POMFRET Richard, op. cit., p. 2.
145
WORLD BANK, Making Transition Work…, op. cit., p. 139.
146
CORNIA Giovanni Andrea, Macroeconomic Policies…, op. cit., p. 10.
55
le Kirghizistan a connu le triste record du plus fort accroissement des inégalités en Asie
centrale « dans les premières années de la transition : elles ont crû deux fois et demie
plus vite que dans les pays occidentaux les plus inégalitaires » 147.
En raison de l’ambiguïté des chiffres, nous présentons dans le tableau 18
l’évolution de l’indice de Gini au Kirghizistan selon deux sources différentes148.
Tableau 18 – Evolution de l’indice de Gini au Kirghizistan, 1989-2001
1989
1991
Indice de Gini
0.260
(revenu salarial)
Indice de Gini
(revenu)
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
0.300 0.445 0.443 0.395 0.428 0.431 0.429 0.446 0.470 0.512
0.306 0.239 0.353 0.442 0.373 0.391 0.453 0.447 0.443 0.449 0.441
Sources :
– deuxième ligne : UNICEF, Innocenti Social Monitor 2004, Florence, UNICEF Innocenti Research Centre,
2004, p. 96 ;
– troisième ligne : National Statistical Committee of the Kyrgyz Republic (NCS), <http://stat.kg/English/
index.html>.
Tableau 19 – PIB annuel par habitant en PPA des régions du Kirghizistan, 1996-1999
(en dollars)
Régions
1996
1997
1998
1999
Bichkek (capitale)
3 663
3 762
4 231
4 340
Chuy
3 651
3 929
3 617
3 776
Issyk-Kul
1 577
2 734
3 732
3 517
Naryn
1 890
2 200
2 131
2 218
Talas
1 766
1 794
1 656
1 718
Jalal-Abad
1 470
1 424
1 380
1 421
Osh
1 117
1 088
997
1 024
—
—
1 010
1 039
Batken
Source : UNITED NATIONS D EVELOPMENT PROGRAMME,
Kyrgyzstan : National Human Development Report for
2000, Bishkek, UNDP-Kyrgyzstan, pp. 100-107.
En dépit de leurs différences, les deux sources révèlent une augmentation des
inégalités de revenu tout au long de la période de transition, et nous assistons à une
polarisation de la société kirghize. En 1997, les ménages les plus riches ont dépensé
15 fois plus que les ménages pauvres149. La capitale, Bichkek, centre économique et
147
RADVANYI Jean (dir.), op. cit., p. 173.
148
On ne peut être sûr que les chiffres soient corrects car d’autres sources montrent des chiffres parfois
totalement différents. Dans le rapport de la Banque mondiale Making Transition Work for Everyone :
Poverty and Inequality in Europe and Central Asia, l’indice de Gini en 1993-1994 est ainsi de 0,55. Les
chiffres ne reflètent pas toujours la réalité…
149
MIKHALEV Vladimir, HEINRICH Georges, Kyrgyzstan : A Case Study of Social Stratification, Working
Papers, nº 164, Helsinki, UNU/WIDER, 1999, p. 16.
56
commercial du pays, est aussi une place de concentration de l’élite kirghize. La vie des
ménages dans la capitale est meilleure que dans les autres régions du pays : les
dépenses moyennes des ménages vivant à Bichkek dépassaient de 50% le niveau
national en 1993 et de 100% en 1997. Les disparités de revenu entre les régions du pays
sont aussi flagrantes : le PIB par habitant en PPA est quatre fois plus élevé dans la
capitale que dans la région d’Osh, dans le sud du pays (tableau 19).
Depuis l’indépendance, chaque région tente de s’adapter aux nouvelles
conditions du marché et de trouver son propre chemin pour s’y intégrer. Plusieurs
facteurs jouent un rôle dans ce processus : les ressources humaines, les ressources
naturelles, la dotation en infrastructure, etc. Mais c’est d’un côté la politique nationale
et, de l’autre, la logique de marché qui sont le plus susceptibles d’accentuer la
concentration des activités économiques dans certaines régions comparativement plus
avantageuses pour l’économie nationale. Si cette polarisation n’est pas visible dans les
premières années de la transition, elle peut s’accentuer avec le temps et donner lieu à
une diffusion inégale de la croissance sur le territoire national. Le marché ne favorise
pas nécessairement, comme le note Lise Bourdeau-Lepage, une répartition spatiale
équilibrée de la croissance : « En effet, nous savons que la polarisation est “pour une
bonne part la facette territoriale du processus général de croissance économique” (Jayet
et al. 1996 : 130) et que l’accentuation des disparités régionales est un résultat possible du
processus de développement économique d’une économie de marché. » 150
Il est intéressant de considérer à qui cette ouverture au marché libre a profité et
comment elle a influencé la structure de la société kirghize actuelle. On assiste au
Kirghizistan à la naissance d’une classe de « highly educated young people [who]
increasingly formed the new local business elites and the new professional middle
class » 151. Ce sont les principaux gagnants du nouveau système, suivis par les groupes
de la population qui avaient bénéficié d’un statut social élevé sous le régime soviétique
– les membres de la nomenklatura. Ceux-ci ont automatiquement hérité du pouvoir
après le changement, grâce au système de privatisation non contrôlé. Ce pouvoir a été
encore renforcé par leurs connections claniques, que le système kirghiz continue à bien
tolérer. « One gains the impression that the national wealth has been plundered during
the process of privatisation – and on a truly fantastique scale, spawning a whole new
class of predatory “Bourgeoisie” (Rumer 1996b : 56). » 152 Ainsi, les ressources du pays
ont été concentrées entre les mains d’un petit groupe de dirigeants et de leurs proches,
qui se trouvent majoritairement dans la partie nord du pays.
La classe moyenne est un phénomène urbain au Kirghizistan. Selon une
recherche de UNU/WIDER153, au Kirghizistan, 30% à 35% des ménages appartiennent
à la classe moyenne et dépensent 70% de plus que les ménages pauvres. Les employés
du secteur financier, les médecins et les professeurs font partie de ce groupe et exercent
souvent plusieurs occupations. Les pauvres, eux, sont concentrés principalement dans
les régions rurales ainsi que dans certaines autres contrées du pays : dans les régions
de Naryn et du sud du Kirghizistan par exemple, le taux de pauvreté atteint jusqu’à
150
BOURDEAU-LEPAGE Lise, Marchés du travail et disparités régionales en Pologne, Document de travail –
Economie, nº 2001-08, Dijon, LATEC (Laboratoire d’analyse et des techniques économiques), CNRS
UMR 5118, Université de Bourgogne, <http://ungaro.u-bourgogne.fr/lepage/e2001-08.pdf>, p. 2. (La
référence à « Jayet et al. » désigne l’article suivant : JAYET H., PUIG J.-P., T HISSE J.-F., « Enjeux
économiques de l’organisation du territoire », Revue d’économie régionale et urbaine, nº 1, 1996, pp. 127158.)
151
MIKHALEV Vladimir, HEINRICH Georges, op. cit., p. 20.
152
Ibid., p. 22. (La référence à « Rumer 1996b » désigne l’ouvrage suivant : RUMER Boris, Central Asia in
Transition : Dilemmas of Political and Economic Development, Armonk (New York), M.E. Sharpe, 1996.)
153
Ibid., p. 24.
57
70%-80%. En 1997, plus de 50% des ménages ruraux et 20% environ des ménages
urbains étaient pauvres. Ainsi, la classe inférieure est composée d’habitants des régions
reculées, d’agriculteurs, de chômeurs (particulièrement dans les villes où une filière
majeure de l’industrie de l’époque soviétique a disparu), de personnes âgées et
d’invalides.
Les inégalités en Ouzbékistan
Les informations sur les inégalités de revenu en Ouzbékistan sont aussi
fragmentaires que celles sur la pauvreté. Selon le gouvernement ouzbek, l’indice de
Gini, situé à environ 0,26 au début de l’indépendance, s’est élevé à 0,37 en 1999154. Nous
nous baserons principalement sur une étude effectuée par Giovanni Cornia.
Lors des premières années de la transition, les inégalités de revenu n’ont
augmenté que modérément, avec un indice de Gini passant de 0,26 à 0,31 en 1995.
D’une part, le gouvernement ouzbek a introduit les réformes économiques
graduellement, prévenant ainsi l’accroissement des inégalités si l’on prend en compte
que les réformes orientées vers l’économie de marché augmentent considérablement le
risque d’un tel accroissement. D’autre part, la politique d’assistance sociale a reçu le
soutien du budget de l’Etat : l’assistance sociale a été décentralisée par l’intégration des
communautés locales, les mahallas, au processus de redistribution de l’aide sociale.
Puis, à partir de 1996, les inégalités ont commencé à augmenter, majoritairement
dues au « capital-intensive pattern of the ISI-strategy [import substituting
industrialization] that demanded large transfer of resources from agriculture to the
import substituting sector via the dual exchange rate mechanisms and various forms of
taxation of agriculture » 155. L’indice de Gini s’est ainsi accru jusqu’à 0,421 en 2001, en
raison aussi de la libéralisation des salaires. Les personnes ayant le privilège de
correspondre aux nouveaux besoins du marché du travail, telles que les informaticiens,
les traducteurs, les banquiers, etc., ont été même parfois sur-rémunérées. Dans certains
secteurs de l’industrie, les travailleurs ont perçu des salaires nettement plus élevés que
la moyenne. Par exemple, « in 2001, relative to an average economy-wide monthly
wage of about 25.000 soums (with a wage index of 100), the energy sector had an index
of 278, the petrochemical of 276, the ferrous and non-ferrous metallurgy of 346, light
industry of 110, transport of 194 and agriculture of 50 »156. Les agriculteurs sont les plus
défavorisés dans la hiérarchie des revenus, ce qui constitue une injustice au vu du fait
que l’économie dépend largement de ce secteur et que les bénéfices agricoles servent à
subventionner le secteur industriel. Entre les deux, on trouve les fonctionnaires des
services étatiques (santé, éducation, culture et recherche), eux aussi rémunérés en deçà
de la moyenne.
Entre 1991 et 1995, l’Ouzbékistan a préservé les subsides pour plusieurs produits
alimentaires (pain, farine, riz, viande, lait ; petit déjeuner dans les écoles, etc.), mais
aussi pour le chauffage et l’électricité (la moitié de la population environ a bénéficié de
ces derniers services). A partir de 1994-1995, les subsides pour les produits alimentaires
comme pour les autres services ont été supprimés, ce qui a certainement eu un effet sur
154
UNITED NATIONS DEVELOPMENT PROGRAMME ), Human Development Report : Uzbekistan, Tashkent, 2000,
<http://www.cer.uz>, p. 6.
155
CORNIA Giovanni Andrea, Macroeconomic Policies…, op. cit., p. 11.
156
Ibid., p. 15.
58
la croissance des inégalités. Si, en 1991, les transferts sociaux représentaient 25,3% du
budget familial, en 2000 ils étaient de l’ordre de 14,6%157.
Tableau 20 – Indice de Gini basé sur le revenu salarial en Ouzbékistan, 1991-2001
Indice de Gini
1991
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
0.263
0.343
0.360
0.374
0.375
0.420
0.418
0.421
Source : CORNIA Giovanni Andrea, Macroeconomic Policies, Income Inequality and
Poverty : Uzbekistan, 1991-2002, <http://www.networkideas.org/featart/mar2004/
uzbekistan_1991_2002.pdf>, p. 15.
Kathryn Anderson et Richard Pomfret, dans leur étude sur les inégalités
territoriales en Asie centrale, constatent que « spatial inequality appears to have been
least in Uzbekistan. […] The relative equity is reinforced by government which has
maintained public revenue collection and apparently targeted its social expenditures
effectively » 158. Dans le même rapport, il est indiqué que selon les enquêtes menées
dans la vallée de Fergana, le marché du travail procure des revenus suffisants pour
couvrir les dépenses des familles dans la partie ouzbek, mais pas dans les régions
kirghize et tadjike. Néanmoins, les disparités régionales se sont aussi creusées en
Ouzbékistan pendant la période de la transition. Le PIB par habitant en PPA est deux
fois et demie plus élevé dans la capitale que dans d’autres régions du pays. Prenons
l’exemple des régions de l’est : le PIB annuel en PPA à Namangan se monte à 1965
dollars contre 5543 dollars dans la ville de Tachkent (tableau 21).
Tableau 21 – PIB annuel par habitant en PPA dans les régions de l’est de l’Ouzbékistan,
1999 (en dollars)
Régions
1999
Ouzbékistan, moyenne
2994
Région d’Andijan
2796
Région de Fergana
3106
Région de Namangan
1965
Région de Tachkent
3165
Ville de Tachkent
5543
Source : ANDERSON Kathryn, POMFRET Richard, Spatial
Inequality and Development in Central Asia, Research Paper,
nº 2004/36, Helsinki, UNU/WIDER, 2004, pp. 8-9.
157
Ibid., p. 17.
158
ANDERSON Kathryn, POMFRET Richard, Spatial Inequality and Development in Central Asia, Research Paper,
nº 2004/36, Helsinki, UNU/WIDER, 2004, p. 18.
59
Les indicateurs du développement humain
Sans aucun doute, pendant la période soviétique les républiques d’Asie centrale ont
bénéficié d’améliorations considérables du niveau de vie de leurs populations. Le plan
de développement de l’Asie centrale avait été élaboré afin d’augmenter le niveau socioéconomique jusqu’au niveau moyen soviétique. Tout un système de services sociaux
avait été ainsi mis sur pied pendant cette période et, après l’indépendance, les
républiques ont mis à leur actif un système médical développé et un niveau
d’alphabétisation et d’éducation très élevé : « At independence all of the newly formed
Central Asian Republics inherited high levels of human capital. Education and health
care were free and there were extensive social services and transfers. » 159 Cependant,
aujourd’hui, on constate que « le système éducatif, le système de santé mais aussi celui
des pensions se sont détériorés par rapport à l’époque soviétique » 160.
A présent, les cinq républiques font partie du groupe des pays à développement
humain moyen, selon l’indicateur du développement humain (IDH), qui se fonde sur
les critères suivants : espérance de vie à la naissance, niveau d’instruction et PIB par
habitant en PPA. Il ressort du tableau 22 que le Kirghizistan et l’Ouzbékistan
enregistrent des données relativement proches de celles des autres pays en transition, à
l’exception notable du PIB par habitant en PPA. En effet, en ce qui concerne les indices
de l’espérance de vie à la naissance et du taux d’alphabétisation, ils restent toujours
dans une bonne moyenne mondiale. La plupart des pays de l’Est et les Pays baltes font
aujourd’hui partie des pays à développement humain élevé.
Tableau 22 – Indicateurs du développement humain au Kirghizistan et en Ouzbékistan
Pays
1990
2001
IDH
IDH
Espérance de vie
à la naissance
(années)
Taux
d’alphabétisation
des adultes (%)
PIB par habitant
en PPA (dollars)
Kirghizistan
0.689
0.727
68.1
97.0
2750
Ouzbékistan
0.695
0.729
69.3
99.2
2460
a
0.787
69.3
99.3
6598
0.655
64.4
74.5
3850
Europe centrale et
orientale et CEI
0.794
Pays en
développement
—
Source : PROGRAMME DES N ATIONS UNIES POUR LE DEVELOPPEMENT, Rapport mondial sur le développement
humain 2003, Paris, Economica, 2003, pp. 239-240.
a
Exemple de la Pologne (les chiffres pour la moyenne de l’Europe centrale et orientale et de la CEI ne
sont pas disponibles).
Les soins de santé
Les indicateurs les plus importants pour évaluer l’impact de la période de
transition sur la santé des populations sont l’espérance de vie à la naissance, le taux de
mortalité (infantile et maternelle) et l’expansion des maladies.
159
FALKINGHAM Jane, Welfare in Transition…, op. cit., p. 2.
160
DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry, op. cit., p. 15.
60
Au Kirghizistan, dans les premières années de la transition, l’espérance de vie à
la naissance a baissé tant chez les femmes (de 72,7 années en 1991 à 70,4 en 1995) que
chez les hommes (de 64,6 années en 1991 à 61,4 en 1995). Au cours de la même période,
l’indice de mortalité est passé par de multiples chocs et a augmenté chez les deux sexes
à partir de l’âge de 25 ans. Par exemple, chez les hommes de 40 à 59 ans, cet indice est
passé de 1176,0 hommes sur 100’000 hommes de la même tranche d’âge en 1991 à
1529,7 en 1995. Ce sont les hommes de la capitale qui ont subi le plus grand choc, et
leur espérance de vie à la naissance s’est abaissée jusqu’à 58 ans, toujours pendant cette
même période. C’est seulement à partir de 1996 que l’espérance de vie à la naissance a
commencé à augmenter pour les deux sexes et, en 2001, elle avait rejoint son niveau de
1991161.
En Ouzbékistan, la population n’a pas subi de tels chocs et l’espérance de vie à la
naissance, loin de baisser, a progressivement augmenté de 72,1 ans en 1989 à 73,0 en
1998 chez les femmes et de 66,0 ans en 1989 à 68,2 en 1998 chez les hommes. Même
aujourd’hui, la population kirghize n’a pas rejoint le niveau d’espérance de vie de la
population ouzbek. Jane Falkingham constate que « the deterioration in life expectancy
was greater amongst the fast reformers and among men rather than women » 162.
Tableau 23 – Indicateurs de santé en Ouzbékistan et au Kirghizistan
Année
Kirghizistan
Ouzbékistan
Docteurs (changement en %)
1990-98
–4.6
+6.0
Personnel soignant (changement en %)
1990-98
–11.0
+13.0
Taux de mortalité maternelle (pour 100 000 naissances
vivantes)
1980
1990
1999
49.4
62.9
42.3
46.3
34.1
14.7
Taux de mortalité infantile (pour 1000 naissances vivantes)
1980
1990
1999
43.3
30.0
22.7
47.0
34.3
20.3
Tuberculose (nouveaux cas pour 100 000 habitants)
1989
1999
49.5
131.8
46.1
64.6
1997-99
10.0
4.0
Personnes souffrant de malnutrition (%)
Source : MÜLLER Katharina, Poverty and Social Policy in the Central Asian Transition Countries, Reports
and Working Papers, nº 2, Bonn, GDI (German Development Institute), 2003, p. 26.
Si l’on considère l’évolution des différents indicateurs de santé (tableau 23), on
remarque qu’au Kirghizistan s’est produite une nette diminution du personnel
soignant, qui contraste avec l’augmentation de ce dernier en Ouzbékistan. En 1999, la
mortalité maternelle était presque trois fois plus élevée au Kirghizistan qu’en
Ouzbékistan, où elle a considérablement baissé, passant de 34,1 en 1990 à 14,7 en 1999.
En ce qui concerne le taux de mortalité infantile, il connaît depuis 1980 une baisse dans
les deux pays, tout en restant plus élevé que la moyenne des pays en transition ; en
outre, parmi les pays en transition, c’est au Kirghizistan que ce taux est le plus élevé.
Le Kirghizistan a aussi connu une explosion de nouveaux cas de tuberculose, maladie
qui reflète bien la pauvreté. En 1999, ces cas étaient 166% plus nombreux qu’en 1989, et
leur nombre bien plus élevé qu’en Ouzbékistan.
161
Les chiffres de ce paragraphe proviennent de UNICEF, Innocenti Social Monitor 2004, Florence, UNICEF
Innocenti Research Centre, 2004, pp. 70-74.
162
FALKINGHAM Jane, Welfare in Transition…, op. cit., p. 24.
61
Les indicateurs de l’éducation
« Les pays communistes atteignaient effectivement des niveaux enviables d’accès
à l’enseignement. La scolarisation des enfants de 6 à 14 ans était à peu près universelle,
pour les filles comme pour les garçons. » 163 Mais nous devons aussi noter que
l’information était complètement centralisée, politisée et couverte par des conceptions
idéologiques communistes. La méthode d’enseignement, plutôt rigide et autoritaire, ne
cherchait pas à développer chez l’enfant une pensée créative.
Tableau 24 – Indicateurs de l’éducation au Kirghizistan, 1989-2001
(en pourcentage de la population de la tranche d’âge concernée)
1989
1991
1993
1995
1997
1999
2001
Fréquentation des établissements préscolaires (3-6 ans)
Kirghizistan
31.3
26.7
13.4
7.2
8.3
8.0
9.0
Ouzbékistan
36.8
35.1
29.0
24.5
17.6
16.2
19.4
Taux de scolarisation dans le primaire
Kirghizistan
92.2
92.0
85.6
88.0
89.9
89.8
95.2
Ouzbékistan
92.0
88.3
87.3
88.0
88.9
88.9
97.8
Sources : UNICEF, Innocenti Social Monitor 2004, Florence, UNICEF
Innocenti Research Centre, 2004, pp. 111 et 124 ; MÜLLER Katharina, Poverty
and Social Policy in the Central Asian Transition Countries, Reports and
Working Papers, nº 2, Bonn, GDI (German Development Institute), 2003,
p. 27.
Au Kirghizistan, beaucoup de crèches et de jardins d’enfants ont été fermés et
privatisés ou sont devenus trop chers pour les familles. Cette diminution du nombre
des institutions préscolaires a entraîné une diminution du nombre d’enfants qui les
fréquentent : en 1999, ils étaient quatre fois moins nombreux qu’en 1989. En
Ouzbékistan, la fréquentation des établissements préscolaires a aussi baissé, tout en
demeurant plus élevée qu’au Kirghizistan. Rattachés aux entreprises d’Etat à l’époque
soviétique, ces établissements préscolaires ont été à l’avènement de l’indépendance soit
fermés, soit mis sous la tutelle du Ministère de l’éducation du peuple d’Ouzbékistan,
qui n’a que peu de moyens pour les maintenir suite aux restrictions budgétaires –
même si celles-ci sont moindres qu’au Kirghizistan. Un des plus grands problèmes de
l’Ouzbékistan est la détérioration de l’infrastructure scolaire. Le gouvernement déclare
parfois jusqu’à 50% d’établissements scolaires inutilisables, et les écoles reçoivent
seulement l’argent nécessaire pour entretenir la partie utilisée.
La réduction budgétaire dans le secteur de l’éducation au Kirghizistan pose aussi
des problèmes d’approvisionnement des écoles et des collèges en matériel
pédagogique et en infrastructure ; ainsi, « des fonctionnaires ont renvoyé les enfants
chez eux pendant des semaines, voire des mois lorsqu’il n’y avait pas d’argent pour
chauffer ou éclairer les écoles » 164. Le passage de la gratuité de l’enseignement à un
système payant et l’appauvrissement des parents ont mis en difficulté beaucoup de
familles, qui doivent assumer seules les coûts des manuels scolaires, des habits, des
163
La situation des enfants dans le monde 1999. Education, New York ; Genève, UNICEF, 1999, p. 16.
164
UNICEF, Après la chute. L’impact humain de dix ans de transition, Projet Monee, Florence, Centre de
recherche Innocenti, 1999, p. 14.
62
impôts, etc. Une étude menée dans un village kirghiz en 1994 a montré que « presque
deux tiers des enfants n’auraient pas fréquenté l’école à cause du manque de vêtements
et de chaussures d’hiver » 165. Selon la loi, l’école primaire et secondaire doit être gratuite
pour tous les élèves, mais la réalité est bien différente et les parents doivent souvent payer ce
qu’on peut appeler des « impôts » pour les activités scolaires. Une étude menée par
l’UNICEF a montré qu’en 1999, 20’000 à 30’000 enfants n’allaient pas à l’école au
Kirghizistan166. Un autre problème réside dans la diminution de la qualité de
l’enseignement. Le personnel russe et slave qualifié était nombreux dans le système
éducatif. Avec l’ouverture des frontières, il a commencé à quitter le pays.
En guise de conclusion
A l’aide de différents indicateurs, nous avons pu observer dans ce chapitre que le
processus de la transition a eu des effets négatifs sur l’ensemble de la population
kirghize et ouzbek : explosion de la pauvreté, accroissement des inégalités et
détérioration des indicateurs du développement humain et des services sociaux.
Cependant, notre analyse montre également que dans le cas du Kirghizistan, ces
conséquences sociales négatives ont été beaucoup plus profondes qu’en Ouzbékistan,
tout spécialement dans la première moitié de la période de transition.
L’appauvrissement consécutif à la perte de revenus salariaux a touché plus de la
moitié de la population kirghize ; dans le cas de la population urbaine, il faisait suite
aux nombreuses fermetures d’entreprises d’Etat et, dans le cas de la population rurale,
à la restructuration des entreprises agricoles. Le taux de population vivant dans la
pauvreté s’est maintenu à un niveau élevé (avec quelques fluctuations) tout au long
des dix premières années de la transition. En Ouzbékistan, bien que les informations
sur l’évolution de la pauvreté ne soient pas complètes, elles révèlent un accroissement
de ce taux dans la première moitié des années 1990 et une diminution dans la seconde
moitié. Au Kirghizistan, plusieurs indicateurs de santé ont diminué pendant les cinq
premières années de la transition. Dans les deux pays, on a assisté à la détérioration du
système de santé comme du système d’éducation.
A l’époque soviétique, c’était le salaire qui composait la majorité (72%) du revenu
familial, suivi par les transferts sociaux (13%), eux-mêmes complétés par les activités
privées. Nous avons vu au début de ce chapitre que les sources de revenu ont
considérablement changé pendant la transition. Aujourd’hui, les salaires ne constituent
que 30% à 38% du revenu familial, désormais constitué pour moitié par les activités
privées. C’est cet accroissement de la part du revenu privé qui peut être une source
importante d’accroissement des inégalités. Ainsi, au Kirghizistan, où les réformes
économiques donnent plus de possibilités d’exercer des activités entrepreneuriales, les
inégalités sont les plus grandes de toutes les républiques d’Asie centrale : « Income
inequality has been further exacerbated by the emergence of open unemployment and
the increasing inequality of income from sources other than employment. » 167 Par
contre, parmi les pays centre-asiatiques, c’est en Ouzbékistan que les inégalités sont les
moins marquées.
165
Ibid., p. 15.
166
Ibid.
167
FALKINGHAM Jane, Welfare in Transition…, op. cit., p. 13.
63
Au Kirghizistan comme en Ouzbékistan, la population cherche à diversifier ses
possibilités de revenus complémentaires pour survivre dans une situation précaire.
Cette tentative ne peut en aucun cas suffire à faire sortir toute une population de la
pauvreté. L’intervention de l’Etat est nécessaire dans la politique d’emploi et dans la
politique de sécurité sociale pour, ultimement, protéger – ou tout au moins maintenir –
le capital humain du pays.
64
V. Les relations entre les stratégies choisies
et les conséquences sociales
Après avoir étudié les conséquences sociales de la période de transition au Kirghizistan
et en Ouzbékistan, nous abordons ici la seconde question de notre travail : Jusqu’à quel
point peut-on comprendre ces conséquences sociales comme des résultats des deux
stratégies choisies ?
Le cas du Kirghizistan
Le Kirghizistan, à la suite de son choix de mettre en œuvre un modèle démocratique et
économique libéral et ouvert, a d’un côté bénéficié d’un large soutien financier et
technique de la part des institutions financières internationales et des agences
représentant la coopération bilatérale. De l’autre côté, il a dû adopter un programme
contenant les trois composantes suivantes : stabilisation macroéconomique,
libéralisation et privatisation. Nous allons chercher à reconstituer les relations de ces
trois éléments avec la dynamique de changement social.
La stabilisation macroéconomique
Le programme de stabilisation vise à retrouver les équilibres macroéconomiques
d’un pays et se base principalement sur des politiques budgétaire et monétaire
restrictives. Les mesures de restriction budgétaire sont
– la diminution des dépenses sociales (allocations sociales, retraites, dépenses
pour l’éducation, la santé et la culture) ;
– la diminution des transferts budgétaires aux entreprises, qui se traduit soit par
des licenciements et la baisse des salaires, soit par l’impossibilité de maintenir la
production existante, suivie par la fermeture des entreprises ;
– la diminution des transferts budgétaires dans le secteur de l’agriculture, avec à
la clé la détérioration des infrastructures (principalement le système d’irrigation et les
voies routières, essentiels à la production agricole et à sa commercialisation).
Dans une situation de déclin économique et d’inflation (donc d’effondrement du
pouvoir d’achat et du salaire réel), de restructuration (signifiant une diminution du
nombre d’employés) ou de fermeture des entreprises étatiques (entraînant les pertes
d’emploi), la réduction des dépenses de l’Etat dans les secteurs énumérés ci-dessus est
ressentie fortement et mène à une plus grande insécurité des gens. A cela s’ajoutent
l’augmentation des prix des services de l’électricité et du transport, l’apparition de
taxes sur certains services d’habitation ainsi que dans les secteurs de la santé et de
l’éducation, l’introduction d’impôts sur la propriété et la terre, etc.
La libéralisation
Le programme de libéralisation vise tout d’abord à la libération des prix (la
suppression de tout contrôle des prix) et du commerce extérieur (une ouverture rapide
de l’économie au commerce international).
65
Le Kirghizistan a très rapidement ouvert son marché intérieur à la compétition
globale mais ses structures institutionnelles n’étaient pas établies. Devant déjà faire
face à l’augmentation des coûts de l’électricité et des transports, et à l’impossibilité de
moderniser leur infrastructure et leurs technologies, les entreprises locales n’ont pu
supporter l’affluence de produits bon marché qui ont envahi le marché intérieur du
pays.
La logique du marché libre, contrairement à celle d’un modèle socialiste
égalitaire, peut accentuer d’avantage les inégalités de revenus, la polarisation de la
société et les disparités régionales du pays s’il n’y a pas d’intervention étatique pour
opérer une répartition de la croissance. Ainsi, on observe que le retour de la croissance
n’a pas réduit les inégalités à l’intérieur du pays. L’abandon du système de régulation
des salaires a aussi généré une polarisation des revenus. Le développement du marché
a par contre offert à certains la possibilité de créer de nouvelles richesses, souvent par
l’accès aux richesses de l’ancien régime.
La privatisation
Le programme de changements structurels et institutionnels vise à promouvoir
l’économie de marché et l’intégration de la propriété privée. La privatisation rapide
mène directement à une redistribution de la propriété et influence les revenus et les
statuts sociaux. La privatisation des entreprises étatiques a connu beaucoup
d’irrégularités (manquement aux règles institutionnelles établies, société civile trop
faible pour intervenir). Elle a par conséquent bénéficié à un nombre restreint de
personnes, qui ont hérité du pouvoir après le changement de système. En ce qui
concerne la privatisation des terres, les agriculteurs ont pu recevoir leur parcelle
(souvent très petite), mais ils se sont retrouvés seuls, sans aucune aide étatique, ce qui a
favorisé la naissance d’une agriculture de subsistance.
Le cas de l’Ouzbékistan
L’Ouzbékistan a mis en place des réformes graduelles, choisissant une ouverture
progressive à l’économie de marché, le maintien du rôle important de l’Etat dans ces
transformations économiques et une politique visant à préserver la dimension sociale.
Plusieurs paramètres ont permis à l’Ouzbékistan d’éviter une crise sociale de même
ampleur que celle endurée par le Kirghizistan :
– la politique sociale n’est pas passée par une coupe budgétaire aussi drastique
dans les secteurs de l’éducation et de la santé, quand bien même ceux-ci ont aussi
connu une détérioration importante de leurs infrastructures et de leur qualité. Les
dépenses dans le système de protection sociale ont été diminuées mais les subventions
principales et les retraites maintenues. Un nouveau modèle d’assistance sociale
décentralisée a même été mis en place dans toutes les régions du pays ;
– le marché du travail a été sauvegardé, tout d’abord grâce à la politique de
substitutions aux importations (en utilisant les bénéfices récoltés dans le secteur
agricole pour maintenir le secteur industriel), puis grâce au maintien des subsides aux
entreprises étatiques et, enfin, grâce aux mesures protectionnistes pour la production
nationale, qui dans une certaine mesure ont protégé des entreprises étatiques de la
faillite.
Néanmoins, le passage à l’économie de marché a aussi généré un coût social
élevé :
66
– la libéralisation des prix, même si elle s’est produite lentement, a été la source
d’un accroissement de l’inflation, qui a affecté les prix, les salaires et le revenu des
familles et a été un facteur important d’appauvrissement de la population ;
– la privatisation graduelle des entreprises a été principalement ouverte à un
cercle restreint de personnes appartenant aux hauts échelons du pays ; elle a ainsi
mené à la concentration des richesses et par conséquent à des inégalités plus
prononcées ;
– le maintien des anciennes structures de commandement et de contrôle sur la
production agricole et sur le commerce extérieur n’a pas permis aux agriculteurs
indépendants de diversifier leur production, de développer des entreprises agricoles
privées et de commercialiser leurs produits. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de faire
partie des entreprises collectives à bas salaire ;
– le détournement d’une partie des profits du secteur agricole (assujetti en outre
à divers impôts) vers celui de l’industrie a des conséquences défavorables pour la
population rurale, employée majoritairement dans le secteur agricole.
Bilan
L’analyse qui précède montre que les stratégies mises en œuvre ont des liens directs
avec les transformations sociales qui ont touché les populations des deux pays. Mais
elles ne sont pas seules responsables car le développement économique et social d’un
pays est un processus d’une très grande complexité. On peut à juste titre, sans aller
dans les détails, énumérer quelques-uns de ces facteurs qui susceptibles eux aussi de
jouer un rôle primordial dans le développement du pays (certains ont déjà été
brièvement mentionnés tout au long de ce travail) :
– la volonté d’ouverture politique, manifestée par le développement de la société
civile, le respect des droits fondamentaux humains et la liberté d’expression. La société
civile peut exercer une pression sur le gouvernement, par exemple pour revendiquer
une distribution plus équitable des richesses ;
– la situation politique et économique globale. Avec l’ouverture des frontières, les
Etats sont influencés par des mouvements mondiaux majeurs : ainsi, les attentats du
11 septembre 2001 contre les Etats-Unis ont changé la situation géopolitique des pays
d’Asie centrale en attirant d’avantage d’aide financière et d’investissements dans la
région ; les fluctuations des prix sur les marchés mondiaux peuvent diminuer ou
augmenter les devises du pays ; etc. ;
– la coopération régionale, très importante pour le développement futur des pays
d’Asie centrale (liens commerciaux, droits de passage) et pour leur stabilité commune
(problèmes frontaliers) ;
– le positionnement du pays. Les cinq pays d’Asie centrale sont enclavés et leurs
réseaux de transport sous-développés, ce qui nuit à leur intégration à l’économie
mondiale ;
– la dotation en ressources naturelles, dont l’influence peut aussi s’avérer
importante. Grâce à sa richesse en pétrole, par exemple, le Kazakhstan a attiré
beaucoup d’investissements étrangers ;
– la corruption. Les pays d’Asie centrale ont un degré de corruption très élevé ; or,
celle-ci peut entraver les efforts entrepris et risque de freiner les réformes en cours ;
– la migration. D’un côté, le départ de nombreuses personnes qualifiées signifie
une perte pour un pays mais, de l’autre, l’émigration de citoyens pour des raisons
économiques et leur travail à l’étranger peuvent amener de l’argent.
67
68
VI. Les perspectives
Pour esquisser quelques pistes que pourrait emprunter à l’avenir le développement
socio-économique de l’Ouzbékistan et du Kirgiziszan, il est nécessaire de présenter les
changements survenus récemment, après les années 1991 à 2001 sur lesquelles notre
analyse s’est concentrée.
L’Ouzbékistan a préféré une politique de développement guidée par l’Etat, en
utilisant le secteur agricole comme une source de financement pour le secteur
industriel. Selon Stanislav Zhukov, cette stratégie a échoué dans ce pays parce que
réellement « it did not correspond to the country’s real potentialities and also because
of mistakes in the choices of investment priorities » 168. Les exportations agricoles sont
basées majoritairement sur la monoculture du coton, dont le prix dépend des prix sur
le marché mondial. Si, dans la première moitié des années 1990, le pays a pu profiter
du niveau avantageux du prix du coton, à partir de 1996 les prix ont commencé à
baisser (de 17% en 1996 et de 7% en 1997)169. Or, l’économie des pays qui, à l’instar de
l’Ouzbékistan, dépendent largement des fluctuations de prix sur les marchés
internationaux s’en trouve vulnérabilisée. L’or, deuxième produit d’exportation de
l’Ouzbékistan, peut subir les mêmes pressions de la part du marché mondial.
Aujourd’hui, le pays souffre d’une stagnation économique sérieuse : en 2003, la
croissance économique n’a progressé que de 0,3% et le PIB par habitant, qui diminue
chaque année depuis 1998, n’a atteint que 350 dollars. L’ICG remarque dans le rapport
déjà mentionné que « while central Tashkent retains an air of relative prosperity, the
reality for many in the capital, and even more so in the provinces, is growing
poverty » 170.
En 2002, l’Ouzbékistan s’est finalement engagé à unifier les différents taux de
change et à réaliser ainsi la convertibilité de la monnaie. Néanmoins, il a en fait
artificiellement établi le taux de change à un niveau très élevé, qui a été favorable au
service de la dette et pour certaines industries mais défavorable pour le commerce
privé. Pour réduire la circulation de la masse monétaire, les salaires et les allocations
ont été réduits dans tout le pays. Malgré la forte répression étatique, les ouvriers et les
retraités sont descendus dans la rue en 2003 pour réclamer les salaires et les paiements
non versés, parfois depuis cinq mois. En outre, le gouvernement a imposé des tarifs
douaniers très élevés au commerce transfrontalier et introduit un capital minimum
pour la création d’une société de vente et pour pouvoir participer au commerce
transfrontalier. Certains bazars (marchés de rue) ont été fermés, et des restrictions
imposées sur des articles non comestibles. Ces mesures ont pratiquement détruit les
commerces des privés et des petites entreprises qui, auparavant, avaient pu gagner de
l’argent par le commerce transfrontalier ou de détail. Certains commerces avaient
assuré la subsistance d’une dizaine de milliers de familles qui se retrouvent
aujourd’hui confrontées à la détérioration de leur niveau de vie 171. A présent, ces
restrictions ont encore augmenté la corruption aux frontières, suite à l’essor de la
contrebande. Mais, en réalité, le commerce se concentre de plus en plus dans les mains
168
ZHUKOV Stanislav, « Central Asia… », op. cit., p. 363.
169
POMFRET Richard, op. cit., p. 4.
170
INTERNATIONAL CRISIS GROUP, The Failure of Reform in Uzbekistan…, op. cit., p. i.
171
Ibid., p. 16.
69
des grandes entreprises, souvent liées aux membres de l’élite politique ou à leurs
proches.
Le régime politique extrêmement répressif et la détérioration du climat socioéconomique augmentent le mécontentement de la population. Ce mécontentement
nourrit davantage des groupes islamistes radicaux, qui attirent un nombre croissant de
jeunes dans leurs rangs. Les attentats qui ont eu lieu en Ouzbékistan en mars 2004
peuvent être compris comme la réponse à toutes ces restrictions mises en place dans les
domaines politiques et économiques.
Plusieurs experts avaient prévu une plus grande ouverture du régime ouzbek
après le rapprochement avec les Etats-Unis, l’Union européenne et les institutions
financières internationales à la suite du 11 septembre 2001, mais leurs espoirs ont été à
nouveau déçus. Au début de juillet 2004, les Etats-Unis ont suspendu leur aide
financière à Tachkent parce que l’Ouzbékistan n’avait pas répondu aux attentes
concernant les droits de l’homme dans le pays172. A la fin du même mois, le
gouvernement ouzbek s’est trouvé sous une pression encore accrue après une série
d’attentats commis par des extrémistes islamiques.
Plusieurs hypothèses au sujet du développement socio-économique ouzbek
évoquent un avenir difficile pour le pays :
– sa politique de substitution aux importations va connaître des problèmes
croissants et sera de plus en plus exposée aux chocs extérieurs, comme la fluctuation
des prix sur le marché global. Cette politique accentuera encore plus l’inégalité de la
redistribution des revenus dans le pays ;
– selon certains pronostics, la croissance du PIB ces prochaines années sera très
faible – et même la plus faible des pays d’Asie centrale. Cela freinera la réduction de la
pauvreté et conduira à une détérioration de l’infrastructure sociale dans le pays. La
pauvreté risque de s’aggraver encore dans un contexte d’inégalités croissantes173 ;
– selon certains rapports, la seule issue de la crise économique est l’engagement
dans des réformes structurelles en profondeur. Vu la position privilégiée de l’élite
politique, il est peu vraisemblable que de tels changements se produisent174.
Le Kirghizistan a choisi la voie de l’économie de marché, sous la direction des
institutions de Bretton Woods. Nous avons vu que l’introduction des réformes
systémiques et le programme de stabilisation ont provoqué un déclin économique
considérable, l’accroissement des inégalités et la paupérisation rapide de la population
dans les premières années de réforme. Dans la seconde moitié de la période étudiée, la
croissance économique s’était rétablie et la situation macroéconomique s’est stabilisée
depuis, sans que ces améliorations ne se traduisent par un recul sensible de la
pauvreté.
En 2002, la croissance du PIB avait diminué de 0,5% par rapport à l’année
précédente. C’est essentiellement la production industrielle qui était en baisse,
influençant négativement la croissance du PIB. En revanche, le secteur de l’agriculture
a enregistré une croissance de 3,3%175. La balance des paiements est toujours négative
172
EURASIANET, United States Cuts off Aid to Uzbekistan, 14 July 2004, <http://www.eurasianet.org/
departments/insight/articles/eav071404.shtml>.
173
NATIONS UNIES, CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL, Questions de politique générale intéressant la région de la
CESAP : incidences de l’évolution économique et sociale récente, 11 mars 2004, doc. E/ESCAP/1304, p. 13 ;
CORNIA Giovanni Andrea, Macroeconomic Policies…, op. cit., p. 24.
174
INTERNATIONAL CRISIS GROUP, The Failure of Reform in Uzbekistan…, op. cit., p. i.
175
National Statistical Committee of the Kyrgyz Republic, <http://eng.gateway.kg/economy>. Les
données plus récentes ne sont pas encore disponibles.
70
et la dette extérieure atteint le niveau du PIB du pays. La situation présente pousse de
plus en plus les citoyens kirghiz à émigrer dans l’espoir de trouver un emploi ou des
occasions de revenu dans des pays voisins (majoritairement le Kazakhstan et la Russie)
ou en Occident : « There are [now] some 500’000 Kyrgyz labour migrants abroad »176, ce
qui représente 10% de la population.
Etant donné la situation économique et sociale, le fort endettement et la
dépendance de l’économie du pays vis-à-vis de nouveaux prêts, le Kirghizistan
s’engage dans le processus d’élaboration d’un document stratégique pour la réduction
de la pauvreté (DSRP), lancé par la Banque mondiale et le FMI. Cette nouvelle
conditionnalité (pour bénéficier de prêts ou d’un allègement de la dette) imposée par
les institutions financières internationales exige une participation des différents acteurs
économiques au développement de stratégies pour réduire la pauvreté dans le pays.
C’est ainsi qu’à la fin de 2002 le Kirghizistan a élaboré son DSRP. Selon Richard Gerster
et Roman Mogilevsky, le DSRP kirghiz couvre la vie politique, sociale et économique
du pays mais ne se concentre pas précisément sur les stratégies de réduction de la
pauvreté, sur les aspects macroéconomiques et sur la gestion du budget177. Les pays
sont invités à élaborer le document mais les institutions de Bretton Woods déterminent
tout de même les principales orientations stratégiques en mettant au premier plan la
stabilisation macroéconomique et la croissance en tant que moyens principaux de lutte
contre la pauvreté. Cependant, l’accent ne doit pas être mis sur la seule croissance,
mais aussi sur la distribution équitable des bénéfices parmi la population du pays.
C’est ce mécanisme de redistribution de la richesse accumulée qui pourrait améliorer la
situation d’une majorité de la population kirghize. Voilà pourquoi la société civile
demande plus d’ouverture politique et pourrait augmenter la pression sur les élites du
pays pour une distribution plus juste.
En ce qui concerne les investissements, ils sont aujourd’hui très modérés, tant en
Ouzbékistan qu’au Kirghizistan. Olivier Roy souligne que les normes juridiques et
économiques ne sont pas encore mises en place dans la région, ce qui empêche
l’émergence d’une classe d’entrepreneurs et l’arrivée d’investissements massifs et
sûrs178 pour le développement économique des deux pays. La grande complexité du
mode d’enregistrement des entreprises, les taxes élevées et la corruption (répandue à
tous les niveaux) freinent le développement des petites entreprises, qui pourraient
constituer une source considérable de revenus pour les citoyens des deux pays. Le
contrôle étatique sur les activités économiques à tous les niveaux est encore plus rude
en Ouzbékistan. Les fonctionnaires ont un pouvoir quasi illimité et peuvent facilement
décider du sort des entrepreneurs. International Crisis Group mentionne plusieurs cas
où des accusations de la part de fonctionnaires ont conduit à la fermeture d’entreprises
et à l’incarcération d’entrepreneurs, tandis que les biens des entreprises étaient
confisqués par les mêmes fonctionnaires179. Quant au Kirghizistan, le « délégué spécial
aux investissements étrangers » a défini le climat d’investissement comme suit : la
République kirghize n’attire pas les investisseurs car elle ne possède pas de ressources
fossiles, elle n’a pas d’accès à la mer, les mécanismes du marché sont loin d’être
optimisés et, avec 5 millions de personnes, le marché intérieur est plutôt limité 180.
176
Selon le Kyrgyz Migration Service Department, <http://www.irinnews.org/report.asp>.
177
GERSTER Richard, MOGILEVSKY Roman, Independent Evaluation of SDC’s Bilateral Engagement in the Poverty
Reduction Strategy Paper (PRSP) Process. Part 2 : Case Studies : Kyrgyz Republic, Richterswil (Switzerland),
Gerster Consulting ; Evercreech (United Kingdom), Development Initiatives, December 2002, p. 12.
178
ROY Olivier, op. cit., p. 102.
179
INTERNATIONAL CRISIS GROUP, The Failure of Reform in Uzbekistan…, op. cit., pp. 20-21.
180
Swissinfo, « Kyrgyzstan Follows Swiss Economic Model », entretien avec Djoomart Otorbaev,
28 décembre 2003, <http://www.swissinfo.org>.
71
La population face aux changements
Après avoir vécu dans un système fermé et organisé autour d’un pouvoir central, un
système qui a fourni travail et minimum vital à la quasi-totalité de la population, un
système qui n’a pas toléré la liberté de pensée, il n’était et n’est toujours pas facile de
changer rapidement afin de s’adapter aux nouvelles règles de survie. Il faut noter que
cette ouverture n’a pas été la même pour les citoyens des deux pays. En Ouzbékistan, il
n’y a pas eu de réel changement politique sur le plan des institutions étatiques, mais
plutôt un « passage du totalitarisme à un autoritarisme » 181. Les activités économiques
individuelles n’ont pas été encouragées et tout intérêt à la participation politique était
restreint. Par conséquent, les citoyens ouzbeks n’ont pas subi le choc d’une ouverture
brutale. Au Kirghizistan, par contre, dès le début, la population a été confrontée à une
ouverture politique et économique rapide. La question d’assumer la responsabilité de
sa propre vie est tombée sur les épaules d’individus qui n’y étaient ni habitués ni
préparés. Après de multiples chocs, une partie au moins de la population (les jeunes
entrepreneurs dans les villes ou les agriculteurs privés) commence à s’adapter aux
nouvelles règles182, bien que toutes les bases institutionnelles ne soient pas encore
établies et que de multiples réglementations, la corruption et la bureaucratie freinent le
développement des projets individuels. Aujourd’hui, même si les changements
politiques n’ont pas abouti à une véritable démocratie et qu’ils évoluent plutôt vers un
durcissement du régime politique, le Kirghizistan est le pays d’Asie centrale où la
libéralisation politique a été la plus prononcée.
Le développement futur de ces deux pays dépend d’une multitude de facteurs
différents et de leurs interrelations, mais un de ces facteurs les plus importants est la
volonté politique de mener à terme les changements et d’établir un Etat de droit qui
reconnaisse les droits politiques, économiques et sociaux de chaque individu.
181
DJALILI Mohammad-Reza, KELLNER Thierry, op. cit., p. 53.
182
Selon mes observations personnelles.
72
Conclusion
Les bouleversements du début des années 1990 ont confronté le Kirghizistan et
l’Ouzbékistan, ex-républiques soviétiques d’Asie centrale, à une tout autre réalité et
ont posé de nouveaux défis à leur développement futur dans les champs politique et
économique, mais aussi social. Le présent travail s’est concentré sur la période de leur
reconstruction, pendant laquelle les choix politiques ont pu déterminer la dynamique
de changement social.
Lors de leur intégration à l’Union soviétique, les peuples des deux pays avaient
déjà subi des changements profonds de leurs modes de vie et de pensée : la
transformation de leurs identités, la sédentarisation, la collectivisation, la russification,
etc. Cependant, ils avaient aussi bénéficié d’une amélioration importante de leurs
conditions de vie : une grande partie de la population avait eu accès aux services
médicaux, et un progrès considérable avait été effectué dans les domaines de
l’éducation, de la protection sociale et de l’infrastructure en général. En raison de la
politique de spécialisation soviétique, ils étaient devenus des pays fournisseurs de
matières premières. A l’heure de l’indépendance, ils ont hérité d’une production
agricole basée sur les monocultures – et de ses conséquences écologiques – et d’une
production industrielle qui ne correspondait pas toujours aux structures économiques
du pays.
La mise en œuvre des réformes politiques proclamées au début des années 1990 a
rencontré des difficultés. En Ouzbékistan, le régime reste autoritaire tandis qu’au
Kirghizistan, les ouvertures démocratiques majeures sont aussi interrompues par un
durcissement du régime. La transition économique a connu une détermination claire :
l’instauration de l’économie de marché. L’Ouzbékistan s’est engagé dans la voie d’une
restructuration économique graduelle, guidée par l’Etat, tandis que le Kirghizistan a
choisi une vitesse maximale et suit les nombreuses recommandations des institutions
financières internationales. De fait, les deux pays ont subi une détérioration
économique importante, qui par la suite a diversement influencé leurs conditions de
vie respectives : au Kirghizistan, la pauvreté a explosé et est restée très élevée tout au
long de la décennie étudiée tandis qu’en Ouzbékistan, elle a augmenté modérément
puis a même connu un recul sensible dans la seconde moitié des années 1990 ; quant
aux inégalités de revenu, elles se sont accrues au Kirghizistan, devenu une des
républiques les plus inégalitaires des pays de la CEI, alors qu’en Ouzbékistan elles ont
aussi augmenté, mais dans une proportion moindre pendant la première moitié de la
période, puis plus élevée pendant la seconde, et elles demeurent les moins prononcées
de toute la région ; enfin, on constate une dégradation des services sociaux dans les
deux pays.
Les résultats de notre analyse montrent que les stratégies choisies pour
l’instauration du libre marché au début de la période de l’indépendance ont eu une
influence importante sur la profondeur et l’évolution des changements sociaux.
Néanmoins, ces choix politiques ne restent qu’un facteur parmi beaucoup d’autres.
C’est l’ensemble des facteurs déterminants qui peut orienter le développement et ainsi
répondre aux besoins soit d’une population dans son ensemble, soit seulement d’un
groupe restreint de personnes. Cette multitude des paramètres en jeu ouvre la voie à
d’autres recherches.
73
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