NOTES DE LECTURE 215
parfois indispensables et bienheureuses,
parfois moins. Cette quête de l’égalité
a donné effectivement plus de place
aux femmes : dans l’économie, dans
les statuts professionnels, dans les
décisions intrafamiliales, etc. Les
femmes, les mères, sont valorisées
dans cette recherche d’égalité, on leur
reconnaît force et courage, intelligence et
persévérance, qualités que l’on attribuait
auparavant davantage aux hommes.
Tandis que les hommes se sont vus
soudainement encouragés à laisser
s’exprimer une part plus féminine de
leur personne, à parler de sentiment, on
leur a proposé de prendre place au foyer
avec un congé de paternité rallongé, de
s’investir dans les tâches ménagères, et
l’on a vu naître les assistants maternels
masculins, les sages-femmes hommes,
etc. Mais il semble que cette recherche
de l’égalité ait paradoxalement engendré
un déséquilibre et entraîné la confusion
des rôles et des places. Si parfois la mère
peut être celle qui incarne la loi face
à un père plus maternant, le véritable
questionnement intervient lorsque cette
dernière évince son époux de l’histoire
familiale, comme si cette place que les
femmes ont pu prendre dans la société
devait continuer à grandir encore dans la
cellule familiale, jusqu’à faire disparaître
le père, celui qui sépare et qui partage
pourtant l’autorité parentale… jusque-là.
Il devient de plus en plus fréquent de
rencontrer des familles monoparentales
où le rôle maternel est celui qui prime,
sinon le seul qui tienne place.
La loi du père et son rôle de
séparateur de la fusion mère-enfant
semblent, à ce moment, déniés, rejetés
par certaines mères qui veulent, à l’instar
de Clytemnestre, occuper toute la
scène, faire valoir une toute-puissance à
laquelle aucun homme ne peut prétendre
faire obstacle. Elles règnent en maîtresse
absolue sur leur enfant, le tiers devenant
une menace face au duo symbiotique
ainsi formé. L’on s’étonne aujourd’hui
de voir toute forme d’autorité rejetée par
les jeunes et adolescents ; il y a peu, l’on
pouvait encore entendre une opposition
frileuse : « T’es pas mon père » qui
reconnaissait néanmoins la place de ce
dernier comme détenteur d’une certaine
autorité (à défaut d’une autorité certaine),
sa présence et son pouvoir à soumettre
étant alors acceptés par l’enfant. Mais
aujourd’hui, si un enseignant ose lever
le ton sur un enfant, alors il est coupable,
et la plainte est déposée. Si la gifle est
donnée par l’adulte, on ne s’étonne plus
tant de la voir retournée par l’enfant ou
l’adolescent. La loi du talion semble
resurgir dans les écoles, collèges et lycées
ainsi qu’au sein de la cellule familiale.
Parfois c’est l’enfant seulement qui
insulte et qui frappe l’adulte, la Loi lui
appartient, l’acte domine, mais ses mots
font défaut. Il se revendique en victime
innocente car non responsable… « Non
responsabilisé » serait le mot plus exact :
l’effacement du père et des limites et
interdits qu’il pose laissent l’enfant dans
le vide du sens, le vide du symbolique,
et le trop-plein de la mère qui retient
sa progéniture contre son émancipation
pourtant nécessaire et vitale.
Le mythe d’Oreste vient souligner
l’importance du « dire » car auparavant
la parole faisait l’autorité puisqu’elle
se référait symboliquement à une place
d’exception, celle du père ou de ses
substituts. Celui-ci fixait en somme les
places et les droits de parole de chacun.
Mais, de nos jours, « l’importance
de la parole ne semble plus la même,
chacun pouvant de sa place, contester
ou approuver ce que les autres disent
avec le même poids » (p. 52). C’est
ainsi que poser l’interdit plonge les
sujets dans le doute, la perplexité, la
méfiance ou le refus. L’autorité est
aujourd’hui d’emblée suspectée, vue
comme limitante, venant entraver le
développement de la singularité. Dès lors,
elle ne peut plus être utile pour légitimer
quiconque à « contraindre » l’enfant.
Entendons-nous bien, le terme même de
« contraindre » est devenu insupportable
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