SEQUENCE 5 : ORESTE, UN HEROS D’HIER & D’AUJOURD’HUI
Séance 3 : Oreste le maudit
EXPLICATION
Du désespoir à la folie
1. Oreste s’adresse d’abord au Ciel et aux dieux (v. 1-2) mais, à la fin de sa première tirade, les questions
rhétoriques semblent adressées davantage à lui-même : le personnage ne comprend pas le soudain changement
qui se produit et qui provoque son effroi (v. 13-15). Dans sa secondetirade, Oreste s’adresse à Pyrrhus (v. 17)
avant de prendre pour témoins les dieux (v. 23). Il demande ensuite aux Érinyes si elles sont prêtes à accomplir la
vengeance réclamée par le meurtre de Pyrrhus et la mort d’Hermione. La rapidité avec laquelle Oreste change
d’interlocuteur, alors qu’il est seul sur scène avec Pylade, souligne la folie du personnage.
La première tirade s’ouvre sur des apostrophes exclamatives prenant à partie les dieux, et se poursuit
principalement sous la forme de phrases affirmatives. Les alexandrins sont réguliers, les signes de ponctuation se
trouvent à la césure ou à la rime. Cependant, les vers 13 à 16 sont constitués d’interrogations et d’exclamations
qui expriment le trouble d’Oreste. Le rythme du vers 16 est déséquilibré « Dieux ! quels ruisseaux de sang //
coulent autour de moi ! » : un point d’exclamation isole la première syllabe, et la césure sépare le sujet de son
verbe. C’est dans la seconde tirade, constituée de nombreuses phrases interrogatives ou exclamatives, que la
folie d’Oreste devient évidente. Les alexandrins sont déséquilibrés, la césure n’est pas toujours respectée. On
peut citer, par exemple, le vers 21 : « Mais que vois-je ? À mes yeux // Hermione l’embrasse ! », dont la structure
disharmonieuse souligne la confusion du personnage.
3. Oreste bascule dans la folie à partir du vers 15 : le verbe « entrevoir » annonce les visions du personnage, qui
voit des « ruisseaux de sang » couler, puis son rival Pyrrhus pourtant mort (v. 17), auquel il tente de nouveau de
porter un coup. L’allitération mime l’affrontement : « Percé de tant de coups comment t’es-tu sauvé ? »
Hermione apparaît alors (v. 21), embrassant Pyrrhus puis menaçant Oreste du regard (v. 23). Enfin, il croit voir Les
Érinyes, dont les cheveux sont constitués de serpents sifflants, comme le souligne l’harmonie imitative des
sifflantes [s] et [f] : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
Un dénouement tragique et pathétique
4. Oreste accuse le destin et les dieux de s’acharner contre lui, comme l’expriment les vers 2 et 3 : « Oui, je te
loue, ô Ciel ! de ta persévérance. / Appliqué sans relâche au soin de me punir ». Oreste, dès sa naissance, était
voué au malheur, à cause de la malédiction familiale : « J’étais pour servir d’exemple à ta colère. » Le
châtiment final est délivré par les Érinyes, déesses de la vengeance, chargées de poursuivre les meurtriers. La
vision d’Hermione, qui prend place parmi ces divinités, va déchirer le corps d’Oreste et dévorer son coeur,
comme si cette punition renvoyait au crime initial d’Atrée, qui avait fait manger à Thyeste ses propres enfants.
5. Le registre tragique est produit par l’abondance de phrases exclamatives, d’apostrophes, qui expriment
l’indignation et la peur du personnage, accablé par son destin. Oreste suscite la crainte par le meurtre qu’il a
commis et sa folie, mais aussi la pitié, puisqu’il a perdu Hermione, qu’il aimait, et que les dieux semblent
s’acharner à faire son malheur. La vision d’Hermione embrassant Pyrrhus dans la mort est violente et
douloureuse. Ce dénouement est ainsi pathétique : Oreste n’est pas seulement un criminel, il est aussi une
victime qui paye les fautes de ses ascendants.
6. Les visions évoquées peuvent susciter la terreur par leur aspect surnaturel et monstrueux. Les ruisseaux de
sang rappellent le meurtre commis et annoncent la mort d’Oreste. Les Érinyes sont des êtres démoniaques et
sauvages. Enfin, la dernière vision d’Hermione est menaçante, puisqu’elle s’apprête à dévorer le coeur d’Oreste.
CONCLUSION
Le héros racinien se réfère à la Poétique d’Aristote. Pour ce philosophe, le héros doit être médiocre : ni trop bon
(pour permettre l’identification), ni trop mauvais (pour que son sort soit digne de pitié). Pour Racine, ses héros
sont coupables en bravant les interdits moraux et politiques ; mais ils sont aussi innocents dans leurs aspirations
au bonheur : ce sont donc des personnages complexes. Oreste devient criminel au nom de son amour pour
Hermione. Celui-ci paie donc le régicide qu’il a commis. Il est victime de sa démesure, qui devient finalement une
forme de folie. La pièce ayant été jouée devant le roi et sa cour, Racine a peut-être voulu adresser un message
implicite aux courtisans : il coûte cher de menacer le pouvoir royal.
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