Institut de Formation des Professionnels de Santé 44, chemin du Sanatorium 25030 BESANCON cedex INFIRMIER / TOXICOMANE D’INDIVIDU A INDIVIDU RELATION AUTHENTIQUE Travail de Fin d’Etudes pour l’obtention du Diplôme d’Etat d’Infirmier Présenté par : Nahid DJEBAILI Sandra PETITPERRIN Florence PIARD Sous la direction d’Isabelle GARBAN Promotion 2010 – 2013 1ère session Institut de Formation des Professionnels de Santé 44, chemin du Sanatorium 25030 BESANCON cedex INFIRMIER / TOXICOMANE D’INDIVIDU A INDIVIDU RELATION AUTHENTIQUE Travail de Fin d’Etudes pour l’obtention du Diplôme d’Etat d’Infirmier Présenté par : Nahid DJEBAILI Sandra PETITPERRIN Florence PIARD Sous la direction d’Isabelle GARBAN Promotion 2010 – 2013 1ère session « J’ai choisi de m’occuper de toxicomanes. La véritable raison, profonde, intime et viscérale : Ils étaient jeunes et beaux, ils permettaient, par personne interposée, la transgression. Comme avec la roulette russe ils jouent avec la mort et on croit qu’ils ne meurent jamais. » Claude OLIEVENSTEIN REMERCIEMENTS Nous tenons à remercier les infirmières que nous avons interrogé pour le temps qu’elles nous ont consacré ainsi que le CSAPA BRIAND de Dole et le CSAPA SOLEA de Besançon pour nous avoir permis de mener à bien ces interviews. Une pensée particulière à nos familles et à nos amis qui nous ont soutenu pour ce travail de fin d’études, l’aboutissement de trois années décisives. Nous remercions également Isabelle GARBAN, notre directrice de mémoire. SOMMAIRE I. INTRODUCTION……………………………………………………………………01 1. Situation d’appel 2. Nos motivations 3. Notre cheminement II. LA PERSONNE DEPENDANTE AUX OPIACES ET SA RELATION AUX SOIGNANTS ………………………………..…….…..03 1. La dépendance 2. La relation soignant / usager d’opiacés III. LA PRISE EN SOINS EN CSAPA………………………………………….….…08 1. Les missions d’un CSAPA 2. L’accueil 3. La méthadone 4. Méthadone : outil de réduction des risques IV. PHILOSOPHIE DE SOINS D’UNE INFIRMIERE EN CSAPA………………....14 V. PROBLEMATIQUE............................................................................................16 VI. CONCLUSION………………………………………………………………………17 1 I. INTRODUCTION 1. Situation d’appel Mme D., 33 ans, attend assise dans le couloir, en face de l’infirmerie et du bureau médical. Elle est là depuis au moins une demi-heure et le personnel du centre passe devant elle. Lorsque qu’une infirmière veut s’assurer que la jeune femme a rendez-vous auprès du médecin, celle-ci lui répond qu’elle a rendez-vous avec elle. L’infirmière, confuse, s’empresse de la faire entrer dans le bureau infirmier, lui propose de s'asseoir et s’excuse pour le contre temps. L’infirmière se présente, ouvre un logiciel sur l’ordinateur, recherchant le nom de la jeune femme et des données inscrites préalablement lors l’entretien d’accueil réalisé par un travailleur social. Elle lui demande si elle est là pour un relais méthadone gélules. Déstabilisée et un peu irritée, Mme D. répond que non, qu’elle vient pour une induction méthadone sirop. Ainsi débute l’entretien. L’infirmière s’excuse de ne pas être très au clair avec la situation. Mme D. reste silencieuse, tournée vers la fenêtre, elle nous observe parfois renvoyant un sentiment d’insécurité. Comme si elle se demandait où elle avait mit les pieds, elle donne l’impression de vouloir partir. L’infirmière met tout en œuvre pour instaurer un climat de confidentialité et de confiance mais Mme D a les larmes aux yeux lorsqu’elle parle de ses consommations. Lorsque l’infirmière lui parle des changements qui peuvent ou devront certainement s’effectuer en parallèle au traitement de substitution, Mme D semble bouleversée par la démarche qu’elle est en train d’entreprendre. L’entretien dure environ 45 min et la jeune femme se détend un peu au fur et à mesure de la discussion. Pendant l’entretien, Mme D. reçoit les explications sur l’induction de méthadone : les effets secondaires de celle-ci, les modalités de suivi au centre, les rendez vous prévus pour elle auprès du médecin, l’induction programmée la semaine suivante, la discussion de sa situation en équipe pluridisciplinaire. Elle pose très peu de questions et semble savoir déjà des choses, mais quand l’infirmière cherche à approfondir quelques points sur ses consommations, Mme D. répond le plus brièvement possible et semble heurtée par les questions pourtant posées avec beaucoup de douceur et de compréhension. 2 Mme D. a fait la démarche environ 3 semaines auparavant de venir au centre pour débuter un traitement de substitution afin d’arrêter une consommation d’héroïne qu’elle sniffe depuis trois ans, de deux à six fois par semaine. Elle consomme aussi un peu de cocaïne d’une manière plus festive depuis l’âge de 20 ans et fume une quinzaine de cigarettes par jour. Lorsque Mme D. part du centre, l’infirmière dit s’en vouloir de la manière dont elle l’a reçu. Elle dit qu’elle n’était pas certaine de la revoir malgré les efforts entrepris tout au long de l’entretien pour regagner sa confiance. Elle dit qu’elle aurait du être plus au clair en la recevant et que les premiers contacts avec les personnes qui viennent au centre sont toujours très délicats. La jeune femme s’est présentée pour l’induction du traitement, puis pendant 2 jours mais n’est pas revenue ensuite 2. Nos motivations Nous trouvons intéressant d’étudier la prise en charge d’une personne dépendante aux opiacés sous traitement substitutif méthadone pour différentes raisons. Au travers de la situation et de la personne que nous décrivons, nous percevons une fragilité rendant une démarche et une présence en centre de soins extrêmement difficile. Cette fragilité nous interpelle. A la différence de personnes se rendant en services conventionnels, il apparaît que les usagers de drogues ont un rapport au soin plus complexe. Nos recherches et nos expériences de soins, auprès de personnes dépendantes, ont mis à jour certains principes de savoir être garant de la relation de confiance et du maintien en soin. Plus palpables que jamais auprès des usagers de drogues, ces principes se révèlent être les bases de la relation humaine bienveillante et apparaissent incontournables dans le bien-fondé de la relation de soin. Enfin, il nous semblait pertinent de nous investir dans la recherche sur la prise en soin de la toxicomanie et de pourvoir être un relais pour une discipline assez récente et finalement méconnue. Pour nous, la meilleure manière d’y contribuer et d’approfondir notre savoir à ce niveau est de nous poser la question : En quoi l’infirmier(e) d’un Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie peut-il favoriser l’adhésion d’une personne dépendante aux opiacés à son projet de soin ? 3 3. Notre cheminement Nous avons effectué des recherches théoriques à partir de documents, pour la plupart des articles de magazines professionnels récents, gardant à l’esprit le caractère évolutif rapide qui caractérise l’addictologie. Issus de la littérature spécialisée en psychiatrie, ils déterminent des liens forts entre la problématique addictive et la santé mentale. Nous avons choisi de prendre contact avec des professionnels infirmiers en CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie), les plus à même de nous parler de la spécificité de leur métier. Dans le cadre de ces rencontres, nous avons établi une trame d’entretien permettant un recueil de donné assez large, mettant en évidence une prise en charge pluridisciplinaire où l’infirmier a un rôle de pivot. Dans un premier temps, nous traiterons des généralités sur la dépendance, les opiacés et l’usager dans sa relation au soin et au soignant. Dans un second temps nous expliquerons différentes étapes de la prise en charge en centre de soins tels que l’accueil, l’induction et l’accompagnement lié au traitement méthadone. Enfin, ces apports théoriques et pratiques développés et comparés nous permettront de définir les caractéristiques de l’infirmier et de son rôle en CSAPA. II. LA PERSONNE DEPENDANTE AUX OPIACES ET SA RELATION AUX SOIGNANTS 1. La dépendance La dépendance est un rapport de liaison étroite entre quelque chose et ce qui le conditionne ou le régit. Addiction : du latin Ad (vers) et diction (dicter), sous-entend un ordre donné, une contrainte vers... Toxicomanie : littéralement la manie d’un toxique. Cette définition semble écarter la dépendance due au produit lui-même. Elle est communément employée pour désigner la dépendance à l'héroïne.1 Ces deux derniers termes désignent l’habitude de consommer de façon régulière et importante des substances susceptibles d'engendrer un état de dépendance psychique et/ou physique. Ils se caractérisent par la persistance d’une consommation en dépit des 1 http://www.larousse.fr (consulté le 04 mai 2013) 4 conséquences négatives que celle-ci entraîne et se traduisent aussi par le désir compulsif de se procurer, par n’importe quel moyen la ou les substances en cause. Dans ce travail, nous utilisons parfois le terme toxicomane. Il ne doit en aucun cas être interprété de manière péjorative. Employé dans la littérature propre à notre sujet, il nous permet aussi la variété du vocabulaire. Les opiacés Les drogues sont classées selon leurs incidences sur le système nerveux central. Elles peuvent être stimulantes (tabac, cocaïne, médicaments), perturbatrices (cannabis, LSD, champignons) ou dépressives (alcool, médicaments, héroïne). Dans le cadre de notre travail, nous nous intéressons aux opiacés qui sont des dépresseurs du système nerveux central. L'opium est une préparation psychotrope obtenue à partir du latex s’écoulant des capsules incisées du pavot somnifère (Papaver somniferum). Il peut être récupéré quotidiennement avec un grattoir jusqu'à épuisement de la tête. Chaque tête de pavot peut fournir de 0,2 à 2 grammes d’opium pur. Le produit se présente comme une pâte dont la consistance dépend du degré de séchage. Son principal composant est la morphine qui constitue jusqu'à 10 % du poids sec, mais il contient aussi d'autres alcaloïdes plus ou moins psycho-actifs comme la codéine ou la noscapine. Différents procédés permettent de purifier l’opium-base et de synthétiser de la morphine ou de l'héroïne en la débarrassant des impuretés. L'héroïne peut être injectée, fumée, inhalée ou sniffée et son effet peut durer entre 3 à 6h. Les opiacés ont une action analgésique et sédative, anxiolytique et antidépressive. Les consommateurs d’héroïne injectée décrivent des successions de "flash" (foudre), une euphorie à court terme et un "feeling" (sentiment de légèreté persistant). Elle est consommée dans un premier temps dans la recherche de plaisir mais son potentiel de dépendance physique et psychique est très important. Les effets secondaires sous-jacents à sa consommation se traduisent par un manque d’appétit, une irritabilité, des tremblements, des sentiments de panique, des frissons et des sueurs profuses, des spasmes et des nausées. A un stade extrême, l’overdose (surconsommation) peut provoquer détresse respiratoire, spasmes, malaises et mort. A l’inverse, l’état de manque de produit induit une prostration, des raideurs musculaires, une hypersudation, des maux de ventre. 5 Pourquoi le toxicomane en arrive-t-il au soin ? D’après un article paru dans le journal des psychologues en février 20132, l’usager de drogue a de multiples raisons d’en arriver au soin : pour son entourage, sous la menace de séparation du conjoint, dans le cadre d’une obligation de justice. Des problèmes apparaissent à différents niveaux (personnel, professionnel, financier, judiciaire) et différents sentiments participent à la mise en mouvement : la peur, la honte, la culpabilité, la mésestime de soi, le désarroi, l’anxiété, le rejet, le manque, l’espoir. Dans l’entretien 1, il apparaît que l’usager peut en avoir assez de passer son temps à chercher du produit, qu’il ait envie de se poser, de trouver un lieu d’écoute où il peut s’exprimer ou avoir un traitement. L’infirmière insiste sur la “galère” de l’usager d'héroïne qui apparaît relativement assez rapidement en comparaison à une autre addiction de type alcool. Du fait du caractère illicite du produit, de son prix, des conséquences multidimensionnelles et des risques graves qu’il fait encourir rapidement, le toxicomane se dirige relativement vite vers le soin. L’infirmière note un abaissement progressif de la moyenne d'âge des usagers pris en soin en CSAPA et souligne une plus grande chance de se reconstruire au niveau physique, professionnel et sentimental. L’entretien 2 met en avant la souffrance d’une consommation d’héroïne qui apporte un sentiment de liberté mais qui se transforme rapidement en contrainte puis en autodestruction. Il évoque le sentiment d’ambivalence qui peut être éprouvé par l’usager hésitant entre ses habitudes et d’éventuels changements. Nous comprenons que pour lui, la recherche du changement n’est pas une démarche facilement appropriable. Hors, toute démarche de contact avec les professionnels de CSAPA démontre d’ores et déjà une motivation. Elle peut parfois sembler floue du fait de l’ambivalence propre à une personne dépendante mais cette ambivalence n’est ni un manque de motivation, ni un manque de volonté. Ce terme a été utilisé par Sigmund Freud pour définir la juxtaposition plus ou moins simultanée de deux affects : l’amour et la haine. En addictologie, il désigne la conscience des dangers encourus et l’obstination à entretenir un tel comportement. Ce concept tient une place très importante dans le soin aux personnes dépendantes. La difficulté de la démarche Nous observons que la société dans laquelle nous vivons cherche à effacer les aspérités. Elle y parvient en les lissant quand c’est possible ou en les dissimulant. Les nouvelles normes sanitaires, esthétiques, de performance sont extravagantes et assomment, quant au politiquement correct il bâillonne. Depuis toujours les termes “junkies” ou “squats” font peur autant par la violence des images véhiculées que par le tabou et le mystère qui demeure autour d’eux. Mais on voit des produits jusqu’ici admis en société comme le tabac qui ne sont désormais plus convenables. Jusque dans le milieu soignant, les jugements 2 PICARD E. Fonctions thérapeutiques de l’accueil en CSAPA. Le journal des psychologues février 2013. N°304, 67-71 6 portés sur des personnes ayant des antécédents de tabagisme ou d’alcoolisation massive peuvent se faire parfois ressentir. Nous nous demandons s’ils peuvent en arriver à interférer sur la prise en charge d’un patient en service conventionnel. Imaginons ce qu’il peut en être pour une personne dépendante à l'héroïne. Cela participe à la difficulté pour les personnes droguées de recourir au soin. Passer la porte d’un CSAPA et se confronter au regard des personnes, même si elles sont là pour vous aider, c’est tout de même reconnaître sa situation de drogué et de toxicomane dans un monde qui ne veut pas les voir. 2. La relation soignant / toxicomane Le psychiatre Daniele Zullino s’appuie sur une métaphore3 très explicite qui décrit la complexité des problèmes addictifs et oriente ainsi le rôle des soignants : Le mécanisme de la dépendance peut être imaginé comme une ornière sur un chemin, attirant la personne à retomber inexorablement dans celle-ci. L’ornière, dans sa forme et dans sa profondeur, dépend de 3 facteurs : la consistance du terrain (vulnérabilité de l’individu), le poids du véhicule (pouvoir addictogène de la substance) et le nombre de passage (fréquence de consommation). Ainsi, le rôle du soignant, au croisement du chemin du patient, n’est pas de le faire sortir expressément de cette empreinte qui s'avère souvent très profonde. Il est davantage de l’accompagner à envisager d’autres voies possibles et à tracer d’autres sillons vers des directions plus positives. L’urgence de la prise en charge Malgré les représentations que nous pouvons avoir sur la relation au toxicomane, les infirmières interrogées soulignent qu’elle est identique au patient en milieu hospitalier. Ayant toutes deux travaillé aux urgences médicales et psychiatriques, elles mettent en avant les similarités de ces deux terrains d’accueil et d’un CSAPA. Elles ressentent assez fortement la notion d’urgence dans l’accueil de personnes souvent confrontées à de la violence, à un environnement assez difficile, parfois en manque. Dans la littérature, les comportements dits excessifs, de toute-puissance et d’immédiateté sont parfois attribués à des modes de relation utilisés par les usagers. Cependant, les entretiens que nous avons menés ne révèlent pas de réelle violence en CSAPA, ou alors celle-ci est contenue par le personnel comme dans n’importe quel service de soin. L’une d’elle dit « on prend la personne comme elle est », « nous aussi on peut à un moment donné être dans un état plus colérique ». (entretien 1) 3 L. CONGIU-MERTEL. D. FABIO ZULLINO. La métaphore des ornières et le travail infirmier en addictologie. Soins psychiatrie 2011; 277 :35-39. 7 Nous faisons le constat que les deux infirmières comparent souvent les agissements des personnes qu’elles ont en soin à nos propres agissements : L’impatience, par exemple, n’est pas le propre du toxicomane mais bel et bien de la nature humaine. Savoir-Etre Dans nos recherches, nous avons pu noter à plusieurs reprises l’importance de l’attitude de l’infirmière dans le bien-fondé de la relation infirmière-toxicomane afin que ce dernier prenne part à son projet de soin. En effet l’accent est souvent mis sur l’authenticité et sur le fait que l’infirmière doit rester vraie, sans mentir ni feindre. Etre vraie, tant dans les informations qu’elle donne ou reçoit (authenticité de ses ressentis) que dans son attitude, pour que la personne se sente en confiance, accepte de se livrer peu à peu et adhère finalement à son projet de soin. Dans la prise en charge des toxicomanes à l’officine4, un pharmacien témoigne : «ne jamais mentir, jamais faire la morale et surtout rester naturel ». Dans Le travail avec les usagers de drogue5 il est écrit : « le naturel, la transparence et la recherche d’un discours juste sont beaucoup plus appréciés ». Dans nos entretiens, à la question « selon vous la relation soignant/dépendant aux opiacés est-elle particulière, si oui en quoi l’est-elle ? » L’une d’elle nous répond : « il faut être vrai, […] c’est vrai il faut être empathique, mais je ne crois pas que ça s’apprend […], soit on l’est soit on l’est pas, on peut faire toutes les formations […]. » (entretien 1). L’autre nous dit : « Je ne pense qu’il faut être différent, il n’y a pas d’attitude différente à avoir (comparée à l’attitude que l’on peut avoir avec un patient dans un service conventionnel). […] Moi je n’ai pas l’impression d’avoir changé ma façon de faire, j’ai l’impression d’être toujours la même ». « (Il faut) être disponible […]. On donne de vrais éléments, on ne dit pas des choses qui n’existent pas, […] Essayer d’amener des choses, mais des choses vraies, si on sait pas on se renseigne. […] Pour le projet de soin, il faut connaître les choses, il faut leur dire la vérité» (entretien 2). Au moment précis où une personne se présente au CSAPA, l’authenticité, la vérité et la disponibilité peuvent être à l’origine de son accroche au soin. Cette personne peut ne pas revenir tout de suite pour un projet à plus long terme. En revanche, pour un soin quelconque, un soin de plaie, une demande de matériel stérile, et au fil des passages, des discussions ou des simples contacts, l’usager s’investira peu à peu à un projet de soin auquel il adhère. Relation égalitaire Sans avoir de points de vue théorique à ce niveau, les entretiens que nous avons menés nous laissent entrevoir une relation symétrique où le professionnel ne détient pas tout le savoir. Chacun a des connaissances qu’il partage avec l’autre. L’usager peut être 4 5 J. LAMARCHE. Accueil des toxicomanes non soignés. La prise en charge du toxicomane à l’officine. Chapitre 1. 2002 P. COURTY. Le travail avec les usagers de drogues. Pour une approche humaine des soins. L’accueil. Chapitre 1. 2001 8 considéré comme un expert puisqu’il se connaît et qu’il sait ce qui fonctionne pour lui. Quant au soignant, il sait ce qui a fonctionné pour d’autres puisqu’il a suivi d’autres personnes ayant la même dépendance. L’entretien 1 indique que le toxicomane connaît presque tout sur les produits qu’il utilise. Il est en mesure de par son expérience d’en parler au professionnel qui ne peut, par exemple, imaginer les sensations induites par l’héroïne. Les produits et les noms changent souvent, il est donc en mesure de pourvoir éclairer le professionnel en cas d’interrogation. III. LA PRISE EN SOINS EN CSAPA La loi du 2 janvier 20026 rénovant l’action sociale et médico-sociale créé les CSAPA : Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie. Cette réforme vise à fusionner les CSST (Centres Spécialisés de Soins aux Toxicomanes) et les CCAA (Centres de Cure Ambulatoires en Alcoologie) dans le but décloisonner une prise en charge qui était jusqu’ici organisée autour de l’alcool d’un côté et des drogues illicites de l’autre. Les CSAPA doivent permettre une meilleure articulation du service apporté à l’usager. Ils sont coordonnés aux soins de ville (médecins traitants, pharmacies de ville), au secteur sanitaire (hospitalier, notamment les services d’hépatologie, de cancérologie, d’addictologie, de gynécologie ou de psychiatrie) et aux acteurs des réseaux de santé liés à l’addictologie (centres et foyers d’accueil, centre d’action sociale, associations de prévention). Ils constituent des pièces maîtresses de la politique publique de santé en addictologie au travers de ses trois composantes : prévention, soins et accompagnement médical, psychologique et social. Constitués à partir de 2010, sous condition de l’obtention d’un conventionnement du ministère de la santé, les CSAPA peuvent être gérés par des établissements publics de santé (comme c’est le cas pour celui de Dole) ou par des associations régies par la loi du 1er Juillet 1901 (comme c’est le cas pour celui de Besançon). Ils sont soumis à la fois au code de l’action sociale et des familles et au code de la santé publique. La plupart des CSAPA sont généralistes (Dole) mais certains peuvent conserver une spécialisation de leur activité historique en direction de certaines drogues ou conduites addictives telle que les drogues illicites (Besançon). 6 http://www.sante.gouv.fr/fichiers/bo/2007/07-06/a0060139.htm. Circulaire DGS/6B/DHOS/O2 no 2007-203 du 16 mai 2007 relative à l’organisation du dispositif de prise en charge et de soins en addictologie (consulté le 15 avril 2013) 9 1. Les missions générales d’un CSAPA7 • Accueil, information, évaluation médicale, psychologique et sociale et orientation de la personne concernée ou de son entourage. Aide au repérage des usages nocifs. • Réduction des risques liés à la consommation ou au comportement en cause. • Prise en charge médicale (bilan de santé, sevrage) et psychologique (soutien, psychothérapie individuelle ou familiale, groupes de parole) • Prescription et le suivi de traitements médicamenteux, dont les traitements de substitution aux opiacés. • Prise en charge sociale et éducative, qui comprend l’accès aux droits sociaux et l’aide à l’insertion ou à la réinsertion. Principes L’accueil et la prise en charge y sont gratuits et l’anonymat respecté sur demande de la personne. La plupart du temps basée sur son volontariat, l’usager peut parfois être orienté suite à une mesure judiciaire comme l’injonction de soins. Le mode de prise en soins global est aussi appelé prise en charge systémique. Notions sociales L’addictologie étant une discipline fortement liée aux contextes sociaux, économiques et culturels, beaucoup de ses principes de prise en soins sont fondés sur des notions sociales8 : Capacité et “pouvoir-faire” : Inviter et initier l’usager à parler et à agir en son nom, restituer la cohérence de son passé dans son récit (se raconter et être narrateur de son histoire). Se désigner lui-même auteur de ses actes et estimer bonnes ou mauvaises ses actions et celles des autres. Notion à laquelle on rattache alors celle d’identité personnelle ou collective et qui crée par miroir l’estime et le respect de soi. Posture : La posture de l’aidant (social, soignant, administratif) est un positionnement facilitant la compréhension réciproque. Elle doit entraîner progressivement une posture identique de la part du sujet et conduire à une adhésion à ce qu’ils peuvent faire ensemble. Posture de l’usager : des difficultés à dépasser (facteur temps, facteurs contextuels comme les espaces de rencontre), accepter les principes de réciprocité, de co-construction, d’interaction (refus d’une posture d’usager assujetti). Posture du professionnel : il s’agit de s’impliquer et non d’être impliqué malgré soi. L’ “ Attitude Authentiquement Affective” (Dr TOMKIEWICZ, psychiatre) implique une réelle 7 http://www.sante.gouv.fr/fichiers/bo/2007/07-06/a0060139.htm. Circulaire DGS/6B/DHOS/O2 no 2007-203 du 16 mai 2007 relative à l’organisation du dispositif de prise en charge et de soins en addictologie (consulté le 16 mai 2013). 8 MINISTERE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES ET DE LA SOLIDARITE. L’usager au centre du travail social : De l’énoncé des droits de la personne à l’exercice de la citoyenneté. Conditions d’émergence de pratiques professionnelles novatrices. Rapports de CSTS. Editions ENSP, 2007 10 connaissance approfondie et respectueuse de la personne et de ne rien dissimuler de soi (l’équation personnelle ne peut donc être ignorée). Elle nécessite un certain engagement ainsi qu’une vision claire des missions confiées. Accueil, accueillir : Du latin “colligere” qui signifie “cueillir”, le mot accueil renvoi au sens “bien recevoir chez soi”. 2. L’accueil L’accueil marque le commencement de la prise en soin et correspond légalement pour l’infirmier à l’article R4311-6 du code de la santé publique concernant l’exercice de sa profession. L’accueil en CSAPA a une fonction thérapeutique. Il est la transition entre le dehors et le dedans, entre l’avant et l’après et entre la scène sociale et l’individualisation. Il est un sas entre la rue et le soin. Dans un sens il dirige vers des professionnels, en sens inverse il permet de pouvoir se séparer d’une équipe pour réinvestir une autonomie9. Le premier accueil d’une personne toxicomane constitue un des fondements de son accompagnement. Il a une signification importante pour la personne qui vient et pour les professionnels qui reçoivent. Franchir les portes du centre est une démarche souvent longue, douloureuse et porteuse de beaucoup d’espoir. Quel que soit le contexte d’arrivée d’une personne, il implique d‘être en capacité de créer les conditions permettant de recevoir la démarche et d’y réagir10 : « La première approche c’est déjà comment va-t-il ? Comment va cette personne ». (Entretien 2). • L’importance du regard et de son intensité qui marque le respect. • L’importance de la poignée de main, à l’arrivée comme au départ. Raccompagner. • Rappeler les modalités de la prise en charge comme la confidentialité, le respect du secret (notamment par rapport à la famille). • Le respect de la temporalité du patient (un temps de préparation pour une compréhension et une réflexion commune est nécessaire). • Proscrire toute forme de rejet notamment en cas de rechute. • Aider à situer le contexte de re-consommation pour mieux comprendre. • Avoir conscience que l’arrêt du traitement de substitution n’est pas un objectif. • Savoir repérer l’urgence et ne pas laisser quelqu’un en manque. • Offrir la possibilité au patient d’avoir un autre recours au soin. • Garder à l’esprit que les accompagnements sont longs et que les résultats sont incertains, lents, parfois différés, partiels et fragiles. 9 PICARD E, Fonctions thérapeutiques de l’accueil en CSAPA, Le journal des psychologues, février 2013, n°304, p67 ASSOCIATION DEPARTEMENTALE DES INTERVENANTS JURASSIENS EN ADDICTOLOGIE Guide pratique en addictologie, Sept 2011, p2. 10 11 Respect de la temporalité Si la prise en soin en addictologie implique souvent la notion d’urgence, nous constatons dans les entretiens menés qu’il est important de donner à la personne le temps dont elle a besoin pour venir, revenir et faire confiance. « Notre but à nous quand les gens poussent la porte, une personne dépendante aux opiacés, c’est d’avoir une vraie qualité d’accueil pour lui donner envie de revenir. Et pour lui donner envie de revenir il faut prendre son temps [...] Essayer de comprendre pourquoi il est là, qu’est-ce qu’il veut vraiment....essayer de le comprendre lui ». (Entretien 1). Lieu protégé A travers nos recherches, nous comprenons qu’un CSAPA est souvent le point de départ de la prise en soin d’un toxicomane. Au-delà de l’accueil physique, l’environnement dans lequel le toxicomane est accueilli joue beaucoup sur le retour ou non de celui-ci. En effet, un espace chaleureux et réservé à l’accueil sera plus propice à l’adhésion de l’usager qu’un simple couloir de bureau. Nous pensons que le fait de travailler en civil facilite l’échange et donc la relation, l’effet « blouse blanche » n’existant pas. « Parce que notre but à nous quand les gens poussent la porte, une personne dépendante aux opiacés, c’est d’avoir une vraie qualité d’accueil pour lui donner envie de revenir » (Entretien 1). Les CSAPA sont des lieux protégés où les usagers ont des droits et des devoirs. Le centre qui les prend en charge s’engage à respecter les données personnelles et médicales qui seront strictement préservées. L’usager peut, s’il le souhaite, être admis dans un CSAPA de façon anonyme. Il a droit d’accès à son dossier médical comme tout patient. En contrepartie il s’engage à respecter le contrat de soin, le personnel, les autres usagers et à suivre le règlement intérieur. (Annexe 3) Les CSAPA sont des lieux protégés dans le sens où tout ce qui va être dit sera reçu sans jugement, sera respecté et mis sous le secret professionnel. On retrouve cette notion dans notre entretien avec l’infirmière du CSAPA de Dole : « pour pouvoir envisager un parcours ensemble, lui et nous, on essaye de travailler sur la confiance, de bien faire la différence entre la police […] tout peut s’entendre ici » (Annexe 1). Orientation Le moment de l’accueil permet aussi, comme le dit l’infirmière de dole, de pourvoir orienter ou réorienter les personnes qui n’auraient pas leur place en CSAPA : un adolescent consommant occasionnellement du cannabis est emmené par sa mère le croyant très accro à une drogue dure. Celui cil sera réorienté vers un psychologue, des conseils pourront être donnés à la mère sur la manière dont elle peut communiquer avec son fils sur ce problème, sur la manière dont elle peut prévenir les risques que son fils encourt. (Entretien 1) 12 3. Le traitement de substitution Méthadone® Un traitement de substitution est une modalité de traitement neurobiologique dont le principe repose sur l'administration d'une substance ayant une activité pharmacologique similaire à celle d'un psychotrope addictif. Son objectif est de stabiliser la consommation de l'usager ou de la diminuer en prévenant les symptômes du sevrage. Cette stabilisation peut permettre à l'usager de retrouver un début d'insertion sociale et de suivi psychologique. Il s'agit souvent de traitement sur le long terme visant parfois à l’abstinence totale ou non. Nous nous intéressons davantage à la méthadone parce qu’il est un traitement induit et suivi en CSAPA, dans les premiers temps (quelques semaines ou quelques mois). La Buprénorphine Haut Dosage (Subutex®) est quant à elle prescrite différemment et n’oblige pas au suivi en CSAPA. C’est tout de même le cas quand la personne le souhaite, en cas d’obligation de justice ou si la personne ne peut tout simplement pas la payer à la pharmacie de ville. Depuis 1994, en France, la méthadone sirop (solution amère, non injectable, à différents dosages) est indiquée dans le cas d’une dépendance majeure aux opiacés. Elle est elle aussi un opiacé, mais de longue durée d'action (25h), permettant de prévenir la sensation de manque et la rechute de la consommation d'héroïne. Elle est toujours indiquée dans le cadre d’une prise en charge systémique apparaissant comme une condition à ses indications et non comme une option. Elle est induite de manière très règlementée et son cadre légal impose un test urinaire avant son commencement pour s’assurer des consommations de la personne. Elle est prescrite pour une durée maximale de 14 jours et est souvent délivrée quotidiennement, rarement pour quelques jours (maximum 7 jours). La méthadone sous forme de gélule vient en relais de la forme sirop chez des patients traités depuis au moins un an et stabilisés, notamment sur le plan médical et au niveau des conduites addictives. Créer un lien social Ce traitement permet le soulagement du syndrome de sevrage dans le cadre d’une désintoxication. Il bloque l’envie de consommer (un produit illicite), stabilise la personne (parfois baisse de la criminalité en rapport au produit) et peut ainsi faciliter sa réadaptation (par la diminution de la somnolence par exemple). Des effets indésirables comme la transpiration excessive, la diminution de la libido, la constipation, les troubles du sommeil sont largement décrits par les usagers. A dose thérapeutique adéquate il est peu euphorisant et permet un sevrage plus confortable en comblant uniquement le manque physique. La prise en charge pluridisciplinaire peut alors intervenir sur chaque dimension de la personne dans le respect de son accord et sur sa demande. 13 La création d’un lien social commence dès le début du suivi, à travers le traitement méthadone donné quotidiennement et au contact de l’infirmier lors des entretiens. L’enquête menée auprès d’usagers d’un centre spécialisé de soins aux toxicomanes11, prouve que la méthadone favorise la réinsertion sociale, à travers une prise unique, à travers l’absence de sensation de manque, à travers le retour de l’envie de s’occuper de soi, de sa santé, de se reconstruire, de reprendre confiance. C’est par cette reconstruction personnelle qu’elle permet un détachement de la drogue. 4. La méthadone®, un outil de la Réduction Des Risques En addictologie, la médication et la médicalisation ont pour objectif de réduire les risques inhérents à la consommation de drogue : liés à l'injection de substances en intraveineuse ou par voie nasale (VIH et l'hépatite C), au surdosage ou à l’overdose, ainsi qu’aux activités illégales rattachées à se procurer l'héroïne. Historique Afin de minimiser le risque d’infections en lien avec l’usage de drogues, une politique de réduction des risques a été mise en œuvre dans de nombreux pays industrialisés. En Europe, cette politique a été mise en place dans un contexte d’urgence, marqué par l’épidémie de sida au milieu des années 1980, l’usage de drogues par voie intraveineuse constituant un facteur de risque majeur. Le dispositif de réduction des risques a fait la preuve de son efficacité sur la diminution de la transmission du VIH chez les usagers de drogues et doit actuellement faire face à l’épidémie d’hépatite C. La politique de réduction des risques est régulièrement soumise à des débats sur son positionnement vis-à-vis de l’abstinence, de la morale, de la politique et de la loi, ainsi que sur son évaluation. La substitution peut être envisagée comme une technique médicale propre ou comme une stratégie politique (sécuritaire par exemple). Elle peut aussi représenter une modalité d'intervention clinique, raisonnée et respectueuse du sujet en butte à une dépendance.12 Les auteurs n'hésitent pas à la qualifier de philosophie au sens trivial du terme : une pratique éthique et lestée de sens. IDE et réduction des risques Le rôle infirmier en addictologie, notamment quant aux programmes fondés sur la substitution, est régulièrement mis en question : La substitution et ses traitements font objets de discorde entre réduction des risques et primauté de l’abstinence. Les soignants éprouvent 11 ROSSIGNOL V. La motivation au changement dans le traitement des patients dépendants aux opiacés : Mythes et réalités ! Flyer 2003; N°14, 4 pages, 4-8. 12 http://superieur.deboeck.com/resource/extra/9782804150563/DROSUB_-Ch1.pdf, p25. (Consulté le 21 avril 2013) 14 des difficultés à se positionner face aux produits qu’ils dispensent, voir même parfois face aux autres acteurs de l’équipe pluridisciplinaires avec lesquels ils travaillent. Ils se questionnent parfois sur leur rôle : thérapeute ou simple pourvoyeur de substance ?13 Les professionnels que nous avons interrogés sont en accord avec les produits qu’ils donnent et les mentionnent effectivement comme des outils de réduction de risques et non comme des traitements se suffisants à eux seuls. Les Traitements Substitutifs aux Opiacés ne trouvent leur efficacité qu’à la condition d’une prise en charge systémique (globale). IV. PHILOSOPHIE DE SOIN D’UN INFIRMIER EN CSAPA Population marginalisée D’après les apports théoriques et les entretiens, nous percevons qu’un l’infirmier qui travaille auprès d’usagers de drogues ressent un intérêt fort pour les personnes en marge. La toxicomanie peut toucher toutes les catégories sociales mais peut amener à vivre en situation précaire. Au début du premier entretien, l’infirmière dit avoir toujours été intéressée par ces personnes qu’on lui envoyait aux urgences, parce qu’ « elle savait y faire ». Elle dit aussi « j’ai toujours aimé, enfin j’ai toujours trouvé intéressant ces gens différents et le fait que d’emblée ils soient stigmatisés…le toxico manipulateur menteur [heu…] moi j’aime bien réussir à prouver que c’est pas vrai quand on pose des affirmations comme ça. » Culture psychiatrique Le soin aux personnes dépendantes est largement en lien avec les soins psychiatriques. Les psychopathologies induites ou associées à la dépendance peuvent être liées aux situations sociales et économiques dans lesquelles nous vivons. L’addictologie est donc liée à la psychiatrie et au travail social. Lors de notre rencontre au CSAPA de Dole, hors entretien, l’infirmière a insisté sur ce point : Issue de l’ancienne formation d’infirmier psychiatrique, elle estime que ses années d’expérience en santé mentale lui ont permis d’exercer auprès des usagers de drogue et sans cela il lui semblerait plus difficile de travailler en addictologie. Même si nos entretiens démontrent que les connaissances s’acquièrent aussi sur le terrain et au contact des personnes et des autres professionnels de l’équipe pluridisciplinaire, la motivation reste primordiale mais elle ne semble pas suffire. Le travail infirmier y est basé sur les concepts et les techniques propres à la psychiatrie, tels que la contenance (Entretien 2), la cohérence, la motivation au changement, l’aide à la verbalisation, la reformulation, l’écoute. 13 L. CONGIU-MERTEL. D. FABIO ZULLINO. La métaphore des ornières et le travail infirmier en addictologie. Soins psychiatrie 2011; 277 :35-39. 15 Approche informelle Dans les services conventionnels, le travail infirmier est plus protocolaire qu’en CSAPA où il est essentiellement basé sur le relationnel. Le CSAPA a des missions précises et le service rendu effectif ne peut se faire sans que chaque membre de l’équipe pluridisciplinaire ne connaisse sa place et son rôle à jouer au sein de celle-ci. Mais le cadre du CSAPA permet à l’infirmier d’avoir une marge de manœuvre très large rendant la relation de soin extrêmement riche. Chaque soignant avec sa propre personnalité travaille différemment de son collègue. Chaque relation soignant/usager est différente. La part de feeling entre ces deux acteurs est très importante dans l’accroche au soin. Casser des mythes Autour du domaine de l’addiction, il existe des préjugés desquels le professionnel doit se détacher. En tant que soignant, il est tentant d’avoir des croyances sur la bonne manière de s’y prendre, or certains mythes sont à casser. Nous apprendrons que motiver ce n’est ni convaincre ni éduquer ou que la santé ne motive pas nécessairement au changement.14 Cadre flexible En ayant conscience des difficultés vécues par les usagers (situation géographique, zones non couvertes par les CSAPA, absence de permis, de véhicule ou même d’aidants), l’infirmier doit aider à faciliter la venue au centre. L’accompagnement ne doit pas compliquer la vie et on aurait tort de penser que le cadre est imposé, alors qu’il doit être adapté et discuté. Cette flexibilité demande de la part du soignant de se remettre en question quotidiennement, de « se mettre à la place de » et d’évaluer en permanence ce qui pourrait servir ou non l’objectif. Il doit transmettre, participe à la prise de décision et explique le cadre individuel défini. Le droit de se soigner ou pas Nous nous sommes posé la question : Dans quelle mesure l’infirmier doit-il laisser l’initiative ou tenter d’imposer ? Au même titre qu’en service conventionnel, le patient dépendant a des droits comme celui de ne pas se soigner. En addictologie, l’infirmier sait tolérer le départ ou l’échec d’une prise en charge, tout comme il sait accueillir un retour. Les résultats incertains apprennent l’humilité quant au rôle et au travail d’aidant dans ce domaine. D’ailleurs, un des rôles du soignant est d’informer du droit de se faire aider ailleurs. Cette possibilité est non seulement acceptée mais aussi mentionnée dès le premier contact. Dans l’entretien 1, l’infirmière 14 ROSSIGNOL V. La motivation au changement dans le traitement des patients dépendants aux opiacés : Mythes et réalités ! Flyer 2003; N°14, 4 pages, 4-8. 16 précise : « Il faut vraiment faire sentir au patient qu’il est libre de se soigner ou pas. C’est leur droit et leur volonté propre. Quand ils comprennent qu’on ne va pas les obliger à faire des choses, c’est eux qui suscitent les demandes ». « On veut des choses à leur place et [euh]… quand les objectifs viennent de nous et non pas d’eux ça peut être un élément d’échec, quand on fait plutôt dans le dirigisme et ça doit nous arriver même si globalement on est tous intellectuellement opposés à ça, ça doit nous arriver ». Infirmier = pivot ? L’infirmier en CSAPA doit repérer dans le discours de la personne les problèmes sous-jacents qui peuvent faire partie d’un accompagnement par d’autres professionnels et proposer leur aide. Il s’agit aussi d’améliorer l’état de santé et de permettre une réappropriation du corps. Au-delà de la substitution, l’infirmier fait un état des lieux de la santé au sens large comme la couverture médicale, le statut sérologique, la contraception, les risques infectieux, le glissement vers un autre produit. Ceci implique une grande capacité d’écoute et un sens de l’observation développé, le but étant d’optimiser les quelques minutes du passage de l’usager afin de faire un suivi efficient. La distribution quotidienne de Méthadone rend le rôle infirmier prépondérant et semble le placer en pivot de la prise en charge. V. PROBLEMATIQUE Les deux CSAPA sur lesquels nous avons travaillé sont différents tant sur le plan organisationnel que sur le plan conceptuel. Le CSAPA de Dole est une des unités du centre hospitalier spécialisé du Jura. Il est donc régit par les médecins psychiatres d’un des pôles du CHS. Le CSAPA de Besançon quant à lui, est une association dirigée par des travailleurs sociaux. La prise en charge ne se base donc pas tout à fait sur les mêmes éléments. On sait par exemple que le CSAPA de Dole détient une trame d’entretien d’accueil papier élaborée par les médicaux et que ce sont les infirmières qui réalisent ces entretiens. En revanche au CSAPA de Besançon, ce sont principalement les travailleurs sociaux qui accueillent les usagers et le recueil de données s’effectue via un logiciel informatique. « Art. D. 3411-4. − Les centres s’assurent les services d’une équipe pluridisciplinaire dont la composition et le fonctionnement sont conformes aux objectifs du projet d’établissement et permettent sa mise en œuvre. « Art. D. 3411-5. − Le directeur ou le responsable du centre a la responsabilité générale du fonctionnement du centre. Il assure, lui-même ou, le cas échéant, par délégation, dans le respect des compétences et des règles déontologiques des différents 17 professionnels, la cohérence d’ensemble de l’activité des personnels ainsi que la coordination avec les intervenants extérieurs. »15 Les infirmiers dans ces deux centres de soins ont-ils tout à fait le même rôle ? Ne peut-on pas supposer que l’infirmier évoluant dans une équipe médicale trouve plus facilement sa place qu’un autre appartenant à une équipe issue du travail social ? En regard de nos entretiens nous avons perçu un positionnement différent du soin au sein des différentes équipes. Dans quelle mesure le rôle de l’infirmier dépend-t-il de l’organisation du CSAPA dans lequel il travaille ? VI. CONCLUSION Nous avons choisi de travailler sur ce thème parce que nous savions que nos recherches nous apporteraient des ressources nécessaires à l’exercice de notre futur métier dans le bien-fondé de la relation de soin. Nous imaginions une relation au toxicomane particulière. Les infirmières interrogées lors de nos entretiens insistent sur le fait que la relation avec l’usager est identique à celle avec un patient en service conventionnel. Nous, nous pensons que dans le domaine du soin, c’est un des rares rapports « d’individu à individu » et non « de patient à soignant ». Le travail infirmier au CSAPA de Dole nous a semblé intéressant parce qu’il comporte beaucoup de responsabilités au niveau de la prise en charge du toxicomane, notamment au niveau de l’entretien d’accueil, point de départ essentiel du suivi. Nous avons pris conscience de ce que peut représenter le premier contact avec le soin pour un patient quel qu’il soit. Au final, nous nous demandons si la prise en charge infirmière ne doit pas être considérée comme un accueil permanent. L’esprit associatif du CSAPA de Besançon ainsi que son rattachement aux réseaux médico-sociaux de la ville nous semblent pertinents car ils permettent d’agir auprès de différentes populations à travers des actions à visée préventive de santé publique. La création des CSAPA est-elle en lien avec une augmentation des dépendances résultantes du monde dans lequel nous vivons ? Ou a-t-on décidé de mieux prendre en charge les problématiques addictives ? 15 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000461683&dateTexte=&categorieLien=id (consulté le 2 mai 2013 18 ANNEXES 19 ANNEXE 1 - BIBLIOGRAPHIE ● X. LAQUEILLE. Addictions, un autre regard. Soins psychiatrie 2009; 262: 18-21. ● L. CONGIU-MERTEL. D. FABIO ZULLINO. La métaphore des ornières et le travail infirmier en addictologie”. Soins psychiatrie 2011; 277 :35-39. ● Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité. L’usager au centre du travail social : De l’énoncé des droits de la personne à l’exercice de la citoyenneté. Conditions d’émergence de pratiques professionnelles novatrices. Rapports de CSTS. Editions ENSP, 2007. ● MOREL A., COUTERON JP, FOUILLAND P. L’aide mémoire en addictologie. Dunod, 2010 ● RESSUCHE B. Réflexions sur une pratique quotidienne de soins infirmiers au Centre Méthadone des Ardennes, dit à ‘haut seuil’, Flyer hors série n°2 2009; 47-55 ● ROSSIGNOL V. La motivation au changement dans le traitement des patients dépendants aux opiacés : Mythes et réalités ! Flyer 2003; N°14, 4 pages, 4-8. ● KHAZNADJI N. La méthadone, un traitement de substitution : créateur de lien social pour les toxicomanes. Flyer avril 2004; N°16, 4 pages, 22-25. ● LAMARCHE N. IDE au CSAPA Le Relais (Montbéliard) Soins infirmiers aux usagers de drogues. 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Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ? Depuis quand travaillez vous dans cette structure ? 2. Qu’est ce qui vous a motivé ou donné envie de travailler auprès de toxicomanes ? 3. Lorsqu’un patient sollicite l’accompagnement de votre structure, comment se déroule son accueil ? Par qui est il reçu et pourquoi ? Réalisez-vous vous-même des entretiens d’accueil ? 4. Comment abordez-vous ou appréhendez vous le premier contact avec le toxicomane ? 5. D’après vous, lors du premier entretien infirmier, quels sont les éléments essentiels à savoir ? En quoi sont-ils importants dans la prise en charge de ce patient ? 6. Que pensez-vous de la relation soignant/sujet dépendant aux opiacés ? Selon vous est-elle particulière ? Si oui en quoi l’est elle ? Y a-t-il une attitude à adopter dans cette relation ? 7. D’après votre expérience, quelles motivations poussent l’usager à venir vous voir ? Et pourquoi parfois selon vous celui-ci ne revient pas ? 8. Quels éléments peuvent entraver une relation de confiance entre un soignant et un toxicomane ? (notamment secret professionnel) 9. Avez-vous connu des situations d’échecs ? Si oui, comment les expliquez-vous ? 10. Quelle vision portez vous sur votre travail dans le cadre de la distribution de traitements de substitution aux opiacés ? 11. Votre rôle dans la politique de réduction des risques est notamment la distribution de matériel stérile vous semble-t-il ambigu ? Etes-vous à l’aise avec ça ? 12. Dans le cadre de la PEC systémique, nous avons lu que les travailleurs sociaux sont attachés à laisser l’initiative de la demande à l’usager. Qu’en pensez-vous en tant qu’infirmier (e) ? 13. Selon vous, comment l’infirmier(e) peut-il favoriser l’adhésion d’un toxicomane à son projet de soin ? 21 ANNEXE 3 – LIVRET D’ACCUEIL D’UN CSAPA 22 ANNEXE 4 – FASCICULE DE PREVENTION SUR L’HEROINE