infirmier / toxicomane d`individu a individu relation

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Institut de Formation des Professionnels de Santé
44, chemin du Sanatorium
25030 BESANCON cedex
INFIRMIER / TOXICOMANE
D’INDIVIDU A INDIVIDU
RELATION AUTHENTIQUE
Travail de Fin d’Etudes
pour l’obtention du Diplôme d’Etat d’Infirmier
Présenté par :
Nahid DJEBAILI
Sandra PETITPERRIN
Florence PIARD
Sous la direction d’Isabelle GARBAN
Promotion 2010 – 2013
1ère session
Institut de Formation des Professionnels de Santé
44, chemin du Sanatorium
25030 BESANCON cedex
INFIRMIER / TOXICOMANE
D’INDIVIDU A INDIVIDU
RELATION AUTHENTIQUE
Travail de Fin d’Etudes
pour l’obtention du Diplôme d’Etat d’Infirmier
Présenté par :
Nahid DJEBAILI
Sandra PETITPERRIN
Florence PIARD
Sous la direction d’Isabelle GARBAN
Promotion 2010 – 2013
1ère session
« J’ai choisi de m’occuper de toxicomanes.
La véritable raison, profonde, intime et viscérale :
Ils étaient jeunes et beaux, ils permettaient, par personne interposée, la transgression.
Comme avec la roulette russe ils jouent avec la mort
et on croit qu’ils ne meurent jamais. »
Claude OLIEVENSTEIN
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier les infirmières que nous avons interrogé pour le temps
qu’elles nous ont consacré ainsi que le CSAPA BRIAND de Dole et le CSAPA SOLEA de
Besançon pour nous avoir permis de mener à bien ces interviews.
Une pensée particulière à nos familles et à nos amis qui nous ont soutenu pour ce
travail de fin d’études, l’aboutissement de trois années décisives.
Nous remercions également Isabelle GARBAN, notre directrice de mémoire.
SOMMAIRE
I. INTRODUCTION……………………………………………………………………01
1. Situation d’appel
2. Nos motivations
3. Notre cheminement
II. LA PERSONNE DEPENDANTE AUX OPIACES
ET SA RELATION AUX SOIGNANTS ………………………………..…….…..03
1. La dépendance
2. La relation soignant / usager d’opiacés
III. LA PRISE EN SOINS EN CSAPA………………………………………….….…08
1. Les missions d’un CSAPA
2. L’accueil
3. La méthadone
4. Méthadone : outil de réduction des risques
IV. PHILOSOPHIE DE SOINS D’UNE INFIRMIERE EN CSAPA………………....14
V. PROBLEMATIQUE............................................................................................16
VI. CONCLUSION………………………………………………………………………17
1
I. INTRODUCTION
1. Situation d’appel
Mme D., 33 ans, attend assise dans le couloir, en face de l’infirmerie et du bureau
médical. Elle est là depuis au moins une demi-heure et le personnel du centre passe devant
elle. Lorsque qu’une infirmière veut s’assurer que la jeune femme a rendez-vous auprès du
médecin, celle-ci lui répond qu’elle a rendez-vous avec elle. L’infirmière, confuse,
s’empresse de la faire entrer dans le bureau infirmier, lui propose de s'asseoir et s’excuse
pour le contre temps.
L’infirmière se présente, ouvre un logiciel sur l’ordinateur, recherchant le nom de la
jeune femme et des données inscrites préalablement lors l’entretien d’accueil réalisé par un
travailleur social. Elle lui demande si elle est là pour un relais méthadone gélules.
Déstabilisée et un peu irritée, Mme D. répond que non, qu’elle vient pour une induction
méthadone sirop. Ainsi débute l’entretien.
L’infirmière s’excuse de ne pas être très au clair avec la situation. Mme D. reste
silencieuse, tournée vers la fenêtre, elle nous observe parfois renvoyant un sentiment
d’insécurité. Comme si elle se demandait où elle avait mit les pieds, elle donne l’impression
de vouloir partir. L’infirmière met tout en œuvre pour instaurer un climat de confidentialité et
de confiance mais Mme D a les larmes aux yeux lorsqu’elle parle de ses consommations.
Lorsque l’infirmière lui parle des changements qui peuvent ou devront certainement
s’effectuer en parallèle au traitement de substitution, Mme D semble bouleversée par la
démarche qu’elle est en train d’entreprendre.
L’entretien dure environ 45 min et la jeune femme se détend un peu au fur et à
mesure de la discussion. Pendant l’entretien, Mme D. reçoit les explications sur l’induction
de méthadone : les effets secondaires de celle-ci, les modalités de suivi au centre, les
rendez vous prévus pour elle auprès du médecin, l’induction programmée la semaine
suivante, la discussion de sa situation en équipe pluridisciplinaire. Elle pose très peu de
questions et semble savoir déjà des choses, mais quand l’infirmière cherche à approfondir
quelques points sur ses consommations, Mme D. répond le plus brièvement possible et
semble heurtée par les questions pourtant posées avec beaucoup de douceur et de
compréhension.
2
Mme D. a fait la démarche environ 3 semaines auparavant de venir au centre pour
débuter un traitement de substitution afin d’arrêter une consommation d’héroïne qu’elle sniffe
depuis trois ans, de deux à six fois par semaine. Elle consomme aussi un peu de cocaïne
d’une manière plus festive depuis l’âge de 20 ans et fume une quinzaine de cigarettes par
jour.
Lorsque Mme D. part du centre, l’infirmière dit s’en vouloir de la manière dont elle l’a
reçu. Elle dit qu’elle n’était pas certaine de la revoir malgré les efforts entrepris tout au long
de l’entretien pour regagner sa confiance. Elle dit qu’elle aurait du être plus au clair en la
recevant et que les premiers contacts avec les personnes qui viennent au centre sont
toujours très délicats.
La jeune femme s’est présentée pour l’induction du traitement, puis pendant 2 jours
mais n’est pas revenue ensuite
2. Nos motivations
Nous trouvons intéressant d’étudier la prise en charge d’une personne dépendante
aux opiacés sous traitement substitutif méthadone pour différentes raisons.
Au travers de la situation et de la personne que nous décrivons, nous percevons une
fragilité rendant une démarche et une présence en centre de soins extrêmement difficile.
Cette fragilité nous interpelle. A la différence de personnes se rendant en services
conventionnels, il apparaît que les usagers de drogues ont un rapport au soin plus complexe.
Nos recherches et nos expériences de soins, auprès de personnes dépendantes, ont
mis à jour certains principes de savoir être garant de la relation de confiance et du maintien
en soin. Plus palpables que jamais auprès des usagers de drogues, ces principes se
révèlent être les bases de la relation humaine bienveillante et apparaissent incontournables
dans le bien-fondé de la relation de soin.
Enfin, il nous semblait pertinent de nous investir dans la recherche sur la prise en
soin de la toxicomanie et de pourvoir être un relais pour une discipline assez récente et
finalement méconnue. Pour nous, la meilleure manière d’y contribuer et d’approfondir notre
savoir à ce niveau est de nous poser la question :
En quoi l’infirmier(e) d’un Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention
en Addictologie peut-il favoriser l’adhésion d’une personne dépendante aux opiacés
à son projet de soin ?
3
3. Notre cheminement
Nous avons effectué des recherches théoriques à partir de documents, pour la
plupart des articles de magazines professionnels récents, gardant à l’esprit le caractère
évolutif rapide qui caractérise l’addictologie. Issus de la littérature spécialisée en psychiatrie,
ils déterminent des liens forts entre la problématique addictive et la santé mentale.
Nous avons choisi de prendre contact avec des professionnels infirmiers en CSAPA
(Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie), les plus à même de
nous parler de la spécificité de leur métier. Dans le cadre de ces rencontres, nous avons
établi une trame d’entretien permettant un recueil de donné assez large, mettant en évidence
une prise en charge pluridisciplinaire où l’infirmier a un rôle de pivot.
Dans un premier temps, nous traiterons des généralités sur la dépendance, les
opiacés et l’usager dans sa relation au soin et au soignant. Dans un second temps nous
expliquerons différentes étapes de la prise en charge en centre de soins tels que l’accueil,
l’induction et l’accompagnement lié au traitement méthadone. Enfin, ces apports théoriques
et pratiques développés et comparés nous permettront de définir les caractéristiques de
l’infirmier et de son rôle en CSAPA.
II. LA PERSONNE DEPENDANTE AUX OPIACES ET SA RELATION AUX SOIGNANTS
1. La dépendance
La dépendance est un rapport de liaison étroite entre quelque chose et ce qui le
conditionne ou le régit.
Addiction : du latin Ad (vers) et diction (dicter), sous-entend un ordre donné, une
contrainte vers...
Toxicomanie : littéralement la manie d’un toxique. Cette définition semble écarter la
dépendance due au produit lui-même. Elle est communément employée pour désigner la
dépendance à l'héroïne.1
Ces deux derniers termes désignent l’habitude de consommer de façon régulière et
importante des substances susceptibles d'engendrer un état de dépendance psychique et/ou
physique. Ils se caractérisent par la persistance d’une consommation en dépit des
1
http://www.larousse.fr (consulté le 04 mai 2013)
4
conséquences négatives que celle-ci entraîne et se traduisent aussi par le désir compulsif de
se procurer, par n’importe quel moyen la ou les substances en cause.
Dans ce travail, nous utilisons parfois le terme toxicomane. Il ne doit en aucun cas
être interprété de manière péjorative. Employé dans la littérature propre à notre sujet, il nous
permet aussi la variété du vocabulaire.
Les opiacés
Les drogues sont classées selon leurs incidences sur le système nerveux central.
Elles peuvent être stimulantes (tabac, cocaïne, médicaments), perturbatrices (cannabis,
LSD, champignons) ou dépressives (alcool, médicaments, héroïne). Dans le cadre de notre
travail, nous nous intéressons aux opiacés qui sont des dépresseurs du système nerveux
central.
L'opium est une préparation psychotrope obtenue à partir du latex s’écoulant des
capsules incisées du pavot somnifère (Papaver somniferum). Il peut être récupéré
quotidiennement avec un grattoir jusqu'à épuisement de la tête. Chaque tête de pavot peut
fournir de 0,2 à 2 grammes d’opium pur. Le produit se présente comme une pâte dont la
consistance dépend du degré de séchage. Son principal composant est la morphine qui
constitue jusqu'à 10 % du poids sec, mais il contient aussi d'autres alcaloïdes plus ou moins
psycho-actifs comme la codéine ou la noscapine. Différents procédés permettent de purifier
l’opium-base et de synthétiser de la morphine ou de l'héroïne en la débarrassant des
impuretés.
L'héroïne peut être injectée, fumée, inhalée ou sniffée et son effet peut durer entre 3
à 6h.
Les opiacés ont une action analgésique et sédative, anxiolytique et antidépressive.
Les consommateurs d’héroïne injectée décrivent des successions de "flash" (foudre), une
euphorie à court terme et un "feeling" (sentiment de légèreté persistant). Elle est consommée
dans un premier temps dans la recherche de plaisir mais son potentiel de dépendance
physique et psychique est très important.
Les effets secondaires sous-jacents à sa consommation se traduisent par un manque
d’appétit, une irritabilité, des tremblements, des sentiments de panique, des frissons et des
sueurs profuses, des spasmes et des nausées.
A un stade extrême, l’overdose (surconsommation) peut provoquer détresse
respiratoire, spasmes, malaises et mort.
A l’inverse, l’état de manque de produit induit une prostration, des raideurs
musculaires, une hypersudation, des maux de ventre.
5
Pourquoi le toxicomane en arrive-t-il au soin ?
D’après un article paru dans le journal des psychologues en février 20132, l’usager de
drogue a de multiples raisons d’en arriver au soin : pour son entourage, sous la menace de
séparation du conjoint, dans le cadre d’une obligation de justice. Des problèmes
apparaissent à différents niveaux (personnel, professionnel, financier, judiciaire) et différents
sentiments participent à la mise en mouvement : la peur, la honte, la culpabilité, la
mésestime de soi, le désarroi, l’anxiété, le rejet, le manque, l’espoir.
Dans l’entretien 1, il apparaît que l’usager peut en avoir assez de passer son temps à
chercher du produit, qu’il ait envie de se poser, de trouver un lieu d’écoute où il peut
s’exprimer ou avoir un traitement. L’infirmière insiste sur la “galère” de l’usager d'héroïne qui
apparaît relativement assez rapidement en comparaison à une autre addiction de type
alcool. Du fait du caractère illicite du produit, de son prix, des conséquences
multidimensionnelles et des risques graves qu’il fait encourir rapidement, le toxicomane se
dirige relativement vite vers le soin. L’infirmière note un abaissement progressif de la
moyenne d'âge des usagers pris en soin en CSAPA et souligne une plus grande chance de
se reconstruire au niveau physique, professionnel et sentimental.
L’entretien 2 met en avant la souffrance d’une consommation d’héroïne qui apporte
un sentiment de liberté mais qui se transforme rapidement en contrainte puis en
autodestruction. Il évoque le sentiment d’ambivalence qui peut être éprouvé par l’usager
hésitant entre ses habitudes et d’éventuels changements. Nous comprenons que pour lui, la
recherche du changement n’est pas une démarche facilement appropriable.
Hors, toute démarche de contact avec les professionnels de CSAPA démontre d’ores
et déjà une motivation. Elle peut parfois sembler floue du fait de l’ambivalence propre à une
personne dépendante mais cette ambivalence n’est ni un manque de motivation, ni un
manque de volonté. Ce terme a été utilisé par Sigmund Freud pour définir la juxtaposition
plus ou moins simultanée de deux affects : l’amour et la haine. En addictologie, il désigne la
conscience des dangers encourus et l’obstination à entretenir un tel comportement. Ce
concept tient une place très importante dans le soin aux personnes dépendantes.
La difficulté de la démarche
Nous observons que la société dans laquelle nous vivons cherche à effacer les
aspérités. Elle y parvient en les lissant quand c’est possible ou en les dissimulant. Les
nouvelles normes sanitaires, esthétiques, de performance sont extravagantes et assomment,
quant au politiquement correct il bâillonne. Depuis toujours les termes “junkies” ou “squats”
font peur autant par la violence des images véhiculées que par le tabou et le mystère qui
demeure autour d’eux. Mais on voit des produits jusqu’ici admis en société comme le tabac
qui ne sont désormais plus convenables. Jusque dans le milieu soignant, les jugements
2
PICARD E. Fonctions thérapeutiques de l’accueil en CSAPA. Le journal des psychologues février 2013. N°304, 67-71
6
portés sur des personnes ayant des antécédents de tabagisme ou d’alcoolisation massive
peuvent se faire parfois ressentir. Nous nous demandons s’ils peuvent en arriver à interférer
sur la prise en charge d’un patient en service conventionnel. Imaginons ce qu’il peut en être
pour une personne dépendante à l'héroïne. Cela participe à la difficulté pour les personnes
droguées de recourir au soin. Passer la porte d’un CSAPA et se confronter au regard des
personnes, même si elles sont là pour vous aider, c’est tout de même reconnaître sa
situation de drogué et de toxicomane dans un monde qui ne veut pas les voir.
2. La relation soignant / toxicomane
Le psychiatre Daniele Zullino s’appuie sur une métaphore3 très explicite qui décrit la
complexité des problèmes addictifs et oriente ainsi le rôle des soignants :
Le mécanisme de la dépendance peut être imaginé comme une ornière sur un chemin,
attirant la personne à retomber inexorablement dans celle-ci. L’ornière, dans sa forme et
dans sa profondeur, dépend de 3 facteurs : la consistance du terrain (vulnérabilité de
l’individu), le poids du véhicule (pouvoir addictogène de la substance) et le nombre de
passage (fréquence de consommation). Ainsi, le rôle du soignant, au croisement du chemin
du patient, n’est pas de le faire sortir expressément de cette empreinte qui s'avère souvent
très profonde. Il est davantage de l’accompagner à envisager d’autres voies possibles et à
tracer d’autres sillons vers des directions plus positives.
L’urgence de la prise en charge
Malgré les représentations que nous pouvons avoir sur la relation au toxicomane, les
infirmières interrogées soulignent qu’elle est identique au patient en milieu hospitalier. Ayant
toutes deux travaillé aux urgences médicales et psychiatriques, elles mettent en avant les
similarités de ces deux terrains d’accueil et d’un CSAPA. Elles ressentent assez fortement la
notion d’urgence dans l’accueil de personnes souvent confrontées à de la violence, à un
environnement assez difficile, parfois en manque.
Dans la littérature, les comportements dits excessifs, de toute-puissance et
d’immédiateté sont parfois attribués à des modes de relation utilisés par les usagers.
Cependant, les entretiens que nous avons menés ne révèlent pas de réelle violence en
CSAPA, ou alors celle-ci est contenue par le personnel comme dans n’importe quel service
de soin. L’une d’elle dit « on prend la personne comme elle est », « nous aussi on peut à un
moment donné être dans un état plus colérique ». (entretien 1)
3
L. CONGIU-MERTEL. D. FABIO ZULLINO. La métaphore des ornières et le travail infirmier en addictologie. Soins psychiatrie
2011; 277 :35-39.
7
Nous faisons le constat que les deux infirmières comparent souvent les agissements
des personnes qu’elles ont en soin à nos propres agissements : L’impatience, par exemple,
n’est pas le propre du toxicomane mais bel et bien de la nature humaine.
Savoir-Etre
Dans nos recherches, nous avons pu noter à plusieurs reprises l’importance de
l’attitude de l’infirmière dans le bien-fondé de la relation infirmière-toxicomane afin que ce
dernier prenne part à son projet de soin. En effet l’accent est souvent mis sur l’authenticité et
sur le fait que l’infirmière doit rester vraie, sans mentir ni feindre. Etre vraie, tant dans les
informations qu’elle donne ou reçoit (authenticité de ses ressentis) que dans son attitude,
pour que la personne se sente en confiance, accepte de se livrer peu à peu et adhère
finalement à son projet de soin. Dans la prise en charge des toxicomanes à l’officine4, un
pharmacien témoigne : «ne jamais mentir, jamais faire la morale et surtout rester naturel ».
Dans Le travail avec les usagers de drogue5 il est écrit : « le naturel, la transparence et la
recherche d’un discours juste sont beaucoup plus appréciés ».
Dans nos entretiens, à la question « selon vous la relation soignant/dépendant aux
opiacés est-elle particulière, si oui en quoi l’est-elle ? » L’une d’elle nous répond : « il faut
être vrai, […] c’est vrai il faut être empathique, mais je ne crois pas que ça s’apprend […],
soit on l’est soit on l’est pas, on peut faire toutes les formations […]. » (entretien 1). L’autre
nous dit : « Je ne pense qu’il faut être différent, il n’y a pas d’attitude différente à avoir
(comparée à l’attitude que l’on peut avoir avec un patient dans un service conventionnel).
[…] Moi je n’ai pas l’impression d’avoir changé ma façon de faire, j’ai l’impression d’être
toujours la même ». « (Il faut) être disponible […]. On donne de vrais éléments, on ne dit pas
des choses qui n’existent pas, […] Essayer d’amener des choses, mais des choses vraies, si
on sait pas on se renseigne. […] Pour le projet de soin, il faut connaître les choses, il faut
leur dire la vérité» (entretien 2).
Au moment précis où une personne se présente au CSAPA, l’authenticité, la vérité et
la disponibilité peuvent être à l’origine de son accroche au soin. Cette personne peut ne pas
revenir tout de suite pour un projet à plus long terme. En revanche, pour un soin quelconque,
un soin de plaie, une demande de matériel stérile, et au fil des passages, des discussions ou
des simples contacts, l’usager s’investira peu à peu à un projet de soin auquel il adhère.
Relation égalitaire
Sans avoir de points de vue théorique à ce niveau, les entretiens que nous avons
menés nous laissent entrevoir une relation symétrique où le professionnel ne détient pas tout
le savoir. Chacun a des connaissances qu’il partage avec l’autre. L’usager peut être
4
5
J. LAMARCHE. Accueil des toxicomanes non soignés. La prise en charge du toxicomane à l’officine. Chapitre 1. 2002
P. COURTY. Le travail avec les usagers de drogues. Pour une approche humaine des soins. L’accueil. Chapitre 1. 2001
8
considéré comme un expert puisqu’il se connaît et qu’il sait ce qui fonctionne pour lui. Quant
au soignant, il sait ce qui a fonctionné pour d’autres puisqu’il a suivi d’autres personnes
ayant la même dépendance.
L’entretien 1 indique que le toxicomane connaît presque tout sur les produits qu’il
utilise. Il est en mesure de par son expérience d’en parler au professionnel qui ne peut, par
exemple, imaginer les sensations induites par l’héroïne. Les produits et les noms changent
souvent, il est donc en mesure de pourvoir éclairer le professionnel en cas d’interrogation.
III. LA PRISE EN SOINS EN CSAPA
La loi du 2 janvier 20026 rénovant l’action sociale et médico-sociale créé les CSAPA :
Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie. Cette réforme vise à
fusionner les CSST (Centres Spécialisés de Soins aux Toxicomanes) et les CCAA (Centres
de Cure Ambulatoires en Alcoologie) dans le but décloisonner une prise en charge qui était
jusqu’ici organisée autour de l’alcool d’un côté et des drogues illicites de l’autre.
Les CSAPA doivent permettre une meilleure articulation du service apporté à
l’usager. Ils sont coordonnés aux soins de ville (médecins traitants, pharmacies de ville), au
secteur sanitaire (hospitalier, notamment les services d’hépatologie, de cancérologie,
d’addictologie, de gynécologie ou de psychiatrie) et aux acteurs des réseaux de santé liés à
l’addictologie (centres et foyers d’accueil, centre d’action sociale, associations de
prévention). Ils constituent des pièces maîtresses de la politique publique de santé en
addictologie au travers de ses trois composantes : prévention, soins et accompagnement
médical, psychologique et social.
Constitués à partir de 2010, sous condition de l’obtention d’un conventionnement du
ministère de la santé, les CSAPA peuvent être gérés par des établissements publics de
santé (comme c’est le cas pour celui de Dole) ou par des associations régies par la loi du 1er
Juillet 1901 (comme c’est le cas pour celui de Besançon). Ils sont soumis à la fois au code
de l’action sociale et des familles et au code de la santé publique.
La plupart des CSAPA sont généralistes (Dole) mais certains peuvent conserver une
spécialisation de leur activité historique en direction de certaines drogues ou conduites
addictives telle que les drogues illicites (Besançon).
6
http://www.sante.gouv.fr/fichiers/bo/2007/07-06/a0060139.htm. Circulaire DGS/6B/DHOS/O2 no 2007-203 du 16 mai 2007
relative à l’organisation du dispositif de prise en charge et de soins en addictologie (consulté le 15 avril 2013)
9
1. Les missions générales d’un CSAPA7
•
Accueil, information, évaluation médicale, psychologique et sociale et orientation de
la personne concernée ou de son entourage. Aide au repérage des usages nocifs.
•
Réduction des risques liés à la consommation ou au comportement en cause.
•
Prise en charge médicale (bilan de santé, sevrage) et psychologique (soutien,
psychothérapie individuelle ou familiale, groupes de parole)
•
Prescription et le suivi de traitements médicamenteux, dont les traitements de
substitution aux opiacés.
•
Prise en charge sociale et éducative, qui comprend l’accès aux droits sociaux et
l’aide à l’insertion ou à la réinsertion.
Principes
L’accueil et la prise en charge y sont gratuits et l’anonymat respecté sur demande de
la personne. La plupart du temps basée sur son volontariat, l’usager peut parfois être orienté
suite à une mesure judiciaire comme l’injonction de soins.
Le mode de prise en soins global est aussi appelé prise en charge systémique.
Notions sociales
L’addictologie étant une discipline fortement liée aux contextes sociaux, économiques
et culturels, beaucoup de ses principes de prise en soins sont fondés sur des notions
sociales8 :
Capacité et “pouvoir-faire” : Inviter et initier l’usager à parler et à agir en son nom,
restituer la cohérence de son passé dans son récit (se raconter et être narrateur de son
histoire). Se désigner lui-même auteur de ses actes et estimer bonnes ou mauvaises ses
actions et celles des autres. Notion à laquelle on rattache alors celle d’identité personnelle
ou collective et qui crée par miroir l’estime et le respect de soi.
Posture : La posture de l’aidant (social, soignant, administratif) est un positionnement
facilitant la compréhension réciproque. Elle doit entraîner progressivement une posture
identique de la part du sujet et conduire à une adhésion à ce qu’ils peuvent faire ensemble.
Posture de l’usager : des difficultés à dépasser (facteur temps, facteurs contextuels
comme les espaces de rencontre), accepter les principes de réciprocité, de co-construction,
d’interaction (refus d’une posture d’usager assujetti).
Posture du professionnel : il s’agit de s’impliquer et non d’être impliqué malgré soi.
L’ “ Attitude Authentiquement Affective” (Dr TOMKIEWICZ, psychiatre) implique une réelle
7
http://www.sante.gouv.fr/fichiers/bo/2007/07-06/a0060139.htm. Circulaire DGS/6B/DHOS/O2 no 2007-203 du 16 mai 2007
relative à l’organisation du dispositif de prise en charge et de soins en addictologie (consulté le 16 mai 2013).
8
MINISTERE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES ET DE LA SOLIDARITE. L’usager au centre du travail social : De
l’énoncé des droits de la personne à l’exercice de la citoyenneté. Conditions d’émergence de pratiques professionnelles
novatrices. Rapports de CSTS. Editions ENSP, 2007
10
connaissance approfondie et respectueuse de la personne et de ne rien dissimuler de soi
(l’équation personnelle ne peut donc être ignorée). Elle nécessite un certain engagement
ainsi qu’une vision claire des missions confiées.
Accueil, accueillir : Du latin “colligere” qui signifie “cueillir”, le mot accueil renvoi au
sens “bien recevoir chez soi”.
2. L’accueil
L’accueil marque le commencement de la prise en soin et correspond légalement
pour l’infirmier à l’article R4311-6 du code de la santé publique concernant l’exercice de sa
profession. L’accueil en CSAPA a une fonction thérapeutique. Il est la transition entre le
dehors et le dedans, entre l’avant et l’après et entre la scène sociale et l’individualisation. Il
est un sas entre la rue et le soin. Dans un sens il dirige vers des professionnels, en sens
inverse il permet de pouvoir se séparer d’une équipe pour réinvestir une autonomie9.
Le premier accueil d’une personne toxicomane constitue un des fondements de son
accompagnement. Il a une signification importante pour la personne qui vient et pour les
professionnels qui reçoivent. Franchir les portes du centre est une démarche souvent
longue, douloureuse et porteuse de beaucoup d’espoir. Quel que soit le contexte d’arrivée
d’une personne, il implique d‘être en capacité de créer les conditions permettant de recevoir
la démarche et d’y réagir10 : « La première approche c’est déjà comment va-t-il ? Comment
va cette personne ». (Entretien 2).
•
L’importance du regard et de son intensité qui marque le respect.
•
L’importance de la poignée de main, à l’arrivée comme au départ. Raccompagner.
•
Rappeler les modalités de la prise en charge comme la confidentialité, le respect du
secret (notamment par rapport à la famille).
•
Le respect de la temporalité du patient (un temps de préparation pour une
compréhension et une réflexion commune est nécessaire).
•
Proscrire toute forme de rejet notamment en cas de rechute.
•
Aider à situer le contexte de re-consommation pour mieux comprendre.
•
Avoir conscience que l’arrêt du traitement de substitution n’est pas un objectif.
•
Savoir repérer l’urgence et ne pas laisser quelqu’un en manque.
•
Offrir la possibilité au patient d’avoir un autre recours au soin.
•
Garder à l’esprit que les accompagnements sont longs et que les résultats sont
incertains, lents, parfois différés, partiels et fragiles.
9
PICARD E, Fonctions thérapeutiques de l’accueil en CSAPA, Le journal des psychologues, février 2013, n°304, p67
ASSOCIATION DEPARTEMENTALE DES INTERVENANTS JURASSIENS EN ADDICTOLOGIE Guide pratique en addictologie, Sept 2011, p2.
10
11
Respect de la temporalité
Si la prise en soin en addictologie implique souvent la notion d’urgence, nous
constatons dans les entretiens menés qu’il est important de donner à la personne le temps
dont elle a besoin pour venir, revenir et faire confiance. « Notre but à nous quand les gens
poussent la porte, une personne dépendante aux opiacés, c’est d’avoir une vraie qualité
d’accueil pour lui donner envie de revenir. Et pour lui donner envie de revenir il faut prendre
son temps [...] Essayer de comprendre pourquoi il est là, qu’est-ce qu’il veut
vraiment....essayer de le comprendre lui ». (Entretien 1).
Lieu protégé
A travers nos recherches, nous comprenons qu’un CSAPA est souvent le point de
départ de la prise en soin d’un toxicomane. Au-delà de l’accueil physique, l’environnement
dans lequel le toxicomane est accueilli joue beaucoup sur le retour ou non de celui-ci. En
effet, un espace chaleureux et réservé à l’accueil sera plus propice à l’adhésion de l’usager
qu’un simple couloir de bureau. Nous pensons que le fait de travailler en civil facilite
l’échange et donc la relation, l’effet « blouse blanche » n’existant pas. « Parce que notre but
à nous quand les gens poussent la porte, une personne dépendante aux opiacés, c’est
d’avoir une vraie qualité d’accueil pour lui donner envie de revenir » (Entretien 1).
Les CSAPA sont des lieux protégés où les usagers ont des droits et des devoirs. Le
centre qui les prend en charge s’engage à respecter les données personnelles et médicales
qui seront strictement préservées. L’usager peut, s’il le souhaite, être admis dans un CSAPA
de façon anonyme. Il a droit d’accès à son dossier médical comme tout patient. En
contrepartie il s’engage à respecter le contrat de soin, le personnel, les autres usagers et à
suivre le règlement intérieur. (Annexe 3)
Les CSAPA sont des lieux protégés dans le sens où tout ce qui va être dit sera reçu
sans jugement, sera respecté et mis sous le secret professionnel. On retrouve cette notion
dans notre entretien avec l’infirmière du CSAPA de Dole : « pour pouvoir envisager un
parcours ensemble, lui et nous, on essaye de travailler sur la confiance, de bien faire la
différence entre la police […] tout peut s’entendre ici » (Annexe 1).
Orientation
Le moment de l’accueil permet aussi, comme le dit l’infirmière de dole, de pourvoir
orienter ou réorienter les personnes qui n’auraient pas leur place en CSAPA : un adolescent
consommant occasionnellement du cannabis est emmené par sa mère le croyant très accro
à une drogue dure. Celui cil sera réorienté vers un psychologue, des conseils pourront être
donnés à la mère sur la manière dont elle peut communiquer avec son fils sur ce problème,
sur la manière dont elle peut prévenir les risques que son fils encourt. (Entretien 1)
12
3. Le traitement de substitution Méthadone®
Un traitement de substitution est une modalité de traitement neurobiologique dont le
principe repose sur l'administration d'une substance ayant une activité pharmacologique
similaire à celle d'un psychotrope addictif. Son objectif est de stabiliser la consommation de
l'usager ou de la diminuer en prévenant les symptômes du sevrage. Cette stabilisation peut
permettre à l'usager de retrouver un début d'insertion sociale et de suivi psychologique. Il
s'agit souvent de traitement sur le long terme visant parfois à l’abstinence totale ou non.
Nous nous intéressons davantage à la méthadone parce qu’il est un traitement induit
et suivi en CSAPA, dans les premiers temps (quelques semaines ou quelques mois). La
Buprénorphine Haut Dosage (Subutex®) est quant à elle prescrite différemment et n’oblige
pas au suivi en CSAPA. C’est tout de même le cas quand la personne le souhaite, en cas
d’obligation de justice ou si la personne ne peut tout simplement pas la payer à la pharmacie
de ville.
Depuis 1994, en France, la méthadone sirop (solution amère, non injectable, à
différents dosages) est indiquée dans le cas d’une dépendance majeure aux opiacés. Elle
est elle aussi un opiacé, mais de longue durée d'action (25h), permettant de prévenir la
sensation de manque et la rechute de la consommation d'héroïne. Elle est toujours indiquée
dans le cadre d’une prise en charge systémique apparaissant comme une condition à ses
indications et non comme une option. Elle est induite de manière très règlementée et son
cadre légal impose un test urinaire avant son commencement pour s’assurer des
consommations de la personne. Elle est prescrite pour une durée maximale de 14 jours et
est souvent délivrée quotidiennement, rarement pour quelques jours (maximum 7 jours). La
méthadone sous forme de gélule vient en relais de la forme sirop chez des patients traités
depuis au moins un an et stabilisés, notamment sur le plan médical et au niveau des
conduites addictives.
Créer un lien social
Ce traitement permet le soulagement du syndrome de sevrage dans le cadre d’une
désintoxication. Il bloque l’envie de consommer (un produit illicite), stabilise la personne
(parfois baisse de la criminalité en rapport au produit) et peut ainsi faciliter sa réadaptation
(par la diminution de la somnolence par exemple). Des effets indésirables comme la
transpiration excessive, la diminution de la libido, la constipation, les troubles du sommeil
sont largement décrits par les usagers. A dose thérapeutique adéquate il est peu
euphorisant et permet un sevrage plus confortable en comblant uniquement le manque
physique. La prise en charge pluridisciplinaire peut alors intervenir sur chaque dimension de
la personne dans le respect de son accord et sur sa demande.
13
La création d’un lien social commence dès le début du suivi, à travers le traitement
méthadone donné quotidiennement et au contact de l’infirmier lors des entretiens.
L’enquête menée auprès d’usagers d’un centre spécialisé de soins aux toxicomanes11,
prouve que la méthadone favorise la réinsertion sociale, à travers une prise unique, à travers
l’absence de sensation de manque, à travers le retour de l’envie de s’occuper de soi, de sa
santé, de se reconstruire, de reprendre confiance. C’est par cette reconstruction personnelle
qu’elle permet un détachement de la drogue.
4. La méthadone®, un outil de la Réduction Des Risques
En addictologie, la médication et la médicalisation ont pour objectif de réduire les
risques inhérents à la consommation de drogue : liés à l'injection de substances en
intraveineuse ou par voie nasale (VIH et l'hépatite C), au surdosage ou à l’overdose, ainsi
qu’aux activités illégales rattachées à se procurer l'héroïne.
Historique
Afin de minimiser le risque d’infections en lien avec l’usage de drogues, une politique
de réduction des risques a été mise en œuvre dans de nombreux pays industrialisés. En
Europe, cette politique a été mise en place dans un contexte d’urgence, marqué par
l’épidémie de sida au milieu des années 1980, l’usage de drogues par voie intraveineuse
constituant un facteur de risque majeur.
Le dispositif de réduction des risques a fait la preuve de son efficacité sur la
diminution de la transmission du VIH chez les usagers de drogues et doit actuellement faire
face à l’épidémie d’hépatite C.
La politique de réduction des risques est régulièrement soumise à des débats sur son
positionnement vis-à-vis de l’abstinence, de la morale, de la politique et de la loi, ainsi que
sur son évaluation. La substitution peut être envisagée comme une technique médicale
propre ou comme une stratégie politique (sécuritaire par exemple). Elle peut aussi
représenter une modalité d'intervention clinique, raisonnée et respectueuse du sujet en butte
à une dépendance.12 Les auteurs n'hésitent pas à la qualifier de philosophie au sens trivial
du terme : une pratique éthique et lestée de sens.
IDE et réduction des risques
Le rôle infirmier en addictologie, notamment quant aux programmes fondés sur la
substitution, est régulièrement mis en question : La substitution et ses traitements font objets
de discorde entre réduction des risques et primauté de l’abstinence. Les soignants éprouvent
11
ROSSIGNOL V. La motivation au changement dans le traitement des patients dépendants aux opiacés : Mythes et réalités !
Flyer 2003; N°14, 4 pages, 4-8.
12
http://superieur.deboeck.com/resource/extra/9782804150563/DROSUB_-Ch1.pdf, p25. (Consulté le 21 avril 2013)
14
des difficultés à se positionner face aux produits qu’ils dispensent, voir même parfois face
aux autres acteurs de l’équipe pluridisciplinaires avec lesquels ils travaillent. Ils se
questionnent parfois sur leur rôle : thérapeute ou simple pourvoyeur de substance ?13
Les professionnels que nous avons interrogés sont en accord avec les produits qu’ils
donnent et les mentionnent effectivement comme des outils de réduction de risques et non
comme des traitements se suffisants à eux seuls. Les Traitements Substitutifs aux Opiacés
ne trouvent leur efficacité qu’à la condition d’une prise en charge systémique (globale).
IV. PHILOSOPHIE DE SOIN D’UN INFIRMIER EN CSAPA
Population marginalisée
D’après les apports théoriques et les entretiens, nous percevons qu’un l’infirmier qui
travaille auprès d’usagers de drogues ressent un intérêt fort pour les personnes en marge.
La toxicomanie peut toucher toutes les catégories sociales mais peut amener à vivre en
situation précaire. Au début du premier entretien, l’infirmière dit avoir toujours été intéressée
par ces personnes qu’on lui envoyait aux urgences, parce qu’ « elle savait y faire ». Elle dit
aussi « j’ai toujours aimé, enfin j’ai toujours trouvé intéressant ces gens différents et le fait
que d’emblée ils soient stigmatisés…le toxico manipulateur menteur [heu…] moi j’aime bien
réussir à prouver que c’est pas vrai quand on pose des affirmations comme ça. »
Culture psychiatrique
Le soin aux personnes dépendantes est largement en lien avec les soins
psychiatriques. Les psychopathologies induites ou associées à la dépendance peuvent être
liées aux situations sociales et économiques dans lesquelles nous vivons. L’addictologie est
donc liée à la psychiatrie et au travail social.
Lors de notre rencontre au CSAPA de Dole, hors entretien, l’infirmière a insisté sur ce
point : Issue de l’ancienne formation d’infirmier psychiatrique, elle estime que ses années
d’expérience en santé mentale lui ont permis d’exercer auprès des usagers de drogue et
sans cela il lui semblerait plus difficile de travailler en addictologie. Même si nos entretiens
démontrent que les connaissances s’acquièrent aussi sur le terrain et au contact des
personnes et des autres professionnels de l’équipe pluridisciplinaire, la motivation reste
primordiale mais elle ne semble pas suffire. Le travail infirmier y est basé sur les concepts et
les techniques propres à la psychiatrie, tels que la contenance (Entretien 2), la cohérence, la
motivation au changement, l’aide à la verbalisation, la reformulation, l’écoute.
13
L. CONGIU-MERTEL. D. FABIO ZULLINO. La métaphore des ornières et le travail infirmier en addictologie. Soins psychiatrie
2011; 277 :35-39.
15
Approche informelle
Dans les services conventionnels, le travail infirmier est plus protocolaire qu’en
CSAPA où il est essentiellement basé sur le relationnel. Le CSAPA a des missions précises
et le service rendu effectif ne peut se faire sans que chaque membre de l’équipe
pluridisciplinaire ne connaisse sa place et son rôle à jouer au sein de celle-ci. Mais le cadre
du CSAPA permet à l’infirmier d’avoir une marge de manœuvre très large rendant la relation
de soin extrêmement riche. Chaque soignant avec sa propre personnalité travaille
différemment de son collègue. Chaque relation soignant/usager est différente. La part de
feeling entre ces deux acteurs est très importante dans l’accroche au soin.
Casser des mythes
Autour du domaine de l’addiction, il existe des préjugés desquels le professionnel doit
se détacher. En tant que soignant, il est tentant d’avoir des croyances sur la bonne manière
de s’y prendre, or certains mythes sont à casser. Nous apprendrons que motiver ce n’est ni
convaincre ni éduquer ou que la santé ne motive pas nécessairement au changement.14
Cadre flexible
En ayant conscience des difficultés vécues par les usagers (situation géographique,
zones non couvertes par les CSAPA, absence de permis, de véhicule ou même d’aidants),
l’infirmier doit aider à faciliter la venue au centre. L’accompagnement ne doit pas compliquer
la vie et on aurait tort de penser que le cadre est imposé, alors qu’il doit être adapté et
discuté. Cette flexibilité demande de la part du soignant de se remettre en question
quotidiennement, de « se mettre à la place de » et d’évaluer en permanence ce qui pourrait
servir ou non l’objectif. Il doit transmettre, participe à la prise de décision et explique le cadre
individuel défini.
Le droit de se soigner ou pas
Nous nous sommes posé la question : Dans quelle mesure l’infirmier doit-il laisser
l’initiative ou tenter d’imposer ?
Au même titre qu’en service conventionnel, le patient dépendant a des droits comme
celui de ne pas se soigner. En addictologie, l’infirmier sait tolérer le départ ou l’échec d’une
prise en charge, tout comme il sait accueillir un retour. Les résultats incertains apprennent
l’humilité quant au rôle et au travail d’aidant dans ce domaine. D’ailleurs, un des rôles du
soignant est d’informer du droit de se faire aider ailleurs. Cette possibilité est non seulement
acceptée mais aussi mentionnée dès le premier contact. Dans l’entretien 1, l’infirmière
14
ROSSIGNOL V. La motivation au changement dans le traitement des patients dépendants aux opiacés : Mythes et réalités !
Flyer 2003; N°14, 4 pages, 4-8.
16
précise : « Il faut vraiment faire sentir au patient qu’il est libre de se soigner ou pas. C’est
leur droit et leur volonté propre. Quand ils comprennent qu’on ne va pas les obliger à faire
des choses, c’est eux qui suscitent les demandes ». « On veut des choses à leur place et
[euh]… quand les objectifs viennent de nous et non pas d’eux ça peut être un élément
d’échec, quand on fait plutôt dans le dirigisme et ça doit nous arriver même si globalement
on est tous intellectuellement opposés à ça, ça doit nous arriver ».
Infirmier = pivot ?
L’infirmier en CSAPA doit repérer dans le discours de la personne les problèmes
sous-jacents qui peuvent faire partie d’un accompagnement par d’autres professionnels et
proposer leur aide. Il s’agit aussi d’améliorer l’état de santé
et de permettre une
réappropriation du corps. Au-delà de la substitution, l’infirmier fait un état des lieux de la
santé au sens large comme la couverture médicale, le statut sérologique, la contraception,
les risques infectieux, le glissement vers un autre produit. Ceci implique une grande capacité
d’écoute et un sens de l’observation développé, le but étant d’optimiser les quelques minutes
du passage de l’usager afin de faire un suivi efficient. La distribution quotidienne de
Méthadone rend le rôle infirmier prépondérant et semble le placer en pivot de la prise en
charge.
V. PROBLEMATIQUE
Les deux CSAPA sur lesquels nous avons travaillé sont différents tant sur le plan
organisationnel que sur le plan conceptuel. Le CSAPA de Dole est une des unités du centre
hospitalier spécialisé du Jura. Il est donc régit par les médecins psychiatres d’un des pôles
du CHS. Le CSAPA de Besançon quant à lui, est une association dirigée par des travailleurs
sociaux. La prise en charge ne se base donc pas tout à fait sur les mêmes éléments. On sait
par exemple que le CSAPA de Dole détient une trame d’entretien d’accueil papier élaborée
par les médicaux et que ce sont les infirmières qui réalisent ces entretiens. En revanche au
CSAPA de Besançon, ce sont principalement les travailleurs sociaux qui accueillent les
usagers et le recueil de données s’effectue via un logiciel informatique.
« Art. D. 3411-4. − Les centres s’assurent les services d’une équipe pluridisciplinaire
dont la composition et le fonctionnement sont conformes aux objectifs du projet
d’établissement et permettent sa mise en œuvre.
« Art. D. 3411-5. − Le directeur ou le responsable du centre a la responsabilité
générale du fonctionnement du centre. Il assure, lui-même ou, le cas échéant, par
délégation, dans le respect des compétences et des règles déontologiques des différents
17
professionnels, la cohérence d’ensemble de l’activité des personnels ainsi que la
coordination avec les intervenants extérieurs. »15
Les infirmiers dans ces deux centres de soins ont-ils tout à fait le même rôle ? Ne
peut-on pas supposer que l’infirmier évoluant dans une équipe médicale trouve plus
facilement sa place qu’un autre appartenant à une équipe issue du travail social ? En regard
de nos entretiens nous avons perçu un positionnement différent du soin au sein des
différentes équipes.
Dans quelle mesure le rôle de l’infirmier dépend-t-il de l’organisation
du CSAPA dans lequel il travaille ?
VI. CONCLUSION
Nous avons choisi de travailler sur ce thème parce que nous savions que nos
recherches nous apporteraient des ressources nécessaires à l’exercice de notre futur métier
dans le bien-fondé de la relation de soin.
Nous imaginions une relation au toxicomane particulière. Les infirmières interrogées
lors de nos entretiens insistent sur le fait que la relation avec l’usager est identique à celle
avec un patient en service conventionnel. Nous, nous pensons que dans le domaine du
soin, c’est un des rares rapports « d’individu à individu » et non « de patient à soignant ».
Le travail infirmier au CSAPA de Dole nous a semblé intéressant parce qu’il comporte
beaucoup de responsabilités au niveau de la prise en charge du toxicomane, notamment au
niveau de l’entretien d’accueil, point de départ essentiel du suivi. Nous avons pris
conscience de ce que peut représenter le premier contact avec le soin pour un patient quel
qu’il soit. Au final, nous nous demandons si la prise en charge infirmière ne doit pas être
considérée comme un accueil permanent.
L’esprit associatif du CSAPA de Besançon ainsi que son rattachement aux réseaux
médico-sociaux de la ville nous semblent pertinents car ils permettent d’agir auprès de
différentes populations à travers des actions à visée préventive de santé publique. La
création des CSAPA est-elle en lien avec une augmentation des dépendances résultantes
du monde dans lequel nous vivons ? Ou a-t-on décidé de mieux prendre en charge les
problématiques addictives ?
15
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000461683&dateTexte=&categorieLien=id (consulté le
2 mai 2013
18
ANNEXES
19
ANNEXE 1 - BIBLIOGRAPHIE
● X. LAQUEILLE. Addictions, un autre regard. Soins psychiatrie 2009; 262: 18-21.
● L. CONGIU-MERTEL. D. FABIO ZULLINO. La métaphore des ornières et le travail infirmier
en addictologie”. Soins psychiatrie 2011; 277 :35-39.
● Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité. L’usager au centre du travail
social : De l’énoncé des droits de la personne à l’exercice de la citoyenneté. Conditions
d’émergence de pratiques professionnelles novatrices. Rapports de CSTS. Editions ENSP,
2007.
● MOREL A., COUTERON JP, FOUILLAND P. L’aide mémoire en addictologie. Dunod, 2010
● RESSUCHE B. Réflexions sur une pratique quotidienne de soins infirmiers au Centre
Méthadone des Ardennes, dit à ‘haut seuil’, Flyer hors série n°2 2009; 47-55
● ROSSIGNOL V. La motivation au changement dans le traitement des patients dépendants
aux opiacés : Mythes et réalités ! Flyer 2003; N°14, 4 pages, 4-8.
● KHAZNADJI N. La méthadone, un traitement de substitution : créateur de lien social pour
les toxicomanes. Flyer avril 2004; N°16, 4 pages, 22-25.
● LAMARCHE N. IDE au CSAPA Le Relais (Montbéliard) Soins infirmiers aux usagers de
drogues. Intervention en IFSI. 2006, 10 pages.
● PICARD E. (psychologue clinicienne, criminologue). Fonctions thérapeutiques de l’accueil
en CSAPA. Le journal des psychologues février 2013. N°304, 67-71
● P. COURTY. Le travail avec les usagers de drogue, L’accueil. Chapitre 1. Etude Broché,
2001.
● J. LAMARCHE. L’accueil des toxicomanes à l’officine. La prise en charge du toxicomane à
l’officine. Chapitre 1. Masson, 2002.
● COUTERON JP, LHOMME JP, CHAPPARD P. Pratiques professionnelles autour des
traitements de substitution aux opiacés en CSAPA. 2012
● LECORPS P. Prévention et temporalité. Psychotropes, Addiction et temporalité 2001 N°2;
65-73
● http://www.larousse.fr
● http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000461683&date
Texte=&categorieLien=id
● http://superieur.deboeck.com/resource/extra/9782804150563/DROSUB_-Ch1.pdf, p25
20
ANNEXE 2 - TRAME D’ENTRETIEN AUPRES D’INFIRMIERS DE CSAPA
1. Depuis quand êtes vous diplômé(e) ? Pouvez-vous nous parler de votre parcours
professionnel ? Depuis quand travaillez vous dans cette structure ?
2. Qu’est ce qui vous a motivé ou donné envie de travailler auprès de toxicomanes ?
3. Lorsqu’un patient sollicite l’accompagnement de votre structure, comment se déroule
son accueil ? Par qui est il reçu et pourquoi ?
Réalisez-vous vous-même des entretiens d’accueil ?
4. Comment abordez-vous ou appréhendez vous le premier contact avec le
toxicomane ?
5. D’après vous, lors du premier entretien infirmier, quels sont les éléments essentiels
à savoir ? En quoi sont-ils importants dans la prise en charge de ce patient ?
6. Que pensez-vous de la relation soignant/sujet dépendant aux opiacés ? Selon vous
est-elle particulière ? Si oui en quoi l’est elle ?
Y a-t-il une attitude à adopter dans cette relation ?
7. D’après votre expérience, quelles motivations poussent l’usager à venir vous voir ?
Et pourquoi parfois selon vous celui-ci ne revient pas ?
8. Quels éléments peuvent entraver une relation de confiance entre un soignant et un
toxicomane ? (notamment secret professionnel)
9. Avez-vous connu des situations d’échecs ? Si oui, comment les expliquez-vous ?
10. Quelle vision portez vous sur votre travail dans le cadre de la distribution de
traitements de substitution aux opiacés ?
11. Votre rôle dans la politique de réduction des risques est notamment la distribution de
matériel stérile vous semble-t-il ambigu ? Etes-vous à l’aise avec ça ?
12. Dans le cadre de la PEC systémique, nous avons lu que les travailleurs sociaux sont
attachés à laisser l’initiative de la demande à l’usager. Qu’en pensez-vous en tant
qu’infirmier (e) ?
13. Selon vous, comment l’infirmier(e) peut-il favoriser l’adhésion d’un toxicomane à son
projet de soin ?
21
ANNEXE 3 – LIVRET D’ACCUEIL D’UN CSAPA
22
ANNEXE 4 – FASCICULE
DE PREVENTION SUR
L’HEROINE
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