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La Pièce –
un point de vue.
« Comme il ne faut jurer de rien, aussi ne doit-on
jamais faire de dédit considérable »
Dufresny, Les Dédits.
Dire de La Fausse Suivante qu’elle est la cinquième
comédie de Marivaux au théâtre italien, et son
cinquième succès en cinq ans (1720-1724), c’est dire
l’essentiel. Dans la foulée du Prince Travesti, son
unique tragi-comédie, Marivaux imagine cette histoire
de jeune fille en colère, déguisée en chevalier pour le
Carnaval et jouant une fausse suivante. Mais au
théâtre, il faut des maîtres aux valets, et des désirs dans
les cœurs, et l’enchaînement des actions. Dans La
Fausse Suivante, c’est une femme qui endosse le
costume.
Tromperie sur le sexe ; sur le statut social ; sur ses desseins.
Qui dit tromperie dit secret.
Qui dit secret dit désir violent de le percer.
La dramaturgie de La Fausse Suivante est d’abord une dramaturgie du secret, qui joue
sur les affects violents que suscite (sur scène et dans la salle) la lutte autour de la chose
cachée – d’Œdipe à Guignol.
La dynamique de la pièce repose sur un mécanisme retors : émietter le secret, et
transformer l’aveu d’une vérité partielle en garant d’un mensonge plus grand encore (je
suis fille, il est vrai, mais déguisée au profit de ma maîtresse qui veut ceci ou cela...) ;
faire circuler le secret entre les personnages qui ne l’atteignent qu’en ordre dispersé, et
trop tard, ou n’en saisissent que l’apparence, parce que comme le disait Louis Jouvet,
« ils sont dupes du piège dans lequel ils se sont mis eux-mêmes »
Par une inversion de sexe, si enracinée dans les origines du théâtre, la jeune aristocrate
s’expose au chantage sexuel et monétaire de Trivelin, aux pulsions violeuses
d’Arlequin ; pseudo-chevalier, elle engage avec la Comtesse un rapport dont la charge
homosexuelle n’est qu’à peine voilée. Par le travestissement, le mensonge, la
tromperie, la jeune aventurière découvre et révèle la vérité au monde : que le mariage
est un commerce, que les femmes sont la proie des loups, que les mots mentent, que les
cœurs se manipulent, que l’argent entend régler tous les désirs. Découverte
douloureuse, qui mêle son désespoir aux jubilations énergiques de la vengeance.
(1)
/ Louis Jouvet : Molière et la comédie classique – ed. NRF Gallimard.