franc fort - Migros

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ENTRETIEN
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SERGIO ROSSI
| No 7, 9 FÉVRIER 2015 |
MIGROS MAGAZINE |
«L’alternative au franc fort,
c’est Francfort!»
Titulaire de la chaire de macroéconomie et d’économie monétaire à l’Université de Fribourg,
Sergio Rossi dénonce les erreurs de la BNS, relativise les bénéfices de la crise actuelle pour les
consommateurs, comme ses inconvénients pour les entreprises.
Tout le monde estime que la BNS n’avait pas
d’autres solutions que supprimer le taux
plancher, mais personne ne l’avait prévu.
Comment expliquer ce paradoxe?
Non seulement la BNS n’aurait jamais dû
introduire le taux plancher, mais elle
n’aurait jamais dû l’enlever le 15 janvier
2015. Soit une semaine avant que la BCE
annonce son assouplissement monétaire
et dix jours avant que la Grèce ne vote
pour Syriza. Un très mauvais moment
donc avec la perspective d’un euro qui va
rester faible. Mais c’était le dernier moment: tous les francs suisses que les
banques reçoivent de la BNS en échange
des milliards d’euros qu’elle leur achète
pour garder le franc à 1,20 menaçaient d’
enfler la masse monétaire au point de
mettre en danger la stabilité financière
du pays. Une masse utilisée par les
banques essentiellement sur les marchés
de manière trop risquée et pour nourrir
des crédits hypothécaires provoquant
une surchauffe des prix immobiliers.
N’ y avait-il quand même pas plus de risques
- déflation, récession chômage - à supprimer
le taux plancher plutôt qu’à le maintenir?
La BNS a estimé que ses pertes, induites
par l’achat massif d’euros qui se déprécient, auraient été beaucoup plus élevées
que celles à venir des entreprises pénalisées par le franc fort. Une partie des entreprises n’ont pas de problème à exporter même avec un franc fort, le secteur
pharmaceutique par exemple . Il est clair
aussi que les entreprises auraient dû se
préparer à la disparition du plancher et
visiblement elles ne l’ont pas fait, surtout
celles du secteur touristique.
Le patron de la BNS Thomas Jordan a donc eu
raison de dire que les entreprises ont eu assez
de temps pour se préparer?
Oui, mais la BNS a très mal communiqué,
et ce dès le départ. Elle aurait dû dire lors
sement économique certes assez remarquable.
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de l’introduction du taux plancher en
2011 qu’elle se réservait le droit de revenir régulièrement sur cette décision. Au
lieu de cela, en déclarant solennellement
que le taux plancher était la meilleure solution, elle a induit des comportements
biaisés: les gens s’y sont habitués et les
entreprises se sont endormies là-dessus.
Les conséquences du franc fort
vont elles être aussi dramatiques qu’annoncées par les milieux économiques?
«Les entreprises
auraient dû se
préparer à la fin
du taux plancher.»
Non. Il est ainsi exagéré de
parler de déflation, qui n’est
pas la baisse d’une série de
prix pendant quelques mois, mais une
période de plusieurs années où les prix
dans leur ensemble diminuent, comme
dans les années 30. Nous allons nous retrouver plutôt avec une pression sur les
marges bénéficiaires des entreprises qui
les obligera à l’innovation, et un ralentis-
Quelles conséquences pour le marché du
travail?
Une partie du travail sera délocalisé, une
partie va rester mais avec une pression à
la baisse sur les salaires. Une baisse des
salaires qui influera sur la consommation
des ménages. Or la consommation en
Suisse est un de moteurs de la croissance,
aussi important que les exportations.
Malgré tout, les consommateurs sont les
grands gagnants du franc fort, non?
Les baisses de prix attendues dont certaines sont déjà en vigueur ne vont pas
foncièrement changer la donne. Les
consommateurs sont aussi des travailleurs: s’ils craignent pour leur place de
travail ou que leur contrat de travail soit
revu à la baisse, ils vont être frileux. Ils
ne vont pas vraiment changer leur niveau de consommation, vont vouloir
conserver cette marge de manœuvre que
leur donne le franc fort et ne pas faire de
dépenses supplémentaires tant que la situation n’est pas claire sur le marché du
travail.
Entre les plus pessimistes qui voient à terme
un euro à 0,95 franc et les optimistes qui le
prédisent à 1,10 vous vous situez où?
Tant que le problème de la dette publique grecque mais aussi italienne et
espagnole ne sera pas résolu, on sera plus
près d’un euro à 0,95 franc qu’à 1,10.
L’indépendance monétaire n’a-t-elle pas atteint ses limites - trop chère, trop compliquée, générant des taux de change fluctuants, donc de l’instabilité?
On ne peut pas s’inventer entrepreneur,
il faut être créatif, savoir qu’il y a des
taux de change et des valeurs qui bougent
et être capable de vivre avec cela. Parce
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MIGROS MAGAZINE | No 7, 9 FÉVRIER 2015 |
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SERGIO ROSSI
Pour Sergio Rossi, l’introduction d’un taux plancher par la
Banque nationale était à la base une mauvaise solution.
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SERGIO ROSSI
que l’alternative, c’est la monnaie
unique, l’euro, et une politique monétaire décidée par la BCE à Francfort. Avec
des décisions qui ne conviendraient pas
forcément à la situation particulière de
la Suisse notamment en matière de taux
d’intérêts ou de fonds propres des
banques. Le franc suisse est
un vrai instrument de politique économique. A condition toutefois que la BNS
s’en serve pour atteindre
une
série
d’objectifs,
comme maximiser l’emploi,
faire en sorte que l’économie soit stable, compatible
avec l’environnement et la
société dans son ensemble. La BNS ne
fait pas cela, car elle se contente, tout
comme la BCE d’ailleurs, d’assurer la
stabilité des prix à la consommation.
«Le franc est un
vrai instrument
de politique
économique.»
La BNS avec l’abaissement du taux plancher
a également annoncé l’instauration de taux
négatifs. Une bonne mesure?
Ce n’est pas un bon instrument pour en-
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Migros n° 1 mondial des
détaillants durables.
| No 7, 9 FÉVRIER 2015 |
MIGROS MAGAZINE |
Bio express
Né le 2 décembre 1967 à Bellinzone. Après
son doctorat en sciences économiques et
sociales à l’Université de Fribourg, Sergio
Rossi a poursuivi sa formation, obtenant un
deuxième doctorat à l’Université de
Londres. Il a ensuite enseigné au Centre
d’études bancaires de Lugano (2000–
2007) ainsi que dans plusieurs universités
en Europe.
Depuis 2008 il est professeur ordinaire à
l’Université de Fribourg, où il dirige la chaire
de macroéconomie et d’économie monétaire. Il est membre du Conseil de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe à l’Université de Lausanne et blogueur pour L’Hebdo.
Il a rédigé ou dirigé une douzaine de livres,
dont une encyclopédie de politique monétaire, et intervient souvent dans le débat
public sur les questions d’ordre économique au niveau national et international.
En 2012, L’Hebdo l’a inséré parmi les 100
personnalités qui font la Suisse romande.
ENTRETIEN
MIGROS MAGAZINE | No 7, 9 FÉVRIER 2015 |
rayer la hausse du franc. Si vous gagnez
15% grâce au change et que vous devez
payer 0,75 d’intérêt négatif cela reste attractif. Les banques vont réduire leurs
avoirs à la BNS et mettre cet argent sur
les marchés financiers, avec le risque de
créer des bulles. Ou alors sur le marché
immobilier en octroyant encore davantage de prêts hypothécaires. Tout cela va
fragiliser le secteur bancaire en Suisse et
donc finalement l’ensemble de l’économie nationale.
Les milieux économiques réclament des allègements fiscaux. Qu’en pensez-vous?
Ce n’est pas le moment de baisser les impôts. Le Conseiller fédéral Schneider-Amman a annoncé que le chômage
partiel serait à nouveau possible pour les
entreprises en difficulté. Des mesures
qu’il faudra financer, surtout que
nombre de cantons connaissent déjà des
difficultés budgétaires.
Texte: Laurent Nicolet
Photos: Claudio Bader
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SERGIO ROSSI
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POURQUOI ÇA NE MARCHERA PAS
Le casse-tête grec
Photo: Keystone
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«Entre la Grèce (ici son Premier
ministre Aléxis Tsípras) et ses
créanciers, notamment l’Allemagne, cela risque de traîner des mois pour ficeler un paquet raisonnable aux yeux des deux
parties. Les Grecs vont demander d’allonger les
échéances, de biffer une partie de la dette et
d’abaisser les taux d’intérêts. Les Allemands
sont d’accord de prolonger la maturité des prêts
mais surtout pas de faire des cadeaux. Le problème c’est que les créancier sont publics et
qu’on ne voit pas dans la situation actuelle quels
pays seraient prêts à renoncer à une partie de
leurs créances qui ensuite manqueraient dans
leurs bilans. On sait pourtant que les Grecs ne
pourront jamais rembourser leur dette à 100%».
Franc fort et assouplissement monétaire
«L’idée c’est que la BCE apporte des liquidités aux banques, qui vont les transmettre
notamment aux entreprises de l’économie
réelle pour faire des investissement, avec
des effets positifs sur le niveau d’emploi et la
croissance. Mais il est probable que les
banques ne vont pas mettre ces liquidités
dans une économie qui, en zone euro, frôle la
récession. Les entreprises, elles, ne vont pas
emprunter pour investir d’avantage parce
qu’elles savent qu’elles ne vont pas pouvoir
écouler toute leur production: les ménages
se sont appauvris pas seulement en Grèce,
en Espagne mais aussi en Allemagne et ailleurs. Donc ces liquidités vont être déversées
sur les marchés financiers et enfler les prix
des actifs jusqu’à former des bulles pouvant
provoquer des dégâts majeurs. Dans ces
conditions il est vraisemblable que l’euro va
rester faible et le franc suisse fort».
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Chose promise, chose due.
Nous multiplions nos efforts chaque année
davantage pour la génération de demain.
L’action de Migros en matière de développement durable est le fruit d’une
longue tradition. C’est ce que confirme également l’agence de rating indépendante oekom research, dont le classement nous place en pôle position des
détaillants à l’échelle internationale. Un tel succès constitue pour Migros une
incitation supplémentaire dans la réalisation de projets concrets en faveur
de la génération future.
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