De quoi parle-t-on?
Spécialiste de politique monétaire,
le Tessinois Sergio Rossiestime que
malgré un pouvoir d’achat dopé par
le franc fort,les consommateurs
suisses,qui sont aussi des travail-
leurs,seront rendus frileux parla
fragilité du marché du travail issue
de ce même franc fort.Et prévoit,
plutôt qu’une déflation ou une ré-
cession,un ralentissement écono-
mique «remarquable».
Tout le monde estime que la BNS n’avait pas
d’autres solutions que supprimer le taux
plancher,mais personne ne l’avait prévu.
Comment expliquer ce paradoxe?
Nonseulement la BNS n’aurait jamais dû
introduire le taux plancher,mais elle
n’aurait jamais dû l’enlever le 15 janvier
2015. Soit une semaine avant que la BCE
annonce son assouplissement monétaire
et dix jours avant que la Grèce ne vote
pour Syriza. Un très mauvais moment
donc avec la perspective d’un euro qui va
rester faible. Mais c’était le dernier mo-
ment: tous les francs suisses que les
banques reçoivent de la BNS en échange
des milliards d’euros qu’elle leur achète
pour garder le franc à 1,20 menaçaient d’
enfler la masse monétaire au point de
mettre en danger la stabilité financière
du pays. Une masse utilisée par les
banques essentiellement sur les marchés
de manière trop risquée et pour nourrir
des crédits hypothécaires provoquant
une surchauffe des prix immobiliers.
N’ yavait-il quand même pas plus de risques
- déflation, récession chômage - à supprimer
le taux plancher plutôt qu’à le maintenir?
La BNS a estimé que ses pertes,induites
par l’achat massif d’euros qui se dépré-
cient, auraient été beaucoup plus élevées
que celles à venir des entreprises pénali-
sées par le franc fort. Unepartie des en-
treprises n’ont pas de problème à expor-
ter même avec un franc fort, le secteur
pharmaceutique parexemple .Il est clair
aussi que les entreprises auraient dû se
préparer à la disparition du plancher et
visiblement elles ne l’ont pasfait, surtout
celles du secteur touristique.
Le patron de la BNS Thomas Jordan a donc eu
raison de dire que les entreprises ont eu assez
de temps pour se préparer?
Oui, mais la BNS a très mal communiqué,
et ce dès le départ. Elle aurait dû dire lors
«L’alternative au franc fort,
c’estFrancfort!»
Titulaire de la chaire de macroéconomie et d’économie monétaire à l’Université de Fribourg,
Sergio Rossi dénonce les erreurs de la BNS,relativise les bénéfices de la crise actuelle pour les
consommateurs, comme ses inconvénients pour les entreprises.
sement économique certes assez remar-
quable.
Quelles conséquences pour le marché du
travail?
Unepartie du travail sera délocalisé, une
partie va rester mais avec une pression à
la baisse sur les salaires. Unebaisse des
salaires qui influera sur la consommation
des ménages.Or la consommation en
Suisse est un de moteurs de la croissance,
aussi important que les exportations.
Malgré tout,les consommateurs sont les
grands gagnants du franc fort,non?
Les baisses de prix attendues dont cer-
taines sont déjà en vigueur ne vont pas
foncièrement changer la donne. Les
consommateurs sont aussi des travail-
leurs: s’ils craignent pour leur place de
travail ou que leur contrat de travail soit
revu à la baisse,ils vont être frileux. Ils
ne vont pas vraiment changer leur ni-
veau de consommation, vont vouloir
conservercette marge de manœuvre que
leur donne le franc fort et ne pasfaire de
dépenses supplémentaires tant que la si-
tuation n’est pas claire sur le marché du
travail.
Entre les plus pessimistes qui voient à terme
un euro à 0,95 franc et les optimistes qui le
prédisent à 1,10 vous vous situezoù?
Tant que le problème de la dette pu-
blique grecque mais aussi italienne et
espagnole ne sera pas résolu, on sera plus
près d’un euro à 0,95 franc qu’à 1,10.
L’indépendance monétaire n’a-t-elle pasat-
teint ses limites - trop chère, trop compli-
quée, générant des taux de change fluc-
tuants, donc de l’instabilité?
On ne peut pas s’inventer entrepreneur,
il faut être créatif,savoir qu’il y a des
taux de change et des valeurs qui bougent
et être capable de vivre avec cela. Parce
de l’introduction du taux plancher en
2011 qu’elle se réservait le droit de reve-
nir régulièrement sur cette décision. Au
lieu de cela, en déclarant solennellement
que le taux plancher était la meilleure so-
lution, elle a induit des comportements
biaisés: les gens s’y sont habitués et les
entreprises se sont endor-
mies là-dessus.
Lesconséquences du franc fort
vont elles être aussi drama-
tiques qu’annoncéesparles mi-
lieux économiques?
Non. Il est ainsi exagéré de
parler de déflation, qui n’est
pas la baisse d’une série de
prix pendant quelques mois,mais une
période de plusieurs années où les prix
dans leur ensemble diminuent,comme
dans les années 30. Nous allons nous re-
trouver plutôt avec une pression sur les
marges bénéficiaires des entreprises qui
les obligera à l’innovation,et un ralentis-
«Les entreprises
auraient dû se
préparer à la fin
du taux plancher.»
ENTRETIEN |SERGIO ROSSI|No7, 9 FÉVRIER 2015 |MIGROS MAGAZINE |
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