destinée en premier lieu, dans l'esprit d'Alexandre lui-même, à apporter
des données nouvelles dans le domaine de la géologie et de la minéralogie,
celui de la géographie physique et de la cartographie, dans le domaine de
la botanique, de la zoologie, de l'étude des climats, etc. Ce qui semble
avant tout avoir intéressé les contemporains, ce sont les relevés astronomi-
ques de Humboldt qui permettent de corriger les cartes très fautives de
l'époque, mais aussi les spécimens et les observations minéralogiques et
botaniques. Le compagnon de Humboldt lors de cette expédition, Aimé
Bonpland1, est un botaniste, élève de Jussieu. Humboldt et Bonpland
reviennent d'Amérique avec des herbiers contenant près de 6 000 espèces,
dont 3 600 étaient auparavant inconnues.
Même constat si nous nous tournons vers les publications issues du
voyage américain. Le premier ouvrage que Humboldt publie à son retour
est l'Essai sur la géographie des plantes (1807), considéré comme l'un des
ouvrages fondateurs de l'écologie scientifique2. En revanche, Alexandre n'a
publié aucun ouvrage qui soit spécifiquement consacré à l'anthropologie.
On le voit : les observations « ethnologiques » — pour employer ici un
adjectif inexistant en 1800 - ou anthropologiques ne sont en quelque sorte
que les produits collatéraux de son voyage. Humboldt souligne d'ailleurs
lui-même ce point dans son journal :
A cause de la grande diversité des objets, il est difficile de tout noter. On se dépêche
de noter tous les faits, les mesures, les descriptions de la nature - et toutes les obser-
vations plus générales et plus intéressantes précisément sur la culture des hommes,
sur leur vie sociale se trouvent écartées. On croit que ces observations resteront
davantage gravées dans notre souvenir, et l'on désire recueillir plus de matériaux.
[...] Ainsi, ce qu'il y a de meilleur ne se trouve pas dans le manuscrit3.
Cette remarque témoigne à quel point Alexandre lui-même était cons-
cient des limites matérielles de son travail sur les habitants indigènes des
pays qu'il traverse. Mais elle est simultanément le signe de l'attention
extrême que l'explorateur porte néanmoins à cet aspect de son voyage.
Etonné par le grand nombre et par l'extrême diversité des Amérindiens,
Humboldt sera très rapidement attentif à leur mode de vie, à leurs usages,
leurs coutumes, leurs traditions.
Ce faisant, Humboldt ne s'inscrit pas dans un champ vierge, et ce sera
là la seconde observation que je désire faire ici afin de marquer les limites
de son œuvre. En effet, si Humboldt a été comparé à Christophe Colomb,
1.
Sur Aimé Bonpland, cf. Nicolas Hossard, Aimé Bonpland, 1773-1858. Médecin, naturaliste,
explorateur en Amérique du Sud,
préf.
de Bernard Lavallé, Paris, L'Harmattan, 2001, ainsi que Ernest
Théodore Hamy, Aimé Bonpland, médecin et naturaliste, explorateur de l'Amérique du Sud, sa vie, son œuvre,
sa correspondance, Paris, Guilmoto, 1906 ; René Bouvier, Edouard Maynial, Der Botaniker von Malmai-
son.
Aimé Bonpland, ein Freund Alexander von Humboldts, Neuwied, Lancelot Vcrlag, 1948.
2.
Pascal Acot, Histoire de l'écologie, Paris, PUF, 1988 ; Jean-Marc Drouin, L'Ecologie et son his-
toire. Réinventer la nature, 2e éd., Paris, Flammarion, 1993 (11991); Alberto Castrillon, «Alexandre
de Humboldt et la géographie des plantes», in Revue d'histoire des sciences, 45 (1992), p. 419-433.
3.
Lateinamerika am Vorabend [cf. ci-dessus n. 3, p. 122].